220.22

B18/11.1.22

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 18 avril 1871

Chers parents,

J'ai reçu hier votre lettre du 10. Nous apprenons ici par les journaux toutes les horreurs qui se commettent à Paris1. Elles ne nous étonnent pas. Les principes athées, qui régissent notre société depuis un siècle, nous amèneront cela périodiquement si nous ne les rejetons pas. Les avocats démagogues qui composent encore la moitié de notre gouvernement comme Simon, Favre, Picard, sont les vrais auteurs de tout cela par les principes qu'ils prêchent et qu'ils ont hérités de la révolution2. Ils s'étonnent aujourd'hui de voir brûler l'incendie qu'ils ont allumé. Il n'y a qu'un remède, c'est que l'État redevienne chrétien. Tout le reste ne serait qu'un replâtrage qui ne tarderait pas à crouler de nouveau. Il en est de l'État comme de l'individu. Quand il est religieux, il arrive encore de temps en temps que les passions se font jour et amènent un désordre momentané. Mais si la religion en est absente, les passions n'ont presque aucun frein et le désordre est immense et presque continuel. Nous n'aimons pas la France si nous ne commençons pas sa restauration par nous-mêmes en accomplissant franchement et entièrement tous nos devoirs de chrétiens. J'espère que papa, Henri et mon oncle Dehon auront fait bravement leurs pâques à La Capelle.

Ici nous jouissons du plus grand calme. La canaille italienne est allée à Paris pour y fonder la république universelle, et vous savez comme les vrais romains sont sages et religieux. Les soldats piémontais eux-mêmes, recrutés dans les campagnes d'Italie, sont en général de braves gens. Ils sont venus ici malgré eux, conduits par leurs officiers et sous-officiers, gens de la pire espère, sortis des officines maçonniques.

Deux de mes condisciples ont vu le St-Père hier. Il est toujours radieux de sainteté. Il pleure les malheurs de la France et recommande dans toutes ses audiences de prier pour elle.

Mr Bernard de Cambrai nous est arrivé hier et nous attendons sous deux jours Mr Dugas de Lyon et un autre confrère. Le Séminaire se reforme peu à peu.

Mon travail marche régulièrement. Je me porte à merveille et nous avons un délicieux printemps qui me fait goûter de plus en plus les charmes de Rome.

Quant aux monnaies romaines, je m'y entends fort peu et je crois que Mr Cardot trouvera plus facilement son affaire sur les quais de Paris. Les antiquités coûtent cher et sont enlevées tous les hivers par les Anglais.

Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, mon oncle Dehon, Marie et les enfants.

Votre tout dévoué fils qui vous embrasse de tout cœur.

L. Dehon, pr.

1 Le 2 avril, confiscation de tous les biens ecclésiastiques; le 4 avril, arrestation de l'archevêque, Mgr Darbois, et de nombreux prêtres, religieux et religieuses comme otages. Beaucoup, dont l'archevêque, seront exécutés lors de l'entrée à Paris des troupes gouvernementales de Versailles en mai (la Semaine sanglante).

2 Jules Simon, philosophe, Jules Favre, avocat, Ernest Picard: tous trois membres du gouvernement de Thiers, de la Défense nationale; des républicains modérés et conservateurs.