**219.15**
**B18/10.15 **
Ms. autogr. 4 p. (21 x 13)
**À Léon Palustre**
//La Capelle 9 janvier 1871 //
Mon cher ami,
Ta lettre m'est arrivée après avoir fait un long détour comme fera la mienne. Je partage tes appréciations et tes espérances. Je crois que la race latine, et spécialement la France, conservera le premier rang parmi les nations. La Prusse est un instrument providentiel qui sera brisé quand il aura fait son œuvre. La France a seule le génie de l'apostolat et des œuvres et le dévouement aux nobles causes, et Dieu la conservera pour le bien de son Église.
Cependant je suis effrayé, comme je te le disais, de voir dans notre pays peu de retours à la foi. Les grandes leçons de la Providence nous frappent peu parce que nous avons peu de foi. Les écrivains religieux du 17ème siècle nous disent que la peste de 1630 en France fit plus de conversions que cent années de sermon. Mais autant la foi a diminué depuis 1630, autant la guerre actuelle fera moins de conversions. À ce point de vue cependant, elle est un don de Dieu et cela doit nous consoler de ses rigueurs.
Je suis heureux que vous ayez été épargnés à Tours. Nous sommes ici dans une heureuse oasis. Les Prussiens sont à nos portes depuis quatre mois. Ils nous ont menacés vingt fois. Ils sont venus, il y a trois jours encore, à Vervins, à Guise, à Leschelle. Ils sont repartis vers Péronne. On nous les signalait avant-hier venant de Rocroy, qu'ils ont pris, vers Hirson, mais ils sont allés de là à Laon et ils nous ont encore laissés de côté. Nous espérons que cette protection de Dieu nous sera continuée.
N'es-tu pas affligé aussi de voir l'Italie en ce moment dirigée par des hommes si pervers, qui ne respectent ni traités, ni promesses, ni religion, ni liberté. Ils se perdent par leurs propres excès et leur règne ne sera pas long. Puissent-ils n'avoir pas le temps d'accomplir à Rome toutes les profanations qu'ils méditent.
Adieu, mon cher ami. J'ai mille compliments à te faire de la part des miens, qui sont, grâce à Dieu, tous bien portants.
Ton tout dévoué ami en N.S.
L. Dehon, pr.
**220.15**
**B18/11.1.15 **
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Nîmes 11 mars 1871 //
Chers parents,
Après avoir traversé hier en chemin de fer les tristes et froides montagnes de l'Auvergne, je suis arrivé le soir à Nîmes, où j'ai trouvé déjà la chaleur et la poussière de l'été. J'ai reçu ici le plus aimable accueil. L'abbé Désaire s'y plaît beaucoup. Il me recommande de vous offrir ses amitiés. J'ai déjà fait une visite à Mgr Plantier avec le p. d'Alzon, et j'ai commencé à visiter la ville qui possède des monuments très intéressants. Vous connaissez de réputation la Maison Carrée et les arènes de Nîmes.
On m'engage fort ici à partir pour Rome et mon intention est de me mettre en route dans trois ou quatre jours. J'espère recevoir d'ici là de vos nouvelles. Je suis très heureux de la résolution que j'ai prise de me rendre à Rome. Je gagnerai ainsi six mois ou un an.
Vous pourrez me répondre à Rome. Écrivez-moi souvent.
Les quelques jours que je passerai ici me seront très agréables. Je suis dans un collège ecclésiastique très influent et admirablement organisé. Le P. d'Alzon a une grande action morale sur tout le pays. Deux de ses religieux arrivent de Mayence où ils étaient aumôniers de nos prisonniers. L'abbé Désaire enseigne la philosophie aux jeunes religieux de la congrégation qui tient le collège1.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Amélie, et puis mon oncle et Marie s'ils sont arrivés2.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils. Tout à vous en N.S.
L. Dehon, pr.
1 Cf. LC 87 et 92.
2 La «tante Dehon» (Sophie-Éléonore Vandelet, sœur aînée de la mère de Léon et femme d'Hippolyte Dehon, frère aîné de son père) était morte le 3 mars. Les AD conservent la lettre écrite à ce sujet par Hippolyte à son frère Jules-Alexandre, le 4 mars 1871: «Tout est fini, ma pauvre femme a rendu son âme à Dieu hier à 2 heures de l'après-midi. Elle est morte en sainte et c'est une sainte qui priera au ciel pour nous. Dis à Léon que le vénérable vieillard qui est venu lui administrer les derniers sacrements, m'a remercié avec effusion de lui avoir fait connaître une si belle âme. Dis à Fanny que ma fille et moi, nous avons fait la dernière toilette et qu'aucune main étrangère ne l'a touchée. Aujourd'hui nous la mettrons dans la bière et demain nous la transporterons au caveau provisoire loué pour quelques jours. Nous sommes bien malheureux et notre seule consolation est qu'elle a été contente de nous…» (AD B18/11.1.39; Inv. 220.39).
**220.16**
**B.18/11.1.16**
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
**A ses parents**
//Nîmes 15 mars 1871//
Chers parents,
J'ai fait ici un charmant séjour. Le collège et la congrégation qui m'ont donné l'hospitalité sont un centre d'action catholique très intéressant à étudier. La ville de Nîmes ne manque pas non plus d'attrait et j'y ai fait quelques bonnes connaissances1.
Nous avons reçu hier une lettre du P. Brichet, économe de Ste-Claire, qui nous rassure complètement. Il écrit au P. d'Alzon et ne sait pas que je suis ici, aussi sa lettre est-elle très désintéressée. Il dit que le séjour de Rome n'a pour les ecclésiastiques aucun inconvénient, et que les journaux exagèrent dans leurs correspondances l'agitation qui a régné à Rome.
Je pars aujourd'hui avec un jeune religieux de la congrégation du P. d'Alzon, qui se rend avec moi au Séminaire français. Je vous écrirai
aussitôt après mon arrivée à Rome et je vous donnerai ensuite souvent de mes nouvelles. Vous ne vous inquiéterez pas si mes lettres vous parviennent irrégulièrement, dans l'état de désorganisation où sont les postes. La lettre de maman n'a mis que quatre jours à me parvenir. L'autre que vous avez fait suivre est d'un de mes amis de Bretagne. Elle est datée du l ° novembre. Je ne sais ce qu'elle a fait depuis ce temps-là. J'espère que maman continue à se bien porter.
Ecrivez-moi de suite à Rome. L'abbé Désaire nous accompagne jusqu'à Marseille. De là nous prendrons probablement par Nice, parce qu'il n'y a plus de bateaux directs.
L'abbé Désaire vous envoie ses affectueux respects.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, mon oncle et Marie, Marthe et Amélie.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
1 Le 20 mars, le P. Brichet, économe de Santa-Chiara, écrira au P. Freyd alors en Alsace:
«M. Dehon est arrivé samedi soir, en compagnie d'un père de l'Assomption de Nîmes, qui vient passer 2 ou 3 ans au Séminaire Français pour prendre ses grades en Philosophie...
M. Dehon me paraît à peu près engagé dans sa société. Il a été passer quelques jours à Nîmes. Il m'a avoué que le P. d'Alzon avait les défauts de ses qualités, et un peu d'exubérance méridionale... Je crois que le bon M. Dehon s'abuse, et qu'il n'a fait qu'entrevoir ce qui lui apparaîtra plus tard dans tout son jour» (Autographe aux archives du Séminaire Français; photocopie et dactylographie aux AD B. 36/2 B. 1; Inv, 627.01).
**220.17**
**B18/11.1.17 **
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 19 mars 1871 //
Chers parents,
Je suis arrivé hier soir à Rome sans fatigue et heureux de m'y retrouver. J'ai quitté Nîmes, comme je vous l'ai écrit, mercredi à midi. Jeudi matin, j'ai dit la messe à Marseille à N.D. de la Garde et je suis venu de là par la route de la corniche, par Nice, Gênes, Bologne et Florence. Nous n'avons pas rencontré nulle part la moindre agitation politique et nous n'avons pas éprouvé le moindre ennui.
Rome est triste, comme vous le pensez bien. Les Romains considèrent les Italiens comme nous considérions les Prussiens en France. Quand ils seront partis, leurs traces disparaîtront vite. L'ordre y règne suffisamment pour qu'on puisse y séjourner sans crainte. J'ai trouvé ici cinq élèves qui suivent les cours depuis le commencement de l'année. Nous sommes maintenant au nombre de sept et on en attend encore quelques-uns. J'ai déjà fait ma première visite à St-Pierre et à Ste-Marie-Majeure, et je suis complètement installé dans ma chambre.
Je suivrai les cours dès demain. On espère que le P. Freyd reviendra bientôt.
Je vous écrirai souvent, mais les retards de mes lettres ne doivent pas vous inquiéter à cause de la désorganisation des postes.
J'espère avoir bientôt une audience du St-Père, il a fait donner aux sténographes une grande médaille commémorative du Concile. La mienne a été remise à quelqu'un qui partait pour la France. Elle sera déposée à Paris entre les mains du R.P. Peureux, au Séminaire du St-Esprit, rue Lhomond nº 30. Vous pouvez l'y faire prendre à l'occasion.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, Marthe et Amélie.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
**220.18**
**B18/11.1.18 **
Ms autogr. 2 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 22 mars 1871 //
Chers parents,
Comme je vous l'écrivais dimanche, je suis heureux de me retrouver à Rome et de me remettre au travail.
J'ai eu le bonheur ce matin d'avoir une audience du St-Père. Il est toujours comme nous l'avons vu, bon, affable, bien portant. Il s'est informé du supérieur du Séminaire et m'a demandé s'il reviendrait bientôt à Rome. Je lui ai dit que nous l'attendions prochainement. Il m'a donné sa bénédiction pour ma famille et pour ma paroisse.
