La Bible peut-elle être ressort de vie et d'action dans le monde actuel dominé par les lois du marché ?
B. OUVRIR LA BIBLE AUJOURD'HUI
Il importe de prendre la Bible pour ce qu'elle est.
Parfois on en fait n'importe quoi. On lui fait dire n'importe quoi.
A la dernière fête de l'humanité, les journalistes ont reçu du parti communiste une invitation avec au verso "Venez et voyez" (jean 6). Le front national se base sur la phrase "tu aimeras ton prochain" pour dire les français d'abord. Alors que le prochain dont parlait l'Evangile était l'étranger, le samaritain.
En ayant voulu que sa parole soit fixée par écrit, Dieu a pris un risque. Un risque inhérent à tout écrit. Celui d'avoir des interprétations multiples et contradictoires. C'est peut être pour cela que Jésus n'a rien écrit.
On a voulu faire de la Bible un livre d'histoire. Certes la Bible contient des histoires et l'histoire, mais ce n'est pas un manuel d'histoire tel que nous l'entendons aujourd'hui.
On a voulu faire de la Bible un livre de morale. Certes la Bible contient des centaines de lois et de maximes de sagesse, mais c'est bien autre chose qu'un code de bonne conduite.
On a voulu faire de la Bible une parole de Dieu tombée du ciel. Certes, pour le croyant la Bible contient la parole de Dieu. Mais Dieu ne se fait pas connaître en déchirant les nuages et en parlant d'une voix sonore. Quand Dieu parle vraiment, il se fait homme.
On a voulu faire de la Bible un livre dicté par Dieu. L'Esprit ou un ange inspirateur aurait soufflé dans l'oreille de l'auteur exactement ce qu'il faut dire... en hébreu, en grec ou en araméen. Pour le Coran c'était en arabe. Pieuse et illusoire illusion.
On a parfois voulu utiliser la Bible comme un arsenal d'argument pour prouver une thèse théologique, un choix politique ou même pour justifier des pratiques injustifiables. Procéder ainsi c'est s'enfermer dans la lettre et méconnaître le dynamisme profond de l'Esprit.
La Bible est tout autre chose que cela.
C'est l'expérience d'un peuple qui pendant près de 2000 ans a vécu, lutté, cherché, essayé de rencontrer Dieu. Une expérience mise par écrit qui a été conservée comme une mémoire religieuse de l'humanité. Une expérience dans laquelle des croyants, juifs et chrétiens voient une recherche authentique de Dieu et la manière dont Dieu se laisse découvrir, se révèle aux humains.
Ouvrir la Bible ce n'est donc pas ouvrir un livre de morale, d'histoire, de théologie ou de religion. C'est entrer dans le dynamisme de l'humanité en construisant son avenir en cherchant Dieu. Ce n'est pas entrer dans un édifice, c'est plonger dans un fleuve. L'édifice, les sociétés qui ont vu naître la Bible ont disparu depuis longtemps. Le fleuve continue à traverser l'histoire et nous rejoint aujourd'hui au seuil du troisième millénaire.
Aujourd'hui nous ouvrons donc la Bible provoqués par la mondialisation et par le danger des puissances de l'argent.
Cette manière de faire n'est pas nouvelle. Elle est traditionnelle dans le peuple de la Bible et chez les croyants: ce qui est nouveau ce sont les provocations actuelles.
Déjà au cours de l'Ancien Testament les scribes relisaient les textes existants et les réécrivaient en fonction des problèmes du moment. Pendant l'exil à Babylone on relit les traditions de l'exode et on se met à espérer une nouvelle libération qui ramènera le peuple sur sa terre (Is 43, 18-ig). Pendant l'occupation romaine on relit les psaumes de David et on espère la venue d'un nouveau David (Mt 21,9). Quand les évangélistes écrivent leurs textes ils actualisent les écrits des prophètes à la lumière de leur expérience avec Jésus et des problèmes de l'Eglise naissante.
