**220.23** **B18/11.1.23 ** Ms autogr. 4 p. (21 x 13) **À ses parents** //Rome 29 avril 1871 // Chers parents, J'ai reçu hier votre lettre du 21. Je suis heureux que Siméon vous soit arrivé. Il ne serait pas en sûreté à Paris. La révolution cosmopolite s'est donné là rendez-vous. J'espère que la victoire des hommes d'ordre purgera l'Europe pour quelques années de ce ferment d'anarchie. Les gens irréligieux voudront-ils voir clair? Ces bêtes fauves de Paris avides de sang humain sont les fruits naturels des discours et des écrits antichrétiens de Favre, Picard, Simon et autres, et des écoles impies du sieur Duruy et de ses semblables1. Ils ont cru qu'ils feraient des hommes et de l'ordre sans le christianisme. S'ils savaient l'histoire comme ils le prétendent, ils auraient vu que cette expérience impie a été tentée cent fois et a toujours produit les mêmes fruits. Pauvres gens arriérés de dix-huit siècles! Siméon m'annonce une lettre qu'il m'a écrite à Nîmes. Je ne l'ai pas reçue. Ici nous sommes toujours dans le plus grand calme. Rome est triste sans étrangers. Les romains sont accablés d'impôts et ont en sainte horreur les barbares qui les ont réduits en servitude. Le prince Humbert habite le Quirinal avec sa femme qui ne vaut pas mieux que lui. Il va sans dire qu'ils font mauvais ménage. Ils ne sortent jamais ensemble. Ils ne fréquentent que des gens qui seraient dignes d'être membres de la commune de Paris2. Le régime a introduit ici un certain nombre de journaux écrits par la plus ignoble canaille et qu'on nous crie à tue-tête par les rues, à un sou la pièce, pour essayer de corrompre le peuple. Ma besogne se fait au milieu de toutes ces tristesses. Mon travail avance régulièrement. Nous avons une magnifique saison de printemps. C'est le moment de l'année où le séjour de Rome est le plus agréable. Votre souvenir me revient souvent à l'esprit dans mes promenades. Il me semble toujours vous voir dans tous les sanctuaires de Rome. Revenez-y aussi souvent en esprit et renouvelez les pieuses résolutions que vous y avez prises. Ne vous laissez pas glacer par l'esprit irréligieux de La Capelle. Faisons en sorte et demandons à Dieu d'être ensemble au ciel. La médaille dont je vous ai parlé et qui devait être portée à Paris m'est revenue ici. Ne vous en inquiétez pas. Je vous la porterai aux vacances3. Embrassez pour moi Henri, Laure, mon oncle, Marie, maman Dehon et les enfants. Je vous embrasse de tout cœur. Votre dévoué fils L. Dehon, pr. P.S. Envoyez-moi quelques timbres de 20 c. 1 Victor Duruy (1811-1894), historien, ministre de l'Instruction publique sous l'Empire (1863-1869), promoteur d'une réforme de l'enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïque, ainsi que de l'enseignement secondaire public pour les filles, alors quasi monopole des catholiques. 2 Humbert (1844-1904), fils de Victor-Emmanuel II, et roi d'Italie de 1878 à 1900, fut assassiné par un anarchiste. 3 Cf. LD 162.