435.07

AD B.21 /7a.3

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De Mr Boute

(11 janvier 1864)

Mon cher Léon,

Ce n'est pas de Vienne, comme vous le pensez, mais bien du fond de la Norvège, que vous m'avez adressé votre dernière lettre en date du 22 7bre et que j'ai reçue dans les premiers jours d'8bre. Je vous ai répondu a Vienne poste restante; ma lettre vous est-elle parvenue? Maintenant que vous voilà remis à l'étude, il faut vous y livrer, comme vous savez le faire quand le temps presse, et c'est bien ici le cas; oui, mars ap­proche, vous avez peu de temps devers vous; mais vous nous avez gâtés, et appris ainsi à devenir exigeants par les tours de force que vous nous savez faire en pareille occasion. Nous ne désespérons donc point de vous voir, à cette époque, le chef cou­ronné du bonnet doctoral. Puisque vous avez commencé par ce que je viens d'appeler tour de force, il faut finir de même, laisser de côté tout le reste pour réunir toutes vos facultés et tout votre temps sur l'étude du droit. Vous m'annoncez le prochain maria­ge de Henri; je voudrais voir un docteur y assister1.

Vous me dites qu'il est à peu près décidé que vous partirez pour Rome au mois de juin pour y passer trois ou quatre ans. C'est tout â fait là mon avis; c'est aussi le con­seil que je vous donnai dans ma dernière lettre adressée à Vienne, si vous l'avez re­çue. Ce projet me sourit beaucoup; vous vous perfectionnerez par la en tout genre, et votre vocation se dessinera. Si vous n'entrez point dans l'Eglise, vous pourrez vous faire jour dans la diplomatie. Je vous suivrai toujours partout avec un intérêt tout particulier2.

Je ne sais comment il s'est fait que l'on ne vous ait pas envoyé la lettre de faire-part au sujet de la mort de Mr Louis, quand on en a envoyé une chez vos parents. C'est un oubli que je regrette mais où je ne suis pour rien. Mr le Principal nous est revenu de­puis un mois. Il va beaucoup mieux quoique souffrant encore un peu des nerfs. Il n'a d'ailleurs jamais été aussi mal qu'on l'a dit; on a beaucoup exagéré en cela comme ça arrive en bien d'autres choses3.

Il vous remercie, ainsi que Mr Dekeister et Mr Lacroix de votre bon souvenir et de vos bons souhaits, et ces MMrs vous prient d'agréer les leurs en retour4; je me joins à eux pour vous exprimer les miens, et mes meilleurs sentiments que vous connaissez déjà et qui vous sont tout acquis depuis longtemps. A l'occasion, un petit souvenir à vos parents et à Henri.

Je joins ici ma carte pour votre ami Siméon qui m'a envoyé la sienne, qui porte seu­lement rue des Beaux-Arts! Sans N° Veuillez la lui remettre, quand vous le verrez. Son frère julien est en route pour le Mexique depuis le 21 Xbre dernier; il arrivera encore à temps pour donner la chasse aux bandes juaristes qui infestent le pays. Mais la traversée lui paraîtra moins agréable que votre voyage en Allemagne et dans le nord5.

Je vous serre la main et vous embrasse de toute l'affection de mon cœur.

Votre ami dévoué

Boute Ptre

Hazebrouck 11 janvier 1864.

1 Léon présenta sa thèse au début de mars 1864, fut d'abord recalé, mais passera un mois plus tard (2 avril). Henri se mariera le 30 mai suivant. Cf NHV II, 65v° -66r°.

2 Cf NHV II, 66r°/v°.

3 M. Louis Dehaene, frère de Mr le Principal du Collège d'Hazebrouck, devenu prêtre à 39 ans et son collaborateur. Sa mort (le 13 juin 1863) affecta beaucoup M. Dehaene (cf Lemire: L'abbé Dehaene et la Flandre pp. 335-344).

4 MM. Dekeister et Lacroix: des professeurs et collègues de Mr Boute au collège d'Hazebrouck.

5 Siméon et julien Vandewalle: cf LD 4 (note 3) et LC 6, 11, 12… Julien faisait partie du corps expédi­tionnaire envoyé au Mexique pour soutenir Maximilien d'Autriche, proposé par Napoléon III com­me empereur du Mexique contre les bandes de Juarez (juaristes). Maximilien, finalement abandonné par la France, fut fait prisonnier et fusillé à Queretaro en 1867.

