LÉON DEHON
LES ANCIENS ÉLÈVES DE SAINT-JEAN
Ces quelques pages nont pas lintention de retracer même brièvement lhistoire de lInstitution Saint-Jean de Saint-Quentin dans la vie du Père Dehon et de la Congrégation. Des confrères lont fait, au moins partiellement: ainsi parmi dautres les Pères Denis et Bourgeois, et tout récemment le Père Driedonkx.
Lintention est principalement de faire connaître plus largement un texte très représentatif du Père Dehon, et encore assez peu accessible pour le moment: son discours prononcé le 8 septembre 1907 lors de lassemblée annuelle de lAssociation amicale des anciens élèves de Saint-Jean. Pour le faire mieux apprécier, il a semblé utile dévoquer ce qua signifié pour notre Fondateur la présence au milieu de ces élèves qui pour lui sont toujours restés ses « jeunes », ses « enfants » et ses amis
La Congrégation née « sous le couvert » du Collège Saint-Jean de Saint-Quentin
« Je voulais être religieux; je ne pouvais pas quitter mes uvres de Saint-Quentin. Jéprouvais un attrait puissant pour une congrégation idéale damour et de réparation au Sacré-Cur de Jésus Monseigneur (Thibaudier) désirait un collège à Saint-Quentin, je lui disais: Cest peut-être le moyen de commencer une congrégation réparatrice: elle se fondera sous le couvert du collège » (NHV XII, 163 - 164).
Quand après bien des années, le Père Dehon repense avec émotion sur les débuts de sa fondation, il lie étroitement sa Congrégation et lInstitution Saint-Jean. Elles sont nées ensemble, comme des « jumeaux », disait-on: le souci pastoral de lévêque, laspiration religieuse du jeune prêtre et sa sollicitude pour la jeunesse ont porté ce beau fruit commun. Elles sont restées intimement unies dans la vie du Fondateur, dans ses choix et ses préoccupations. Tellement unies que chacune retentit lune sur lautre: pour les moments difficiles comme pour les joies partagées.
Pas de roses sans épines
Des moments difficiles, des tiraillements, il y en eut, et beaucoup. À commencer par les soucis matériels, la préoccupation permanente de lancer et de faire grandir à partir de quasiment rien une uvre qui demande de largent, du personnel, des professeurs solides et convaincus. Ainsi encore lincendie dune partie des bâtiments du collège, le 29 décembre 1881. Mais bientôt une difficulté plus sérieuse se profile: après la relative convergence de vues entre lévêque et le Directeur la tension sinsinue, une sorte de distance se laisse voir entre eux, des avertissements de plus en plus fermes sont adressés par le premier au second. Car aux yeux de Monseigneur Thibaudier le collège, si important pour le diocèse, nest-il pas trop menacé par lattention croissante que le Père Dehon accorde à sa Congrégation? Ne loublions pas: la politique de la jeune République française génère alors bien des inquiétudes sur lavenir des écoles privées comme sur celui des congrégations religieuses
Surtout dans lesprit de lévêque naissent et se confirment le doute puis la mise en garde devant lexcessive crédulité accordée aux « révélations » privées de Sur Marie-Ignace, aux vues trop particulières du P. Captier. « Luvre capitale du moment doit être lInstitution », avertit lévêque en 1881; « telle est la mission que je donne ». Et encore: « Ne perdez pas de vue que le Collège est pendant la période militante que nous vivons, votre camp retranché. Attachez-vous tout dabord et par-dessus tout à le fortifier » (NHV XIV, 68 - 70). Un an plus tard, de nouveau, écrivant à lArchiprêtre de Saint-Quentin: « Quil [le P. Dehon] noublie pas que Saint-Jean est sa grande tâche, sa mission dobéissance, qui a été dans mon esprit et ma volonté la condition du commencement de lautre uvre » (NHV XIV, 132).
