General Conference Background Document #22

L'ANNEE DU JUBILE ET LA REMISE DE LA DETTE
Eléments de réflexion en vu de la pastorale biblique

Thomas P. OSBORNE , in Wissbei 59 (1999)

(Part I)

Lors de sa Cinquième Assemblée Plénière en 1996, les membres de la Fédération biblique Ca-tholique présents à Hong Kong se sont engagés à "travailler activement à l'annulation de la dette internationale à l'occasion de l'An 2000, pour que cette année soit vraiment une année jubilaire et que les opprimés puissent être libérés de leur fardeau" (déclaration finale, §8.1.7).

Cette résolution fait suite à l'appel du Pape Jean-Paul II dans sa lettre apostolique Tertio mil-lennio adveniente (1994), dans laquelle celui-ci se base sur une série de textes bibliques qui décrètent la libération périodique d'esclaves et le retour à leur terre des Israélites dépossédés suivante à un endettement. Selon le Pape, "l'année jubilaire devrait servir précisément à réta-blir l'égalité entre tous les fils d'Israël, ouvrant de nouvelles possibilités aux familles qui avaient perdu leur biens et même la liberté personnelle". Elle était destinée à rétablir la "justice sociale". Elle était destinée à rétablir la "justice Sociale" (§13). Dans la tradition de l'Eglise, l'année du jubilé est cette "année de grâce" dont parle Isaïe (ch. 61). Elle est devenue surtout une "année de la rémission des péchés, années de multiples conversions et de pénitence sacra-mentelle et extra-sacramentelle" (§ 14). Plus loin, dans ce même document, le Pape souligne avec force l'importance de l'option préférentielle pour les pauvres et les exclus qui doit déter-miner les engagements de chrétiens:

On doit ... dire que l'engagement pour la justice et la paix en un monde comme le nôtre, marque par tant de conflits et par d'intolérables inégalités sociales et économiques, est un aspect caractéristique de la préparation et de la célébration du Jubilé. Ainsi, dans l'esprit du Livre du Lévitique (25,8-12), les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant que le Jubilé soit un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations" (§ 51).

Nombreux sont les groupes chrétiens qui se sont ralliés à cet appel. Sous le titre de Jubilé 2000, Jubilée 2000, Erlassjahr 2000, une vaste campagne internationale de sensibilisation et de collecte de signatures a été organisée en vue de la rencontre du G-8 qui aura lieu à Cologne le 19 juin 1999. (le web site www.jubilee2000uk.org/links permet une vue d'ensemble rapide des différents orga-nismes associés à ce mouvement. On peut consulter légalement www.sedos.org/wgroups.htm et www.oneworld.org/jubilee2000.) La Caritas Internationalis a mis en place un travail de sensibilisa-tion sous le titre "Faire passer la vie avant la dette". (Voir la brochure Faire passer la vie avant la dette, préparé par CIDS et Caritas Internationalis). De nombreuses conférences d'évêques, des com-missions Justice et Paix, et des instances ecclésiales oecuméniques ont élaboré des documents de réflexion à ce sujet. Dans cette dynamique, plusieurs pays ont obtenu que leur dette inter-nationale soit réduite voire annulée, en particulier ceux qui ont été frappés récemment par des catastrophes naturelles.

Les participants à l'assemblée de Hong Kong s'étaient posé plus d'une fois la question: "Qu'est-ce que nous pouvons faire devant une situation tellement complexe? Nous savons lire la Bible et faire de l'animation biblique, mais les questions de finances internationales et de gestion des prêts sont tellement complexes que ce serait sortir de notre compétence en nous mèlant à cette discussion". Effectivement, les questions ne sont pas faciles et il n'y a pas de réponses "passe-partout". Et pourtant, si nous pensons que la Bible a un mot à dire en faveur de la vie des hommes et des femmes de notre temps, nous n'avons pas le droit de nous cacher derrière des paroles pieuses. Nous sommes invités à nous mettre à l'écoute à la fois des textes bibliques et de nos frères et soeurs victimes d'une dette impossible à porter.

Dans un premier temps cet article voudrait passer en revue les principaux textes bibliques qui traitent de la libération périodique des personnes endettées ou en esclavage. Il se propose en-suite de faire quelques remarques sur la pertinence de ces textes pour la problématique de la remise de la dette. Puisqu'il n'est pas possible de dater avec certitude ces textes, ou les collec-tions de lois dont ils font partie, ni de démontrer de manière concluante les relations littéraires entre eux, nous resterons prudent quant à l'élaboration d'une théorie de développement pro-gressif de cette législation. Constatons simplement que le problème des personnes endettées a préoccupé la société juive et ses législateurs à différentes époques et dans des situations di-vers.

