**218.12**
**B18/9.2.12 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 3 février 1866 //
Chers parents,
J'ai reçu aujourd'hui votre lettre. À Rome nous sommes en fête: c'est l'ouverture du carnaval. Les administrateurs de la ville en costumes princiers et dans leurs carrosses dorés ont parcouru la grande rue du Corso toute ornée de tentures. Après cela les réjouissances ont commencé. À Rome tout le monde y prend part, excepté les ecclésiastiques bien entendu. Il n'y a pas de costumes bizarres ni de masques sur la figure, mais de simples dominos qui ont surtout pour but de préserver des dragées enfarinées que l'on se jette. Les voitures du monde élégant qui parcourent le Corso reçoivent des bouquets ou des dragées suivant le caprice des curieux qui remplissent les balcons. La fête est très animée: elle sera close solennellement le mardi-gras.
Hier nous avons eu à St-Pierre pour la Purification une magnifique solennité. Rien n'est imposant comme ces fêtes à St-Pierre. Le Saint-Père y arrive porté sur sa chaise curule. Tous s'agenouillent sur son passage. Il est précédé d'un long cortège d'officiants, de dignitaires civils et religieux, de prélats, d'évêques de tous les rites et des cardinaux. Ils se rangent dans le chœur de l'immense basilique de chaque côté du trône du Saint-Père et derrière eux sont les tribunes réservées aux familles royales, aux princes, aux ambassadeurs et aux étrangers de distinction. La splendeur des ornements et du chant est en harmonie avec le reste. Hier avant la messe, le Saint-Père a béni les cierges et tout le chœur a fait le tour de l'église en procession: les représentants des nations suivaient avec leur cierge. Rien n'est plus frappant que cet empire de l'Église sur les peuples. Après l'office, les supérieurs des maisons religieuses et les chefs de communautés vont au Vatican faire l'offrande d'un cierge au Saint-Père. J'y allai pour accompagner notre supérieur et j'eus le bonheur de baiser les pieds du Saint-Père. Il aime beaucoup le séminaire français. Au mois de décembre, comme vous le savez, il nous a donné une audience commune et a dit des paroles affectueuses à quelques-uns de nous.
Nous allons avoir quelques jours de petites vacances pour reprendre ensuite le collier jusqu'à Pâques. Le mois de janvier a été laborieux. Mon travail est en bonne voie. J'ai eu, comme je vous le disais, des engelures aux mains: cela tient à l'humidité du climat; elles commencent à se passer.
Je n'espère pas voir Palustre maintenant: il est dans sa famille et cherche, je crois, une occasion pour se marier. Je n'ai reçu qu'une visite de France, c'est un breton, chevalier de La Teillais, que Mr de Caffarelli me recommande. Je ferai ce que je pourrai pour lui être agréable1.
Ne prévoyant pas que vous ayez l'occasion de m'envoyer de l'argent, j'ai pris aujourd'hui le moyen le plus expéditif et le moins frayeux2. J'ai fait une traite sur vous de 500 francs payable à vue. J'espère que vous ne ferez pas affront à ma signature. Cela me suffira pour jusqu'au mois de mai au moins.
Je n'affranchis pas ma lettre aujourd'hui. Quelquefois je la fais parvenir à Marseille par des occasions avec un timbre de 20 c.
Écrivez-moi toujours de bonnes et longues lettres et surtout plus de tristesse. Tout vous sourit: vos enfants sont heureux, vous devez en remercier Dieu tous les jours.
Dites-moi si maman Dehon n'est pas bien affectée de la mort de sa sœur. J'offre à Dieu mes prières pour elle3.
Embrassez pour moi Laure, Henri et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
Via Santa Chiara, 47.
1 Cf. LD 33 (note 3).
2 Sans doute terme du terroir picard (de «frais») pour signifier «coûteux».
3 Une sœur de la grand-mère Henriette-Esther Gricourt; pas autrement identifiée dans la généalogie.