La tension ira saggravant. Elle ira presque jusquà des points de rupture, comme au moment de la suppression de la Congrégation en décembre 1883, puis lors de dissensions internes, de scandales et de leur exploitation malveillante. En novembre 1893 le Père Dehon doit abandonner la direction et ladministration de Saint-Jean: « 20 novembre Jour de sacrifice. Je quitte lInstitution où jai vécu pendant 16 ans, pour habiter la maison du Sacré-Cur. Jai le cur bien gros et les yeux pleins de larmes. Cest une étape dans ma vie. Pendant ces 16 ans, que de grâces reçues, mais aussi que de fautes commises. Des tentations de découragement massaillent, mais jai voué au Cur du Bon Maître un amour confiant. Je me jette à ses pieds et jose aller jusquà son Cur » (NQT VI/1893, 40r). On sait combien, après la Première Guerre mondiale et ses ruines, et alors quil se doit tout entier à la tâche immense de reprendre en mains sa Congrégation, oublieux de toute sa souffrance le Père Dehon donnera beaucoup de son cur, conviction, temps et argent, pour que lInstitution se relève. Ce quest devenu, ce quest maintenant le collège Saint-Jean sous la direction du clergé diocésain, montre à lévidence combien il a eu raison.
Il y eut donc des épreuves, des épines. Mgr Thibaudier, qui na jamais renié son attachement, son admiration même pour le Père Dehon et pour son zèle de Directeur, len avertit familièrement dès la rentrée de septembre 1879: « Courage, mon cher Supérieur! On ne fonde pas une uvre telle que la vôtre en marchant sur un tapis de roses sans épines Limportant nest pas que la main du jardinier reste sans égratignures, mais que le jardin soit bien cultivé. Je bénis le jardinier et son enclos, affectueusement, en leur commun Maître et le mien » (NHV XIII, 131). De fait, le jardin a été bien cultivé: non seulement dans le labeur et la sueur mais aussi avec beaucoup de joie. Sur un bon terrain travaillé avec assiduité et générosité, les roses ont fleuri abondamment, dans un entourage de fervente collaboration et de réciproque amitié entre les élèves, leurs maîtres et leur Directeur.
Un jardin bien cultivé
On pourrait énumérer longuement les manifestations de cette joyeuse et féconde ambiance, durant les premières années de lInstitution Saint-Jean. Le Père Dehon lui-même relate avec émotion de nombreuses fêtes, celle de la Saint-Léon notamment: « la fête animée, vivante, bruyante » qui chaque année au seuil du printemps éveille les talents, stimule les initiatives pour une journée toute empreinte de reconnaissance et de cordialité; longtemps plus tard on se la rappellera non sans nostalgie (cf. NHV XIII, 38). Chaque année scolaire sachève sur la distribution des prix, une autre fête significative que souvent lévêque honore de sa présence. Maintes fois cest loccasion pour le Père Dehon de donner un discours soigné; en sadressant à tous, clergé, professeurs et associés, élèves et leurs familles, il développe alors quelques-unes de ses grandes convictions: léducation chrétienne et son but, ses instruments, ses méthodes, ses fruits (1877), lamour de la Patrie (1878), léducation chrétienne et les vertus de lenfance (1879), la science de lhistoire dans ses rapports avec la religion (1882), léducation du caractère (1891) etc Il confirme en même temps ce qui ressort de toute sa vie: ses qualités et sa compétence déducateur, sa vive préoccupation de former selon lÉvangile une jeunesse capable de tenir toute sa place dans lÉglise et dans la société.
