155.01

AD B.17/6.9.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé de Dartein

Strasbourg le 9 juin 1871

Mon bien cher ami,

Il faut que le ne doute guère de votre bonne amitié pour vous laisser ainsi près d'un an sans nouvelles. Et encore quelle année! Ah! si le vous ai peiné par ce silence; je vous en demande pardon; mais pardonnez-moi, car je n'ai certainement pas eu l'intention de vous attrister, et je ne vous ai pas davantage oublié. Je n'ai écrit â personne depuis tous ces désastres; je me suis contenté d'envoyer à ma mère quelques rares bulletins de santé, pendant notre triste campagne; et d'ailleurs, comment des lettres auraient-elles pu vous arriver (si même nous avions pu écrire)? Nous étions nous-mêmes sans nouvelles des pays occupés. Ah! passons l'éponge sur ce vilain hiver, et pardonnez à un malheureux prussien s'il est comme hébété de l'honneur d'être allemand.

A peine rentré à Strasbourg, j'ai été attaché (provisoirement, du reste) à notre respectable Evêque, pour l'accompagner en qualité de secrétaire, dans sa tournée de confirmation. Cela me laisse juste assez de loisirs pour beaucoup penser à mes amis, mais pas assez pour le leur dire.

Enfin, le départ de mon plus jeune frère (Henri) est une occasion solennelle, trop solennelle pour ne pas prendre la plume bon gré, mal gré (et c'est de grand coeur, le vous assure). Donc le vous présente Monsieur mon frère, ou plutôt j'espère que notre ami Dugas se chargera de la commission, et au besoin, je l'en requiers. Vous êtes instamment prié de lui former un conseil de régence, vous, M. Dugas et tous les véné­rables vétérans de Ste-Claire, afin que ce brave garçon ne perde pas son temps, mais emploie aussi utilement que possible les trop rares journées qu'il aura le bonheur de passer au milieu de vous.

Dispensez-moi de vous dire que je voudrais bien me cacher dans son sac de nuit. Je vous remercie d'avance de tout ce que vous ferez pour ce cher petit frère, et ma vanité fraternelle me fait croire que vous n'aurez pas lieu de vous en plaindre. Je me réjouis d'avance aussi de tout le plaisir qu'il va éprouver, et spécialement du plaisir qu'il aura de faire votre bonne connaissance. Je me réjouis de toutes les nouvelles qu'il va me rapporter de Rome, et de cette belle journée du 16 en particulier1. J'espère bien que vous ne me tiendrez pas rigueur et que mon facteur reviendra à son tour chargé de lettres pour moi. Dites-moi, je vous prie, cher ami, ce que vous faites, ce que vous devenez; car rien de ce qui vous concerne ne laissera jamais indifférent vo­tre ami vraiment tout dévoué.

Gustave de Dartein

Veuillez vous charger de mes meilleures amitiés pour tous les illustres débris de l'il­lustrissimo Corpo.

1 Célébration des 25 ans de l'élection et du couronnement de Pie IX; cf NHV IX, 25-26: larges extraits de LD 176.