1. Le Code de l'alliance (Ex 20, 22-23,19) se base sur le modèle du rythme de travail de six jours et de repos du septième jour (Ex 23,12) pour décréter la libération des esclaves hébreux après six années, s'ils le désirent (Ex 21,2-11), et pour appliquer une année de jachère à la terre lors de la septième année (Ex 23,10-11). Ces directives ont essentiellement une visée sociale: le repos du septième jour permet aux bêtes den labeur, aux serviteurs et à l'émigré de reprendre leur souffle ses forces et aux pauvres de se nourrir des produits "sauvages" du sol; la libération des esclaves met une certaine limite à l'exploitation des frères hébreux.

En dépit des accents positifs de cette législation, un lecteur de la fin du XXe siècle reste sur sa faim en ce qui concerne l'acceptation et la pratique de l'institution de l'esclavage, limitée à six années pour les compatriotes, illimitée pour les étrangers; le traitement nettement moins favo-rable des servantes par rapport à celui des serviteurs; les droits du maître sur les membres de la famille de l'esclave. En fin de compte, il s'agit d'une certaine limitation de l'exploitation de personnes humaines. Mais, vu de nos jours, cela reste un compromis insuffisant. Constatons quand ce début de sensibilité à la situation des personnes exploitées se base sur une expérience commune de précarité: "Tu n'opprimeras pas l'émigré; vous connaissez vous-même la vie de l'émigré, car vous avez été émigrés au pays d'Egypte" (Ex 23,9).

2. Au centre du livre du Deutéronome, le Code deutéronomique constitue une collection de lois destinée à couvrir l'ensemble des relations humaines, religieuses et politiques à l'intérieur de la société israélite. Cette collection date sans doute du milieu du VIIe siècle avant noter ère. Plus que le Code de l'alliance, elle est marquée profondément par une motivation explicitement théologique. Ence qui concerne notre propos, Dt 15 précise les dispositions concernant la remise des dettes (Dt 15,12-18) et la libération des esclaves hébreux (Dt 15,12-18) au bout de sept années.

Une double relation sous-tend ces textes: la relation entre les frères, membres d'un même peu-ple, d'une part, et la relation entre ce peuple et son Dieu, d'autre part. La législation envisage deux niveaux de précarité.

Si une personne a été amenée à s'endetter auprès de son frère pour subvenir à ses besoins, on légitime la possibilité de lui prêter de l'argent, éventuellement sur gages - et non contre intérêts - mais on limite la validité des gages à sept années. Au bout de sept ans on fera la remise des dettes, la shemittah en hébreu. D'autre part, on est appelé à faire tout son possible pour qu'il n'y ait pas de pauvres dans le pays, ou autrement dit, parmi les frères. Il faut briser, à temps, la progression de la pauvreté. Le développement du texte est significatif:

- "Il n'y aura pas de pauvre chez toi" (15,4)

- "S'il y a un pauvre chez toi ..." (15,7)

- "Puisqu'il ne cessera pas d'y avoir des pauvres au milieu du pays..." (15,11).

La réalité sociale l'emporte donc sur les proclamations morales. Mais la solidarité avec le frère reste une exigence: "Tu ouvriras ta main toute grande à ton frère, au malheureux et au pauvre que tu as dans ton pays" (15,11). Elle trouve son fondement en Dieu qui, le premier, comble son peuple de sa bénédiction.

Le deuxième niveau de précarité est atteint lorsqu'une personne, dont la situation est devenue si fragile qu'un prêt sur gages n'est plus suffisant, doit se vendre pour pouvoir survivre. L'auteur du texte ne s'attarde pas sur les raisons de cet esclavage "choisi" par une personne mise dans une situation de détresse inextricable. Il invoque à nouveau la générosité, motivée par la prise de conscience que le "maître" fut lui-même racheté de l'esclavage par son Dieu, mais aussi par une estimation correcte du travail fourni par l'esclave. La relation "maître-esclave" n'est pas destinée à devenir définitive: en principe, elle est limitée dans le temps grâce à la remise en liberté la septième année.

