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14ème CAHIER (27.8.1899 – 17.9.1899)

Madrid. Musées 1 27 – 30 août

Madrid a son quartier artistique et littéraire. A l'entrée des promena­des, il y a le musée de peinture et de sculture du Prado, l'Académie des sciences, la bibliothèque nationale, le musée archéologique, etc.

On sait que le musée de peinture de Madrid est un des plus beaux de l'Europe. Il est riche en chefs d'œuvre des écoles espagnole, italienne et flamande.

Pendant tout un siècle, le XVIe, celui de la Renaissance, il ne se fai­sait pour ainsi dire pas une grande œuvre en Europe, qu'elle ne fût of­ferte à Charles Quint et après lui à Philippe II. Les successeurs de ces deux souverains, quoique perdant leurs provinces, conservèrent et augmentèrent 2 leurs richesses artistiques. Philippe IV, l'ami de Vela­squez, employa les derniers écus d'un trésor épuisé en achats d'œuvres d'art. Philippe V, le petit-fils de Louis XIV, et Charles III, qui fit tant pour l'embellissement de Madrid, accrurent les richesses amassées par la dynastie autrichienne.

En 1818, Ferdinand VII réunit au musée du Prado les tableaux di­spersés jusque là dans les palais de Madrid et les résidences royales. Isabelle II y fit ajouter les meilleures toiles du palais de l'Escorial et les tableaux provenant des couvents de Madrid, Tolède, Avila et Ségovie, fermés en 1836. Le musée contient 2.200 toiles.

L'Espagne n'a pas, comme l'Italie et la Flandre une école d'art du Moyen-âge. Du XIIe au XVe siècle, les Espagnols étaient chevaliers et soldats, ils n'avaient pas le temps d'être artistes.

Elle a cependant de cette époque de 3 belles miniatures, faites dans les monastères. La bibliothèque de l'Escorial en a une belle collection. Dans le haut Moyen-âge, aux IXe et Xe siècle, la vie artistique et scientifique en Espagne était dans les provinces arabes, et notamment à Cordoue et à Séville. L'art arabe de cette région pouvait rivaliser avec celui du Caire et de Damas. Ce qui nous est resté des mosquées et des palais du pays mauresque en témoigne. Cordoue ne peignait pas les fi­gures, mais les arabesques de ses manuscrits et de ses tentures de cuir ont servi de modèles aux premiers peintres italiens de la Renaissance.

Gerbert, le Pape Sylvestre II, au Xe siècle alla se perfectionner dans les sciences à Cordoue. Nos premiers scolastiques s'aidèrent des com­mentaires d'Averroès sur Aristote, tout en les rectifiant.

La tradition byzantine a laissé aussi 4 quelques traces en Espagne. Séville a une Madone de ce style.

Au musée de Madrid, quelques primitifs anonymes avec fonds d'or accusent l'imitation de l'art italien et de l'art flamand.

Quand l'Espagne commença a respirer, après la croisade, ses rois ap­pelèrent des maîtres de Bourgogne, de Flandre, d'Allemagne et d'Italie pour créer une école d'art espagnol.

Jean II fit venir Van Eyck de Bruges et Dello1) de Florence.

A Burgos, la cathédrale est des architectes Jean de Cologne et Fran­çois de Cologne; les stalles, de Philippe de Bourgogne; les rétables, de Martin de la Haye; la chartreuse de Miraflores est de Jean de Cologne et de son fils Siméon.

A Avila, les stalles de la cathédrale sont du hollandais Cornelis; les grilles de Jean de France; les statues de Jean de Bourgogne et de son élè­ve espagnol Berruguete; les tombeaux de l'église St-Thomas sont du flo­rentin Domenico 5 Fancelli.

A Salamanque, la vieille cathédrale a une série de tableaux sur bois, peints par un florentin du XIVe siècle.

A Tolède, les belles stalles du choeur sont de Philippe de Bourgogne: le groupe de l'ensevelissement du Christ au maître-autel est de Jean de Bourgogne; le rétable, de Copin de Hollande; les vitraux, de Jacob Dol­fin, Joaquin d'Utrecht et Albert de Hollande; les statues du transept sont de Grégoire de Bourgogne et de Nicolas de Vergara, son élève espa­gnol; la chasse est de l'allemand Enrique d'Arfe.

Les merveilleuses sculptures du choeur à la cathédrale de Tolède sont d'Alphonse Berruguete de Valladolid (1480-1561), qui étudia à Florence sous Michel-Ange. Il a su imiter son maître dans la correction du dessin, la noblesse des poses, la perfection anatomique et l'emploi habile des draperies 6.

Du XVe siècle, le musée du Prado a quelques peintures sur fond d'or de Pedro Berruguete, père d'Alonso. Ce peintre avait travaillé à Tolède avec Jean de Bourgogne. Ces tableaux représentent des scènes de la vie de St. Thomas d'Aquin, de St. Dominique, de St. Pierre martyr et un autodafé présidé par St. Dominique. Ils ont la raideur des primitifs de l'Ombrie.

J'ai vu à Tolède plusieurs peintures de Jean de Bourgogne, des por­traits et une fresque représentant la conquête d'Oran, dans la chapelle mozarabe.

C'est dans le même style.

Le musée du Prado a aussi plusieurs peintures de Fernando Gallegos, du XVe siècle, on le prendrait pour un flamand, il rappelle Thierry Bouts.

Cordoue, même au temps des Maures recourait à l'art italien. C'est un florentin qui peignit en 1479 à la salle de justice de l'Alhambra des tournois et une séance judiciaire 7.

Barcelone et Tolède (rétable à la chapelle de Don Alvaro de Luna) ont quelques peintures dans la manière flamande primitive.

Au XVIe siècle seulement s'épanouit l'école espagnole, inspirée par les maîtres de Florence et d'Anvers. Séville donne l'exemple et forme une école à part.

Villegas et Luis de Vargas ont été étudier à Florence chez les maîtres de la Renaissance avancée, notamment chez Pierino del Vaga. Ils rap­portent à Séville les procédés florentins. C'est d'eux que procède l'école de Séville. Ils formèrent Luis Fernandes, Pacheco, Herrera le vieux et les frères Castillo. Cette génération prépara celle de Murillo et de Vela­squez.

A Valence et à Grenade, ce sont des peintres appelés d'Italie et no­tamment deux élèves de Jean d'Udine qui viennent décorer ici l'Alham­bra et la cathédrale.

Charles V orne ses appartements de tableaux du Titien et de l'école 8 vénitienne; il apporte ainsi de nouveaux modèles à imiter. Philippe II a fait venir, pour décorer l'Escorial, toute une pléiade d'Italiens: Cambiaso, Tibaldi, Carducci, Zucchero, etc. Ils viennent de Gênes, de Naples, de Rome, de Bologne.

Luis de Morales, surnommé le divin, travaille à Badajoz et peint sur­tout les sujets de la Passion. Il dérive des Flamands et des Allemands par son exécution patiente et laborieuse.

Les peintres de portraits, Antonio Moro et Sanchez Coëllo se sont beaucoup aidés des portraits du Titien apportés par Charles Quint. Mais c'est l'école de Séville qui mérite surtout de nous arrêter. Elle a donné à l'art espagnol son vrai caractère. C'est l'esprit de foi qui y do­mine; la foi austère et rude des monastères avec 9 Zurbaran et Ribei­ra, la piété plus douce avec Murillo. Velasquez est un peintre de cour. Le maître de Zurbaran.

Las Roclas était prêtre.

Zurbaran et Ribeira rappellent la tournure d'esprit qu'avaient prise les Espagnols après plusieurs siècles de croisade. C'étaient des chevaliers austères, endurcis par la vie des camps et tous les jours aux prises avec la mort. Ces peintres rappellent par leur sombre imagination les chevaliers errants que Cervantes a travestis.

Murillo, venu après la paix générale, est d'une autre génération et d'une autre trempe de caractère: c'est la piété calme et suave. François Herrera le vieux (1576-1666) a été le principal initiateur de l'école de Séville. Il a ajouté aux procédés italiens une étude plus réelle de la nature. Il a formé ses fils, puis Velasquez et Cano et il a eu aussi une grande influence 10 sur Zurbaran. Mais Madrid n'a presque rien de lui. C'est à Séville qu'il faut l'étudier.

Zurbaran (1598-1662) est né dans l'Estramadure, mais il a vécu à Séville où il a de belles toiles à la cathédrale. Le Prado possède de lui un Jésus dor­mant sur la croix et Sainte Casilde, surprise par le roi Maure son père, au moment où elle portait du pain aux chrétiens captifs et changeant ces pains en rose. C'est le grand style de Venise avec plus de raideur et d'austérité.

Ribeira (1588-1659) né à Valence a vécu en Italie où il reçut les leçons de Caravage. Il s'est plu à représenter les scènes effrayantes, les massa­cres, les tortures. Je me rappelle son martyre de St. Janvier et son St. Jé­rôme de Naples. J'ai vu son Supplice d'Ixion et sa Mater Dolorosa à Na­ples. Les écoles avancées cherchent des effets nouveaux dans l'excès de la passion et de la douleur 11, tel le Laocoon chez les Grecs.

Velasquez (1599-1660) né à Séville, voyagea en Italie où il se lia avec Ribeira. Il eut les faveurs de Philippe II. Comme tous les peintres de cour, il fit surtout des portraits et des tableaux d'histoire. Il est le chef de l'école espagnole. On trouve en cet artiste toutes les qualités du grand peintre: riche coloris, vérité des types, naturel des poses, transparence de l'air, profondeur de la perspective, élégance des draperies, relief et vi­gueur des tons. Le Louvre a quatre toiles de lui parmi lesquelles l'Infan­te Marguerite au salon carré, mais c'est à Madrid seulement qu'on peut l'apprécier. On lui a donné dans ces derniers temps tout le salon d'Isa­belle au Prado où étaient réunis précédemment les chefs d'œuvre de tou­tes les écoles. Il y a là vingt cinq toiles de lui 12.

Il y a plusieurs portraits de Philippe III, de Philippe IV, des Infants et de divers personnages de la cour. Le portrait équestre du Duc d'Olivarés est un chef d'œuvre, il rappelle les plus beaux Van Dyck et il a plus de couleur. Le petit tableau des buveurs (los Borrachas) est connu et copié partout. La reddition de Bréda ou Les Lances est un superbe tableau hi­storique, bien supérieur aux Van der Meulen qui ont illustré les guerres de Louis XIV. Les Fileuses ou la fabrique de tapis de Sainte Isabelle de Madrid est aussi un chef d'œuvre très connu de Velasquez. C'est tout un atelier de travail rendu avec un grand réalisme et beaucoup d'expression. Cela rappelle Rembrandt pour le dessin et Veronèse pour le coloris.

Murillo Esteban (1617-1682) est né aussi à Séville. Il reçut les leçons de Velasquez et de Moya élève de Van Dyck. Il alla étudier en Flandre. Il a de belles œuvres à 13 Séville et sept tableaux à Paris, mais on peut l'étudier tout à son aise à Madrid où il a quatre vingt tableaux. Il brille par le sentiment, la noblesse, l'art de la composition, la science anatomi­que et la fidèle observation de la nature, ainsi que par la suavité, l'éclat, la fraîcheur et l'harmonie du coloris. Nul peintre n'a mieux que lui tout ce qu'il faut pour être populaire. Doué d'un génie flexible et varié, il réussit dans le paysage, les fleurs et les marines aussi bien que dans l'hi­stoire et les tableaux religieux.

J'ai surtout aimé sa Sainte Famille au Passareau, moins académique, mais aussi gracieuse que celles de Raphaël; ses enfants à la coquille (Jé-sus donnant à boire à St. Jean); sa Sainte Anne, donnant une leçon à la Vierge; son apparition de la Ste Vièrge à St. Bernard, sujet si souvent traité par les 14 primitifs de l'Ombrie.

Au XVIIIe siècle, l'école espagnole est en décadence. Bayeu et Goya ont une grande facilité et une grande fécondité de pinceau, mais ils sont sans âme.

Goya est bien représenté au Prado. Il a des portraits de Charles IV, de la reine Marie-Luisa, de Ferdinand VII enfant; des combats de la guerre de l'indépendance en 1808, les cartons des belles tapisseries de l'Escorial (fantaisies, chasses et scènes familières).

Il a peint à l'église de St. Antoine de Padoue la vie du Saint. Emilio Castelar écrit à ce sujet: «Ne cherchez pas dans cette œuvre un atome de sentiment religieux; le peintre encyclopédiste et libéral est né dans un siècle de révolution, de combat contre les vieilles institutions et les vieil­les croyances. Obligé de peindre des scènes religieuses dont le sentiment lui manquait, il choisit les femmes les plus belles et les plus perdues de son 15 temps, les peignit avec sa large facilité et en fit les anges du ciel. Mais à part cette grosse profanation, quelle vie, quelle vérité, quelle cu­leur, quelle animation, quel mouvement!».

Murillo a été le peintre de la foi simple et populaire; Velasquez, le peintre de la cour des rois tout puissants; Goya, le peintre de la philoso­phie railleur et jouisseuse du XVIIIe siècle. Je garde mes préférences pour Murillo. Il répond bien aux sentiments les plus élevés de l'âme po­pulaire, aussi ses œuvres et leurs copies sont-elles goûtées partout.

Les rois d'Espagne enrichirent aussi Madrid d'œuvres italiennes, al­lemandes et flamandes.

Florence et l'Ombrie sont là représentées par Angelico et Pinturicchio 16; Venise et Padoue, par Mantegna, Bellini, Bassano, Sébastien del Piombo et Titien. Rome, par Michel-Ange et Raphaël.

Je ne m'arrête qu'à Raphaël et Titien, les autres n'ont là que des œuvres secondaires.

Raphaël a neuf toiles au musée de Prado. Quelques-unes sont très con­nues. Sa Vierge au poisson a été souvent reproduite. J'aime mieux sa Sainte famille à la perle et le Spasimo (Jésus portant la croix). C'est Ra­phaël dans toute la plénitude de son talent, avec un dessin irréprochable et un grand sentiment chrétien.

Murillo n'éclipse pas Raphaël. Il a plus de réalisme, plus de clair-obscur, mais son dessin est moins précis, ses détails moins soignés. Ra­phaël reste le maître de la peinture classique chrétienne 17. Il a la pure­té du dessin grec et la douceur céleste du sentiment religieux.

Le Titien était très goûté de Charles Quint, aussi est-il très bien repré­senté à Madrid. Il n'a pas moins de douze toiles au Prado. Plusieurs sont des portraits: Charles Quint, Philippe II, Titien lui-même. Deux ta­bleaux représentent bien l'esprit de foi qui régnait à la cour: Charles Quint et sa femme représentés en suppliants aux pieds de la Sainte Tri­nité que la Sainte Vierge implore en leur faveur. Philippe II offrant à Dieu son fils Don Fernando. Mais il y a aussi des toiles païennes qui marquent le courant de la Renaissance: une bacchanale, une Vénus, une offrande à la déesse des amours. L'intimité du Titien avec la cour est bien marquée par le fait que Titien s'est peint à 18 coté de Charles Quint mais un peu plus bas dans le tableau qui représente l'hommage de Charles Quint à la Sainte Trinité.

Le Titien est là dans ces toiles avec toutes ses belles qualités: sa grande facilité, l'ampleur de son dessin, son coloris assez accentué. Mais l'ex­pression dans ses œuvres est de commande. C'était un éclectique et les impressions chez lui ne devaient pas être profondes.

Il y a aussi au Prado une riche collection d'Allemands et de Flamands. Les types les plus connus de l'école primitive allemande sont là: quel­ques portraits de Cranach, un vieillard d'Holbein, un Adam et Eva d'Albert Dürer.

Van Eyck a trois peintures délicieuses, comme toujours: Le Sauveur, la Vierge et des Saints. Quand le talent et la foi sont réunis, comme chez les Ombriens, les Florentins 19 et les Flamands, nous avons tout ce que la terre peut produire de plus approchant des beautés célestes.

Memling a un superbe triptyque, merveilleux de fini et de délicatesse, représentant l'Adoration des Mages, la Nativité et la Présentation au Temple. C'est la reproduction du triptyque de Bruges.

Gossaert a une délicieuse Madone. J'aime doublement ce peintre, à cause de son style pieux et soigné et parce qu'il est mon compatriote: il est né à Maubeuge près de mon pays natal.

Moro, Rembrandt et Van Dyck ont là quelques beaux portraits.

Rubens a une dizaine de toiles et de tous les genres. Il est chrétien avec l'adoration des mages et la Ste Famille; païen avec Cérès, Venus, Cupi­don et Persée, courtisan avec les portraits de Marie de Médicis et d'une autre princesse 20. Il est toujours Rubens, avec son dessin ample et fa­cile, sa bonhomie d'homme heureux, ses carnations plantureuses et rou­geaudes.

Mais le roi de cette collection flamande c'est Van der Weyden avec son Calvaire et son Mariage de la Sainte Vierge.

Le Calvaire surtout est d'une fini merveilleuse. Les volets représen­tent le châtiment du péché originel, le denier de César et le jugement dernier. Quelle foi, quelle naïveté dans ses personnages! quelle vivacité du coloris! quel soin des détails.

Van Eyck et Memling faisaient encore de la miniature. Van der Wey­den commence à faire le tableau, avec plus d'ampleur et en tenant compte de la vue à distance.

Les lettres

Pendant que je suis dans ce quartier 21 des académies et des biblio­thèques, j'aime à me rappeler les gloires littéraires de l'Espagne.

Elle a donné d'abord quelques écrivains à la grande Rome:

Sénèque le rhéteur, né à Cordoue (58 av. J. C. - 32 ap. J. C.). Il a laissé un modèle de son art, des déclamations ou lieux communs: Suasoriae con­troversiae.

Sénèque le philosophe, fils du précédent né aussi à Cordoue (3-65); maître de philosophie, sénateur sous Caligula, accusé par Messaline d'intrigues criminelles avec Julie, fille de Germanicus, exilé en Corse par Claude. Agrippine le rappela et lui confia l'éducation de Néron. Consul en 57. Conseiller de Néron avec Burrhus, il gênait son impérial élève qui pour s'en débarrasser l'accusa de complicité dans la conspiration de Pison et lui ordonna de se donner la 22 mort. Sénèque se fit ouvrir les veines et mourut avec une fermeté stoïque. Il nous a laissé de beaux traités sur la colère, la clémence, la tranquillité de l'âme, la brièveté de la vie, la con­stance du sage, la Providence, etc. Ses lettres morales, écrites à Lucilius sont remplies d'excellents conseils pratiques et de pensées généreuses en faveur des esclaves et des pauvres. Il semble avoir connu les livres sa­pientiaux des juifs. On s'est demandé même s'il n'avait pas conversé avec St. Paul. Mais le sage païen n'a pas eu la grâce et la force de réaliser ses enseignements. Il amassa des richesses et il écrivit en faveur de la pauvreté au milieu des jouissances du luxe.

Tacite lui reproche d'avoir approuvé l'empoisonnement de Britanni­cus et d'avoir fait l'apologie du meurtre d'Agrippine 23.

Martial (43-103), poète latin, né à Bilbilis, ami de Pline le jeune; il sé­journa 35 ans à Rome; il fit le tableau de la vie sociale à Rome avec sa corruption et ses bassesses; il manque de sens moral; il répugne par sa servilité envers Domitien.

Lucain (39-65) né à Cordoue, autre poète latin. Neveu de Sénèque, il étudia à Rome avec Néron. Il prit part à la conspiration de Pison; con­damné à mort, il se fit ouvrir les veines dans un bain comme son oncle. Il écrivit la Pharsale, poème en 10 chants, sur la lutte de César et de Pom­pée. Lucain n'égale pas Virgile; il a cependant de grandes beautés, aux­quelles se mêle trop d'enflure et de recherche. C'est déjà la décadence.

Silius Italicus (25-100) autre poète latin né à Séville; il vécut à Rome sous Néron; consul en 68. Il avait pour Cicéron et Virgile un vrai culte. Il acheta leurs villas, à Tusculum et à Naples. Il écrivit, lui aussi, un poème épique 24 la «Deuxième guerre punique» en 17 chants. Son style est correct et sans enflure. On lui reproche d'avoir imité trop servi­lement Homère et Virgile. On l'a appelé le Singe de Virgile. Ne pouvant supporter les souffrances d'un ulcère, il se laissa mourir de faim à 75 ans.

Enfin Quintilien (42-95), rhéteur latin né à Calagurris. Il étudia à Ro­me, il enseigna Pline le jeune et les neveux de Domitien. Celui-ci le fit consul. Il a laissé des dialogues et surtout son manuel de rhétorique «De institutione oratoria». Il loue et imite Cicéron et il critique Sénèque et les modernes. Son manuel a inspiré tous ceux qu'on a écrits depuis ce temps là.

L'Espagne a donc une belle part dans la littérature romaine.

L'Espagne eut aussi ses grands docteurs chrétiens: Pères de l'Eglise, scolastiques, mistiques, ascetiques.

C'est elle qui donna à l'Eglise le grand 25 Pape St. Damase, écrivain et poète, ami des martyrs et auteur des belles inscriptions des catacom­bes; mort en 384.

St. Isidore de Séville est la gloire de l'Espagne. Il est surnommé le doc­teur illustre, «Doctor egregius». Ses deux frères St. Léandre e St. Fulgen­ce, et sa soeur Ste Florentine sont également honorés par l'Eglise du cul­te des Saints.

St. Grégoire le grand le tenait en haut estime. St. Léon IV compare ses écrits à ceux de St. Jérôme et de St. Augustin. Son corps a été tran­sporté à Léon par Ferdinand ler qui l'acheta des maures à grand prix en 1083. Il mourut en 639. Il a laissé un traité des Origines qui est une véri­table encyclopédie des sciences de son temps, des commentaires sur l'Ecriture, une chronique générale et une histoire des Goths.

St. Braule ou Braulion, évêque de Saragosse, mort en 646. Il acheva le traité des Origines de St. Isidore et écrivit des vies des Saints 26.

