**181.04**
**AD B.17/6.34.4**
Ms autogr. 5 p. (21 x 13)
**De Louis Perreau**
//20 septembre - Treport - 69////1//
Mon cher ami,
Vous voici au moment du départ. Que le Bon Dieu vous accompagne dans votre année nouvelle. Qu'il vous rende le bien que vous m'avez fait en venant ici. Qu'il vous conserve et accroisse en vous l'amour, la simplicité, l'humilité.
Voilà ce que vous souhaite votre ami: c'est là tout, le reste est poussière. Oh! que de fois nous nous le sommes dit de vive voix! Eh bien! il n'y a pas de mal à nous l'écrire encore, jusqu'à ce que, vraie poussière en nos pauvres corps, nos âmes soient unies dans la félicité céleste. La douce espérance de ce jour éternel sera peut-être la seule qui nous unira en ce monde. Je commence à douter de mon voyage à Rome. Bien que je sois mieux, ma santé laisse encore bien à désirer, et voici bientôt la fin de ma saison de bains. Priez pour que je me résigne, j'ai grand besoin que vous me souteniez pour que je ne dissipe pas les jours de maladie: si vous saviez combien je suis autre que je ne parais, vous prieriez beaucoup pour moi.
Nous avons eu de bien gros orages. Les pauvres marins ont été éprouvés: ils ont montré leur foi dans le danger; au retour, les uns ont fait célébrer une messe, il en est d'autres qui ont fait quelque pèlerinage pieds nus. On est si anéanti devant Dieu au milieu de la tempête: nous osons nous grossir, nous autres, quand nous sommes aux rayons d'un soleil paisible.
Adieu, bien cher ami. C'est dans le Tres Saint Cœur de Marie que je suis vôtre.
Abbé L. Perreau
//21 septembre.//
Ma lettre est encore là. J'y joindrai donc un mot. Ce sera la devise du P. Poiblanc; je viens de recevoir une lettre de lui et il me la répète: «Soyons saints». Oh! quelle grande parole! Penser que nous pouvons être des saints. Mais il faut de la peine, en pratique, peine que l'amour transforme. Il me semble que les saints avaient plutôt les yeux sur le divin modèle que sur les exemples qui les entouraient. Mais surtout, ils s'oubliaient: si on se croit plus saint que les autres, malheur! malheur! tout est perdu.
Soyez saints et parfaits comme mon Père Céleste est parfait. Quel horizon! Le divin Maître vient à nous pour nous y conduire; priez pour que vous me trouviez au terme. Je m'arrête souvent en route. J'entrevois quelquefois, mon cher ami, qu'il serait plus facile peut-être de faire les choses sans restriction qu'à moitié. On voit devant soi souvent deux routes, la route banale et la route de la perfection: la route banale est large, on s'y laisse entraîner, elle n'a pas le dard du remords, mais elle a bien des tristesses. Sursum corda! Pardonnez-moi ma lettre. Prions, car nous mourrons.
Nous mourrons! on le dit avec tristesse quand on est dans la voie trop large. Vous rappelez-vous le St François d'Assise qui est suspendu dans l'escalier du Séminaire: il est mort déjà, lui.
Je vous embrasse in Christo
Louis Perreau
Le P. Poiblanc est vicaire à Semur (4 mille habitants); il pense n'aller à son poste qu'une semaine avant la Toussaint. Thellier ira à Rome avec son frère. Je voudrais bien qu'il vit le p. Supérieur au moins une fois tout seul.
1 Lettre reproduite en NHV VI, 166-168.
L'abbe Perreau devait mourir quelques mois plus tard; cf LC 68 de sa mère à Léon Dehon (31 mai 1870).