3. Aussi belles que soient ces options sociales et théologiques, aussi difficile est leur réalisa-tion dans la vie concrète, comme en témoigne le récit de la libération d'esclaves hébreux sous le roi Sédécias (Jr 34,8-22). Lors du siège de la ville de Jérusalem par Nabuchodonosor, en 588-587, le roi Sédécias donna l'ordre de libérer les esclaves hébreux, sans doute pour leur permettre de participer activement à la défense de Jérusalem. Mais, suite à la levée du siège, les gens font marche arrière en reprenant leurs anciens esclaves.

Jérémie considère que le fait de ne pas respecter les engagements vis-à-vis des compatriotes et de recommencer à les exploiter est comme une profanation du nom de Dieu et qu'elle amène des conséquences désastreuses pour l'ensemble de la société. C'est une expérience constante dans la société humaine: la rupture du contrat social entre les personnes compromet les chan-ces de survie d'un peuple. La voix du prophète pointe les conséquences de ce comportement sur la relation avec Dieu: le Dieu d'Israël est un Dieu qui ne tolère pas l'exploitation entre les frères. Pour Jérémie, le retour des Babyloniens et la destruction de Jérusalem et du Temple en 587 sont directement en rapport avec cette rupture d'engagement.

4. L'année du jubilé dans le cadre de la législation sacerdotale

a. Dans l'état actuel du Pentateuque, la législation sur l'année du jubilé au ch. 25 du livre du Lévitique est comme le parachèvement d'une vaste collection législative située dans le courant sacerdotal (vers la fin de l'exil à Babylone). Le grand ensemble commence en Ex 24,15 et se poursuit jusqu'en Lv 26. Il parle successivement de la demeure divine ou de la tente de la ren-contre, du rituel des sacrifices et du sacerdoce en vu d'obtenir l'absolution pour les pêchés, des règles pour le maintien de la pureté du peuple et de la tente de la rencontre. Il prévoit des mesures ponctuelles pour la purification des personnes et des objets et fixe le rite du jour du grand pardon annuel. I précise enfin les comportements nécessaires pour permettre au peuple de participer à la sainteté divine ainsi que les sanctions à appliquer en cas de nom non-respect des directives.

b. A travers ces textes, mais surtout aux chapitres 23 et 25, le législateur sacerdotal élabore un calendrier basé sur le septième jour et le sabbat, dont voici la structure:

 

le septième jour Æ le sabbat hebdomadaire (Ex 31,12-17; 35,1-3; Lv 23,3)

un cycle de sept jours Æ des fêtes qui durent sept jours:

- la Fête des pains-sans-levain, avec un sabbat au début et à la fin de la semaine, au prin-temps (Lv 23,6-8)

- la Fête des Tentes, avec un sabbat au début et à la fin de la semaine, en automne (Lv 23,33-36)

un cycle de sept semaines Æ une fête à la fin d'une période de sept semaines (sept septénaires de jours): les Prémices (Lv 23,15-21)

un cycle de sept années Æ une année sabbatique (Lv 25,2-7)

un cycle de sept périodes de sept années Æ l'année du jubilé, après sept septénaires d'années, soit 49 ans (Lv 25,8) ou 50 ans Lv 25,10.11).

Ce rythme "septénaire" du temps est d'une extrême importance pour le courant sacerdotal qui l'a élaboré lors de l'exil d'une partie du peuple juif à Babylone au VIe siècle avant notre ère. Il s'agit d'une lecture théologique de l'histoire et d'un système religieux cohérent en vue d'aider le peuple juif à comprendre sa situation d'exil et à conserver son identité religieuse et sa coh-érence ethnique devant la puissance politique et l'attrait religieux babyloniens. Tout peuple qui est soumis à l'hégémonie étrangère sait combien il est important d'affirmer son identité par des institutions, des personnes ou des objets particuliers. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la nouvelle signification accordée à cette vieille institution qu'est le repos du sep-tième jour, appelé déjà avant l'exil "sabbat". Pour le courant sacerdotal, le sabbat constitue la clé de voûte, pas simplement de la structure du temps, mais l'ensemble dela lecture théologi-que de l'histoire du peuple. En examinant les textes relatifs au sabbat dans l'histoire et la légi-slation sacerdotale nous pouvons faire les observations suivantes:

- L'activité du Dieu créateur donne le modèle de base: six jours de travail, un jour de repos.

- Ce jour de repos met une limite à la pulsion de productivité de l'espèce humaine et consti-tue en même temps un moyen de libération des individus. L'existence humaine n'a pas son unique raison d'être dans le travail.