Le séjour à Rome présente à peu près la même sécurité que par le passé. Prêtres et religieux se promènent partout sans le moindre inconvénient. Les Italiens n'ont pas encore eu le temps de beaucoup détruire. Cependant ils se sont déjà emparés de huit couvents et des plus beaux, comme la Minerve, St-Augustin, l'Oratoire, etc.
Les cours de théologie et de droit canon se font comme par le passé et on espère qu'ils ne seront pas inquiétés à cause des collèges étrangers qui les suivent. On m'a inscrit sans difficulté pour les cours et si je reste jusqu'au mois de juillet, cela me sera compté pour une année. Je commence la préparation de mon doctorat.
J'abrège ma lettre pour vous l'envoyer par occasion.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
Je vous envoie un timbre qui m'est inutile.
**219.16**
**B18/10.16 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À Léon Palustre**
//Rome 24 mars 71 //
Mon cher ami,
Tu vas être bien étonné d'apprendre que je suis à Rome. Il est vrai que j'y suis venu avec quelque hésitation, comme nous allions au désert ou à la Mer Morte. Je désirais très vivement finir mes études et aussitôt que j'ai pu laisser mes parents sans danger à La Capelle, c'est-à-dire au lendemain de la paix, je suis accouru à Rome par le Bourbonnais et la Corniche, en m'arrêtant seulement à Nîmes chez des amis.
Je suis heureux de me retrouver ici et j'espère finir mes cours cette année. Il règne ici un calme suffisant pour travailler et les cours dont j'ai besoin se font encore au Collège Romain, dont les Piémontais ont pris la plus grande partie.
Les premiers jours de mon séjour à Rome ont été pour moi d'une profonde tristesse. Toute la partie saine de la population, qui est la plus nombreuse, considère les Piémontais comme nous considérions les Prussiens dans nos pays envahis. On rencontre dans les rues une écume de gens de mauvaise mine, qui n'ont su importer que des livres et des journaux corrupteurs et des femmes corrompues. C'est le cortège de la révolution. Quel contraste avec l'arrivée de la religion sur une terre nouvelle avec des missionnaires, des religieuses et l'évangile!
J'ai déjà eu le bonheur de voir le Saint-Père en audience au Vatican. Il a toujours le visage serein et une santé inaltérable. Il ne sort plus. Les cardinaux ont aussi quitté tout appareil extérieur et Rome n'aura pas les fêtes de Pâques cette année. Tout cela augmente les regrets des Romains, qui se voient en outre tous les jours accablés de nouveaux impôts. Les Piémontais semblent comprendre qu'ils n'ont aucune chance de rester ici. Malheureusement, ils auront le temps de détruire bien des choses. Ils se sont déjà emparés de huit couvents des plus importants, comme la Minerve, les Augustins, l'Oratoire, et ils menacent les autres.
Ma visite à Tours est encore remise à un autre temps. Écris-moi bientôt. Dis-moi si tu as eu à souffrir des Prussiens. À La Capelle, nous avons été providentiellement préservés. Pendant que tous les pays environnants étaient accablés de contributions, nous avons échappé à tout.
Nous aurons maintenant à traverser les difficultés intérieures qui sont le fruit de la révolution. Puisse la France en profiter et reprendre une constitution chrétienne1.
Adieu, cher ami.
Tout à toi en N.S.
L. Dehon, pr.
1 Allusion aux problèmes que posait la réorganisation politique du pays après la chute de l'empire. Élections, le 8 février, d'une assemblée à forte majorité pour la paix et l'ordre (ruraux, monarchistes…) et désignation, le 17 février, de Thiers comme chef du gouvernement provisoire. Préliminaires de la paix le 26 février. Le 3 mars, installation du gouvernement à Versailles et formation à Paris d'un comité de la Garde nationale. Le 18 mars, révolte des Parisiens contre la récupération par l'armée des canons de la Garde nationale à Montmartre, deux généraux sont assassinés, début de la Commune de Paris.
**220.19**
**B18/11.1.19 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 28 mars 1871 //
Chers parents,
Pendant que la France est agitée par la révolution, nous sommes ici dans le plus grand calme. Nous suivons régulièrement les cours et nous faisons notre promenade quotidienne tout comme par le passé. Mon travail est en bonne voie et je me félicite d'être venu à Rome. N'ayez pas à mon sujet la moindre inquiétude. Je me porte parfaitement et je ne jeûne pas.
Les nouvelles de France sont ici l'objet de toutes les conversations. La France goûte les fruits des principes révolutionnaires qu'elle a prônés depuis trois quarts de siècle. Si elle ne revient pas entièrement aux principes chrétiens, elle pourra trouver une courte trêve, mais pas une paix durable. Les Papes ne cessent de lui dire depuis 89 à quel désastre ses principes conduiront le monde. Elle n'a pas voulu comprendre, le premier remède que nous y puissions apporter, c'est d'être nous-mêmes de bons chrétiens. J'espère bien que papa et Henri donneront l'exemple pour les Pâques à La Capelle. Ce pauvre pays m'a causé par son irréligion une tristesse qui a dû vous être sensible et qui a duré pendant toutes mes vacances. Le séjour de Rome, malgré son état actuel, m'est cent fois moins triste, parce que Dieu n'y est pas oublié et que presque toute la population le sert.
J'espère que Dieu ne donnera pas aux Piémontais le temps de gâter la ville par leurs mauvais journaux, leurs livres impies et obscènes, les femmes de mauvaise vie qu'ils ont amenées et par l'expulsion des religieux. Ils passeront comme l'inondation et on balayera la boue qu'ils laisseront.
L'état de Paris entravera probablement notre correspondance. Ne vous en inquiétez pas. Écrivez-moi souvent, il suffit maintenant de mettre un timbre de quarante centimes.
Nous ne sommes encore ici que huit élèves. La plupart des autres collèges étrangers sont au complet comme les années précédentes.
Faites mes compliments à l'occasion à Mr le Doyen.
Embrassez pour moi mon oncle Dehon et Marie, Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
**857.20**
**B62/1.A **
Ms autogr. photo 4 p. (21 x 13)
Original autographe de cette lettre en possession de Mgr Loris F. Capovilla, à Loreto. Sur don Marchese, le chef sténographe, cf. NHV VI, 108-112.
**À Don Virginio Marchese**
//Rome 29 mars 1871 //
Cher Directeur,
Vous ne me savez pas mauvais gré certainement d'avoir tant tardé à vous écrire à cause de l'état de notre pauvre France. Bien que la ville que j'habitais n'ait souffert en rien de la guerre, nos communications postales ont été interrompues pendant plusieurs mois et du reste notre seule préoccupation était les malheurs de la France.
Rome aussi a été bien éprouvée. J'y suis arrivé depuis quelques jours seulement. Je n'ai quitté la France qu'après la guerre, après qu'il n'y avait plus de périls à redouter pour ma famille et pour la ville que j'habitais.
Les événements ont déjà bien dispersé les sténographes du Concile. Il n'en reste plus que la moitié à Rome. J'espère que le bon Dieu nous réunira bientôt de nouveau. MM. Dugas et de Dartein ont été aumôniers militaires pendant la guerre. Ils se reposent maintenant. Ils reviendront peut-être bientôt à Rome.
Je garderai de cette année de Concile un touchant souvenir pendant toute ma vie et je me souviendrai spécialement de notre excellent maître de sténographie.
Si j'étais passé par Turin en venant ici, je vous aurais cherché pour vous saluer en passant, mais j'avais à faire à Nîmes et de là je suis venu par Marseille.
J'ai appris avec bonheur la distinction par laquelle l'évêque de Soluzzo a reconnu les services que vous aviez rendus au Concile. Vous avez reçu sans doute aussi une médaille commémorative du Concile. Le St-Père nous en a fait donner ici à chacun une en bronze.
J'ai eu le bonheur de voir le St-Père en audience. Il est toujours le même, affable, bon, bien portant et dominant admirablement la situation qui lui est faite.
Je vous renouvelle l'expression de ma gratitude et vous prie d'agréer mes affectueux respects.
Votre tout dévoué en N.S.
L. Dehon, pr.
**220.20**
**B18/11.1.20 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome, Jeudi-Saint 6 avril 1871 //
Chers parents,
Nous voici arrivés aux grands jours de Rome, aux fêtes de Pâques, qui d'ordinaire amènent à Rome et réunissent à St-Pierre quatre-vingt mille étrangers. Cette année, Rome est triste, elle est découronnée, elle n'a plus de fêtes ni de Pape. La population paraît atterrée.
Au milieu de ces tristesses, d'heureuses circonstances m'ont procuré une joie immense. Vous apprendrez par les journaux qu'une députation des catholiques anglais est venue présenter au Pape les condoléances de l'Angleterre avec de riches offrandes. Cette députation de nobles anglais a été reçue royalement avant-hier par le Pape. Le duc de Norfolk a lu une adresse en français affirmant la nécessité du pouvoir temporel et exprimant l'espoir qu'il serait bientôt rétabli. Le Pape a répondu de son trône en français. J'avais été appelé pour prendre ce discours, avec un autre sténographe. Après cette réception, la députation s'est promenée pendant une heure avec le St-Père et je l'ai suivie dans les jardins et dans la bibliothèque. Le St-Père était heureux et ému de voir les prémices de la conversion de l'Angleterre. Il ne put même retenir ses larmes en répondant à l'adresse. À la promenade, il se montra encore jeune et alerte, je profitai de cette circonstance pour lui demander la faveur d'assister à sa messe privée aujourd'hui jeudi et de communier de sa main, et je l'ai obtenue. C'est rempli de la joie que procure ce bonheur que je vous écris. Le St-Père était radieux ce matin. Le cachet de la sainteté augmente sur son visage avec les persécutions qu'il éprouve. Je n'ai pas besoin de vous dire que j'ai prié là pour vous tous, et spécialement pour papa qui a eu le même bonheur il y a dix-huit mois. J'espère bien que ce souvenir lui rappellera dans quelles bonnes dispositions il était alors et qu'il reprendra la résolution de ne jamais omettre la communion pascale.
