148.02
AD B.17/6.2.2.
Ms autogr. 5 p. (21 x 13)
De l'abbé Ch. Bernard
Cambrai, le 9 mars 1871
Cher Monsieur,
Votre lettre a mis huit jours à me parvenir; j'ai ensuite tardé un peu à vous répondre, espérant toujours que les évènements viendraient éclairer un peu notre situation. Enfin, la paix est faite, nous avons une assemblée constituante qui donne des espérances pour la restauration de notre pays; mais elle se trouve en présence de difficultés énormes. La plus considérable sans doute est la situation morale de Paris, attestée par le dernier vote. On pense, comme vous le savez, à fixer le siège de l'assemblée en dehors de la capitale; c'est une sage précaution, mais, au fond, c'est tourner la difficulté, ce n'est pas la vaincre. La secte révolutionnaire a bien son centre d'action à Paris, mais son esprit est répandu partout, et c'est cet esprit qu'il faut détruire. Les épreuves providentielles par lesquelles notre patrie a passé, ont éclairé bien des intelligences, et jamais peut-être la situation n'a été aussi nettement dessinée entre le parti du bien et le parti du mal. La conséquence de cette situation nouvelle, c'est l'imminence de la lutte, qui cette fois, il faut l'espérer, sera non seulement heureuse pour le parti du bien, mais décisive1.
En attendant, puisque nous sommes en temps de restauration universelle, il me semble que, nous aussi, nous avons à préparer la rétablissement de notre séminaire français. Nous pouvons peut-être plus que nous ne pensons. Est-ce que le jour où le gouvernement français sera représenté à Rome par un ambassadeur, des sujets français ne pourront pas habiter dans cette ville une maison française? Avec cela notre Séminaire est reconstitué; car enfin, nous trouverons toujours quelques Jésuites qui consentiront à être nos professeurs. On a parlé de M. de Corcelles comme ambassadeur ; il est en rapports intimes avec M. Kolb-Bernard; si malheureusement, on envoyait M. Cochin, il serait encore facile de se faire recommander à lui; on pourrait même intéresser à notre affaire plusieurs des ministres actuels2.
Dans tous les cas, faisons quelque chose; imitons nos confrères du Collège Lombard, qui ont fait contre les envahissements piémontais une belle protestation qui a été livrée à la publicité, et avant tout, mettons-nous en relation avec le Père Supérieur, avec le Père Brichet et ceux de nos confrères qui ont vaillemment gardé le poste à Rome, avec nos anciens qui sont dispersés de tous les côtés, MM. Dugas, de Quincy, Rozerot frères, Bourgeat, etc.
Je serais bien heureux de savoir ce que vous en pensez; écrivez-le-moi, ou mieux, faites-moi le plaisir de venir me le dire à Cambrai; seulement prévenez-moi un peu à l'avance, parce que mon oncle compte recevoir une personne chez lui ces jours-ci.
J'ai reçu une lettre de M. Hautcoeur qui me demande votre adresse; il regrette bien de n'avoir pas connu votre présence à Cambrai au mois d'octobre; peut-être pourrez-vous le dédommager maintenant; il espère toujours ne pas mourir sans voir l'Université de Douai retablie3.
Je vois assez l'abbé Billot, qui été ordonné diacre à Cambrai, samedi passé.
Je vous recommande bien de mettre St joseph dans nos intérêts; j'espère que sa belle fête de 1° classe apportera quelque grâce signalée à l'Eglise et au St-Père. Maintenant que voilà une affaire en train, comptez sur mon exactitude ponctuelle à vous répondre. J'espère de votre grande indulgence, qui m'est fort connue, que vous ne me demanderez pas un compte rigoureux de mes fautes passées.
Votre ami dévoué en N. S.
Charles Bernard, pr.
1 Cette lettre rend assez bien l'état de l'opinion à l'époque. L'assemblée constituante, élue en février, en majorité monarchiste et conservatrice, mais pour laquelle Paris avait élu une majorité de représentants républicains radicaux, se réunit d'abord à Bordeaux, puis s'installa à Versailles, au grand dépit des parisiens. Sensible aussi est le pressentiment d'un affrontement imminent à Paris; ce fut la Commune et son écrasement décisif en mai, par le «parti de l'ordre».
2 L'ambassadeur nommé fut Sénart, dont le choix, dit-on, ne fut ni digne, ni heureux (cf LD 167).
3 M. Hautcoeur sollicita plus tard (1875) avec insistance l'abbé Dehon pour des cours à donner à la nouvelle université catholique de Lille. Outre les biographies, voir, du P. Marcel Denis, en Deh. 1976/5 (n. 31): les offres du P. Freyd et celles de M. Hautcoeur (pp. 279-303).
4 Lettre citée en partie en NHV VIII, 136-138.