**158.16** **AD B.17/6.12.16** Ms autogr. 4 p. (21 x 13) **De Mr Demiselle** //Soissons 2 octobre 1870// Bien cher ami, Votre lettre m'arrive aujourd'hui 2 courant. J'essaie une réponse. Quels évène­ments depuis deux mois! Leur éloquence instruira-t-elle le pays et lui apprendra-t-elle que pour former des hommes sérieux, il faut une éducation avivée par des principes? Qui ne voit que ce sont les hommes sérieux qui nous manquent? Ah! si la France avait su rester la grande nation catholique, elle n'en serait pas la. Et si aujourd'hui, elle savait reprendre franchement sa noble mission sous le rapport religieux, elle se reverrait bientôt à la tête de l'Europe. Ses accointances avec tous les rationalismes et avec la révolution, qui n'est que la mise en action de tous ces principes délétères, voi­là ce qui nous a perdus. Je suis parti pour l'enterrement de M. le Curé de Dorengt au commencement de ce mois. Mais je n'ai pas dépassé Laon. Le convoi d'artilleurs sur lequel on m'avait per­mis de prendre passage, fut arrêté à Laon par une dépêche et je fus très heureux de trouver une voiture qui retournait à Soissons. Je n'ai pas vu Mgr depuis son retour de Rome, si ce n'est à la visite officielle du Chapitre. Sa conduite, ou plutôt son abstention a la dernière session, maintenant son mutisme depuis sa rentrée, me serrent tellement le cœur que je ne puis me décider à le voir. Presque personne de nous ne le visite1. Il paraît atterré depuis que nous sommes sous le coup d'un siège. Depuis l'Assomption, pas un mot n'est tombé de la chaire de la cathédrale pour encourager et instruire les fidèles qui, du reste, se mon­trent de moins en moins à l'église aux jours d'obligation. Par contre, chaque soir, on en voit un certain nombre au Salut qui se dit depuis le 15 août. Je ne vois pas que ce peuple comprenne rien aux événements. J'ai vu beaucoup de nos mobiles de la Thiérache. On avait pensé à organiser quelque chose en leur fa­veur; mais cela n'a pas pu aboutir. On en voit toujours un certain nombre à l'église; mais bien plus au cabaret. Je parlerai, à l'occasion, de vos enfans2. Mais je crois qu'il ne pourra rien être fait dans les circonstances présentes. Les deux séminaires sont remplis de soldats. Les re­venus qui alimentent les bourses vont être taris pour quelque temps. Toutefois, je ne perdrai pas de vue ces chers enfants. Je suis indisposé depuis deux jours; c'est une af­faire intestinale qui cédera, je l'espère, à la diète et au repos. L'occupation de Rome par les Italiens est un fait accompli; et Pie IX reste au Vati­can, ce dont je suis enchanté. Ils vont l'entourer de toutes sortes de prévenances; ils se poseront comme ne faisant que remplacer la France. Du reste, l'esprit chrétien, qui domine encore dans la masse des Italiens, les obligera à des ménagements. Et puis, le bras qui soutient l'Eglise est là. Il s'est montré assez puissant jusqu'à présent. Notre situation est toujours la même. Sans être absolument investis, nous avons toujours l'ennemi sur la rive gauche. Le canon de la place gronde toujours à différen­tes heures du jour et de la nuit. On finit par s'y accoutumer3. Mille choses affectueuses de ma part et de celle de ma sœur à toute votre famille. Tout à vous en N. S. Demiselle Je n'ai pas d'autre papier que les feuilles détachées sur lesquelles je vous réponds. Tout chez moi est bouleversé. Il a fallu soustraire aux chances d'incendie, en cas de bombardement, meubles, bureau, etc... 1 Mgr Dours s'était abstenu lors du vote sur l'infaillibilité pontificale le 18 juillet. 2 «J'avais commencé dès le mois d'août, note le p. Dehon, à donner quelques leçons de latin à plusieurs enfants qui étaient au petit séminaire ou qui aspiraient à y entrer. J'ai continué jusqu'au mois de mars. J'avais quatre élèves qui venaient chaque jour chez moi, deux sont arrivés au sacerdoce. J'ai toujours eu ce zèle de multiplier les vocations...» (NHV VIII, 175). 3 Soissons devait capituler le 18 octobre.