218.38
B18/9.2.38
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 3 février 67
Chers parents,
J'attends de vos nouvelles prochainement. Je suppose que vous êtes à Paris en ce moment. Siméon vient de m'écrire qu'il était prévenu de votre arrivée. J'espère que ce voyage vous sera en même temps utile et agréable1.
Siméon paraît très affairé. Il m'annonce que Mr Évrard, un de nos anciens professeurs, vient d'être nommé curé de La Gorgue. Il était vicaire à Roubaix où il a montré un grand zèle pendant le choléra. Henri apprendra cela avec plaisir. J'ai reçu aussi, il y a quelques jours, une bonne lettre de Mr Dehaene: il me dit que les élèves surabondent à Hazebrouck, et il espère venir à Rome pour les fêtes du mois de juin2.
On commence déjà les préparatifs pour ces fêtes et il n'y a plus la moindre inquiétude sur la tranquillité de la ville. L'hiver est presque terminé. Déjà les amandiers sont en fleurs.
Nous avons eu hier à Saint-Pierre une très belle cérémonie, pour la Purification de la Sainte Vierge. Cette fête est une des plus imposantes à Rome. Les ambassadeurs de toutes les nations catholiques vont s'agenouiller aux pieds du Saint-Père pour recevoir un cierge béni, qu'ils portent ensuite en procession dans la basilique. C'est un hommage rendu à Celui qui est la vraie lumière et dont on célèbre la manifestation dans sa Présentation au temple.
Cette fête nous offre bien des enseignements et notamment vous pouvez prendre pour modèle Marie offrant au temple son divin Fils, dont la passion lui est prédite par le vieillard Siméon. Marie accepta d'avance dans son cœur le sacrifice sanglant de Notre-Seigneur. Il ne s'agit pas pour vous de sacrifice, à moins que nous ne parlions le faux langage du monde. Vous n'avez qu'à louer Dieu d'une vocation si belle et si heureuse. Même selon la nature il n'y a point pour vous de sacrifice à faire, car à ce point de vue aussi ma vocation me donnera la paix et le bonheur.
Je me trouve toujours très heureux et bien portant et je ne puis assez me féliciter d'être à Rome où nous recevons un enseignement si solide et si savant. Mes études marchent bien. La philosophie m'a été une bonne préparation et je n'éprouve pas maintenant de grandes difficultés.
Dimanche prochain nous aurons une belle fête à Saint-Pierre, qui nous donnera déjà un avant-goût des fêtes du mois de juin. C'est une béatification, c'est-à-dire la proclamation solennelle du décret qui permet d'honorer comme bienheureux un saint religieux mort il y a quelques siècles. Il se nomme Benoît d'Urbin. Il sera canonisé avec plusieurs autres au mois de juin. Ces décrets ne sont portés qu'après de longs procès et quand on a des preuves très évidentes et sévèrement examinées de plusieurs miracles. Pour vous donner une idée de la sévérité de ces preuves, je vais vous conter une anecdote authentique. Un célèbre protestant anglais était venu à Rome; un prélat lui fit voir une liste de miracles avec leurs preuves, présentés pour la canonisation de St François Régis. «Si tous ceux que l'on reçoit dans l'Église romaine, répondit-il, étaient établis sur des preuves aussi évidentes, nous n'aurions aucune peine à y souscrire.» Eh bien, reprit le prélat, ces miracles qui vous paraissent si avérés et si bien appuyés, sont ceux qui n'ont pas été admis par la Congrégation des Rites, parce qu'ils n'ont pas paru suffisamment prouvés. Je vous conterai un peu cette fête dans ma prochaine lettre.
Écrivez-moi toujours régulièrement.
Dites-moi si Carrière ne se sent plus de sa maladie3.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
Envoyez-moi, s'il vous plaît, quelques timbres-poste français, parce que je n'en trouve pas facilement à Rome.
1 03.02.1867a1 1 Le voyage à Paris évoqué en LD 64 et prévu notamment pour une consultation médicale sur la santé de madame Dehon.
2 03.02.1867a1 2 Sur M. Évrard cf. LC 3 et 10. La lettre de Mr Dehaene est LC 26. Il s'agit toujours des fêtes du centenaire des Apôtres en juin 1867.
3 03.02.1867a1 3 Personnage pas autrement identifié.