===== II Le Concile 1869-1870 ===== === I AUDIENCE ET SERMENT. CONGRÉGATION PRÉSYNODALE DU 2 DÉCEMBRE === Au milieu de toutes ses occupations et de toutes ses sollicitudes, le Saint-Père voulut bien accorder une audience aux sténographes avant le Concile, pour nous bénir et nous encourager. Ce fut le 30 novembre, fête de l'Apôtre Saint-André. Le Saint-Père passa en revue son petit ba­taillon de secrétaires. Nous étions groupés par nations. Notre directeur lut une adresse. Le Saint-Père dit quelques mots aimables à chacun. Nous étions prêts et armés pour la campagne qui s'ouvrait, et la bonté du Saint-Père enflamma notre zèle. Le Saint-Père tint le 2 décembre à la Chapelle Sixtine une congré­gation présynodale. Il voulait, dans une allocution aux Pères du Concile, leur dire sa joie, son affection. Il leur donnait en même temps le règle­ment des travaux, etc.; il désignait les cardinaux présidents.(( Pio IX, nella congr. presinodale del 2 dicembre 1869, nominò presidenti del Concilio i cardinali Reisach, De Luca, Bizzarri, Bilio, Capalti (cf. Coll. Lac., VII, 16). Successivamente, con lett. ap. promulgata nella congr. gen. del 3 gen­naio 1870, fu nominato al posto di Reisach, morto il 23 dicembre, il card. De Angelis (cf. Coll. Lac., VII, 48).)) Il recevait le serment dès officiers du Concile qui promettaient de remplir leur em­ploi avec zèle et de garder le secret. Elle était bien belle l'allocution présynodale de Pie IX. Elle fit im­pression sur tous ceux qui la lurent avec simplicité et dans un bon esprit. Après avoir témoigné son affection fraternelle aux Pères du Concile et après avoir invoqué le secours de Dieu, Pie IX prévoyait les difficultés et les orages que la sainte assemblée rencontrerait sur son chemin. «//Non deerunt certe nobis, una licet in Christi nomine coniunctis, non deerunt contradictiones ac dimicationes subeundae». //L'ennemi de tout bien ne manquera pas de semer la zizanie: «//Nec inimicus homo segnis erit, nil magis cupiens quam superseminare zizaniam». //Mais nous nous souvien­drons, disait Pie IX, de la fermeté des Apôtres, nos modèles, nous nous souviendrons de Notre-Seigneur et nous resterons unis. Ne sommes-nous pas déjà, ajoutait-il, aguerris à la lutte, dans les temps difficiles que nous traversons? «//In ea enim conditione constituti sumus, ut in acie adver­sus multiplices eosdemque acerrimos hostes diuturna jam contentione versemur». //Nous recourrons aux armes spirituelles, à la charité, à la patience, à la prière, à la constance. Nous contemplerons le Sauveur sur la Croix et nous trouverons à ses pieds la force et le courage pour sur­monter les calomnies, les injures et les embûches de nos ennemis. Puis le Saint-Père redisait la prière du Sauveur pour l'union, et il invoquait le secours de la Vierge Immaculée, et il avait bien le droit d'y compter, lui qui l'avait tant glorifiée en proclamant le privilège de sa Conception sans tache.(( Cf. il testo dell’Allocuzione presinodale nella Coll. Lac., VII, 13-15.)) Le règlement des travaux du Concile était distribué aux Pères dans cette même réunion présynodale. C'était la constitution //Multiplices inter,//(( Cf. il testo in CECCONI, op. cit., parte I, vol. l, doc. 52, pp. 112-123; Coll. Lac., VII, 17-24.))// //qui parut fort sage à la plupart des Pères, mais qui en froissa quelques-­uns, ceux qui étaient habitués à l'usage des parlements en Hongrie et en France, et leurs amis. Ceux-là auraient voulu que le Concile fût maître de son règlement et le rédigeât lui-même. Je crois, moi, que le Concile y eût perdu trois mois. Le Saint-Père déclarait qu'il avait fait préparer des projets de constitutions par les théologiens conciliaires, mais il les présentait à la libre discussion du Concile et ne voulait leur donner à l'avance ni approbation, ni autorité: «//Volumus et mandamus ut sche­mata decretorum et canonum, quae Nos nulla nostra approbatione mu­nita integra integre Patrum congregationi reservavimus, iisdem Patribus in congregationem generalem collectis ad examen et judicium subjician­tur».//(( Coll Lac., VII, 22.))// //Il instituait quatre grandes commissions qui seraient élues par le Concile et qui se partageraient le travail comme avaient fait les commis­sions des théologiens conciliaires. L'une traiterait de la foi, l'autre de la discipline, la troisième des réguliers, la quatrième des rites orientaux et des missions. Elles se composeraient de vingt-quatre Pères élus et d'un cardinal président nommé par le Pape. Elles seraient aidées par les théo­logiens conciliaires. Elles réviseraient les //schemata //d'après les discours et les observations des Pères et les présenteraient aux discussions et aux votes des congrégations générales. C'était assez libéral. Mais il y avait chez les gallicans une prévention violente contre les //schemata //préparés par des commissions de théologiens ultramontains. Il y eut donc dès le premier jour bien des nuages à l'horizon. Le lendemain de la congrégation présynodale, le 3 décembre, les sténographes furent réunis dans la chapelle privée de Mgr Joseph Fessler, secrétaire général du Concile, évêque de Saint-Polten (//S.// //Hippolyti//)// //en Autriche. Là nous eûmes à lire la profession de foi de Pie IX et à pro­noncer le serment de dévouement à notre mission et de fidélité au se­cret.(( Cf. la formula nella Coll. Lac., VII, 16.)) Nous avions reçu ainsi l'investiture définitive de notre charge. Dès lors, nous reçûmes comme les évêques tous les documents conciliaires. Ils nous étaient nécessaires pour remplir notre charge avec intelligence. === II PREMIÈRE SESSION – 8 DÉCEMBRE 1869 === Quel beau jour! Quel spectacle émouvant! Autour du Vicaire de Jésus-Christ, législateur et chef suprême de l'Église, tous les successeurs des Apôtres, tous les pasteurs des diocèses se sont réunis pour rendre témoignage à la doctrine de l'Évangile. C'est Pierre vivant et parlant sur son tombeau, et autour de lui, sur ce même tombeau, toute l'Église. Elle s'apprête à écouter l'Esprit-Saint et à proclamer ses enseignements: «//Paraclitus autem Spiritus Sanctus, quem mittet Pater in nomine meo, fille vos docebit omnia, et suggeret vobis omnia, quaecumque dixero vobis» //(//Ioa.// 14, 26). On voit ailleurs des assemblées délibérantes. Nos capitales ont leurs corps législatifs. Leur tâche serait belle aussi, s'ils savaient-la remplir; ils devraient procurer le salut et la prospérité des nations. Mais le plus souvent ces assemblées ressemblent au premier grand conseil qui s'est tenu sur la terre et elles se proposent de construire un édifice qui de­vient la tour de Babel.(( Tutto questo brano è preso quasi letteralmente da L. VEUILLOT, Rome pen­dant le Concile, I, Paris 1872, pp. 10-11.)) Mais aujourd'hui, quel est le but de cette assemblée de pontifes? Le Saint-Père l'a tracé dans la Bulle d'indiction: «Ce Concile œcuménique aura donc à examiner avec le plus grand soin et à déterminer ce qu'il convient de faire, en ces temps si difficiles et si durs, pour la plus grande gloire de Dieu, pour l'intégrité de la foi, pour la beauté du culte divin, pour le salut éternel des hommes, pour la discipline du clergé régulier et séculier et son instruction salutaire et solide, pour l'obser­vance des lois ecclésiastiques, pour la réformation des mœurs, pour l'édu­cation chrétienne de la jeunesse, pour la paix commune et la concorde universelle. Il faudra aussi travailler de toutes nos forces, avec l'aide de Dieu, à éloigner tout mal de l'Église et de la société civile; à ramener dans le droit sentier de la vérité, de la justice et du salut, les malheureux qui se sont égarés; à réprimer les vices et à repousser les erreurs, afin que notre auguste religion et sa doctrine salutaire acquièrent une vigueur nouvelle dans le monde entier, qu'elle se propage chaque jour de plus en plus, qu'elle reprenne l'empire, et qu'ainsi la piété, l'honnêteté, la charité et toutes les vertus chrétiennes se fortifient et fleurissent pour le plus grand bien de l'humanité ».(( Bolla Aeterni Patris del 29 giugno 1868. Cf. CECCONI, op. cit., parte I, vol. 1, doc. 36, p. 74; Coll. Lac., VII, 4.)) Tel sera le noble but de cette assemblée, la plus auguste de la terre. De bonne heure, le matin du 8 décembre, une foule immense remplit la basilique de Saint-Pierre. Une multitude de pèlerins de toutes les na­tions sont venus se joindre aux Romains pour saluer le Concile au jour de son ouverture. Les prélats ont été convoqués dans la vaste chapelle qui est située au dessus de //l'atrium. //Ils sont là près d'un millier: car­dinaux, patriarches, primats, archevêques, évêques de tous pays et de tous rites. A huit heures le Saint-Père arrive au milieu d'eux et les bénit. Tous s'agenouillent. Le Saint-Père entonne le //Veni Creator //et la pro­cession s'organise. Et ce flot de prélats descend vers la basilique. Ils s'avancent deux à deux. La petite armée pontificale maintient le passage libre. Les prélats défilent en chantant le //Veni Creator, //ils vont à l'autel de la Confession. Chacun dans la foule reconnaît les siens. On se montre ceux que leur science et leur éloquence ont rendu célèbres, ceux qui viennent de loin, ceux qui ont fondé des églises nouvelles chez les peu­ples barbares, ceux qui ont souffert pour la foi. Les latins ont la mitre blanche, les orientaux ont leurs couronnes semblables à celles des rois.