Au fil de l'histoire de l'Eglise, les provocations à ouvrir et à relire la Bible se succèdent. Les paysans révoltés du XVIe siècle cherchent dans l'Evangile les fondements de leurs droits. Teilhard de Chardin éclaire ses recherches paléontologiques par l'alpha et l'oméga de l'Apocalypse. Les peuples opprimés retrouvent espoir en lisant la Bible comme une histoire de libération. Pour le croyant, jour après jour, année après année, situation après situation, l'Esprit invite à la lecture de la Parole par les événements nouveaux qui surgissent. Se laisser provoquer aujourd'hui par la mondialisation pour ouvrir la Bible est une attitude légitime et traditionnelle. La question est de savoir comment on utilise la Bible.
lère provocation: le pouvoir de l'argent, quelle était la place de l'argent dans la société biblique?
- La première forme du commerce était le troc de marchandises. On payait en denrées mesurables et comptables:Mais on peut prêter à intérêt à un étranger (Dt. 23,21). Effectivement le prêt à intérêt existait chez tous les voisins d'Israël.- des mesures d'huile ou d'orge
- des têtes de bétail
On pesait ("shaqal" d'ou le sheqel, le sicle...
- Mais bien vite pour la commodité on adopte comme moyen de payement du métal façonné ou en lingot, la qualité et le poids détermina la valeur d'échange.
On utilise ainsi de lourdes quantités pour le payement des tributs, des petites sommes pour les transactions particulières avec l'étranger et pour les achats de terrain: (Gn 23)
- Abraham pèse 400 sicles pour l'achat de la caverne de Makpéla (Gn 23)
Jérémie pèse 17 sicles pour l'achat d'un champ de son cousin à Anatoth (Jr 32,9) Les marchands sont appelés des peseurs d'argent.
Les métaux utilisés étaient, l'or, l'argent et le cuivre. Les plus anciennes monnaies retrouvées en Palestine, sont des monnaies grecques de Macédoine, environ 500 ans avant JC.
- il existait un contrat de dépôt gratuit: on met un objet sous la sauvegarde de quelqu'un
- le prêt était pratiqué en Israël: mais il s'agissait d'un prêt gratuit. D'après le Deutéronome on ne pouvait prêter à intérêt à un israélite (Dt. 23,20).
Pour se protéger contre la défaillance de son débiteur, le créancier pouvait exiger un gage. La saisie du gage personnel ou du débiteur pouvait être arrêtée par le cautionnement. C'est à dire une personne intervient en faveur du débiteur insolvable et assume la responsabilité de la dette...
Il y avait donc déjà toute l'ébauche d'un système bancaire. Mais combien plus simple et plus transparent que ce que nous voyons aujourd'hui.
Richesse et pauvreté au temps de la royauté
Tant qu'Israël était nomade ou semi-nomade il vivait dans une société quasi égalitaire. Richesse et pauvreté étaient partagées par tous les membres du clan. Mais quand Israël a occupé une terre et s'est donné un roi, la structure sociale a changé.
Pour ses constructions, pour ses fonctionnaires, pour son armée ou même pour payer sa sécurité, le roi avait besoin d'argent.
On assiste alors à l'apparition de "classes sociales". Une classe liée à la royauté, au pouvoir, fonctionnaires, grands propriétaires, grands commerçants. Et une "classe" de paysans, d'artisans, de journaliers de plus en plus pauvres.
Les impôts vont se multiplier. Les corvées vont se faire plus dures. Salomon le "roi soleil" opprima son peuple comme l'avait fait le pharaon d'Egypte. Ce n'est pas pour rien que le Deutéronome donne ces conseils aux rois:
"C'est un roi choisi par Yahvé que tu devra établir sur toi, c'est quelqu'un d'entre tes frères que tu établiras sur toi comme roi...
