208. 06
B 18/6. 6
14. 02. 1877
(de ND. de Lorette)
Un confrère du vicariat
(M. Parmentier?) (copie dactylogr.)
Mon cher Confrère,
Je m'empresse de vous faire part de notre joie qui est complète. Notre voyage est jusqu'à présent heureux de toutes manières. Notre santé se conserve, le temps est favorable et l'atmosphère est douce.
Je vous ai donné des nouvelles de Turin. Le lendemain j'eus le bonheur de célébrer la Sainte Messe à l'autel du St Suaire. Vous savez que Turin possède cette précieuse relique. Elle est conservée dans un sanctuaire pieux autant qu'artistique dont les décorations de bronze et de marbre noir et les emblèmes de deuil conviennent merveilleusement au trésor qu'elles ont pour but d'honorer. Nous laissons cette ville d'ailleurs pauvre en souvenirs et qui n'a de beau que sa régularité.
Milan nous retint vingt quatre heures.
Comme sa cathédrale de marbre nous ravit le soir quand les rayons du soleil couchant lui donnaient une teinte rose toute féérique! Ses mille clochetons et les découpures de ses corniches l'entourent d'une merveilleuse dentelle.
On peut lui reprocher de n'avoir pas la perfection classique de nos principales cathédrales, mais on ne peut échapper au sentiment d'admiration qu'elle vous impose.
Priez M. Lemaire de dire à Mme Thibaut que j'ai célébré la messe pour son cher Charles au tombeau de s. Charles Borromée.
Quelles heures rapides et délicieuses on passa à la basilique de St Ambroise!
Son atrium et ses vieilles galeries romanes aident l'imagination à faire revivre le passé. C'est là que st Ambroise convertit st Augustin. Je l'ai bien prié de convertir tous nos jeunes Augustins du Cercle et du Patronage, et d'affermir dans la foi nos jeunes philosophes du mercredi.
Mgr a célébré la messe devant les corps découverts de st Ambroise, de st Gervais et de st Protais. Quelle puissance dans ces crânes encore imposants. Que nous sommes petits auprès de ces géants!
Après Milan, Padoue, la ville du grand thaumaturge st Antoine. Là tout le monde aime et vénère le Saint (il Santo). Le peuple aime à prier en posant le front sur son tombeau. On oublie les richesses artistiques de l'église pour ne penser qu'au grand saint qui y vit toujours par ses bienfaits. Dites à Mr Vilfort que j'ai bien prié pour lui son patron st Antoine.
Venise: que de souvenirs se pressent dans ma mémoire depuis st Marc et le palais des doges jusqu'au célèbre Carnaval auquel nous assistons sans le vouloir!
Finissons de suite avec ce Carnaval qui nous poursuit depuis trois jours. Il nous a paru bien moins immoral qu'en France. Ce sont des danses publiques de jour comme dans nos fêtes de campagne.
Hier c'était Ravenne et Ancone. Aujourd'hui c'est N. D. de Lorette.
J'ai dit la Sainte Messe dans la maison de la Sainte Famille, apportée ici par les anges au XIIè siècle comme vous le savez. Ce miracle a été alors constaté par des enquêtes et des auditions de témoins avec toute l'exactitude moderne. Vous pensez bien que la pensée de nos jeunes gens me poursuit partout. J'ai demandé à Jésus adolescent qui a vécu dans ce sanctuaire de les former à sa ressemblance.
Il est beau de voir un peuple de croyants embrasser ces saintes murailles. Ces murs sacrés ont été revêtus extérieurement de sculptures aussi belles que pieuses dues à des artistes chrétiens des XVè et XVIè siècles.
Rien n'est touchant comme de célébrer là la sainte messe. Le même Sauveur renouvelle son incarnation dans nos mains. La récitation de l'Angélus n'y est pas non plus indifférente. C'est là même dans cette pauvre maison que l'ange annonça à Marie qu'elle serait la Mère du Sauveur.
Nous sommes ici tout près du champ de bataille de Castelfidardo. C'est là que le plus pur et le plus noble sang de France a été versé par les impies envahisseurs.
Nos jeunes gens aiment les zouaves pontificaux; je souhaite qu'ils aient leur vaillance et leur générosité.
Je vous recommande une intention particulière. Mes respects au bon Mr Genty. Mes amitiés à mes chers confrères. Une chaude poignée de mains à tous nos jeunes gens.
Tout à vous en St Joseph.
L. Dehon.