(( Cf. L. VEUILLOT, Rome pendant le Concile, I, Paris 1872, p. 12 s.)) Le Saint-Sacrement est exposé sur l'autel majeur et quand les prélats l'ont adoré, ils se rendent à la salle conciliaire. Puis le Saint-Père arrive. La foule ne sait pas retenir ses acclamations malgré la gravité et la solennité qui s'accomplit. Nous étions là nous aussi les sténographes au dernier rang, comme il convenait à notre modeste fonction: «//Ultimo loco, post offaciales, incedent stenographi, veste talari induti»//.(( Dehon riporta queste parole da: Methodus servanda in prima Sessione sacri Concilii Oecumenici, quod in patriarchali Basilica Sancti Petri in Vaticano celebra­bitur: n. 12. Cf. CECCONI, op. cit., parte I, vol. 1, doc. 69, p. 208; Coll. Lac., VII, 701.))// //Mon cœur battait bien fort, et je priais pour l'Église tout en admirant cette imposante manifestation de son unité et de sa sainteté. Le Saint-Père adora le Saint-Sacrement, chanta les oraisons du Saint­Esprit et de la Sainte Vierge et se rendit à la salle conciliaire. Tous les prélats avaient été placés selon leur rang. Comme nous n'avions rien à écrire aux sessions solennelles, nous occupions les tri­bunes supérieures, au-dessus des tribunes réservées aux princes et aux ambassadeurs. Le cardinal doyen du Sacré Collège chanta la messe de l'Immaculée Conception.(( Secondo la Intimatio... di Mons. Ferrari, prefetto delle Cerimonie, la S. Messa, nel giorno di apertura del Concilio, doveva essere celebrata dal decano del Sacro Collegio Cardinalizio (cf. Coll. Lac., VII, 28). Di fatto però fu celebrata dal sotto­decano, il card. Costantino Patrizi, vescovo di Porto e S. Rufina, vicario di Roma (cf. Coll. Lac., VII, 29), perché il decano, il card. Mattei, non partecipò alla prima sessione solenne del Concilio, come risulta dall’elenco dei Padri, che vi interven­nero (cf. Coll. Lac., VII, 33-44). Anche V. Davin, in una cronaca dell’apertura del Concilio, datata da Roma l’8 dicembre 1869 e riportata in Le Concile du Vatican illustré, Paris 1873, p. 127, scrive che la Messa «a été chantée par le Cardinal doyen du Sacré-Collège».)) Après la messe, le Concile entendit un sermon d'un évêque de l'ordre des Capucins, Mgr Passavalli, archevêque d'//Iconium.// Le pieux religieux était natif de Trente et sa fonction rappelait le dernier Concile oecuménique. Il prit pour texte la parole de David: //«Euntes ibant et flebant mittentes semina sua, venientes autem venient cure exultatione portantes manipulos suos» //(//Ps. //125, 6). Il rappela les tristesses du temps présent et exprima les espérances que le Concile fai­sait concevoir. Le thème était bien choisi. Les développements furent beaucoup trop longs.(( Cf. il testo nella Coll. Lac., VII, 764-768.)) Après le discours, le Saint-Père donna sa bénédiction, puis il revêtit les ornements sacrés comme pour la messe, pendant qu'on récitait le psaume //Quam diletta tabernacula tua. //[//Ps.// 83]. Alors eut lieu la touchante cérémonie de l'obédience. Tous les Pères du Concile allèrent tour à tour rendre au Saint-Père l'hommage** **de leur humble soumission. Les cardinaux embrassaient ses mains, les évêques ses genoux, les abbés et supérieurs d'Ordre son pied. Quel magnifique témoignage de l'unité de l'Église et des liens de la charité et de l'obéis­sance qui fortifient et perpétuent cette unité! Après l'obéissance, tous les Pères s'agenouillèrent et le Pape seul debout prononça cette magnifique prière et profession de foi: //Adsumus, Domine, Sancte Spiritus, //etc. Je traduis: «Nous voici, Esprit divin, nous voici humiliés par nos fautes et cependant réunis en votre nom. Venez à nous, demeurez avec nous, daignez vous répandre en nos cours. En­seignez-nous ce que nous devons faire, où nous devons tendre; montrez-­nous ce qu'il faut faire avec votre concours pour vous être agréables. Soyez notre salut et l'auteur de nos jugements, Vous qui seul avec Dieu le Père et son Fils possédez un nom glorieux. Ne souffrez pas que nous troublions la cause de la justice, vous qui aimez la souveraine équité. Que l'ignorance ne nous entraîne pas, que la faveur ne nous fléchisse pas, que les dons et l'amitié ne viennent pas nous corrompre. Mais unis­sez-nous efficacement à vous par le don de votre grâce, pour que nous soyons un en vous, que nous ne nous écartions en rien de la vérité, de sorte que réunis en votre nom, nous sachions unir la justice à la piété, que nos jugements se conforment aux vôtres et qu'ayant accompli notre devoir nous en recevions la récompense éternelle». Quelle profonde impression produisit ensuite dans tous les cours le chant des litanies! L'Église militante associait à ses combats l'Église triomphante. Au cours des litanies, trois fois le pontife suprême bénit le Concile: //Ut hanc sanctam Synodum et omnes gradus ecclesiasticos benedicere, regere et conservare digneris, te rogamus audi nos.// Quel contraste avec nos pauvres assemblées politiques, qui ne savent plus invoquer Dieu avant leurs travaux! Puis le cardinal diacre chanta l'Évangile(( Il Gard. Edoardo Borromeo cantò il brano: Designavit Dominus..., dal cap. X del Vangelo secondo S. Luca.)) et le livre des Évangiles fut déposé sur l'autel. Alors le Saint-Père fit lire(( Secondo questa notizia del Dehon, Pio IX avrebbe fatto leggere la sua Allo­cuzione, rivolta ai Padri conciliari nella prima sessione solenne. Nonostante però le ricerche fatte sia nell’Archivio Vaticano sia nelle numerose cronache del tempo (La Civiltà Cattolica, L’Osservatore Romano, ecc.), non abbiamo trovato alcuna conferma. Deve quindi trattarsi di una inesattezza. Ciò è confermato da quanto scrive lo stesso Dehon in una lettera indirizzata il giorno 8 dicembre 1869 ai genitori: «... Puis il (Pio IX) adressa aux Pères une allocution si émue qu’il pouvait à peine l’achever...». Nel resoconto della prima sessione, riferito dalla Coll. Lac., si legge: «Post Litanias SS.mus Dominus ad thronum sese recepit, et E.mus ac R.mus D. Cardinalis Eduardus Borromeo Diaconus in forma solita cecinit Evangelium Designavit Dominus ex cap. X. S. Lucae: quo expleto Summus Pontifex ira. Patres est allocutus...» VII, 29: «Habita allocutione, Summus Pontifex de throno ad faldistorium procedens, iterum exorsus est hymnum Veni Creator Spiritus...», VII, 32. H. De Riancey, redattore capo de L’Union, presente alla cerimonia di apertura del Concilio, scrive: «... La voix du Saint-Père s’élève pour les oraisons. J’avais souvent entendu parler de la force étonnante, de la vibration magnifique, de l’har­monie puissante de cette auguste voix. Mon attente a été dépassée à plusieurs reprises. Non pas seulement quand le Pape donne sa bénédiction, on l’entend dans tout Saint-Pierre; mais l’immense vaisseau retentit des accents quand il chante les prières de la liturgie, et, un peu plus tard, quand il a adressé son allocution, les tons, l’accent, l’éloquence grave, mesurée, pénétrante arrivaient à toutes les oreilles bien que les mots échappassent. Notez que le Pape portait la parole de son trône, au fond du bras droit de la basilique et que je l’entendais de l’autre côté de la Confession... C’est d’une voix forte et sonore que le Pape a prononcé son allocution, mais l’émotion et les larmes l’ont troublé à plusieurs reprises, surtout lorsque, se levant à la fin de son discours, il s’est mis à invoquer et à implorer sur la tête du Concile les lumières et les inspirations divines, la protection des anges et des saints...» Le Concile du Vatican illustré, Paris 1873, pp. 126-127.)) son allocution au Concile.(( Cf. Coll. Lac., VII, 29-32.)) Elle était bien bonne encore cette allocution. Je la résume: Notre cœur exulte d'allégresse en voyant cette belle assemblée conciliaire se réunir sous les auspices de la Vierge Immaculée, et en vous voyant, vous qui partagez notre sollicitude dans le gouvernement de l'Église réunis ici plus nom­breux que jamais. Vous êtes réunis au nom du Christ pour rendre avec nous témoi­gnage à la parole de Dieu, pour enseigner aux hommes la voie du salut et pour juger des oppositions qui se voilent sous le nom de la science (//ut de oppositionibus falsi nominis scientiae judicetis: //1 //Tim. //VI, 20;// Nobiscum Spiritu Sancto duce iudicetis: Act. Ap. //XV, 19). Vous savez combien l'Église est attaquée par des ennemis puissants qui mettent en avant le prétexte de la liberté //(Velamen habentes malitiae libertatem: //1 //Pet//. II, 16).