VII Cahier

=====Notes sur l’histoire de ma vie

QUELQUES NOMS

J'ai vu de près ces neuf cents prélats pendant huit mois et j'ai été frappé chaque jour de la dignité de cette assemblée et de la somme de science et de vertus qu'elle représentait. La terre n'a rien qui ressemble à ces réunions conciliaires. Qu'importe qu'il y ait quelques personnalités un peu banales dans cet ensemble étonnant d'hommes graves, doctes et pieux qui ont été préparés à ces hautes fonctions les uns par l'enseigne­ment, les autres par l'apostolat ou le gouvernement de grandes parois­ses. La plupart ont passé par les Universités et ont exercé le ministère dans les villes. Dire qu'ils ignorent les conditions de la société contem­poraine, c'est ignorer soi-même ce que l'on dit.

Dans cette élite, il y avait une élite encore et quelques-uns tran­chaient par leur réputation, leur habileté, leurs œuvres passées, leur éloquence.

Voici quelques noms qui furent particulièrement remarqués au Concile.

En Italie, les plus vénérés pour leur science et leurs travaux étaient: Mgr d'Avanzo, évêque de Calvi; Mgr Cugini, archevêque de Modène; Mgr Zinelli, évêque de Trévise; Mgr Arrigoni, archevêque de Lucques;1) Mgr Dusmet, archevêque de Catane, Mgr Ricciardi, archevêque de Reg­gio [Calabria ] .

Mgr de Catane était un Borromée, il avait trouvé son diocèse dans une situation lamentable et il avait tout réformé, les séculiers et les réguliers, avec une vigueur apostolique.

Trois évêques italiens parlèrent souvent, avec facilité, avec à propos et avec une aisance qui prouvait que la science théologique leur était très familière; c'est Mgr Gastaldi,2) évêque de Saluces, Mgr Gandolfi, évêque de Corneto [Tarquinia], et Mgr Ballerini, patriarche latin d'Alexandrie, résidant à Rome.

En Espagne, les noms les plus vénérés étaient ceux de Mgr Garcia Gil, archevêque de Sarragosse; Mgr Yusto, archevêque de Burgos; Mgr Montserrat, évêque de Barcelone; Mgr Monescillo, évêque de Jaën.

Les orateurs les plus diserts parmi les Espagnols furent: Mgr Mone­scillo, évêque de Jaën; Mgr Caixal y Estrade, évêque d'Urgel; Mgr Lluch, évêque de Salamanque; Mgr Paya y Rico, de Cuenca. Ces évêques étaient vraiment théologiens. Les dignités en Espagne sont données au con­cours. On reconnaissait au Concile les fruits de cette ancienne règle canonique. L'épiscopat espagnol semblait surpasser tous les autres. Mgr l'évêque d'Urgel parlait avec piété et énergie. Il parla souvent, très souvent, et finit même par fatiguer le Concile.

L'épiscopat allemand était tellement atteint par le germanisme (le gallicanisme d'outre-Rhin), qu'on eut de la peine à choisir quelques noms pour la commission de fide. On y porta Mgr Ledochowski, arche­vêque de Posen; Mgr Martin, évêque de Paderborn; et Mgr Senestrey, évêque de Ratisbonne.

Les principaux évêques de l'Allemagne, le cardinal Rauscher, de Vienne, le cardinal Schwarzenberg, de Prague, le cardinal Melchers, de Cologne, Mgr Ketteler de Mayence, Mgr Hefele de Rottenbourg étaient tous opposés à l'infaillibilité.

Il en était de même des principaux évêques de Hongrie: Mgr Simor, archevêque de Gran; Mgr Haynald, archevêque de Kalocsa; Mgr Stross­mayer, évêque de Sirmium. Ces prélats hongrois parlaient le latin avec une grande facilité. Ils y étaient habitués. Le latin est resté plus vivant en Hongrie que partout ailleurs. Il était encore en 1870 la langue offi­cielle des tribunaux.

L'Angleterre était brillamment représentée par le cardinal Manning,3) de Westminster; Mgr Grant, de Southwark; Mgr Vaughan, de Plymouth; Mgr Clifford, de Clifton. L'Irlande par le cardinal Cullen, de Dublin; Mgr Leahy, de Cashel; Mgr Keane, de Cloyne.

Mgr. Manning parla un jour une heure sans lasser le Concile. Mgr Leahy était le meilleur orateur des prélats de langue anglaise. Mgr Gibbons, quoique visiblement partial pour les gallicans, avoue dans ses mémoires sur le Concile que « la réplique de Mgr Leahy au cardi­nal-prince Schwarzenberg (adversaire de l'infaillibilité) fut un chef-d'œu­vre de raisonnement et d'éloquence, tout imprégné d'une délicate saveur d'esprit irlandais ».

L'Amérique avait aussi quelques prélats éminents: Mgr Maccloskey, archevêque de New-York; Mgr Spalding, de Baltimore; Mgr Kenrick, de St. Louis; et un jeune prélat alors peu connu, Mgr Gibbons, vicaire apostolique de la Caroline du Sud, qui est devenu depuis archevêque de Baltimore. Mgr Gibbons a écrit ses mémoires sur le Concile. Il a gardé un faible fort accentué pour les gallicans. Dans ses portraits des évêques conciliaires, il ne trouve à signaler parmi les évêques français que Mgr Darboy et Mgr Dupanloup, c'est court. Parler de l'épiscopat de France et du Concile et ne pas citer même Mgr Pie, c'est commettre une grosse faute de mémoire. Mgr Gibbons révèle sa pensée intime en faisant le portrait suivant de Mgr Strossmayer (le hardi tribun de l'op­position): « Il passait pour le prélat le plus éloquent du Concile, et il se sentit obligé de répudier certains sentiments hostiles au Saint-Siège qui lui avaient été faussement (???) attribués. Ses discours étaient tou­jours sûrs de captiver ses auditeurs, sinon de les convaincre. Ses périodes coulaient avec la grâce, la majesté et le rythme musical d'un Ciceron ». Il est vrai que Mgr Strossmayer parlait avec facilité et même avec élo­quence, mais il a souvent blessé les sentiments de la majorité du Concile, jusqu'à s'attirer les apostrophes les plus sévères.