Dautres moments heureux, dautres fêtes encore: chaque année la journée dexcursion, précédée dune journée de prière et de communion; les célébrations de communions, de confirmation, les premières Messes danciens professeurs, de jeunes religieux de la Congrégation; la visite de lévêque, damis du Père Dehon comme le courageux évêque de Lausanne et Genève Mgr Mermillod, etc
De ces années intenses de travail et de formation à la vie, à la responsabilité et à la convivialité, labondante correspondance que jusquà la fin de sa vie le Père Dehon échange avec ses anciens élèves en témoigne de façon très éloquente. Ces « chers anciens » sont désormais des adultes, ils ont une vie professionnelle souvent qualifiée, des engagements chrétiens qui leur font apprécier encore mieux tout ce quils ont reçu. Plusieurs ont demandé au Père Dehon de venir bénir leur mariage. Pères de famille, à leur tour aux prise avec les exigences de léducation, ils lui confient leurs joies et leurs peines, ils sollicitent ses conseils, ils sintéressent à ses activités, à ses soucis Avec une spontanéité et une immense reconnaissance qui en disent tant, ils aiment à parler à leur « cher et vénéré Supérieur » des étapes de leur vie, famille, naissances, soucis de situation, épreuves de la guerre qui frappent de plein fouet cette jeune génération. Car de nombreux anciens de Saint-Jean mourront au front. « Je voudrais faire graver sur le marbre à Saint-Jean la liste de ces glorieux morts », écrit le Père Dehon le 25 mars 1923 à M. Leduc, Président de lAssociation amicale des anciens: ce qui sera fait, et de belle manière.
L« Aigle de Saint-Jean »
Un autre témoin de lesprit du Collège, encore plus précieux peut-être parce quil en traverse toute lhistoire au long des années, cest le bulletin qui deviendra « LAigle de Saint-Jean ». Il fait vraiment partie de lInstitution puisque son premier numéro paraît dès le commencement, le 24 février 1878. Semaine après semaine, sous une forme toute simple, artisanale, mais qui laisse transparaître tant de joyeuse et fière participation, pour les familles et amis ces quelques pages lithographiées retracent la vie du collège. Notons-le cependant, car cest là une autre préoccupation permanente du Père Dehon: par ce petit journal il sagit dabord de rassembler quelques ressources pour aider les engagements de la Conférence de Saint-Vincent de Paul auprès des pauvres de la ville.
Très régulièrement le bulletin informe sur les activités scolaires, les résultats obtenus pas les élèves, ce qui représente une émulation vivement sentie Il évoque la participation aux fêtes de lÉglise, la réaction aux événements locaux et nationaux; il offre des essais de littérature et même dapologétique par lesquels de jeunes écrivains sannoncent, ou des contes et des poésies, des histoires drôles, des jeux Un évident souci douverture et de culture, beaucoup de joyeuse imagination, de bonne humeur. Bref ces pages reflètent tout ce qui rythme et qualifie la vie dun collège qui est surtout une grande famille autour dun Père très aimé et de professeurs motivés. « Laigle »: cest le signe, en quelque sorte le « totem » qui avait été choisi pour représenter lécole. Et la devise qui laccompagnait était tout aussi fière et engageante: Monter sans forligner!
Les sombres années de la guerre 1914 - 1918 viennent tout bouleverser. Mais le désir se fait dautant plus vif dentretenir lunion, de soutenir les courages et tout simplement de faire circuler le plus dinformation possible, de donner les adresses des soldats au front. Bien vite, grâce à la tenace créativité de Monsieur Leduc et de quelques amis, paraît le « Trait dunion: Bulletin de guerre des anciens élèves de lInstitution Saint-Jean de Saint-Quentin ». De très modestes feuilles: pour les privilégiés qui peuvent les recevoir elles sont un réconfort. Pour nous, dans leur émouvante simplicité elles ne disent que mieux la vigueur des liens damitié et de solidarité dans lépreuve, dans la ferveur patriotique et dans lespérance.
