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Copie dactylographiée.
Mon révérend Père,
Vous me demandez mon impression sur le Congrès de Nîmes. Je la résumerai en deux mots: ce sont de bonnes journées pour le développement du Tiers-Ordre et pour le relèvement de la France.
Quel ensemble séduisant et propre à laisser à l'âme comme le parfum d'une fête que ces trois jours de belles réunions franciscaines si vivantes, si enthousisates! Et cette présidence incomparable du T.R.P. David, avec sa grande largeur d'esprit et de vues! Et cette aimable hospitalité des Pères de l'Assomption! Ce mélange d'humbles religieux et d'hommes du monde, officiers de marine, philosophes, hommes de lettres! Et pour le couronnement, l'éloquent discours de Mgr Béguinot sur l'enthousiasme, discours correspondant si bien à l'état mental de l'auditoire! Et le beau pèlerinage aux Saintes-Maries, à cette plage privilégiée qui a vu aborder les amis du Sauveur, quand ils apportaient à la France les prémisses de l'apostolat et le don du Cœur de Jésus!
L'idée dirigeante de ces Congrès, la Commission d'études réunie au Val-des-Bois en 1893 l'avait admirablement définie. Il fallait «rechercher les moyens d'organiser, en une puissante unité d'action, les forces du Tiers-Ordre et le ramener au rôle social qu'il tient de son institution, afin de répondre à la pensée et aux espérances de S.S. Léon XIII».
Le Tiers-Ordre, semblable en cela à tout ce qui vit sur terre, n'avait pas traversé les siècles sans se laisser entamer par la rouille. Et quand tous les esprits étaient plus ou moins imbus d'idées régaliennes et gallicanes, il s'était résigné, lui aussi, à sortir de la vie sociale. Il était devenu comme une pieuse confrérie propre à aider ses membres pour leur sanctification personnelle, mais absolument inefficace pour le règne social de Jésus-Christ.
Mais Pie IX avait condamné le naturalisme contemporain et l'athéisme social, et Léon XIII cherchait les moyens de rendre la société au Christ. Le grand Pontife avait jeté les yeux sur le Tiers-Ordre. Léon XIII est historien autant qu'il est théologien et philosophe; il savait le rôle social qu'avait joué le Tiers-Ordre dans les siècles chrétiens. Il a remarqué que les maux de notre société étaient analogues à ceux du douzième siècle. Il a pensé que le même remède les pourrait alléger, il nous a conviés à y recourir.
Qui allait lancer ce mouvement? Celui qu'on appelle le Bon Père, M. Harmel, avait constaté dans son usine la merveilleuse influence du Tiers-Ordre. Il pria humblement quelques hommes marquants de l'Ordre franciscain de se réunir au Val-des-Bois en une Commission d'études, et ce fut le point de départ de nos Congrès.
Quel était le but à atteindre? Développer le Tiers-Ordre, le rendre plus viril, plus agissant, plus social. En indiquant ce but, la Commission traçait d'avance le programme des futurs Congrès; en demandant la nomination d'un Commissaire général, elle créait l'organe nécessaire pour mettre en œuvre les instructions de Léon XIII.
Le premier Congrès tenu à Paray-le-Monial, sous les auspices du Sacré-Cœur, a été un magnifique écho des directions pontificales.
Il a demandé aux Tertiaires de ne pas s'isoler de la vie sociale et publique, et de considérer comme un devoir de travailler à faire prévaloir dans la société les principes chrétiens et l'influence sociale de l'Église. Il a recommandé l'étude des questions sociales et signalé les abus du capitalisme moderne.
N'a-t-il pas été aussi l'exact interprète de l'Encyclique Auspicate quand il a émis le vœu que l'on s'attache à réorganiser et à développer les Fraternités d'hommes, et que les Tertiaires concourent à fonder les institutions propres à organiser équitablement et chrétiennement le travail?
Ce beau Congrès avait bien mérité du Saint-Père, il en a reçu la plus belle récompense qu'il pouvait ambitionner, un Bref superbe qui le louait de «travailler avec tant d'ardeur à faire revivre, au profit de la cause sociale, la puissance que le Tiers-Ordre avait à son origine».
Les Congrès de Limoges et de Reims ont pris pour base le même programme, en développant tantôt un point tantôt un autre.
Le thème fondamental était nécessairement le même. Il a 5 chapitres principaux: recrutement, organisation, sanctification personnelle, action sociale, études sociales.