Nous venons d'avoir à Ste-Claire une petite retraite de trois jours, donnée par un saint évêque missionnaire, l'archevêque d'Haïti.
Rome est toujours parfaitement tranquille, malgré toutes les misères du régime italien. Mes études avancent. Je bénis Dieu d'être venu ici.
J'ai reçu les bénédictions du St-Père pour toute la famille.
Embrassez pour moi mon oncle Dehon et Marie, Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
P.S. Mettez sur l'adresse de mes lettres (Italie), et seulement 40 c. d'affranchissement.
**220.21**
**B18/11.1.21 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À son père**
//Rome 12 avril 1871.\\ Fête de St Jules. //
Cher père,
Je te souhaite toutes les bénédictions de Dieu par l'intercession de St Jules. J'ai offert le saint sacrifice ce matin à ton intention. Hier aussi. J'ai pensé à toi en offrant le st sacrifice sur l'autel de St Léon à St-Pierre, où tu as souvent été prier. Si nous vivons chrétiennement, ces saints nous rendront à notre mort les visites que nous avons faites à leurs tombeaux, et nous recevront en amis.
Notre pauvre France est bien éprouvée. J'espère qu'elle profitera de ces leçons et qu'elle reviendra à Dieu. Elle a reconnu qu'il n'y avait de courage, de dévouement et de force que parmi les vrais chrétiens. Tu as entendu Lavisse te dire qu'à Paris, il n'y avait de valeur et de virilité que parmi les bretons, les marins et les gardes nationaux du quartier St-Sulpice et du faubourg St-Germain, c'est-à-dire parmi ceux qui n'ont pas été soumis à l'action dissolvante de l'université ou de la vie indifférente et luxueuse de nos villes. Cette démonstration se continue tous les jours. Il faudrait être aveugle pour ne pas la comprendre. Dieu nous fait la grâce de nous instruire, sachons en profiter. La leçon est pour tous. Ceux qui n'étaient pas chrétiens doivent le devenir, ceux qui l'étaient doivent se perfectionner.
En Italie, la leçon n'est pas moins claire. Le gouvernement nouveau n'a amené à Rome que de la canaille, des femmes de mauvaise vie, de mauvais livres et des journaux infâmes. Le Pape est autant au-dessus d'eux que St Pierre et St Paul étaient au-dessus de Néron qui les faisait égorger. Ils deviendront, comme Néron, un objet d'exécration publique et le St-Père sera élevé par l'Église et par l'histoire au premier rang de l'humanité. Pie IX reçoit des députations et des adresses de tout ce qu'il y a au monde de plus digne et de plus noble, et Victor Emmanuel n'a reçu de félicitations que de notre ambassadeur Sénard, dont la vie dégoûtante à Paris était un objet de répulsion pour ses confrères les moins délicats, et de quelques autres personnages de même valeur.
Je vous écris souvent, mais je doute fort que mes lettres vous parviennent exactement à en juger par celles que je reçois. Nous avons toujours ici une grande tranquillité et il n'y a aucun signe de révolution prochaine.
Embrasse pour moi maman, Henri, Laure, maman Dehon et les enfants et, s'ils sont encore à La Capelle, mon oncle Dehon, Marie et Siméon.
Je dis la messe tous les mercredis pour ma tante Dehon.
Mes respects à Mr le Doyen.
Ton tout dévoué fils, pr.
L. Dehon, pr.
**220.22**
**B18/11.1.22 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 18 avril 1871 //
Chers parents,
J'ai reçu hier votre lettre du 10. Nous apprenons ici par les journaux toutes les horreurs qui se commettent à Paris1. Elles ne nous étonnent pas. Les principes athées, qui régissent notre société depuis un siècle, nous amèneront cela périodiquement si nous ne les rejetons pas. Les avocats démagogues qui composent encore la moitié de notre gouvernement comme Simon, Favre, Picard, sont les vrais auteurs de tout cela par les principes qu'ils prêchent et qu'ils ont hérités de la révolution2. Ils s'étonnent aujourd'hui de voir brûler l'incendie qu'ils ont allumé. Il n'y a qu'un remède, c'est que l'État redevienne chrétien. Tout le reste ne serait qu'un replâtrage qui ne tarderait pas à crouler de nouveau. Il en est de l'État comme de l'individu. Quand il est religieux, il arrive encore de temps en temps que les passions se font jour et amènent un désordre momentané. Mais si la religion en est absente, les passions n'ont presque aucun frein et le désordre est immense et presque continuel. Nous n'aimons pas la France si nous ne commençons pas sa restauration par nous-mêmes en accomplissant franchement et entièrement tous nos devoirs de chrétiens. J'espère que papa, Henri et mon oncle Dehon auront fait bravement leurs pâques à La Capelle.
Ici nous jouissons du plus grand calme. La canaille italienne est allée à Paris pour y fonder la république universelle, et vous savez comme les vrais romains sont sages et religieux. Les soldats piémontais eux-mêmes, recrutés dans les campagnes d'Italie, sont en général de braves gens. Ils sont venus ici malgré eux, conduits par leurs officiers et sous-officiers, gens de la pire espère, sortis des officines maçonniques.
Deux de mes condisciples ont vu le St-Père hier. Il est toujours radieux de sainteté. Il pleure les malheurs de la France et recommande dans toutes ses audiences de prier pour elle.
Mr Bernard de Cambrai nous est arrivé hier et nous attendons sous deux jours Mr Dugas de Lyon et un autre confrère. Le Séminaire se reforme peu à peu.
Mon travail marche régulièrement. Je me porte à merveille et nous avons un délicieux printemps qui me fait goûter de plus en plus les charmes de Rome.
Quant aux monnaies romaines, je m'y entends fort peu et je crois que Mr Cardot trouvera plus facilement son affaire sur les quais de Paris. Les antiquités coûtent cher et sont enlevées tous les hivers par les Anglais.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, mon oncle Dehon, Marie et les enfants.
Votre tout dévoué fils qui vous embrasse de tout cœur.
L. Dehon, pr.
1 Le 2 avril, confiscation de tous les biens ecclésiastiques; le 4 avril, arrestation de l'archevêque, Mgr Darbois, et de nombreux prêtres, religieux et religieuses comme otages. Beaucoup, dont l'archevêque, seront exécutés lors de l'entrée à Paris des troupes gouvernementales de Versailles en mai (la Semaine sanglante).
2 Jules Simon, philosophe, Jules Favre, avocat, Ernest Picard: tous trois membres du gouvernement de Thiers, de la Défense nationale; des républicains modérés et conservateurs.
**220.23**
**B18/11.1.23 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 29 avril 1871 //
Chers parents,
J'ai reçu hier votre lettre du 21. Je suis heureux que Siméon vous soit arrivé. Il ne serait pas en sûreté à Paris. La révolution cosmopolite s'est donné là rendez-vous. J'espère que la victoire des hommes d'ordre purgera l'Europe pour quelques années de ce ferment d'anarchie. Les gens irréligieux voudront-ils voir clair? Ces bêtes fauves de Paris avides de sang humain sont les fruits naturels des discours et des écrits antichrétiens de Favre, Picard, Simon et autres, et des écoles impies du sieur Duruy et de ses semblables1. Ils ont cru qu'ils feraient des hommes et de l'ordre sans le christianisme. S'ils savaient l'histoire comme ils le prétendent, ils auraient vu que cette expérience impie a été tentée cent fois et a toujours produit les mêmes fruits. Pauvres gens arriérés de dix-huit siècles!
Siméon m'annonce une lettre qu'il m'a écrite à Nîmes. Je ne l'ai pas reçue.
Ici nous sommes toujours dans le plus grand calme. Rome est triste sans étrangers. Les romains sont accablés d'impôts et ont en sainte horreur les barbares qui les ont réduits en servitude. Le prince Humbert habite le Quirinal avec sa femme qui ne vaut pas mieux que lui. Il va sans dire qu'ils font mauvais ménage. Ils ne sortent jamais ensemble. Ils ne fréquentent que des gens qui seraient dignes d'être membres de la commune de Paris2. Le régime a introduit ici un certain nombre de journaux écrits par la plus ignoble canaille et qu'on nous crie à tue-tête par les rues, à un sou la pièce, pour essayer de corrompre le peuple.
Ma besogne se fait au milieu de toutes ces tristesses. Mon travail avance régulièrement. Nous avons une magnifique saison de printemps. C'est le moment de l'année où le séjour de Rome est le plus agréable.
Votre souvenir me revient souvent à l'esprit dans mes promenades. Il me semble toujours vous voir dans tous les sanctuaires de Rome. Revenez-y aussi souvent en esprit et renouvelez les pieuses résolutions que vous y avez prises. Ne vous laissez pas glacer par l'esprit irréligieux de La Capelle.
Faisons en sorte et demandons à Dieu d'être ensemble au ciel.
La médaille dont je vous ai parlé et qui devait être portée à Paris m'est revenue ici. Ne vous en inquiétez pas. Je vous la porterai aux vacances3.