- Ce jour de repos est "consacré": il sort la vie humaine d'un cadre exclusivement productif pour lui permettre de se mettre en rapport plus complètement avec la sainteté de Dieu.

- La pratique du sabbat est un signe distinctif, l'image de marque d'un peuple vis-à-vis d'autres peuples. En ceci, il constitue un des signes de l'alliance, avec l'arc-en-ciel du récit d'Abraham(Gn 17).

c. La grand collection de textes législatifs sacerdotaux s'achève avec Lv 26: exhortation à ob-server les sabbats et à respecter le sanctuaire (26,2), une série de bénédictions en cas d'observance des commandements du Seigneur (26,3-13) et une série de malédictions en cas de non-respect de ces ordonnances (26,14-39) et, pour finir, un texte qui ouvre à la possibilité de la conversion (26,40-45). Il est intéressant de remarquer que le non-respect des sabbats est cité comme une des causes essentielles de la dispersion du peuple loin de leur pays. Cet exil donnera au pays la possibilité d'accomplir les sabbats qu'il n'a pas pu respecter à cause du peuple:

34) Alors le pays accomplira ses sabbats, pendant tous ces jours de désolation où vous-mêmes serez dans le pays de vos ennemis; alors le pays se reposera et accomplira ses sabbats; 35 pendant tous ces jours de désolation, il se reposera, pour compenser les sabbats où il n'aura pas pu se reposer, lorsque vous y habitiez (Lv 26,34-35).

et encore:

Ainsi, quand le pays sera abandonné par eux, quand il accomplira ses sabbats pendant le temps où ils le laisse-ront dans la désolation, quand leur châtiment s'accomplira parce qu'ils auront rejeté mes coutumes et pris mes lois en aversion... (Lv 26,43).

Il n'est peut-être pas inintéressant de remarquer que l'exil a duré environ 50 ans, depuis la destruction du Temple en 587 jusqu'au retour des juifs dans les années qui ont suivi la prise de Babylone par Cyrus, en 539. L'auteur sacerdotal ne verrait-il pas la matin de Dieu dans le phénomène de l'exil ainsi que dans sa durée? N'en ferait-il pas un modèle de punition et de libération divine à ériger en institution religieuse par la suite? La question mérite au moins d'être posée.

d. La première section de Lv 25 (vv. 2-7) est consacrée à l'année sabbatique, au sens propre. Lors de l'entrée du peuple dans le pays, ce pays observera une année de repos; plus précisé-ment on cultivera pas la terre et on ne moissonnera pas les champs et on ne vendangera pas les vignes. Laisser reposer périodiquement le sol, pratiquer une année de jachère, était une prati-que généralisée dans les sociétés agricoles qui ne connaissaient pas l'utilisation des engrais forts. Elle se réalisait le plus souvent en rotation, souvent en cycle de plus ou moins trois années, pour une partie du sol cultivable. La disposition de Lv 25 requiert pourtant une année complète où l'ensemble du sol est en repos.

Les problèmes alimentations créés par ce système sont énormes, comme on peut l'imaginer. Ils sont attestés en 1 Macc 6,46-54 qui raconte la situation d'assiégés à bout de vivres étant donné que c'est justement la septième année et que les Israélites ramenés en Judée du milieu des païens avaient consommé les dernières réserves. Lv 25,20-22 propose une réponse théo-logique aux problèmes alimentaires: la bénédiction de Dieu permettra à la sixième année de produire suffisamment de vivres jusqu'à la récolte de la huitième année. On pense naturelle-ment à la double portion de la manne le sixième jour qui permet de passer le cap du sabbat. Mais ce qui est valable pour un jour est-il valable pour une année? Il faut la compétence en-gestion alimentaire alimentation d'un Joseph en Egypte, une gestion qui fait confiance à la so-lidarité de tous les membres d'un peuple entier et à une productivité, divinement soutenue.

