(Part &endash; I)
Par M. Albert HARI de Strassbourg
La Bible peut-elle être ressort de vie et d'action dans le monde actuel dominé par les lois du marché ?
A. LE MONDE D'AUJOURD'HUI
1) La mondialisation
Le titre de l'invitation était: l'Argent maître du monde ?
Mais avant d'aborder le problème de l'argent et de son pouvoir dans le monde, il importe de regarder à partir d'une approche actuelle: à savoir la mondialisation. Le mot est à la mode.
Les définitions sont diverses. Aussi vaut-il mieux décrire ciue de définir.
Penser la mondialisation par Etienne Perrot 1 Economiste, Institut catholique de Paris
(...) En premier abord la mondialisation est un processus d'effacement du pouvoir des Etats. Les flux d'informations, qui ont joué un grand rôle dans l'effondrement des systèmes soviétiques, en sont l'archétype. Aux services postaux facilement contrôlables par l'administration publique ont succédé les voies hertziennes plus poreuses, puis finalement les réseaux à haut débit, par câbles optiques et satellites, genre intenet, beaucoup plus difficiles à contrôler. A ce phénomène central se greffent des épiphénomènes d'aspect culturel, à la limite du folklore, présents dans la plupart des pays du monde. On pense aux produits de consommation de masse venus d'outre-Atlantique et répandus partout, vêtements en jeans, fast-food, Coca-Cola, mais également, pour la santé, certains vaccins, dans le domaine informatique, certains logiciels, ou encore, last-but-not-least, le langage véhiculaire anglo-américain, et le dollar.
Un autre regard confond pour sa part mondialisation et solidarité supranationale; solidarité de fait lorsqu'il s'agit d'écologie (le nuage de Tchernobyl s'est moqué des frontières). Les photographies de la terre prises à partir de satellites ont beaucoup fait pour ancrer dans l'imaginaire l'idée d'une terre unique, isolée dans le cosmos, même bateau où tous les humains sont solidaires. Quand elle est l'expression d'un désir, la solidarité confond alors mondialisation et organisations internationales, qu'il s'agisse d'organisations politiques comme l'ONU, économiques comme le FMI, ou privées comme les ONG, les Eglises, sans parler des maffias et autres organisations criminelles.
Les systèmes de transport internationaux induisent de leur côté une autre confusion. La mondialisation est confondue avec les infrastructures de communication, qu'il s'agisse des hommes, des marchandises ou des informations. L'omniprésence des réseaux hertziens a donné consistance au paradigme de la "galaxie Marconi", supposée prendre la suite de la "galaxie Gutenberg", qui s'est vite traduit en mythe de "village planétaire" où chacun peut à tout moment non seulement se rendre témoin des événements mondiaux (jeux olympiques, Coupes de football, bénédiction papale Urbi et Orbi), mais encore connaître les soubresauts qui agitent les pays les plus éloignés, et y réagir en manifestant enthousiasme ou indignation.
Le paradoxe veut que le sentiment d'un monde unique, et la forte conscience qu'il n'existe qu'une seule terre habitable, aillent de pair avec un évident éclatement des valeurs et des références. Chaque groupe, chaque individu, mobilise les potentialités économiques et culturelles venues du monde entier pour se forger son univers spécifique. D'où l'expérience d'un monde éclaté. ( ... ) Nos hypothèses s'énoncent en quelques phrases: La mondialisation est moins un fait qu'un processus. Ce processus intègre des cultures singulières dans une même logique de marché. Ces diverses cultures, transformées par cette intégration, sont à la fois le produit et pas simplement la condition de la mondialisation. Celle-ci nourrit l'hétérogénéité des situations socio-économiques et fait progresser l'individualisme. Ces hypothèses prétendent dépasser, sans les exclure absolument, les approches unidimensionnelles, qu'elles soient de type marxiste, de type économique ou de type politique, de type marxiste, lorsque la mondialisation est confondue avec l'accumulation du capital à l'échelle mondiale ou avec l'exploitation d'une périphérie au profit d'un centre capitaliste; de type économique, lorsque la mondialisation est réduite à la généralisation du système marchand ou au libre-échange; de type politique enfin, quand la mondialisation se restreint à l'hégémonie d'un pays (les USA) ou d'un groupe de pays (la triade USA-Japon--Europe). Dire que la mondialisation est une tension entre le local et le global, c'est parler d'évidence; et l'on entend déjà résonner les harmoniques autour du "penser globalement et agir localement", quand ce n'est pas l'inverse.
On pourrait retenir:
1. L'importance de la composante économique. Tout pays qui ne joue pas le jeu en pâtit plus qu'il n'en bénéficie.2. La libre concurrence qui élimine les producteurs les moins performants la recherche de la qualification technique, des bas salaires, de la délocalisation.
3. L'impuissance de plus en plus grande des gouvernements nationaux. L'état nation cède le pas à des empires continentaux ou a des mécanismes mondiaux de décision anonymes et incompréhensibles.
