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B.18/9.2.7

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

A ses parents

Rome 6 décembre 1865

Chers parents,

je voudrais aller avec ma lettre passer quelques instants avec vous pour dissiper les inquiétudes qui percent dans vos lettres et pour vous rassurer entièrement. Je sais que la source de vos soucis n'est que l'atta­chement que vous me portez: eh bien, n'avez-vous pas lieu d'être sa­tisfaits de me savoir ici heureux et content, et plein de santé. Vous savez comme moi que le bonheur ne résulte pas des honneurs et des jouissan­ces du monde. Je trouve le mien dans le service de Dieu. Je ne m'inquiè­te que de la journée présente et je suis satisfait quand j'ai bien prié et que j'ai profité de mon travail.

On comprend à Rome plus qu'ailleurs que la perfection ne réside pas dans l'agitation et le tumulte. Sauf quelques exceptions, les Romains ont une vie admirablement réglée. Après le travail, à la fin de la journée, ils se promènent à heure fixe, et souvent, dans leur promenade, ils visitent l'église où se célèbre la fête du jour: on a ainsi tous les jours sous les yeux l'exemple et l'histoire des saints. Rome donne une idée de ce que devrait être un pays vraiment chrétien. Les Romains s'inquiètent peu de la poli­tique et ils espèrent rester en paix, bien que l'occupation française soit un peu diminuée. Il est certain du reste que même après l'évacuation de Rome, l'an prochain, les français resteront à Civita-Vecchia, et cela suffira1.

J'ai tardé un peu à vous écrire: c'est qu'il y a peu de variété dans mes occupations et que j'ai peu de choses à vous dire; ou plutôt j'ai beaucoup de choses affectueuses qui ne se transmettent pas bien par lettre. Ecrivez-moi plus souvent si vous le pouvez; je trouve toujours l'interval­le trop long. Si vous avez quelque chose à m'envoyer, attendez une occa­sion, je crois que par la poste ce serait très difficile et très coûteux.

Je vous adresse encore un portrait. Embrassez bien tendrement pour moi Laure et Henri et ma petite Marthe. Dites à maman Dehon qu'elle avait bien raison quand elle disait: «Il sera heureux si c'est sa vocation». Bien des choses aux personnes que j'affectionne particulière­ment, à Mme Fiévet, à Adèle: dites-lui que je ne voyage plus et ne cours aucun danger et que je suis très heureux et bien soigné.

Mes compliments à Mr Clavel. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Les troupes françaises occupaient Rome depuis 1849: l'expédition Oudinot pour le retour de Pie IX réfugié à Gaète et le rétablissement du pouvoir pontifical contre la République romaine proclamée en 1848). Depuis le congrès de Paris (1856) et sur­tout l'entrevue de Plombières avec Cavour (1858, Napoléon III modifiait se politi­que romaine et le 15 septembre, un accord était intervenu pour l'évacuation de Rome dans un délai de deux ans, par retrait des troupes françaises à Civita­Vecchia, d'où elles continueraient à veiller sur les Etats Pontificaux contre les «piémontais» et Garibaldi. Cependant, sous la pression de l'opinion catholique française, un corps expéditionnaire fut envoyé en 1867, en renfort des troupes pontificales, contre Garibaldi, qui fut battu à Mentana (nov. 1867). La guerre de 1870 amena le retrait définitif de la brigade française et le 20 septembre 1870, le général Cadorna entra dans Rome.

A «Rome et ses fêtes», le P. Dehon consacrera un long chapitre de ses NHV (V, 11-34). Ce sera le thème de quelques-unes de ses causeries du dimanche au Patro­nage S. Joseph (NHV X, 9-19: 5 janvier, 1 et 23 fev. 1873).