219.02
B18/10.2
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À Léon Palustre
Rome 21 mars 69
Mon cher ami,
Tu es tout entier aux premières joies du mariage et elles te sont données en abondance. Je m'abandonne de mon côté au bonheur surnaturel du sacerdoce, sans oublier cependant de me préparer à en porter bientôt les charges avec mes frères dans l'apostolat. Le temps du séminaire correspond aux années que les apôtres ont passées auprès du Sauveur avant d'entreprendre la conquête du monde. Notre-Seigneur daigne nous donner audience tous les matins pour nous instruire de ses volontés et nous animer de son amour. Que de lumières il répand par ses leçons, ses exemples et sa grâce sur les âmes qui lui sont fidèles! De quel zèle et de quelle charité n'embrase-t-il pas les cœurs de ses prêtres quand ils ne lui opposent point d'obstacle, au saint sacrifice!
Le grand fait actuel de Rome, c'est la préparation active du concile. On espère que l'Église s'y retrempera aux sources pures de la révélation et qu'il en jaillira, comme au concile de Trente, une féconde renaissance. J'ai à te faire part de l'avantage que j'aurai d'assister à toutes les réunions même secrètes de cette solennelle assemblée. J'espère en tirer un sérieux profit d'instruction et d'expérience. Voici à quel titre. Les journaux t'ont annoncé déjà que le concile profiterait, pour reproduire les discours des évêques, de l'ingénieux système de la sténographie. La chose était assez délicate à cause des difficultés de la langue théologique, du secret des congrégations particulières et de la gravité qu'auraient les infidélités de cette reproduction. On a donc jugé à propos de choisir dans ce but des prêtres de diverses nations aptes à comprendre toutes les prononciations du latin. Un ancien sténographe du sénat de Turin, qui s'est fait prêtre il y a peu d'années, est devenu l'organisateur de la chose. Je suis au nombre des quatre prêtres français fournis par le séminaire de Ste-Claire.
Nous sommes en tout une vingtaine, et depuis quinze jours nous avons une heure par jour de leçon pour nous former la main et acquérir la dextérité nécessaire. Nous serons probablement obligés de sacrifier une partie de nos vacances1.
Je m'attache tous les jours davantage à Rome et surtout à ses beautés surnaturelles. Je saurai la quitter cependant quand mon ministère m'appellera ailleurs. Tu seras heureux d'y revenir et de contempler surtout la Rome religieuse, la cité dont les apôtres sont les fondements; les colonnes de ses temples sont ses saints; parmi les fleurs de ses jardins, le lys de la virginité et les roses du martyre excellent par leur éclat et par leur parfum. Tu ouvriras un peu ton âme à la poésie de ces sentiments et tu la fermeras à la sécheresse de la critique toujours pénible même quand elle est juste, et de cette façon tu trouveras encore à Rome des trésors qui sont peut-être pour toi inconnus jusqu'à présent.
Adieu, mon cher ami. Je te remercie du double portrait que tu m'as envoyé et qui m'a fait bien plaisir.
Tout à toi en N.S.
L. Dehon, pr.
1 Cf. LD 111 (note 1).