St. Ildefonse ou Alphonse, fut aussi évêque de Séville au VIIe Siècle. Il fut le défenseur de la virginité de Marie contre les hérétiques; aussi la Vierge Marie l'aimait extrêmement. Un jour elle lui apparut dans l'égli­se et le revêtit d'une chasuble éclatante de blancheur. Un jour aussi Ste Léocadie sortit du tombeau et lui approcha et comme souvenir et témoi­gnage de ce miracle il coupa une partie du voile de la Sainte.

Avant de parler des scolastiques proprement dit, je veux citer Aver­roès (1120-1198), philosophe arabe, de Cordoue. Les scolastiques ont ré­futé ses erreurs, mais ils se sont beaucoup servi de sa traduction d'Ari­stote et de ses commentaires. Cordoue était du reste, avec l'Egypte, la Syrie et Byzance, le refuge des sciences pendant les siècles pénibles de l'éducation des barbares. Gerbert, le Pape Sylvestre II, alla étudier les sciences à Cordoue 27 au Xe siècle.

Suarez jésuite, né à Grenade (1548-1617) est le grand commentateur de St. Thomas. Il enseigna à Ségovie, à Valladolid, à Alcala, à Salaman­que. On l'a surnommé «Doctor eximius». Il imagina la doctrine du congruisme comme un moyen terme entre les opinions des Thomistes et des Molinistes. Son système n'est d'ailleurs qu'une légère modification de celui de St. Thomas.

Vasquez Gabriel (1551-1604), né à Belmonte (Nouvelle Castille), profes­sa à Alcala, puis à Rome. On l'a appelé l'Augustin de l'Espagne et la lu­mière de la théologie. Il a laissé 10 volumes in-folio.

Molina Louis (1535-1601), professa à Evora en Portugal. Il fait une grande part au libre-arbitre, au risque de diminuer l'action de la grâce. Il suscita des controverses qui durent encore. Le St. Siège n'a jamais voulu trancher le différend entre Molinistes et Thomistes 28.

Jean de Lugo (1583-1660), jésuite, cardinal, né à Madrid. Il cultiva la théologie et les sciences. Ses traités sur la justice, la pénitence, la grâce, sont merveilleux de clarté. Comme savant, il fut un des premiers à ré­pandre l'usage de la quinine, qu'on appela longtemps la poudre de Lugo.

S. Raymond de Pennafort (1175-1275) peut être associé aux écrivains sco­lastiques à cause de la collection des décrétales, qu'il écrivit à la deman­de du Pape Grégoire IX.

Après les scolastiques, les mystiques. L'Espagne en a quelques-uns de premier ordre.

Jean d'Avila (1502-1569) écrivain mystique, professeur et prédicateur, surnommé l'apôtre de l'Andalousie et le professeur par excellence. Il a été l'initiateur de la grande école mystique d'Espagne.

Louis de Grenade, dominicain, (1505-1588) 29. Son guide des pé­cheurs est entre toutes les mains.

S. Jean de la Croix, né en 1542 à Fontibère (Vieille Castille), entra chez les Carmes à Médina et fut choisi par Ste Thérèse comme directeur du couvent d'Avila en 1576. Avec les conseils de Ste Thérèse, il réforma son ordre et fonda les Carmes déchaussés, mais il eut à subir les plus cruelles avanies de la part des religieux réfractaires à la réforme. Il a décrit ses angoisses dans son livre «La nuit obscure».

Ste Thérèse est appelée en Espagne la doctoresse mystique, mais je me réserve de parler d'elle dans mes notes sur Avila.

Aux théologiens et aux mystiques on peut joindre l'apologiste Jacques Balmès (1810-1848). Il a été pour l'Espagne ce que J. de Maistre 30 et Veuillot ont été pour la France. Comme Veuillot, il a défendu journelle­ment la cause de Dieu et de l'Eglise dans son journal «Le Pensamiento de la Nacion». Comme J.de Maistre, il a été un philosophe, un apologiste et un voyant. Il a écrit la Philosophie fondamentale, le Protestantisme comparé au catholicisme et l'Art d'arriver au vrai. Il était prêtre.

Quelques mots sur la littérature profane. L'art dramatique espagnol, inauguré dans la Castille par le marquis de Villena (1384-1434) fils du roi d'Aragon Ferdinand, a pris un grand essor sous le règne de Philippe II. Ce fut l'époque la plus brillante de l'art dramatique en Espagne: Lo­pe de Vega, Calderon, Tirso, Moreto y Soles furent traduits dans toutes les langues et l'on peut dire que le théâtre espagnol était alors le premier et le plus important. Molière, Racine 31 et même Corneille se sont in­spirés des principaux chefs d'œuvre espagnols.

Lope de Vega (1562-1635), poète madrilène, extrêmement fécond, com­posa plus de 2.000 pièces de théâtre en vers de huit pieds et des poésies diverses. Beaucoup de ses pièces sont des mystères sacrés. Il devint prè­tre après son veuvage et abrégea sa vie par ses austérités. Son imagina­tion était inépuisable. Il nous a laissé une peinture exacte de la société espagnole.

Don Pedro Calderon de la Barca (1600-1681), protégé par Philippe IV, compose des tragédies, des comédies, des pièces sacrées. Il devint prêtre et chanoine de Tolède.

Guilhem de Castro (1567-1630), auteur dramatique, écrivit les Exploits de jeunesse du Cid, dont Corneille s'est inspiré.

Michel Cervantes (1547-1620), né à 32 Alcala de Hénarés; soldat à la bataille de Lepante, esclave à Alger, racheté par les Trinitaires. Il écrivit le Don Quichotte de la Manche et contribua par là à décrier la chevalerie et à préparer sa déchéance. Il est mort pauvre à Madrid qui lui a élevé en 1835 un beau monument en face la Chambre des Députés. La biblio­thèque nationale compte 800 éditions du Don Quichotte, sans compter les manuscrits.

Deux écrivains français, Lesage et Beaumarchais sont à demi espa­gnols par les sources où ils ont puisé.

Lesage (1668-1747) était breton. Il censura les moeurs espagnoles dans ses comédies et dans son roman «Gil Blas de Santillane» peinture vraie, dit-on, mais peu édifiante, des moeurs de Salamanque et de l'Espagne au XVIIIe siècle. Ce siècle a été partout une période de décomposition 33.

Beaumarchais, un parisien (1732-1799), censura également les moeurs espagnoles dans ses comédies: le Barbier de Séville, le mariage de Figaro, etc.

Parmi les contemporains, je ne citerai que Don José Zorilla et Emilio Castelar.

José Zorilla (1817-1893), poète et auteur dramatique, élève des sémi­naires des nobles, le poète national de l'Espagne et le représentant le plus illustre du romantisme dans ce pays. Il publia les Echos des monta­gnes, l'Epopée de Grenade, l'excommunié, etc.

Emilio Castelar est orateur et polémiste, écrivain de journaux et de re­vues. Il a une prose élégante et fine.

Enfin, pour rappeler ce que la péninsule a donné aux lettres, il faut encore citer le grand poète portugais 34, Louis de Camoëns (1525-1579) né à Lisbonne, soldat à Ceuta puis à Goa aux Indes; exilé à Macao en Chine pour avoir censuré le vice-roi. C'est là qu'il écrivit les Lusiades «Dans la grotte de Patané». Il y chante la gloire des Portugais (Lusi, Lusitani), les exploits et les découvertes de Vasco de Gama. Il y mêle le surnaturel chrétien et le surnaturel païen. Il a un ton vraiment épique qui rappelle le Tasse. Gracié, il revint vers Goa, fit naufrage sur les côtes de Cochinchine, se sauva à la nage en tenant son manuscrit hors de l'eau, revint ensuite à Lisbonne et y publia ses poésies, qui n'eurent pas d'abord de succès; il vécut dans la misère et mourut à l'hôpital. Lisbon­ne lui a érigé un beau monument en 1856.

Les Sciences

Après les lettres, les sciences, et parmi 35 les amis de la science, je ne citerai que les grands navigateurs, qui ont tant fait progresser la géo­graphie, l'astronomie, la navigation et les sciences connexes.

Christophe Colomb est le premier entre tous. Il n'est probablement pas espagnol de naissance, on le croit né à Quinto sur la côte de Gènes, mais il a vécu en Espagne et il a servi l'Espagne. Son histoire est connue. Il commença ses voyages au service du roi Alphonse V de Portugal. C'est alors qu'il visita l'Islande et la Guinée. Il fit la connaissance de Paul To­scanelli, astronome de Florence qui avait déjà des vues sur la forme du globe terrestre. Colomb aborda en Espagne, il fut bien accueilli par les franciscains d'Huelva. Il connut là le P. Antonio de Marcheau, savant astronome et géographe. Par l'entremise du duc de Medina-Coeli 36, il fut présenté à la cour, et, soutenu par les dominicains, il obtint d'être chargé d'une expédition d'essai. Il s'embarqua à Polaos (Palos). On sait le reste: il découvrit San Salvador, Cuba, Haïti, San Domingue et enfin le continent mexicain en 1492. Il donna ce monde nouveau à Dieu et au roi d'Espagne, on sait ses déconvenues… Dieu épura ses vertus dans les épreuves. Il sera sans doute élevé sur les autels.

Amerigo Vespucci était de Florence (1452-1512), mais il servit le Portu­gal, puis l'Espagne. Il explora la baie du Rio de Janeiro, l'Isthme du Pa­nama, etc. et il laissa son nom au nouveau continent découvert par Co­lomb.

Pizarre (1475-1541), est né à Trujillo (Estremadure). Il conquit le Pé­rou, pénétra jusqu'à Quite et fonda Lima.

Vasco de Gama (1469-1523), portugais 37, doubla le Cap des Tempè­tes, qu'il appela Cap de Bonne Espérance; il atteignit les Indes, y con­clus des traités et y fonda le protectorat portugais. Il mourut vice-roi à Cochin.

Fernand Cortez (1485-1547) né à Medellin (Estremadure) fut le conqué­rant du Mexique. Il imposa la paix à Montezuma et prit Mexico. Magellan (1470-1521), portugais, passa au service de Charles Quint, il découvrit le détroit qui porte son nom et alla par là aux Philippines. Bolivar est né en Amérique, à Caracas (1783-1830), mais il était de ra­ce basque; il étudia en Espagne. Il affranchit la Colombie, le Pérou, la Bolivie et fut le principal auteur de l'indépendance de l'Amérique. Quelle race de géants! Mais il faut reconnaître que la plupart, malgré 38 des défauts de caractère étaient soutenus par une foi pro­fonde qui décuplait leurs forces.

On ne peut comparer à cette merveilleuse conquête des mers que la pénétration de l'Afrique qui s'est accomplie depuis 30 ans par l'initiative d'autres géants comme Stanley, Brazza, Marchand et tant d'autres.

Le palais

Le vieil Alcazar fut incendié en 1734. Au lieu de le restaurer, Philippe V fit bâtir le palais actuel par l'architecte Sacchetti, de Turin. La situa­tion est belle. Du côté de l'Ouest, le palais domine la vallée du Mança­narès, un pont franchit la rivière et les jardins s'étendent au delà du tor­rent où ils forment un vaste parc. Une cour ou portique entouré d'arca­de précède le palais. On y voit les statues des quatre empereurs romains originaires d'Espagne: Trajan, Adrien, Théodose et Ho­norius 39. Le palais est riche en souvenirs et objets d'art: manuscrits de la bibliothèque, vases anciens de la pharmacie, meubles, pendules, ba­stes et statues des salons. La révolution n'a pas passé par là. Les rois d'Espagne ont la plus belle collection de tapisseries qui existe. Les plus anciennes remontent à Ferdinand et Isabelle. Charles Quint et Phi­lippe II étaient à la source des belles tapisseries en Flandre. Non seule­ment ils en achetaient, mais encore ils pillaient celles qu'ils trouvaient dans leurs conquêtes, comme Philippe II à St-Quentin. Madrid aussi en fabriquait et imitait Bruges. Elles sont partagées entre les palais de Ma­drid, du Prado et de l'Escorial. Les plus intéressantes représentent la vie de la Sainte Vierge d'après Van Eyck et la Passion d'après Van der Weyden. La chapelle royale a aussi une belle collection de reliquaires, qui ne 40 remontent pas cependant au delà de la Renaissance.

Le palais est complété par son entourage: jardins et parc à l'Ouest, ca­thédrale (en construction au Sud), théâtre royal à l'Est, écuries et com­mun au Nord. Un côté du portique est occupé par le musée des armures, l'Armeria. Cette merveilleuse collection rappelle celle de Turin, elle est riche non seulement en souvenirs historiques, mais en œuvres d'art. El­le possède l'épée de Pélage, trouvée à Covadonga, celle du Cid «la Cola­da», celles de St. Ferdinand, de Ferdinand le Catholique, du grand ca­pitaine Gonzalve de Cordoue, de Fernand Cortez. De magnifiques ar­mures de Charles Quint, de Philippe II, de Philippe IV, de François ler de France représentent l'art de la ciselure et de la damasquinure dans son plus bel épanouissement, à Milan, à Paris, à Nuremberg, à Ha­mbourg 41.

Les rois d'Espagne ont fait peindre dans l'escalier du palais un pla­fond symbolique représentant l'hommage de la monarchie espagnole à la religion et dans la chapelle le groupe des Saints d'Espagne.

J'en prends occasion pour rappeler ici les noms de ces Saints qui sont la gloire de l'Espagne. Je leur offre mes pieux hommages et j'invoque leur secours.

Les Saints

L'Espagne a eu ses docteurs et ses pontifes, ses martyrs, ses confes­seurs, ses vierges. Je les citerai rapidement, sauf omission, et avec un mot de notice.

Pour les docteurs et les pontifes, j'ai cité déjà à propos des savants: St. Damase, St. Isidore, St. Braulion, St. Ildefonse, St. Raymond de Pen­nafort, St. Jean de la Croix.

Il faut ajouter St. Léandre, évêque de Séville, mort en 601, frère aîné de St. Isidore. Il fut exilé par les Ariens. A son retour, il convertit le roi Goth Lévigilde et son fils Récarède 42.

Les martyrs

L'Espagne a eu de nombreux martyrs, soit dans la persécution de Dioclétien, soit au temps des Maures. Je citerai seulement quelques-uns des plus connus.

St. Vincent, diacre, martyrisé en 304 à Sarragosse par le gouverneur Dacien. Il fut brûlé vif comme St. Laurent. Sa gloire est presque égale à celle des illustres diacres de Jérusalem et de Rome, St. Etienne et St. Laurent.

St. Just et St. Pasteur, deux enfants l'un de 13 ans et l'autre de 7 ans, martyrisés la même année 304 à Alcala. Ils se dénoncèrent eux-mêmes et allèrent avec joie au supplice, en manifestant un courage surhumain.

Ste Eulalie, jeune vierge de 13 ans, martyrisée à Mérida en 304. Elle aussi se livra d'elle-même aux juges, elle subit des supplices atroces: on­gles de fer, torches ardentes. Elle est célébrée en Espagne, comme Cecile et Agnès à Rome 43.

Ste Léocadie, est aussi une martyre de la persécution de Dioclétien. St. Erménégilde, mort en 586, était fils du roi Lévigilde et neveu de St. Léandre. Son père qui était arien l'associa au trône, mais plus tard, en haine de la religion catholique que Herménégilde avait embrassée, il le fit mettre à mort.

Ste Casilde, St. Aurèle, Ste Natalie, et le prêtre St. Euloge sont des victimes des rois maures. Ste Casilde était fille du roi, surprise par son père au moment où elle portait du pain aux captifs chrétiens, elle obtint de Dieu que le pain fut changé en roses. Néanmoins son père la fit mettre à mort.

Les saints Aurèle et Natalie étaient deux époux qui vivaient dans la cha­steté. Ils furent martyrisés par les Maures à Cordoue en 852.

Raymond Lulle, franciscain, savant 44 et philosophe, alla prêcher la foi à Alger et à Tunis. Maltraité par les Maures à Tunis, il revint mourir à Palma, île de Majorque, sa patrie. Il est honoré comme martyr à Ma­jorque et dans l'ordre franciscain: né en 1235, il est mort en 1319.

Confesseurs et vierges

L'Espagne compte un nombre étonnant de fondateurs d'ordres im­portants.

St. Raymond de Calatrava était d'abord cistercien. Il prit part à la défen­se de la ville en 1147 et fonda ensuite le grand ordre militaire de Calatra­va. Il mourut en 1163.

Ferdinand Gomez, noble chevalier, fonda l'ordre d'Alcantara en 1176. Je ne crois pas que l'Eglise l'ait canonisé.

St. Dominique de Guzman, 1170-1221, naquit à Calarueja en Castille. Sa vie est connue. Il institua le rosaire à Toulouse en 1208 et il prêcha longtemps contre l'hérésie albigeoise. Il a opéré à 45 Rome les beaux miracles représentés au couvent de St. Sixte. Son corps repose à Bologne où il est mort.

St. Pierre Nolasque, 1189-1256, a fondé l'ordre de la Merci, aidé par St. Raymond de Pennafort. Il est né en Languedoc, mais il a vécu à la cour d'Aragon comme précepteur et fondé son ordre à Barcelona où il repose.

St. Ignace, 1491-1556; il est né au castel de Loyola, il a été élevé à la cour parmi les pages du roi catholique. Jeune chevalier, blessé à Pampe­lune, il fait des lectures pieuses sur son lit d'hôpital et se décide à se faire saint. Il séjourne à Manrèze auprès du sanctuaire de la Mère de Dieu, il va étudier à Paris en 1528, il y fait ses premiers voeux avec ses compa­gnons à Montmartre en 1534. Il va à Rome où son ordre se développe et reçoit l'approbation de Paul III en 1540.

St. Jean de Dieu, 1495-1550, né au Portugal 46; il est d'abord soldat comme St. Ignace et comme lui fait des concessions au monde. Après sa conversion, il se met au service des pauvres à Grenade en 1536 et fonde l'ordre des Frères de la charité.

St. Joseph Calasanz, 1558-1648, né à Petralta en Aragon, étudia à Va­lence; il prêcha en Castille, en Aragon, en Catalogne, il réforma les moeurs et réconcilia les factions. Il passa vingt ans à Rome, tout dévoué aux enfants, aux pauvres et aux malades. La Vierge Marie daigna lui apparaître tenant en ses bras Jésus qui bénissait ses enfants. Le Saint fonda l'ordre des Ecoles pies. Son cœur et sa langue furent retrouvés in­tacts un siècle après sa mort. Il repose à Rome.

St. Jean de la Croix peut être tenu pour un fondateur aussi; il réforma l'ordre des carmes; réformer est plus difficile que fonder. Il est né en 1542 à Fontibère 47 (Vieille Castille); il est mort en 1591. Il prit l'ha­bit des carmes à Médina. Sainte Thérèse le choisit comme Directeur du couvent d'Avila en 1576. Il fut accablé de mépris et de persécutions par les religieux ennemis de la réforme. Il décrit ses angoisses dans son livre «La nuit obscure»

St. Pierre d'Alcantara, 1499-1562, fut aussi un réformateur. Il étudia à Salamanque, il entra chez les franciscains à Pedroso dans l'Estremadu­re. Il devint le conseiller et le confident de Sainte Thérèse à Avila; elle l'appelait le Saint et disait qu'on ne demandait rien à Dieu en son nom sans être exaucé. Il réforma l'ordre franciscain en Espagne. Il refusa humblement d'être le directeur de Charles Quint. Sainte Thérèse nous dit qu'il ne dormait qu'une heure et demie chaque nuit. Sa cellule n'avait que quatre pieds et demi de longueur. Il ne mangeait 48 qu'une fois tous les trois jours, son corps ressemblait à un tronc d'arbre desséché. Sa vie fut toute miraculeuse. Il avait des extases et des rapts, il traversa des rivières à pieds secs; son bâton planté devint un fi­guier; la neige se tenait suspendue au dessus de sa tête. Il mourut au couvent d'Arenas le 19 octobre 1562.

Après ces fondateurs et réformateurs, saluons les représentants des grands ordres religieux.

St. Dominique de Silos est un abbé de l'ordre bénédictin; c'est un grand rédempteur d'esclaves.

St. Jean de St. Facond est ermite de St. Augustin, il est né à Sahagun. Il étudia à Burgos puis à Salamanque. Il exerça une grande action sociale à Salamanque: il pacifiait les factions et réprimandait les seigneurs oppres­seurs de leurs vassaux. Il mourut en 1479.

St. Thomas de Villeneuve, 1488-1555 49 , fut aussi un ermite de St. Augustin. Né à Fuentana, il fut élevé à Villanova; il étudia et professa à Alcala. Il devint conseiller de Charles Quint et archevêque de Valence. Charitable dès son enfance, il s'occupa des orphelins, des enfants trou­vés, des filles à doter; c'est le Vincent de Paul de l'Espagne.

St. Vincent Ferrier fut un Dominicain. Né à Valence en 1357, il mourut à Vannes en 1419. Il étudia à Lérida, prêcha à Barcelone. Il suivit à Avi­gnon le cardinal Pierre de Lune qui devint Pape sous le nom de Benoît XIII. Il prêcha en France, en Italie, en Flandre, en Angleterre et même à Grenade où le roi maure lui fit bon accueil. Il contribua à pacifier les villes en Italie; il exerça une influence sociale immense. Il abandonna la cause de Pierre de Lune après la décision du Concile de Constance et re­connut Martin V. 50. Appelé par Jean V, duc de Bretagne, il prêcha à Vannes; c'est là qu'il mourut.

St. Louis Bertrand était dominicain aussi (1526-1580). Il fut aussi un grand missionnaire. Il prêcha dans l'Amérique du Sud et y fit de nombreux miracles. A son retour, il fut un des conseillers de Sainte Thérèse.

St. Raymond de Pennafort fut dominicain aussi (1175-1275). Né au cha­teau de Pennafort en Catalogne, il professa à Barcelone, puis a Bologne. Il devint chapelain de Grégoire IX et par ses ordres compila les décréta­les. Il fonda avec Pierre Nolasque l'ordre de la Merci pour la rédemption des captifs. Il eut le courage d'avertir le roi d'Aragon de ses désordres et celui-ci voulait le tenir en exil à Majorque, mais le Saint traversa la mer sur son manteau pour revenir à Barcelone.

