**218.66**
**B18/9.2.66 **
Ms autogr. 12 p. (21 x 13)
**À ses parents**
//Rome 21 mai 68 //
Chers parents,
J'attends une lettre de vous très prochainement. J'y répondrai dans huit jours, avant d'entrer en retraite pour me préparer à l'ordination. La réception des ordres sacrés est toujours précédée de dix jours de recueillement. On a besoin pour ces moments solennels de s'approcher davantage de Dieu et de se soustraire pour quelques jours aux préoccupations de la vie ordinaire. C'est ainsi que les Apôtres et la Sainte Vierge, comme nous le lisons dans l'Évangile, passèrent en union de prière les dix jours qui suivirent l'Ascension de Notre-Seigneur, pour se disposer à recevoir les dons abondants du Saint-Esprit1.
Ces dons et ces vertus de l'Esprit-Saint, transmis à tous les chrétiens par les sacrements, le sont plus spécialement aux ministres de l'Église avec l'autorité apostolique, suivant l'ordre et les dispositions de chacun.
Comme Notre-Seigneur l'a ordonné, les Apôtres ont consacré des évêques, des prêtres et des diacres, transmettant aux évêques le pouvoir de consacrer d'autres pasteurs et ministres de l'Église qui leur succéderont jusqu'à la fin des temps. St Paul, dans ses épîtres à Tite et à Timothée qu'il avait établis évêques de Crête et d'Éphèse, leur décrit les qualités que doivent avoir ceux à qui ils imposent les mains pour les mettre à la tête des églises dans les diverses villes. Il parle ainsi des diacres: «Il faut que les diacres soient pudiques, vrais dans leur parole, sobres, fidèles et désintéressés, possédant la science de la foi dans une conscience pure; et qu'ils soient d'abord éprouvés.»2
L'ordination des diacres est très imposante. Au commencement de la cérémonie ils se prosternent avec les sous-diacres et les prêtres sur le pavé de St-Jean de Latran. Le cardinal officiant, sur les degrés de l'autel, chante toutes les invocations des litanies des saints, l'assistance répond. Pendant tout ce temps, les ordinands restent prosternés. Enfin le cardinal dit à voix plus haute: «Seigneur, daignez bénir ces élus, nous vous en supplions, exaucez-nous.» Il reprend: «Daignez bénir et sanctifier ces élus»; et tous répètent: «Nous vous en supplions, exaucez-nous», et une troisième fois: «Daignez bénir, sanctifier et consacrer ces élus, nous vous en supplions, exaucez-nous.» Alors les ordinands se relèvent et on commence la collation successive des ordres depuis la tonsure jusqu'à la prêtrise. L'ordination des diacres est assez longue, mais si sublime et si touchante que je ne puis m'empêcher de vous la décrire en détail. Je suis sûr que vous lirez cela avec plaisir3.
Après l'ordination des sous-diacres, on appelle les diacres devant l'autel. L'archidiacre les présente alors au pontife en lui disant: «Révérendissime Père, la sainte Église catholique, notre mère, vous demande d'élever à la charge de Diacres ces sous-diacres ici présents.» Le pontife répond: «Savez-vous s'ils en sont dignes?» L'archidiacre: «Autant que la fragilité humaine le permet, je sais et j'atteste qu'ils sont dignes d'être élevés à la charge de cet office.» Le pontife: «Rendons grâces à Dieu.»
Le pontife s'adresse alors au clergé et au peuple: «Assisté du secours de Dieu et de Notre Sauveur Jésus Christ, nous choisissons ces sous-diacres pour les élever au diaconat. Si quelqu'un a quelque chose à dire contre eux, au nom de Dieu et pour Dieu, qu'il se présente avec confiance et qu'il le dise; cependant qu'il se souvienne de sa faiblesse.»