// //Les droits respectifs sont violés, les liens de la justice et de l'autorité sont relâchés: Mais l'Église, comme le remarque Saint-Chrysostome, est plus puissante que tous ses ennemis. Le ciel et la terre passeront et les paroles du Christ ne passeront pas et quelles sont ces paroles: « //Tu// //es Petrus et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam et portae inferi non praevalebunt adversus eam »// (//Mt//. XVI, 18). Notre cœur déborde d'affection. En voyant, il nous semble voir toute l'Église, et nous pensons à tant de gages d'amour que nous avons reçus, à tant de bonnes œuvres accomplies sous votre direction. Nous ne pou­vons résister au désir d'exprimer en votre présence notre reconnaissance pour tous les fidèles, et nous prions Dieu pour que le témoignage de leur foi, plus précieux que l'or (1 //Pet//. I, 7), soit agréé de Dieu. Nous pensons ensuite à la misérable condition de tant d'hommes qui se trompent sur la réalisation du vrai bonheur et nous désirons pourvoir à leur salut. Nous portons aussi nos regards sur cette ville privilégiée qui, grâce aux secours de Dieu, n'a pas encore été livrée en proie aux nations, et nous nous félicitons de l'amour et de la fidélité de notre peuple. Nous nous réjouissons aussi dans le Seigneur de votre zèle et de votre union très étroite avec nous et avec le Saint-Siège... Après cet épanchement cordial, le Saint-Père invoquait le Saint-Es­prit, la Vierge Immaculée, les Saints Apôtres Pierre et Paul et tous les Saints. Comme on retrouve dans cette allocution l'esprit de Pie IX! Il est toujours bon, toujours pieux, mais il est toujours fin aussi. Très adroi­tement, dès le premier jour, et comme sans y toucher, il a condamné le libéralisme, il a revendiqué les droits temporels de la Papauté et il a recommandé aux Pères du Concile l'union avec lui et le Saint-Siège. Il sut nous dire toutes ces bonnes choses en cinq pages, tandis que l'Excel­lent Mgr Passavalli en avait écrit dix pour dire beaucoup moins de choses. Après l'allocution de Pie IX, on chanta de nouveau le //Veni Creator, //puis toutes les personnes non-conciliaires se retirèrent, et les Pères du Concile votèrent deux décrets qui étaient seulement la déclaration d'ou­verture du Concile et la fixation de la seconde session au 6 janvier. Tout se termina par le chant du //Te Deum.//(( La solenne apertura del Concilio si trova anche descritta nella lettera indi­rizzata il giorno 8 dicembre dal Dehon ai suoi genitori. Cf. p. 127 ss.)) Puis on se retira par une pluie battante. Beaucoup d'évêques pauvres allaient à pied, portant leurs insignes sous le bras. D'autres montaient à quatre dans une mauvaise voiture. Il est manifeste que le clergé n'a plus les richesses qui portaient ombrage à quelques-uns dans les siècles passés. === III LA SALLE DU CONCILE === La salle des réunions est fort imposante et ne défigure pas trop la basilique. Un décor extérieur la met en harmonie avec le style de l'église.(( L’aula conciliare fu ricavata dal braccio destro della crociera della basilica vaticana, nella cappella dei Santi Martiri Processo e Martiniano, su progetto del Conte Virginio Vespignani, uno dei migliori architetti romani del tempo. Nelle sessioni pubbliche, si aprivano i due battenti della porta e la folla, riu­nita in S. Pietro, poteva vedere tutta l’aula conciliare. All’inizio del 29° anno di pontificato, Vespignani dedicò a Pio IX l’opuscolo: Intorno alla grande aula temporanea pel Concilio Ecumenico Vaticano, architettata dal Conte Commendatore Virginio Vespignani, Professore accademico di S. Luca, sull’area della sacrosanta patriarcale basilica dedicata a S. Pietro Principe degli Apo­stoli. Relazione e descrizione, con incisioni in rame, Roma, Tipografia Poliglotta della S. C. di Propaganda Fide, 1874, pp. 16, con 10 incisioni (75 x 37).)) Mais cette belle salle est trop vaste, on ne s'y entend pas. Les voix vont se perdre dans l'immensité de la basilique.(( L’aula era troppo vasta e di un’acustica difettosa, fu necessario perciò appor­tarvi delle modifiche per meglio adattarla alle esigenze delle riunioni generali, nelle quali dovevano svolgersi le discussioni.)) Ce sera un des griefs des opposants, qui ont les goûts parlementaires. On les satisfera autant que possible par des appropriations. La salle sera recouverte d'un vélum et raccourcie par une cloison pour les congrégations. C'est cependant bien bon de se sentir là auprès des tombeaux de St. Pierre et de St. Paul et d'un grand nombre de Papes et de martyrs, auprès des grandes reliques de la Passion. Les maîtres de la doctrine et de l'éloquence sacrée reposent là: St. Léon et St. Grégoire le Grand, St. Chrysostome et St. Grégoire de Naziance. On y respire la pure doc­trine de l'Évangile, et les murs parleraient si les esprits voulaient s'égarer dans des sentiers profanes. Pour moi, j'éprouvai une grande jouissance à passer mes journées pendant quelques mois dans ce sanctuaire qui est aujourd'hui le plus saint de toute la terre. «//Quam dilecta tabernacula tua, Domine ... melior est dies una in atriis tuis quam millia ... in tabernaculis peccatorum» //[//Ps. //88, 2. 11]. Au dehors de la salle sur le fronton qui surmonte la porte, on a peint une figure du Christ, au-dessus de laquelle on lit ces mots: //Docete omnes gentes. //Tous// //les fidèles en visitant Saint-Pierre pouvaient lire cette sen­tence qui leur rappelait l'autorité doctrinale des Apôtres et de leurs suc­cesseurs. Le long de la frise intérieure de la basilique, on avait écrit en grandes majuscules d'or l'année du centenaire des Apôtres, les textes évangéliques qui se rapportent à l'autorité de Pierre et dé ses successeurs. La partie de cette frise qui couronnait la salle conciliaire comprenait ces paroles: «//Rogavi pro te ut non deficiat fides tua... Confirma fratres tuos» //[//Lc//. XXII, 32]. C'était un à-propos providentiel.(( In questa breve descrizione dell’aula conciliare Dehon prende qualche frase da L. VEUILLOT, Rome pendant le Concile, I, Paris 1872, pp. 6-7.)) * * * //Circa l'adattamento dell'aula conciliare, nell'Epistolario si trovano i seguenti accenni:// //Lettera //del 12 ottobre 1863// //all'amico Palustre: «... L'installation du Concile est assez heureuse. On a établi avec goût un amphithéâtre dans le transept droit de Saint-Pierre sans déparer la basilique et on a fermé les trois chapelles les plus voisines pour y installer les dépendances et accessoires de la salle des séances. J'espère beaucoup du Concile. Outre l'effet de ses décrets il y aura un frottement entre les romains et les étrangers où chacun aura à gagner. Il y a une certaine lumière propre à notre siècle dont les romains ont un peu besoin d'être éclairés et dont les autres se trouvent bien d'être éloignés pendant quelque temps pour ne pas en être éblouis...». //Lettera //del 16// //ottobre 1869// //ai genitori: «... Les préparatifs du Concile s'achèvent. L'amphithéâtre est à peu près terminé dans Saint-Pierre. Il ne dépare pas du tout la basilique. Il y a place pour 700 évêques. Leurs théolo­giens seront dans les tribunes. Les sténographes seront probablement dans le centre de la salle autour d'une table ovale. Avant de fixer notre place on doit essayer comment on entendra...». //Lettera //del 4 novembre 1869 ai genitori: «... Le grand jour de l'ouver­ture approche et déjà Rome est remplie d'étrangers. Le corps sténographique a été présenté il y a 4 jours au secrétaire général du Concile Mgr Fessler, évêque allemand très aimable et très distingué. Nous prêterons dans quelques jours entre ses mains le serment de garder le secret sur les travaux des séances secrètes du Concile jusqu'à leur publication. Nous sommes aussi allés en corps faire l'essai du grand amphithéâtre des séances à Saint-Pierre. Nous avons constaté qu'on s'y entendait assez bien et on a déterminé la place de la tribune et la nôtre. Si vous le voulez bien je vous abonnerai pour 6 mois à la Correspondance de Rome (pr. 10 fr.). Les journaux politiques français vous donneront des nouvelles inexactes sur le Concile, à moins qu'au lieu de la //France //vous// //ne receviez un journal d'un bon esprit comme l'//Union... ».