Embrassez pour moi Henri, Laure, mon oncle, Marie, maman Dehon et les enfants.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
P.S. Envoyez-moi quelques timbres de 20 c.
1 Victor Duruy (1811-1894), historien, ministre de l'Instruction publique sous l'Empire (1863-1869), promoteur d'une réforme de l'enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïque, ainsi que de l'enseignement secondaire public pour les filles, alors quasi monopole des catholiques.
2 Humbert (1844-1904), fils de Victor-Emmanuel II, et roi d'Italie de 1878 à 1900, fut assassiné par un anarchiste.
3 Cf. LD 162.
**220.24**
**B18/11.1.24 **
Photo. Ms 4 p. (21 x 13)
L'original autographe de cette lettre a été offert à Paul VI en hommage sur la recommandation de Mgr Macchi.
**À ses parents**
//Rome 6 mai 1871 //
Chers parents,
Rome a le don d'entretenir dans les cœurs une grande espérance parce qu'on y prie beaucoup. On y prie beaucoup même pour notre pauvre France. Nous avons eu pendant les trois premiers jours du mois un triduum solennel de prières à l'église de la Minerve pour obtenir de Dieu la fin de la guerre civile en France. Le St-Père était l'instigateur de ces prières. Il y a eu une splendide illumination. L'association romaine pour la défense des intérêts catholiques en a fait les frais. Notre nouvel ambassadeur, Mr d'Harcourt y assistait. L'église était trop petite pour contenir la foule immense qui venait témoigner de sa sympathie pour la France et en même temps protester contre l'invasion piémontaise, dont la France délivrera Rome un jour. D'éloquents discours ont été prononcés. Ces prières, unies à celles qui se font en France, obtiendront de Dieu la paix pour notre chère patrie.
Les démonstrations bonnes et mauvaises sont fréquentes ici. Elles consistent pour les honnêtes gens à aller prier en grand nombre pour la délivrance de Rome; et pour la canaille révolutionnaire à s'enivrer et à blasphémer à l'occasion de la fête de quelque échappé des galères.
Une bonne nouvelle pour notre petite communauté de Ste-Claire, c'est que le P. Freyd va nous arriver jeudi prochain, avec un ancien élève. Nous serons très heureux de posséder de nouveau notre supérieur auquel nous sommes très attachés. Il m'a écrit dernièrement et me chargeait de vous faire ses compliments.
Mon travail avance autant que je pouvais l'espérer. Les facilités pour l'étude que donne la règle d'une communauté, et les répétitions qui se font ici, me permettront peut-être de combler les lacunes de mon travail de l'hiver.
Les modernes vandales continuent à s'emparer des couvents de Rome, pendant qu'ils font des lois pour garantir la liberté de l'Église et du Pape.
C'est la bêtise unie à la brutalité. J'espère que les événements de Paris auront bientôt un terme et que la France pourra reformer un gouvernement stable et chrétien.
Mille compliments à Siméon s'il est encore avec vous.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
P.S. Je ferais volontiers la commission de Mr Cardot, mais je crois qu'il trouvera plus facilement à Paris des monnaies antiques, et je craindrais d'être trompé, parce que je ne suis pas connaisseur.
**220.25**
**B18/11.1.25 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 13 mai 1871 //
Chers parents,
Le P. Supérieur vient de nous arriver de France bien portant, avec un ancien élève. Le séminaire aura eu une année presque nulle, grâce au brigandage italien. C'est ainsi qu'ils entendent la liberté du Pape: chasser les religieux qui forment ici des tribunaux et des congrégations relatives aux affaires ecclésiastiques du monde entier; s'emparer des couvents qui sont le centre des ordres religieux de tous les pays; entraver les universités où venaient étudier les prêtres de toutes les nations. Ils remplacent tout cela très avantageusement par l'immoralité qu'ils étalent dans les rues, et par leurs collèges moralisateurs où il y a deux jours les élèves ont encore très avantageusement bâtonné leurs maîtres.
Heureusement, leur temps ne sera pas long et j'espère que Rome sera bientôt débarrassée de cette lèpre.
Je me félicite chaque jour davantage d'être venu continuer mon travail. J'espère, à mon retour, trouver la France un peu moins malade et un peu plus chrétienne. Les grands événements se jugent mieux de loin que de près. Depuis que je suis ici, je me désole moins des malheurs de la France. Je les regarde comme une bénédiction et comme une marque particulière de l'affection de Dieu pour notre patrie, qu'il veut épurer et régénérer en la guérissant des erreurs qu'y entretenait l'esprit de révolution depuis un siècle.
Je félicite Henri de sa nouvelle dignité1. J'ai acheté pour Laure un chapelet en agate, monté en vermeil. Je vais tâcher de le lui faire parvenir.
Je ne me rappelle pas l'officier des mobiles dont vous me parlez. Du reste, je n'ai pas confessé d'officiers.
J'ai demandé une indulgence pour la prière de N.D. des Victoires, je n'ai pas encore de réponse. Je ne crois pas qu'on l'accorde à cause du grand nombre de prières indulgenciées qui existent déjà.
J'ai écrit à Mr le curé de Buironfosse en même temps qu'à Mr le Doyen2. Du reste, je suis nécessairement avare de correspondances à cause de la besogne qui me presse.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants. Mille compliments à Siméon.
Si mon oncle Dehon et Marie sont avec vous, embrassez-les aussi pour moi.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
1 Henri Dehon sera maire de La Capelle pendant près de 30 ans.
2 L'abbé Cyrille Petit, curé de Buironfosse (à 5 km de La Capelle) sera un ami intime du P. Dehon, promoteur avec lui de l'Oratoire diocésain, fondé en 1874 pour le soutien du clergé (cf. NHV références à son nom), puis agrégé à son association des «amis du Sacré-Cœur», sous le nom de Joseph (NHV XIV, 62). Ses lettres au P. Dehon sont particulièrement intéressantes.
**220.26**
**B18/11.1.26 **
Ms autogr. 2 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 24 mai 1871 //
Chers parents,
Je n'ai pas beaucoup de temps à vous donner aujourd'hui. Cependant je ne veux pas vous laisser plus longtemps sans nouvelles.
Rome est toujours au même point. La confiance dans l'avenir et l'espérance d'une prochaine délivrance y augmentent plutôt que de diminuer. On voit arriver avec bonheur les vingt-cinq ans de pontificat de Pie IX. Les nouvelles de France apportent aussi quelques consolations. Les victoires du parti de l'ordre annoncent la fin de nos épreuves1. La belle lettre du comte de Chambord est l'événement le plus consolant de ces derniers temps. Il n'y avait plus qu'un roi chrétien, c'était Pie IX. La France va-t-elle en recevoir un de la main de Dieu? Si cela est, ses malheurs en préparant ce retour auront été une bien grande bénédiction du ciel2.
Je vous écrirai plus longuement la semaine prochaine.
J'ai envoyé par la poste le chapelet demandé. Il coûte seulement 14 francs.
Embrassez pour moi tous les nôtres.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
1 La réalité n'était peut-être pas aussi belle et cette victoire du parti de l'ordre devait coûter terriblement cher. L'armée gouvernementale (les Versaillais) entra à Paris le 21 mai et méthodiquement nettoya les rues des barricades, tandis que les insurgés incendiaient les Tuileries, l'Hôtel de Ville, la Cour des Comptes et massacraient les otages dont l'archevêque, Mgr Darbois. La Semaine sanglante devait s'achever le 27 mai et la répression fut terrible: 20.000 exécutions capitales, 38.000 arrestations suivies de 13.500 condamnations, dont plus de 7.000 à la déportation: le quart de la population ouvrière, dit-on, fut victime de cette répression qui rétablit l'»ordre». À distance évidemment, on trouve le jugement de Léon Dehon un peu optimiste. Mais c'était celui de l'opinion catholique en général et de tous les «honnêtes gens».
2 Lettre du Comte de Chambord (Henri V), le 8 mai, s'affirmant comme le défenseur intransigeant du trône et de l'autel et en faveur du pouvoir temporel du Pape. Cependant, son intransigeance sur le «drapeau blanc» (légitimiste) fit échouer toute fusion avec la branche d'Orléans et tout espoir de restauration monarchique (juillet 1871). Léon Dehon était alors résolument légitimiste, comme beaucoup de catholiques de la classe moyenne. Cf. encore LD 175.
**220.27**
**B18/11.1.27 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 2 juin 1871 //
Chers parents,
J'ai subi hier mon doctorat en théologie. Mon examen a été bon. Voilà encore une étape de franchie. Je m'y suis préparé sans beaucoup de fatigue, grâce au calme dont je jouissais ici et grâce à la fraîcheur de la saison qui est cette année exceptionnelle. Je consacrerai les deux mois qui me restent à l'étude plus spéciale du droit canon.
J'apprends avec bonheur que ces messieurs ont fait la sainte communion à la Trappe. Une autre fois seulement ils feront en sorte de ne plus laisser passer le temps pascal1.
Nous apprenons ici jour par jour les événements de Paris par les journaux et le télégraphe. On voit avec évidence le doigt de Dieu dans tous ces faits. Le bon Dieu veut absolument nous sauver et refaire une France catholique. Un grand nombre de gens paraissent n'y rien comprendre encore. Cela prouve que ce n'est pas fini et que le champ sera encore labouré jusqu'à ce que toutes les mauvaises herbes aient péri. Que de belles choses au milieu de ces horreurs! Que de leçons pour les hommes de bonnes volontés! Comme les destinées sont nettement tranchées! D'un côté, des martyrs meurent héroïquement en bénissant Dieu; de l'autre, des furies mourant horriblement en se tordant de rage et de honte.
