**217.28**
**B18/9.1.28 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 25 juin 1865 //
Chers parents,
De Florence à Rome je ne me suis arrêté que quelques heures à Lucques et à Pise, pour visiter quelques monuments célèbres, tels que la tour penchée, le Campo santo, les deux cathédrales. Mardi matin j'entrais ici tremblant d'une émotion involontaire entre ces collines qui réunirent les accroissements successifs de la ville. Ces cirques où des millions de martyrs furent la proie des bêtes fauves, ces basiliques qu'élevèrent les empereurs convertis, ce forum où parla Cicéron et où se discutaient les affaires du monde, tout cela ne se trouve qu'à Rome: chaque pas y évoque un souvenir et tout le sol en est vénérable. On veut lui donner des manufactures et un roi et la Rome noble et sainte deviendrait une ville roturière comme Birmingham ou Liverpool. Il suffit de voir Rome pour déclarer cela impossible1.
Le Saint-Père assistait hier à la messe solennelle à St-Jean de Latran. Jeudi prochain, il officiera à St-Pierre. Je partirai après les fêtes, probablement le 1er juillet, mais je ne sais pas encore par quelle voie.
J'espère obtenir une audience du Saint-Père; j'en ai fait la demande2. J'ai pris déjà bien des informations sur le but de mon voyage et la conclusion générale est qu'il faut commencer par St-Sulpice pour un an ou trois ans suivant les circonstances, et finir à Rome pour compléter cinq années3.
J'ai trouvé mon vêtement en très bon état, avec votre lettre du 7 juin et aujourd'hui j'ai reçu celle du 16. En réponse à celle-ci vous m'écrirez à Paris. J'ai le plus grand désir de mettre fin à notre longue séparation, cependant je ne pourrai arriver à Lyon que le 6 ou 7; c'est-à-dire que je serai à Paris au plus tard le 10 et à La Capelle le 11 ou le 12. Je ne compte que quelques heures d'arrêt à Gênes, à Turin et à Orléans.
J'écrirai sous peu à ma tante Dehon et à Marie pour les engager à m'accompagner à La Capelle4. J'ignore pourquoi ils n'ont pas eu l'amabilité de répondre à ma première lettre. La poste a sans doute encore retenu cette réponse.
D'Orléans seulement je vous indiquerai le jour précis de mon retour; écrivez-moi à Paris pour me dire quel train ou quelle diligence il faut que je prenne. J'espère vous trouver au Nouvion, mais je ne veux pas vous imposer la fatigue d'aller jusqu'à Landrecies.
Embrassez pour moi Laure et Henri; ils ont sans doute plus de temps que moi. Ils seraient bien aimables de ne pas compter mes lettres et de m'écrire plus souvent.
Embrassez aussi pour moi maman Dehon et ne m'oubliez pas près de Mme Fiévet: j'ai prié pour elle aujourd'hui dans le sanctuaire qu'habita Ste Cécile, sa patronne5.
Je vous serre dans mes bras.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Calendrier probable: de Vienne à Florence avec arrêt à Salzbourg et Innsbrück (10-14 juin); visite de Florence (14-17 juin); de Florence à Rome avec arrêt à Lucques et Pise (18-19 juin); séjour à Rome du 20 au 30 juin. Sur ce premier séjour à Rome cf. NHV IV, 96-100. On note dans cette lettre l'expression spontanée d'une émotion juvénile que confirmera et développera l'expérience ultérieure: «Mardi dernier j'entrais ici en tremblant d'une émotion involontaire…», celle de l'humaniste et celle du croyant.
2 Cette audience extraordinaire, il l'a obtenue grâce à la lettre de recommandation de Mgr Dupanloup (cf. LD 11 (note 1) et NHV IV, 97, 98). C'est aussi sur la recommandation de Mgr Dupanloup qu'il fut introduit auprès des personnalités citées en NHV: des relations qu'il saura cultiver pendant son séminaire.
3 À ce premier projet répondait sans doute la phrase de la troisième petite lettre (non datée mais au plus tard de 1865 pendant le voyage d'Orient) de Mgr Dupanloup: «Je goûte beaucoup d'ailleurs votre pensée d'entrer à St-Sulpice et pour les graves motifs que vous m'en donnez. Mais du reste, nous causerons de cela à fond à votre retour» (AD B17/6.18.3; Inv. 164.03). En fait, la conclusion finale fut de tout faire à Rome, sur le conseil de Mr d'Hulst, alors étudiant et futur recteur de l'Institut Catholique de Paris, et surtout de Pie IX lui-même: «Sa décision était conforme à mes attraits» (NHV IV, 98). Sera-t-il encore passé ensuite à Orléans, chez Mgr Dupanloup qui conseillait Saint-Sulpice (cf. LD 25 note 4)? Aucune trace n'est restée de cette visite.
4 Des deux tantes Dehon - Sophie-Éléonore (Vandelet, épouse de Joseph-Hippolyte Dehon) et Dorothée Dehon épouse d'Édouard-Gustave Dehon - sans doute s'agit-il de la première qui, selon la généalogie, avait une fille Marie et habitait Paris.
5 Mme Fiévet cf. LD 18.