St. Antoine de Padoue est la gloire de 51 l'ordre franciscain (1195­1231). Il est né à Lisbonne. Il s'embarqua pour aller en Afrique prêcher les infidèles, mais il fut jeté par un coup de vent en Italie. Il reparut à Li­sbonne par un miracle de bilocation pour secourir son père. Il fut aussi en Italie un pacificateur et un réformateur social. Les décorations artisti­ques de son beau tombeau à Padoue rappellent ses principaux miracles.

St. Pascal Baylon (1540-1592), fut aussi un franciscain et même un sim­ple frère convers. Il est ne à Torre-Hermosa en Aragon et il est mort à Villareale. Il a tant aimé et glorifié le S. Sacrement qu'il est devenu le patron des œuvres eucharistiques. Après sa mort, il ouvrit encore les yeux pour contempler le S. Sacrement qui passait.

St. Didace ou Diego fut aussi un frère convers franciscain. Il est ne à 52 St. Nicolas en Andalousie. Il fut infirmier au couvent de l'Ara Coeli. Il mourut à Alcala en 1463. Bien qu'illettré, il parlait des mystè­res de la foi avec une grande élévation. Il eut le don des miracles et guérit plusieurs malades à Rome avec l'huile de la lampe du sanctuaire.

St. Raymond Nonnat appartint à l'ordre de la Merci. Il est né à Portel en Catalogne. Il fit ses voeux à Barcelone entre les mains de St. Pierre No­lasque. Il séjourna en Barbarie, où il racheta d'innombrables captifs et souffrit de dures persécutions. Il fut nommé cardinal et mourut à St. Ni­colas en Catalogne.

St. François Xavier (1506-1552) est connu de tous. Il naquit au château de Xavier, près Pampelune. Il était basque comme St. Ignace. Etudiant au collège Ste-Barbe à Paris, puis professeur au collège de Beauvais, il fut gagné à la vie religieuse 53 par St. Ignace. Il fit ses voeux avec lui à Montmartre en 1534. Ils allèrent ensemble à Venise puis à Rome.

Jean III, roi de Portugal, ayant demandé des missionnaires pour les Indes, le Pape lui envoya Xavier qui gagna au Christ des provinces en­tières. Il prêcha aussi au japon et mourut à l'île de Sancian en vue de la Chine. Il fut le grand promoteur des missions d'Asie, qui avaient cepen­dant commencé avant lui, et il en est le patron.

St. François de Borgia (1510-1572), est ne à Gandie au diocèse de Valen­ce. Il a vécut à la cour. La vue du cadavre exhumé de l'impératrice Isa­belle le convertit en 1539 à Grenade. Dans le monde, il fut duc de Can­die, commandeur de St. Jacques, vice-roi de Catalogne. Veuf en 1546, il se fit jésuite. 3e général de la compagnie, après Lainez, il contribua 54 beaucoup à son organisation définitive.

St. Alphonse Rodriguez, appartint aussi à la Compagnie de Jésus. Né à Ségovie en 1531, il mourut en 1617. Il fut simple frère convers et portier au collège de Majorque. Il eut le don de prophétie et des miracles et il laissa des écrits d'une sagesse admirable. Il avait été marié, commerçant et père de deux enfants.

Après les religieux, je citerai encore deux saints confesseurs.

St. Ferdinand III fut roi de Léon et de Castille. Il conduisit chaque an­née ses chevaliers à la croisade. Il fut grand fondateur d'églises et de cou­vents. Pendant qu'il commandait la bataille de Xérès, on vit l'apôtre St. Jacques planer dans les airs, monté sur un cheval blanc et revêtu d'une armure étincelante. Averti dans une vision par St. Isidore, il assiégea et prit Séville 55.

St. Isidore de Madrid fut un simple laboureur. Il vivait avec sa femme Sainte Marie de Cabeza, non loin de la ville. Un ermitage y rappelle son souvenir. Son maître craignait que ses longues prières ne nuisissent à son travail, mais il le vit un jour aidé par les anges pour labourer la terre. St. Isidore est le patron de Madrid.

L'Espagne honore aussi plusieurs vierges chrétiennes. Je parlerai de Sainte Thérèse à propos d'Avila et je ne citerai ici que Sainte Marie de So­cos une de ces vierges qui aidèrent les missionnaires de l'ordre de la Mer­ci. La chère Sainte accomplit un jour à Barcelone un beau miracle. Elle marcha sur les eaux pour aller porter du secours aux missionnaires en détresse sur la mer 56.

Quelle admirable pléiade de Saints!

L'Espagne peut être fière de ses Saints comme de ses docteurs, de ses chevaliers, de ses artistes, de ses navigateurs.

Vraiment c'est un peuple qui occupe un des plus nobles rangs dans l'histoire. Sa fierté est légitime et j'espère que la Providence lui réserve encore de glorieuses destinées.

Tolède 30 juillet

Les Espagnols sont fiers de leur ancienne capitale. Sa fondation re­monte aux temps légendaires. «Lorsque Dieu fit le soleil, dit une vieille tradition, il le plaça sur Tolède, dont Adam fut le premier roi».

Tolède fut, sous le nom de Toletum, un municipe romain pendant les premiers siècles de notre ère. Dacien y institua un tribunal qui livra les chrétiens à la persécution. En l'an 400, dix neuf évêques y tinrent le pre­mier concile de Tolède. Quand les barbares du Nord 57 envahirent l'Ibérie, c'est aux Goths qu'échut Tolède et ils en firent leur ville royale. Les conciles qui suivirent celui de 400, devinrent des assemblées gouver­nantes et comme des parlements, composés d'évêques, de magnats, de hauts fonctionnaires du palais, formant une oligarchie, qui se réunissait dans l'église Sainte-Léocadie et qui élisait les rois. St. Herménegilde était fils du 11e roi, Levigilde.

Vingt-sept rois goths occupèrent le trône de Tolède pendant 130 ans, jusqu'en 709. Un réveil des races latines appela alors au pouvoir Don Rodrigue, dont les désordres amenèrent l'invasion musulmane, parce que le comte julien de Ceuta, dont Rodrigue avait outragé la fille, appe­la contre lui ses musulmans d'Afrique.

Tarik, général musulman, qui devait donner son nom à Gibraltar (Djebel-Tarik), vainquit les chrétiens à Guadalite, il 58 marcha aussi­tôt sur Tolède et y installa un gouverneur avec une forte garnison. Tolè­de fut pendant 300 ans un avant-poste du grand empire de Cordoue. En 1012, quand la puissance de Cordoue se laissa affaiblir et diviser, le gou­verneur de Tolède dura 74 ans, jusqu'à la prise de la ville par le roi Al­phonse VI, en 1085.

Tolède devint ainsi le poste avancé des royaumes espagnols, devant les musulmans du Sud, comme elle avait été, durant 374 ans, le rempart de ceux-ci devant la chrétienté. C'est de là que partirent en 1212 les ar­mées de Castille, d'Aragon et de Navarre pour aller sous la bannière de Marie et autour du char eucharistique, porter un coup décisif à l'empire de Cordoue sur le champ de bataille de Las Navas de Tolosa 59.

Au XVe siècle, les rois catholiques, Ferdinand et Isabelle y fondèrent, pour l'accomplissement d'un voeu, le couvent franciscain de San Juan de los Reyes. Tolède au faîte de sa puissance comptait 200.000 habi­tants. Elle était devenue sous Charles Quint, la capitale de toute l'Espa­gne. Son commerce d'armes et de tissus était considérable. Sa vie com­munale était intense et pour défendre ses libertés que Charles Quint voulait amoindrir, elle s'ameuta sous la direction de Juan de Padilla.

Madrid n'était alors qu'un château de campagne, comme Versailles ou St-Germain chez nous, mais Charles Quint et Ferdinand y transpor­tèrent insensiblement la capitale, et la grande Tolède est tombée au­jourd'hui à 20.000 âmes 60.

Tolède est bien une des villes les plus intéressantes non seulement de l'Espagne, mais de l'Europe. Par son caractère archaïque et artistique, elle peut hardiment soutenir la comparaison avec Nüremberg, Rouen, Oxford, Perouse ou Sienne. Par sa situation fantastique sur un rocher entouré par un torrent, elle rappelle Constantine; et comme vieille capi­tale abandonnée au faîte de sa splendeur, elle fait songer à Venise.

Ses monuments représentent deux grandes civilisations, celle des Ara­bes et celle des Chrétiens. Les premiers lui ont donné ses murs, ses por­tes, ses mosquées et synagogues, devenues des sanctuaires chrétiens. El­le doit au second plusieurs belles églises et par dessus tout son incompa­rable cathédrale.

Avant de décrire les monuments, rappelons quelques noms des per­sonnages qui ont le plus honoré la ville 61.

Saint Eugène fut son premier évêque. Sainte Léocadie, martyrisée sous le gouvernement de Dacien, partage en Espagne la gloire de Sainte Eulalie. La cathédrale possède les corps de St. Eugène et Ste Léocadie.

Saint Hermènégilde, le jeune roi martyr vivait à Tolède en VIe siècle. Saint Ildefonse, le grand docteur, était évêque de Tolède au VIIe siè­cle.

Le cher Saint avait si bien défendu la virginité de Marie qui la Mère de Dieu lui apparut et le revêtit d'une chasuble blanche. C'est à la cathé­drale, au 2e pilier qu'eut lieu l'apparition. On vénère là une pierre blan­che sur laquelle la Vierge posa le pied. Les fidèles touchent la pierre à travers un grillage et baisent ensuite leurs doigts.

Michel Cervantes a vécu à Tolède. Il y a travaillé à son Don Quichotte. Sa maison, non loin de la cathédrale 62 a une curieuse cour à arcades. Tolède a eu deux grands cardinaux du nom de Ximénés. Le ler au treizième siècle avait été soldat, puis franciscain: il écrivit l'histoire des Goths, il prit part au concile de Lyon.

Le second, le grand cardinal Ximénés au XVIe siècle, avait été franci­scain aussi. Il fut gouverneur de la Castille sous Ferdinand et Isabelle; il conquit Oran. Plusieurs fois, la cour d'Espagne l'employa comme négo­ciateur en Europe et pacificateur à l'intérieur. Il affermit l'autorité de Charles Quint. Sa vie était austère, il fonda l'Université d'Alcala.

Nous faisions ce voyage par une chaleur très pénible. L'élévation de la température était générale en Europe, elle était torride en Espagne. Le 2 août, les journaux de Madrid disaient: la journée d'hier a été étonnamment 63 chaude (El dia de ayer fué espantosamente calido). Le thermomètre marquait au centre de la ville 42 degrés à l'ombre. Les dépêches de Séville disaient: «Chaleur horrible: 56 degrés au soleil, 48 à l'ombre; le vent chaud est asphyxiant, l'atmosphère est de feu».

Il en était à peu près de même à Tolède. La population cherchait un peu d'air sur les remparts. Quand nous arrivâmes, le soir, nous vîmes beaucoup de gens qui avaient sorti leurs matelas pour dormir sur la pla­ce du Miradera ou de la Granja.

L'arrivée à Tolède fait une grande impression. En sortant de la gare, on passe au pied de la colline qui porte les ruines du vieux castel de St. Servande, on passe le pont arabe d'Alcantara, d'où l'on a une vue saisissante sur la gorge du Tage, puis on monte en lacets 64, en passant par la promenade du Miradero pour arriver à la place de Zocodover, près de laquelle sont les hôtels.

La ville forme un entassement de maisons, d'églises et de tours bor­dant des rues étroites, comme dans les villes d'Algérie ou de Sicile. Les places ont un curieux aspect: des femmes rangées en ordre par la police communale attendent leur tour pour remplir au robinet d'une fontaine parcimonieuse leurs urnes de forme antique.

La merveille de Tolède, c'est sa cathédrale, qui peut rivaliser avec cel­le de Burgos. St. Ferdinand en a commencé la construction en 1227. C'est la métropole de l'Espagne. Elle a 113 mètres de long et 46 mètres de hauteur à la nef centrale. Ce sont à peu près les proportions de la ca­thédrale d'Amiens 65. Elle est à cinq nefs et dans le plus pur style go­thique, avec quelques variantes apportées dans les détails pendant le cours des deux siècles et demi qu'a durée sa construction. L'extérieur a une grande majesté.

Le plan est dû à l'architecte Pedro Perez qui présida pendant 50 ans à la construction. Les détails intérieurs, vitraux, sculptures, marqueteries, etc., sont dûs surtout à des artistes flamands et bourguignons, des écoles de Bruges et de Dijon.

Sept portes monumentales donnent accès à l'intérieur. Le grand por­tail à l'Ouest rappelle ceux de nos belles cathédrales par ses voussures ornées d'anges et de saints et ses piliers décorés de plusieurs étages de statues.

Une dizaine de chapelles irrégulières entourent l'église 66. L'intérieur est caractérisé par un choeur majestueux, isolé dans la nef majeure, comme dans toutes les grandes églises d'Espagne, à Burgos, à Segovie et jusque dans notre Languedoc, à Alby, à St-Bertrand de Com­minges.

Un grand nombre de vitraux du XVe et du XVIe siècle sont dûs à des artistes flamands et hollandais: Iacob Dolfin, Ioaquin d'Utrecht, Albert de Hollande, etc.

La Capilla Mayor est isolée au centre de l'abside, comme le Coro dans la nef.

Le maître autel a un immense rétable à cinq étages en bois de mélèze, sculpté par maître Copin de Hollande sur les dessins de Ph. Vigarny de Bourgogne. De chaque côté sont des tombes royales. Dans la crypte, un beau groupe de l'ensevelissement du Christ, du XVIe siècle, sculpté par Jean de Bourgogne (1514). Florence n'avait donc pas alors le monopole 67 de la belle sculpture.

La Capilla Mayor et le Coro ont des grilles très riches du XVIe siècle. Le Coro a des stalles sculptées d'une merveilleuse exécution. C'est la perle de Tolède. «L'art gothique, sur les confins de la Renaissance, dit Theophyle Gauthier, n'a rien produit de plus parfait».

La rangée inférieure est l'œuvre de maître Rodriguez (1495), elle re­présente les campagnes de Ferdinand et d'Isabelle, avec les costumes du temps. La rangée supérieure représente des figures de Saints avec une grande richesse d'ornements. C'est l'œuvre de Ph. Vigarny de Bourgo­gne à droit et du Berruguete à gauche. Des colonnettes de marbre colorié séparent les sièges, et au-dessus règne une frise de médaillons en mar­bre, représentant la généalogie du Christ. Quelques-unes des chapelles, avec la sacristie et la salle capitulaire demandent une visite 68 particu­lière.

La première est la chapelle mozarabe, construite en 1504. Le cardinal Ximénès fit ériger cette chapelle pour y perpétuer, au milieu des céré­monies modernes du rite grégorien, l'ancien rite chrétien primitif, qui s'était conservé sous la domination arabe. Le chapitre mozarabe psal­modiait pendant que nous visitions la chapelle. Une fresque d'une gran­de variété de couleurs mais d'une perspective assez primitive, peinte par Jean de Bourgogne sur l'un des panneaux de cette chapelle en 1514, re­présente la bataille d'Oran, dirigée par Ximenès en personne en 1509.

La salle capitulaire et son antichambre offrent un curieux mélange de style mauresque et de style gothique. Cette salle a aussi de belles stalles du XVIe siècle et de fresques de Jean de Bourgogne représentant la vie de la Sainte Vierge, le Crucifiement et le 69 Jugement dernier. La manière de Jean de Bourgogne rappelle les florentins primitifs. Il se rap­proche de Ghirlandajo, mais il a moins de grâce.

La chapelle de St. Ildefonse, bâtie au XIVe siècle, a de beaux tom­beaux, notamment celui du cardinal d'Albornoz.

La chapelle de Santiago, du XVe siècle a également de riches tombeaux, notamment celui du connétable de Luna, avec quatre chevaliers de St. Jac­ques aux angles et celui de sa femme, avec quatre moines franciscains. Ces tombeaux sont isolés, avec des statues couchées, comme dans l'école bour­guignone; ils ne sont pas appendus aux murs comme en Italie.

La chapelle des nouveaux rois (Reyes neuvos) a plusieurs tombeaux princiers. Sur l'un d'eux, belle statue agenouillée de Jean ter par Jean de Bourgogne.

La sacristie est du XVIIe siècle 70 elle a plusieurs salles, avec des peintures de Rubens, de Bassano, de Van Dyck, Luca Giordano. Il ne faut pas chercher dans cette école la sincérité du sentiment religieux.

Le Sagrario a deux parties. La première est une petite chapelle riche­ment décorée, construite sur l'emplacement même où, lors de la conquê­te de Tolède par les Maures, avait été enfoncé la sainte image de la Vier­ge. Cette image vénérée est toute couverte de pierreries et repose sur un trône d'argent.

Enfin la chapelle de la Descension n'est guère qu'un autel construit près d'un pilier de l'église, là où la Vierge apparut à St. Ildefonse et le revêtit d'une chasuble blanche. L'apparition est représentée en relief sur le retable de l'autel. La pierre de l'apparition est près de l'autel, sous une grille encadrée de marbre. On y lit ce verset des psaumes: Nous 71 adorerons le lieu où ses pieds se sont posés: Adorabimus in loco ubi ste­terunt pedes ejus.

Une autre église ogivale mérite une visite, c'est Santo Tomé, construi­te au XIVe siècle, avec une tour élégante du style mauresque. L'inté­rieur a une belle toile du Greco (1584), genre napolitain, représentant des funérailles épiscopales.

Mais après la cathédrale, ce que Tolède a de plus intéressant, parmi ses monuments de style chrétien, c'est l'église St Jean des rois (S. Juan de los Reyes), fondée par les Rois Catholiques en 1477, après la victoire de Toro sur les Portugais, et qui devait recevoir leurs sépultures, érigées plus tard à la chapelle royale de Grenade. L'église est bien campée sur le rocher qui domine le Tage vers le pont St-Martin. De la terrasse devant l'église, la vue s'étend au loin sur la vallée et la campagne.

Le chevet extérieur de l'église est très 72 ornementé dans le goût du XVe siècle. La façade est du gothique d'imitation, elle date de 1610. Sur le mur sont suspendues les chaînes des captifs chrétiens délivrés à Mala­ga et à Almeria et qui furent envoyées à la basilique par le roi Ferdi­nand.

L'intérieur n'a qu'une seule nef. Le style a des réminiscences maure­sques. Une large frise, tout autour de la nef, porte en grandes lettres go­thiques une longue inscription commémorative de la construction du monument. Les Arabes auraient mis là des versets du coran. Les piliers sont ornés d'arabesques.

Deux tribunes à balcons de pierre fouillés à jour et soutenus par de ri­ches encorbellements portent les chiffres entrelacés de Ferdinand et d'Isabelle. Les nervures des voûtes et les chapiteaux sont fantaisistes. Le transept est décoré par d'énormes écussons de Castille et d'Aragon avec leurs 73 emblèmes symboliques, le noeud gordien et le faisceau de flè­ches.

Le cloître est un des plus riches spécimens de l'art ogivale. Il a aussi une longue frise d'inscriptions gothiques. Il a de jolis détails de portes et de chapiteaux. Ce gothique riche et très ouvragé, si fréquent en Espa­gne, me rappelle nos jolies églises de Brou en Bourgogne et de N.-D.-de­l'Epine en Champagne.

L'ancien réfectoire du monastère renferme le musée provincial. C'est un petit musée de Cluny, avec statues couchées des XVe et XVIe siècles, margelles de puits mauresques, en terre cuite et en marbre, faïences mauresques, armes, vases et émaux; souvenirs du cardinal Ximénès et bannière de la sainte Hermendad. L'Espagne batit en gothique moderne 74 une école des Beaux-arts à coté de ces trésors de son art ancien.

L'art mauresque nous offre principalement à Tolède trois églises, an­ciennes mosquées où synagogues; le Transito, Santa Maria la Blanca et San­to Cristo de la Luz.

Le Transito est une ancienne synagogue, bâtie en 1366 par Samuel Le­vi, le fameux trésorier du roi Don Pedro. L'intérieur offre une seule nef avec une longue frise d'inscriptions et au-dessus de la frise une arcature élégante. Le plafond est en mélèze et la charpente, dit-on, en cèdre du Liban. La paroi du fond est couverte d'inscriptions judaïques en l'hon­neur de Jehovah, du roi Don Pedro et de son trésorier.

Santa Maria la Blanca est aussi une ancienne synagogue. C'est un petit 75 bijou de l'art mauresque. L'intérieur rappelle les mosquées d'Alger et de Tunis. Il est divisé en cinq nefs par 32 piliers octogones qui supportent d'élégants arcs mauresques aux ornements variés.

Il y a aussi une frise d'inscriptions et un plafond en bois de mélèze. Santo Cristo de la Luz est une petite mosquée du XIe siècle, elle rappelle les petites mosquées de Palerme; elle a une petite nef avec quatre colon­nes à chapiteaux curieux et neuf petites voûtes à voussures variées. L'abside» a des fresques chrétiennes du XVe siècle.

L'art mauresque est encore représenté à Tolède par de belles portes, entre autres l'Arco de la Sangre de Cristo et la Puerta del Sol, qui rap­pellent les portes arabes de Tunis et du Caire.

Il faut encore signaler pour ses souvenirs une petite église, hors de la 76 ville, en face de San Juan, l'église du Cristo de la Vega Raja. Il y avait là depuis le IVe siècle un ermitage de Sainte Léocadie. Le corps de la Sainte et celui de St. Ildefonse y ont reposé. On y voit encore leurs pierres tombales. La Sainte y apparut en 660 à St. Ildefonse, au roi et à une nombreuse assemblée.

L'Alcazar est un grand palazzo assez insignifiant, construit sous Charles Quint et restauré de nos jours après une incendie. On y a mis l'école mi­litaire. On rencontre beaucoup à Tolède de ces cadets de famille, jeunes et élégants, qui fournissent à l'Espagne beaucoup plus d'officiers que son armée n'en demande. L'Espagne a besoin de revenir un peu de ses moeurs féodales et chevaleresques pour se mettre à la vie pratique et au développement de ses ressources agricoles et industrielles.