// //Lettera //del 5 febbraio 1870 all'amico Palustre: «... Tu ne ménages pas dans ta dernière lettre ni Veuillot ni les architectes de Rome. Je savais que tu n'aimais. ni ceux-ci ni celui-là. Tu les juges avec ton ardeur habituelle. Tu pourrais être un peu plus indulgent pour des hommes qui ne manquent ni de talent ni de bonne volonté... Quant aux architectes de la salle du Concile, ils l'avaient disposée avec goût et avaient admirablement tiré parti de l'empla­cement qu'on leur avait assigné, sans laisser ignorer qu'il serait difficile de s'y entendre. Ils ont depuis habilement tiré parti de ce qui existe en séparant pour les congrégations par une tenture une partie de la salle où les évêques se resserrent et s'entendent parfaitement...». === IV COMPOSITION DU CONCILE === Les Pères étaient au nombre de sept cent trente-sept à Rome dès la première session. Sept cents seulement prirent part à la session.(( Cf. l’elenco nella Coll. Lac. VII, 33-44.)) D'au­tres arrivèrent peu à peu. La hiérarchie pontificale comprenait environ un millier de sièges.(( Dei 1050 Prelati circa, che avevano diritto di partecipare al Concilio, vi presero parte 774. Questi però non furono tutti sempre presenti alle sedute conci­liari. Cf. GRANDERATH, op. cit., II-1, pp. 37-40. L’Autore, nel volume di Appendici, dà il quadro della gerarchia cattolica al tempo del Concilio, indicando i Prelati che vi presero parte. Cf. GRANDERATH, Histoire du Concile du Vatican, Appendices et Documents, Bruxelles 1919, p. 7 ss.)) Il y avait quatre patriarches orientaux, deux de rite grec, un chal­déen et un arménien, et quarante archevêques et évêques des rites orientaux. On comptait plus de cent vicaires apostoliques. On constatait le retour progressif des pays anglais à la foi catho­lique. Le Concile de Trente n'avait que quatre évêques de langue an­glaise, un d'Angleterre et trois d'Irlande. Le Concile du Vatican en comptait cent vingt, venus du Royaume-Uni, de l'Amérique, de l'Aus­tralie et des Indes. === V LA LANGUE COMMUNE === Sans le latin, cette vaste assemblée eût dégénéré en une Babel de langues. Grâce à la langue latine, les prélats purent facilement échanger leurs idées. Tous ne la parlaient pas avec la même facilité, mais tous pouvaient la comprendre aisément, sauf quelques orientaux, et tous pou­vaient remettre aux commissions leurs vœux et leurs observations en lan­gue latine. Il y avait bien des nuances dans la prononciation(( V. Marchese narra che vi fu «qualche scenetta curiosa in proposito di pro­nunzia, perchè al Vescovo spagnuolo che accusava di barbarie un tedesco cui verus ferus est, l’altro di ripicco trovò il popolo spagnuolo un popolo di ubbriaconi, cui vivere bibere est!» Le mie impressioni al Concilio Vaticano, Saluzzo 1912, p. 113.)) et l'on vit sou­vent les premiers jours un sourire échapper à la gravité des évêques ou des cardinaux italiens, quand ils entendaient parler la langue de Cicéron avec des inflexions et une prononciation peu familières à leurs oreilles. Mgr Pie appliquait spirituellement à cette variété le texte sacré: «//Multi­fariam////, multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis» //[//Hebr//. I, 1].// //Mgr Mermillod disait: Ma voix, mes Révérends Pères, est française, mais mon cœur est romain. Nous autres sténographes, nous avions quelque peine à nous retrou­ver dans cette variété. Les Anglais étaient terribles par leur prononcia­tion, les Espagnols et les Hongrois parleur volubilité. Les Français n'ont pas brillé par l'élégance ou la correction de leur latinité. Mgr Verot, évêque missionnaire de Savannah et Mgr Bravard, évêque de Coutances, se payaient sans scrupules de nombreux barbarismes. Leur latin répon­dait à ce spécimen: //Columbus discooperuit Americam. //Un évêque d'un grand siège, mécontent d'un schéma, s'écriait: //Abeat quo volebit. //Peu importe, on se comprenait. === VI LES VICAIRES APOSTOLIQUES === La présence des vicaires apostoliques offusquait certaines gens. Ils n'avaient pas un siège fixe ni un diocèse formé, ils ignoraient les choses de l'Europe et ne suivaient pas le courant de la science, etc.(( Il giornale Le Moniteur Universel il 14 febbraio 1870 pubblicò un lungo articolo di Rey, intitolato: La situation des choses à Rome. In esso si attaccava la preparazione del Concilio, affidata non a vescovi, ma a teologi e canonisti, alcuni dei quali erano dei bravi teorici e speculativi, ma privi di esperienza; gli schemi quindi da loro preparati non rispondevano alle reali esigenze della Chiesa. Si denunziava perciò il fatto che si era voluto fare un Concilio prima del Concilio. Si criticava poi il regolamento, fatto preparare dal Papa al di fuori dell’as­semblea e promulgato con la Multiplices inter prima che avesse inizio il Concilio. Inoltre si attaccava la composizione delle commissioni conciliari, le quali, se apparentemente risultavano elette dal libero suffragio dell’assemblea, di fatto erano state composte in modo da escludere i rappresentanti dell’opposizione. Infine si lamentava il modo della convocazione del Concilio, in quanto era eccessivo il numero degli italiani ed erano stati chiamati anche i vicari apostolici. Questo ultimo rilievo si fondava sull’errore, già espresso dal Döllinger, che cioè i vescovi in Concilio sono come deputati delle diocesi e quindi il loro voto ha valore secondo l’estensione delle diocesi, da essi rappresentate. I vicari apostolici non potevano rappresentare chiese non ancora esistenti. L’articolo concludeva lamentando la mancanza di una vera libertà dei Padri. Le false asserzioni del Moniteur, scaltramente presentate come se ispirate da sollecita cura nell’interesse dello stesso Concilio, furono confutate dal Veuillot con quattro articoli de L’Univers, 21-26 febbraio, dal titolo: La liberté du Concile. Cf. Rome pendant le Concile, I, Paris 1872, pp. 280-305.)) Louis Veuil­lot, dans //L'Univers, //formula l'objection avec esprit et y répondit avec une verve et une chaleur qui vengèrent brillamment ces généreux apôtres du Christ. «Coquelet, disait-il, se dépite de voir au Concile tant de Vicaires Apostoliques. Il en parle dans les cafés, il en écrit dans les journaux: Prétendent-ils faire des lois pour les nations civilisées, ces hommes séparés des choses de l'Europe? Attestent-ils la foi antique des peuples, ces pasteurs de petits troupeaux sauvages, épars à travers les déserts de l'infidélité? Sont-ils libres, ces pontifes errants, exclusivement soumis au Pape et à qui le Pape peut ôter leur Siège imaginaire quand et comme il lui plaira?... Tel est le raisonnement de Coquelet, chevalier de plusieurs ordres et correspondant de plusieurs journaux, galant homme, homme pieux, mais en ce moment fort piqué contre le Saint-Esprit... Il donne à entendre que les Vicaires Apostoliques oppriment les au­tres évêques, à ses yeux seuls réguliers et libres. Suivant Coquelet, l'évê­que complètement régulier doit avoir palais, carrosse et journal, et diriger des gens «comme il faut», et l'évêque complètement libre doit relever de quelque gouvernement qui le lie de quelque concordat. Dans le ma­riage de l'évêque et de l'Église, Coquelet veut l'intervention de mon­sieur le Maire. Les Vicaires Apostoliques n'ont point ces consécrations, n'offrent point ces garanties, Coquelet les récuse. Ils sont, dit-il, plus au service particulier du Pape, qu'au service légal de l'Église et de l'État. Ils ont été appelés de la Chine, du japon, de la Polynésie, des Montagnes-Ro­cheuses, de cent autres lieux bizarres, pour fabriquer l'infaillibilité. Après quoi, sans aucun souci des tourments qu'ils laisseront à l'Europe, ils iront jouir des sécurités de leur lointain séjour... Assurément ces divers aperçus de M. Coquelet sont très impertinents, injurieux, et absurdes ». La réponse à ces sottises est facile: Est-ce que les Pères du Concile de Nicée n'étaient pas tous comme des vicaires apostoliques? N'avaient­-ils pas des troupeaux peu nombreux et des diocèses fort instables en pays païens? Et cependant ce Concile n'est-il pas de tous le plus vénéré? Seraient-ils moins aptes à témoigner de leur foi, des hommes qui ont eu le courage de la propager au péril de leur vie, des hommes qui ont souf­fert pour elle toutes les privations et parfois la prison et les tortures, comme les Pères de Nicée et nos vicaires apostoliques? Constantin bai­sait les mains cicatrisées des évêques confesseurs de la foi et nos gallicans leur jettent l'insulte et le mépris. De quel côté sont la grandeur d'âme et l'esprit chrétien? «Ces hommes apostoliques sont le printemps de l'Église; ils lui font revivre ses premiers jours, parés de fleurs, empourprés de sang, écla­tants de miracles. Riche de leur vertu ardente et victorieuse, elle les montre au monde qui croit l'avoir appauvrie; à meilleur