Mais qu'il n'aille pas multiplier ses chevaux et qu'il ne ramène pas le peuple en Egypte pour accroître sa cavalerie, car Yahvé vous a dit: "Vous ne retournez jamais par ce chemin". Qu'il ne multiplie pas le nombre de ses femmes, ce qui pourrait égarer son coeur. Qu'il ne multiplie. pas à l'excès l'argent ou son or! Il évitera de s'en orgueillir au dessus de ses frères". (Dt. 17,15-20)
On pourrait citer aussi le droit du roi:
Voici l'avertissement donné à Samuel. Plus qu'un avertissement préalable, c'est une constatation de ce qui se passe.
Samuel dit: voici le droit du roi qui va régner sur vous. Il prendra vos fils et les affectera à sa charrerie et à ses chevaux et ils courront devant son char. Il les emploiera comme chefs de mille et comme chefs de cinquante. Il leur fera labourer ses labours, moissonner sa moisson, fabriquer ses armes de guerre et les harnais de ses chars.
Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières, boulangères prendra vos champs, vos vignes, vos oliveraies les meilleures et les donnera à ses officiers.
Sur vos cultures et sur vos vignes il prélèvera la dîme et la donnera à ses eunuques et à ses officiers.
Les meilleurs de vos serviteurs, de vos servantes, de vos boeufs et de vos ânes, il les prendra et les fera travailler pour lui.
Il prélèvera la dîme sur vos troupeaux et vous mêmes vous deviendrez ses esclaves. (1 S 8,10-18)
Intervention des prophètes
Des voix contestataires se lèvent.
Les prophètes ne mâchent pas les mots contre une société qui écrase les petits.
Arrêtons-nous à deux "petits" prophètes. Ils sont pratiquement contemporains. Au 8ème siècle avant JC. L'un s'exprime dans le royaume d'Israël dans le nord, l'autre dans le royaume de Juda, dans le sud.
L'un parle dans la capitale du nord à Samarie: le prophète Amos. L'autre critique Jérusalem et son Temple: Michée. Chez Amos on découvre le luxe de la capitale. Chez Michée on découvre le dénuement des paysans.
Allons d'abord à Samarie vers -750.
Le roi Jéroboam Il y règne depuis 20 ans. Il a la situation bien en main. Les frontières sont sûres. Le commerce intérieur et extérieur est florissant. L'argent coule comme de l'eau. Dans la capitale, à Samarie, le luxe s'étale sans honte. Le mobilier devient de plus en plus distingués: tapis, couvertures, lits, coussins, meubles incrustés d'ivoire. Ceux qui possèdent un palais d'été peuvent encore se construire un palais d'hiver. On se laisse vivre allongé sur les divans, au son des instruments de musique ...
Mais en fait la situation sociale se dégrade de plus en plus
D'où vient cette richesse qui s'étale devant nous? Les hommes les plus clairvoyants de l'époque n'étaient pas dupes. Pour Amos, c'est le résultat de tout un processus d'exploitation. Il le dit avec ses mots à lui. Mais il le dit clairement: "lis oppriment le juste. Ils extorquent des rançons". (5,12) Ils disent: "Nous fausserons les balances pour tromper. Nous achèterons le pauvre pour de l'argent et le juste pour une paire de sandales." (8,6) lis faussent les relations entre les fils d'Israël, transforment les relations de fraternité en relations marchandes. Les lois même du commerce sont faussées. Mais il y a la loi. La loi de Moïse! N'est-elle pas pour la défense du faible? Qu'à cela ne tienne! Quand on a l'argent et le pouvoir, on peut se permettre de "tordre" la loi: "Ils changent le droit en poison et jettent à terre la justice." (5,10 et 6,12)
Mais "ils", c'est qui? C'est cette nouvelle classe dominante qui est née avec la royauté et qui s'est de plus en plus enrichie sur le dos des peuples voisins et du peuple d'Israël. Les objets d'art qu'ils entassent dans leurs palais et que nous admirons aujourd'hui (les ivoires de Samarie, par exemple) sont le fruit de la violence et du Vol (3,13).
