219.15

B18/10.15

Ms. autogr. 4 p. (21 x 13)

À Léon Palustre

La Capelle 9 janvier 1871

Mon cher ami,

Ta lettre m'est arrivée après avoir fait un long détour comme fera la mienne. Je partage tes appréciations et tes espérances. Je crois que la race latine, et spécialement la France, conservera le premier rang parmi les nations. La Prusse est un instrument providentiel qui sera brisé quand il aura fait son œuvre. La France a seule le génie de l'apostolat et des œuvres et le dévouement aux nobles causes, et Dieu la conservera pour le bien de son Église.

Cependant je suis effrayé, comme je te le disais, de voir dans notre pays peu de retours à la foi. Les grandes leçons de la Providence nous frappent peu parce que nous avons peu de foi. Les écrivains religieux du 17ème siècle nous disent que la peste de 1630 en France fit plus de conversions que cent années de sermon. Mais autant la foi a diminué depuis 1630, autant la guerre actuelle fera moins de conversions. À ce point de vue cependant, elle est un don de Dieu et cela doit nous consoler de ses rigueurs.

Je suis heureux que vous ayez été épargnés à Tours. Nous sommes ici dans une heureuse oasis. Les Prussiens sont à nos portes depuis quatre mois. Ils nous ont menacés vingt fois. Ils sont venus, il y a trois jours encore, à Vervins, à Guise, à Leschelle. Ils sont repartis vers Péronne. On nous les signalait avant-hier venant de Rocroy, qu'ils ont pris, vers Hirson, mais ils sont allés de là à Laon et ils nous ont encore laissés de côté. Nous espérons que cette protection de Dieu nous sera continuée.

N'es-tu pas affligé aussi de voir l'Italie en ce moment dirigée par des hommes si pervers, qui ne respectent ni traités, ni promesses, ni religion, ni liberté. Ils se perdent par leurs propres excès et leur règne ne sera pas long. Puissent-ils n'avoir pas le temps d'accomplir à Rome toutes les profanations qu'ils méditent.

Adieu, mon cher ami. J'ai mille compliments à te faire de la part des miens, qui sont, grâce à Dieu, tous bien portants.

Ton tout dévoué ami en N.S.

L. Dehon, pr.