**218.62**
**B18/9.2.62 **
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 10 mars 68 //
Chers parents,
J'avais une affection particulière pour ma tante Vandelet, et je vous engage à prier beaucoup pour elle, pour que le bon Dieu abrège le temps de son purgatoire, si elle en a à subir, et qu'il la reçoive bientôt avec ses saints dans le ciel pour l'éternité. Cette disparition successive de nos parents est un avertissement que Dieu nous renouvelle pour que nous nous tenions toujours prêts à paraître en sa présence1.
Ne vous inquiétez pas de ma santé, elle est excellente. Du reste, nos directeurs prennent de nous un soin tout paternel, et notre régime très régulier est aussi très favorable à la santé.
Nos cours ont repris leur marche habituelle le mercredi des cendres, et ils ne seront plus interrompus jusqu'à Pâques.
Dans une de mes promenades, je me suis occupé des peintures dont nous avions parlé aux vacances, mais j'ai renoncé provisoirement à vous en envoyer, parce que le prix en serait plus élevé que je ne l'avais prévu. Pour avoir deux toiles qui en vaillent la peine, représentant de jolies vues de la campagne romaine, il faudrait, je crois, dépenser 250 ou 300 francs.
J'ai reçu il y a quelques jours la visite d'un soldat de la légion française, qui est de Marsy près de Marle. Ses parents tiennent en location des terres de notre cousin Dehon2. Je n'ai pas entendu parler depuis longtemps de celui dont la mère m'avait écrit aux vacances et qui était malade.
Nous avons l'avantage cette année d'entendre tous les dimanches à l'église Saint-Louis-des-Français un célèbre prédicateur, le P. Hyacinthe, qui a prêché les conférences de l'Avent à Paris. Il est très éloquent et a des pensées très nobles et très élevées. Il exprime d'une façon émouvante, les vérités si sublimes de la religion. Pour nous aider à comprendre, par exemple, comment Notre-Seigneur, dans le mystère de son incarnation, témoigne à la fois son infinie justice et son infinie miséricorde, il nous représentait la justice de Dieu demandant la réparation de tous les péchés des hommes. Il fallait pour cette réparation des victimes, ou une au moins qui fût agréable à Dieu et représentât tous les hommes. Et la miséricorde infinie de Dieu voulait en même temps nous relever de la honte du péché, nous épargner le châtiment qui nous était dû et nous élever à la gloire ineffable de posséder Dieu dans le ciel éternellement. La sagesse de Dieu concilia sa justice et sa miséricorde. Il frappa et punit l'humanité, mais il la frappa en lui-même. Le Verbe de Dieu se fit homme pour porter la peine due à nos iniquités et nous mériter la gloire éternelle. Méditons souvent ces pensées pour nous exciter à l'amour de Dieu et à l'horreur du péché3.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe. Mes compliments à Mme Fiévet et à Gustave.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
47 Via Santa Chiara.
1 Cette tante Vandelet avait perdu son mari quelques mois auparavant (cf. LD 69 et 70)
2 Ce cousin Dehon n'est pas autrement identifié. Ce ne peut guère être que Édouard Dehon, fils d'Édouard-Gustave Dehon et de Dorothée Dehon (le seul cousin repérable dans la généalogie). Né en 1853, il n'avait que 15 ans
3 Le P. Hyacinthe (Charles Loyson 1827-1912), célèbre prédicateur. Religieux carme, il rompit avec l'Église catholique, se maria et fonda une sorte d'église libérale. Son nom apparaît plusieurs fois dans les NHV. Il est intéressant de comparer le jugement porté dans cette lettre avec ceux des NHV: «Les conférences du P. Hyacinthe m'étaient suspectes à bon droit» (V, 73), et surtout, à propos précisément de ce carême à Rome: «C'est au printemps de cette année 1868, que le pauvre P. Hyacinthe prêcha le carême à Rome. Je l'ai suivi. Ses discours étaient très littéraires, son débit théâtral. On n'augurait rien de bon de son attitude prétentieuse. Pie IX l'appelait: «un predicatore alla moda». Son orgueil gâtait toutes ses bonnes qualités» (NHV VI, 64). Dans les NQT I/1868, 58-60, la note du 9 mars 1868 semble bien un écho de la conférence évoquée dans cette lettre du 10 mars (pour le 2ème dimanche de carême avec l'évangile de la Transfiguration). Ces textes sont intéressants à lire et donnent une idée de la théologie de la Rédemption alors enseignée, non sans marquer la formation et la spiritualité du P. Dehon (cf. St. Deh., 15.3 pp. 654-655).