titre que l'anti­que Romaine, elle dit: Voilà mes joyaux et ma beauté! Mais ils sont aussi l'honneur et la consolation de notre siècle. Une grâce de Dieu a visité sa misère, et cette légion d'apôtres, illustrée de la palme des mar­tyrs, vient décorer son histoire triviale, pleine de fourbes, de meurtriers et d'histrions... Ils sont venus à Pierre et ils lui ont dit: Donne-nous un lambeau des royaumes de la nuit, afin que nous y portions le jour. Envoie­-nous à la faim, à la soif, aux tortures, dans toutes les ombres de la mort. Il y a là des multitudes qui dorment et que nous voulons réveiller. Elles sont au Christ et à toi; nous les voulons rendre au Christ par toi. Envoie-­nous, agrandis-toi du monde. Pierre leur a partagé le monde. Ils sont donc ici, nous les voyons. Ils sont partis, plusieurs sans même savoir où ils allaient, pieds nus et les mains vides. Ils reviennent pieds nus, mais chacun dans ses mains rapporte un. peuplé et fait asseoir avec lui dans le Concile cet accroissement de la famille du Christ... A l'appel de Pierre, ils sont venus chargés de leurs dépouilles sublimes. Les voilà dans la ville dé César devenue la ville du Christ. Triomphateurs qui n'ont versé que leur sang, conquérants qui ont créé des peuples au lieu d'en détruire! Pierre, leur chef et leur père, nous apparaît dans ce cortège que n'eut jamais César, et dont lui-même ne fut jamais entouré. Jadis il vit autour de lui tous les rois inclinant leurs couronnes, cette pompe est surpassée. Ces créateurs et ces pasteurs de peuples l'environnent de plus d'amour, lui assurent plus d'empire... S'en allant loin de nous; ces hommes de Dieu n'ont pas rompu avec nous, au contraire le lien de la charité qui les attache à la patrie s'est serré davantage, leur âme en a senti l'étreinte plus véhémente. Ils ont prié, ils ont offert leurs sacrifices et Dieu a été patient. Nous saurons un jour quel rempart a été l'humble sonde la propagation de la foi. En at­tendant, et c'est assez, nous avons ce spectacle inénarrable: cent Vicaires Apostoliques dans le Concile! Quel problème pour les sages, au déclin de ce siècle qui fut encore en son commencement le siècle de Voltaire, que l'on crut ensuite nommer le siècle de Napoléon! Le nom du siècle honorera davantage l'intelligence humaine. Il sera le siècle de Pierre, Vicaire du Christ, seul vrai conquérant à travers tant de batailles, seul vrai illuminateur parmi tant de systèmes, seul vrai législateur dans cette multitude de fabricateurs de constitutions...». C'est les calomnier que de les tenir pour ignorants ou illettrés. Ils ont peu de livres dans leurs solitudes, mais ils les approfondissent da­vantage dans leurs longues heures de recueillement. Combien même ont produit dans ce siècle de livres de valeur: études d'histoire naturelle ou de linguistique, notes de philosophie, de théologie et d'histoire. Les livres de Mgr Meurin, du P. Aubry, du P. Leroy, dû P. Wicart sont la gloire des missions. Ils n'ignorent pas non plus les choses de l'Europe et les choses du monde. «Ils n'ont pas seulement affaire à des sauvages. L'Europe est partout dans le monde. Si loin qu'ils aillent, les ballots et les marchands de l'Europe, et ses diplomates, ses aventuriers et ses soldats, les ont prévenus ou les suivent. La plupart du temps, c'est là précisément les poids lourds et la meurtrissure de leur croix. L'Europe ne voyage pas sans ses vices, sans ses sophismes, hélas! sans ses cruautés. Elle élève ces obstacles sur les pas dés missionnaires et verse ces immondices dans leurs cultures. Plus d'un rencontre à combattre tout à la fois le fanatisme cruel, de l'idolâtre barbare, l'arrogance haineuse de l'idolâtre lettré, l'hy­pocrisie du prédicant hérétique; la mauvaise volonté du représentant de l'Europe sectaire ou impie. Devant de tels adversaires, le missionnaire catholique, l'évêque surtout a besoin de la dignité et de la science du prêtre… En se montrant unanimes et immuables pour l'infaillibilité du Chef de l'Église, les Vicaires Apostoliques ont renversé tout l'argument que le parti contraire comptait tirer des répugnances prétendues de l'hé­résie et du paganisme... L'un de ces hommes que leur cœur ne porte pas à négliger l'intérêt des âmes et qui donnent au contraire leur vie pour les sauver (Mgr Bonjean, Vic. ap. de Jafna en Ceylan) réfuta victorieu­sement les arguties gallicanes et tous les autres confirmèrent la parole de leur collègue, attestant comme lui que l'infaillibilité de Pierre était le besoin et non pas l'épouvante de l'humanité ».(( L. VEUILLOT, Rome pendant le Concile, II, Paris 1872, pp. 99-108.)) Plusieurs de ces apôtres avaient souffert pour la foi. Mgr Ridel et Mgr Petitjean ont été traqués par les satellites des mandarins en Corée et au japon. Un autre aux Indes a vécu plusieurs mois dans les flancs d'un vieil arbre séculaire. L. Veuillot a peint, comme il sait le faire, un épisode choisi dans la vie de ces confesseurs de la foi: «L'un d'eux, alors simple mission­naire envoyé par son évêque dans un canton éloigné, pour étudier si l'on y pouvait établir un prêtre, arriva au terme de sa course sans argent et sans moyens de revenir. De son dernier dollar, il avait acheté un flacon de vin, afin de pouvoir dire la messe, ressource suprême et unique pour résister aux tortures de l'abandon. En ce lieu vivaient des hommes, des Européens et parmi eux des Français. Il les avait salués dans la langue de la patrie, et ces hommes, parce qu'il était prêtre, ne lui avaient pas répondu. Il s'établit sous un arbre, à quelque distance des maisons où il ne pouvait espérer un abri, et il vécut dés semaines entières, sans pain, de racines inconnues qu'il essayait à tout risque et de coquillages qu'il mangeait crus. Mais la dureté persévérante des hommes et la longue im­puissance de sa prière était un plus grand tourment. Parfois quelque habitant du village, passant, lui jetait une injure et s'éloignait... Un jour, il vit venir à lui un jeune homme grand et beau, qui lui dit pour première parole: En grâce, avez-vous à manger? C'était un prêtre envoyé à sa recherche par l'évêque. Il était mourant de fatigue et de faim... Il se coucha par terre, implorant un peu de nourriture... Peu de jours après, les deux missionnaires... se dirent: Nous mourrons ici. Que l'un de nous fasse effort et célèbre une dernière messe: il communiera l'autre et nous bénirons Dieu. C'était le jour de l'Assomption. Ils tirèrent au sort pour dire la messe. Le sort échut au premier arrivé. Il offrit le saint sacrifice pour son frère mourant, couché près de l'autel de terre, et pour lui-même qui comptait aussi mourir. Il dut s'y reprendre à vingt fois, désespérant souvent de pouvoir achever, et cette véritable messe dura près de trois heures. Enfin le moribond put donner la sainte hostie à l'agonisant et consommer le triple sacrifice où le prêtre et l'assistant s'immolaient eux­mêmes avec la victime... La messe dite, le célébrant se coucha auprès de son compagnon et ils attendirent la mort. Elle ne tarda point. Dans la nuit le jeune prêtre expirait... Quelques passants se trouvèrent là quand vint le jour. Ils virent le cadavre et le mourant côte à côte. Ils en por­tèrent la nouvelle au village, et ces cœurs durs, comprenant ce qui s'était passé, s'amollirent enfin, ou plutôt le mort avait vaincu et Dieu déclarait sa victoire. Ils vinrent donc, apportant de l'eau fraîche et des aliments... Ce n'étaient plus les mêmes hommes. Au pied de l'autel, ils creusèrent une fosse, ils y descendirent le victorieux et beau cadavre; et ensuite portant dans leurs bras le malade, ils le soutinrent sur le bord de cette fosse, pour qu'il pût la bénir. Ils firent plus. A sa prière ils coupèrent un grand arbre et en firent une croix qu'ils plantèrent sur cette tombe déjà féconde. Ainsi la croix apparut et prit possession de ce nouveau domaine. Il y a là maintenant une ville, une église et des milliers de ca­tholiques aussi dociles à la voix de leur évêque que chers à son cœur; et leur évêque est ce missionnaire d'abord si cruellement repoussé ».