Tolède a encore une manufacture d'armes 77 de l'Etat, à la campa­gne. En ville on continue à fabriquer et à vendre pour les touristes des armes et autres objets damasquinés en souvenir du vieil art de Tolède.

Nous quittions Tolède très impressionné par l'ensemble de ses monu­ments et surtout par sa belle cathédrale, mais à demi rôtis par son soleil d'Afrique. Notre hôtel était cependant bien organisé. Le bel hôtel de Ca­stille est un palazzo de genre mauresque. Le cortile, entouré de galeries sur lesquelles ouvrent les chambres, sert de salle à manger. Des fontaines jaillissantes, des fleurs et des frises balancées par un mouvement d'horlo­gerie y entretiennent une fraîcheur relative.

Ségovie

1 août. Après un jour de repos à Madrid à notre hôtel de Rome, nous partions pour Ségovie où nous arrivions le soir 78.

Ségovie ne le cède guère à Tolède. Elle aussi s'élève sur un immense rocher isolé entre deux torrents. C'est aussi une ancienne cité romaine, capitale de province au temps de la domination arabe, résidence de plu­sieurs rois chrétiens.

Elle compte 15.000 âmes. Elle est située à mille mètre d'altitude sur une élévation rocheuse qui se rattache à la chaîne du Guadarrama. Elle est entourée de murailles crénelées presque intactes avec 86 tours et des portes imposantes.

Son grand aqueduc romain, attribué à Trajan, peut rivaliser de maje­sté avec le Pont du Gard. Il traverse la vallée porté par 118 arches sur une longueur de 800 mètres. Certaines arches ont trente mètres de hau­teur. Sur une longueur de 300 mètres, elles sont distribuées en deux étages 79 avec une hardiesse et une légèreté remarquables. La per­spective de l'aqueduc, au pied de la ville et près de la gare est saisissante. Les Romains l'avaient dédié à Hercule. La statue d'Hercule placée dans une niche en haut du plus haut pilier a été remplacée au XVIe siècle par celles de Notre-Dame et de St. Sébastien.

L'Alcazar, en haut de la ville, a été construit sous Alphonse VI au XIe siècle, à l'imitation de celui de Tolède. C'est un château féodal avec une enceinte de tours à hauts pignons du milieu desquelles surgit un énorme donjon carré, le Castillo.

La cathédrale est du XVIe siècle; elle est presque entièrement gothi­que avec quelque mélange de renaissance. Elle a 105 mètres de lon­gueur. Elle ne la cède guère à celle de Tolède pour 80 l'importance de son choeur et de ses chapelles. Elle est fière aussi de ses rétables d'autel: l'un d'eux, assez finement sculpté au XVIe siècle par Juni de Valladolid représente une descente de croix d'un grand effet. La sacristie a des or­nements brodés des XIVe et XVe siècles et de belles tapisseries espagno­les et flamandes. Le beau cloître ogival a des tombes nombreuses. L'une d'elles rappelle un trait touchant, c'est la tombe de Maria Saltos. Cette femme était juive; accusée d'adultère par son mari, elle fut précipitée du haut des rochers de la citadelle; mais dans sa chute elle invoqua la Sainte Vierge et elle fut sauvée miraculeusement. Elle mourut en 1237.

La cathédrale, ce fut tout ce que je pus visiter de Ségovie; il fallait par­tir avant la chaleur du jour pour la Granja, afin de ne pas griller 81 sur le chemin. Le soleil nous faisait subir en Espagne le sup­plice de St. Vincent. Mais je n'oubliais pas que Ségovie a été le témoin des grandes vertus de St. Jean de la Croix et qu'elle possède ses précieux restes chez les Carmes.

J'invoquais le cher Saint en célébrant la messe à la cathédrale. St. Jean a été comme Sainte Thérèse un grand réparateur et une victime pour le salut de la chrétienté. Son nom lui convient admirablement; il a vécu sur la croix, tant par ses mortifications volontaires que par les épreuves intérieures qu'il a décrites dans son livre de la Nuit-obscure.

Comme Sainte Thérèse, comme toute l'école du Carmel il a été l'apô­tre de l'oraison et de la vie intérieure: Je citerai à ce propos quelques li­gnes de son livre sur le Cantique spirituel:

«Que les hommes dévorés d'activité 82 qui se figurent pouvoir re­muer le monde par leurs prédications et leurs autres œuvres extérieures, réfléchissent ici un instant; ils comprendront sans peine qu'ils seraient beaucoup plus utiles à l'Eglise, plus agréables au Seigneur, sans parler du bon exemple qu'ils donneraient autour d'eux, s'ils consacraient la moitié de leur temps à l'oraison. Ils feraient par une seule œuvre un plus grand bien, et avec beaucoup moins de peine, qu'ils n'en font par mille autres àux-quelles ils dépensent leur vie. L'oraison leur mériterait cette grâce et leur obtiendrait les forces spirituelles, dont ils ont besoin pour produire de tels fruits.

Sans elle, tout se réduit à un grand fracas; c'est le marteau qui, en tombant sur l'enclume, fait résonner tous les échos d'alentour. On fait un peu plus que rien, souvent absolument rien, ou même du mal» 83.

Nous étions logés à Ségovie à l'hotel Del Comercio, le seul du reste, avec quelques fondos espagnoles. Il est en haut, dans la vieille ville, non loin de l'Ayuntamento et de l'Alcazar. Derrière l'hôtel, à quelques pas se trouve la gorge de l'Eresma, un des deux torrents qui enserrent la ville. Sur le coteau de l'autre côté du torrent se dressent deux monastères im­posants et pittoresques, celui de Vera Cruz et celui de El Parral. Le vieux couvent del Parral a de beaux jardins qui descendent jusqu'au torrent et qui contrastent par leur riche végétation avec l'aridité de la plaine qui les entourne. Ces jardins offrent un tel charme aux Ségoviens, surtout dans les chaudes soirées d'été, qu'ils leur ont donné le nom de Paradis terre­stre: «Los Huertos del Parral, paraiso terrenal».

Ségovie a gardé les vieilles coutumes 84 du Moyen-âge. La ronde de nuit y crie encore les heures, pour attester à toute la ville qu'elle veille sur son repos. Les habitants du lieu y sont habitués sans doute et ne s'en retournent plus; pour moi, j'entendis à chaque heure ces cris qui ve­naient de loin, s'accentuaient, puis s'éloignaient et disparaissaient. Le crieur met une solennité imposante à dire son «una, de noche - dos de noche - tres de noche» etc. Ce cri des heures dans le silence de la nuit fait faire une bonne méditation dans ce pays de St. Jean de la Croix.

Beaucoup de villes d'Espagne ont la même coutume. A Pontevedra, un voeu a fait ajouter au cri de l'heure une salutation à la Vierge Marie: Ave Maria purissima. Rien n'est plus touchant et plus propre à entretenir la piété envers la Mère de Dieu 85.

A cette occasion, je citerai encore un autre acte de foi publique qui est assez général en Espagne, c'est la répression des blasphèmes et des paro­les contraires aux bonnes moeurs. Les journaux citaient récemment l'or­donnance suivante de l'Alcade de Saragosse:

«Habitants de Saragosse: Le blasphème est un des vices sociaux qui offensent le plus Dieu, avilissent le plus l'homme et font le plus de tort à la civilisation des peuples. C'est évidemment pour cette raison que les lois de presque tous les peuples l'ont réprimé avec plus ou moins de ri­gueur. Les lois pénales qui nous régissent actuellement le punissent sévè­rement et infligent aux coupables l'amende et la prison.

«J'ai assez de confiance dans votre bon sens pour espérer que vous écouterez mes conseils et que vous vous abstiendrez d'un délit si révol­tant, que je suis décidé 86 à poursuivre avec la plus grande rigueur possible. Cependant si des gens mal conseillés ne voulaient pas tenir compte de ce que je leurs dis, voici ce que je leur fais savoir:

1°. Ceux qui blasphèmeraient sur la voie publique en prononçant des formules et en exprimant des idées contre la Divinité, ou contre la Reli­gion et ses ministres, seront passibles d'une amende de une à quinze pe­setas.

2°. Encourront la même pénalité ceux qui prononceraient des paroles offensant les bonnes moeurs.

3°. En outre, le délit sera déféré aux tribunaux quand les infractions seront du genre de celles qui sont visées par le code pénal.

«Dans l'intérêt du bon renom de notre ville, qui doit être un modèle pour l'esprit religieux, et qui a l'honneur de se trouver sous la protection de la 87 Sainte Vierge del Pilar, je prie instamment tous les habitants de me prêter leur concours le plus énergique pour que je réussisse à déra­ciner un vice aussi odieux, en donnant connaissance aux autorités des manquements qui seraient commis.

«La garde municipale, le corps des veilleurs de nuit et tous ceux qui dépendent de mon autorité, sont chargés sous leur responsabilité la plus stricte de tenir la main à l'exécution la plus parfaite de ces dispositions, en dénonçant toutes les infractions qui seraient commises en la matière».

On dira que cela entrave la liberté, soit! est-ce que les lois contre les voleurs et les assassins ne l'entravent pas aussi?

Nous quittions Ségovie dans la matinée et nous nous acheminions en 88 landau vers La Granja, qui est à 12 kilomètres de distance et à 1200 mètres d'altitude au pied du pic de Pénalara.

En quittant Ségovie, on aperçoit longtemps son majestueux Alcazar, grand castel crénelé, campé sur la croupe des plateaux rocheux qui porte la ville. C'était un des plus intéressants palais mauresques de l'Espagne avant l'incendie de 1862. Il avait des mosaïques du XIe siècle, qui rappe­laient celles de Palerme et une curieuse collection de 52 statues du XVIe siècle en bois doré représentant 89 la série des anciens rois d'Oviedo, de Lèon et de Castille, depuis Pélage jusqu'à la reine Jeanne, avec celles du Cid et du comte Fernand Gonzalès. L'Alcazar a été restauré, mais il ne lui reste rien de ses richesses historiques.

La Granja

Les rois d'Espagne sont riches en villas et châteaux de campagne. Dans la région de Madrid, ils ont le Pardo, Aranjuez, la Granja et l'Escorial. je n'ai visité que les deux derniers.

La Granja est comme le St-Cloud de l'Espagne et l'Escorial est com­me son Versailles.

Le nom des palais a souvent une origine vulgaire; comme les Tuileries rappellent une fabrique de tuiles et de briques, l'Escorial, rappelle les scories de fer d'une fonderie, et la Granja une grange ou ferme de monastère 90.

Comme les Apennins d'Italie, les chaînes de montagnes espagnoles et notamment la belle chaîne du Guadarrama ont de loin au loin des val­lons arrosés où poussent des forêts touffues et luxuriantes. Les rois et les princes cherchent-là de belles chasses, les moines y trouvent des solitudes propres à la vie contemplative. Tels sont dans les Apennins les sites de Camaldoli et de Vallombrosa, tel est la Granja dans le Guadarrama sur les pentes du pic de Pénalara. Les rois de Castille y allaient chasser, les moines Hiéronymites de Ségovie y fondèrent un ermitage dédié à Saint Ildefonse.

Le roi Philippe V, au commencement du XVIIIe siècle, trouva le site à son goût. Il fit de l'ermitage une belle collégiale desservie par des cha­noines et il y ajouta un palais avec un 91 parc superbe. Les palais ap­pellent un entourage: des maisons de service, des hôtels; de là est venue la bourgade de St. Ildefonse.

C'est d'ailleurs sur les pentes de la même chaîne de Guadarrama qu'est l'Escorial, mais sur l'autre versant et plus près de Madrid. Nous arrivâmes à St. Ildefonse en traversant une partie de la forêt qui fait le charme de ce site. Nous devions passer là trois bonnes journées de repos.

Le domaine de la Granja va s'étageant dans la vallée. Le palais est adossé à la basilique. Au dessous du palais, un gracieux parterre tout fleuri, avec quelques beaux arbres, s'étend entre deux lignes de bâti­ments qui contiennent les communs du château. Au-dessus du palais, sont les grands jardins, avec leurs 92 bassins, leurs cascades et leurs beaux ombrages. Le parc a 150 hectares et la forêt s'étend bien au-delà.

Le palais et les jardins ont été dessinés par des Français, René Carlier et Etienne Boutelon. C'est dans le style Louis XV, avec un aspect de grandeur et de dignité qui accuse le savoir-faire et la richesse plus que l'art véritable. Nos XVIIe et XVIIIe siècle en Occident, comme le temps de l'empire à Rome ont un art de parvenus: on n'y sent plus la simplici­té, la naïveté, la poésie, l'inspiration des époques dites primitives, telles que le siècle du Péricles, le XIIIe siècle ogival et la première renaissance.

La foi seule peut inspirer l'art véritable et quelle foi pouvait inspirer les architectes de Versailles et de 93 la Granja, qui dédiaient leurs parcs, leurs bosquets, leurs jardins et leurs fontaines à Neptune, à Vé­nus, à Diane, à Cupidon?

Le charme de la Granja, ce sont ses eaux. On a capté, en haut de la vallée, les eaux d'un petit torrent, affluent de l'Eresma, dans un grand bassin qu'on appella, par hyperbole, la mer (la mar). De là, les eaux de­scendent et alimentent des cascades, des bassins, des fontaines, et arro­sent les parterres et les potagers.

Il n'y a pas moins de 26 fontaines monumentales et de 140 jets d'eaux. Versailles et S.-Cloud faisaient rêver tous les souverains de l'Europe. Devant la façade principale du palais descend la Grande Cascade sur­montée de la fontaine des Trois Grâces. Sur le côté du palais est le bassin 94 de Neptune. D'autres fontaines sont dédiées à Amphitrite, Apollon, les Vents, la Forêt, les Dragons, etc. Partout des statues qui ne s'élèvent pas au-dessus de la valeur de l'art industriel.

Le parc a des peupliers et des châtaigners superbes, apportés de Hol­lande et de France.

Le palais était habité par la princesse Isabelle, tante du roi. On nous le laissa visiter à l'heure de sa promenade. Les statues antiques et les ta­bleaux artistiques ont été transportés à Madrid. Il ne reste à voir que des meubles des styles Louis XV, Louis XVI et Empire: tentures de soie, pendules de tout genre, consoles, etc.

La collégiale ressemble à toutes les églises du XVIIIe siècle. Sa 95 coupole a des fresques de Maella et Bayeu. Ces peintres pei­gnaient des Saints comme ils auraient peint autre chose; ils ne pensaient pas à faire prier, ils pensaient à montrer leur science anatomique, leur talent de coloristes et la hardiesse de leurs dessins. La crypte a les tom­beaux de Philippe V et d'Elisabette Farnèse, la principesse qui, par son mariage, fit passer les Duchés de Parme et de Plaisance aux Bourbons d'Espagne.

Nous fîmes une belle excursion dans la forêt, mais les journées étaient terriblement chaudes. On ne pouvait guère sortir qu'à l'heure où se lève la brise du soir, et j'eus le regret de ne pas aller jusqu'à la chartreuse de Paular à 10 kilomètres de la Granja, où il y a, dit-on, une belle église du XVe siècle bâtie par l'architecte maure, Abd-er-Rahman.

96 L’Escorial

L'Escorial avait pour nous un intérêt particulier, parce qu'il est tout rempli du souvenir de St-Quentin. C'est après la victoire remportée par lui et le prince Philibert-Emmanuel de Savoie, que Philippe II fit con­struire ce palais-abbaye en souvenir de cette victoire.

Philippe II était pieux, c'était un mystique, il avait été formé par Charles Quint vieillé, et il avait plus ou moins profité de l'influence de Ste Thérèse, qui était immense en Espagne. A titre de roi catholique, il se regardait comme le lieutenant de l'Eglise et il intervint souvent dans les affaires de l'Europe. Son armée le suivait avec la même passion reli­gieuse.

Charles Quint avait conclu avec Henri II de France la trêve de Van­celles en 1556 avant de se retirer au monastère de San Yuste. Philippe II rompit 97 la trêve et reprit la guerre. Il prit Saint-Quentin, défendu par le duc de Montmorency et Coligny. Les Espagnols allaient là comme à la croisade, sans doute par habitude, et quand on lit leurs histoires, il semble qu'à St-Quentin ils aient sauvé la religion, pourquoi? je ne le sais pas. Henri II était bon catholique et allié du Pape Paul IV. Montmoren­cy qui défendait la place était un des champions de la cause catholique en France. Coligny n'était pas encore passé au protestantisme. Serait-ce parce que précédemment Henri II avait été l'allié des princes protestants d'Allemagne contre Charles Quint? C'est possible.

Philippe II avait donc, avant la bataille, prié et fait des promesses à Dieu. L'assaut fut livré le 10 août 1557, jour de la fête de St. Laurent. Les St-Quentinois se défendirent héroïquement 98: soldats, bourgeois et moines eux-mêmes se firent tués par esprit de patriotisme. Néanmoins le ville fut prise.

La belle défense de St-Quentin a été chantée en une belle ode latine par Santeuil. Philippe II crut devoir son succès à Saint Laurent qu'il avait invoqué. Il lui avait promis un monastère s'il triomphait. De plus, il lui devait une réparation parce que ses troupes dans l'ardeur du com­bat avaient bombardé et incendié une église dédiée à St. Laurent au fau­bourg de St. Quentin.

Philippe II fit donc bâtir le monastère de St.-Laurent près le village de l'Escorial, sur les pentes du Guadarrama, auprès d'une forêt agréable, et il ajouta au monastère un palais royal. La construction dura de 1563 à 1584. Les architectes Jean de Toledo et Jean de Herrera se plurent à donner à leur plan général 99 l'aspect d'un gril en souvenir de S. Lau­rent. L'église et son portique sont au centre. Le couvent est au midi, le palais et un collège au Nord. L'édifice est en granît, avec une grande so­briété de détails et d'ornements. Il a de la grandeur mais un aspect un peu sombre et austère. C'est bien ce qui convenait à Philippe II.

Le portique de l'église s'appelle la cour des rois: la façade de l'église a en effet sur ses hautes colonnes doriques six statues colossales des rois de judas: David, Salomon, Josaphat, Ezéchias, Josias et Manassés.

L'intérieur de l'église est imposant, la coupole s'élève à 95 mètres. Le choeur des religieux Augustins est élevé au-dessus d'une large voûte à l'entrée de l'église, là où nous mettons les grandes orgues dans nos égli­ses françaises. Il a des stalles en bois précieux, mais d'une grande simpli­cité de dessin 100. On voit au fond la stalle où Philippe II venait assi­ster aux offices.

Les voûtes des nefs ont de grandes fresques peintes par Luca Giorda­no sous le règne de Charles II. On y voit divers sujets de la vie de Notre­Seigneur et de la Sainte Vierge; puis la victoire des Israelites sur les Amalecites, le voyage des Israélites dans le désert et le triomphe de l'Eglise militante, pour figurer sans doute les victoires de l'Eglise et cel­les de la catholique Espagne sur leurs ennemis.

L'église compte 48 autels ayant pour retables des tableaux du XVIIe siècle qui ont de la grandeur et du coloris mais peu de sentiment reli­gieux. Ils sont attribués à Navarrete, Zuccaro, Tibaldi, etc.

La chapelle majeure (Capilla Mayor) contient le maître-autel et les tribunes princières. Le maître-autel à un rétable haut de 30 mètres en marbres divers avec 101 trois ordres d'architecture et des statues de Saints en bronze. C'est l'œuvre de Trezzo de Milan. Les tribunes roya­les ont des groupes de statues en bronze doré représentant la famille de Charles Quint et celle de Philippe II.

De chaque coté du grand autel sont les chapelles des reliques. Philippe II avait une pieuse passion pour les reliques. Il en demandait partout et rapportait celles des villes conquises. Notre vieux trésor de St-Quentin est là parmi les 7.500 reliques que Philippe II et ses successeurs ont accu­mulées. Le corps même de notre grand martyr St. Quentin devait y al­ler, il avait déjà été emporté à Cambrai, mais après la prise de St­-Quentin, Philippe II et ses généraux furent battus à Calais, à Dunker­que, à Thionville, à Arlon, à Bergue, à Nieuport. Là paix fut signée au Cateau Cambresis 102 en 1559, et une des clauses du traité fut la re­stitution du corps de St. Quentin.

Sous le choeur sont les tombes royales, ce qu'on appelle le Panthéon. C'est une vaste crypte d'une grande richesse. Une grande pièce octogo­ne contient les tombes des rois; une longue gallerie, partagée en plu­sieurs salles, contient celles des reines et des infants.

La salle des rois est revêtue entièrement de marbres précieux, de ja­spes et de porphyres, relevés par des ornements en bronze doré. On y compte 26 tombes de rois ou de reines mères. Les cippes en marbre noir sont étagés les uns au-dessus des autres. On y lit les noms de Charles Quint et de Elisabeth sa femme, de Philippe II et d'Anne sa femme, de Philippe III et de la reine Marguerite, de Philippe IV et de la reine Élisa­beth de Bourbon, de Charles II, Charles III, Charles IV, Ferdinand VII, etc. 103.

La galerie des infants et des reines est plus simple; les revêtements y sont en stuc. Les tombes sont rangées le long des murs et marquées par des armoires et des devises latines. Un curieux monument en forme de ruche renferme les tombes des infants.

Une salle est réservée à la famille de Montpensier, une autre aux bâ­tards.

Il y a là Don Juan, fils naturel de Charles Quint, mort à 27 ans, le vainqueur de Lépante; Don Philippe, fils naturel de Philippe IV. Ces honneurs rendus aux bâtards ne sont pas une leçon de morale pour l'Espagne. Don Juan cependant a bien racheté la tâche de son enfance.

La sacristie est digne de la basilique. Ses meubles sont en bois variés d'une grande richesse. Elle a une superbe collection d'ornements brodés des XVIe et XVIIe siècles et quelques pièces plus anciennes.

