629.11
B36/2D.11
Ms photo, 6 p. (21 x 13)
L'original de cette lettre importante se trouve aux archives du Séminaire français à Rome. Les AD en possèdent une photocopie et une dactylographie authentifiée.
Au P. Fryed
La Capelle 25 sept. 71
Mon très révérend Père1
Je voudrais vous avoir auprès de moi pour me remonter le moral. Je n'ai ici ni conseil, ni directeur et cet isolement dans les circonstances actuelles m'est très pénible. À la veille de partir pour Nîmes, j'éprouve de nouvelles hésitations. Je n'ai emporté de Rome qu'une demi décision et je n'ai pas ici les éléments d'une décision formelle. Voici les motifs qui m'arrêtent.
J'arrive de Louvain où j'ai étudié l'organisation de l'université. Je suis de plus en plus frappé de la nécessité d'avoir des universités catholiques en France, non pas seulement pour la théologie, bien qu'elle doive en être l'âme, mais aussi pour les autres facultés qui conduisent aux carrières civiles. D'un autre côté, j'ai rapporté de là la persuasion que nous n'aurons cela qu'avec le concours de l'épiscopat, sinon de toute la France, au moins d'une province. Rome exigera que les professeurs de théologie soient nommés par l'épiscopat et confirmés à Rome, ou nommés directement par le St-Siège. Tout cela ne pourra pas être l'œuvre d'une congrégation religieuse. Elle pourra tout au plus fournir quelques professeurs.
Quelle sera dans cette création d'universités la part de l'Assomption? Je crois qu'elle aura le mérite de préparer la chose par sa revue, par son activité, par ses essais à Nîmes. Le P. d'Alzon a bien le caractère de boute-en-train et l'esprit d'initiative qu'il faut pour cela. Ils rendront ainsi, je crois, un grand service à l'Église et à la France. Mais leur action pourra n'être que passagère. On marchera ensuite sans eux. Faut-il, pour les aider dans cette préparation et cette mise en train, que je m'engage là pour toute ma vie. Vous savez combien, avec le caractère entraînant du P. d'Alzon et la facilité avec laquelle je me lie, il me sera difficile de quitter Nîmes quand j'y serai allé. Vous savez aussi que c'est plutôt l'œuvre que la congrégation qui m'attire.
Voilà dans quel embarras je me trouve. Je me suis jusqu'à présent fort avancé. J'ai annoncé ici mon départ et j'ai promis au P. d'Alzon de partir vers le 5 octobre pour Nîmes. Il serait encore temps de tout rompre. Qui me donnera une décision? J'attends la vôtre comme celle de Dieu. Peut-être ces troubles sont-ils l'œuvre du démon. Vous y verrez plus clair que moi. Veuillez m'écrire de suite et autant que possible trancher net la question pour que je sorte de ces doutes qui me tourmentent depuis longtemps. Annoncez-moi, si vous le pouvez, votre décision par un télégramme qui me fixera en attendant votre lettre. Je vous tiendrai compte des frais2.
Faites encore entrer en ligne de compte, en dehors de la question des universités, cette considération qu'il serait très bon qu'il y eût en France une congrégation religieuse adonnée à l'étude dans un sens bien romain et formant ses sujets à Rome. Voilà le pour. Le contre est que l'esprit des Assomptionnistes, au moins jusqu'à présent, est plutôt l'action que l'étude. Considérez aussi que le p. d'Alzon est bien décidé à ne nous faire faire que deux mois de noviciat, bien que je suppose qu'il ne nous demanderait pas de faire des vœux avant une année d'épreuve.
Voilà les éléments de la décision.
Je verrai mon évêque le mardi 3 octobre à une bénédiction d'église. Je voudrais avoir avant cela votre réponse par le télégraphe<sup>3</sup>.
Je ne vous ai parlé que de moi jusqu'ici. Ne croyez pas que je vous oublie. Je suis peiné à la pensée que vous aurez peu d'élèves cette année. Je regrette l'heureux temps où j'étais à Ste-Claire. Quand aurai-je le bonheur de vous revoir?
Dites-moi dans votre réponse si toutes les bonnes raisons que vous me donniez au mois de juin en faveur de mon diocèse étaient sincères ou si elles étaient exagérées pour m'éprouver. S'il en était ainsi, je serais moins éloigné de Nîmes.
Mes respects au P. Brichet et au P. Daum. Mes amitiés à mes condisciples et spécialement à MM. Bernard et Rozerot.
Votre tout dévoué fils en N.S.
L. Dehon, pr.
Qu'est devenu l'abbé Dugas?
1 Pour situer cette lettre et en discerner l'importance, il convient de relire les NHV IX, 58-71, où référence est faite à l'ensemble de la correspondance échangée à cette époque entre Léon Dehon, l'abbé Désaire, le P. Freyd et le P. d'Alzon. Les lettres reçues par l'abbé Dehon sont reproduites parmi les LC. Pour une analyse critique, outre les diverses biographies, on pourra se reporter à St. Deh. n. 9: Chapitre I: «1871 - La grande décision» (pp. 10-30).
2 Le P. Dehon parle en NHV IX, 65 d'un télégramme envoyé au P. Freyd. Sans doute s'agit-il de cette lettre du 25 septembre, à laquelle le P. Freyd répondra, lui, par télégramme, comme il lui était demandé, le 1er octobre: «Votre hésitation est légitime. Vaudrait mieux vous dégager si possible. Réponse partie» (cf. LC 129). Aucune lettre cependant du P. Freyd datée du début d'octobre n'apparaît au dossier. C'est la lettre du 21 octobre (LC 135) dans laquelle «le bon P. Freyd expliquait sa décision» (lettre citée longuement en NHV IX, 67-68).
3 L'abbé Dehon avait reçu l'autorisation de l'évêché pour partir (cf. LC 124, du 8 septembre). Après réception du télégramme du P. Freyd, «j'écrivis, note le P. Dehon, le 3 octobre à Monseigneur Dours que je me mettais à sa disposition». M. Guyart, vicaire général, écrivit le 6 octobre à Mr le Doyen de La Capelle: «Mgr se propose de donner bientôt à M. l'abbé Dehon un poste où il trouvera l'occasion d'exercer son zèle. Jusqu'à cette époque, Sa Grandeur lui accorde très volontiers le pouvoir de prêcher et de confesser non seulement dans l'étendue de votre doyenné, mais dans les paroisses du diocèse où il pourrait se trouver» (AD B21/3.P; Inv. 371.18).