**435.15**
**AD B.21 /7a.3**
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**De Mr Boute**
//Hazebrouck 22 janvier 1866//
Mon bien cher ami,
C'est ainsi que je désirerais vous voir commencer les lettres que vous me faites le plaisir de m'adresser. Je vous aime, en effet, comme mon meilleur ami et je suis jaloux de revendiquer auprès de vous le même titre. La véritable amitié ne s'accommode guère de formalités banales; elle veut avoir des allures plus décidées et un sans façon qui lui sied toujours â merveille. Laissons donc de côté le «cher Monsieur» qui peut se donner à l'homme qui nous est le plus indifférent. Voilà qui est bien entendu.
Je suis encore, à mon regret, en retard envers vous. Que voulez-vous? Quand je veux saisir une plume pour vous écrire, voilà qu'on me vient appeler, tantôt pour ceci, tantôt pour cela. Si l'on n'avait pas fait de longue date ample provision de patience, il y aurait parfois puissant motif à déserter le poste où l'on s'est placé par dévouement.
Mais vous êtes sous ce rapport, comme sous tant d'autres d'ailleurs, d'une amabilité si exquise et d'une indulgence si large qu'il y aurait vraiment péché grave â s'impatienter quand on désire vous écrire et que l'on se trouve dans l'impossibilité de le faire.
Vous entrez complètement dans l'esprit qui nous a dirigés dans la pensée de fonder une institution secondaire libre; vous comprenez parfaitement nos intentions et nos vœux, qui sont de laisser après nous une œuvre qui puisse se maintenir et continuer à faire le bien comme nous désirons le faire nous-mêmes. Ce n'est plus une œuvre transitoire, qui s'attache à une ou deux personnes et suit leur condition, mais une œuvre solide et durable pour le plus grand avantage de la ville et de la contrée, qui nous sont toujours très sympathiques. Après nous avoir éprouvés quelque moment, Dieu nous protège visiblement et nous procure de bien douces consolations. Jamais nous. n'avons eu d'élèves plus souples, plus soumis, animés d'un meilleur esprit; ils semblent sentir par instinct qu'ils n'appartiennent plus à l'université et qu'ils respirent dans une autre atmosphère. Que Dieu en soit béni, pour la plus grande gloire de son nom! Puisse-t-il m'être donné un jour d'aller où vous êtes et de solliciter du Vicaire de J.C., auquel vous touchez d'aussi près, sa bénédiction sur notre œuvre! Je la recommande toujours à vos bonnes prières et saintes assistances au divin sacrifice. Nous sommes assez reconnaissants pour attribuer à l'efficacité des prières des âmes ferventes l'ouverture de notre maison et la position où elle se trouve à l'heure où nous sommes. Que le Seigneur daigne nous continuer son salutaire et puissant appui!
Que je suis heureux, mon cher ami, de vous savoir aussi satisfait de votre nouvelle position! Henri, votre frère me l'a écrit lui-même à la nouvelle année, ce qui fait bien plaisir à vos parents, et ne pouvant, pour le moment, lui répondre autrement que par l'envoi de ma carte, je lui ai cecrit au dos, avec quelques autres distiques écrits au courant de ma plume, celui-ci qui vous concerne:
«Felix sorte nova, frater modo scripsit ab Urbe, Corpore, mente valet, vosque valere cupit»1.
Voilà un distique que je ne pensais guère envoyer à Rome quand je l'écrivais pour votre frère; puisqu'il a été fait à votre sujet, agréez-le pour ce qu'il vaut. Monsieur le Principal n'est point si chatouilleux que l'on pouvait le supposer. Il reçoit et recevra toujours avec infiniment de plaisir un souvenir de ses anciens élèves, et particulièrement de vous; car il vous affectionne d'une manière toute exceptionnelle; il s'intéresse à vos études, à votre avenir, et conçoit de vous les plus belles espérances. Vous êtes comme l'enfant de son cœur et il ne parle jamais d'un autre comme il parle de vous-même. Vous n'avez donc pas besoin d'excuse auprès de lui; vous lui ferez toujours un bien grand plaisir de lui écrire quelques mots, lorsque vos études vous laisseront un peu de relâche. Il comprend très bien que vous n'avez pas de temps à perdre à entretenir des correspondances de droite ou de gauche, et me charge de vous dire qu'il est toujours animé des mêmes sentiments pour vous que par le passé. Ne vous gênez donc pas; seulement, plus tôt ou plus tard, quand vous aurez quelques minutes de loisir, écrivez-lui deux mots; ceci vient de moi seul. Vos parents vont bien; la petite Marthe, comme vous savez, «incipit cognoscere matrem, nunc visu, mox verbo»2.
Le brave père Lacroix est toujours aussi votre bon ami, sensible et affectueux; il vous offre ses souhaits, comme je le fais moi-même avant de fermer ma lettre; il est 9 h du soir, il est temps de réciter mes matines. Rien de nouveau ici, si ce n'est que Mr Devalder, notre doyen, est mort depuis bientôt un an.
Votre ami
Boute Ptre
1 «Heureux de son nouveaun sort, votre frère vient de m'écrire de Rome. De corps et d'esprit il se porte bien et vous en souhaite autant».
2 «Elle commence à reconnaître sa mère, de vue pour le moment, mais bientôt par la parole».