Lorsque enfin le Père Dehon, en décembre 1917, parvient à séchapper de son exil forcé et quil découvre ce Bulletin, dans une belle lettre adressée à Monsieur Leduc il ne peut cacher sa profonde émotion: « Je viens de parcourir la collection du « Trait dunion », avec quelle émotion, vous pouvez le penser! Je ne savais rien des choses de France depuis trois ans, et en quelques heures je vois tomber lun après lautre une vingtaine de mes anciens élèves, de ceux que jappelais volontiers mes enfants. Je ne puis retenir mes larmes »
En 1921 pour « LAigle de Saint-Jean » vient enfin lheure du nouvel envol: « lAigle renouvelle sa jeunesse », comme lannonce avec fierté le Père Dehon dans son discours inspiré du Psaume 103, verset 5. Lorateur évoque les débuts: « LAigle prenait une petite part au mouvement social: il protestait contre les fêtes sacrilèges du centenaire de Voltaire, il encourageait aux démonstrations en lhonneur de Jeanne dArc, il réfutait le socialisme. Heureux ceux qui possèdent les vieux numéros! Ils ont des pages délicieuses LAigle cessa de voler quand vint la guerre ». Mais comme toujours, cest surtout vers lavenir que le Père Dehon porte le regard de ses « jeunes »: « Il (lAigle) veut revivre. Quand un aigle vieillit, il secoue son plumage et reprend un air de jeunesse. Nous en sommes là Notre union sest resserrée pendant la guerre Il faut que cette union persiste, elle nous encouragera à travailler pour le règne du Sacré-Cur dans notre chère France » (dans « LAigle de Saint-Jean », 1ère année, 1 et 2, pp. 1 -3).
LAssociation amicale des anciens élèves de Saint-Jean
Telle était bien lintention de ce modeste journal: encourager linitiative et la participation, pour faire vivre le lien de solidarité entre le collège et les familles, et parmi les anciens. Cest dans la même intention que dès 1884 le Père Dehon fonde « LAssociation amicale des anciens élèves de lInstitution Saint-Jean ». Larticle III des statuts de 1884 le dit bien clairement: lAssociation est « fondée sur laffection mutuelle de ses membres et sur leurs souvenirs de jeunesse, son but est de faciliter entre eux des relations et daider ceux de leurs camarades qui, dans des circonstances honorables, pourraient avoir besoin de recours ». Née de lamitié vécue ensemble, elle veut la prolonger et la concrétiser dans la solidarité.
Chaque année durant les vacances dété, ses membres vivent un moment fort: lassemblée de lAssociation. Une journée qui autour de lEucharistie, offre loccasion de sinformer et de sexprimer sur la vie de lAssociation, et de faire la fête, en particulier par un repas quon aime appeler « le banquet » Dans son programme pourtant de plus en plus surchargé, le Père Dehon tient à inscrire cette réunion qui correspond tellement bien à ce quil est, à ce quil aime. Il y participe le plus souvent possible et cela jusquaux dernières années de sa vie (1922): il sy trouve bien, il y est vraiment heureux.
Au cours du repas il prend la parole; et cest un moment attendu par tous avec émotion et grande attention. Il prononce alors un « toast » de vux. Mais lui-même naime guère ce mot étrange, il lui préfère le plus familial « Proficiat des Romains, nos ancêtres »: pour redire à ses chers anciens son affection et sa fierté, ses souhaits. Souvent cette petite allocution sélargit en un discours beaucoup plus important: car dans cette ambiance de confiance et de disponibilité, le Père et Directeur très aimé se trouve à laise pour faire partager à cette jeunesse ses engagements et ses luttes.
Applaudis avec enthousiasme, ces discours sont ensuite minutieusement reproduits dans le bulletin de lAssociation. Ils comptent assurément parmi les textes les plus chaleureux et les plus représentatifs qui nous viennent de notre Fondateur. Il sy livre lui-même, et avec beaucoup de joie: familiarité, spontanéité et humour, jeunesse de cur, conviction et verve, immense culture aussi (lectures, voyages, congrès, relations diverses ) et surtout constante préoccupation pastorale. Année après année en effet, ces discours attestent merveilleusement ce qui est linfatigable passion dune vie totalement donnée: le service de Jésus et de son Règne, dans une Église persécutée, au milieu dune société blessée par linjustice et la haine.