Elle conserve une précieuse relique 104, une hostie miraculeuse (La Santa Forma) donnée à Philippe II par Rodolphe II d'Autriche et prove­nant des hosties profanées et miraculeusement sauvées aux Pays-bas. La Santa Forma a son sanctuaire spécial au fond de la sacristie: le reliquaire n'est visible qu'aux grands jours, l'autel a de beaux reliefs de marbre blanc et un grand tableau de Coello qui représentent la translation et l'adoration de l'hostie de miracle.

Au couvent, on visite le cloître, le grand escalier, la salle du chapitre et la bibliothèque. Le cloître, à arcades cintrées, a de mauvaises fresques et un jardin élégant de style français avec bosquets, bassins et fontaines: rien n'y rappelle le caractère mystique et gracieux de nos cloîtres du Moyen-âge. Le grand escalier a été peint par Luca Giordano: la frise re­présente la bataille, le siège et la reddition de St-Quentin 105.

Les mêmes sujets sont mieux traités dans les salles du palais et les fre­sques y sont mieux conservées. La Salle du Chapitre a quelques belles toiles espagnoles, vénitiennes et flamandes. Les plus importantes cepen­dant ont été transportées au Musée de Madrid.

La bibliothèque est une magnifique salle voûtée de 52 mètres de long, décorée de peintures par Carducci et Tibaldi. Celui-ci a représenté à la voûte les arts libéraux. C'est de l'art facile du XVIIe siècle, auquel man­quent le soin, le fini et le sentiment naïf et religieux de la première re­naissance. Les miniatures exposées dans les vitrines sont en grande par­tie du XVIe siècle et combien elles sont inférieures aux enluminures plus anciennes de nos écoles italienne, française et flamande. C'est qu'aux XIIe, XIIIe et XIVe siècle en Espagne on ne peignait pas, on se battait pour la foi 106.

Il nous reste à voir le palais. Il y a les grands appartements et l'appar­tement privé de Philippe II. Dans les grands appartements, il y a une sé­rie de pièces garnies de tapisseries et la Salle des batailles. Les tapisseries sont espagnoles et flamandes, d'après les dessins de Rubens, Téniers, Wouwermans, Goya et Bayen.

Que de petites scènes délicates de chasse, de pêche, de jardinage etc, par Goya et Bayen! Cette école ressemble à notre école du XVIIIe siècle et rappelle Watteau, Boucher et Chardin.

La Salle des batailles est en grande partie consacrée à la gloire de Phi­lippe II. On y voit seulement deux batailles anciennes contre les Mau­res; le reste représente les campagnes de Philippe II: bataille de St­-Quentin, prise du Connétable, de Montmorency, siège et prise de la Vil­le, bataille de Gravelines, revue de l'armée 107 d'invasion du Portu­gal, l'expédition maritime aux îles Açores.

Les fresques relatives à St-Quentin sont dans le style de nos estampes du XVIe siècle. La perspective y est toute fantaisiste. Le dessin n'avait pas encore été aidé par la photographie. Ce sont des vues à vol d'oiseau, plus intéressantes pour l'archéologie que pour l'art. On y voit très bien le vieux St-Quentin avec son enceinte, ses portes, ses clochers, sa grande basilique et les moulins à vent et les vignes des coteaux voisins. On y peut aussi faire une étude des costumes militaires si variés de toutes ces troupes venues de partout de Flandre, d'Espagne, d'Allemagne et de Sa­voie.

L'Escorial avait aussi nos belles tapisseries de Flandre et d'Arras qui décoraient la basilique de St-Quentin, mais elles ont été reportées au pa­lais de Madrid 108.

Les rois d'Espagne ont la plus belle collection de tapisseries anciennes qui soit au monde. Elle compte, dit-on, 2000 pièces. Malheureusement elles restent entassées pour la plupart au palais de Madrid. On en voit seulement une partie exposée dans les galeries du palais aux jours de grandes processions: 2 février et fête-Dieu. Il y a surtout deux collections merveilleuses: l'Histoire de la Vierge, d'après Van Eyck, et la Passion de N.-S., d'après Van der Weyden. Quel beau musée de tapisseries Ma­drid pourrait organiser! Elle serait unique au monde.

L'appartement privé de Philippe II offre un grand intérêt. Il nous ré­vèle tout le caractère de ce roi. Il y a peu de pièces: la salle des ambassa­deurs et trois cabinets. Le tout est simple comme les salles les plus mode­stes d'un castel féodal: murs peints à la chaux, meubles de 109 chêne: un bureau, un reliquaire, un globe céleste, hauts fauteuils et tabourets, quelques sièges de campagne. L'alcôve a une fenêtre qui donne sur l'église. C'est là que le roi assistait à l'office quand la maladie l'empê­chait d'aller au choeur; c'est là qu'il mourut. C'est bien l'appartement d'un roi austère et soucieux, guerroyeur et mystique2).

Les Fastes de l’Espagne

Après avoir visité les capitales anciennes et modernes de l'Espagne: Tolède, Ségovie, Madrid et ses principales demeures royales, l'Escorial et la Granja, j'aime à jeter un regard d'ensemble sur l'histoire de l'Espa­gne. C'est le moment de condenser en quelques pages les fastes glorieux du royaume catholique, pour mieux comprendre les desseins de la Provi­dence et la généreuse fidélité de ce peuple chevaleresque. Prenant en sens inverse les paroles de Bonaparte en Egypte, je dirai: Du haut de ces palais je contemple quarante siècles de l'histoire d'Espagne.

Je vois venir d'abord les Ibères par le détroit de Cadix ou les colonnes d'Hercule, et les Celtes par les Pyrénées. Je vois les Pélasges et les Phé­niciens aborder aux côtes orientales par mer 110 et y fonder leurs co­lonies. Les Pélasges ont laissé la marque de leur séjour dans les restes de murs cyclopéens de Gerona et de Barcelone.

Plus tard viennent les Carthaginois. Ils soumettent presque tout le pays et y fondent une Carthage nouvelle: Carthagène. Hannibal passe et s'empare de Sagonte (Sagunto), la plus forte place des Romains. Les carthaginois sont arrêtés par les Romains sur les bords de l'Ebre en 227. Pendant la deuxième guerre punique (219-204) ils se voient arracher leur conquête. Après la prise de Numance (aujourd'hui Soria, entre Burgos et Saragosse) les Romains sont entièrement maîtres de l'Espa­gne; ils la possèdent en paix jusqu'au Ve siècle de notre ère. Je les vois élever çà et là des aqueducs, des amphithéâtres, des forums.

L'Espagne s'était vite latinisée; elle s'assimila la civilisation et les cou­tumes de ses vainqueurs; si bien que Sénèque, Martial, Lucien et Quintilien, tous nés en Espagne, étaient de vrais Romains per le caractère et le style.

Les empereurs Trajan, Hadrien et Théodose étaient espagnols aussi et ils firent leur carrière à Rome comme de vrais Romains. Trajan, offi­cier heureux, avait été tribun, préteur, et consul à Rome avant d'être adopté par Nerva. Hadrien avait reçu aussi une haute culture romaine 111.

L'évangélisation de l'Espagne semble avoir été commencée par St. Paul lui-même et par St. Jacques le Majeur. St. Paul, d'après la tradi­tion, après avoir établi son disciple Sergius Paulus évêque de Narbonne aurait prêché dans le Nord de l'Espagne. St. Jacques passe, il laisse à Sa­ragosse la dévotion à la Madone du Pilar, à Burgos, la dévotion au Santo Cristo.

La persécution de Dioclétien au IIIe siècle trouve des chrétientés flo­rissantes du Nord au Sud de l'Espagne. Le proconsul Dacien exerce froi­dement sa cruauté.

J'aime à contempler le courage surnaturel de Sainte Eulalie à Mérida, de Saint Vincent à Saragosse, des saints enfants juste et Pastor à Alcala et de tant d'autres martyrs de la foi chrétienne.

Bientôt débordent des Pyrénées les barbares, qui ont déjà dévasté la France: ce sont les Suèves, les Vandales, les Goths.

Les Wisigoths prennent le dessus. En 428, ils se trouvent maîtres de la France méridionale et de l'Espagne entière, sauf le petit royaume des Suèves au Nord-Ouest, dont ils font même la conquête en 585.

Les Grecs de Bysance ont repris pied en Espagne et occupé les côtes du midi sous le règne de Justinien, mais ils sont de nouveau évincés par les Goths en 611.

L'Espagne a donc a peu près le même sort que la Gaule 112. Sa race est comme la nôtre mêlée de sang celtique, romain et Wisigoth, mais elle a en plus le sang des Ibères qui lui donne son caractère propre.

Les rois Goths, Ataulf et ses successeurs se regardent longtemps com­me vassaux des empereurs de Bysance. Ils prennent Tolède pour capita­le, l'embellissent et y réunissent plusieurs conciles auxquels l'Espagne dut son organisation sociale.

En 703, le comte julien, gouverneur de Ceuta, dont le roi goth Rodé­ric avait outragé la fille, appelle pour se venger les musulmans d'Afri­que.

Les Arabes viennent donc à leur tour en 710. Tarik, lieutenant du Va­li d'Afrique, s'avance victorieusement. Son nom est resté à Djebel-Tarik (Gibraltar). En peu d'années les arabes refoulent les Wisigoths vers le Nord et les renferment dans les montagnes des Asturies.

Pélage, descendant de Rodéric, rallie les Goths et forme le petit royau­me des Asturies, qui prend plus tard les noms de royaume de Oviedo et royaume de Léon. Garcia Ximénès constitue de son côté le petit état de Sobrarbe, qui sera le noyau du royaume d'Aragon.

Abd-er-Rahman (728-732) avait étendu son pouvoir 113 jusqu'à Poitiers où il fut battu par Charles-Martel. Là encore je m'arrête volon­tiers et je suis heureux que la gloire d'arrêter le flot de l'Islam revienne à un paladin français.

Abd-er-Rahman II, descendant des califes Ommiades dépossédés à Damas, vient en Espagne avec ses partisans et s'empare du pouvoir. Il se montre libéral pour les chrétiens. Emir de Cordoue en 756, il apporte en Espagne la civilisation de l'Orient, fait faire de grands travaux et en particulier la merveilleuse Mosquée de Cordoue. Il développe l'instruc­tion publique et s'entoure de savants. Il lutte contre Charlemagne qui, après avoir pris Pampelune et assiégé Saragosse en 778, voit son arrière-­garde battue à Roncevaux, deuil national pour nous et thème de nos plus chrétiennes poésies.

Le Xe siècle sous Abd-er-Rahman III et Hakam est le grand siècle de la civilisation arabe. Gerbert, qui sera plus tard le pape Sylvestre vient étudier les sciences à Cordoue.

L'Espagne arabe fut d'abord une province du grand empire des califes de Damas, mais en 756 elle forme un empire à part, connu sous le nom de Califat de Cordoue, du nom de la capitale, ou califat Ommiade, du nom de la dynastie. Le Califat de Cordoue cesse d'exister en 1031, après 275 ans d'existence, et se démembra en plusieurs principautés indépendan­tes. On en compta jusqu'à 19: Cordoue, Séville 114, Jaen, Carmone, Nubla, l'Algarve, Algésiras, Murcie, Orihuela, Valence, Denia, Torto­se, Lérida, Saragosse, Huesca, Tolède, Badajoz, Lisbonne, Majorque.

Pendant ces trois siècles, le petit royaume Goth du Nord s'était accru aux dépens des Califes. Des comtes chrétiens, vassaux du roi de Léon, avaient repris la Vieille Castille; d'un autre côté Pépin et Charlemagne avaient conquis la Septimanie et tout le pays compris entre les Pyrénées et l'Ebre, dont ils avaient fait la Marche d'Espagne.

En 831, un lieutenant de Pépin, Aznar, roi d'Aquitaine, s'est rendu indépendant dans l'Ouest de la Marche d'Espagne et a fondé le royaume de Navarre, tandis qu'à l'Est se formait le comté de Barcelone, qui resta feudataire de la France jusqu'en 1258.

La maison de Navarre finit par absorber les autres maisons royales en 1037, mais elle s'était divisée en trois lignes pourvues chacune d'un royaume: 1° Castille (dite aussi Castille et Léon); 2° Aragon; 3° Navar­re. Ces trois lignes s'éteignirent successivement en 1109, 1134, 1234, mais les trois royaumes n'en subsistèrent pas moins, seulement ils passè­rent à trois dynasties françaises (dites de Bourgogne, de Barcelone et de Champagne), et l'Aragon se trouva alors aux mêmes mains que le Com­té de Barcelone; de plus, il s'était formé, de 1095 à 1139, un 4e état chré­tien, le Comté, puis le 115 royaume de Portugal, appartenant à une ligne bâtarde de Borgogne. Ces 4 états étaient sans cesse en guerre avec les Maures qui avaient succédé à la puissance des Arabes.

Des règnes de Ferdinand I, roi de Castille et de son fils Alphonse VI au XIe siècle, date le grand mouvement de la croisade chrétienne. Prin­ces et chevaliers rivalisent d'héroïsme et de foi. Ils portent l'étendard de la Croix et de la Vierge Marie; le char eucharistique les accompagne. C'est un spectacle sublime. J'aime à relire ici les belles pages de Corneil­le sur le Cid.

Ferdinand I s'empare de Coïmbre et prend de nombreuses villes aux émirs de Tolède, de Séville, de Valence.

Le Cid prend Tolède et Valence. Alphonse VI transporte sa capitale à Tolède; il s'empare de Madrid, de Calatrava et de tout le cours du Tage de Cuenca à Alcantara.

La lutte est à son paroxisme, le Pape Innocent III appelle tout l'Euro­pe chrétienne au secours de l'Espagne. Des Français, des Allemands, des Italiens viennent se joindre aux soldats de Castille, d'Aragon et de Navarre. En 1212, le coup décisif est porté et les musulmans sont écrasés à Las Navas de Tolosa près de Jaen.

Saint Ferdinand III continue la lutte (1217-1252). Il prend Séville et Cordoue et ne laisse aux Maures que Grenade et la province des Algarves 116.

C'est Ferdinand II d'Aragon et Isabelle de Castille, les Rois catholi­ques, qui, après dix ans de lutte, mettent le couronnement à la grande croisade en s'emparant de Grenade, en 1492.

La même année Christophe Colomb mettait le comble à la gloire de l'Espagne en découvrant le nouveau monde.

Il faut signaler le concours que prêtaient aux princes dans toutes ces croisades les nobles et vaillants chevaliers des Ordres militaires: Cheva­liers de St. Jacques, chevaliers de Calatrava, chevaliers d'Alcantara. Serviteurs de Dieu et de la patrie, ces chevaliers étaient à la fois des re­ligieux et des soldats. La croix brillait sur leur écusson, et ils allaient au combat avec l'ardeur et l'esprit de sacrifice que la foi inspire. L'Espagne est aussi la terre classique des Ordres rédempteurs, des Trinitaires et des Mercédaires, qui réunissaient des aumônes pour aller au péril de leur vie racheter les esclaves chrétiens.

L'Espagne se trouva un jour être à la tête du monde. Le mariage de Ferdinand et d'Isabelle avait réuni la Castille et l'Aragon. Jeanne de Ca­stille, fille d'Isabelle et son héritière, épousa Philippe le Beau, comte de Flandre, fils de Maximilien d'Autriche. Son fils, Charles-Quint se trou­va héritier de l'Espagne par sa 117 mère, des Flandres et de l'Allema­gne par son père. Colomb et d'autres glorieux navigateurs lui avaient donné l'Amérique: le soleil ne se couchait plus sur les possessions espa­gnoles.

Rassasié de cette gloire, Charles-Quint déposait la couronne et se reti­rait au monastère de Yuste. C'était en 1556.

Sous Philippe II, en 1571, la flotte espagnole commandé par Don Juan, frère naturel du roi, battait les Turcs à Lépante.

Dans ce même seizième siècle, la gloire de l'Espagne était portée à son apogée par la grande influence religieuse de Sainte Thérèse et par les succès apostoliques des premiers compagnons de St. Ignace et particuliè­rement de St. François Xavier. Au XVIIe siècle elle excellait dans les arts avec Murillo et Velasquez.

Comme je l'ai dit plus haut, de l'avènement de Charles V, petit-fils de Ferdinand, en 1516, date la réunion de toute l'Espagne en un même état: cette réunion, la possession de la Sicile, de la Sardaigne, du royau­me de Naples, de la Franche-Comté, des Pays-Bas et un peu plus tard l'acquisition du Milanais, la découverte et la conquête du Mexique, du Pérou, de la Nouvelle-Grenade, du Chili, de Buenos-Ayres enfin l'ac­quisition du Portugal en 1580, firent de l'Espagne au XVIe siècle la puissance prépondérante de l'Europe. Mais des fautes de tout genre et les guerres continuelles amenèrent bientôt sa ruine 118; elle se vit enle­ver successivement: en 1609, sept des 18 provinces des Pays-Bas; en 1640, le Portugal; en 1659, le Roussillon et l'Artois; la Franche-Comté, en 1679.

La guerre de la succession d'Espagne (1701-1714) qui plaça sur le trô­ne un petit-fils de Louis XIV, donna aux puissances jalouses l'occasion de lui enlever toutes ses possessions européennes de la péninsule.

En 1808, Napoleon, profitant des dissensions de la famille royale, pla­ça sur le trône d'Espagne son frère Joseph. Il en résulta une guerre acharnée avec la France (1808-1814), qui fut une des causes de la chute de l'empereur.

Le 22 mars 1814, les Bourbons rentrèrent en Espagne: Ferdinand VII y rétablit le pouvoir absolu (il rey netto). Une révolution qui éclata en 1820 établit un gouvernement constitutionnel, sous le nom de gouverne­ment des Cortès, mais une armée française appelée par Ferdinand et commandée par le duc d'Angoulème renversa le gouvernement des Cor­tès pour rétablir le pouvoir absolu. La campagne française se termina au Trocadero, près de Cadix.

C'est sous Ferdinand VII, en 1817, qu'éclatèrent en Amérique les ré­voltes qui ont enlevé successivement à l'Espagne toutes les 119 colo­nies qu'elle possédait sur ce vaste continent.

Ferdinand VII mourut en 1833, léguant par une Pragmatique-­Sanction son trône à sa fille Isabelle, encore enfant, sous la tutelle de la reine Christine. Celle-ci, après une longue guerre contre les Carlistes et la révolution dut abdiquer la régence qui fut confiée au général Esparte­re en 1840.

En 1843, Isabelle fut déclarée majeure; en 1846, elle épousa son cou­sin, don François d'Assise. En 1868, elle a été déclarée déchue par un pronunciamento. Des Cortès constituantes appelèrent au trône, Amé­dée, duc d'Aoste. Il abdiqua en 1873.

Les Cortès établirent la république, mais un pronunciamento rétablit Alphonse XII en 1875. Il mourut en 1886 et son fils puîné Alphonse XIII lui succéda sous la régence de sa mère.

Au commencement de ce siècle, l'Espagne avait encore un empire co­lonial grand deux fois comme l'Europe et qui comprenait la moitié du Nouveau-Monde. Mais dans ces colonies elle s'est montrée souvent dure et cupide. Elle a eu aussi le tort d'y persécuter les ordres religieux qui étaient son principal appui. Elle a perdu l'an dernier les dix millions de sujets qui lui restaient au delà des mers.

Puisse la nation honorée par l'Eglise du nom glorieux 120 de na­tion catholique, se relever avec l'aide de Dieu et remplir encore un grand rôle dans la conquête du monde à Jésus-Christ et dans l'établissement définitif du règne du Sacré-Cœur.

Avila. Ste Thérèse

C'est la patrie de Ste Thérèse et le berceau de sa réforme. J'admirai les vieux remparts arabes admirablement conservés, la cathédrale dans le beau style simple et sévère du XIIIe siècle, avec des grilles de Jean de France, ses retables de Jean de Bourgogne et de Berruguete; la grande église romane de St. Vincent, avec les tombes si précieuses du Saint et de ses quatre soeurs; mais c'étaient surtout les souvenirs de Sainte Thérèse qui m'attiraient.

J'eus le bonheur de célébrer la Sainte Messe dans la maison et dans la chambre où Thérèse de Jésus naquit, et qui fait aujourd'hui partie du sanctuaire de Sainte-Thérèse, desservi par les Carmes. J'eus aussi la joie de prier dans le monastère de l'Incarnation où elle passa la plus grande partie de sa vie religieuse et dans celui de St Joseph, qu'elle fonda le pre­mier pour sa réforme.

Maint objet, qu'on montre au pèlerin dans ces monastères, aide à fai­re revivre le souvenir de Sainte Thérèse. Le couvent des Carmes possède un doigt, et celui de Saint-Joseph une clavicule de la Sainte. On a aussi chez les Carmes une de ses sandales; à St-Joseph, une lettre écrite par el­le, un vase à son usage et des instruments de musique 121 fort rusti­ques, une flutte et un tambourin qu'elle avait donnés à ses soeurs pour célébrer le mystère de Noël en souvenir des bergers de Bethléem. Au couvent de l'Incarnation: un linge brodé par elle, un crucifix peint par St. Jean de la Croix pour l'usage de la Sainte, un autel construit avec les bois de la cellule où elle habita 27 ans, le guichet de communion où eu­rent lieu ses épousailles mystiques, une coiffe et un suaire.

Plusieurs monastères conservent des croix ou des crucifix qui ont ap­partenu à Sainte Thérèse: Les carmélites de Bologne possèdent la croix qui fut remise entre ses mains avant de la mettre au tombeau, celles de Madrid et celles de Valladolid ont une croix qui avait été donnée par Sainte Thérèse à sa famille; celles de Bruxelles ont une petite croix qu'el­le a portée de son vivant; mais le crucifix qu'elle embrassait en mourant a passé par des circonstances diverses et dont on a le détail très authenti­que, chez les clarisses de Perpignan. C'est une relique bien précieuse.

Mais la cité d'Avila est tout entière comme un reliquaire de sainte Thérèse. Elle y a vécu la plus grande partie de sa vie.

L'influence de Thérèse sur les esprits et sur le monde a été incalculable et se perpétuera jusqu'à la fin. Tout l'Eglise l'a proclamée une grande théolo­gienne. L'Espagne l'appelle la doctoresse mystique (doctora mistica).

La ville universitaire de Salamanque aime à la 122 représenter avec un bonnet de docteur sur la tête.

