435.13

AD B.21 /7a.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De Mr Boute

Hazebrouck 6 août 65

Mon bien cher ami,

Le temps m'a fait défaut jusqu'ici pour répondre à votre lettre du 25 juillet, et me manque encore pour écrire longuement. Vos parents ont reçu la circulaire concer­nant l'ouverture de notre nouvel établissement au mois d'octobre prochain1. On nous promet au moins pour commencer une centaine de pensionnaires. Vous ne sau­riez vous imaginer que d'efforts nous avons dû faire, que de ressorts nous avons dû faire jouer pour arriver à cet heureux résultat. Le ministre enfin s'est contenté de sa défaite à Lille en conseil départemental (autrefois académique); il n'a pas jugé à pro­pos d'en appeler de ce jugement; on nous a assuré, de très bonne source, qu'il aurait été également battu au conseil supérieur de l'instruction publique. Mais nous som­mes heureux de savoir enfin qu'il n'a pas cru devoir interjeter appel dans le délai pre­scrit par la loi de 18502; ce qui aurait pu reporter le débat à six mois.

Notre affaire a fait beaucoup de bruit; à Paris même on en parlait dans les salons; un de nos députés en a entretenu aussi l'impératrice pendant sa régence, laquelle ré­pondit: «Nous ne savions rien de tout cela». Vous comprenez dés lors pourquoi Mr Duruy a jugé prudent de battre en retraite. Nous savons de plus très positivement qu'il eût suffi à Mr Dehaene de faire la plus petite demande pour être réintégré au collège, et elle aurait été accueillie avec empressement; un inspecteur général est mê­me venu chez nous pour sonder le terrain, mais nous préférons jouir de la position li­bre que nous avons conquise, ouvrir à nos risques et périls, mais vivre avec indépen­dance. Le but que nous voulons atteindre est de fonder une œuvre permanente, pro­fitable à la ville et au pays, et qui ne dépende plus d'une personne, ou d'un caprice. - C'est le 15 juillet au soir qu'a expiré le délai de l'appel; nous savions, d'après nos ren­seignements, qu'il n'aurait pas lieu, mais néanmoins, nous avons toujours été, jusqu'à l'expiration de ce jour, dans la plus grande inquiétude à ce sujet. Ce n'est que le 15 au soir que nous avons respiré à pleins poumons. Nous nous sommes occupés alors des moyens d'approprier à sa nouvelle destination le vaste établissement des ca­pucins que nous occupons et que vous connaissez; nous allons l'exhausser d'un étage, et demain lundi, les ouvriers vont se mettre à l'œuvre, de manière que la partie la plus nécessaire soit terminée pour la rentrée. Vous voyez que je vais être encore très occupé, et que si je vais vous voir (je ne sais encore à quelle époque), ce ne sera que pour un jour ou deux. J'ai eu une peine extrême à trouver un entrepreneur, par suite de l'extrême rareté des ouvriers; on me répondait partout: «J'ai déjà une foule d'en­treprises et je ne puis trouver d'ouvriers: Armentières, Roubaix et Lille les absorbent tous». Jugez de mon embarras; enfin j'ai trouvé ce que je voulais, et comme je vous l'ai dit, nous commençons demain. Mais vous qui avez maintenant tout le temps, ve­nez donc nous voir; venez passer quelques jours dans notre retraite où vous respire­rez aussi bien que chez vous l'air pur de la campagne. Allons faites un pas pour vos anciens amis, vous à qui il ne coûte rien de courir au bout de monde; vous ne pouvez douter de l'accueil qui vous sera fait. Notre vie est, comme notre régime, toujours la même. M. le Principal se joint à moi pour vous inviter, et nous irons voir Mr Dekei­ster dans sa cure à 2 vicaires, à 2 lieues d'Hazebrouck, sur le chemin de fer: c'est Vieux Berquin. Nous causerons tout à l'aise de vos projets que Mr le Principal et moi approuvons de tout cœur. Mais nous sommes d'avis qu'il faut commencer, dès cette année, à en préparer la réalisation, en vous rendant à Rome.

Votre bonne mère est donc heureuse de vous voir près d'elle; elle n'a donc plus au­cune inquiétude à concevoir sur un fils qui lui est si cher. Compensez par vos tendres­ses les longs soucis, les noirs pressentiments que vous lui avez causés par une si lon­gue absence. Dites-lui bien que le n'ai point oublié le pèlerinage de N.D. de Liesse, et que, malgré mes occupations, je ne désespère point le réaliser avec elle et vous. Le temps dépendra pour moi de notre retraite qui n'est pas encore fixée. La ferons-nous ici? Irons-nous à Cambrai? C'est un point encore indécis.

Vous m'écrirez du reste au sujet des couches de Laure que je suis heureux d'ap­prendre qu'elle va aussi (bien) que peut le comporter sa position2. Dites lui bien de ma part que je ne l'oublierai point d'ici à ce moment; qu'elle ait confiance en Dieu et à la Ste Vierge, et qu'elle fasse une bonne communion quelques jours avant le mo­ment attendu, et qu'elle n'ait aucune crainte. Embrassez Henri et vos bons parents pour moi. Mes compliments à Adeline4.

Tout à vous

Boute Ptre (prêtre)

Vous savez, je crois, que Mr Dehaene est chanoine honoraire de notre métropole.

1 L'institution St François d'Assise, ouverte par Mr Dehaene à Hazebrouck après sa révocation du col­lège communal (cf LC 12).

2 La loi Falloux sur la liberté de l'enseignement secondaire, du 15 mars 1850.

3 Laure, femme d'Henri Dehon, accouchera le 17 août de Marthe-Marie-Louise, baptisée le 21 sep­tembre par Mr Boute, avec Léon comme parrain.

4 Adeline: il s'agit très probablement de Marie-Joseph-Adèle Jouniaux (veuve Debouzy), née en 1810 à Wignehies, l'ancienne paroisse de Mr Boute. Elle fut longtemps domestique dans la famille Dehon. C'est par son entremise que les fils Dehon avaient été mis en pension à Hazebrouck où Mr Boute était professeur (cf NHV I, 5v° /6r° et 13r°). Elle mourut le 1 ° décembre 1887 (cf NQ IV, 5v° 3 dé­cembre 1887).