L'Italie, calme en ce moment, aura son tour dans les châtiments de la Providence. Rome est tranquille et dans l'attente. La vraie Rome prie beaucoup et espère. La canaille a peur et craint que l'orage de Paris ne vienne fondre sur elle. Le Pape est admirable de sainteté. Son triomphe commence par la réalisation de ses prévisions à Paris relativement à l'esprit de révolution et à ses fruits.
Nous ne manquons pas de lumières, suivons le chemin du ciel.
J'ai répondu ce matin à Gaston2. Vous me dites que mon oncle Dehon et Marie se proposent de retourner à Paris pour un mois seulement. Auraient-ils pris la bonne résolution de n'y plus demeurer?
Les capellois ne se convertissent pas; sans être prophète, on peut leur prédire qu'ils seront éprouvés par quelque fléau du ciel.
Faites mes compliments à Siméon. Sa présence auprès de vous m'excuse de ne pas lui écrire directement.
Embrassez pour moi Henri, Laure, mon oncle, Marie, maman Dehon et les enfants.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
1 Son père et son frère Henri.
2 Selon LD 64 et 72, il s'agit de Gaston Née, fils du premier mariage d'Aline Longuet. En 1871, il devait avoir une quinzaine d'années.
**219.17**
**B18/10.17 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À Léon Palustre**
//Rome 6 juin 1871 //
Mon bien cher ami,
Ne te semble-t-il pas que l'action providentielle de Dieu est particulièrement sensible dans les événements dont nous sommes témoins. Dieu veut guérir la France de l'esprit de révolution et en refaire un peuple catholique. Nos provinces matérialistes et irréligieuses ne l'ont pas encore compris et je crains bien que pour elle le châtiment ne soit pas fini. J'espère beaucoup du comte de Chambord, dont l'avènement me paraît certain et prochain. Sa lettre-manifeste est d'un vrai roi catholique. Elle a réjoui le cœur de Pie IX. Il rencontrera de bien grandes difficultés, mais Dieu a tant fait depuis un an qu'il semble vouloir relever entièrement notre France. Je n'aurais aucune confiance dans une république en France. Les esprits y sont trop mobiles. Ce serait la révolution en permanence. Du reste, nos républicains de la veille, si honnêtes et si modérés qu'ils se disent, ne diffèrent pour la plupart que d'une légère nuance d'avec les révolutionnaires de Paris.
J'ai craint longtemps de voir revenir les d'Orléans comme dictateurs ou comme usurpateurs des droits de la branche aînée. Ce péril paraît écarté, grâce à Dieu.
Le salut est dans le retour à la politique chrétienne enseignée par les Souverains Pontifes, autant que le permet l'état actuel des esprits.
L'Italie aura bientôt son tour dans les châtiments de la Providence. Tout le fait présager. Rome est suffisamment calme et profondément triste. Les bons, et c'est la grande majorité, prient et espèrent. La canaille installe ses institutions de progrès, qui sont d'infâmes journaux, de sales romans, des femmes de mauvaise vie et le reste.
J'ai eu le bonheur de voir plusieurs fois le St-Père en audience. Il est radieux de confiance et de sainteté. Il domine les événements comme le ciel domine la terre.
Mon travail touche à sa fin. J'ai subi il y a quelques jours mon dernier examen de théologie. Il ne me reste plus qu'un examen de droit canon, que je tâcherai de préparer pour la fin de juillet.
Je vais quitter Rome définitivement, à moins que le Concile ne m'y ramène. Je compte bien passer à Tours au mois d'août prochain, et j'espère t'emmener avec ta femme à La Capelle.
N'as-tu pas perdu de tes amis pendant ces guerres? Qu'est devenu Christian de Puyferat?
Au revoir, mon cher ami.
Tout à toi en N.S.
L. Dehon, pr.
**220.28**
**B.18/11.1.28**
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**A ses parents**
//Rome 23 juin 1871//
Chers parents,
Le conseil que vous me donnez de retourner de suite m'aurait souri si je n'étais si près du but. Il ne me reste plus guère qu'un mois de travail, je préfère aller jusqu'au bout. Mes vacances seront plus complètes. J'aurai l'esprit plus libre. Du reste, nous n'avons pas encore eu de fortes chaleurs, et le travail qui me reste à faire n'est pas bien pénible.
Les fêtes du jubilé de Pie IX ont eu ici leurs joies et leurs tristesses. Nous n'avons rien pu avoir à l'extérieur, pas la moindre illumination. La canaille aurait brisé les lanternes et les vitres. Rome seule parmi les grandes villes catholiques n'a pas pu témoigner extérieurement son dévouement au Pape. Les députations étrangères elles-mêmes ont été insultées dans les rues. Mais en revanche, les églises et le Vatican ont offert un spectacle bien consolant. Le 16, toute la population s'est portée à St Jean de Latran et le 17, à St-Pierre. La foule immense rappelait les fêtes du Concile. On a chanté le Te Deum avec entrain. Il ne manquait â la fête que Pie IX. La canaille, irritée de voir une telle unanimité des romains, a essayé le lendemain une démonstration contraire, en arborant les drapeaux italiens. Leur petit nombre fait rire, quand on songe qu'à leur plébiscite ils prétendent avoir obtenu 40.000 oui contre 46 non.
Le 21, anniversaire du couronnement de Pie IX, la démonstration catholique a recommencé à St-Pierre. On a chanté de nouveau le Te Deum. La basilique était pleine. Il y avait de 30.000 à 40.000 personnes. La grande majorité étaient des hommes. 280 messieurs de la haute société romaine portaient des torches devant le Saint-Sacrement. Après de si nombreuses et si ferventes prières, la captivité de Pie IX et l'asservissement de Rome ne peuvent plus durer longtemps. De solennels triduos ont eu lieu aussi dans les principales églises. Les collèges étrangers ont fait le leur dans l'église St-Ignace. J'espère que l'intercession de St Louis de Gonzague rendra bientôt à ses petits protégés les universités catholiques de Rome, qui sont remplacées par des lycées dirigés par des juifs et des hérétiques. Depuis huit jours, le St-Père voit véritablement le commencement de son triomphe. Il reçoit du matin au soir des députations qui lui apportent des millions de signatures et des offrandes de toute sorte. J'ai été en audience avec la députation française. Pie IX a été superbe. Il aime tendrement la France et n'en parle qu'avec émotion. Il prie chaque jour pour qu'elle se relève en revenant à la religion. Il nous a donné de belles médailles'.
Au revoir. Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.
Je n'oublierai pas la recommandation de Marthe. Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
//(P.S.) //Envoyez-moi encore quelques timbres. Les reliques que maman a données à Siméon sont pour une personne d'Hazebrouck que Mr Boute connaît et qui m'en a fait demander plusieurs fois2.
1 La description de ces fêtes est reprise en NHV IX, 25-27 par de larges citations de cette lettre.
2 Cf. LC 59 et 60.
**220.29**
**B18/11.1.29 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 5 juillet 1871 //
Chers parents,
Le temps passe rapidement et je me félicite d'être resté ici pour terminer mon droit canon. J'espère finir dans trois semaines environ. Je compte m'arrêter en retournant à Nîmes et à Tours. Palustre me renouvelle souvent son invitation à aller le voir. Il doit être en ce moment à Paris pour quelques jours, peut-être y rencontrera-t-il papa.
Nous avons cette année un été assez commode. Les chaleurs sont très supportables et beaucoup moins fortes que l'an passé.
Nous avons eu depuis trois jours des fêtes du transfert de la capitale. C'était bien chétif. Toutes les démonstrations étaient payées par la commune. Rien de spontané ni de franchement gai. Tout avait un air de tristesse et de honte. Le roi est venu, mais il ne peut pas dormir dans le palais des Papes. Il n'est resté à Rome qu'une nuit et il l'a passée à danser au Capitole avec les juifs et les sectaires1.
Tout fait présumer que la punition de Dieu ne se fera pas attendre et que Rome sera bientôt délivrée de ce joug odieux.
J'ai reçu la lettre d'Henri et de Laure et j'ai dit la messe pour les enfants comme Laure me le demandait. J'espère que Marthe sera bientôt guérie.
J'ai écrit à Vervins pour annoncer l'envoi d'une caisse de vases en marbre toscan. J'ai fait les commissions que l'on m'avait données.
Je désire que vous envoyiez de suite un exemplaire de ma thèse de licence et un de ma thèse de doctorat, sous bande, à un de mes professeurs de droit canon, à Mr le Chanoine Santi, via Pellegrino n. 96. Vous trouverez ces thèses dans une petite armoire, dans la porte qui va du corridor à la petite chambre à coucher. Il y en a aussi, je crois, dans le rayon du haut d'une petite bibliothèque dans mon bureau. Henri sait comment cela s'expédie. L'affranchissement doit être de 10 c. par 50 grammes2.
J'ai appris par les journaux que le comte Caffarelli se présentait aux élections. Dites-moi quel a été le résultat de ces élections dans nos cantons3.
Que maman se soigne bien pour supporter les fatigues des vacances.
À bientôt. Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
1 Le gouvernement italien, installé jusqu'alors à Florence (depuis 1864), est transféré à Rome, qui devient capitale, en juillet 1871.
2 Il s'agit de ses thèses de droit présentées à Paris: pour la licence, en 1862, sur la «Tutelle»; pour le doctorat, en 1864, sur le «Cautionnement». Cf. en «‚uvres Sociales» IV pp. 13-61 et 67-170.