435.08

AD B.21 /7a.3

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De Mr Boute

Hazebrouck 9 avril 1864

Mon bien cher Léon,

Vous avez bien mérité de vos parents, de vos amis et de vous-même: vous voilà docteur en droit à 21 ans. Ce beau triomphe, dont je suis aussi fier que votre famille, m'a causé autant de joie qu'il a pu lui en procurer à elle-même. Vos engagements sont remplis à l'époque marquée par nos désirs, et de la manière la plus glorieuse.: Je vous en félicite pour ma part avec toute l'affection de la plus vive amitié. C'est à Armentiè­res, au milieu de cette semaine, que j'ai rencontré votre savante thèse qui porte, en outre, le cachet d'un homme lettré. Mais je vous ferai l'humble aveu que j'ai eu quel­que peu à rougir quand on me montra tout aussitôt que vous l'aviez dédiée à vos pa­rents et à votre ami. Je ne m'attendais pas à cette magnifique récompense de l'amitié profonde que je n'ai cessé, un seul instant, de vous porter, et à me voir rapproché si près de votre famille… ah! veuillez ne jamais cesser de croire que mon affection pour vous égale la sienne, si vive et si puissante qu'elle puisse être. Merci donc, mon cher ami, pour ce haut témoignage d'estime et d'amitié que vous m'accordez: merci pour ce don de votre cœur qui a si bien compris le mien.

Mr le Principal, MM. Dekeister et Lacroix, madame Dassonville et sa famille, Mr Xavier Delhaye et son fils jean, auxquels vous avez bien voulu envoyer votre thèse, me prient de vous dire qu'ils ont été heureux de la recevoir et qu'ils vous en félicitent tous bien sincèrement et plus qu'ils ne sauraient vous l'exprimer. Je les entends dire: Quelle joie pour Monsieur Dehon! Avec quelle noble et légitime fierté madame De­hon doit parcourir la longue rue de La Capelle, appuyée au bras d'un docteur de 21 ans! Ah! ce sentiment est bien permis; je l'éprouve si bien moi-même! Honneur donc à vous, honneur à vos parents, mon jeune et cher Docteur… mais honneur oblige et vous allez, en poursuivant votre carrière, nous promener de merveille en merveille; nous y comptons, parce que vous nous y avez habitués jusqu'ici, et que vous nous avez vraiment gâtés. A l'œuvre donc après le repos1.

Je compte toujours tenir la promesse que j'ai faite à Henri au sujet de son mariage. Je désirerais seulement en connaître l'époque quelques jours auparavant, pour pou­voir disposer de mon temps et ne rien déranger pendant cette courte absence2.

Mes respects à vos parents de La Capelle, du Nouvion, De Vervins et de Dorengt; et mes amitiés à Henri et à Mr Fiévet3.

Tout à vous

Boute Ptre

J'allais oublier de vous prier de m'envoyer votre thèse; je n'ai reçu que votre carte.

1 On trouvera cette thèse de doctorat sur «Le Cautionnement» en Œuvres Sociales IV pp. 63-170. Dé­dicace: A mes parents - A Mr Boute, Professeur au Collège d'Hazebrouck, Hommage de reconnais­sance.

Mr le Principal, MM. Dekeister et Lacroix, du collège d'Hazebrouck. Madame Dassonville d'Ar­mentières, où Léon était reçu en vacances (cf NHV I, 27r°); c'était aussi le lieu d'origine de Mr Bou­te. Xavier Delhaye n'a pu être autrement identifié.

