**217.09** **B18/9.1.9 ** Ms autogr. 4 p. (21 x 13) **À ses parents** //Patras 7 novembre 64 // Chers parents, J'ai reçu avec bonheur la lettre de papa: j'avais hâte depuis quelques jours d'arriver à Patras pour l'y trouver et j'ai même pour cela fait supprimer une journée d'excursion1. Je suis heureux d'apprendre que la santé de ma chère mère est meilleure: elle n'a pas à s'inquiéter de la mienne qui est parfaite; nous avons terminé notre tournée du Péloponnèse en 21 jours2; nous avions, il est vrai, huit ou dix heures de cheval tous les jours et le soir de mauvais lits avec d'innombrables bataillons de puces, mais notre nourriture est bonne: nous faisons tous les jours trois repas confortables avec de la viande et du vin; le soir nous avons un potage, deux plats de viande, entremets et dessert; nous ne maigrissons pas, et douze heures de sommeil ici dans un bon hôtel nous ont tout à fait remis. Nous n'avons eu à décompter3 dans ce voyage que pour les monuments antiques qui sont clairsemés; mais la nature, les mœurs et avant tout la géographie ancienne ont un grand intérêt. Nous allons d'ici monter au Parnasse, visiter Delphes, Thèbes et d'autres villes, étudier les batailles des Thermopyles et de Marathon, puis rentrer à Athènes dans quinze jours. Nous irons voir ensuite dans les Cyclades Paros et Délos, puis nous embarquerons pour Alexandrie d'Égypte où nous espérons arriver dans un mois. Si nous allions de suite à Suez, ce sera vers le quinze décembre, mais il est plus probable que nous ferons d'abord la tournée du Nil et alors nous ne serons à l'Isthme que six semaines plus tard. Nous visitons avec soin et de la façon la plus instructive, et tous les soirs, nous consignons nos impressions: nous aurons ainsi toute l'Antiquité. Quant à l'argent que vous avez reçu, il faudra vous occuper de suite, probablement par l'entremise de Carrière, de prendre chez M. Flury-Hérard (rue St-Honoré n. 372 à Paris), banquier des consulats, une lettre de crédit au nom de Léon Palustre, sur toutes les villes où nous avons des consuls en Orient, pour la somme de quatorze mille francs. Vous nous adresserez cette lettre à Alexandrie en Égypte, poste restante. Il suffit qu'elle y arrive du 1er au 5 décembre. Si quelqu'un de vous va à Paris, vous prendrez sur l'argent qui vous restera pour payer au concierge de Palustre 175 francs pour le terme échu au 1er octobre et 50 francs pour renouveler son abonnement à La Revue des Deux-Mondes, rue St-Benoît: vous pourrez prier Siméon4 de faire cette dernière course. J'espère trouver à Athènes une lettre de maman: il y a un mois que je n'en ai reçu; elle peut m'y écrire encore, car nous n'en partirons que dans vingt jours au plus tôt. J'écrirai de cette ville à M. Vitet et probablement à mon oncle Dehon5. J'attends aussi qu'Henri me félicite d'aller tant à cheval. Ma tante Juliette6 aurait préféré me voir faire ce voyage plus tard: dites-lui qu'elle avait tort; c'est un voyage de jeunes gens; si j'avais fait d'abord mes études théologiques, j'y aurais renoncé, et pourtant il est essentiel. Il me profitera beaucoup, j'en suis sûr, et vous devez en être heureux. Je retournerai probablement par Rome pour décider de la direction de mes études7. Embrassez pour moi toute la famille et surtout Henri et Laure et la pauvre Aline du Nouvion8. Je vous embrasse de tout cœur. Votre dévoué fils L. Dehon 1 Du 22 octobre au 7 novembre, une bonne quinzaine bien chargée, en effet: du 22 au 24, d'Argos à Sparte par l'Arcadie (Mantinée, Tripolitza, le Taygète et la vallée de l'Eurotas), puis du 25 oct. au 6 nov., de Sparte à Patras, en un long périple de l'ouest du Péloponnèse, jalonné de tous les noms célèbres de l'histoire grecque ancienne, médiévale et moderne. «Tous les soirs, nous consignons nos impressions, écrit-il plus loin; nous aurons ainsi toute l'antiquité». En VO IV, 45-68; NHV III, 30-43. Aucune mention, semble-t-il, dans le VO, de cette journée supprimée. 2 Du 17 oct. au 7 novembre. 3 Au sens de «déchanter, être déçu», comme on dit: «éprouver un décompte» (ou un mécompte). 4 Cf. LD 4 note 3. 5 Louis Vitet (1802-1873): homme politique, écrivain et historien, académicien en 1845. Retiré à La Capelle et ami de la famille Dehon. Les NHV mentionnent son nom en II, 70 vº; IV, 100,165; VI, 132,165,166; IX, 142; XIV, 171. Léon l'avait consulté sur son voyage, vivement encouragé par M. Vitet. Il aimera à en parler avec lui. «L'oncle Dehon»: la généalogie Dehon mentionne 3 oncles paternels Dehon: Joseph-Hippolyte, brasseur à Vervins, qui avait épousé une Vandelet, sœur aînée de la mère de Léon (selon LD 28 ils habitaient Paris, quartier de Montmartre, avec leur fille Marie); Édouard-Gustave, époux de Dorothée Dehon (sans doute quelque cousine) et qui avait été le parrain de Léon; Alfred, enfin, dont il sera question en LD 16. C'est généralement le premier qui est désigné par «l'oncle Dehon». 6 La «tante Juliette-Augustine Vandelet, épouse Penant, tante maternelle et marraine de Léon. 7 Peut-être n'avait-il pas encore fait part à son père de cette intention au départ. 8 Marie-Aline Née, fille de Louis-Charles Longuet et de Juliette-Mathilde (née Vandelet), sa tante maternelle; donc une cousine germaine de Léon (sœur de Laure, femme d'Henri). Elle avait épousé en premières noces Gaston Née et en secondes noces Ernest Lavisse, l'historien célèbre et académicien, né au Nouvion-en-Thiérache, lieu d'origine de la famille Vandelet, en 1842. Le malheur de la «pauvre Aline» est sans doute quelque deuil (enfant ou son premier mari). Le P. Dehon rencontrera souvent E. Lavisse et assistera à sa réception à l'Académie (cf. NQT VI/1893, 24 rº/vº: mars 1893).