Pour animer mon récit d'une visite à Avila, je ne vois rien de plus à propos que de rappeler brièvement la vie apostolique de Sainte Thérèse, sa doctrine et son action sur les âmes.

Sainte Thérèse de Jésus n'a-t-elle pas exercé un véritable apostolat, par ses prières et ses austérités, par ses fondations et ses écrits, par ses fils et ses filles, les carmes et les carmélites de sa réforme!

Elle a mérité que les Pontifes romains lui élevassent, à l'entrée de la basilique St-Pierre du Vatican, une magnifique statue qui porte cette in­scription: Mater spiritualium, la mère spirituelle, la mère et la maîtresse des âmes en ce qui concerne la vie intérieure, la vie surnaturelle, reli­gieuse et contemplative. Que demandent les prêtres de tout l'univers ca­tholique dans la première oraison de sa messe? Ils demandent pour eux et les fidèles, la grâce d'être nourris du pain de sa céleste doctrine, coele­stis ejus doctrinae pabulo nutriamur.

L'ardeur de son apostolat a fait rayonner au loin la vérité divine. Le but qu'elle se proposait et qu'elle atteignit dans la réforme du carmel était vraiment apostolique, comme on le voit au premier chapitre de son livre; le Chemin de la perfection, elle déclare qu'elle pensait principale­ment à la France, alors ravagée par les hérétiques 123.

Près de Salamanque, sur une montagne élevée et isolée, s'élève une statue colossale de la Sainte Vierge qu'on appelle Notre-Dame du Puy de France, Nuestra Senora de la Pena de Francia, souvenir de nos pèlerins ou de nos croisés.

Sainte Thérèse avait l'image de N.-D. de France dans le couvent qu'elle habita à Salamanque. C'est qu'elle aimait à prier pour la France, et c'est pour la sauver qu'elle fit pratiquer tant d'austérités aux soeurs de sa réforme: «Lorsqu'on jeta les premiers fondements de ce monastère de St Joseph d'Avila, écrit-elle, mon dessin n'était pas qu'on y menât une vie si austère ni qu'il fût sans revenus… Mais ayant appris vers ce même temps les coups portés à la foi catholique en France, les ravages que ces malheureux luthériens y avaient déjà faits, et les rapides accroissements que prenait de jour en jour cette secte désastreuse, j'en eus l'âme navrée de douleur. Dès ce moment, comme si j'eusse pu ou que j'eusse été quel­que chose, je répandais des larmes aux pieds de N.-S., et je le suppliais de porter remède à un si grand mal. J'aurais donné volontiers mille vies, pour sauver une seule de ces âmes, que je voyais se perdre en si grand nombre dans ce royaume» (Chemin de la perfection, chap. 1).

Son zèle apostolique embrassait d'ailleurs l'Eglise entière. Ne dit-elle pas, au chapitre premier des Fondations, en parlant de 124 ses compa­gnes d'Avila: «Je cherchais à allumer en elles une sainte passion pour le salut des âmes et l'accroissement de l'Eglise. Cette soif du salut des âmes est l'attrait que Notre-Seigneur m'a donné. Aussi, quand je vis la vie des Saints, le récit des travaux apostoliques de ceux qui ont conquis des adora­teurs à Dieu et peuplé le ciel, excite bien plus ma dévotion, mes larmes, mon envie, que le tableau de tous les tourments endurés par les martyrs…».

Elle eut la consolation de voir ses frères et ses soeurs du Carmel se ré­pandre par le monde, s'embarquer même pour ce Congo vers lequel se portent de nouveau les missionnaires.

Nul n'a plus travaillé à répandre le feu sacré de l'oraison mentale, d'bu jaillit une lumière qui éclaire l'esprit sur la vanité des choses d'ici­bas, d'où rayonne une chaleur qui dilate le cœur jusqu'à le rendre capa­ble des plus durs sacrifices et des plus grandes générosités… Obtenez d'une âme qu'elle fasse oraison, bientôt elle sentira l'empire de la chair s'affaiblir, les nuages se dissiper, la lumière de la révélation arriver plus pure et plus vive à ses yeux.

Ste Thérèse embrassait dans son zèle la vie sociale toute entière. Elle aurait voulu que les chefs des peuples s'élevassent jusqu'à un état subli­me d'oraison. «Combien il vaudrait mieux 125 pour eux, disait-elle, de travailler à l'acquérir, que de chercher à conquérir de nouvelles pro­vinces! Le sacrifice de ma vie, ajoutait-elle, me paraîtrait bien peu de chose, au prix d'une seule de ces véritées communiquée aux hommes». «Je sens, pour dire des vérités si salutaires à ceux qui gouvernent, un zè­le qui me tue» … Volontiers, Seigneur, pourvu que je pusse vivre sans vous offenser, je me dessaisirais des faveurs dont vous m'avez comblée, pour les transporter sur la tête des rois!» (sa vie écrite par elle-même).

Les gouvernants qui ne prient pas plus Dieu qu'ils ne l'étudient, fini­ront toujours par conduire les peuples aux abîmes, parce qu'ils n'ont pour guide que la nature et non la grâce, parce qu'ils sont incapables d'instruire et d'accoutumer les sujets à se combattre, à se vaincre, à se gêner pour devenir meilleurs, pour se plier à la discipline sociale, pour admettre la différence des rangs et des fortunes, pour respecter tous les droits et pratiquer tous les devoirs. Au contraire, s'ils priaient et fai­saient oraison, on pourrait dire avec le mystique docteur: «Dès lors, je le sais, ils ne pourraient plus consentir à tant de choses qu'ils autorisent… Quel ordre et quelle justice on verrait fleurir dans leurs états! que de maux seraient évités!» (Ibid).

Mais le foyer de l'oraison mentale, rallumé par Ste Thérèse 126, n'est pas seulement une lumière qui éclaire, il est aussi un feu qui échauffe, qui fait fondre toutes les glaces de l'égoïsme, qui rend le cœur ardent à expier les iniquités de ses contemporains, à sacrifier ce qu'il est, à donner ce qu'il a.

La séraphique réformatrice fut suscitée de Dieu au sein de la nation, qui venait de découvrir le Nouveau-Monde et peu après que la conquête de ces pays immenses eut donné à l'humanité une activité sans trêve, multiplié sans fin les relations, les voyages, les affaires, excité partout les convoitises, lâché le frein aux passions. Que fut la vie des fils et des filles de l'héroïque contemplative? Une guerre incessante aux appétits, un complet assujettissement de la nature, une magnanime expiation des ex­cès commis par les Espagnols sur un autre continent. Aujourd'hui, de même, qu'est-ce que la vie d'une carmélite, si ce n'est une expiation continuelle?

N'est-ce pas du carmel de Tours que l'humble soeur Saint-Pierre, confidente du Ven. M. Dupont, a répandu ces exercices de réparation et cette dévotion à la Sainte Face, que N.-S. lui avait enseignée pour mieux expier nos fautes3)!

C'est au monastère de l'Incarnation, à la grille du choeur, au moment de la Sainte communion, que la Sainte reçut l'éclatant bienfait du Ma­riage spirituel, dont elle 127 nous a elle-même transmis les détails et expliqué les effets.

Lorsque nous ne sentons qu'en passant l'alliance de Dieu avec notre âme, quand la conscience que nous en avons est passagère, c'est l'union simple, si elle laisse l'âme maîtresse d'elle-même, et c'est l'union extati­que, si elle la jette dans un transport qui suspend l'exercice de ses sens et la liberté de ses puissances. Mais quand cette conscience devient stable ou du moins habituelle, c'est le mariage spirituel, état sublime et spécial, qui consomme l'ascension mystique et peut se définir: un sentiment sur­naturel et permanent de la présence de Dieu dans l'âme et de son union avec elle. Le mariage humain n'en est que la figure; il a moins de gran­deur et de mérite, moins d'allégresse et de fécondité. Le mariage spiri­tuel se conclut dans la grâce sanctifiante, ne voit pas ses liens se relâcher par les épreuves de la vie, ni son terme arriver par la mort: il se continue au-delà du tombeau, se consomme dans la gloire et n'obtient la plénitu­de de ses jouissances que dans le ciel.

Cet honneur fut accordé à Sainte Gertrude, à la bienheureuse Angèle de Foligno, à Sainte Catherine de Sienne, et à d'autres saintes. Un jour, dans une apparition, N.-S. dit à Ste Catherine de Sienne: «je suis résolu à célébrer solennellement la fête du mariage 128 de ton âme, et je veux t'épouser dans la foi que tu conserveras sans tâche, jusqu'à ce que tu célèbres tes noces éternelles avec moi dans les cieux». En parlant ain­si, il lui avait passé au doigt annulaire de la main droite un anneau, enri­chi de quatre pierres précieuses et d'un très beau diamant. Cet anneau fut visible pour elle seule durant sa vie; mais après sa mort, le doigt opé­ra de nombreuses guérisons, et plusieurs personnes en venant le vénérer aperçurent l'anneau miraculeux: (sa vie par le B. Raymond). L'anneau de sainte Catherine de Ricci fut de son vivant visible pour ses soeurs: (sa vie, par le R. P. Bayonne).

Sainte Thérèse fut admise aussi à l'honneur du mariage spirituel en 1572, dix années avant de quitter la terre. Le fait est attesté par l'Eglise, qui l'admire et le chante dans la préface de la messe propre au carmel. Mieux que personne la mistica doctora nous en a décrit le prélude, la célé­bration et les effets.

Le prélude, c'est la manifestation intellectuelle de l'auguste Trinité et la conscience de son habitation au centre même de l'âme: «Les trois per­sonnes de la sainte Trinité se montrent à elle, avec un rayonnement de flammes, comme une nuée très éclatante. A la faveur d'une connaissan­ce admirable qui lui est alors donnée, elle voit ces trois personnes distinc­tes et entend avec une souveraine 129 vérité qu'elles ne sont toutes trois qu'une même substance, une même puissance, une même sagesse et un seul Dieu… Là les trois adorables personnes se communiquent à l'âme, lui parlent, et lui donnent l'intelligence de ces paroles dans l'Evangile (Jean XIV): «Si quelqu'un m'aime, il gardera mes comman­dements, et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure». Château intérieur, 7e demeure).

La célébration ne se fait qu'avec la seconde personne, parce qu'il est dans la nature du mariage d'associer deux êtres semblables, et que le Verbe, intelligence et parole du Père est l'époux le mieux assorti à la créature, intelligente et parlante, et parce qu'il est uni à l'humanité. Pour se distinguer de l'union commune qui se fait par la grâce habituel­le, le mariage spirituel suppose toujours une manifestation spéciale du Verbe incarné, qui vient déclarer à l'âme qu'il la prend pour épouse et qu'il est son époux. Voici comment Sainte Thérèse décrit cette faveur: «Se montrant à moi dans le plus intime de mon âme par vision imagi­naire, comme il l'avait souvent fait, Notre-Seigneur me donna sa main droite et me dit: Regarde ce clou, c'est la marque et le gage que dès ce jour tu seras mon épouse; jusqu'à présent tu ne l'avais point mérité; dé­sormais tu auras soin de mon honneur, ne voyant pas seulement en moi ton créateur, ton roi et ton Dieu, mais encore te regardant toi-même comme ma véritable épouse; dès ce moment mon 130 honneur est le tien, et ton honneur est le mien».

Et quels sont les effets de ce mariage spirituel? Ils sont nombreux et ma­gnifiques.

C'est d'abord la stabilité une sorte d'indissolubilité. «Malgré sa maje­sté infinie, Dieu daigne s'unir de telle sorte à une faible créature, qu'à l'exemple de ceux que le sacrement de mariage unit d'un lien indissolu­ble, il ne veut plus se séparer d'elle. Les simples fiançailles ne jouissent pas de ce privilège; l'union qu'elles forment entre l'âme et Dieu n'est point permanente».

Vient ensuite l'intimité: «L'union des fiançailles spirituelles peut se comparer à celle de deux flambeaux, tellement rapprochés qu'ils ne don­nent qu'une seule lumière, mais qui peuvent être séparés l'un de l'autre…

L'union du mariage spirituel est plus intime: C'est comme l'eau qui tombant du ciel dans une rivière ou une fontaine, s'y confond tellement, qu'on ne peut plus séparer une eau de l'autre».

Quel est le troisième effet? Une espèce d'impeccabilité ou de confir­mation dans la grâce. «Ne pensez pas que malgré ses grands désirs et cette résolution si ferme de ne commettre pour rien au monde une im­perfection, il n'arrive point à ces âmes d'en commettre plusieurs et mê­me des péchés; j'entends des péchés véniels, mais non commis 131 de propos délibéré, parce que le Seigneur leur donne sans doute un secours très spécial pour s'en préserver. Quant aux mortels, commis avec vue, elles en sont exemptes». On croit même que le mariage spirituel pro­duit, non seulement la certitude de l'état de grâce, mais encore l'assu­rance de la prédestination à la gloire.

Quel est le quatrième effet? Une paix au-dessus de tout sentiment, un calme et un silence intérieur que cette assurance entretien et augmente. «Il n'y a presque jamais de sécheresse; l'âme y joint presque toujours du calme le plus pur… Là, N.-S. enrichit l'âme de ses dons et de ses lumières, au milieu d'une paix si profonde et d'un si grand silence, que cela me rappelle la construction du temple de Salomon, où l'on ne devait en­tendre aucun bruit».

Enfin le cinquième effet est une parfaite communauté de biens, qui complète le don du cœur et en développe les conséquences. Ecoutons en­core la Sainte: «Pendant que j'étais à la fondation du monastère de Sevil­le (en 1575), N.-S. me dit: Tu sais le mariage spirituel qui existe entre toi et moi; par ce lien, ce que je possède est à toi, et ainsi je te donne toutes les douleurs et tous les travaux que j'ai endurés. En vertu de ce don, tu peux demander à mon Père, comme si tu demandais ton bien propre».

N.-S. avait dit de même à Sainte Gertrude: «De même qu'un 132 fidèle serviteur est toujours à la volonté de son maître, ainsi mon Cœur sera désormais toujours à ta disposition, pour réparer à toute heure tou­tes tes négligences».

C'est à Alba qu'est morte la chère Sainte. Son enterrement a moins ressemblé à une pompe funèbre qu'à une fête triomphale. Il a excité plus de joie sainte que de lugubre tristesse. Son corps, qui fut le vêtement de son âme, exhalait un merveilleux parfum et embaumait tous ceux qui l'approchaient. On criait tout autour: «Venez sentir de la Sainte! C'est chose du ciel! Jamais les orangers et les jasmins ne sentirent aussi bon!». C'étaient des transports d'admiration, des cris de joie; chacun voulait baiser les vêtements, les pieds et les mains de la célèbre fondatrice.

La messe fut chantée avec une solennité extraordinaire. Les plus no­bles personnages étaient accourus pour y assister: la duchesse d'Alba, le duc de Huescar, l'évêque de Salamanque, une foule de gentilshommes et de chevaliers. Tous contemplaient le visage de la vierge séraphique. Les rides de la vieillesse avaient disparu.

Après l'office, pour satisfaire la pieuse avidité des assistants, qui vou­laient tous emporter quelque relique de la vénérable défunte, on coupa en morceaux et on distribua son voile, ses manches, ses coiffes, sa corde. Ces petits fragments continuaient 133 d'exhaler un parfum délicieux, et ils opérèrent un grand nombre de guérisons miraculeuses.

Dans notre dix-neuvième siècle, le cœur de Sainte Thérèse, toujours conservé dans un état miraculeux à Alba, a été l'objet d'un phénomène étrange. Il a donné naissance à des épines, dans lesquelles les pieux péle­rins veulent voir un symbole des tristesse qui affligent le monde chrétien et particulièrement l'Espagne de notre temps.

A cette occasion parlons un peu du cœur moral de la chère Sainte. Plusieurs écrivains et orateurs pieux ont fait remarquer la ressemblan­ce du cœur de Sainte Thérèse avec celui du grand apôtre S. Paul et mê­me avec celui du Sauveur.

On peut dire aussi du cœur de Thérèse dans une certaine mesure: «Voilà ce cœur qui a tant aimé les hommes». Elle a tant prié et tant souffert pour le salut des âmes!

L'amour seul explique le cœur de Thérèse, avec les pages qu'il a dic­tées, avec les œuvres qu'il a inspirées, avec la confiance et la vénération dont il est l'objet. Il s'est mis partout à l'unisson du plus aimant et du plus aimable des cœurs.

Il le représente au jardin des Olives, dans l'agonie de tristesse mortel­le et de prière prolongée. L'héroïque vierge d'Avila n'était pas encore religieuse, que déjà tous les soirs, avant de s'endormir 134, elle pensait au Cœur agonisant de Jésus. «Je méditais, nous dit-elle, avec une sorte de prédilection sa prière au jardin des Olives. Là je me plaisais à lui te­nir compagnie. Je considérais la tristesse de cette agonie et la sueur de sang que le brisement de la douleur faisait ruisseler. Si ma main compa­tissante n'eut pas rencontré d'obstacle, j'aurais essuyé cette sueur divi­ne…» Que fut ensuite sa vie? celle du Sauveur à Gethsémani, une lon­gue prière et une vive souffrance, dans une cellule aussi étroite que la grotte. Elle eut des heures, des jours, des mois, des années de sécheresse et de dégoût, de crainte et de tristesse, elle dut cent fois renoncer à sa vo­lonté propre et boire le calice d'amertume; et cela n'était point pour ses fautes, quoiqu'elle les pleurât aussi, mais pour expier les iniquités d'au­trui et pour en faire réparation à la Majesté divine.

Considérez le Cœur de Jésus, tel qu'il s'est manifesté à la B. Marguerite-Marie: il porte une large plaie, il est entouré d'une couron­ne d'épines et surmonté d'une croix.

Ces détails rendent plus saisissante la ressemblance du cœur de Thé­rèse avec lui. Tous deux ont des épines, tous deux ont une cicatrice; l'une porte une croix à son sommet, l'autre montre une petite croix faite par une incision au-dessus de 135 sa blessure; le premier jette visible­ment des flammes, le second est célèbre par ses ardeurs séraphiques.

Le Cœur de Jésus fut blessé par un coup de lance après son trépas; le cœur de Thérèse par un dard embrasé durant sa vie.

Du Cœur entrouvert du Nouvel Adam endormi sur la croix, sortit l'Eglise, mère de tous les vivants; du cœur transverberé de la sainte épouse du Sauveur, est sorti le nouveau Carmel, le carmel réformé, une nombreuse famille de fils et de filles qui donnent des enfants à l'Eglise par leurs austérités, par leurs prières, par leur apostolat.

Comme le Cœur de Jésus, le cœur de Thérèse a sa fête liturgique. On a fêté la transverbération du cœur de sainte Thérèse de l'année 1726, avec l'approbation du Pape Benoît XIII. Le P. de Gallifet4) en tirait mê­me un argument pour obtenir que le Saint-Siège autorisât la fête du S.-Cœur. «L'image du cœur de Ste Thérèse, qu'on représente avec la plaie qu'il reçut du trait enflammé dont un séraphin le perça, disait le P. de Gallifet, est honorée par les personnes pieuses en Espagne et à Rome… L'image du Cœur d'un Dieu Redempteur aurait-elle moins de force pour toucher nos cœurs, que l'image du cœur d'un saint ou d'une sainte)» (Excellence de la dévotion au S. Cœur, liv. III, C. VII).

On a aussi comparé le cœur de Ste Thérèse à celui de l'apôtre 136 St. Paul. St. Chrysostome dans un de ses discours formule comme une ode au cœur de St. Paul: «Je voudrais, dit-il, voir la poussière de ce cœur apostolique… Si quelqu'un dit que le cœur de l'apôtre a été le cœur de l'univers, la source d'innombrables biens et le principe de notre vie, il ne se tromperait pas…». Le cœur de l'héroïque réformatrice n'était-il pas le confluent de toutes les peines, de toutes les afflictions, de toutes les douleurs de l'Eglise? N'était-il pas autrefois, n'est-il pas enco­re maintenant un foyer d'où rayonnent la lumière et la chaleur, la foi et la charité, sur les séculiers et les religieux, sur les fidèles et les prêtres, sur les pêcheurs et les justes, par les écrits qu'il a inspirés et par les œuvres de la double famille du Carmel?

«Le cœur de Paul était si large! dit St. Chrysostome: Ades latum cor il­lud erat». Le cœur de Thérèse était si vaste aussi qu'elle pressait dans les bras de sa charité les villes, les peuples, les nations, tout l'univers.

«Le cœur de Paul brûlait pour tous ceux qui étaient en péril: quod ar­deat erga singulos pereuntes». Le cœur de Thérèse était brûlant de zèle pour tous ceux qui périssaient. «Hélas! écrivait-elle, je sens mon cœur se fen­dre à la vue de tant d'âmes qui se perdent… O mes filles en Jésus-Christ, joignez-vous à moi pour demander au divin Maître 137 par les plus ardentes supplications, qu'il ne s'en perde pas davantage».

«Cor hostia factum: le cœur de Paul endurait toutes les douleurs pour donner des âmes à Dieu». Le cœur de Thérèse aussi était bien un cœur victime, un cœur hostie, qui s'offrait en sacrifice pour l'expiation des péchés du monde. C'est pour cela que Dieu se plait à le glorifier.

«Cor coelis sublimius: le cœur de Paul est plus élevé que les cieux par sa contemplation». Le cœur de Thérèse aussi était un cœur de séraphin. «Cor itaque Christi erat cor Pauli: Le cœur de Paul était le cœur du Christ, puisque Paul pouvait dire: je ne vis plus, c'est Jésus qui vit en moi». Mais Jésus vivait aussi dans le cœur de Thérèse par une union sublime, que Thérèse nous a esquissée elle-même.

Enfin pour compléter mes méditations sur sainte Thérèse à propos du pèlerinage d'Avila, je crois utile d'analyser un peu sa doctrine mystique, d'après ses propres écrits.