Le pontife adresse alors aux ordinands la monition suivante: «Mes chers enfants qui allez être promus à l'ordre du diaconat, pensez mûrement à quelle dignité de l'Église vous aspirez, car c'est au diacre à servir à l'autel, à baptiser et à prêcher. Dans l'ancienne loi, Dieu, parmi les douze tribus, avait choisi celle de Lévi pour lui confier à jamais la garde du tabernacle et le ministère sacré de son culte; et la dignité dont il l'honora fut si élevée que personne ne pouvait remplir ces fonctions saintes s'il n'appartenait à cette tribu; tellement que ce grand privilège héréditaire lui mérita d'être appelée la tribu du Seigneur. C'est de cette tribu que vous avez reçu le nom et les fonctions de Lévites, parce que, comme eux, vous êtes choisis pour la garde du tabernacle, c'est-à-dire de l'Église de Dieu, de cette Église qui, toujours prête à le défendre, combat sans cesse contre ses ennemis; ce qui a fait dire à l'Apôtre: Nous n'avons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances (de l'enfer), contre les princes du monde, c'est-à-dire de ce siècle de ténèbres, contre les esprits de perversité répandus dans l'air4.
C'est cette Église que vous devez, comme les Lévites faisaient à l'égard du tabernacle, porter et orner saintement par une prédication toute divine, par une vie toute parfaite. Lévi signifie ajouté ou choisi, et vous, mes chers enfants, qui prenez ce nom en vertu de l'héritage qui vous est échu en partage, soyez, comme il l'indique, élevés au-dessus des désirs de la chair et des concupiscences terrestres qui combattent contre l'âme; soyez purs, chastes, sans souillure et sans tache, comme il convient aux ministres de Jésus-Christ, aux dispensateurs des mystères de Dieu, afin de mériter par vos vertus votre admission dans la hiérarchie de l'Église, et d'être à jamais l'héritage et la tribu privilégiée du Seigneur. Et comme vous allez devenir les coopérateurs et les coadjuteurs du mystère sacré du corps et du sang de notre Sauveur, vous devez vous défendre et vous prémunir contre tous les attraits de la chair, suivant ce que dit l'Écriture: Soyez purs, vous qui portez les vases du Seigneur. Pensez à St Étienne que son éminente chasteté fit élever aux fonctions que vous allez remplir. Ayez soin de retracer dans votre conduite l'Évangile que vous annoncez, afin qu'on puisse dire de vous: Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent les vrais biens!5 Enfin, ayez comme pour chaussure les exemples des saints, afin de prêcher avec fruit l'évangile de paix. Que le Seigneur vous l'accorde par sa grâce.»
Le pontife s'adresse alors de nouveau au clergé et aux fidèles: «Réunissons nos vœux et nos supplications, afin d'obtenir par les prières de toute l'Église, à ces Lévites qui se préparent au ministère du diaconat, la bénédiction donnée à Lévi et à ses descendants, la grâce éclatante d'une conversation toute spirituelle, d'une sanctification parfaite, qui les fassent briller et resplendir au milieu des fidèles. Par N.S.J.C. qui vit et règne avec vous.»
Le pontife ajoute, tourné vers les ordinands: «Prions Dieu le Père Tout-puissant, nos très chers frères, de répandre dans sa miséricorde ses bénédictions les plus abondantes sur ces serviteurs qu'il a daigné choisir pour les élever à l'ordre du Diaconat; conjurons-le de conserver en eux la grâce de leur consécration, et d'exaucer nos prières dans sa clémence, afin que sa grâce confirme les actes de notre ministère et que ceux que nous croyons devoir consacrer au service des autels, soient sanctifiés et affermis par sa divine bénédiction. Par N.S.J.C.»
Le pontife prie ensuite les mains étendues: «Il est véritablement juste et raisonnable, il est équitable et salutaire de vous rendre grâces en tout temps et en tout lieu, Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, qui donnez tous les honneurs, qui distribuez toutes les dignités et qui dispensez toutes les fonctions; qui, toujours le même, renouvelez toutes choses et disposez tout par votre Verbe, votre Vertu, votre Sagesse, J.C. votre Fils, notre Seigneur, vous dont la providence prépare et distribue toutes choses, suivant les temps et les circonstances; vous qui avez accordé à votre Église, ornée par la variété de tous les dons célestes, et ne formant par une loi admirable qu'un tout malgré la multitude de ses membres, de s'étendre au loin et de s'agrandir pour former ce temple dont vous êtes la base et le fondement, y établissant trois ordres de ministres (évêques, prêtres et diacres) pour y remplir les fonctions sacrées, comme autrefois vous choisîtes les enfants de Lévi, qui, par leur fidélité dans le ministère des autels, ont acquis l'héritage éternel de la bénédiction promise à Abraham. Regardez donc aussi avec bonté et avec amour, Seigneur, ces serviteurs que nous vous consacrons pour servir aux autels dans l'office de Diacres. Nous qui comprenons si peu votre divine sagesse et votre souveraine raison, nous croyons cependant, autant qu'il est en nous, leur vie digne d'un si haut rang. Mais vous, Seigneur, à qui rien n'échappe de ce qui nous est caché, vous connaissez tous les secrets, vous sondez tous les replis des cœurs; vous pouvez par votre jugement tout divin examiner leur vie, réparer les fautes et accorder de faire ce qui est juste.»