(( L. VEUILLOT, Rome pendant le Concile, II, Paris 1872, pp. 114-118.)) J'ai eu le bonheur de connaître particulièrement Mgr Petitjean et Mgr Kobès. Mgr Petitjean avait toute la douceur et la sainteté d'un mar­tyr. Il nous racontait ses durs labeurs du Japon et la joie qu'il avait eu de retrouver des chrétientés longtemps oubliées. Mgr Kobès avait la piété d'un enfant ou d'un ange. Sa récréation consistait à fredonner sans cesse le //Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto//. Il avait déjà bien entamé sa santé par son séjour en Sénégambie et il se préparait à y retourner. Mgr Dubuis, de Galveston, était simple et bon comme un curé du vieux temps. Je l'ai rencontré chez Louis Veuillot et j'ai fait une promenade avec eux aux ruines de la vieille Rome et à Saint-Paul hors des murs. Je le soupçonne fort d'être le héros du récit pathétique que j'ai donné plus haut d'après Veuillot. === VII QUELQUES NOMS === J'ai vu de près ces neuf cents prélats pendant huit mois et j'ai été frappé chaque jour de la dignité de cette assemblée et de la somme de science et de vertus qu'elle représentait. La terre n'a rien qui ressemble à ces réunions conciliaires. Qu'importe qu'il y ait quelques personnalités un peu banales dans cet ensemble étonnant d'hommes graves, doctes et pieux qui ont été préparés à ces hautes fonctions les uns par l'enseigne­ment, les autres par l'apostolat ou le gouvernement de grandes parois­ses. La plupart ont passé par les Universités et ont exercé le ministère dans les villes. Dire qu'ils ignorent les conditions de la société contem­poraine, c'est ignorer soi-même ce que l'on dit. Dans cette élite, il y avait une élite encore et quelques-uns tran­chaient par leur réputation, leur habileté, leurs œuvres passées, leur éloquence. Voici quelques noms qui furent particulièrement remarqués au Concile. En Italie, les plus vénérés pour leur science et leurs travaux étaient: Mgr d'Avanzo, évêque de Calvi; Mgr Cugini, archevêque de Modène; Mgr Zinelli, évêque de Trévise; Mgr Arrigoni, archevêque de Lucques;(( Arrigoni ha lasciato un diario, che va dal 2 dicembre 1869 al 18 luglio 1870. Il manoscritto (un quaderno, 31 x 21, di pp. 84) s’intitola: Giornale del Concilio Ecumenico Vaticano Imo nell’anno 1869-70. È conservato nell’archivio del Seminario arcivescovile di Lucca.)) Mgr Dusmet, archevêque de Catane, Mgr Ricciardi, archevêque de Reg­gio [Calabria]. Mgr de Catane était un Borromée, il avait trouvé son diocèse dans une situation lamentable et il avait tout réformé, les séculiers et les réguliers, avec une vigueur apostolique. Trois évêques italiens parlèrent souvent, avec facilité, avec à propos et avec une aisance qui prouvait que la science théologique leur était très familière; c'est Mgr Gastaldi,(( Anche V. Marchese, che, quando all’età di 33 anni si preparò al sacerdozio, ebbe per due anni Gastaldi come professore di Teologia morale, ne mette in risalto la profonda dottrina, la padronanza della lingua latina e la vivace eloquenza. «Mons. Gastaldi era predicatore infaticabile, erudito, vigoroso, un vero missionario... Egli non era predicatore di pulpito. Per quanto di corporatura giusta, egli era brutto di fisionomia, ed è noto quanto questo particolare renda difficili gli entusiasmi della folla; mentre in Concilio, la profondità e vastità della dottrina, la focosa eloquenza, e più specialmente il prezioso possesso della lingua latina, (ché per una combinazione strana, i più focosi antinfallibilisti parlavano familiarmente quella lingua, mentre fra gli infallibilisti, credo che il Gastaldi fosse il solo che potesse improvvisare) gli assi­curarono in seguito un posto segnalato nel Concilio» Le mie impressioni al Con­cilio Vaticano, Saluzzo 1912, p. 25. Lo stesso V. Marchese narra che, nella visita di congedo, Pio IX lo incaricò di dire a Mons. Gastaldi che «non avrebbe dimenticato mai i servizi da lui resi alla Chiesa, nel Concilio» ibid., p. 108.)) évêque de Saluces, Mgr Gandolfi, évêque de Corneto [Tarquinia], et Mgr Ballerini, patriarche latin d'Alexandrie, résidant à Rome. En Espagne, les noms les plus vénérés étaient ceux de Mgr Garcia Gil, archevêque de Sarragosse; Mgr Yusto, archevêque de Burgos; Mgr Montserrat, évêque de Barcelone; Mgr Monescillo, évêque de Jaën. Les orateurs les plus diserts parmi les Espagnols furent: Mgr Mone­scillo, évêque de Jaën; Mgr Caixal y Estrade, évêque d'Urgel; Mgr Lluch, évêque de Salamanque; Mgr Paya y Rico, de Cuenca. Ces évêques étaient vraiment théologiens. Les dignités en Espagne sont données au con­cours. On reconnaissait au Concile les fruits de cette ancienne règle canonique. L'épiscopat espagnol semblait surpasser tous les autres. Mgr l'évêque d'Urgel parlait avec piété et énergie. Il parla souvent, très souvent, et finit même par fatiguer le Concile. L'épiscopat allemand était tellement atteint par le germanisme (le gallicanisme d'outre-Rhin), qu'on eut de la peine à choisir quelques noms pour la commission //de fide. //On y porta Mgr Ledochowski, arche­vêque de Posen; Mgr Martin, évêque de Paderborn; et Mgr Senéstrey, évêque de Ratisbonne. Les principaux évêques de l'Allemagne, le cardinal Rauscher, de Vienne, le cardinal Schwarzenberg, de Prague, le cardinal Melchers, de Cologne, Mgr Ketteler de Mayence, Mgr Hefele de Rottenbourg étaient tous opposés à l'infaillibilité. Il en était de même des principaux évêques de Hongrie: Mgr Simor, archevêque de Gran; Mgr Haynald, archevêque de Kalocsa; Mgr Stross­mayer, évêque de Sirmium. Ces prélats hongrois parlaient le latin avec une grande facilité. Ils y étaient habitués. Le latin est resté plus vivant en Hongrie que partout ailleurs. Il était encore en 1870 la langue offi­cielle des tribunaux. L'Angleterre était brillamment représentée par le cardinal Manning,(( Fu creato cardinale nel 1875.)) de Westminster; Mgr Grant, de Southwark; Mgr Vaughan, de Plymouth; Mgr Clifford, de Clifton. L'Irlande par le cardinal Cullen, de Dublin; Mgr Leahy, de Cashel; Mgr Keane, de Cloyne. Mgr Manning parla un jour une heure sans lasser le Concile. Mgr Leahy était le meilleur orateur des prélats de langue anglaise. Mgr Gibbons, quoique visiblement partial pour les gallicans, avoue dans ses mémoires sur le Concile que «la réplique de Mgr Leahy au cardi­nal-prince Schwarzenberg (adversaire de l'infaillibilité) fut un chef-d'œuvre de raisonnement et d'éloquence, tout imprégné d'une délicate saveur d'esprit irlandais». L'Amérique avait aussi quelques prélats éminents: Mgr MacCloskey, archevêque de New-York; Mgr Spalding, de Baltimore; Mgr Kenrick, de St. Louis; et un jeune prélat alors peu connu, Mgr Gibbons, vicaire apostolique de la Caroline du Sud, qui est devenu depuis archevêque de Baltimore. Mgr Gibbons a écrit ses mémoires sur le Concile. Il a gardé un faible fort accentué pour les gallicans. Dans ses portraits des évêques conciliaires, il ne trouve à signaler parmi les évêques français que Mgr Darboy et Mgr Dupanloup, c'est court. Parler de l'épiscopat de France et du Concile et ne pas citer même Mgr Pie, c'est commettre une grosse faute de mémoire. Mgr Gibbons révèle sa pensée intime en faisant le portrait suivant de Mgr Strossmayer (le hardi tribun de l'op­position): «Il passait pour le prélat le plus éloquent du Concile, et il se sentit obligé de répudier certains sentiments hostiles au Saint-Siège qui lui avaient été faussement (? ? ?) attribués. Ses discours étaient tou­jours sûrs de captiver ses auditeurs, sinon de les convaincre. Ses périodes coulaient avec la grâce, la majesté et le rythme musical d'un Ciceron». 3 Il est vrai que Mgr Strossmayer parlait avec facilité et même avec élo­quence, mais il a souvent blessé les sentiments dé la majorité du Concile, jusqu'à s'attirer les apostrophes les plus sévères. La Belgique pouvait être fière de son primat, Mgr Dechamps. Mgr dé Montpellier, évêque de Liège, était aussi au nombre des prélats les plus écoutés. La Suisse avait un évêque bien sympathique, Mgr-Mermillod, et des prélats connus pour leur doctrine: Mgr Lachat, de Bâle, Mgr Marilley, de Lausanne. L'Orient latin était bien représenté par Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem; et Mgr Spaccapietra, de Smyrne. Les Arméniens par Mgr Has­sun et Mgr Nasarian, les Grecs par Mgr Jussef, les Chaldéens par Mgr EbedJésus Khayatt. Reste l'épiscopat français. Evidemment il n'était pas très théologien et nous avons bien été humiliés sous ce rapport. La France n'avait plus d'universités catholiques. Nos séminaires étaient pieux, mais ils avaient organisé de petits cours après la Révolution et ils s'en tenaient là. Les Sulpiciens et les Lazaristes n'envoyaient pas leurs sujets se former aux grandes écoles de Rome. Nous étions en retard pour la théologie et le Concile révéla cette lacune. Les étrangers nous disaient: Vous n'avez qu'un évêque théologien, l'évêque de Poitiers. Notre épiscopat rachetait, autant qu'il est possible, cette lacune ca­pitale par bien des qualités et des distinctions. Mgr Pie n'était pas seu­lement un théologien sûr et profond, c'était aussi un apologiste, un ora­teur, un écrivain d'une grande finesse. Nul plus que lui n'avait suivi la genèse des erreurs et le développement théologique de ce siècle. Ses écrits étaient comme le commentaire anticipé du Concile. Mgr