La religion sert de tranquillisant pour les uns et d'évasion pour les autres
Ceux qui détiennent l'argent et le pouvoir à Samarie sont aussi les maîtres de la religion officielle. Ils ont construit un temple à Yahvé à Bethel. Un sanctuaire royal (7,12). Ils payent leurs prophètes et leurs prêtres et soutiennent un culte somptueux. Ils trouvent des raisons pour se donner bonne conscience. La richesse n'est-elle pas une bénédiction de Yahvé? Mais en appliquant ce principe à une situation nouvelle, ils récupèrent cette tradition d'Israël à leur profit. En effet, la richesse était considérée comme une bénédiction de Yahvé lorsqu'il s'agissait dans le désert de la fécondité du troupeau ou de la fertilité des récoltes, mais non lorsqu'il s'agissait d'une richesse acquise par l'exploitation de son propre peuple. Ils affirment avec sécurité: "Yahvé est avec nous!" (5,14)
Le peuple écrasé, en revanche, était beaucoup moins près de ce dieu officiel, garant de la richesse des riches. Il se tournait volontiers vers des dieux plus populaires. Ces Baals et ces Astartés qui lui promettaient la pluie en temps voulu, une bonne récolte et une certaine sécurité.
Ainsi la religion était autant faussée que la société. Plus personne n'était capable de lire les signes de Dieu dans les événements (4,4-12). "Elle est tombée bien bas la Vierge d'Israël." (5,2) Se relèvera-t-elle?
C'est alors que surgit Amos. Qui est-il donc?
Qu'il se présente lui-même! "Je n'étais ni prophète ni frère de prophète. J'étais berger et je cultivais des sycomores. C'est Yahvé qui m'a pris de derrière le troupeau. C'est Yahvé qui m'a dit: "Va prophétise à mon peuple Israël." (7,14-17)
Amos n'est donc pas un de ces prophètes de métier payés par les rois. Il vient du royaume du Sud. Il gagne sa vie par le travail de berger et de cultivateur. Il sent peser sur lui et ses compatriotes le poids des corvées et des impôts. Il est outré de voir ce qui se passe à Samarie. Yahvé ne peut être d'accord avec une telle exploitation du peuple. Impossible de se taire. "Le lion rugit qui ne craindrait. Yahvé parle qui ne prophétiserait." (3,8)
Amos ne met pas les formes. Il ne fait pas de belles grimaces. Il reste lui-même. Il garde son franc parler de paysan du Sud. Il parcourt le pays. Voici un festin des grands de Samarie. Pour Amos, c'est "l'orgie des vautrés" (6,7). Voici une cérémonie religieuse à Bethel: "J'en ai la nausée." (5,21). VOiCi les belles dames de Samarie: "Ecoutez, vaches de Basan!" (4,1)
On comprend qu'il ne fera pas long feu dans le royaume du Nord. Un tel homme est dangereux. On l'accuse de mettre en cause la sécurité du royaume (7,10). L'expulsion ne tardera pas. A-t-il eu le temps de secouer les consciences? Il redevient berger et planteur de sycomores. Il a le temps de mettre par écrit les paroles qu'il vient de prononcer.
Amos s'adresse en priorité aux riches, que leur dit-il?
"Vous profitez de la vie. Vous croyez que l'ordre règne. Mais cet ordre repose sur l'exploitation du peuple. Vous avez confiance en l'avenir. Vous vous trompez! L'avenir est plus sombre que vous ne croyez! Vous pensez vous reposer sur Yahvé. Illusions! Il est plus proche des peuples païens que de VOUS (9,7-8). Vous attendez une manifestation de Yahvé, le "jour de Jahvé" comme vous dites. Oui, il viendra. Mais ce ne sera pas ce que vous attendez. Il sera "ténèbres et non pas lumière"! (5,18). L'horizon pour vous est bouché. La mort vous attend. Une mort terrible, lente, collective, consciente.
