Education et Spiritualité du Coeur du Christ

Yves Ledure


l'institution St-Jean,St-Quentin

Il est significatif que le premier ouvrage que Dehon publie, porte sur líéducation chrétienne. Il en publiera une vingtaine díautres par la suite, les uns portant sur les questions de société, les autres traitant de questions spirituelles sans compter les nombreux articles et billets qui paraissent dans différentes revues. Dans cette impressionnante production, il faut donc remarquer le tout premier ouvrage, paru en l887 et dont le titre est parlant par lui-même "Líéducation et líenseignement selon líidéal chrétien." Le sous-titre donne les circonstances de cette publication, à savoir les discours de distributions de prix à la fin de chaque année scolaire. Le volume contient sept discours qui síéchelonnent de l877 à l886 auquel Dehon ajoute un sermon sur le Sacré-Cúur prononcé le 15 juin 1885 en la basilique de St-Quentin. Cíest un recueil de circonstance qui, comme le note la préface, "síest fait comme de lui-même". Après líúuvre St-Joseph qui va du patronage jusquíà la caisse díentraide et dont nous avons souligné la visée pédagogique, la fondation en 1877 du collège St-Jean confirme líorientation dehonienne et marque une volonté díétendre le champ de l'éducation. A cette époque, il síagit du domaine de líenseignement ; à partir de1889 cette volonté díéducation se démultipliera encore. Par la revue "Le règne du cæ ur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés", il cherche à atteindre le public adulte, notamment le clergé. Les sessions pour séminaristes au Val-des-Bois près de Reims, les congrès ecclésiastiques, les conférences élargiront le public du Père Dehon.

La fondation de l'institution St-Jean est le 2e étage díun projet éducatif qui soutend toute líactivité de Dehon. Et sa congrégation, fondée sous le couvert du collège, síinscrit, quíelle le veuille ou non, dans ce programme díéducation intégrale. Elle ne peut se concevoir comme une réalité en soi qui aurait sa logique spécifique, à distance des autres engagements du fondateur. La congrégation est un élément de líensemble dehonien et doit donc se comprendre comme tel. Jíajouterai que cíest dans cette interaction éducation-úuvre sociale et spirituelle quíelle doit chercher sa cohérence et quíelle trouvera une vitalité spécifique. Il y a chez Dehon des circularités secrètes entre ses diverses activités ñ vicaire, responsable de collège, fondateur díordre, animateur díétudes sociales, propagandiste des idées de Léon XIII, dévot du Coeur de Jésus. Il ne suffira pas díadditionner les secteurs, dans une énumération laudative, pour espérer trouver cohérence et signification. Il faut descendre jusquíà la veine profonde de sa pensée, dans le parcours même de sa vie, pour apercevoir un fil conducteur qui unifie líensemble. Et je ne suis pas loin de penser que cíest dans le domaine de líéducation, au sens large du terme, quíon peut le trouver. On remarque ici une constante : faire de la dimension chrétienne une composante essentielle, dynamique de la personnalité de chaque humain.

Dans une France qui après la victoire du cartel des gauches en 1878 se laïcise de plus en plus, notamment au niveau de l'école publique qui évacue tout enseignement religieux, Dehon affirme haut et fort que la religion ne doit pas être considérée comme un jardin secret que líon cultive dans líanonymat de la vie privée. La religion chrétienne est aussi culture ; à ce titre elle entre dans le champ des connaissances humaines qui toutes, précise-t-il dans la préface, chantent "un hymne à la gloireÖ de celui qui est, par essence la lumière et la vérité". Et de préciser sa pensée : "il faut revenir à cette conception grandiose, qui est la seule vraie ; plus que jamais il faut affirmer et proclamer hautement líunion de toutes les branches des connaissances humaines à la religion ; plus que jamais il faut imprégner díesprit chrétien les sciences et les lettres, líhistoire et la philosophie, et, pour tout dire en un mot, líenseignement tout entier". (0. So. IV p. 271)

Je suis frappé par cette problématique dehonienne qui prétend intégrer le christianisme au champ des savoirs humains. Car pour lui science et religion ne sont pas ennemies. comme le XIXe siècle le répète à satiété, mais composante complémentaire du parcours humain. Dehon veut faire de la religion une dimension incontournable du destin de líhomme. A ce titre le prêtre doit prendre en compte tout ce destin, et non, comme on le fait trop souvent, se réserver un domaine séparé. Cíest en ce sens que Dehon affirme que le prêtre ne doit pas limiter son action à la sacristie. Sa fonction líengage dans un projet éducatif global.

Ce volume, comme il a été dit précédemment, contient un texte qui níappartient pas à la série des discours de distribution de prix. Il síagit díune homélie sur la dévotion au Sacré-Cúur. On est légitimement étamé de ce mélange des genres. Dehon en est tellement persuadé que, dans la préface, il essaie de síexpliquer. Dans son travail díéducation, il síinspire, nous précise-t-il, de cette spiritualité. En díautres terme, la dévotion au Coeur du Christ quíil présente comme un don pour les temps modernes, síinscrit, à ses yeux dans le projet global díéducation. Cette spiritualité contient une pédagogie de líamélioration, de líapprofondissement humains; elle trace un chemin de la rencontre de líhomme avec Dieu. "La dévotion au Sacré-Cúur, écrit-il, est le principe caché de toutes les úuvres de charité et de zèle, et la source du renouvellement de la foi".(0. So. IV p. 393)

Ce texte nous livre une clef díinterprétation de líensemble du projet dehonien. La spiritualité du Coeur de Jésus níest pas un domaine à part quíil faudrait comprendre par lui-même en la différenciant, voir líopposant aux autres secteurs de la vie du P. Dehon. Au contraire, cette spiritualité joue le rôle de principe díintégration. A ce titre, elle est la source autant du croire que de líagir du chrétien. Voilà pourquoi elle ne peut pas être absente de líúuvre díéducation.

La spiritualité du Coeur de Jésus, relève donc díun statut spécifique dans la vision dehonienne. Elle a pour fonction díanimer, de nourrir líensemble du projet. Cette problématique explique la place díun texte sur le Sacré-Cúur dans un ouvrage consacré à líéducation, comme plus tard nous trouverons un chapitre sur cette spiritualité dans ses úuvres sociales. Le paradoxe, si paradoxe il y a, est principe de cohérence. Il nous indique la veine secrète qui circule dans líagir dehonien et qui unifie ce qui peut apparaître comme diversité, voir comme dispersion. Le but ultime du projet éducatif de Dehon est de permettre au jeune comme à líadulte de tout âge de faire líexpérience díun Dieu-Amour ou comme il líécrit dans la préface de "La vie díamour envers le Sacré-Cúur de Jésus" publié en 1901"díaider les âmes à vivre de la vie díamour". Cíest à ce niveau que se tisse la continuité spirituelle de líúuvre dehonienne.