3 Sur le comte Caffarelli, ami de la famille Dehon, cf. LD 33 (note 3).
**220.30**
**B18/11.1.30 **
Ms autogr. 2 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 25 juillet 1871 //
Chers parents,
J'ai subi hier avec succès mon dernier examen. Je me repose aujourd'hui et je vais commencer demain une petite retraite de quelques jours avant de quitter Rome. Ne vous inquiétez pas de ma santé qui est très bonne. Je vous écrirai dans quelques jours le plan de mon voyage. Croyez bien que je ne perds pas de temps1.
Mes vacances commencent dès aujourd'hui, bien qu'elles ne seront complètes que quand je serai avec vous. Les chaleurs ne me gênent pas beaucoup cette année. Du reste, je les fuirai bientôt. Je commence mes préparatifs pour partir aussitôt après ma retraite.
Rome est toujours au même état. Nous causerons de ses tristesses dans quelques jours.
À bientôt donc. Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.
Votre dévoué fils qui vous embrasse
L. Dehon, pr.
1 Il s'agit d'une petite «retraite de vocation» en vue d'une décision sur son avenir et notamment sur son entrée à l'Assomption du P. d'Alzon à Nîmes (cf. NHV IX, 42-43).
**220.31**
**B18/11.1.31 **
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 30 juillet 1871 //
Chers parents,
J'ai terminé mes quatre jours de solitude que j'ai passés chez les excellents pères liguoriens auprès de Ste-Marie Majeure. Il ne me reste plus qu'à faire mes préparatifs de départ. Demain, je ferai les nouvelles commissions que l'on me donne du Nouvion et de Vervins. Je partirai après-demain matin. Le 2, je serai à Assise pour la grande fête de la Portioncule. Je m'arrêterai ensuite à Pavie. Le 5, j'arriverai en Savoie dans une maison des Augustins de Nîmes où se trouve l'abbé Désaire. C'est au pied du Mont-Blanc, dans une magnifique situation. Je passerai là quelques jours. Écrivez-moi là de suite et envoyez-moi deux cents francs, par lettre chargée, chez M. l'abbé Désaire, à N.D. des Châteaux, Beaufort (Savoie). Je vous écrirai de là pour vous donner le reste de mon itinéraire.
Je vais quitter Rome bien à regret, malgré sa triste situation. J'y ai passé des années bien remplies, bien employées, grâce à Dieu, et dont je ne connaîtrai le prix que dans le ciel. Ma consolation est d'emporter de riches trésors, comme le sacerdoce, la science ecclésiastique, de bonnes habitudes et de délicieux souvenirs.
À bientôt, priez pour moi pendant mon voyage.
Embrassez pour moi tous les nôtres.
Votre tout dévoué fils qui vous embrasse
L. Dehon, pr.
**219.18**
**B.18/10.18 **
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
**À Léon Palustre**
//N.D. des Châteaux (Beaufort) 7 août 71 //
Mon cher ami,
La besogne dont j'étais chargé à Rome m'a mis en retard à te répondre. J'ai quitté Rome le 1er août après mes derniers examens et, malgré la tristesse actuelle, je ne l'ai pas quittée sans regrets. Je m'y suis profondément attaché depuis six ans. J'ai passé à Assise la journée du 2, pour la fête de la Portioncule. Je me suis rappelé là tout ton vieil enthousiasme pour Assise et je l'ai bien partagé. De là je suis allé en Lombardie visiter Pavie et sa chartreuse et vénérer le tombeau de St Augustin, et me voici en Savoie dans un site délicieux, aux ruines du château de Beaufort. Tu dois être venu bien près de ce pays-ci, si j'en juge par les signes que je trouve sous les noms de Myans, Mont-Granier, Montmeillan dans mon guide de Savoie dont tu t'es servi autrefois.
Quel magnifique pays. Ces vallées me rappellent l'Écosse et les lacs de Killarney. Elles ont un aspect moins sévère que celles de la Suisse. De ce côté, les Alpes sont vertes jusqu'au sommet. Aux bois succèdent les prairies.
Mais tu te demandes comment je suis ici. Le voici. Un de mes amis du Séminaire français de Rome, Savoyard d'origine, vient de fonder, dans ces ruines qu'il a rendues habitables, un petit alumnat pour les Augustins de Nîmes. Ils vont élever ici des enfants pauvres de la Savoie qui se destinent au sacerdoce et à l'état religieux. Des dons du pays et de Nîmes ont permis de commencer l'œuvre. La Providence pourvoira au reste. Je suis venu voir cet ami. Je le quitterai dans trois ou quatre jours pour me rendre à Tours. Je tâcherai de te faire savoir l'heure de mon arrivée.
À bientôt donc, cher ami. Je serai bien heureux de te revoir.
Je suis tout à toi en N.S.
**220.32**
**B18/11.1.32 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Notre-Dame des Châteaux (Beaufort), 7 août 1871 //
Chers parents,
J'ai fait depuis Rome un charmant voyage. Parti le 1er, j'ai passé la journée du 2 à Assise, ville située dans un site superbe au milieu des Apennins, toute remplie des souvenirs de St François et riche en œuvres d'art de la plus belle époque de l'art chrétien. Le 3, j'allai jusqu'à Pavie. Le 4, je visitai Pavie et sa splendide chartreuse, aussi riche et aussi désolée que celle de Naples. Le 5, je passai le Mt Cenis et me voici en Savoie dans un site ravissant. N.D. des Châteaux est située au centre de trois vallées grandioses et pittoresques qui descendent du Mt Blanc. C'est à quelques lieues seulement de Sallanches qu'Henri et Laure connaissent. Il y a trois mois, il n'y avait ici que trois vieilles tours, débris de l'ancien château de Beaufort. L'abbé Désaire en a obtenu la propriété de l'évêché à qui cela appartient, et avec des dons recueillis dans le pays, à Nîmes et à Marseille, il a bâti une maison déjà habitable, bien que pauvre, pour y établir un petit pensionnat destiné à élever des enfants pauvres qui veulent devenir prêtres. Ce sont des religieux Augustins de Nîmes qui vont diriger cela. Ils sont déjà arrivés et dans deux ou trois semaines, l'œuvre commencera avec huit enfants.
Je vais rester ici trois ou quatre jours pour compenser par la fraîcheur des Alpes toutes les chaleurs de Rome. J'irai ensuite à Tours d'où je vous écrirai. Je vais écrire aujourd'hui à Palustre pour lui annoncer mon arrivée.
J'attends ici la lettre chargée que je vous ai demandée de Rome par ma lettre du 30. J'ai fait toutes mes commissions, sauf celle des parures de deuil que je n'ai pas trouvées. J'ai expédié à Vervins une caisse de coupes solides et bien emballées. J'espère qu'elles arriveront sans se briser.
Remerciez Dieu avec moi de ce que j'ai pu faire, à Rome, depuis cinq mois, tout ce qui me restait à faire, sans nuire à ma santé.
À bientôt le bonheur d'être avec vous. Mon séjour ici et à Tours sera plutôt un repos qu'une fatigue. Ne vous inquiétez pas de ma santé.
Embrassez pour moi tous les nôtres. Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
P.S. Je reçois à l'instant la lettre chargée. À bientôt.L.D.
**220.33**
**B18/11.1.33 **
Ms autogr. 1 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Tours 16 août 1871 //
Chers parents,
Je suis arrivé à Tours avant-hier soir. L'abbé Désaire m'avait accompagné jusqu'à Annecy où nous avons passé la journée de samedi chez l'évêque.
Palustre voudrait me retenir ici longtemps. Je compte cependant partir lundi prochain. Je m'arrêterai probablement quelques heures à Chambord et à Blois et j'arriverai à Paris mardi. Écrivez-moi à Montmartre si mon oncle et Marie y sont.
Je n'ai pas le temps de vous écrire longuement. Nous allons faire une excursion au château de Chenonceaux1.
Palustre vous fait mille compliments. À bientôt. Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
1 On pourra suivre en NHV IX, 43-53 les détails de ce long voyage de retour de Rome à La Capelle.
**629.11**
**B36/2D.11 **
Ms photo, 6 p. (21 x 13)
L'original de cette lettre importante se trouve aux archives du Séminaire français à Rome. Les AD en possèdent une photocopie et une dactylographie authentifiée.
**Au P. Fryed**
//La Capelle 25 sept. 71 //
Mon très révérend Père1
Je voudrais vous avoir auprès de moi pour me remonter le moral. Je n'ai ici ni conseil, ni directeur et cet isolement dans les circonstances actuelles m'est très pénible. À la veille de partir pour Nîmes, j'éprouve de nouvelles hésitations. Je n'ai emporté de Rome qu'une demi décision et je n'ai pas ici les éléments d'une décision formelle. Voici les motifs qui m'arrêtent.
J'arrive de Louvain où j'ai étudié l'organisation de l'université. Je suis de plus en plus frappé de la nécessité d'avoir des universités catholiques en France, non pas seulement pour la théologie, bien qu'elle doive en être l'âme, mais aussi pour les autres facultés qui conduisent aux carrières civiles. D'un autre côté, j'ai rapporté de là la persuasion que nous n'aurons cela qu'avec le concours de l'épiscopat, sinon de toute la France, au moins d'une province. Rome exigera que les professeurs de théologie soient nommés par l'épiscopat et confirmés à Rome, ou nommés directement par le St-Siège. Tout cela ne pourra pas être l'œuvre d'une congrégation religieuse. Elle pourra tout au plus fournir quelques professeurs.