4 Une mondialisation de la culture ou plutôt de la sous-culture, avec des réactions régionales sous locales. Une sous-culture alimentant le marché mondial. "L'humanité s'installe dans la monoculture, elle s'apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera que ce plat." (CI. Levi-Strauss)
5. Tout cela est lié au développement technique et à l'idée que «tout progrès technique possible devient obligatoire". Le progrès technique est ambivalent et ambigu. Il y a 40 ans on disait qu'il y a le bon et le mauvais nucléaire. Les centrales et les bombes. Depuis les bombes n'ont encore tue personnes. Ce qui n'est pas le cas pour les centrales. Eviter tout simplisme de jugement. Dans tout cela, il ne s'agit pas de trouver le coupable mais de découvrir no responsabilités.
2) Le pouvoir de l'argent
L'AMI, l'Accord multilatéral sur l'investissement
Les négociateurs gardent le secret sur un texte élaboré au sein de l'OCDE (Organisation de la coopération et du développement économique).
D'après le monde diplomatique, il faut remonter aux traités coloniaux les plus durs pour trouver autant d'arrogance dominatrice que celle de FAMI.
En janvier 1998 le gouvernement français s'apprêtait à le signer.
D'après le directeur de lOMC (organisation mondiale du commerce) Renato Ruggier: "nous écrivons la constitution d'une économie mondiale unifiée".
Les législateurs et les citoyens étaient tenus à l'écart des tractations. Jack Lang disait en décembre 97: "Nous ignorons qui négocie quoi au nom de qui".
Mais grâce à Intemet! des citoyens ont pu se procurer une copie de ce qui se négocie: 190 pages. Pris à son propre piège.
De quoi s'agit-il? Ecoutez. C'est édifiant!
- Les états engagés dans l'AMI le sont irrévocablement pour 20 ans!- Le chapitre clé traite des droits des investisseurs: (achat de terrain, utilisation des ressources naturelles, télécommunications ... ) sans aucune restriction. - Les gouvernants doivent garantir la "pleine jouissance de ces droits". - Chaque entreprise a le droit de contester à peu près n'importe quelle politique ou action gouvernementales (des mesures fiscales, protection de l'environnement).
"Alors que les Etats pratiquent partout des coupes claires dans les programmes sociaux, il leur est demandé d'approuver un programme mondial d'assistance aux firmes multinationales«.
Un exemple prémonitoire: la société Ethyl: elle réclame 251 millions de dollars au gouvernement canadien. Pourquoi? Parce que celui-ci a interdit d'ajouter dans l'essence un produit appelé MMT (qui endommage les dispositifs antipolluants du moteur).
Ethyl dit que cette décision du gouvernement équivaut à une expropriation.
Si cette firme gagne son procès les contribuables canadiens payeront 251 millions de dollars. On voit comment de telles dispositions peuvent paralyser toute action gouvernementale sur l'environnement.
- Les gouvernements sont responsables de protéger les investissements étrangers contre les troubles civils.- En revanche, l'AMI, ne prévoit aucune responsabilité des investisseurs.
- Les gouvernements doivent traiter de la même manière les investisseurs nationaux et étrangers. Donc toute législation contraire devrait être abolie. - Concernant les privatisations: tous les investisseurs doivent se voir offrir les mêmes conditions: ainsi si une commune veut privatiser l'eau ...
- L'AMI interdit également les dispositions prises par beaucoup de pays concernant l'emploi de la main d'oeuvre locale ou de certaines catégories de personnes comme les handicapés.
- Il sera désormais aussi interdit aux gouvernements de pratiquer des discriminations vis-à-vis des investisseurs étrangers à cause de leur attitude vis-à-vis des droits de l'homme. Si on avait appliqué cela, Nelson Mandela serait toujours en prison, car il n'y aurait pas eu de boycottage pour l'Afrique du Sud.
Curieusement ceux qui devraient être les plus intéressés (les mouvements syndicaux représentés à l'OCDE se sont bornés à proposer sans succès l'adjonction d'une "clause sociale".
Ni les représentants des gouvernements, ni ceux des milieux d'affaires n'ont l'intention d'introduire des dispositions contraignantes dans l'AMI. Leur tactique consiste à obtenir des "exceptions". Mais l'expérience prouve que de telles exceptions n'offrent la plupart du temps aucune garantie.
Après la publication dans le Monde Diplomatique en février 1998 d'un article consacré à l'AMI, connu des seuls spécialistes... les réactions ont commencé.
Grâce à la mobilisation des syndicalistes, d'associations des milieux de la création, l'adoption de lAMI prévue fin avril semble compromise.
En effet elle signifierait l'expulsion des citoyens du champ de décisions fondamentales et la remise des clés de la souveraineté nationale aux détenteurs de capitaux.
La publicité donnée à cet accord n'a guère enchanté les 600 administrateurs, experts gouvernementaux et patronaux qui communiaient dans le culte de l'ultralibéralisme.
La question se pose aussi pourquoi l'AMI se discute au sein de l'OCDE à 29 et non pas à l'OMC qui regroupe 131 états.