Dupanloup était un polémiste ardent, un orateur, un lettré. Il avait organisé son diocèse avec un peu de brusquerie peut-être, mais avec un grand zèle; il avait attiré auprès de lui une élite d'écrivains ecclésias­tiques. Mgr Plantier était aussi un apologiste et un orateur. Mgr Berteaud était un poète. Sa parole enflammée et toujours improvisée jaillissait comme un bouquet d'étincelles où les vues sublimes de la foi se mêlaient aux traits abondants de l'esprit naturel. Mgr Freppel fut sacré pendant le Concile. Il s'était déjà révélé com­me théologien et comme orateur. Mgr Landriot, Mgr Le Courtier étaient des écrivains distingués sinon profonds. Mgr Cousseau et Mgr Meignan étaient des érudits. Mgr Raess se révéla comme excellent latiniste et bon théologien. Mgr Allemand Lavigerie était un apôtre ardent. Mgr Régnier un mer­veilleux administrateur. Nous avions tout un groupe d'évêques grands seigneurs, issus de nobles familles, avec toute la distinction de l'Ancien Régime sans en avoir lés défauts. Il y avait Mgr de Dreux-Brézé, Mgr Roullet de la Bouillerie, Mgr Gerault de Langalerie, Mgr Dupont des Loges, Mgr Pallu du Parc, Mgr de La Tour d'Auvergne, Mgr de Bonnechose. Dans ces. conditions notre épiscopat fit encore très bonne figure au Concile, bien qu'il fût médiocrement théologien. === VIII L’OPPOSITION ET SES CAUSES === Il y a eu un parti d'opposition, il faut bien l'avouer. Comme écrivait Veuillot, «personne ne blâme une opposition de conscience, chose naturelle, légitime, souvent très utile. Le mal, c'est l'opposition systématique, l'esprit d'opposition, l'application obstinée et désordonnée à faire de l'opposition. Voilà ce que le publié chrétien n'au­rait pas voulu voir au Concile... ».(( Rome pendant le Concile, II, Paris 1872, pp. 200-201.)) D'où est venue cette opposition? De l'esprit gallican et libéral et du joséphisme allemand. Dès qu'on a su que l'infaillibilité était dans le programme du Concile, le //parti //s'est formé et il a levé la tête. Mgr Ma­ret et le P. Gratry ont représenté la vieille Sorbonne. Doellinger était le petit-fils de Luther. L'article du //Correspondant //du 10 octobre a sonné la charge. On l'a dit inspiré par Mgr Dupanloup et il a été signé par la Rédaction. Il engageait donc toute l'école libérale, qui est aussi, sans s'en douter, une petite fille de la Réforme. N'y a-t-il pas eu quelques fautes chez les autres, je ne voudrais pas l'affirmer. La commission préparatoire du Concile n'était-elle pas composée un peu trop de théologiens ultramontains triés sur le volet? Peut-être. La première des grandes commissions du Concile a été élue avec cet exclusivisme. Était-ce prudent? L'opposition s'accentua, s'aigrit, s'or­ganisa et l'on vit aux élections suivantes une liste d'opposition. Les //schemata //n'étaient-ils pas un peu étroits, un peu trop couvre d'école? Mgr Dupanloup avait dit: «Il faut faire un grand Concile». Ses amis et son parti avaient répété cela. Il pouvait y avoir du bon dans ce désir. Ces prélats avaient peut-être raison quand ils voulaient que le Concile procédât un peu largement, que l'on commençât par un peu d'apolo­gétique, en rappelant au monde les bienfaits de l'Évangile et la civilisa­tion sortie de l'Église. Il me semble que Léon XIII eût fait comme cela. Il a ouvert très largement ses bras aux nations, aux Églises séparées, à tous les hommes de bonne volonté. Si les plus éminents opposants avaient eu place dans les commissions, ils auraient peut-être proposé cela. Au lieu de cela, on commença de suite un peu étroitement, comme en classe de théologie. Mgr Dupanloup avait souvent de grandes idées, mais il avait un caractère bouillant, dur, autoritaire. Se voyant combattu et mis au ban du Concile, il se fit chef d'opposition et il crut qu'il serait le maître. On tenait des conciliabules à la villa Grazioli où il habitait.(( Veuillot chiamava graziolini i seguaci di Dupanloup.)) On s'entendait pour tous les votes. Un secrétaire docile, Mgr David, se tenait à l'entrée de la salle et donnait le mot d'ordre. Nous entendions cela derrière les coulisses. L'opposition avait ses journaux: la //Gazette de France, //le //Français, //etc. Les brochures à effet paraissaient en leur temps. On s'entendait pour les arguments à produire: le fait d'Honorius, les fausses décrétales, l'importance des grands sièges, le manque de liberté des vicaires aposto­liques, la nécessité de l'unanimité morale, etc. On se prêta aux agisse­ments des gouvernements. On eut recours aux moyens en usage dans les parlements: l'obstruction, la sortie en masse, l'abstention, etc. On essaya des moyens plus diplomatiques: des pétitions à Pie IX et des dé­marches pour demander l'ajournement de la question. Qu'il y ait eu dans tout cela de l'humain, c'est bien évident. Il y avait quelques hommes aigris, mécontents, obstinés. Chez plusieurs, c'était une légitime opposition de conscience. Ils craignaient que la définition n'entraînât quelques tentatives de schisme dans les pays peu croyants. Ceux-là étaient des opposants courtois, polis, humbles. Tel fut par exemple Mgr Simor, archevêque de Gran. Il n'était pas favorable à la définition. Cela ne l'empêcha pas de prendre aux tra­vaux du Concile une part active et dévouée. Il en fut récompensé par la pourpre peu de temps après le Concile. Il faut ajouter que les opposants croyaient à peu près tous à l'infail­libilité. Ils la faisaient enseigner dans leurs séminaires et leurs catéchis­mes. Mgr Gibbons a eu raison d'écrire que le nombre des prélats qui mettaient vraiment en doute l'infaillibilité aurait pu être compté sur les doigts d'une seule main. La plupart ne s'opposaient à la définition que parce qu'il leur semblait difficile de faire accepter ce dogme au monde. Pie IX et le Concile ont pensé que l'agitation une fois soulevée ren­dait la définition non seulement opportune mais nécessaire, sans cela le Concile aurait laissé l'Église plus agitée et plus troublée qu'elle ne l'était avant lui. Il y eut jusqu'à cent vingt opposants environ. Au 12 février //L'Univers //citait trente-trois opposants français: les archevêques de Reims, Paris; Sens, Albi, Avignon, Chambéry; les évêques de Grenoble, Orléans, Dijon, Autun, Evreux, Cahors, Perpignan, Constantine, Luçon, La Ro­chelle; Metz, Oran, Gap, Saint-Brieuc, Bayeux, Valence, Coutances, Pa­miers, Viviers, Nice, Montpellier, Soissons, Chàlons, Marseille, Nancy; Verdun, Sura. A la démonstration qu'on voulut faire par une sortie en masse dans les congrégations du 2 et 4 juillet, ils étaient une cinquantaine, dont une vingtaine d'Italiens, dix Allemands, douze Français. Au grand jour de la définition le 18 juillet, il y eut environ soixante-dix abstentions. Tous ont ensuite adhéré à la définition et l'Église n'a pas eu la tristesse de voir un seul évêque déserter ses rangs. Malgré cela, il est absolument certain que le Concile dans son en­semble a été admirable de piété, de dignité, de sagesse. A peine y eut-il deux fois un quart d'heure d'agitation dans les séances. C'est moins en toute une année qu'en une journée dans un parlement.(( Questo giudizio è pienamente condiviso da V. Marchese: «Altra cosa, ammi­rabile specialmente, per me, che per tre lustri avevo presenziato alle diatribe delle assemblee politiche, fu la squisita educazione parlamentare del Ven. Consesso. Le discussioni, specialmente negli ultimi tempi, assunsero spesso le forme di un’estrema vivacità. Gastaldi e Strossmayer, l’Ettore e l’Achille di questa nuova Troia, lotta­rono strenuamente fino all’ultimo... Ma anche in questi bollori di eloquenza, la forma era sempre corretta, l’Assemblea seria e dignitosa, tutto l’insieme del Concilio non cessò un istante di essere venerando. Il tumulto più grave si ebbe in occasione che Mons. Strossmayer si lasciò sfuggire una parola che poteva essere interpretata in senso sinistro; é l’Assemblea diede in una vivace esclamazione di protesta che fu però calmata dalle spiegazioni date dall’oratore» Le mie impressioni al Concilio Vati­cano, Saluzzo 1912, p. 108.)) //L'Univers //pouvait écrire avec raison dès le 20 décembre: «Il suffit d'ouvrir les yeux et les oreilles, aussitôt le grand et uniforme caractère de piété apparaît. Dans cette immense diversité de physionomies, de langues, d'origines, de situation, on reconnaît le même évêque, je dirais volontiers le même homme. Si un groupe d'opposition se constitue, com­me quelques-uns le craignent, ce groupe sera petit, et encore pense-t-on qu'il existera plutôt au dehors qu'au dedans du Concile. Au dehors, me disait un évêque, il y a quelque place pour l'esprit de l'homme; au dedans, il n'y aura place que pour l'esprit de Dieu, et bien que l'unani­mité ne soit pas du tout nécessaire; néanmoins elle manquera rarement».