Alors le pontife étend la main droite sur la tête de chaque ordinand et dit à chacun: «Recevez l'Esprit-Saint, qui sera votre force pour résister au démon et à ses tentations. Au nom du Seigneur.» Puis il continue en tenant la main droite étendue sur les diacres: «Répandez sur eux, nous vous en conjurons, Seigneur, votre Esprit-Saint qui, par la communication de ses sept dons, les fortifie pour remplir avec fidélité votre ministère. Que toutes les vertus abondent en eux; qu'ils aient une gravité pleine de modestie, une pudeur qui ne se démente jamais, une pureté parfaite, un grand zèle pour le maintien de la discipline; que vos préceptes brillent dans leur vie et que les peuples trouvent un modèle dans la chasteté de leurs mœurs. Faites qu'ayant toujours le témoignage d'une bonne conscience, ils demeurent fermes et inébranlables dans votre service; et que par leur fidélité dans un ordre inférieur, ils méritent d'être élevés à une plus haute dignité.»
Le pontife met alors aux diacres les ornements sacrés, et d'abord l'étole en disant: «Recevez l'étole blanche de la main de Dieu; remplissez les devoirs de votre ministère; Dieu pour cela augmentera en vous sa grâce…»; puis la dalmatique en disant: «Que le Seigneur vous revête de l'habit du salut, et qu'il vous environne à jamais du vêtement de la paix et de la dalmatique de justice. Au nom du Seigneur.» Enfin, il leur remet le livre des Évangiles en disant: «Recevez le pouvoir de lire l'Évangile dans l'Église de Dieu, pour les vivants et pour les défunts. Au nom du Seigneur.»
Le pontife termine l'ordination des diacres par l'oraison suivante: «Exaucez nos prières, Seigneur, et répandez votre bénédiction sur ces serviteurs, afin qu'enrichis de la grâce céleste, ils puissent mériter de vous plaire, et donner aux peuples l'exemple d'une vie sainte. Dieu saint, auteur de la foi, de l'espérance et de la grâce, qui récompensez ceux qui font des progrès dans votre service; qui, ayant créé sur la terre et dans les cieux le ministère des anges, vous servez de tous les éléments pour accomplir votre volonté; daignez répandre vos bénédictions sur ces serviteurs, afin que, d'une docilité parfaite à vos ordres, ils deviennent des ministres purs de vos saints autels; qu'affermis dans la chasteté par votre grâce, ils soient dignes du haut rang où les apôtres, inspirés par le Saint-Esprit, élevèrent sept des premiers disciples sous la direction et la conduite de St Étienne; et que, formés à toutes les vertus nécessaires pour vous servir, ils soient les objets de vos complaisances par N.S.J.C.»
Telles sont ces cérémonies dont le récit vous touchera certainement. Relisez-les le soir en famille et prenez-en occasion d'aimer davantage l'Église et le bon Dieu.
J'aimerais bien que pendant les neuf jours qui précéderont l'ordination qui a lieu le 6 juin, vous récitiez tous les soirs en famille le Veni Creator. Je le ferai aussi, et nous serons ainsi unis de prière pour notre salut à tous et pour notre avancement dans la piété.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe, et mes oncles et tantes quand vous vous trouvez réunis avec eux.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
Léon Dehon, s. diacre
1 Le texte est en Actes 1, 14. Sur cette retraite cf. en NQT I/1868, 112-124 et NHV VI, 52-62
2 1 Tim. 3, 8
3 La suite du texte est traduction du Pontifical (rituel des ordinations) alors en usage
4 Éph. 6, 12
5 Is. 52, 7.