Ce sont des pages très précieuses. Malheureusement elles restent presque inconnues pour beaucoup dentre nous. Elles rejoignent les thèmes et les accents de nombreux articles du Père Dehon , ceux publiés dans sa revue « Le Règne », surtout ceux donnés à la « Chronique du Sud-Est », de 1897 à 1908. Mais elles gardent la vivacité et comme la liberté de leur origine: ces réunions de « jeunes » anciens, autour dune table de fête, dans la joie de célébrer aussi dautres figures marquantes du collège, professeurs, bienfaiteurs
Une merveilleuse expérience déducation
Ainsi, à travers les épreuves et les joies, par le travail et surtout avec le cur, épines cachées sous les roses, sest développée durant de longues années une merveilleuse aventure déducation. Elle doit garder une bonne place dans lhéritage que nous recevons du Père Dehon. Dans léloge funèbre quil prononce à Saint-Quentin le 19 août 1925, lÉvêque Monseigneur Binet nhésite pas à sexprimer ainsi: « Luvre de prédilection du R.P. Dehon fut sans conteste lInstitution Saint-Jean, son fief, son domaine, sa chose et son bien personnel, dans toute la force du terme. Il eut la noble et sainte ambition de tous les grands éducateurs chrétiens ; il voulut y former, y façonner une belle jeunesse, marchant le front haut dans la lumière ardente de la foi, dans latmosphère de la vertu chrétienne et dans lambiance ennoblissant de la belle culture traditionnelle. La jeunesse vint à lui avec enthousiasme Saint-Jean fut une ruche bourdonnante où se fabriqua le miel le plus exquis. Avec quelle vénération, quelle émotion, quel culte pieux, les anciens élèves du R.P. Dehon parlent de lui Ne faut-il pas être très grand, surtout par le cur, quand on est aimé à ce point? »
Ces paroles fortes traduisent bien ce que lÉvêque vérifiait effectivement chaque jour autour de lui: malgré labsence du Père Dehon résidant à Bruxelles depuis la fin de la guerre, malgré tant et tant de remous, lestime pour le fondateur de Saint-Jean ne se démentait pas du tout. Bien au contraire: le temps qui passe permettait de décanter, dans ces années décisives de première formation, ce qui a établi les fondements solides pour une vie engagée. Pour une part incontestable, luvre du Père Dehon prêtre éducateur fructifiait alors dans la vie de lÉglise diocésaine, dans les débats sociaux et politiques, dans lanimation culturelle.
Le discours lors de lassemblée du 8 septembre 1907
Cest bien tout cela que nous aimerons retrouver dans le « discours » que lon peut lire maintenant. Il compte parmi les plus importants de ceux prononcés au cours de ces réunions danciens.
Nous sommes en 1907, le 8 septembre. Le Père Dehon a 64 ans. Les intenses années dactivité sociale, autour de 1896 - 1900, sont passées. La préoccupation sociale demeure cependant: ainsi les réunions sociales du Val-des-Bois ont continué, dautres à Rome même. Léon XIII est mort le 20 juillet 1903, Pie X lui succède. Surtout, dautres priorités simposent au Fondateur, de très lourds nuages assombrissent la vie de sa Congrégation. En avril 1903 celle-ci est dissoute par décision du gouvernement français. Cest donc la dispersion, les liquidations à travers de nombreuses séances dinstruction; les procès senchaînent : une longue et terrible épreuve pour le Fondateur. En 1905 les biens de Congrégation à Saint-Quentin sont vendus, il faudra les racheter en février 1906. Néanmoins luvre où il investit de plus en plus toutes ses forces, sa Congrégation, saffermit, elle se développe en Europe, en Amérique latine, au Congo. Le 4 juillet 1906 de Rome vient enfin lapprobation définitive tant attendue
Du 31 août 1906 au 11 janvier 1907, le Père Dehon vient de parcourir une partie de limmense Amérique du Sud, le Brésil en particulier, où sa Congrégation est présente déjà par un bon groupe de missionnaires. Dans la mouvance de ce que dautres de ses religieux vivent en France au sein de lusine de Léon Harmel au Val-des-Bois, ils assurent notamment la présence sacerdotale dans des filatures de lEtat de Pernambouc, à Camaragibe près de Récife, à Goyanna. Et au matin même de ce 8 septembre 1907, lors de la célébration eucharistique cest un de ces missionnaires, le Père Paul Cottart, qui prononce le sermon. Il souligne le saisissant contraste quil déplore entre la situation religieuse du Brésil et celle, marquée par le rejet anticlérical, qui alors accable la France. Le Père Dehon sy réfère dans son discours.