2 Le mariage d'Henri aura lieu le 30 mai 1864.

3 Les diverses petites villes de l'Aisne où Léon avait de la parenté (cf généalogie et en NHV I, 92v°­93v°).

436.09

AD B.21/7a.3

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

De Mr Boute

(Hazebrouck 13 août 64)

Mon bien cher ami,

J'apprends que vous vous proposez de partir du 18 au 20 de ce mois pour la Grèce et peut-être pour plus loin encore. Quelle nouvelle équipée! Vous êtes donc, mon bien cher, possédé de l'a rage des voyages? Avez (vous) conçu le plan d'une nouvelle odyssée? La Grèce? Mais n'y a-t-il pas du tapage dans ce pays-là? Je suppose que vous n'avez pas l'intention d'aller détrôner le nouveau roi? Qu'allez-vous donc faire dans cette galère? Que n'attendez-vous, comme c'était votre premier plan, que vous ayez complété vos études, pour les couronner par ce voyage? Tous ces messieurs, à qui j'en ai parlé, ne le goûtent pas du tout, et préféreraient vous voir à Rome ou à Is­sy. Que va-t-il résulter de tout cela…? Permettez à l'un de vos meilleurs amis de vous tenir ce langage très désintéressé1.

Quoi qu'il en soit, si je ne puis vous détourner de ce dessein qui ne me sourit nulle­ment et sourirait, le pense, encore moins à Monseigneur Dupanloup2, veuillez atten­dre du moins que j'aille vous serrer la main avant votre départ. Si je n'étais pas retenu par les obligations les plus pressantes dans ce pays jusqu'au 19, je partirais immédia­tement pour La Capelle. Attendez-moi, le vous prie, jusqu'à ce jour, ou au lendemain au plus tard. Si vous avez pris des engagements, ils ne sont pas si sacrés que vous ne puissiez les rompre ou les reculer. Je compte donc vous voir chez vous vendredi soir; ou samedi, pour quelques jours seulement à mon grand regret. Je devrai retourner dans le pays de Valenciennes dans le commencement de la semaine du 21 courant.

Je vous écris en toute hâte, accablé de besogne et surtout de visites. Je n'ai pas ré­pondu à votre dernière lettre, dont le vous remercie, parce que le me proposais de causer avec vous chez vous sur son contenu.

Mes amitiés très empressées à vos parents et au nouveau ménage que je serai en­chanté de revoir. Je vois déjà madame Laure, en bonne ménagère, s'occuper, je ne parle pas du commerce, cela va sans dire, et puis c'est trop prosaïque, mais de ses chères poules et de toute sa basse-cour, sans oublier sa chère fauvette, si la pauvrette a survécu à l'accident qui nous a tous mis en émoi. A bientôt donc.

Votre ami

Boute Ptre

Hazeb. 13 août 64.

1 Cf NHV I, 29r°/v°: «Le 13 août, il (Mr Boute) m'écrit une lettre sévère. Il a appris mon projet de voyage en Orient, il ne le goûte pas. II est l'écho des alarmes maternelles. Sa lettre est piquante, un peu ironique. II me parle des périls du voyage. Il me demande ce que deviendra ma vocation à travers ces pérégrinations. Ne deviendrai-je pas un jeune homme qui ne fait rien? - II n'était pas dans le vrai ce jour-là. Je n'ai jamais regretté un seul instant mon voyage en Orient. Je l'ai toujours regardé comme une grâce divine. Il a eu une influence immense et toute favorable sur ma vie. C'était une splendi­de transition entre mes études littéraires et mes études ecclésiastiques. Je remercie N. S. de m'avoir donné la grâce de le faire».

2 Cf LD 4 (note 3) et 28 (note 3).

3 Laure (Longuet), fille de Juliette-Augustine Vandelet (ép. Charles Longuet), tante maternelle de Léon et Henri et donc leur cousine germaine, mariée depuis le 30 mai 1864 à Henri.

435.10

AD B.21 /7a.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De Mr Boute

Hazebrouck 13 9bre 1864

Mon bien cher ami,

Il y a un mois juste à pareil jour que vous m'écriviez d'Athènes, en face de l'Acro­pole. Moi, plus modeste, je vous écris sous le ciel brumeux et peu poétique d'Haze­brouck, en face de son clocher, attendu que j'ai transporté mes vieux pénates dans la grande chambre qu'occupait monsieur Evrard, de joyeuse mémoirel.