Le docteur mystique a fait école, tout le monde le sait; mais le vulgaire se trompe, en croyant que son école se distingue par l'abondance des ré­vélations et par la singularité des phénomènes mystiques. S'il en était ainsi, aucun de nous ne pourrait légitimement s'efforcer, ni même dési­rer d'en devenir le disciple. Non, ce qui la caractérise est plus simple, ce sont deux choses auxquelles il est méritoire d'aspirer, qui 138 doivent être l'objet de nos efforts: je veux dire l'application à l'oration mentale et le soin de conformer notre volonté à celle de Dieu. Ces deux choses se tiennent par un lien étroit, influent l'une sur l'autre. La mistica doctora af­firme nettement cette dépendance et cette réciprocité.

D'une part, en parlant du Château intérieur, où l'âme reçoit les plus hautes faveurs, elle dit: «il n'y a point d'autre porte que l'oraison pour entrer dans ce château». Et que faut-il faire tout d'abord dans l'oraison? Elle répond: «N'oubliez jamais cette importante vérité: ce à quoi doivent uniquement prétendre ceux qui commencent à s'adonner à l'oraison, c'est de travailler de toutes leurs forces, avec courage et par tous les moyens possibles, à con­former leur volonté à la volonté de Dieu. Soyez bien assurés qu'en celà con­siste la plus sublime perfection, à laquelle on puisse s'élever dans le chemin spirituel. Plus on s'unit à Dieu par cette conformité entière de volonté, plus on reçoit de lui, et plus on avance dans les voies de la perfection. N'allez pas croire que notre avancement dépende de quelque autre moyen inconnu et extraordinaire; non: tout notre bien consiste dans la parfaite conformité de notre volonté avec la volonté de Dieu».

N'est-ce pas pour que ce but soit atteint que la sainte a écrit cet autre traité qui a pour titre: Le chemin de la perfection? Elle 139 l'avoue en ces termes: «Tous mes avis dans ce livre ne tendent qu'à établir ce principe: que nous devons nous abandonner entièrement à notre Créateur, n'avoir d'autre volonté que la sienne et nous détacher des créatures.

Cette doctrine est le fond de tous les écrits spirituels de sainte Thérèse, de sa Vie écrite par elle-même, de ses Lettres, du Château intérieur et du Chemin de la perfection.

Cette caractéristique de l'école thérésienne doit d'autant plus exciter notre émulation, qu'elle renverse plus efficacement les deux principaux obstacles, qui se dressent d'ordinaire devant les hommes de bonne vo­lonté, pour les empêcher d'aller en avant dans le progrès spirituel, la pa­resse de l'esprit (acedia) et la crainte des épreuves, que l'Imitation appel­le Horror difficultatis.

La paresse de l'esprit fait omettre les exercices spirituels, principale­ment ceux qui requièrent une plus forte application des facultés de l'âme; elle fait du moins qu'on y est triste et somnolent; qu'on s'y laisse aller au dégoût et à l'ennui. On se montre avide de distractions, enclin à la curiosité. On recherche les lectures frivoles et inutiles, qui produisent de plus en plus la dissipation de l'esprit, l'abaissement de la vie intérieu­re, l'éloignement de la prière et l'affaissement des caractères.

L'oraison mentale est plus opposée à la paresse de l'esprit que tout au­tre travail intellectuel, elle exige plus de recueillement, plus 140 d'at­tention, plus de suite et de fixité.

Sainte Thérèse, loin de favoriser la paresse ou le quiétisme, préconise sans cesse le travail dans l'oraison; elle demande le concours de l'âme, en chaque demeure du Château. Elle raconte elle-même ses efforts et ses luttes. Elle eut souvent comme nous à tirer péniblement l'eau du puits pour arroser le jardin de son âme.

L'oraison ne nuit pas à la vie active. St. Paul était homme d'oraison. Sainte Thérèse trouva le temps pour écrire des volumes et des milliers de lettres et pour établir et diriger ses monastères.

Faire oraison, ce n'est pas seulement choisir et nous assurer Dieu mê­me pour aide et pour compagnon dans nos études et nos œuvres; c'est encore prendre un bain de sérieux, donner du lest au vaisseau de notre âme, mettre du feu dans notre cœur, du discernement dans notre esprit, de la force dans notre volonté, pour mieux pratiquer le bien, pour mieux écarter le mal, en particulier pour nous garantir de ces choses et de ces personnes, de ces lectures frivoles et de ces conversations oiseuses, de ces importuns et de ces ennuyeux qu'on appelle des voleurs de temps. En fa­veur de l'homme d'oraison, les heures se multiplient ou s'allongent: il fait en trois heures ce qu'un autre ne ferait pas en trois jours 141.

La crainte des épreuves, l'horreur de la difficulté, autant ou plus que la paresse d'esprit, diminue le nombre et ralentit la marche des ames qui prennent le chemin du ciel. Combien voudraient y parvenir sans passer par Gethsémani ou l'agonie morale, sans passer par Jérusalem ou les hu­miliations, sans passer par le calvaire ou les souffrances physiques! Il leur en coûte trop d'être crucifiées avec Jésus-Christ, ou seulement de se tenir debout auprès de sa croix avec Marie; elles préfèrent rester en bas, dans la vallée où se presse le vulgaire qui se met à l'aise, qui vit sans gêne avec Dieu plus même qu'avec les hommes, qui est ennemi du sacrifice et ne veut aller au dévouement que par la route du plaisir. Elles ne savent même pas comprendre qu'il y a des croix d'état, comme des grâces d'état et des devoirs d'état, que les croix qui nous attendent dans nos fonctions propres, dans nos emplois ou nos offices, ont quelque chose de plus sanctifiant que les autres, et doivent être préférées à celles qu'on s'imposerait à soi-même.

Le monde oppose ses maximes aux maximes des Saints, la soif des jouissances à la mortification de la chair, le mépris de l'autorité à l'obéis­sance salutaire: de là cette anémie morale, ces vertus rachitiques, cette faiblesse de caractère, qui sont les lamentables indices de la décadence des peuples et de la chute des âmes. Cet esprit du monde s'insinue peu à peu dans le sanctuaire et dans les plus religieux asiles.

Il y 142 favorise le relâchement.

Sainte Thérèse se montra intrépide dans l'action, si bien qu'on est d'accord à lui reconnaître un caractère viril. C'est qu'elle s'aidait de ces deux moyens: l'oraison et la conformité à la volonté divine.

L'homme n'est pas fort par lui-même contre les tentations et les ad­versités. La force vient de l'union avec son Dieu. C'est là seulement qu'il peut puiser une virilité toujours égale, la modération dans la force et l'intrépidité calme qui fait les âmes victorieuses. C'est là que nous conduisent les exemples et les leçons de Ste Thérèse.

Analysons brièvement le livre du Château intérieur.

Ce château, ce Castillo interior, c'est l'âme dans laquelle Dieu habite de diverses manières.

Dieu habite en nous par la grâce, comme l'expliquent les théologiens: «La grâce sanctifiante, dit le cardinal Mazzella5), constituant une amitié très parfaite entre Dieu et les hommes, demande une intime et person­nelle présence de Dieu dans l'âme sanctifiée, c'est pourquoi un don in­créé est communiqué à cette âme, l'Esprit Saint lui-même, qui lui est uni comme à un ami, non seulement par la conformité des affections, mais encore par une présence inséparable. Cette habitation dans l'âme est commune aux trois personnes divines; mais par appropriation on l'attribue au 143 Saint-Esprit, qui est amour, don et sainteté. C'est son union avec l'âme qui s'appelle son habitation ou sa mission invisi­ble.

S. Thomas dit que Dieu est ainsi en nous comme un objet connu et ai­mé. D'autres théologiens ajoutent qu'il y opère des effets surnaturels. St. Paul rappelle souvent cette habitation de l'Esprit-Saint en nous.

Cette présence de l'Esprit-Saint en nous est accrue et fortifiée par la sainte communion. L'humanité de N.-S. n'est présente en nous que quelques minutes, mais l'Esprit-Saint demeure plus intimement présent par suite de la sainte communion. C'est ce qu'exprime N.-S. quand il dit: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui».

Les saints ont des grâces spéciales de présence divine, grâces qui vont jusqu'aux épousailles mystiques et à l'échange des cœurs.

Sainte Thérèse parle souvent de son union avec N.-S. Pas plus que St. Paul, son modèle, elle ne parle explicitement du S.-Cœur: c'est parce que le germe de cette dévotion, déposé dès l'origine des temps évangéli­ques dans les âmes par la grâce, n'avait pas encore étalé au grand jour la fleur que nous voyons s'épanouir en notre siècle pour consoler l'Eglise et embaumer les âmes. Mais l'apôtre et la carmélite nous en parlent impli­citement, car ils exaltent sans cesse le sacrifice, l'abnégation, le dévoue­ment, tout cet amour effectif et généreux, toute 144 cette charité héroïque dont le Cœur de Jésus est le symbole et le foyer.

Sainte Thérèse décrit sous le nom des sept demeures du Château inté­rieur tous les degrés de la vie d'oraison.

Je ne rappellerai ici que les quatre premiers degrés. Ceux qui viennent ensuite appartiennent à la théologie mystique proprement dite.

Au vestibule de ce Château, que voyons-nous? l'application de l'esprit ou le recueillement exigé pour rentrer en soi et pénétrer dans le Château intérieur: «La porte par où l'on entre dans ce Château, dit Sainte Thé­rèse, est l'oraison ou la considération. Je ne distingue pas ici, dit-elle, l'oraison vocale de l'oraison mentale, car l'une et l'autre pour mériter ce nom, doivent être accompagnées de considération».

Dans la première demeure, que demande-t-elle? Que l'âme apprenne à se connaître et à connaître Dieu, pour s'humilier sans se décourager. «L'humilité travaille toujours comme l'abeille, qui fait son miel dans la ruche. Or, considérez l'abeille: elle quitte la ruche et va de fleur en fleur chercher son butin… Quel âme aussi de temps en temps quitte le fonds de sa propre misère et prenne son vol pour considérer la grandeur et la majesté de son Dieu… 145.

Lorsque nous demeurons enfoncés dans la considération de notre misè­re, au lieu de couler pur et limpide, le fleuve de nos œuvres entraîne dans son cours la fange des craintes, de la pusillanimité, de la lâcheté et de mille pensées qui troublent… C'est pourquoi je dis que si nous vou­lons acquérir une véritable humilité, il faut jeter et arrêter nos regards sur Jésus-Christ, le souverain bien de nos âmes, et sur ses Saints. Cette vue ennoblira notre entendement et la connaissance de nous-mêmes ces­sera de nous décourager et de nous abattre. «Il faut donc dans la pre­mière demeure nous purifier de nos péchés par la contrition et commen­cer à porter notre confiance et notre amour vers N.-S.

Que faut-il pour entrer dans la seconde demeure? «Il faut que cha­cun, selon son état, travaille à s'affranchir des soins et des occupations non nécessaires». Les âmes y souffrent plus que dans la première mais elles y jouissent du bonheur d'entendre Dieu les appeler par un évène­ment, par une épreuve, par la voix d'un Saint, par un sermon, par une lecture. «Elles sont encore, il est vrai, au milieu des affaires, des plaisirs, des vanités du monde; elles vont tombant, se relevant de leurs péchés, mais la miséricorde et la bonté de l'adorable Maître sont si grandes, qu'il continue de les appeler, et cela d'une manière si douce, qu'elles se désolent de ne pouvoir exécuter à l'heure même ce qu'il leur commande». Quelle direction la Sainte leur donne-t-elle? 146. «Ce à quoi doivent uniquement prétendre ceux qui commencent à s'adonner à l'oraison, c'est de travailler de toutes leurs forces, avec courage et par tous les moyens possibles, à conformer leur volonté à la volonté de Dieu».

Que dit-elle des âmes de la troisième demeure! «Comme celles des deux premières, elles s'occupent à agir par l'entendement et à méditer. Cependant elles feraient très bien d'employer aussi quelque temps à pro­duire et à offrir à Dieu divers actes intérieurs de louanges, d'admiration de sa bonté, de joie de ce qu'il est Dieu, de désir de le voir honoré et glo­rifié comme il le mérite… Ce sont là des personnes qui méditent depuis des années sur ce que N.-S. a souffert, sur les avantages qui se rencon­trent dans la souffrance et qui même désirent de souffrir». C'est le com­mencement de la vie d'amour envers N.-S. La Sainte recommande à ces âmes la pratique de la vie d'obéissance.

Que demande notre Sainte aux âmes de la quatrième demeure? «Laissez aller, dit-elle, cette imagination, vrai traquet de moulin, et sans vous inquiéter de son bruit incommode, occupez-vous de faire votre farine, c'est à dire de poursuivre votre méditation à l'aide de la volonté et de l'entendement… Puisque Dieu nous a donné les puissances de l'âme pour agir, et que le 147 travail de chacune d'elles a sa récom­pense, au lieu de chercher à les captiver par une sorte d'enchantement (de l'imagination), laissons-les s'acquitter librement de leur office ordi­naire, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de leur en confier un plus élevé… L'âme dans cette demeure agit avec beaucoup plus de liberté qu'aupara­vant. Elle sent diminuer l'appréhension des peines de l'enfer, parce qu'elle perd la crainte servile; mais elle conserve une crainte plus vive d'offenser Dieu et sent en elle une grande confiance de le posséder un jour. Libre de l'appréhension qu'elle avait de perdre la santé par les pé­nitences, elle croit qu'il n'y en a point qu'elle ne puisse pratiquer avec le secours de Dieu et désire ainsi en faire encore de plus grandes. Elle re­doute beaucoup moins les croix et les peines, parce que sa foi est plus vi­ve, et elle ne doute point que si elle les embrasse pour plaire à Dieu, il ne lui fasse la grâce de les souffrir avec patience; quelquefois même elle les désire, parce que nul bonheur ne lui parait si grand que de faire quelque chose pour l'amour de lui. «L'âme dans cette demeure reçoit des con­tentements surnaturels, mais elle ne doit pas agir en vue de les obtenir.

Dans les demeures supérieures, la Sainte nous montre les âmes pas­sant par des souffrances mystiques pour arriver aux grâces extra­ordinaires.

En tout cela la chère Sainte parle d'expérience, elle raconte 148 ce qu'elle a éprouvé elle-même.

Etudier tout cela, c'est encore étudier l'Espagne qui a reçu la grâce de ces lumières divines.

Burgos

Burgos est bâtie sur les bords de l'Arlanzon; dominée par les ruines de son Castillo et par la masse imposante et découpée de sa cathédrale, elle est entourée de quelques bouquets d'arbres au milieu de la monotonie d'un grand plateau semé de blé.

Le joyau de Burgos, c'est sa cathédrale, la première de l'Espagne par sa magnificence et une des premières parmi celles du monde chrétien. C'est que Burgos était la capitale de l'Espagne aux âges chrétiens, au temps où toute l'Espagne chrétienne se réduisait à la Castille; et quand Tolède devint la capitale de la Nouvelle-Castille, Burgos resta comme seconde capitale. Les rois y séjournaient encore souvent, jusqu'au temps de Charles-Quint.

La belle cathédrale a été bien longtemps à se bâtir. Commencée en 1221, sous le roi St. Ferdinand, elle n'a été achevée qu'au XVIe siècle. Elle n'est pas assez dégagée, elle est enserrée au Sud par le cloître et l'ar­chevêché.

Son aspect extérieur y perd beaucoup. Vue d'un peu loin, elle s'élève de toute sa splendeur, dominant la ville et le pays. Comme la cathédrale de Milan, elle a une forêt de clochetons, de pyramides et de dentelures, mais elle surpasse Milan 149 par l'harmonie de ses lignes extérieures, par la hardiesse et la grâce de son dôme, par la variété de ses ornements. Son plan général est dans le style noble et harmonieux du XIIIe siècle, sa décoration a toute l'exubérance du gothique fleuri, dont la France a de si jolis specimens à Brou et à Notre-Dame de l'Epine et l'Angleterre à l'ab­baye de Melrose.

La façade principale a reçu du soleil, comme celle de Milan, un ton de vieil or. Son portail a été gâté à la renaissance. Ses deux flèches à jour, hautes de 84 mètres, sont l'œuvre de Jean de Cologne.

Il y a trois portails latéraux, ornés tous trois d'une profusion de sculp­tures: deux sont dans le style ogival; le troisième, la puerta della Pellezeria est de la plus riche renaissance: c'est l'œuvre de François de Cologne.

La coupole, à l'extérieur, est comme une couronne royale, toute ornée de pinacles ajourés, de statues et d'écussons.

L'intérieur répond bien à la magnificence de l'extérieur. Le Coro isolé lui donne son cachet espagnol. Les grandes chapelles ajoutées rappellent des usages de Rome et de Naples.

L'église a 106 mètres de longueur en comptant la chapelle del Conde­stable derrière le choeur.

Le dôme a 50 mètres de hauteur. C'est une œuvre à part et d'une grande splendeur. Par la hardiesse de sa construction, il rappelle 150 les grandes coupoles de Brunelleschi et de Michel-Ange. Il est dû aux architectes Jean Vallezo et Philippe de Bourgogne. Sa riche orne­mentation intérieure est formée par les écussons de Charles-Quint et de Burgos, alternant avec des figures d'anges, de patriarches et de prophè­tes.

Le Coro a sa Silleria, série de 103 stalles richement sculptées en noyer incrusté de marquetteries. La Capilla Mayor a un grand retable de la re­naissance sculpté par Rodrigo et Martin de la Haya (celui-ci devait être hollandais). Auprès du maître-autel est suspendu un bel étendard pris aux Maures par Alphonse VIII à la bataille de Las Navas de Tolosa.

Toutes les chapelles ont de beaux tombeaux des XVe et XVIe siècles. La chapelle del Santissimo Cristo est grande comme une église. C'est là qu'on vénère le crucifix laissé par l'apôtre St. Jacques. Le corps du Christ est fait d'une peau parcheminée: la tradition l'attribue à Nicodè­me, comme le Christ de Lucques en Italie. Cette chapelle est le panthéon des derniers archevêques de Burgos.

La chapelle de St Jean de Sahagun conduit au Belicario l'on conser­ve l'image miraculeuse de Notre-Dame de Oca et des reliquaires nom­breux.

La chapelle del Condestable est la plus riche et la plus 151 ar­tistique. Elle a été batie en 1437 par Jean de Cologne et Siméon son fils, aux frais du connétable de Castille, Pedro Hernandez de Velasco. Elle est dans le style ogival fleuri. On y entre par une belle grille. Au milieu de la chapelle sont les tombeaux du fondateur et de sa femme avec de belles sta­tues couchées en marbre de Carrare. La chapelle est encore enrichie de ta­bleaux de valeur: une Madeleine de Léonard de Vinci et deux criptiques flamands; la sacristie a une superbe chasuble du XVe siècle.

Le tras-sagrario, ou revers du maître-autel, a des reliefs de la Passion d'une grande perfection, dus à Philippe de Bourgogne.

Le cloître a un grand charme; il est vaste et dans le beau style du XIVe siècle. Il est peuplé de statues et de sépultures, on y est en plein moyen­-âge. On y voit les statues de St. Ferdinand et de sa femme Beatrix de Souabe, du XIIIe siècle, un curieux tombeau roman du Xe siècle et d'autres d'époques différentes. Sur le côté du cloître, s'élèvent trois cha­pelles: celle de Santa Catalina, qui a de belles chasubles du XVe siècle; celle du Corpus Christi, dans laquelle on voit au centre le tombeau de Juan Cachiller, maître des cuisines du roi Henri III (à quoi ne peuvent pas aspirer les cuisiniers?) et un coffre rempli de ferrailles que le Cid vendit aux juifs pour 600 marcs d'argent en leur faisant croire qu'il con­tenait sa 152 vaisselle d'argent. Il voyait là sans doute un moyen de leur faire restituer leurs usures, mais je suis étonné qu'ils n'aient pas vé­rifié séance tenante le contenu du coffre. La 3e chapelle ou Sala Capitular a un beau plafond mauresque très fouillé.

La grande cathédrale est donc comme un vaste musée de l'art chrétien en Espagne.

Burgos, fière de sa cathédrale, l'est encore plus des souvenirs du grand pourfendeur des Maures, du conquérant de Valence, le Cid Cam­peador, qui battit cent fois les musulmans.

Bien des guerriers brillèrent dans cette mêlée de sept à huit cents ans, qui commença par des batailles voisines du Golfe de Gascogne et finit par la prise de Grenade, près de la Méditerranée et vis-à-vis de l'Afri­que; mais de tous les hidalgos qui chassèrent les Maures, aucun ne fut aussi fameux que le Cid, héros des romans populaires.

Burgos lui a donné naissance. La maison de famille n'existe plus, mais on honore le lieu où elle était. Son emplacement s'appelle Solar del Cid. On y a élevé une colonne avec l'écusson du Cid et deux obélisques avec les armoiries de Burgos et celles du couvent de San Pedro de Carde­na où le Cid fut inhumé non loin de Burgos. Au-dessus du Solar del Cid s'élève le 153 Castillo à demi ruiné où habitèrent longtemps les rois de Castille.

Burgos possède aussi les restes du héros. Ils sont réunis avec ceux de Chimène, son épouse, dans un coffre vitré en un petit sanctuaire de l'hô­tel de ville ou Casa-consistorial, près des sièges antiques de ses aïeux, les Grands juges ou Consuls de la cité, Nuno Rasura et Laïn Calvo.

Burgos est encore riche en églises, en hôpitaux, en monastères de tout genre.

Son Castillo est en ruines, mais il lui reste un antique manoir princier, la Casa del Cordon, bâti pour le connetable Hernandez de Velasco, mais habité plus tard par plusieurs rois et notamment par les rois catholiques Ferdinand et Isabelle, qui y reçurent Christophe Colomb en 1496 au re­tour de sa seconde expédition.

Près de là est le grand Hospital de San Juan, fondé en 1479 pour hé­berger les pèlerins. Que de pieux voyageurs de France et de toute l'Eu­rope ont séjourné là en allant à Compostelle!

Hors de la ville, deux monastères méritent surtout une visite: Las Huelgas et la Cartuja de Miraflores.

