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B18/10.10

Photocopie 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

Rome 5 février 18701

Mon cher ami,

Le Concile absorbe une grande partie de mon temps et ne m'en laisse guère pour mon travail et ma correspondance. Nous avons chaque semaine trois ou quatre longues séances d'où nous ne sortons qu'une heure ou deux après les évêques.

On a déjà discuté et préparé plusieurs projets de décrets, mais on n'avance que lentement et il est probable qu'il faudra reprendre le Concile l'hiver prochain après quelques mois d'interruption. L'œuvre du Concile sera certainement considérable et elle ne rencontrera pas les difficultés intérieures qu'imaginent ou grossissent les journalistes.

Tu ne ménages dans ta dernière lettre ni Veuillot ni les architectes de Rome. Je savais que tu n'aimais ni ceux-ci, ni celui-là. Tu les juges avec ton ardeur habituelle. Tu pourrais être un peu plus indulgent pour des hommes qui ne manquent ni de talent ni de bonne volonté. Je n'approuve pas toujours le ton de L. Veuillot, mais je sais gré à son journal de défendre, autant qu'il peut, la bonne cause. J'aimerais qu'il le fît toujours avec la courtoisie et la modération que tu admires sans doute comme moi dans les lettres de Mgr Dechamps2.

Quant aux architectes de la salle du Concile, ils l'avaient disposée avec goût et avaient admirablement tiré parti de l'emplacement qu'on leur avait assigné, sans laisser ignorer qu'il serait difficile de s'y entendre. Ils ont depuis tiré parti de ce qui existe en séparant pour les congrégations par une tenture une partie de la salle où les évêques se resserrent et s'entendent parfaitement.

Tu attends sans doute que je te dise ce que l'on pense à Rome de la question, tant agitée en France, de l'infaillibilité du Pape. Si je ne me trompe, cette infaillibilité sera prochainement définie, conformément à l'enseignement constant de l'Église. Les oppositions récentes n'auront fait que rendre nécessaire et opportune la proclamation d'un dogme qu'elles contestent3.

Continue tes vastes travaux et n'oublie pas tes amis.

Tout à toi en N.S.

L. Dehon, pr.

1 L'original autographe de cette lettre a été cédé au Saint-Siège, en hommage à Paul VI, à l'invitation de Mgr Macchi. Les AD en conservent une photocopie (assez évanescente), et une dactylographie (4 A1. 22, pp. 184-185).

2 À Louis Veuillot le P. Dehon se référera souvent dans la rédaction de ses NHV sur le Concile (41 références et de longues citations de «Rome pendant le Concile», deux volumes où Veuillot a rassemblé ses articles de l'Univers). Léon Dehon lui rendra même visite quelquefois chez lui à Rome. «J'admire Veuillot, écrira-t-il, mais je sors de chez lui un peu troublé» (NHV VII, 101; cf. aussi VII, 151; VIII, 59). Mgr Dechamps (1810-1883), archevêque de Malines depuis 1867: célèbre théologien à la fois ultramontain sur les droits du Pape et libéral pour les relations de l'Église et de la société moderne. Il avait publié en juin 1869, une brochure sur «L'infaillibilité et le Concile général, étude de science religieuse à l'usage des gens du monde», puis plusieurs lettres sur l'infaillibilité, en réponse aux «Observations» de Mgr Dupanloup et à l'ouvrage de Mgr Maret, «Du Concile œcuménique et de la paix religieuse», ainsi qu'aux quatre lettres fameuses du P. Gratry: «Mgr l'Évêque d'Orléans et Mgr l'Archevêque de Malines». Il fut l'un des rédacteurs du texte «Dei Filius» promulgué le 24 avril 1870. Maurice Blondel invoquera souvent l'apologétique du cardinal Dechamps à propos de sa philosophie de l'Action et de sa méthode apologétique (cf. DTC IV, 178-181).

3 À cette polémique en France, Léon Dehon a déjà fait allusion en LD 135 (cf. note 2 ci-dessus). Cf. aussi en NHV VII, 72-78; 97-101; 119-121…, les notes «Autour du Concile».