La Belgique pouvait être fière de son primat, Mgr Dechamps. Mgr de Montpellier, évêque de Liège, était aussi au nombre des prélats les plus écoutés.

La Suisse avait un évêque bien sympathique, Mgr Mermillod, et des prélats connus pour leur doctrine: Mgr Lachat, de Bâle, Mgr Marilley, de Lausanne.

L'Orient latin était bien représenté par Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem, et Mgr Spaccapietra, de Smyrne. Les Arméniens par Mgr Has­sun et Mgr Nasarian, les Grecs par Mgr Jussef, les Chaldéens par Mgr Ebedjésus Khayatt.

Reste l'épiscopat français. Evidemment il n'était pas très théologien et nous avons bien été humiliés sous ce rapport. La France n'avait plus d'universités catholiques. Nos séminaires étaient pieux, mais ils avaient organisé de petits cours après la Révolution et ils s'en tenaient là. Les Sulpiciens et les Lazaristes n'envoyaient pas leurs sujets se former aux grandes écoles de Rome. Nous étions en retard pour la théologie et le Concile révéla cette lacune. Les étrangers nous disaient: Vous n'avez qu'un évêque théologien, l'évêque de Poitiers.

Notre épiscopat rachetait, autant qu'il est possible, cette lacune ca­pitale par bien des qualités et des distinctions. Mgr Pie n'était pas seu­lement un théologien sûr et profond, c'était aussi un apologiste, un ora­teur, un écrivain d'une grande finesse. Nul plus que lui n'avait suivi la genèse des erreurs et le développement théologique de ce siècle. Ses écrits étaient comme le commentaire anticipé du Concile.

Mgr Dupanloup était un polémiste ardent, un orateur, un lettré. Il avait organisé son diocèse avec un peu de brusquerie peut-être, mais avec un grand zèle; il avait attiré auprès de lui une élite d'écrivains ecclésias­tiques.

Mgr Plantier était aussi un apologiste et un orateur. Mgr Berteaud était un' poète. Sa parole enflammée et toujours improvisée jaillissait comme un bouquet d'étincelles où les vues sublimes de la foi se mêlaient aux traits abondants de l'esprit naturel.

Mgr Freppel fut sacré pendant le Concile. Il s'était déjà révélé com­me théologien et comme orateur.

Mgr Landriot, Mgr Le Courtier étaient des écrivains distingués sinon profonds. Mgr Cousseau et Mgr Meignan étaient des érudits. Mgr Raess se révéla comme excellent latiniste et bon théologien.

Mgr Allemand Lavigerie était un apôtre ardent. Mgr Regnier un mer­veilleux administrateur.

Nous avions tout un groupe d'évêques grands seigneurs, issus de nobles familles, avec toute la distinction de l'Ancien Régime sans en avoir les défauts. Il y avait Mgr de Dreux-Breze, Mgr Roullet de la Bouillerie, Mgr Gerault de Langalerie, Mgr Dupont des Loges, Mgr Pallu du Parc, Mgr de La Tour d'Auvergne, Mgr de Bonnechose.

Dans ces conditions notre épiscopat fit encore très bonne figure au Concile, bien qu'il fût médiocrement théologien.

1)
Arrigoni ha lasciato un diario, che va dal 2 dicembre 1869 al 18 luglio 1870. Il manoscritto (un quaderno, 31 x 21, di pp. 84) s’intitola: Giornale del Concilio Ecumenico Vaticano Imo nell’anno 1869-70. È conservato nell’archivio del Seminario arcivescovile di Lucca.
2)
Anche V. Marchese, che, quando all’età di 33 anni si preparò al sacerdozio, ebbe per due anni Gastaldi come professore di Teologia morale, ne mette in risalto la profonda dottrina, la padronanza della lingua latina e la vivace eloquenza. « Mons. Gastaldi era predicatore infaticabile, erudito, vigoroso, un vero missionario… Egli non era predicatore di pulpito. Per quanto di corporatura giusta, egli era brutto di fisionomia, ed è noto quanto questo particolare renda difficili gli entusiasmi della folla; mentre in Concilio, la profondità e vastità della dottrina, la focosa eloquenza, e più specialmente il prezioso possesso della lingua latina, (che per una combinazione strana, i più focosi antinfallibilisti parlavano familiarmente quella lingua, mentre fra gli infallibilisti, credo che il Gastaldi fosse il solo che potesse improvvisare) gli assi­curarono in seguito un posto segnalato nel Concilio » Le mie impressioni al Con­cilio Vaticano, Saluzzo 1912, p. 25. Lo stesso V. Marchese narra che, nella visita di congedo, Pio IX lo incaricò di dire a Mons. Gastaldi che « non avrebbe dimenticato mai i servizi da lui resi alla Chiesa, nel Concilio » ibid., p. 108.
3)
Fu creato cardinale nel 1875.