217.05
B.18/9.1.5
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Trieste 25 7bre (1864)
Chers parents,
Nous avons été retenus à Venise quelques jours de plus que nous ne pensions1: d'abord le grand intérêt qu'offrent ses monuments et ses collections ne nous permit pas de la visiter avec précipitation; puis la malle qui nous était envoyée de Paris n'est arrivée qu'au dernier moment, parce qu'elle a passé par l'Allemagne. Enfin Venise était une introduction au voyage d'Orient proprement dit: son église de saint Marc est presque toute bâtie de débris apportés de Constantinople et de Jérusalem. C'est de Venise qu'on a dit que c'est comme une cité byzantine échouée sur les bords de l'Adriatique.
Nous avons tourné la mer en suivant la base des Alpes, au milieu de ces sites grandioses et charmants que l'on ne trouve que là où la mer et les montagnes sont en présence.
Nous voici maintenant à Trieste, ville charmante et gaie, mais point du tout artistique. On ne saurait, dit-on, la mieux comparer qu'à Marseille. Bâtie sur une colline fortifiée, à l'entrée d'une vallée dont les parois sont à la base ornées de villas et dénudées au sommet.
Nous allons d'ici faire une excursion géologique dans la Carniole, aux grottes d'Adelsberg et aux mines d'Idria. Nous commencerons par le bateau de mardi notre tour en Dalmatie, à Pola, à Zara, à Spalato2, et à la fin de la semaine, nous arriverons à Corfù où commence notre voyage de Grèce. Il sera aussi facile que celui d'Italie, sauf que les chevaux remplaceront les chemins de fer. Nous prendrons à Corfù un guide et deux montures et nous irons ainsi d'étapes en étapes, lisant Hérodote et Homère, et nous reportant aux souvenirs de cette nation de héros, de poètes et d'artistes que l'on nous donne comme modèles dès notre enfance.
Nous communiquerons moins facilement qu'ici: vous recevrez mes lettres par des bateaux qui ne partiront que tous les huit ou quinze jours, ne vous inquiétez pas de ces retards. J'ai trouvé ici votre lettre; j'espère en trouver encore une à Corfù. Ecrivez-moi encore à Athènes, quoique je ne sache pas au juste quand nous y serons.
Ma prochaine lettre sera probablement datée de Corfù.
Grâce à la malle que nous avons reçue, nous sommes mieux organisés que nous ne l'étions. Nous avons livres, cartes, pharmacie même et mille petits objets dont le besoin se fait souvent sentir. Notre voyage est bien organisé, et nous avons confiance qu'il réussira.
Voici la rédaction que vous pourrez mettre en tête du reçu que je vous ai laissé, pour l'envoyer au notaire qui vous fera parvenir l'argent, le 10 octobre, après avoir fait légaliser ma signature par le maire.
Je soussigné Léon Dehon, avocat docteur en droit, demeurant à La Capelle, Aisne, reconnais avoir reçu de Monsieur Gabriel Guyonnet, docteur en médecine, demeurant à La Mothe-Saint- Héraye, près de Saint-Maixent, Deux-Sèvres, par l'entremise de M. Ernest Lévesque, notaire audit Saint-Maixent, la somme de vingt quatre mille francs, dont quatre mille pour l'intérêt et le reste à valoir sur la somme due par M. Guyonnet à M. Léon Palustre, avocat à Paris; et ce en vertu de la procuration notariée que j'ai reçue à cet effet de M. Palustre, le six août dernier, et qui se trouve déposée entre les mains de M. Ernest Lévesque sus-nommé,.
Il me reste à peine assez de place pour vous embrasser ainsi que maman Dehon, Laure et Henri.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Arrivés à Venise le 13 au soir, ils en sont repartis le 23 à 11 h. Du 14 au 20. visite détaillée de la ville (églises, Lido, excursion aux îles de Murano et Torcello, une journée pour le musée, deux jours pour Saint-Marc, l'île Saint-Georges et le Palais des Doges, excursion à Padoue, le 22). En VO 119 pages de notes; en NHV II, 94-104.
2 Aujourd'hui Pula, Zadar, Split (Yougoslavie).
3 Tout ou partie de la contribution de L. Palustre aux frais du voyage.