148.03

AD B.17/6.2.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Bernard

Rome, Fête de Noël (1871)

Cher Monsieur,

J'ai bien à vous demander pardon de vous avoir fait attendre si longtemps une ré­ponse. Je ne m'excuserai pas sur mes nombreuses occupations, mais sur ce que je suis généralement en retard (vous me croirez sans peine) dans mon travail de préparation à l'examen. Je n'ose donc vous parler de votre lettre que pour vous assurer qu'elle nous a fait le plus grand plaisir, au P. Supérieur d'abord, et à vos anciens de Ste­-Claire. Nous croyons tous que vous avez été bien inspiré de faire au bon Dieu le sa­crifice de vos projets d'Université. Et si vous me permettez de vous exprimer ma pen­sée, je crois désormais que la première Université Catholique ne sera plus en France, mais à Rome. En tout cas, n'est-il pas un peu présomptueux de vouloir commencer par le couronnement de l'édifice? Et puis, c'est sans doute une idée excellente d'aller chercher à Rome les bonnes doctines pour les répandre en France; mais les doctrines romaines ne sont pas précisément un trésor qu'il faille se hâter d'emporter pour en faire part à ses amis et connaissances. C'est plutôt une source d'eau vive, à laquelle il faut venir puiser sans cesse pour tous les besoins de la vie des âmes.

Ce qu'il y a de plus urgent, il me semble, c'est de commencer par fonder une bonne Faculté de philosophie et de théologie dans chaque diocèse, en la forme approuvée par le Concile de Trente. Or le moyen le plus sûr et le plus pratique, c'est certaine­ment le Séminaire français et le Collège Romain. Entre Rome et les séminaires de France bien constitués, il pourra y avoir place dans la suite pour des combinaisons intermédiaires, lorsque Paris et nos grandes villes révolutionnaires auront fait péni­tence.

Mais je le répète avec conviction, la grande Université catholique sera désormais à Rome, près du Pontife infaillible, dans la ville du grand Concile. A mon avis, la Fran­ce n'y perdra pas; de plus en plus, je vois que c'est à Rome qu'on apprend à bien ai­mer la France.

Ce qui ne m'empêche pas d'estimer beaucoup la Congrégation de l'Assomption; au contraire. Consolez-vous, vous lui avez été utile; vous avez été l'occasion de l'envoi de l'excellent P. Alexis à Rome. L'important est de commencer; cette année, le p. Alexis a amené le p. Jules et le P. Paul.

Grâce à ce précieux renfort, nous sommes onze élèves à Ste-Claire. M. Joseph a passé un brillant examen après deux mois de préparation; M. Philippe se dispose à l'imiter; M. Roserot et moi, toujours fidèles à nos habitudes de temporisation, comp­tons passer un peu plus tard; M. Brieugne se réserve pour la fin de l'année et M. de Vareilles pour le commencement de l'année prochaine. Nous possédons encore M. Pineau, dont malheureusement la position vis-à-vis de sa famille n'est pas encore bien nette; M. Putois vient d'être ordonné sous-diacre. L'événement du Séminaire, ce sont les constructions du P. Brichet, sa troisième entreprise à ma connaissance. Cette fois, il travaille pour autrui, toujours sur son terrain, bien entendu. Il sépare du reste de la maison les corridors donnant sur la rue, au 1°, 2° et 3° étages, les organise et en fait trois appartements à louer.

Et vous, comment vous trouvez-vous du saint ministère? Bien, me semble-t-il, d'après ce que vous en écrivez au P. Supérieur. Si vous me le permettez, je vous enver­rai pour une demi-journée mon petit cousin Ernest de Cambrai, pour causer avec vous associations catholiques et beaux-arts.

Figurez-vous que nous avons rétabli un semblant d'association de Ste-Catherine. C'est bien peu de chose, une quête par semaine, quand M. Roserot, qui en est char­gé, ne l'oublie pas. Enfin, c'est un lien de charité et cela conserve un peu les bonnes traditions, n'est-ce pas l'essentiel? C'est là-dessus que je me fonde bien solidement pour me dire toujours votre ami dévoué en N. S.

Charles Bernard, pr.