(( L. VEUILLOT, Rome pendant le Concile, I, Paris 1872, p. 35.)) Par le fait, ceux qui firent de l'opposition de parti ne furent pas plus de cinquante sur neuf cents prélats. === IX MES FONCTIONS === Nous étions quatre sténographes au séminaire français: M. Dugas, M. Bougouin, M. de Dartein et moi. Il y avait congrégation générale à Saint-Pierre quatre ou cinq fois par semaine. Nous partions le matin vers 8 heures. Nous avions le costume officiel des clercs de Rome: la soutane droite sans taille et sans ceinture, les souliers à boucle, le col blanc, le petit manteau appelé //farajolo// [ferraiolo]. Ordinairement un évêque nous prenait dans sa voiture. Je montais le plus souvent avec Mgr Gignoux de Beauvais, qui m'appelait en souriant «son petit vicaire général», ou avec Mgr Pallu du Parc, évêque de Blois, qui me disait avec sa bonté ordinaire: «venez mon fils», en prononçant comme à Blois «mon fi». La messe conciliaire était à huit heures et demie. C'était chaque jour quelque vicaire général d'évêque qui ambitionnait de la dire pour prendre ainsi sa petite part au Concile, part bien petite sans doute, mais encore appréciée. Et cela nous faisait comprendre, à nous sténographes, quelle grande faveur c'était pour nous de prendre part à toute la vie quotidienne de cette sainte assemblée. Les travaux commençaient après la messe, il était près de neuf heu­res et demie quand on était en train. On quittait vers midi. Nous écri­vions debout devant la tribune. Nous nous remplacions deux à deux de cinq en cinq minutes. Notre système n'était pas merveilleux. Je l'ai déjà décrit. Nous écrivions chacun une ligne. Nous disions lentement à notre voisin à quel mot nous prenions. Parfois l'orateur nous enten­dait. Mgr Strossmayer s'impatientait, s'arrêtait et nous disait: taisez-­vous, //taceatis//. Il nous fallait de vingt à trente minutes pour reconstituer en caractères romains notre grimoire sténographique. Nous allions vite faire cela, toujours deux à deux, et nous revenions dans la salle écouter les discours en attendant notre tour pour écrire encore. Nous avions un vaste bureau de travail derrière la tribune. J'écrivais avec un bien aimable abbé Carlo Zei, qui a été ensuite secrétaire, puis vicaire général de l'archevêque de Florence et qui est mort au moment où il allait être évêque de Fiesole. Nous avions souvent la visite des évêques à notre salle de travail. Ils venaient nous demander ce qu'on avait dit, quand ils n'avaient pas entendu ou compris. Quelques évêques d'opposition étaient agacés de nous voir toujours là. L'un d'eux disait: «On saura comment nous votons par ces jeunes gens!». Avait-il donc quelque scrupule de conscience sur la sagesse de ses votes? Quand la séance finissait, vers midi, il nous restait pour une demi­-heure de besogne à transcrire, puis nous retournions sous le chaud soleil de Rome et après-dîner nous allions aux cours. === X LES GRANDES COMMISSIONS === Cinq grandes commissions avaient été instituées et deux tribunaux, celui des Excuses et celui des Querelles. La première grande commission était la commission d'initiative. Elle devait recevoir les //postulata// des Pères pour les questions à introduire. Le Saint-Père la nomma de lui-même. Elle comprenait douze cardinaux et quatorze évêques. Elle était admirablement composée. Elle compre­nait quelques cardinaux de Curie des plus intelligents: le cardinaux Pa­trizi, Di Pietro, De Angelis, Barili, Monaco La Valetta; les cardinaux Corsi, de Pise, et Riario Sforza, de Naples, pour l'Italie; les cardinaux Rauscher, pour l'Allemagne, de Bonnechose, pour la France, Cullen, pour l'Irlande, Moreno, pour l'Espagne. Elle comptait aussi les principaux archevêques et primats de chaque nation: Mgr Jussef, patriarche des Grecs Melchites; Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem; Mgr Guibert, archevêque de Tours; Mgr Manning, Mgr Spalding; les archevêques de Malines, de Valence, de Santiago, de Sorrente, de Turin, l'évêque de Paderborn.(( Cf. l’elenco completo dei Padri componenti le diverse commissioni conci­liari nella Coll. Lac., VII, 712-716; GRANDERATH, Histoire du Concile du Vatican, II-l, pp. 96-99.)) Pourquoi le Saint-Père avait-il nommé cette commission lui-même? N'était-ce pas entraver l'initiative du Concile? Pourquoi n'y avait-on mis aucun des évêques gallicans? Pourquoi l'exclusion des grands évêques du Rhin, de ceux de Cologne et de Mayence, quand on donnait place au modeste évêque de Ratisbonne? Pourquoi Paris n'était-il pas repré­senté comme Vienne, Londres, Turin, Bruxelles? Telles furent les cri­tiques qui éclatèrent et dont plusieurs auraient peut-être pu être évitées. Les deux tribunaux des Excuses et des Querelles furent élus dans la congrégation générale du 10 décembre. Dans l'élection du tribunal des Excuses, les suffrages s'efforcèrent de consoler quelques-uns des ou­bliés de la commission d'initiative: les archevêques de Cologne, de Reims, de. Grenade, de Florence. Le tribunal des Querelles fut élu sans esprit de parti. On choisit les évêques connus par leur douceur et leur esprit de conciliation: Mgr An­gelini, évêque résidant à Rome, Mgr Mermillod et trois autres. C'est sur l'élection de la commission //de fide //que porta le principal effort des deux camps.(( Riguardo all’elezione delle deputazioni o commissioni conciliari V. Marchese, seguendo il pensiero dei Padri dell’opposizione, afferma che esse furono imposte dal Papa: «Il primo atto che colmò la misura, fu che oltre alla commissione di Cardinali e Prelati scelta direttamente dal Papa per esaminare le proposte dei Padri, anche le altre quattro deputazioni per le cose appartenenti alla Fede, alla Disciplina, agli Ordini Regolari, e agli affari d’Oriente, non furono lasciate, come si aspettava comu­nemente, all’elezione dei Padri, ma vennero imposte dal Papa» Le mie impressioni al Concilio Vaticano, Saluzzo 1912, p. 39. Per la confutazione di tale opinione cfr. GRANDERATH, op. cit., II-1, pp. 83-96.)) Les choix furent préparés par des groupes de chaque nation. Le vote eut lieu le 14 décembre.(( La votazione avvenne nella 2a congr. gen.)) Le résultat fut écrasant pour les gallicans. Mgr Garcia Gil, archevêque de Sarragosse, passait le premier; Mgr Pie le second; Mgr Leahy, de Cashel, le troisième; Mgr Ré­gnier, de Cambrai, le quatrième. La Hongrie était représentée par Mgr Si­mor, qui fut un opposant de conscience et non de parti; la Hollande, par Mgr Schaepman, archevêque d'Utrecht; l'Orient par le patriarche Hassun; l'Angleterre par Mgr Manning; la Belgique par Mgr Dechamps; l'Amérique par Mgr Spalding, archevêque de Baltimore. Ce qui étonna, ce fut la représentation de la France, de l'Allemagne et de l'Italie. Pour la France, on ne voyait arriver ni l'archevêque de Paris, ni le cardinal de Besançon, ni l'évêque d'Orléans. L'Allemagne était représentée par Mgr Ledochowski de Posen et par les évêques de Ratisbonne, de Brixen et de Paderborn, les rares ultramontains que comptât l'épiscopat alle­mand. L'Italie avait, avec l'archevêque de Modène, les évêques de Calvi et de Trévise. Après cette élection, //L'Univers //pouvait écrire avec raison: «Le Con­cile est fait».(( Cf. L. VEUILLOT, Rome pendant le Concile, I, Paris 1872, pp. 60-61.)) C'était vrai. Il y avait une immense majorité sur la ques­tion qui pouvait agiter les esprits. Mais de ce jour-là l'opposition sentit le besoin de s'organiser. Elle se composa une liste pour le scrutin sur la commission //de disciplina. //On distribua la liste aux amis à la porte du Concile. Ce fut en vain. Ni Mgr Dupanloup, ni aucun des gallicans militants ne passèrent.(( La commissione della disciplina fu eletta nella 3a congr. gen., il 20 dicembre.)) Pour la France, c'est Mgr Plantier, Mgr Fillion et Mgr Sergent qui furent élus. Pour l'Allemagne, ce furent quatre évêques peu connus: l'évêque de Lemberg en Galicie, celui de Würzburg, celui de Seckau en Styrie et celui de La Crosse en Silésie. L'opposition essaya encore la lutte pour la commission des régu­liers, mais avec le même insuccès.(( Il voto si ebbe il 28 dicembre, nella 4a congr. gen. La commissione per le chiese orientali e per le missioni fu eletta nella 10a congr. gen., il 14 gennaio. )) C'est Mgr Raess, de Strasbourg, et Mgr Saint-Marc, de Rennes, qui passèrent pour la France. Mgr de Fürstenberg passa pour l'Allemagne. C'était un opposant, mais il n'y avait peut-être plus d'évêques allemands de la majorité à proposer. Après ces élections, on pouvait vraiment dire que le Concile était fait, mais on pouvait prévoir toute l'action d'un parti d'opposition, orga­nisé et assez puissant.