Quelle sera dans cette création d'universités la part de l'Assomption? Je crois qu'elle aura le mérite de préparer la chose par sa revue, par son activité, par ses essais à Nîmes. Le P. d'Alzon a bien le caractère de boute-en-train et l'esprit d'initiative qu'il faut pour cela. Ils rendront ainsi, je crois, un grand service à l'Église et à la France. Mais leur action pourra n'être que passagère. On marchera ensuite sans eux. Faut-il, pour les aider dans cette préparation et cette mise en train, que je m'engage là pour toute ma vie. Vous savez combien, avec le caractère entraînant du P. d'Alzon et la facilité avec laquelle je me lie, il me sera difficile de quitter Nîmes quand j'y serai allé. Vous savez aussi que c'est plutôt l'œuvre que la congrégation qui m'attire.
Voilà dans quel embarras je me trouve. Je me suis jusqu'à présent fort avancé. J'ai annoncé ici mon départ et j'ai promis au P. d'Alzon de partir vers le 5 octobre pour Nîmes. Il serait encore temps de tout rompre. Qui me donnera une décision? J'attends la vôtre comme celle de Dieu. Peut-être ces troubles sont-ils l'œuvre du démon. Vous y verrez plus clair que moi. Veuillez m'écrire de suite et autant que possible trancher net la question pour que je sorte de ces doutes qui me tourmentent depuis longtemps. Annoncez-moi, si vous le pouvez, votre décision par un télégramme qui me fixera en attendant votre lettre. Je vous tiendrai compte des frais2.
Faites encore entrer en ligne de compte, en dehors de la question des universités, cette considération qu'il serait très bon qu'il y eût en France une congrégation religieuse adonnée à l'étude dans un sens bien romain et formant ses sujets à Rome. Voilà le pour. Le contre est que l'esprit des Assomptionnistes, au moins jusqu'à présent, est plutôt l'action que l'étude. Considérez aussi que le p. d'Alzon est bien décidé à ne nous faire faire que deux mois de noviciat, bien que je suppose qu'il ne nous demanderait pas de faire des vœux avant une année d'épreuve.
Voilà les éléments de la décision.
Je verrai mon évêque le mardi 3 octobre à une bénédiction d'église. Je voudrais avoir avant cela votre réponse par le télégraphe3.
Je ne vous ai parlé que de moi jusqu'ici. Ne croyez pas que je vous oublie. Je suis peiné à la pensée que vous aurez peu d'élèves cette année. Je regrette l'heureux temps où j'étais à Ste-Claire. Quand aurai-je le bonheur de vous revoir?
Dites-moi dans votre réponse si toutes les bonnes raisons que vous me donniez au mois de juin en faveur de mon diocèse étaient sincères ou si elles étaient exagérées pour m'éprouver. S'il en était ainsi, je serais moins éloigné de Nîmes.
Mes respects au P. Brichet et au P. Daum. Mes amitiés à mes condisciples et spécialement à MM. Bernard et Rozerot.
Votre tout dévoué fils en N.S.
L. Dehon, pr.
Qu'est devenu l'abbé Dugas?
1 Pour situer cette lettre et en discerner l'importance, il convient de relire les NHV IX, 58-71, où référence est faite à l'ensemble de la correspondance échangée à cette époque entre Léon Dehon, l'abbé Désaire, le P. Freyd et le P. d'Alzon. Les lettres reçues par l'abbé Dehon sont reproduites parmi les LC. Pour une analyse critique, outre les diverses biographies, on pourra se reporter à St. Deh. n. 9: Chapitre I: «1871 - La grande décision» (pp. 10-30).
2 Le P. Dehon parle en NHV IX, 65 d'un télégramme envoyé au P. Freyd. Sans doute s'agit-il de cette lettre du 25 septembre, à laquelle le P. Freyd répondra, lui, par télégramme, comme il lui était demandé, le 1er octobre: «Votre hésitation est légitime. Vaudrait mieux vous dégager si possible. Réponse partie» (cf. LC 129). Aucune lettre cependant du P. Freyd datée du début d'octobre n'apparaît au dossier. C'est la lettre du 21 octobre (LC 135) dans laquelle «le bon P. Freyd expliquait sa décision» (lettre citée longuement en NHV IX, 67-68).
3 L'abbé Dehon avait reçu l'autorisation de l'évêché pour partir (cf. LC 124, du 8 septembre). Après réception du télégramme du P. Freyd, «j'écrivis, note le P. Dehon, le 3 octobre à Monseigneur Dours que je me mettais à sa disposition». M. Guyart, vicaire général, écrivit le 6 octobre à Mr le Doyen de La Capelle: «Mgr se propose de donner bientôt à M. l'abbé Dehon un poste où il trouvera l'occasion d'exercer son zèle. Jusqu'à cette époque, Sa Grandeur lui accorde très volontiers le pouvoir de prêcher et de confesser non seulement dans l'étendue de votre doyenné, mais dans les paroisses du diocèse où il pourrait se trouver» (AD B21/3.P; Inv. 371.18).
**220.34**
**B.18/11.1.34**
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**A ses parents**
//Vicariat de St-Quentin 20 nov. 1871//
Chers parents,
Je suis content de mes premiers jours à St-Quentin et je suis sûr que je ne m'y déplairai pas. J'ai reçu à la cure et au vicariat le plus aimable accueil. Je m'entendrai fort bien avec Monsieur Gobaille qui est un excellent homme. Je me suis déjà mis à la besogne. Ma part n'est pas trop chargée et il me restera du temps libre pour étudier.
Mon installation sera à peu près terminée demain. Je vais coucher ce soir au vicariat pour la première fois; J'ai logé jusqu'à présent à la cure et je mangeais au vicariat. J'ai déjà une bonne partie de mon mobilier.
Je serai fort bien installé. Mon appartement sera commode et agréable. Ma cheminée va très bien. J'ai complété les acquisitions que j'avais commencées avec papa, et j'ai un peu modifié nos projets. Je fais organiser des porte-manteaux dans le cabinet de débarras que papa a vu. Je me sers de mon armoire pour mes effets et je supprime la commode. L'armoire et la toilette-commode me suffisent. J'ai reporté le prix de la commode sur le bureau et au lieu du bureau mesquin que nous avions choisi, j'en ai un magnifique en chêne sculpté, avec un fauteuil de bureau dans la même genre. Ce bureau de fantaisie ne va pas mal avec le reste du mobilier et plus tard il me servira, avec la bibliothèque qui est à La Capelle, pour avoir tout un bureau meublé en chêne. J'espère que papa approuvera ces changements.
J'ai fait jusqu'à présent peu de visites. Je suis allé seulement aujourd'hui avec Mr Gobaille faire des visites officielles au sous-préfet, au maire et au président de la fabrique. Nous n'avons rencontré que ces deux derniers. Le président de la fabrique est un Mr Désaint, juge d'instruction, qui croit avoir connu papa au collège de St-Quentin. Le maire, M. Mariolle-Pinguet est un riche industriel, très honnête homme et fort aimable.
Soignez tous votre santé et écrivez-moi souvent.
Embrassez pour moi Henri, Laure, Lilie et maman Dehon.
Je vous embrasse de tout coeur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
**220.35**
**B18/11.1.35 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//St-Quentin 25 novembre 71 //
Chers parents,
Je suis ici tout à fait selon vos désirs. Mes confrères sont des hommes de bonne compagnie. La vie commune du vicariat m'est fort agréable. La nourriture y est saine et abondante. Ma chambre, en se meublant, devient commode et presque trop luxueuse. Pour mon mobilier, je suis revenu sur une bonne partie de nos projets. J'avais reçu mon armoire en acajou, elle faisait le plus mauvais effet à côté de mon bureau de chêne. J'ai pris le parti de la changer et de meubler toute la chambre en vieux chêne. La dépense ne sera augmentée que d'une centaine de francs et je n'aurai pas un mobilier boiteux. J'ai déjà le bureau, qui est magnifique, et le fauteuil de bureau. J'aurai pour armoire un meuble semblable à celui que Palustre avait à Paris, avec une porte pleine dans le bas et une porte vitrée dans le haut. Ce meuble ne fera pas double emploi avec celui de La Capelle. Il contiendra mon linge dans le bas et mes curiosités dans le haut. Celui de La Capelle recevra des livres. Je le ferai venir à l'occasion. Il pourra, je crois, tenir ici sans le fronton, que je mettrai de côté en attendant que j'aie un appartement plus élevé. Veuillez mesurer s'il a plus de 2 m. 45 de haut sans le fronton. Mes chaises seront aussi en chêne, forme Louis XIII, légères et commodes. Le guéridon de même. Vous voyez que je fais les choses convenablement comme vous le désirez. Ma chambre à coucher est meublée comme nous étions convenus. Elle est assez commode. Dans mon bureau, les rideaux sont montés et j'ai des sièges provisoires en attendant ceux de chêne, que je n'aurai que la semaine prochaine.
Je ne manque pas encore d'argent, mais il m'en faudra bientôt. Je dépenserai beaucoup moins une fois installé.
J'ai déjà fait bon nombre de visites. Mme Demont vous fait ses compliments. Je reçois partout le plus aimable accueil.
Ma besogne n'est pas lourde. Il y a chaque jour quelque chose à faire mais il me reste bien du temps pour étudier. Pour vous donner une idée de la bonne administration de notre sacristie, je vous envoie un spécimen des billets qui nous préviennent de notre besogne1.
Soignez bien votre santé.
Je vous embrasse de tout cœur. Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
P.S. Je crois avoir laissé la clef de ma pendule dans un baguier, veuillez me l'envoyer par la poste. J'envoie des images aux fillettes pour la Ste Catherine.
1 Sur ces débuts à Saint-Quentin, on pourra relire en NHV IX, 72-90: Premières visites - Installation. - L'église - Règlement et Vie quotidienne.