Dans tout ce contexte, la confiance dans la bénédiction divine va pair avec la confiance dans la productivité de la terre et dans la solidarité humaine et la gestion correcte des ressources ali-mentaires. Ces dernières questions ne sont pas évoquées dans le texte du Lv 25 sur l'année sabbatique. En tout état de cause, on ne trouve plus trace de la libération d'esclaves lors de la septième année, comme ce fut le cas dans la législation du Code de l'alliance et du Code deut-éronomique. Dans la législation sacerdotale, il faut attendre les dispositions de l'année du ju-bilé pour que ce problème soit thématisé.

e. La législation sur l'année du jubilé au sens propre se trouve en Lv 25,8-19.23-55. Après la proclamation générale du jubilé (Lv 25,8-13) il y a toute une série de stipulations concrètes qui ne concernent pas simplement la libération de la 49e/50e année, mais également le droit et le devoir de rachat des propriétés foncières et des devoir de rachat des propriétés foncières et des personnes, dont la réalisation n'attend pas l'échéance des 50 ans pour être de rigueur (Lv 25,14-19.23-55). Regardons de plus près la proclamation générale. Voici le texte dans une traduction assez littérale:

8 Et tu compteras pour toi sept sabbats d'années, sept ann-ées sept fois.

Et les jour de sept sabbats d'années seront pour toi neuf et quarante ans.

9 Et tu feras retentir le cor en sonnerie le septième mois, au deuxième du mois; au jour des absolutions

vous ferez retenir le cor dans tout votre pays.

10 Et vous consacrerez l'an de la cinquantième année,

et vous proclamerez une libération (un affranchissement) dans le pays pour tous ses habitants.

Ce sera pour vous un Jubilé!

Et vous retournerez, chacun vers sa propriété;

et chacun vers sa Tribu, vous retournerez.

11 L'an de la cinquantième année sera pour vous un Jubilé!

Vous ne sèmerez pas,

et vous ne moissonnerez pas ses produits,

et vous ne vendangerez pas ses non-taillées.

12 Car ce Jubilé sera consacré pour vous!

Du champ vous mangerez le produit.

13Dans cette année de Jubilé vous retournerez, chacun vers sa propriété.

i. Est-ce que l'année du jubilé est la 49e année (Lv 25,8) ou la 50e année (Lv 25,10.11)? cal-culer l'année du jubilé semble facile. Partant de l'idée de l'année sabbatique, définie comme chaque septième année, il suffit d'arriver à la septième année sabbatique (7 périodes de 7 ann-ées = 49 années) et d'ajouter une année (49 années + 1 année = la 50e année). Ce calcul soulève pourtant un problème très concret. Si la 50e année est également une année de jachère, ce qui est impliqué par les vv.11 et 12, cela voudrait dire que la récolte de la 48e année devrait suffire pour la 49e année, la 50e année et la 51e année, jusqu'à la nouvelle récolte. Comment est-il possible de survivre avec une seule récolte pendant environ deux ans et demi?

Selon toute vraisemblance, la législation se réfère au calendrier de la tradition sacerdotale dans lequel l'année commence au printemps avec le mois d'aviv ou de nisân, sans doute sous l'influence babylonienne. (Voir Ex 12,2;Lv23,5: les deux textes situent la fête de la Pâque au premier moi de l'année; une autre tradition, plus ancienne, situe le début de l'année en automne: voir Ex 23, 16; 34,22.) Selon Lv 25,9, l'année du jubilé est proclamée au septième mois, le 10e jour du moi, lors de la fête du Grand Pardon. "L'année du jubilé" ou "la 50e année" ne serait-elle pas une année rac-courcie, qui ne durerait que la fête du Grand Pardon jusqu'à la fin de l'année en cours? Cette hypothèse a l'intérêt de ne pas aggraver indûment les difficultés alimentaires d'une année jubi-laire associée à une année sabbatique, mais il est difficile de se prononcer avec certitude.

ii. Quel est ce jour du Grand Pardon qui marque le coup d'envoi de l'année du jubilé et de sa "libération"? Le " yom hakippururîm" en hébreu ou le "jour des expiations" est décrit en Lv 16 et Nb 29,7-11 et il est mentionné en Lv 23,27-30; 25,9 et Ez 45,18, donc dans des textes qui datent de l'exil. Le texte d'Ez semble le plus ancien: il fixe la date de la célébration au prin-temps, au premier jour du premier mois. Les autres textes, tous de la tradition sacerdotale, le situent en automne. Il s'agit d'une célébration annuelle, très solennelle, marquée par le jeûne et le repos et destinée à expier les péchés du grand-prêtre et de sa famille et du peuple général, mais aussi à purifier le sanctuaire tout entier. Ces expiations et purifications sont accomplies par une série de sacrifices et d'aspersions de sang autour du - et à l'intérieur du - sanctuaire, ainsi que par l'éloignement du camp d'un bouc sur lequel sont transférées les péchés du peu-ple. Dans ces rites, le sang joue un rôle de première importance en tant que siège de la vie. Selon Lv 17,11, "le sang procure l'absolution parce qu'il est la vie". En résumé, dans le cadre de sa législation concernant la pureté rituelle et morale, la tradition sacerdotale a le souci d'éveiller la conscience pécheresse aussi bien des individus que du peuple et d'assurer l'absolution régulière des péchés. Elle désire prévenir, de ce fait, la sanction divine liée à ces péchés.