M. Chavranski: "seuls les pays fournisseurs de capitaux sont susceptibles de produire un texte contraignant... si on élargit la discussion aux 131, le succès de la négociation devient aléatoire".
Le danger est clair: ce serait un verrou juridique à trois loquets: ler loquet: l'AMI aurait la valeur d'un traité international. Une valeur supérieure à toute loi des Etats.
2e loquet: le traité impose aux états la soumission inconditionnelle à un arbitrage international en cas de litige.
3e loquet: la possibilité de formuler des exceptions est limitée. Elles ne peuvent être admises que pour des considérations commerciales.
C'est maintenant que cela se joue...
3) Réflexion
Quelques éléments de réflexion...
En ce changement de millénaire nous sommes arrivés à un seuil de l'histoire de l'humanité. Ce n'est pas le premier. Il y eut de nombreuses mutations depuis la découverte du feu, de la pierre polie, du fer, de l'écriture, des techniques, de la machine à vapeur, de l'électricité, de l'énergie nucléaire... Il y eut déjà de grands empires "mondiaux": les perses, les grecs avec Alexandre le grand, les Romains... les empires coloniaux... L'humanité a franchi de nombreux seuils, traversé de nombreuses crises mais jamais comme aujourd'hui. Elle est caractérisée - par la rapidité, liée au progrès des techniques et de la communication. On peut instantanément savoir ce qui se passe ailleurs... on se déplace à la vitesse du son... - autre caractéristique: l'universalité. Tout le monde est concerné, qu'il en soit conscient ou non. Il ne s'agit plus d'un petit peuple - comme Israël - qui est emmené en exil. - troisième caractéristique: l'opacité. On sait beaucoup de choses, on voit des processus, mais on n'arrive pas à avoir une vue d'ensemble claire. On est loin des grandes synthèses économiques ou théologiques. Plus on invente, plus cela devient sombre... quatrième caractéristique: l'importance des enjeux. enjeux sur l'environnement: va-t-on sauver la planète? enjeu sur la vie et sur l'homme: jusqu'où iront les expériences génétiques... enjeux sur l'organisation de la société: qu'est ce qui va commander la répartition des richesses? * la mondialisation peut-elle servir le développement des peuples et non seulement celui de l'économie? - cinquième caractéristique: le nombre de personnes qui sont conscientes (au moment même du seuil) et qui peuvent agir...
Conséquences ou enjeux?
De quoi accusera-t-on ou louera-t-on notre génération dans les siècles à venir. * une génération inconsciente et irresponsable qui a laissé le monde aller à la dérive, qui n'a pas réagi au moment voulu, qui a laissé s'installer des mécanismes engendrant l'injustice sociale. - qui n'a pas vu plus loin que le profit immédiat... - qui comme Louis XV, roi de France, a pensé "après moi le déluge" ou bien une génération responsable qui - au dernier moment a su réagir: contre la montée de l'économisme et du libéralisme à outrance, contre la renaissance des fascismes toujours menaçants, contre une expérimentation génétique menée par des savants très compétents au niveau biologique, mais souvent trop plongés dans leur science pour avoir une conscience assez claire des enjeux historiques... Les installateurs de centrales nucléaires ont-ils prévu leur démantèlement?_ "On trouvera une solution m'a dit l'un d'entre eux"... Pourquoi les fabricants de programmes informatiques n'ont-ils pas pensé à intégrer le passage du millénaire dans leurs programmes?
- par manque de réalisme - ou par intérêt financier (on refera de nouveaux programmes) les deux attitudes sont critiquables... La terre ne nous appartient pas, nous l'empruntons aux générations à venir.
Bon ou mauvais?
Il ne s'agit pas de juger: la mondialisation est bonne ou mauvaise. Il ne s'agit pas de chercher des responsables. Il s'agit de chercher quelle peut-être notre responsabilité pour - avec d'autres - orienter les esprits, sensibiliser les coeurs, bâtir des structures pour que le seuil que franchit l'humanité aujourd'hui s'ouvre sur un avenir où "vérité et justice" s'embrasseront. Nous sommes dedans ... immergés dans cette mutation de mille manières par ce que nous mangeons par ce que nous achetons par l'argent que nous recevons, que nous utilisons, que nous plaçons par l'activité professionnelle que nous exerçons par le chômage que nous subissons par les choix politiques que nous faisons... par le frontalier que nous côtoyons...
Peut-on comprendre?
Mais en même temps nous sommes parfois "comme perdus". Nous ne voyons pas comment cela fonctionne. Nous n'arrivons pas à avoir une vue d'ensemble. Nous avons l'impression d'être devant un monde complexe, ambigu, impénétrable, incompréhensible... C'est vrai... C'est normal... Savez-vous ce qu'est l'électricité? Pourtant nous nous en servons. Savons-nous ce qu'est la vie? Pourtant nous vivons. Savons-nous ce qu'est l'histoire de l'humanité, vers où elle va? Pourtant nous bâtissons, nous marchons, nous espérons. On peut vivre et avancer sans tout savoir. Mais on ne peut pas croire tout savoir en oubliant la vie des humains...