218.13
B18/9.2.13
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 20 février 1866
Chers parents,
Je suis bien en retard à vous écrire; c'est que j'attendais de jour en jour votre lettre pour vous répondre.
Nous avons eu quelques jours de vacances et dans un mois nous en aurons d'autres. Mais ici les vacances ne sont pas complètement inactives, elles sont trop fréquentes pour cela. Seulement les cours sont suspendus et la promenade est tous les jours de trois heures. C'est aussi une occasion pour les élèves de faire une excursion à la campagne. J'ai passé deux jours en course avec un condisciple. Nous avons suivi la voie Appienne bordée de ruines d'antiques tombeaux et de villas romaines jusqu'à Albano, puis nous avons gravi le mont Albain, qui domine l'emplacement d'Albe et deux lacs ravissants et d'où l'on a une vue superbe sur Rome, et sa campagne sillonnée d'aqueducs en ruines, et la mer. De là nous sommes descendus à Velletri pour faire visite à quelques officiers des Zouaves pontificaux, qui ont eu la gracieuseté de nous inviter à dîner. Rien n'est touchant comme de voir ces jeunes gens des meilleures familles de France sacrifier leurs plus belles années par dévouement pour le Saint-Père, et mener dans les camps une vie religieuse et sage qu'on ne trouve dans aucune armée du monde. Le mardi-gras, notre économe nous a conduits dans une villa des environs où nous avons passé très gaiement la journée, et le soir nous assistions à la clôture du carnaval à Rome. Il est curieux de voir ce peuple s'amuser à ses heures avec entrain et gaieté mais innocemment. Après l'assaut ordinaire de bouquets et de dragées, qui était plus animé le mardi que les jours précédents et où l'on remarque le char élégant des élèves de l'Académie de France, on se livre, au coucher du soleil, à un jeu d'un effet indescriptible. Il consiste à tenir chacun une petite torche que l'on cherche à s'éteindre réciproquement. Le Corso est ainsi illuminé de la façon la plus complète à tous les étages, à toutes les fenêtres, sur les trottoirs et dans les voitures, tout le monde y prend part, même la famille royale de Naples; les anglais y sont bien représentés. C'est la fin du carnaval.
Le lendemain, avec le même zèle, chacun va recevoir les cendres et tous les jours de carême quelque église désignée comme station avec indulgence devient le but général des promeneurs.
Nous sommes maintenant remis au travail, mais j'espère faire encore à Pâques une petite excursion. Mes engelures sont guéries.
Je n'ai reçu depuis que je vous ai écrit qu'une lettre, c'est d'Édouard Foucamprez. J'ai pour condisciple un de ses anciens professeurs. Je lui répondrai bientôt. Nous avons eu ici pendant un mois le directeur du collège Stanislas, je lui parlais quelquefois de Paul Borgnon et il m'en a fait l'éloge1.
J'espère avoir vers le 15 mars la visite du cousin Palant s'il vient avec la caravane, et pour les fêtes de Pâques je compte voir quelques connaissances2.
Continuez à me donner des détails sur toute la famille. Vos lettres sont assez rares, qu'elles soient longues, c'est pour moi une grande jouissance.
J'ai fait visite récemment et reçu bon accueil chez le prince Borghèse, Mgr de Mérode et Mgr Place3.
Je vous embrasse mille fois et vous prie d'embrasser pour moi toute la famille, surtout Henri et Laure et de faire mes compliments aux personnes qui s'intéressent à moi.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Cet Édouard Foucamprez ne peut être l'oncle Foucamprez lui-même (cf. LD 34, note 1), dont le jeune prêtre du Nord, M. Cognard, n'a évidemment pu être professeur au collège de Marcq. De l'oncle Foucamprez, la généalogie ne signale qu'une fille Marie-Erminie-Clémence. Peut-être s'agit-il de quelque neveu du côté Foucamprez. Paul Borgnon, fils de Mme Borgnon (LD 21, LD 33).
2 Le cousin Palant, sans doute l'abbé Palant dont le voyage à Rome est évoqué en LD 37.
3 Mgr de Mérode (cf. LD 31, note 5, et LD 32, 33, 37). Mgr Place (cf. LD 39). Le prince Borghèse (Marcantonio V, 1814-1886), de l'illustre famille romaine et princière dont l'un des membres, Camillo, avait épousé en 1803 Pauline, sœur de Napoléon. Auprès du prince Borghèse, Léon Dehon avait été introduit, lors de son passage à Rome en juin 1864, sur recommandation de Mgr Dupanloup (NHV IV, 97).