161.12
AD B.17/6.16.12
Ms autogr. 6 p. (21 x 13)
De l'abbé Désaire
Le Vigan 7 juillet 1871
Mon bien cher ami,
Vous ne devez pas vous plaindre que mes lettres trop fréquentes vous distraient de vos examens. Je deviens en effet chaque plus négligent pour tout ce qui concerne ma pauvre petite correspondance. C'est que jusqu'au commencement de ce mois, je suis resté en Savoie, occupé sans interruption à la préparation de cette petite œuvre qui donnera des prêtres nombreux et pieux. Les bâtiments sont à peu près terminés et durant ces vacances, nous allons y séjourner quatre ou cinq prêtres, J'y serai de nouveau vers le 15 juillet, car le voyage que j'ai fait à Nîmes, n'avait plus d'autres buts que de terminer mes cours de controverse et de venir chercher les objets nécessaires à l'installation. Comme le P. Alexis nous écrit que votre dessin est de revenir par terre, ne pourriez-vous pas me venir voir dans cette pieuse et fraîche solitude, encore tout embaumée des prières et des vertus de M. Martinet, qui y a vécu plus de 15 ans et qui a composé là ses principaux ouvrages.
Vraiment vous pourriez bien vous y arrêter: pour cela, prenez votre billet pour la gare de Chamousset, après S. Michel; là vous prendrez la voiture pour Albertville où vous demanderez l'abbé Desaire à N. Dame des Châteaux, Beaufort. Je serai seul avec un domestique, et nous pourrons causer de toutes les choses dont j'ai le plus grand besoin de vous entretenir. Je serai aux Châteaux le 15 courant; écrivez-moi et je viendrai vous prendre.
Ayant donné tout mon temps à l'œuvre des Châteaux, je n'ai pu continuer dans la Revue mes articles que la philosophie, mais je les reprendrai pour le mois de septembre au plus tard et, dès lors, je pense ne plus les interrompre.
Le P. d'Alzon poursuit son but avec une constance et une énergie que je ne m'attendais pas à trouver en lui d'une manière aussi soutenue. Il arrivera certainement à avoir le grand séminaire, à la tête duquel je sais qu'il désirerait beaucoup vous placer. C'est le projet qu'il a déjà plusieurs fois exposé en public. Il pense envoyer plusieurs sujets au Séminaire français, si les cours peuvent reprendre. De la Savoie deux vocation lui sont venues: l'une est d'un jeune prêtre qui a été quelques années vicaire et l'autre d'un jeune homme qui venait de terminer ses études de philosophie.
C'est pour les amener que je suis venu au Vigan d'où je vous écris. Le Vigan est un pays délicieux, où le P. d'Alzon occupe, par l'étendue de ses propriétés et par son influence morale, la place d'un seigneur féodal. Le château, où il est ne et qui est le noviciat, est magnifiquement bâti, ayant de magnifiques promenades ombragées, pouvant en un mot servir admirablement de maison d'études. Je n'y séjournerai pas plus de 24 heures cette fois, mais volontiers je m'y fixerais si c'était la volonté du bon Dieu.
Les jeunes novices (environ 20) me paraissent animés d'un très bon esprit et susceptibles de beaucoup servir les œuvres que nous désirons entreprendre. Quand vous aurez vu tout cela vos hésitations cesseront, je le crois, et vous ne tarderez plus à apporter votre pierre à l'œuvre. La décision du P. Freyd, telle que vous me l'avez communiquée, m'a rempli de joie et m'a fait à moi-même le plus grand bien.
Si après cela vous hésitez encore, vous me permettrez de croire que vous calculez un peu humainement et que les désirs des dignités ne vous sont pas tout à fait étrangers.
Enfin, c'est votre affaire: il me semble pour ma part que Dieu me veut parfaitement ici; je vais encore en exposer les motifs au bon P. Freyd, j'attendrai sa décision et j'enfilerai le capuchon, en dépit de toutes les répugnances (de goût) que cet habit m'inspire. Il y a, en effet, dans cette petite communauté tout ce que nous pouvons désirer pour arriver, en transformant ses éléments, à faire nos œuvres.
La Revue prend assez bien: le premier numéro va être tiré de nouveau à 700 exemplaires, et celui d'août, qui contiendra le discours du P. d'Alzon, à 4.000. C'est l'article de la Ligue cath. qui a trouvé le plus de sympathie; mes misérables lignes n'ont pas été non plus trop mal accueillies, si ce n'est par M. Pottier, qui, au milieu d'éloges immérités, me reproche vivement d'avoir appelé sœurs la théologie et la philosophie. Toutefois, il reconnaît que j'établis suffisamment la priorité de la première.
Vous devez être bien peu rassuré si les nouvelles qui nous viennent de Rome sont véritables. Aussi me semble-t-il que Dieu vous fait une grande grâce en vous donnant assez de santé pour terminer cette année vos études. Vous vous reposerez bien aux Châteaux, où le Frère convers vous soignera comme vous le méritez et où l'air sec du Mont-Blanc vous rendra vite les forces que vous aurez perdues au travail…
Avant de partir hier, j'ai reçu du P. Daum une excellente lettre. Je ne puis lui répondre aujourd'hui, mais saluez-le bien et surtout offrez au P. Supérieur mes respects les plus tendrement affectueux. Si je n'avais pas à m'occuper de tous les détails matériels de cette installation de l'œuvre de la Savoie, je lui écrirais sans retard; mais je préfère lui écrire durant une retraite que je ferai bientôt.
Adieu, saluez bien aussi le bon abbé Dugas, auquel je ne réponds pas encore aujourd'hui, mais que j'aime toujours beaucoup.
Votre ami et votre frère en Jésus
C. Desaire
P.S. Et mes reliques, mon cher ami?
Voici une commission dont je vous conjure de vous charger pour une pauvre église de la Savoie. Si vous ne pouviez la faire entièrement, faites envoyer le bref à M. le Curé du Villard de Beaufort (Savoie). Il s'agit du privilège suivant: «Altare quotidie privilegiatum pro defunctis, a Petro vocatum, favore ecclesiae parochialis vulgo dictae. Villard de Beaufort, dioceseos Tarentasiensis.1
Mille choses affectueuses au P. Alexis.
1 Autel priviliége pour les défunts, sour le nom de S. Pierre, en faveur de l'église paroisiale dite de Villard de Beaufort, diocèse de Tarentaise.