**217.06**
**B18/9.1.6 **
Ms. autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses perents**
//Spalato 1////er//// octobre 1864 //
Chers parents,
Je ne puis attendre jusqu'à Corfù pour vous écrire, parce que nous n'y arriverons que vendredi1: les bateaux vont lentement et s'arrêtent à tous les ports de la côte. En compensation de ces retards, nous avons l'avantage d'observer à l'aise les mœurs originales et les coutumes pittoresques de la Dalmatie. Sous ce rapport, nous sommes déjà en pays oriental; les turbans et vêtements brodés des hommes, les manteaux antiques et diadèmes blancs des femmes n'ont rien de moins intéressant que l'Arabie et l'Égypte. Nous sommes au seul moment de l'année où ces peuplades aient quelque activité: c'est l'époque de la vendange. Hommes et femmes sont couverts de lie, occupés les uns à cueillir leurs excellents raisins, les autres à le presser avec les pieds dans des cuves sur les bords de leurs champs, les autres enfin à le conduire en ville pour le vendre de suite, à dos l'âne, dans des outres de peau de chèvre et de bouc.
L'art sur ces côtes n'a pas moins d'intérêt que les mœurs. À Pola, à la pointe de l'Istrie, au fond d'une baie gracieuse mais aride, un immense amphithéâtre lutte de proportions avec les arsenaux et établissements maritimes que l'Autriche vient d'y créer. Ses portes et ses temples permettent d'y suivre les diverses phases de l'architecture romaine.
Zara, la capitale de la Dalmatie2, a d'intéressantes églises du moyen-âge et quelques restes romains.
Ici3, une partie de la ville occupe les débris de l'immense palais de Dioclétien dont vous avez la description et les dessins dans un in-folio qui est dans le bas de mon armoire. Près de Spalato, l'antique Salone est complètement ruinée; cependant les murailles cyclopéennes et le plan de ses fortifications, les premières où l'on ait inventé le bastion, sont encore intéressants.
Demain, nous partirons pour Raguse, Antivari, Durazzo et Corfù. J'ai hâte d'y arriver pour trouver des nouvelles de La Capelle.
Le seul lieu que je puisse vous désigner pour me répondre est encore Athènes, quoique je ne sache pas au juste quand nous y serons.
Je crois que la caisse que vous avez reçue était bien du poids de 17 livres; elle était remplie en partie par du foin4.
Je vous recommande de planter avec soin les oignons de tulipe de Harlem qui sont dans une petite armoire basse à la porte qui va de la chambre d'ami à mon bureau. Il faut les mettre dans un mélange de sable et d'engrais de vache, et noter le nom de chacune tel qu'il est sur l'enveloppe.
Palustre se rappelle à votre souvenir et vous présente ses respects.
J'espère trouver à Corfù des renseignements détaillés sur l'installation d'Henri5. J'aime beaucoup que vous m'écriviez tous les deux, et pour qu'Henri et Laure m'écrivent aussi, je leur adresserai ma prochaine lettre.
Embrassez-les pour moi. Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Du 27 septembre au 1er octobre: de Trieste (23-27 sept.; avec excursions à Adelsberg et Miramar) à Spalato (Split) par mer, avec escale à Pola (Pula) 28-29 sept.; à Zara, le 30 sept.; aux ruines de Salone et Split (le 1er oct.). En VO III, pp. 44-89; NHV II, 104-107 et III, 1-5. Ils arriveront, en effet, le vendredi 7 à Corfù (cf. LD 7 note 1).
2 Capitale de la Dalmatie en 1864, rattachée à l'Autriche en 1813.
3 À Spalato (Split) capitale de l'antique Illyrie.
4 Cf. LD 3 (post-scriptum).
5 Son installation en raison de son mariage (en mai 1864). Ce sera la lettre d'Argos (LD 8).