629.16
. B 36/2d.16
(copie dactylographiée)
[copie du même document B 36/2a. 16 (inv. 626. 16). (copie dactylographiée)]
30. 09. 1873
P. Freyd
Mon bien cher Père,
Je me reproche d'avoir trop négligé de vous écrire. Il faut vous dire que j'ai éprouvé pendant quelque temps de la rancune contre vous. Peut-être devinez-vous pourquoi. Vous savez combien j'avais le désir de la vie religieuse, pour compléter mon sacrifice et pour pratiquer plus amplement les conseils de perfection. Vous n'aviez qu'un mot à dire et je serais allé où vous m'auriez envoyé. Au lieu de cela vous m'avez laissé dans le monde. Voilà le sujet de ma rancune.
Cependant, tout bien pesé, je crois que le bon Dieu me voulait ici, pour y faire quelque bien, et si j'y ai par moment éprouvé du relâchement, ce n'est pas au bon Dieu ni à vous qu'il faut m'en prendre, mais à moi seul.
Je suis toujours sixième vicaire avec une besogne assez lourde. Je suis de plus aumônier d'un noviciat d'une douzaine de religieuses Franciscaines alsaciennes, que j'ai contribué de tout mon pouvoir à faire accueillir à St Quentin. C'est une fondation très intéressante et qui est en bonne voie.
Mon oeuvre ouvrière marche bien. J'ai deux cents apprentis et vingt cinq ouvriers. C'est un sujet d'occupation continuelle avec des alternatives de joie et de tristesse, selon la bonne volonté des enfants. Cette oeuvre tend à se consolider. Je suis en voie de former un comité des industriels les plus influents pour la patronner, mais j'ai des tribulations analogues à celles de l'excellent P. Brichet pour le paiement du local. Cependant M. de Mun et le comité des Cercles de Paris me pressent de grandir encore notre petit Cercle pour le mettre à la portée d'un grand nombre d'ouvriers. Je recommande toutes ces oeuvres à vos prières et je vous prie de les recommander autour de vous.
J'ai pu prendre cette année trois semaines de précieuses vacances. J'ai donné la première au Congrès de Nantes, puis j'ai pèleriné de sanctuaire en sanctuaire, de Ste Anne d'Auray à Lourdes par Pouy et Buglose; de Lourdes à Paray-le-Monial par N. D. de la Garde, Fourvières et Ars.
J'ai fait provision de grâces, de souvenirs et de prières. J'ai rencontré à Lourdes quelques condisciples de Rome. A Paray, j'ai vu l'excellent P. Dugas, qui est nommé professeur de philosophie à St Etienne. Il publie en volume ses intéressantes correspondances que vous avez lues dans l'Univers. Vous pourrez les recommander au Bulletin.
A mon retour j'ai reçu la visite de deux de vos plus chers enfants, Mr de Bretenières et Mr Duponchel. J'étais heureux de communiquer au premier un vague projet qui n'est peut-être pas sérieux, mais qu'il a fort goûté. Voici de qui il s'agit. Notre cher évêque (qui est du reste assez malade depuis plusieurs mois et qui parle de donner sa démission), a sollicité en vain de tous les ordres religieux des missionnaires auxquels il offre une maison qui a été léguée au diocèse. Ne serait-ce pas le cas de tenter l'organisation d'une petite congrégation diocésaine qui commencerait dans cette maison? Il faudrait commencer comme à Dijon par l'union de deux ou trois prêtres. Ces congrégations sont favorisées par le souverain pontife et elles aident quelques prêtres à vivre plus parfaitement. Aux missions diocésaines elles peuvent ajouter selon les circonstances l'enseignement et les oeuvres.
Dites-moi ce que vous pensez de tout cela.
Il paraît que le P. d'Alzon, désolé de voir plusieurs de ses enfants le quitter, me soupçonne un peu de les entraîner pour lui faire concurrence. Son imagination lui crée des fantômes.
Mon père et ma mère ont pris part à la plus belle portion de mes pèlerinages de vacances. Mon père a voulu communier à Lourdes, à Fourvières et à Paray. Ses bons sentiments s'affermissent.
Mes affectueux respects au R.P. Brichet et au R. P. Daum. Je ne parle plus des élèves, je crois que tous mes condisciples vous ont quittés.
Agréez l'assurance de mon filial dévouement et de mon inaltérable reconnaissance.
L. Dehon, vic.