**158.06** **AD B.17/6.12.6** Ms autogr. 4 p. (21 x 13) **De Mr Demiselle** //Soissons 26 X////bre//// 1866// Mon cher Abbé, C'est sans doute le nom que vous portez depuis quelques jours. Je vous en félicite de grand coeur. Vous avez choisi la meilleure part qui ne vous sera ravie par personne. L'attrait que vous rencontrez dans l'étude de la théologie me prouve que vous l'étu­diez comme il faut, c'est-à-dire avec application et avec foi, ce qui vous y fait trouver tout à la fois la nourriture de l'esprit et celle du coeur. Et puis, la manière dont elle vous est enseignée, cette manière large et élevée, ôte à la forme scolastique ce qu'elle aurait sans cela de sec et d'étriqué; et c'est là trop souvent ce qui, dans nos séminai­res, rebute les élèves et rétrécit leurs idées en desséchant leur coeur; tandis qu'en réa­lité, la théologie est la plus grande et la plus belle poésie. Je suis très heureux de savoir qu'en cas de dispersion des PP. Jésuites, vos études ne seraient pas interrompues. Nous ne voyons pas encore assez clair dans la marche des affaires pour savoir si nous devons nous livrer à l'espoir ou à la crainte. C'est de Dieu seul que nous devons tout at­tendre. Le bon vouloir des hommes est incertain; trop souvent il est impuissant. Je croyais Mr Lecomte à Rome; ainsi me l'avait dit le Cardinal Gousset, chez qui je passais quelques jours dans le courant de novembre. Vous savez sans doute déjà que nous venons de le perdre: il a été enlevé dans l'espace de 26 heures d'une congestion pulmonaire. Je dois aller samedi 29 avec Monseigneur notre Eveque assister à ses fu­nérailles. Il y aura 27 ans en septembre prochain, j'assistais à son installation. C'est une grande perte pour l'Eglise de France tout entière. Je suis sûr que le St-Père en sera vivement affecté1. Je suis très heureux que vous ayez vu Mgr Dupanloup et qu'il ait approuvé votre séjour à Rome. Nous venons de voir paraître de lui une nouvelle brochure très re­marquable: «L'Athéisme et le péril social». Elle a coincidé avec «Les odeurs de Paris» de L. Veuillot et obtenu le même succès. Mais je ne crois pas que la mauvaise presse perde pour cela beaucoup de sa vogue. C'est déplorable ce débordement de doctrines insensées et ce dévergondage de systèmes où l'odieux le dispute à l'absurde2. Pauvre France, où on te mène! A côté de cela, les choses les plus consolantes, les oeuvres les plus admirables, l'enseignement religieux, à Paris en particulier, recueilli par des masses avides de vérité. je me suis trouvé à N. D. de Paris le 1 ° dimanche de l'Avent pour entendre le p. Hyacinthe. C'est inouï la foule qui se presse autour de sa chaire. Espérons que Dieu nous fera miséricorde, en faveur de tout le bien qui se fait encore dans notre pays3. Mr Peronne (?), qui vous envoie son bon souvenir, vous prie de débourser ce qui sera nécessaire pour obtenir les pouvoirs qu'il a demandés. Nous sommes toujours ici au grand calme. Notre petite ville a toujours été fort paisible, ne se passionnant ni pour le mal, ni pour le bien. Mgr vous envoie bien volontiers sa bénédiction. Vous le verrez sans doute au mois de juin prochain. Il m'a déjà demandé de l'accompagner. je ne me suis pas encore en­gagé. je crains la chaleur4. je suis bien à vous de coeur. Demiselle Mes respects à Mr le Supérieur. Ma soeur vous envoie ses compliments affectueux. 1 Le Cardinal Gousset, archevêque de Reims, décédé le 22 décembre 1866. Fervent promoteur des études ecclésiastiques, propagateur du dogme de l'Immaculée Conception, défenseur du pouvoir temporel du Pape. Fidèle au pouvoir impérial, il était sénateur depuis 1852. Léon Dehon avait voulu le voir en se rendant à Rome (cf LD 30 note 2). 2 A Mgr Dupanloup, Léon Dehon avait rendu visite en octobre (cf LD 56). 3 Le P. Hyacinthe Loyson (1827-1912), carme, célèbre prédicateur de Notre-Dame à Paris (1865). Fort opposé au Concile du Vatican, il quitta l'Eglise et se maria en 1872. Il fonda une Eglise libérale à Genève, puis à Paris une Eglise gallicane. 4 A l'occasion des fêtes du centenaire des Apôtres en juin.