En effet, l'Assyrie menace Israël. L'issue fatale est prévisible. Mais Amos la présente comme une intervention de Dieu en réponse aux injustices sociales et aux infidélités religieuses d'Israël: "Prépare-toi Israël à rencontrer ton Dieu" (4,12).
Y a-t-il une porte de sortie?
Oui, mais elle est bien étroite.
"Sur mille hommes, il en restera cent. Sur cent, il en restera dix." (5,3). "Comme le berger sauve de la gueule du lion deux pattes ou un bout d'oreille, ainsi seront sauvés les enfants d'Israël" (3,12). "Il n'y aura qu'un petit nombre de rescapés pour sortir les ossements de la maison" (6,10).
Mais que faire pour y échapper? C'est simple: "Cherchez Yahvé et vous vivrez" (5,4 et 5,6).
Non comme vous l'avez fait jusqu'à présent en vous vautrant sur les divans, en exploitant le peuple et en vous tranquillisant avec de belles cérémonies religieuses, mais en rétablissant la justice. Les deux choses sont inséparables:
"Cherchez Yahvé et vous vivrez" et "Cherchez le bien et non le mai et vous vivrez" (5,12) "Que le droit coule comme l'eau et la justice comme un torrent qui ne tarit pas!" (5,23)
Amos s'attaque aux riches... à ceux qui regardent le pauvre comme une valeur marchande et qui tordent le droit...
Il ne fait pas une analyse scientifique de l'économie. Mais il commence déjà à mettre à jour des mécanismes d'écrasement.
Le deuxième prophète auquel nous nous arrêtons vit à la campagne, Michée de Morèsheth.
Michée, le prophète du village va nous aider à ouvrir les yeux. Car il y a un prophète à Morèsheth! Le voici. Il n'a rien d'un Isaïe. C'est un homme de la terre. Sa parole est rude. Pleine d'images des champs et des bois. Un prophète en sabots. Il se sent souvent seul devant son peuple dont il partage pourtant les joies et les peines. Il se sent toujours seul devant les grands de son peuple. Ceux de Morèsheth, mais surtout ceux de Jérusalem. Mais il tient le COUP (Mi 3,8). Il est bien conscient que même si Jérusalem est loin, la vie et le sort des villages du "pays bas" sont liés à la capitale.
"lis dévorent la chair de mon peuple"
En effet à Morèsheth comme à Jérusalem, le jeu normal des institutions permet à une classe de riches propriétaires d'agrandir leurs domaines de jour en jour. "Ils convoitent des champs. lis s'emparent des maisons. Ils saisissent le maître avec sa maison, l'homme avec son héritage" (2,2). "Pour un rien ils extorquent un gage écrasant" (2,2). "Ils dévorent la chair de mon peuple. lis lui brisent les OS" (3,3).
Comme tout Israélite, Michée est allée à Jérusalem prier au temple de Yahvé. Ce qu'il a vu à cette occasion l'a scandalisé. Devant le luxe et la richesse de la capitale, il se souvient du travail pénible de ses compatriotes. Il connaît des gens qui ont dû se vendre à d'autres qui s'enrichissent, pour pouvoir survivre. En voyant les remparts solides de la capitale, il se souvient de son village qui a été détruit maintes fois par les guerres. Il est écoeuré par la corruption des juges et des prophètes. C'est pourquoi il nous lance à la figure des phrases inédites: "Ces belles constructions de Jérusalem, c'est le sang du peuple!" (9,1o). "Si les prophètes ont quelque chose entre les dents, ils disent "paix" mais à qui ne leur met rien dans la bouche ils déclarent la guerre" (3,5). "Le péché du pays c'est Jérusalem" (1,5).
Gare à toi Jérusalem
Quel est donc ce malheur entrevu par Michée? "La ville sainte deviendra un champ qu'on laboure. Jérusalem sera un tas de décombres" (3,12).