Du Brésil, le 11 octobre 1906 il envoie à sa chère revue la Chronique du Sud-Est un court article sur « une forme de la coopération chrétienne au Brésil » (cf. OSC vol. 1, pp. 662 - 664). Il y dit toute son admiration pour lesprit associatif qui dans ce jeune pays unit patrons et ouvriers: pour les multiples initiatives danimation (écoles, magasins, culte, police, salubrité ) et pour lorganisation des services sociaux (caisses, assurances de maladie et de vieillesse, etc ) dans la cité ouvrière de Goyanna où quelques-uns de ses religieux travaillent. « Voilà des essais hardis de démocratie chrétienne, et les fruits en sont excellents. Méditons cela en France La religion est toujours bienfaisante. Elle sait donner à la vie sociale la paix et le bien-être ». Trois mois plus tard, toujours dans la Chronique, il traite des « cercles ouvriers dans la République dArgentine » (ibid., pp. 665 - 666). Et en août-septembre 1907, à lépoque de la réunion de Saint-Quentin, dans des « Impressions dAmérique » il compare Paris à Buenos Aires: Paris qui passe souvent pour « la grande ville par excellence » lui semble une bien « petite ville », encombrée et malsaine, en face de la vitalité, de lorganisation pratique de beaucoup des grandes cités quil vient de visiter (ibid. pp. 667 - 670)
En décembre 1900, sous le titre La rénovation sociale chrétienne le Père Dehon a publié les neuf Conférences quil a données à Rome, entre 1896 et 1900. Ce livre élargit laudience que ce « cours public » sur les questions sociales avait reçue dans la Ville éternelle, et par les échos de presse et les revues, à travers la France et lItalie. Il vient dêtre réédité par les soins du Centre dEtudes de Rome (2001). Plusieurs dentre nous ont exprimé leur joie, même leur surprise de (re)découvrir un Père Dehon aussi alerte, aussi engagé, aussi pertinent et actuel. Cest ce Père Dehon précisément quon aura plaisir à retrouver dans le discours ici reproduit.
Dans les thèmes, dans lesprit et jusque dans quelques formulations, on sera sensible à la « jeunesse », à louverture de lorateur, à sa conviction et à son étonnante capacité de mobiliser les énergies des jeunes. Ainsi par exemple sur lamour du peuple, sur lécoute effective de ses aspirations légitimes à plus de justice pour tous, sur sa dignité et sa capacité croissante à participer efficacement à la vie du pays, sur lamour de la patrie; ou encore sur lévolution résolument positive vers la démocratie républicaine, sur le « ralliement » des catholiques français à la République, sur lorganisation sociale (les associations, les mutualités, le salaire ) et sur lengagement politique pour une paix sociale et religieuse en France Tout cela, en Église, avec enthousiasme et ferme fidélité à légard du Magistère, et pour vivre aujourdhui lÉvangile du Christ, cette Bonne Nouvelle de lAmour que lon célèbre dans lEucharistie et qui doit transformer les curs et la société.
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Le P. André Perroux scj (Province de lEurope Francophone), après avoir été Assistant général du P. Panteghini (1979-1991), est actuellement membre du Centre dÉtudes, spécialement pour étudier et actualiser la spiritualité de la Congrégation. Sa tâche principale est de participer au déchiffrage et mise sur ordinateur des manuscrits contenus dans les archives dehoniennes, en particulier la très abondante correspondance.
1. Forligner: un mot du vieux français. Il vient de « fois », dehors, et de « ligne ». Il signifie manquer au devoir, sortir de la ligne de conduite tracée par un choix de vie, séloigner de la voie apprise des anciens, et donc déchoir, manquer à lhonneur