Pour le recrutement, il faut aller aux hommes, aux jeunes gens surtout, et les enrôler dès le collège, le patronage, le séminaire.
Pour l'organisation, elle a pour organes généraux les Commissaires et les Congrès; elle sera aidée par l'Annuaire, elle réclame des signes distinctifs, des hôtelleries, des journaux spéciaux et des Revues.
Pour la sanctification personnelle, il importe de se garder du luxe contemporain et des plaisirs mondains; de concourir aux œuvres de prière, de pèlerinage, et d'adoration eucharistique.
Pour l'action sociale, le thème est très vaste.
La nécessité des études sociales pour les Fraternités d'hommes et prêtres a été affirmée dans tous les Congrès. Ces études doivent embrasser les principes généraux de l'économie chrétienne et les questions spéciales de la situation pénible des ouvriers, des abus du capitalisme, des monopoles, des souffrances de l'agriculture, du petit commerce et de la petite industrie.
Mais les études ne sont que la préparation de l'action sociale. Elles doivent amener les Tertiaires à prêter leur concours à la bonne presse et aux associations catholiques, notamment aux secrétariats du peuple, aux caisses rurales de crédit.
Telle a été l'œuvre des Congrès précédents, et ces questions seront encore le thème des Congrès futurs où on les approfondira davantage.
Mais le caractère propre du Congrès de Nîmes, c'est d'avoir fait la synthèse de l'admirable travail de ses prédécesseurs. Cette synthèse avait été préparée par le recueil et la classification des vœux émis à Paray, Limoges et Reims.
Le Congrès de Nîmes ne travaillait donc pas à l'aveugle. Il avait une base solide. Il partait de positions acquises et s'avançait au-delà, prudemment autant que vaillamment. Il avait été préparé par des stratégistes.
Il a bien accompli sa besogne. Il a confirmé les vœux de ses prédécesseurs sur le recrutement nécessaire des hommes et des jeunes gens. Il nous a dépeint l'organisation idéale d'une Fraternité en nous montrant l'œuvre du P. Pascal, à Roubaix.
Il a porté de rudes coups au capitalisme et à l'agiotage par la parole aussi ardente qu'éclairée du T.R.P. Ferdinand, de M. Lapeyre et de M. Chabry. Il s'est terminé dans l'éblouissement du superbe discours de Mgr Béguinot.
«L'enthousiasme, nous a-t-il dit, c'est ce qu'il y a de plus beau sur la terre. L'enthousiasme, c'est l'ardeur dans l'amour, c'est la poésie du cœur et de la volonté…
Saint Paul était un enthousiaste, l'amour du Christ le pressait, on taxait son ardeur de folie: nos stulti propter Christum (1 Co 4, 10). Les sots prennent l'enthousiasme pour du fanatisme. Le zèle de saint Paul a remué le monde et assuré la victoire du christianisme…
Saint François d'Assise était un enthousiaste. Il a vu les souffrances du peuple, en ce douzième siècle où le paganisme se réveillait, où l'Église était déchirée par les sectes des Bégards, des Vaudois et des Albigeois. Il a soulevé le monde avec le levier de l'amour. On l'appelait un fou. Et sans doute, c'étaient aussi des fous que ces cinq mille moines du Chapitre des Nattes. Mais ces moines, aidés par les Tertiaires, ont transformé la société et préparé les splendeurs du treizième siècle…
Aujourd'hui, nous sommes en face d'un nouveau réveil du paganisme dans les mœurs, dans la littérature et dans la vie sociale. Il nous faut un nouvel essor d'enthousiasme. Il nous faut ranimer au contact du grand zèle de Paul et de François d'Assise. Vous êtes tous désignés pour cela, chers enfants de saint François, et notre grand Pontife Léon XIII fait appel à votre foi et à votre cœur. À l'œuvre donc, au travail, avec l'enthousiasme des saints, pour refaire une société chrétienne…»
C'est cette synthèse, mon Révérend Père, que votre beau compte rendu va nous donner. C'est cet élan d'enthousiasme qu'il va ranimer. Il faut qu'il soit désormais comme le Manuel et le Catéchisme des Fraternités. Nos Directeurs peuvent être sûrs qu'en l'adoptant à ce titre ils répondent aux vœux ardents de notre Père bien-aimé, Léon XIII.
Agréez, etc.
L. Dehon