Je vous remercie de votre bonne et savante lettre; j'espère qu'elle ne sera point la dernière de votre voyage; la plus petite de votre part, ne renfermât-elle que quelques lignes, sera toujours la très bien venue. J'ai donné conaissance de celle datée d'Athè­nes, avec son timbre grec et ses timbres-poste en grec aussi, à ces messieurs qui s'y sont vivement intéressés. Je l'ai lue même à mes élèves auxquels j'ai énuméré vos suc­cès et vos heureux talents, afin de les porter au travail, en les engageant à marcher sur vos traces. Cette lecture a paru les charmer et leur faire grand bien. Je compte, avec votre permission présumée, en agir encore de même, lorsque vous me procure­rez l'avantage de l'envoi (?) d'une seconde missive. La chose doit peu vous coûter, puisqu'il suffit de laisser courir votre plume pour être intéressant. Je compte donc sur votre obligeance et votre bon souvenir.

Simeon2 est venu passer dix â douze jours au pays; nous avons beaucoup causé de vous, de vos voyages, de votre brillant avenir… Il avait passé par La Capelle où il avait séjourné quelques jours au sein de votre famille. Laure lui aurait dit qu'elle se chargeait de lui procurer une femme en temps opportun et il parait bien décidé à s'établir â Paris et à ne point épouser en son pays; je l'approuve au moins pour ce der­nier point de vue. Il se proposait de vous écrire à son retour à Paris et probablement vous trouverez sa lettre avec la mienne à votre retour à Athènes de vos savantes ex­cursions. Que vous êtes heureux de pouvoir parcourir et étudier des contrées si célèbres à tant de titres! Il avait laissé madame Dehon Jules toujours un peu souffrante. Cette bonne et tendre mère s'alarme toujours à votre sujet. Dites-lui bien que vous ne courez aucun danger, et qu'elle doit se rassurer sur votre compte, et bannir toute crainte au sujet de ce voyage. Vous ne pourrez jamais la prêcher assez sur ce point. Les mères sont si promptes à s'alarmer, si ingénieuses à se créer des fantômes!

Je porte â votre connaissance que Monsieur Baye Benjamin, votre ancien condisci­ple, bornant enfin le cours de ses espiègleries, a, le 26 7bre dernier, allumé le flam­beau de l'hyménée. Quelle est, me demanderez-vous, l'heureuse mortelle qu'il a dai­gné associer à ses destinées? C'est une jeune personne de St-Omer, belle-sœur de Monsieur Thooris. Il n'a pas encore de position, par la raison qu'il a plutôt pratiqué jusqu'ici une queue de billard que parcouru et étudié les auteurs propres à sa licence. Il commence a sentir le besoin de conquérir ce grade pour arriver à quelque chose.

Vous me feriez plaisir, si la chose était possible et qu'elle ne dût point déranger trop, de me faire l'envoi d'un n°d'un journal grec, en grec moderne bien entendu. Tous ces messieurs vous souhaitent bon voyage, et vous aiment toujours comme par le passé, Mr le Principal, Mr Dekeister et le père Lacroix. On ne désespère pas de vous revoir avant la fin du monde; et moi, je compte bien vous serrer la main et vous embrasser avant un an3.

C'est dans ces sentiments, mon bien cher ami, que je vous quitte, en y ajoutant mes vœux les plus ardents pour votre heureux retour. Puissiez-vous un jour publier la re­lation d'un voyage aussi intéressant au point de vue historique et scientifique qu'au point de vue religieux.

Je vous embrasse bien cordialement.

Boute Ptre (prêtre)

1 M. Evrard, l'un des fidèles collègues de Mr Dehaene et de Mr Boute au collège d'Hazebrouck, deve­nu ensuite curé-doyen de Notre-Dame à Roubaix. Léon Dehon l'eut comme professeur de troisième.

2 Sur Siméon cf LD 4 (note 3) et LC 2 et 7.

3 Ces «messieurs»: le Principal, Mr Dehaene; Mr Dekeister, directeur, cousin de Mr Dehaene; le père Lacroix, surveillant général. L'abbé J. Lemire, en son livre «L'abbé Dehaene et la Flandre» (Lille 1891), en donne des portraits savoureux: Mr Boute pp. 329-330; Mr Dekeister, pp. 334-335; Mr Lacroix pp. 330-334.

Sur ces «messieurs» cf en NHV: Mr le Principal (Mr Dehaene), 1, 14r° - 17r°; Mr Boute: 1, 17r° -23r°; MM. Evrard, Lacroix, Dekeister: 1, 23r°) - 24r°.