Michée va encore plus loin. Non seulement il attaque Jérusalem. Non seulement il démystifie la capitale. Il est le premier - et un des rares prophètes - à oser s'attaquer au temple de Jérusalem et à annoncer sa destruction: "la montagne du temple deviendra une hauteur boisée" (3,9-11). Ces paroles audacieuses marquent profondément ses contemporains. Comment peut-on envisager la destruction de la demeure de Dieu parmi son peuple?
Avant de quitter Morésheth, je note sur mon carnet une phrase qu'il a lancée à ceux qui croyaient se sauver en allant offrir de nombreux sacrifices au temple: "On t'a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que Yahvé réclame de toi: rien d'autre que d'accomplir la justice, d'aimer avec tendresse et de marcher humblement avec ton Dieu" (MI 6,8).
La place du temple
Comme tous les temples dans l'antiquité ... et sans doute aujourd'hui: le temple de Jérusalem n'est pas seulement le "lieu ou Yahvé a fait habiter son nom". C'est aussi un lieu financier important. Centre religieux, politique et financier.
Les juifs du pays et ceux - plus tard - de la dispersion, payent un impôt au temple. A plusieurs reprises les objets sacrés ont été utilisés comme monnaie d'échange, ou simplement pillés. J'ai regardé comment l'argent circulait autour du temple à partir des livres des rois.
L'or du temple
A regarder les circuits de l'argent dans le livre des rois on reste assez perplexe. On parle beaucoup plus de l'argent qui sort des trésors que de celui qui y rentre.
- Salomon apporte au trésor du temple tout ce que son père avait consacré. (1 R 7,51)Est-il étonnant que les quatre évangiles reprennent l'épisode de Jésus chassant les vendeurs et les acheteurs du temple... Il ne s'attaquait pas aux quelques commerçants, mais au système qui a transformé: "la maison de prière" en une "caverne de brigands".- Sous Roboam son fils les trésors du temple et du roi sont vidés par le pharaon Shishaq. (1 R 14,25)
- Asa renfloue le trésor du temple, puis le vide ainsi que le trésor royal pour payer le roi de Damas. (1 R 15.15,18)
- Josaphat son fils essaye en vain de chercher de l'or à Ofir. (1 R 22,49)
- Joas de Juda organise les rentrées d'argent au temple et fait procéder à des réparations. Mais il dut prendre tout ce qu'avaient consacré ses pères Josaphat, Yoram et Akhazias et tout l'or des trésors du temple et de la maison du roi pour l'envoyer à Hazaël roi d'Aram. (2 R 12,1-19)
- Sous Amasias tout le contenu des trésors va à Samarie après la victoire de Joas d'Israël. (2 R 14,14)
- Akhaz va de lui-même vider les trésors au profit du roi d'Assyrie afin qu'il intervienne contre le roi de Damas. (2 R 16,8)
- Le bon roi Ezékias doit lui aussi livrer 300 talents d'argent et trente talents d'or, tout ce qui se trouvait dans les trésors, à Sennakérib roi d'Assyrie. (2 R 18,14-15)
- Josias au contraire utilise l'argent apporté au temple pour payer les ouvriers des chantiers. (2 R 22,4)
- Sous Yoyaqîm l'argent prend de nouveau le chemin de l'Egypte. Mais il lui faut imposer chacun selon sa fortune pour pouvoir payer cette contribution au pharaon Néko. (2 R 23,33-35)
- Enfin Nabuchodonosor vide tout. (2 R 24,13)
Ce qui est sous-jacent c'est la conviction qu'au dessus de l'argent il y a d'autres valeurs.
Qu'au dessus des rapports marchands, des rapports commerciaux, il y a les relations "humaines".
Les récits de la multiplication des pains, - il y en a six - sont caractéristiques à ce sujet: les gens qui ont suivi Jésus ont faim. Que veulent faire les apôtres? acheter du pain, pour 200 deniers = 200 journées de travail.
Que propose Jésus? "non pas acheter", mais "donnez leur vous-mêmes à manger", et s'inaugure un "partage" monstre.
