**218.04**
**B18/9.2.4 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 3 novembre 1865 //
Chers parents,
Je vous écris à tous deux parce que je suppose que papa est déjà de retour de son voyage en Champagne. J'ai reçu exactement votre lettre datée du 25, et moi-même je vous ai écrit le 26, jour de la rentrée. Nous avons commencé l'année par une retraite de cinq jours: c'était le P. Rubillon, assistant du Général des Jésuites, qui nous prêchait. Depuis deux jours nous sommes en congé. Avant-hier, le Saint-Père officiait à la chapelle Sixtine. Nous y avons assisté et mon nouveau vêtement a été ainsi béni par le Saint-Père le premier jour où je le portais1.
Hier nous avons eu sortie libre toute la journée; j'en ai profité pour faire quelques visites. J'ai vu notamment Mgr de Mérode. Il m'a reçu avec beaucoup de bienveillance, très simplement et très amicalement, et il m'a engagé à le voir de temps en temps. Il m'a parlé de notre pays et de son activité industrielle; il se souvient du nom de mon grand-père qu'il a vu sur les grandes messageries de Valenciennes. C'est bien un grand blond, comme on me l'avait dit; il a les yeux de travers2.
J'ai vu aussi Mr Schnets, directeur de l'académie de France, avec la recommandation de Mr de Caffarelli3. Il est très âgé et fort aimable. Nous avons surtout causé de l'Orient.
Je vous ai raconté mon installation dans ma dernière lettre; elle est aujourd'hui complète. Cette vie paisible et réglée, bien qu'active, est précisément ce qu'il me fallait. J'y suis heureux et joyeux de m'y préparer par l'étude et la prière à rendre quelques services à l'Église. Ne croyez pas que je vous le dise pour vous satisfaire; c'est du plus profond de mon cœur. Dieu m'a appelé ici pour m'y donner le bonheur.
C'est aujourd'hui la messe du St-Esprit et l'ouverture des cours au Collège romain. Tous les élèves sont rentrés et beaucoup ont fait huit jours de quarantaine. J'ai trouvé ici cinq jeunes avocats du cercle, qui sont nouveaux comme moi et que j'avais connus à Paris. Nous sommes 70 de toutes les parties de la France. La vie est très bien réglée: nous faisons trois repas et de plus un goûter après la promenade, qui est d'une heure tous les jours et de trois heures les jeudis, les dimanches et les fêtes. Pendant ces courses nous visitons Rome et les environs. Vous voyez que nous sommes loin d'être enfermés; nous allons en outre deux fois par jour au Collège romain. Je crois que ma santé se fortifiera encore avec ce régime réglé qui me convient très bien. Nos supérieurs sont pour nous de bons pères. Enfin je n'ai à regretter ici que vous, que j'aime de plus en plus en reconnaissant les immenses sacrifices que vous faites pour moi et que je vous impose, les uns pour mon bien-être et les autres pour suivre la volonté de Dieu.
Je vous embrasse de tout cœur et vous prie d'embrasser pour moi Laure, Henri, Marthe et maman Dehon. Mes compliments à Mme Fiévet. Je prierai et communierai pour madame Borgnon4.
Votre dévoué fils
L. Dehon
Il est probable que je verrai Mgr Dupanloup ici dans le courant de l'année, pour les grandes fêtes du mois de juin5. Je vous envoie la photographie de mes favoris que j'ai coupés depuis. Je vous écrirai dans dix jours.
1 De cette retraite les NHV reproduisent le résumé qu'en a fait Léon Dehon (NHV IV, 124-138), avec cette conclusion: «Je m'étais donné de tout cœur à cette retraite…; jamais je ne devais éprouver des impressions plus profondes. Ce fut là la base de ma vie de séminariste.» Le jour de la Toussaint donc, Léon revêt la soutane (cf. NHV IV, 138). Son père, on le verra, mettra quelque temps à consentir à le voir ainsi revêtu pendant les vacances à La Capelle.
2 Le grand-père, Hippolyte-Louis Dehon était maître de poste à La Capelle. Il était mort en 1862. Sa femme, Henriette-Esther Gricourt, «maman Dehon», habitait chez les parents Dehon, son fils Jules-Alexandre, père de Léon… Sur Mgr de Mérode cf. LD 31 (note 5) et LD 32 (note 4).
3 Le comte de Caffarelli (Eugène-Auguste, 1806-1878), conseiller général de l'Aisne pour le canton de La Capelle, fut l'un des «bons amis et vrais mentors qui approuvèrent le voyage d'Orient» (cf. NHV II, 70 vº). Il participera au Congrès diocésain de Saint-Quentin (octobre 1875; NHV XII, 48) et sera l'un des bienfaiteurs du patronage fondé par l'abbé Dehon (NHV XII, 105).
4 Mme Fiévet et Mme Borgnon, des connaissances de La Capelle; la seconde selon LD 21 était malade. Pour la famille Fiévet cf. LD 11, LD 18 et LC 11 et 15.
5 Sur les relations de Léon Dehon avec Mgr Dupanloup cf. LD 4, 11, 26, 28 (notes 2 et 3); LC 9 et 11.