**219.19**
**B18/10.19 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À Léon Palustre**
//St-Quentin 26 novembre 71 //
Mon bien cher ami,
C'est à St-Quentin que mon évêque m'a casé et voilà dix jours que j'y suis installé. Quelle magnifique collégiale! Comme elle domine bien la ville et comme elle rappelle bien ces siècles de foi où le Christ régnait sur la société et où la maison de Dieu avait le rang qui lui est dû! Te rappelles-tu ces harmonieuses chapelles qui entourent le chœur et auxquelles M. Vitet1 trouve un cachet mauresque, et cette magnifique nef qui me paraît ne le céder qu'à Amiens pour la majesté de ses formes? La collégiale, pour ses réparations et ses embellissements intérieurs, est en très bonnes mains. Le maître des œuvres est Mr Bénard, architecte de la ville, élève de Viollet-le-Duc. On a, dans ces derniers temps restauré l'hôtel de ville que tu reverras avec plaisir. Je compte bien sur toi l'été prochain.
J'ai un excellent curé, homme vénérable et pieux. Je vis en communauté au vicariat où je suis le 7ème vicaire. Nous avons chacun un petit appartement et la table commune. Mes confrères sont des hommes de bonne société et je me trouve heureux de cette vie commune qui m'exempte de m'occuper des soins matériels du ménage. La paroisse a un noyau de fervents chrétiens et toutes les œuvres y prospèrent. Mais il y a à côté de cela une population ouvrière fort travaillée par la propagande révolutionnaire et qui s'est prêtée dernièrement, bien qu'avec peu d'enthousiasme, au banquet gambettiste2.
J'ai pas mal de besogne. Cependant il me reste chaque jour quelques heures à donner à l'étude. J'entretiendrai et je compléterai mes études relatives aux sciences ecclésiastiques avant d'entreprendre un travail de longue haleine comme tu me le conseilles.
Je reprendrai volontiers le Bossuet. Tu peux me l'expédier par la petite vitesse. Dis-moi ce qu'il t'a coûté et je t'enverrai le prix à l'occasion.
Notre petite Amélie est en pleine convalescence après une maladie qui nous a inquiétés. Ma famille est heureuse de m'avoir si près d'elle.
Au revoir, cher ami. Présente mes respects à madame Léon.
Tout à toi en N.S.
L. Dehon, Vicaire à St-Quentin
1 M. Vitet, ami de la famille Dehon, écrivain et académicien (cf. LD 9 et 131).
2 Allusion au discours prononcé par Gambetta à Saint-Quentin, le 16 novembre 1871, à l'occasion du banquet commémoratif de la résistance de la ville contre les Allemands, le 8 octobre 1870; discours-programme sur les objectifs de la gauche républicaine et laïque, qui eut un grand retentissement dans la presse et dans l'opinion (cf. LC 145 et en St. Deh. N. 9 p. 48, note 1, notamment pour son impact sur l'abbé Dehon lui-même).
**220.36**
**B18/11.1.36 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//St-Quentin 2 décembre 71 //
Chers parents,
J'ai reçu exactement votre lettre et son contenu.
Je me suis mis de bon cœur à la besogne et je n'éprouve pas le moindre ennui. J'ai l'espoir de faire ici un peu de bien, c'est tout ce que je désirais. Je vois de près les misères de la société dans les confessions, la visite des malades et des écoles. Je tâche d'apporter quelque remède surtout aux misères morales.
Mon installation est lente, mais je n'en souffre pas. J'ai une armoire et des chaises qui sont encore provisoires. Mes rideaux sont montés avec des patères en chêne et ils font très bon effet. Ils sont verts et la bordure est couleur bois. Mes chaises de chêne seront garnies de velours vert. Mon bureau est plus beau comme forme et comme sculpture que ma bibliothèque elle-même de La Capelle. Je crois que cette bibliothèque tiendra bien ici sans le fronton. Quand je l'aurai, ma chambre sera peut-être un peu trop garnie. Attendez pour me l'envoyer que j'aie reçu tout le reste et que je voie la place dont je puis disposer.
Ma petite chambre à coucher est assez commode. Mes matelas ne sont pas trop larges. Ils sont plutôt un peu courts. Mes deux couvertures me suffisent.
Ma cheminée va bien, mais je trouve que le bois de chauffage coûte cher à St-Quentin. On me le vend 4 francs les 200 kilos.
- Je reprends ma lettre après avoir reçu mon meuble-armoire que Mr Mariolle vient enfin de m'envoyer. Il est tout semblable à celui dans lequel Palustre mettait ses curiosités à la rue Bonaparte. Il ira bien à gauche de ma porte, mais il n'est pas assez large pour le grand panneau de ma chambre. Envoyez-moi donc, si vous le pouvez, ma bibliothèque de La Capelle. Cherchez le moyen de transport le plus commode. Il faudrait seulement, pour emballer tous mes minéraux, avoir soin de mettre chacun d'eux autant que possible avec l'étiquette sur laquelle il est posé.
Je voudrais que tout cela fût fini, afin que je n'aie plus à m'occuper de mon mobilier.
Mr Demiselle a passé ici aujourd'hui en allant prêcher à Ribemont. Il a dîné au Vicariat. Il vous fait ses amitiés.
Je vous embrasse de tout cœur et vous prie d'embrasser pour moi Henri, Laure, maman Dehon et mes nièces.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
**220.37**
**B18/11.1.37 **
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//St-Quentin 13 décembre 1871 //
Bien chers parents,
Les journées se passent vite ici comme partout et elles se ressemblent un peu. Je suis assez occupé, mais pas au point d'en être fatigué. Je me trouve au milieu d'une population bien immorale. Cela n'est pas étonnant. La société n'étant plus religieuse, il n'y a plus de frein pour les passions. Les enfants, riches et pauvres, reçoivent dans leur famille la plus pitoyable éducation. Le plus grand mal est qu'il n'y a comme maison d'éducation pour les riches que le lycée où on ne fait pas des chrétiens. Nous pouvons au milieu de tout cela faire quelque bien, mais nous n'arriverons pas à de grands résultats tant que la société sera organisée comme elle l'est1.
Mon installation matérielle est à peu près terminée. Je suis sûr que vous en serez contents quand vous viendrez me voir. Ma bibliothèque et mes livres sont organisés. Ma chambre est maintenant fort agréable. Mon feu de bois ne chauffait pas assez. J'ai fait monter dans ma cheminée un appareil à brûler du charbon. Par ce moyen, j'ai chaud dans mes deux chambres.
Le régime de la communauté me va très bien. J'espère que ma santé se fortifiera ici. Il nous manque en ce moment le bon papa Genty. Il vient de perdre sa mère, âgée de 96 ans, et il est allé passer quelques jours dans sa famille2.
Nous avons assez souvent à faire ici de petites instructions, mais rarement des sermons solennels. Je parlerai pour la première fois dans la grande chaire le jour de Noël. C'est une belle fête pour débuter.
Au revoir. Remerciez pour moi Marthe de sa gentille lettre. Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
1 Ces réflexions sont longuement dévoloppées en NHV IX, 89-97: Relations, visites - Ouvriers et miséreux - Personnes dévotes - Ministère: malades, catéchisme. Et sur les prédications et instructions de cette première année 1871-1872 en NHV IX, 97-128
2 M. Genty, un des vicaires, personnage pittoresque et sympathique dont on trouve le portrait en NHV IX, 75-77.
**220.38**
**B18/11.1.38 **
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//St-Quentin 26 décembre 71 //
Chers parents,
J'aurai le bonheur d'aller passer bientôt deux ou trois jours avec vous. Je partirai d'ici lundi prochain 1er janvier à midi et j'arriverai le soir à La Capelle par Avesnes. Je reviendrai ici le jeudi.
Je suis maintenant bien installé et tout à mon affaire, et je me plais fort bien à St-Quentin.
J'ai prêché hier à la Collégiale devant un immense auditoire. J'ai fait de mon mieux. Je crois qu'on m'a suffisamment entendu. J'ai eu pas mal de besogne depuis quelques jours pour préparer ce sermon et pour entendre de nombreuses confessions à l'occasion de Noël1.
Je vais dîner aujourd'hui chez Jules Demont. Demain je ferai un petit voyage jusqu'à Reims. Edmond Méret m'a écrit pour m'inviter à aller le voir chez ses parents. C'est facile par le chemin de fer. J'irai passer un demi-jour avec eux2. Jeudi, je dînerai chez madame Robert. Vous voyez que je prends des vacances de Noël. Heureusement, ce sont là quelques journées exceptionnelles. D'ordinaire, je suis plus tranquille et je quitte moins mon intérieur, où je me plais fort bien.
Mon petit appartement est maintenant bien organisé et très agréable. Mes petites curiosités sont arrivées en très bon état, grâce aux soins de Laure, dont je lui suis très reconnaissant.
Je ne vous écris pas plus longuement parce que j'aurai le plaisir de vous voir bientôt et de vous raconter en détail ce que je deviens à Saint-Quentin.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et les enfants.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon, pr.
1 Longue citation de ce sermon en NHV IX, 102-109: «un vrai sermon social» et le jugement porté par le P. Dehon sur cette «mercuriale sur les mœurs de la société et de la ville», qui produisit un effet profond au moins sur une personne…».
2 La famille Méret, une connaissance de La Capelle (cf. NHV I, 11 vº). Jules Demont, mari de Mme Demont-Buffy, cousine germaine de Mme Dehon, qui sera une précieuse collaboratrice de l'abbé Dehon (cf. NHV IX, 93; X, 57; XIV, 62).