iii. Le début du jubilé se situe dans le cadre de cette absolution générale et de cette purification généralisée. Il proclame une année de libération (derôr), de retour vers la propriété familiale et de repos pour le pays. Le début du jubilé est annoncé par la sonnerie du cor (shopar), instru-ment de musique employé pour proclamer certaines fêtes religieuses et des jeûnes, mais égale-ment pour sonner l'alarme dans des situations de danger. Le mot hébreu traduit par "jubilé" est jôbel. Il n'a rien à voir avec le mot latin jubilaeus, du verbe jubilare: se réjouir. Comme l'attestent Jos 6,4.56.8.13 et Ex 19,13,j^bel signifie à l'origine "corne" de bélier. L'appel du cor invite, non pas à l'exubérance publique, mais à la conscience d'être pécheur, à l'intériorisation des attitudes de pénitence et à la conscience d'avoir été pardonné et sauvé de la colère divine. En s'orientant dans la voie de la "libération", le jubilé semble pourtant aller plus loin que les expirations du jour du Grand Pardon.

En effet, même avant de prononcer le mot "jubilé", Lv 25 annonce que la 50e année sera consacrée et qu'on proclamera "une libération dans le pays pour tous ses habitants". Par la suite, le texte nous fournit la précision suivante:

Et vous retournerez, chacun vers sa propriété; et chacun vers sa tribu, vous retournerez (Lv25,10).

Nous voici au centre du texte sur lejubilé! De quelle libération s'agit-il? Vers quelle propriété? Retour de qui: de tous ou de certaines personnes seulement? Vers quelle tribu?

Le mot hébreu derôr traduit ici par "libération" n'est pas fréquent dans le Premier Testament. Il revient en Jr 34,8.15 et 17 (deux fois), dans un récit concernant l'affranchissement des escla-ves hébreux lors du siège de Jérusalem: en Ez 46,17, dans un texte qui traite également de l'affranchissement d'esclaves dans le cadre des droits immobiliers du prince, et en Is 61,1 qui parle de la libération des prisonniers. Le texte d'Ezéchiel réunit toute une série de thèmes communs avec Lv 25:

16 Ainsi parle le Seigneur Dieu:

Si le prince fait un don à l'un de ses fils, ce don de-viendra le patrimoine (nachalatô) de ce fils; ce patri-moine deviendra propriété ('achuzzatam) de ses propres enfants.

17 Si le prince fait un don à l'un de ses serviteurs, ce don pris sur son propre patrimoine appartiendra au servi-teur jusqu'à l'année de l'affranchissement puis reviendra au prince; seule la part du patrimoine donnée aux fils du prince restera en leur possession.

18 Le prince ne prendra rien sur le patrimoine du peuple en leur extorquant leu propriété; c'est sur sa propriété qu'il constituera le patrimoine de ses fils, afin que per-sonne de mon peuple ne soit dispersé loin de sa pro-priété (Ez 46,16-18).

Il est question ici des droits en rapport avec le patrimoine princier, droits qui diffèrent selon la qualité de la personne, fils du propriétaire ou esclave: le fils peut garder comme son propre patrimoine la terre familiale, tandis que l'esclave devrait le restituer à son maître lors de l'année de l'affranchissement. La section s'achève avec une mise en garde contre le prince qui serait tenté de prendre pour lui le patrimoine des membres du peuple. Nous rencontrons ce thème dans le récit de la vigne de Naboth (1 Rois 21) mais aussi dans une série d'oracles prophéti-ques (Mi 2,1-3; Is 5,8-9), textes qui tous mettent en cause des riches à accaparer les terrains et les maisons des gens. Les différences entre Ez 46 et Lv 25 ne sont pas à sous-estimer. Ezé-chiel nous parle de la récupération du terrain par le prince lors de l'affranchissement de l'esclave, tandis que le Lévitique parle de la récupération de la terre, même du pays, par ceux qui sont libérés. Mais on constate que dans les deux cas, l'option principale semble en rap-port avec le maintien de l'intégrité de la terre patrimoniale ou nationale.