Derrière ces textes il y a deux conceptions des relations entre les humains: - une conception "commerciale" ... qui fait de l'homme un client, un débiteur - une conception liée au "don" au "partage" qui fait des humains des frères et des soeurs.
Jésus a été vendu comme un esclave pour de l'argent, 30 deniers. Quels hommes crée notre société?
"Ce que vous avez fait au plus petit d'entre vous, c'est à moi que vous l'avez fait." (Mt. 25,40)
L'opposition entre ces deux conceptions de l'homme continue à travers l'histoire du christianisme naissant. Je ne citerai que les Actes des Apôtres ...
Après s'être ressaisi suite à l'exécution de Jésus, (et à la foi en la résurrection) les apôtres décident de s'établir à Jérusalem, centre de la religion juive.
Il faut de l'argent. Il faut acheter ou louer une maison. Chacun y apporte sa part. Certains essayent déjà de tricher. Une quarantaine d'années après les événements Luc décrit ainsi cette situation:
- d'une part un tableau idyllique ... (Ac. 4,32-35)«La multitude de ceux qui étaient devenus croyants n'avait qu'un coeur et qu'une âme et nul ne considérait comme sa propriété l'un quelconque de ses biens, au contraire, ils mettaient tout en commun. Une grande puissance marquait le témoignage rendu par les apôtres à la résurrection du Seigneur Jésus et une grande grâce était à l'oeuvre chez eux tous. Nul parmi eux n'était indigent. en effet ceux qui se trouvaient possesseurs de teffains ou de maisons les vendaient, apportaient le prix des qu'ils avaient cédés et le déposaient aux pieds des apôtres. Chacun en recevait une part selon ses besoins.» (Ac. 4,32-35)- d'autre part: un souvenir de la fraude d'Ananias et de Saphire... (Ac. 5,1 -11)
«Un homme du nom d'Ananias vendit une propriété, d'accord avec Saphira sa femme, puis de connivence avec elle, il retint une partie du prix, apporta le reste et le déposa aux pieds des apôtres. Mais Pierre dit : « Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton coeur? Tu as menti à l'Esprit Saint et tu as retenu une partie du prix du teffain. Ne pouvais-tu pas le garder sans le vendre, ou, si tu le vendais, disposer du prix à ton gré? Comment ce projet a-t-il pu te venir au coeur? Ce n'est pas aux hommes que tu as menti, c'est à Dieu. 0 Quand il entendit ces mots, Ananias tomba et expira. Une grande crainte saisit tous ceux qui l'apprenaient. Les jeunes gens vinrent alors ensevelir le corps et l'emportèrent pour l'enterrer.
Trois heures environ s'écoulèrent; sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé. Pierre l'interpella: Vis-moi, le terrain, c'est bien à ce prix que vous l'avez vendu?" Elle dit. "Oui, c'est bien à ce prix-là!" Alors Pierre reprit : « Comment avez-vous pu vous mettre d'accord pour provoquer l'Esprit du Seigneur? Ecoute: les pas de ceux qui viennent d'enterrer ton mari sont à la porte: ils vont t'emporter, toi aussi. « Aussitôt elle tomba aux pieds de Pierre et expira. Quand les jeunes gens rentrèrent, ils à trouvèrent morte et l'emportèrent pour l'enterrer auprès de son mari. Une grande crainte saisit alors toute l'église et tous ceux qui apprenaient cet événement.»
(Ac. 5, 1 -11)
C'est la première allusion dans les actes, du péché qui entre dans la communauté.
Nous avons essayé d'ouvrir la bible, provoqués par le pouvoir de l'argent dans le monde d'aujourd'hui ...
Nous y découvrons une affirmation fondamentale ce qui doit commander les rapports entre les humains ce n'est ni l'argent, ni le profit, mais le partage et la solidarité...
Entre ces deux pôles chacun doit choisir. Dieu ou Mammon ...