217.25
B18/9.1.25
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
À ses parents
Constantinople 30 mai 1865
Chers parents,
Non seulement je suis arrivé à Constantinople en bonne santé mais je suis déjà sur le point d'en partir, dans deux jours; et la semaine prochaine je vous écrirai de Vienne en Autriche: Henri vous dira combien c'est une ville inoffensive et vous bannirez toute inquiétude1.
J'ai trouvé ici vos deux lettres et d'autres de Mr Boute, de Mr Poisson et de ce cher Siméon à qui j'ai répondu immédiatement2. Votre lettre adressée à Smyrne s'est perdue; je voudrais que vous m'en répétiez le résumé à Rome. Nous séjournerons à Rome du 20 au 30 juin et le 6 ou le 7 juillet, je vous serrerai dans mes bras: ce sera le plus beau jour de mon voyage.
Je suis enthousiaste de Constantinople: c'est la ville la plus magnifique du monde, quoiqu'elle manque de monuments. Elle est à cheval sur l'entrée de ce superbe canal du Bosphore dont les hautes rives sont couvertes de villas et de beaux arbres. Les maisons de bois, rouges et jaunes, sont étagées sur les collines au milieu des arbres et dominées par les mosquées massives d'où s'élancent les minarets; des forêts de cyprès ombragent les cimetières. Toutes ces vues qui embrassent les unes le Bosphore, les autres la Corne d'Or remplie de bâtiments, d'autres la mer de Marmara et ses îles, tout cela sous un beau ciel a quelque chose de magique. Ce sont les panoramas les plus variés, les plus colorés, les plus charmants du monde.
Aujourd'hui, nous visiterons Ste-Sophie et les principales mosquées. Après-demain, nous partirons pour le Danube. Je vous ai écrit de Smyrne par Trieste: nous avons passé depuis la Troade où se retrouvent les sites mentionnés par Homère et les tombes des héros grecs et troyens3; puis nous avons franchi le célèbre passage des Dardanelles tout rempli de souvenirs depuis Xerxès et Alexandre jusqu'à nos jours.
C'est ici que finit notre voyage; si nous allons à Rome, c'est plutôt pour affaires que pour visiter. Je m'arrêterai sans doute une journée à Orléans à mon retour4.
Je compte sur des lettres à Vienne et à Rome.
Embrassez pour moi Laure et Henri que j'espère trouver en bonne santé. Donnez-moi des nouvelles de nos envois de Jérusalem et de Beyrout.
Embrassez aussi maman Dehon et Adèle d'Étréaupont5.
Mes compliments respectueux à Mme Fiévet6. Recevez ceux de Palustre.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Du 20 mai au 1er juin: de Smyrne à Constantinople: Tenedos et les Dardanelles (21 mai), la Troade (22-23 mai, excursion que ne fit pas L. Dehon alors grippé), visite de Constantinople et environs (25 mai - 1er juin). En VO VII, 35-83; NHV IV, 61-83.
2 Mr Boute: cf. LD 3 (note 2); il s'agit de LC 12 (du 5 mai?). L'abbé Poisson, membre du Cercle Catholique fréquenté par Léon Dehon, étudiant à Paris (cf. NHV I, 41 vº); personnage sympathique et pittoresque décrit en NHV I, 61 vº - 62 rº). C'est lui qui fit connaître Léon Palustre à Léon Dehon et il fut leur compagnon du second voyage en Angleterre-Écosse-Irlande en 1862 (cf. NHV I, 64 rº, 65 rº, 79 vº, 83 rº). L'abbé Poisson adressa à Léon Dehon son poème «Olva» sur leur voyage en Angleterre (1863): cf. AD B17/1.c, Inv. 135.00; poésie dont une strophe est transcrite en NHV I, 84: «un petit poème un peu lourd qu'il me dédia» note le P. Dehon; et sur le manuscrit (10 pages autographes), il note: «Fantaisie de l'abbé Poisson, dont je ne goûtais pas l'extrême libéralisme». Siméon Vandewalle cf. LD 4 (note 3).
3 En fait, selon VO et NHV, pris de fièvre, il n'a pu visiter la Troade où excursionna Palustre seul.
4 À Orléans où il comptait voir Mgr Dupanloup, lequel lui avait écrit à propos de son entrée à Saint-Sulpice: «Je serai charmé de vous revoir à votre retour. Et je goûte beaucoup d'ailleurs votre projet d'entrer à Saint-Sulpice et pour les motifs que vous m'en donnez. Mais du reste, nous causerons de cela à fond à votre retour… (Et en P.S.) Quand vous viendrez me voir, je compte bien que vous descendrez sous mon toit, à l'évêché d'Orléans» (AD B17/6.18.3: Inv. 164.03). Sur Mgr Dupanloup cf. LD 4 (note 3).
5 Parente ou connaissance non autrement identifiée; Étréaupont est une petite ville à 8 km au sud de La Capelle.
6 Mme Fiévet, éprouvée par la mort de son mari (cf. LD 18 et LC 11).