218.05
B18/9.2.5
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome, 12 novembre 1865
Chers parents,
Je vous écrivis il y a huit jours en vous envoyant mon portrait. Cette lettre s'est croisée avec la vôtre qui m'est arrivée hier. Je compte qu'elle vous aura rassurés, en vous annonçant que j'étais en bonne santé!
Je ne sais vraiment pour quel motif les journaux ont fait courir le bruit que le choléra était ici. Il n'y en a pas eu un seul cas et l'on prend les précautions les plus sévères: on fait 7 jours de quarantaine en venant de France et 9 jours en venant de Naples. Je souhaite à La Capelle de n'être pas plus frappée que Rome. Du reste vous pouvez être persuadés que si le danger vient, je quitterai prudemment Rome.
Cette semaine j'ai été tout à mes études, qui sont heureusement commencées. J'ai trois cours de philosophie par jour; ils sont bien faits et faciles à suivre. Nous les revoyons et nous nous formons à l'argumentation par des répétitions qui se font au Collège romain et à la maison. Notre temps est parfaitement réglé pour atteindre deux buts, la piété et la science. Comme je vous le disais dans ma dernière lettre, le régime de la maison est très salutaire. Les jours de travail nous faisons une promenade d'une heure en ville, et le jeudi, le dimanche et les jours de fêtes nous avons trois heures pour aller à la campagne. Je trouve ici tous les avantages de la vie de collège et aucun de ses ennuis.
Je n'ai vu personne en ville cette semaine. Dans quelques jours je ferai visite à l'abbé Nunzi pour lequel vous m'avez envoyé une lettre.
Je suis loin d'être isolé ici: j'ai retrouvé quelques anciennes connaissances, au séminaire, et hier encore il est arrivé un jeune prêtre du Nord, élève de théologie et qui a passé quelques années à Marcq où il a connu Édouard Foucamprez. C'est M. Cognard, neveu du maire de Cartigny près d'Avesnes1.
Ma chambre est un peu haute sans doute, mais elle est neuve et par suite inconnue aux insectes; elle est plus agréable que celles des étages inférieurs. Et du reste je n'ai jamais habité moins haut à Paris.
Je trouve ici ce bonheur qu'on attribue généralement à la vie de collège. Je suis sans inquiétude, tout à ma besogne et dans la paix la plus parfaite. C'était bien la vie qui me convenait et je voudrais que vous en fussiez persuadés comme moi, pour que vous cessiez de vous préoccuper péniblement de mon avenir.
L'esprit de la maison est excellent, il y règne beaucoup de régularité en même temps qu'une agréable aménité.
Nos promenades ont chaque jour un intérêt particulier. Rome a toujours quelque fête plus ou moins solennelle dans ses nombreuses églises: les chants y sont admirables, et souvent il y a quelque précieuse relique à vénérer.
Je n'ai pas encore reçu d'autres lettres que les vôtres, mais j'en attends plusieurs et je ne désespère pas de recevoir quelques visites de France au printemps.
Je vous embrasse de tout cœur comme je vous aime, et je vous prie d'embrasser pour moi Laure, Henri, ma petite Marthe et maman Dehon. Ne m'oubliez pas à l'occasion près de nos parents du Nouvion, de Vervins, de Dorengt et près de Mme Fiévet et d'Adèle2.
Votre dévoué fils
L. Dehon
Donnez-moi des nouvelles de Montmartre. Annoncez à Mr Clavel mon heureuse installation et présentez-lui mes respects3.
1 Édouard Foucamprez, oncle par alliance de Léon, ayant épousé Julie-Erminie-Clémence Dehon, sœur de son père, en 1844.
2 Adèle Jouniaux, la domestique de la maison Dehon à La Capelle (cf. NHV I, 13 rº); sans doute l'Adeline évoquée par Mr Boute en LC 14. À moins qu'il ne s'agisse d'Adèle d'Étréaupont de LD 25.
3 Montmartre où habitait l'oncle Joseph-Hippolyte Dehon (cf. LD 31). Mr Clavel pas autrement identifié; son nom revient dans les lettres suivantes.