Le célèbre monastère cistercien de Las Huelgas a été fondé au XIIe siècle par le roi Alphonse VIII, sur les bords de l'Arlanzon à la place d'un palais de campagne surnommé Las Huelgas 154 del Rey, les loi­sirs du Roi. C'est un monastère noble et richement doté. Son cloître est roman. Sa nef ogivale a des voûtes élevées et des colonnes légères. On y voit un fac-simile du grand étendard pris aux Maures à Las Navas de Tolosa, qui est conservé dans l'intérieur du couvent. Dans le choeur est le mausolée d'Alphonse VIII et de la reine Dona Leonor. Sur les côtés sont d'autres tombes princières.

L'abbesse de ce monastère a des pouvoirs bien étranges, qui n'ont d'analogues que ceux de l'abbesse de Conversano, en Italie. Elle a une juridiction quasi-épiscopale et indépendante (nullius dioeceseos). Elle est appelée aux termes du protocole officiel «Dame, Supérieure, Prélat, lé­gitime administratrice au spirituel et au temporel du dit royal monastère et de l'hôpital voisin dit du Rey, ainsi que des couvents, églises, ermita­ges de sa filiation, des villages et lieux de sa juridiction, Seigneurie et vasselage, en vertu de bulles et concessions apostoliques, avec juridiction plénière, privative, quasi épiscopale et avec privilèges royaux…».

La vénérable abbesse porte la mitre. Parmi ces diverses et singulières attributions, nous relèverons «le pouvoir de connaître judiciairement, tout comme les Seigneurs évêques 155, en causes criminelles, civiles et bénèficielles, de donner les dimissoires pour les ordinations, des patentes pour prêcher, confesser, exercer charge d'âmes, entrer en religion, le pouvoir de confirmer les abbesses, d'établir des censures, de convoquer le synode…».

Les prêtres de son ressort reçoivent d'elle des lettres patentes «dû­ment scellées du sceau du monastère, signées de l'abbesse, contre­signéees du prêtre-secrétaire, les autorisant, en vertu de bulles et conces­sions apostoliques, à célébrer et à prêcher dans toutes les églises de la ju­ridiction abbatiale et à confesser les fidèles de l'un et de l'autre sexe de ladite juridiction…».

Lors de l'élection de l'abbesse, tout le clergé du territoire abbatial ve­nait jadis lui rendre hommage et pour cela se rendait à l'abbaye en habit de choeur; l'abbesse assise au trône, en mitre et en crosse, les recevait: chacun passait devant elle en faisant la prostration et en lui baisant la main…». Autres temps, autres moeurs!

Un autre monastère intéressant, c'est la Chartreuse Cartuja de Miraflo­res. En s'y rendant, on passe sous l'arc de triomphe de la Vieja, d'ail­leurs assez modeste. C'est un arc ogival construit sous le roi Henri III et sur lequel sont sculptées les initiales J. C. R. R. R. (Jésus-Christ Rédemp­teur Roi des rois). C'est un 156 hommage à la royauté sociale de Jésus-Christ.

La chartreuse a été fondée en 1441 sur l'emplacement d'un palais de Henri III. Elle a été reconstruite après un incendie en 1454 par Jean de Cologne et son fils. L'église a une seule nef d'un style ogival assez noble.

Le joyau de cette église, c'est le beau tombeau en marbre blanc du roi Jean II et de sa femme qui rappelle les tombeaux de Dijon et de Bruges. C'est l'œuvre de Gil de Siloé, élève de Philippe de Bourgogne. Les sta­tues couchées du roi et de la reine sont très finement sculptées. A côté est le tombeau de l'infant Alonso avec une statue agenouillée en albâtre.

Le choeur a aussi de belles stalles du XVe siècle.

Enfin pour terminer notre visite à Burgos, il nous reste à voir l'Arco de Santa Maria. C'est une ancienne porte de ville reconstruite sous Charles­Quint. C'est de la renaissance assez lourde. L'édifice est imposant, il a six tours. Deux étages au-dessus de l'arc servent de musée. L'arc porte à l'extérieur la statue de la Sainte Vierge et celle des preux de Castille: Nuno Rasura, Laïn Calvo, Diego Porcellos, Fernand Gonzales, le Cid et Charles-Quint. Au musée, il y a surtout à voir quelques tombeaux parmi lesquels ceux de 157 Don Juan de Padilla et de sa femme. Ce sont les héros de la lutte des communes contre l'autorité tyrannique de Charles-Quint.

Loyola

J'allai en excursion de Saint-Sébastien à Loyola. Cela ne demande qu'un jour.

Loyola est en pays basque, non loin de la mer de Biscaye, entre Tolo­sa, Zumarraga et Zarauz. Ignace de Loyola était donc, comme François Xavier, de la race vaillante des Basques.

J'ai quitté le chemin de fer à Zumarraga et pris une voiture. J'étais heureux de passer une journée en dehors des grandes lignes de chemin de fer, je pouvais ainsi voir de plus près les moeurs du peuple basque. Ce pays est beau, ce sont encore les Pyrénées qui descendent graduellement vers la mer.

On récolte sur ces pentes le blé et le maïs; les champs sont bordés de pommiers et la boisson du peuple est le cidre.

Je retrouve là quelques détails de moeurs orientales: le blé est battu sur les champs par des boeufs. Certaines cultures sont arrosées par des pompes à manège qui rappellent les noria d'Egypte. Des chars à roues pleines sont conduits par des boeufs. Ces chars n'ont pas progressé de­puis deux à trois mille ans. Les liquides sont encore transportés dans des outres.

Je traverse la bourgade d'Azcoitia. Il y a là une 158 population la­borieuse et admirablement conservée. Les ouvriers font des nattes, des cordes, des semelles de jute. Ils ont un air de modestie et de simplicité re­ligieuse qu'on ne trouverait plus nulle part en France. Beaucoup se lè­vent pour saluer mon habit. Les jésuites ont là une grande et sainte in­fluence. Je lis sur une porte cette enseigne: Associacion de obreros catolicos; c'est un cercle catholique d'ouvriers.

L'aspect est le même à Castellon, à Azpeïtia, lieu du baptême de St. Ignace. L'emblème du S.-Cœur est marqué sur les portes.

Le monastère de Loyola est dans un site superbe. Il est entouré d'un cercle de montagnes élevées, coupées par quatre vallées. C'est un lieu propice à la méditation, à la réflexion, aux grandes pensées. C'est loin du monde et au milieu d'un imposant panorama. Le monastère est grandiose, mais il est cent fois moins gracieux que ne serait une abbaye du moyen-âge. C'est un grand palazo du XVIIe siècle. L'église au centre est à coupole, elle est précédée d'un portique à colonnes. C'est un petit panthéon. Les Espagnols, impressionnés par la majesté des souvenirs appellent ce 159 monastère «la Merveille». Le castel des Loyola est enclavé dans le couvent. C'était un haut donjon carré. Au-dessus de la porte d'entrée sont les armes des Loyola: deux loups mangeant à un va­se. Le nom de Loyola en basque est peut-être le nom des loups. Ou bien ces loups rappellent-ils le nom propre de la famille Lopez? car Loyola était le nom de la terre.

Le monastère est l'œuvre de l'architecte Fontana, appelé de Rome en 1689 par la reine Marie-Anne d'Autriche, veuve du roi Philippe IV. Le portail de l'église est de marbre.

Le portique d'entrée est demi-circulaire. Il y a cinq grandes statues: St. Ignace, au fond, et sur le devant: St. François Xavier, St. François de Borgia, St. Louis de Gonzague et St. Stanislas Kostka.

La place a aussi une statue de S. Ignace, dans l'attitude de la médita­tion. J'aime mieux ce dessin que celui des statues de style berninesque où on le représente le bras en l'air et le diable sous ses pieds.

La Santa Casa a trois étages. Le second et le troisième sont transfor­més en chapelles. C'est au troisième qu'était la chambre du Saint. La statue qui le représente là contient une relique, un doigt du saint, envoyé de Rome à la reine Marguerite, femme de Philippe III 160.

Trois bas-reliefs représentent de grands souvenirs espagnols: St. Igna­ce prêchant les habitants d'Azpeïtia; St. Ignace remettant l'étendard de la foi à St. François Xavier partant pour les Indes; St. Ignace accueillant St. François de Borgia prosterné à ses pieds en costume de grand d'Espagne.

De quelle immense action morale sur le monde ce castel a été l'origi­ne! St. Ignace est de la race des grands apôtres. Ses exercices spirituels ont transformé des millions d'âmes. Ses disciples ont exercé une influen­ce incomparable. Quels apôtres ont été St. François Xavier, St. Fran­çois Regis, St. Pierre Claver! Quels docteurs ont surpassé Suarez, de Lugo, Bellarmin! Quels délicieux modèles pour la jeunesse ont été St. Louis de Gonzague, St. Stanislas Kostka, St. Jean Berchmans!

Tout celà est sorti de l'acte de foi qu'a fait là St. Ignace, après sa bles­sure à Pampelune.

J'ai toujours aimé beaucoup St. Ignace: cette visite à sa maison de naissance resserrera encore ce lien d'affection surnaturelle.

Je revins par Zarauz, en passant par les bourgades de Zumaya et Ce­stona. De Zarauz à St-Sébastien, c'est la corniche de Biscaye avec une suite de criques variées et le spectacle toujours 161 saisissant de la mer et des montagnes. Zarauz est une station de bains de mer. Elle a une riche vallée, une concha, entourée d'un amphithéatre de montagnes. Un grand palais du XVe siècle au marquis de Narros et un beau parc embel­lissent la ville.

Fontarabie

Ma dernière visite en Espagne fut pour Fontarabie, petite ville de fron­tière, qui a un grand cachet. Fontarabie est en face d'Hendaye et près d'Irun, sur la Bidassoa. A l'embouchure du torrent est la petite île des Faisans ou de la Conférence, qui a une foule de souvenirs historiques.

C'était comme un terrain neutre, une station de frontière, et souvent l'Espagne et la France ont échangé là des conventions diplomatiques. Louis XI, roi de France et Henri IV de Castille y tinrent une conférence en 1469. En 1526, François I prisonnier y fut échangé contre ses deux fils qu'il donnait en otages. En 1615, les ambassadeurs de France et d'Espagne vinrent échanger deux fiancées sur l'îlot: Isabelle, fille de Henri IV, roi de France, destinée à Philippe IV, et la soeur de ce der­nier, Anna d'Autriche, destinée à Louis XIII. En 1659 Louis XIV et Philippe IV, par une heureuse alliance, mirent fin à une longue guerre entre les deux nations.

Fontarabie est bien autrement curieux et pittoresque que Hendaye. Vieille forteresse, assez bien conservée, elle donne bien 162 l'idée des villes fortes espagnoles au Moyen-âge. On y entre par la porte ogivale de Santa Maria, surmontée de l'écusson de la ville. Cette porte et la rue principale avec ses vieux hôtels de maisons nobles forment une perspec­tive saisissante, qui rappelle un peu la rue des chevaliers à Rhodes. Le palais royal a une façade imposante du XVIe siècle. La vieille rue, Calle Pampinot, avec ses maisons en bois, rappelle les rues anciennes de Rouen.

Fontarabie a un souvenir historique très populaire. Elle était assiégée en 1638 par Condé et St-Simon. Elle avait subi 20 assauts en 64 jours. Les munitions manquant, la résistance devenait impossible, lorsque l'al­cade, Don Diego Butron, réunit la population, et, prêchant d'exemple, offrit 1300 livres en argent pour en fondre des balles à défaut de plomb; à sa suite, tous les habitants apportèrent leur argenterie et leurs bijoux. Les femmes jetaient du haut des murs de l'huile bouillante sur les assié­geants et les enfants eux-mêmes, ramassant les escopettes des morts, ou­vrirent un feu terrible sur la colonne française, tandis que les plus petits envoyaient de grosses pierres sur leurs ennemis. Enfin le 7 septembre, veille de la Nativité de la Ste Vierge, Calvera, amiral de Castille et le marquis de los Veles, vice-roi de Navarre, tombèrent à l'improviste sur les troupes françaises épuisées 163 et les refoulèrent sur le Jaizquinel. Chaque année du 7 au 10 septembre, cette délivrance attribuée à Notre­-Dame de Guadelupe, qui est honorée à Fontarabie, est commémorée par de grandes fêtes qui attirent à Fontarabie une foule considérable.

Réflexions sur l’Espagne

En quittant l'Espagne, j'ai le cœur serré. Cette noble et catholique nation vient d'être dépouillée de ses colonies de par le droit du plus fort. J'aimais l'Espagne à cause de son histoire: c'est une nation de croisés, de chevaliers et d'apôtres. Elle a sauvé la France et l'Europe du joug des musulmans, qu'elle a contenus et refoulés dans une lutte dix fois séculai­re. Elle a donné le nouveau monde à la civilisation et à la foi; elle a don­né aussi à l'Eglise des apôtres comme St. Dominique, St. Antoine de Pa­doue, Ste Thérèse, St. Ignace.

Le peuple d'Espagne a un caractère noble et chevaleresque; il est poli, noblement fier, aimable et hospitalier. Il lui manque pour réussir de n'être pas assez moderne. Il n'est pas commerçant, spéculateur, avide d'industrie et d'argent. Il n'est peut-être pas assez laborieux. Il se repose de ses longues guerres et de ses difficiles conquêtes. Il n'aime pas l'entas­sement des usines et les longues journées de travail. C'est l'antipode des peuples anglo-saxons. La province de Catalogne seule a ces passions mo­dernes, aussi elle est en train de se brouiller 164 avec le reste de l'Espagne. Barcelone aime les cheminées à vapeur, Madrid et Séville ai­ment l'air pur, les parcs fleuris et les sérénades.

L'Espagne, vis-à-vis des peuples anglo-saxons, est comme l'ancienne chevalerie vis-à-vis du Tiers-Etat. L'or est le nerf de toute puissance so­ciale et politique. Il éclipse la noblesse, les traditions, les gloires passées. L'or fond des canons et la noblesse tient l'épée. L'épée ne peut pas lutter contre le canon. L'Espagne recule, c'est regrettable, mais c'est fatal.

Elle se modernisera et remontera, puisse-t-elle ne pas laisser sur le chemin sa foi et la noblesse de son caractère!

L'Espagne est riche en production minérales et végétales. Du temps des Romains, elle possédait d'importantes mines d'or et d'argent au­jourd'hui abandonnées. On y trouve encore des gisements abondants de fer, d'étain, de plomb, de cobalt et surtout de mercure (ceux-ci dans la contrée d'Almadon); quant aux bassins houillers, ils se trouvent dans les Pyrénées cantabriques.

Les richesses agricoles sont des plus variées: vignobles, oliviers, oran­gers et fruits divers; maïs; canne à sucre dans le midi. Pour le bétail, il faut citer la race ovine dite mérinos, qui fournit la laine la plus estimée.

L'industrie proprement dite est bien déchue du rang qu'elle occupait 165 autrefois. La fabrication des soiries, des draps, des étof­fes brochées d'or et d'argent, des cuirs, des armes, des glaces, qui faisait la réputation des grandes villes de la Castille et de l'Andalousie, ne se re­trouve plus que dans le Guipuzcoa, à Tolède, Séville et quelques autres localités, et encore y a-t-elle peu de vitalité.

L'Espagne a cependant, plus que l'Italie, les principaux éléments de la richesse industrielle: la houille et le fer.

Les dernières défaites de l'Espagne à Cuba ont amené les penseurs à rechercher les causes de sa décadence.

On lui reproche d'avoir négligé la culture intellectuelle du peuple. C'est vrai: sur 19 millions d'habitants, elle n'a que cinq millions de per­sonnes sachant lire et écrire, elle a plus de la moitié de sa population, qui est illettrée.

Le fonctionnarisme, comme dans beaucoup de nations d'ailleurs, y est une plaie. 150.000 personnes, non compris l'armée, émargent au budget.

Dans l'armée espagnole, on compte un officier pour trois hommes. La dé­pense pour les officiers représente en Espagne 38% du budget de la guerre. Chez un peuple de chevaliers, tout le monde se croit né pour être officier.

Les impôts, qui grèvent la classe populaire, sont énormes. Les impôts ont leur principale assiette sur les consommations. A Londres, une fa­mille d'ouvriers qui, par la réunion de divers salaires se fait un revenu de 2000 166 francs, paie à peine 90 francs d'impôts. A Madrid, une famille qui gagnerait autant, paierait, du seul fait des droits de consom­mation, 400 francs d'impôts. On comprend que dans de telles conditions l'épargne soit très difficile, et que les ouvriers deviennent insouciants et prennent peu de goût à la besogne.

La paye de l'ouvrier espagnol est faible. Il vit pauvrement. Il se nour­rit de pain, de légumes, de fruits et de poisson. Il consomme peu de viande. L'Andaloux se contente de sa soupe froide, mélange de pain et de tranches de concombre, d'eau, de sel et d'huile.

L'immigration va croissant. Beaucoup d'espagnols s'en vont dans la province d'Oran. Il y a en Espagne 400.000 propriétés abandonnées et mises sous séquestre. On y compte plusieurs millions de personnes sans profession et plus de 100.000 mendiants.

Un peuple vit de ses traditions. A cause de sa lutte incessante contre les musulmans, l'Espagne a plus de traditions chevaleresques que de tra­ditions agricoles et industrielles. La nécessité fit de tous les Espagnols des chevaliers.

L'Espagne du Moyen-âge avait cependant une industrie brillante, mais elle était surtout entre les mains des musulmans et des juifs, qu'il a fallu exclure pour avoir la paix. Séville comptait en 1515 seize mille mé­tiers à soiries occupant 130.000 ouvriers; en 1673, il n'y 167 avait dé­jà plus que 400 métiers.

Patience, l'activité se réveille en Catalogne, à Valence, à Bilbao, à Valladolid et même à Madrid. L'Espagne fera de nécessité vertu. Enco­re une fois, puisse-t-elle n'y pas perdre sa vieille foi et son caractère che­valeresque!

Le retour: Cahors

Au retour, Cahors m'appelait pour quelques jours. Il y avait là une réunion d'études sociales pour les ecclésiastiques. On y fit de bonne be­sogne. On me demanda de présider et de parler des directions pontifica­les. Monseigneur l'évêque de Cahors nous témoigna une grande bien­veillance.

Cahors a de grands souvenirs. St. Thomas Becket la gouverna au nom de Henri II d'Angleterre. Le Pape Jean XXII y est né et y fonda une université, qui compta plus tard Cujas et Fenelon parmi ses élèves.

Sa cathédrale du XIe siècle est un des plus intéressants de nos monu­ments byzantins, avec la cathédrale de Périgueux, celle de Saintes et St. Cernin de Toulouse. Ses coupoles surbaissées ont une grande hardiesse. Cahors possède un suaire du Sauveur comme Cadouin en Dordogne. J'aurais voulu revoir Rocamadour au diocèse de Cahors, le pèlerinage le plus pittoresque et un des plus intéressants de France, avec ses sanctuai­res accrochés aux rochers en haut d'une gorge sauvage 168. Mais un autre congrès m'appelait à Toulouse et je voulais passer par Lourdes.

Lourdes: le Carmel de la Pénitence

Quel changement l'Immaculée Conception a fait en ces lieux! Quelle différence entre l'état où ils sont aujourd'hui et l'état où ils étaient, le 11 février 1858, quand Bernadette y vint, avec deux autres fillettes, pour chercher du bois mort. Un coup de vent irrésistible contraignit l'enfant de se tourner vers une anfractuosité du rocher au-dessus de la grotte.

L'enfant trembla et tomba à genoux. Que voyait-elle donc? une dame inconnue, merveilleusement belle, qui lui souriait sans dire une parole. L'enfant priait pour dissiper sa frayeur, elle récitait son chapelet en re­pétant: Je vous salue, Marie! L'Angelus sonnait et des millions de voix s'unissaient au loin à cette salutation, à cette prière de la timide innocen­ce; des milliers de voix sont venues depuis lors de tous les points du mon­de chanter ici avec allégresse: Ave Maria! Ave Maria!

Le quartier de la grotte est devenu le jardin ou l'oasis de Marie. C'est une victoire immense de la foi sur le scepticisme. Les pèlerins sont venus par millions. Les églises se sont construites. La chapelle a coûté un mil­lion et l'église du rosaire trois millions. L'appropriation de la place et de ses accès en a coûté autant.

Six monastères, sans compter la maison des Pères, entourent 169 la grotte miraculeuse et prient nuit et jour pour l'Eglise et la France. Il y a là des Clarisses, des Carmélites, des Dominicaines, des Soeurs de Ne­vers, des Soeurs de l'Immaculée Conception.

Huit cent bannières attestent la foi d'autant de villes ou de provinces. Des milliers et milliers d'ex-voto laissent deviner une infinité de drames pieux: souffrances morales ou physiques, prières, guérisons.

L'art a offert son hommage à Marie dans ces deux sanctuaires et dans les œuvres diverses, qui les garnissent: la statue de la grotte par Fabisch, la statue du maître-autel par Cabuchat, l'ostensoir d'Armand Caillat, la couronne d'or et de diamants due à Mellerio, la palme ornée d'émaux, offerte par Pie IX.

C'est toujours avec un nouvel éblouissement et avec un sentiment de foi profonde, que je revois, tout cela. Et ces processions du soir avec des milliers de voix chantant le doux cantique: Ave, Ave, Ave Maria!

Ah! laissez-nous, tyrans modernes, ces fêtes et ces chants, qui bercent nos âmes et apaisent nos souffrances. Allez en paix à vos beuglants, mais laissez les âmes simples et croyantes chanter l'Ave Maria.

Quelles bonnes journées je passai encore là cette fois-ci 170. J'allai un instant au Bureau des Constatations. Le docteur Boissarie était là avec sa bonhomie et sa placidité habituelle. Il me montra une jeune fille stigmatisée, plusieurs jeunes filles de Villepinte guéries de la phtisie, un écolier qui avait recouvré la vue.

Comme je venais d'Avila, j'arrêtai surtour ma pensée sur le Carmel de la Pénitence, qui est là en face de la grotte, là où se tenait Bernadette, quand la Sainte Vièrge lui cria: Pénitence! Pénitence! Pénitence!

C'est pour répondre à cette demande de Marie, que les Carmélites ont construit sur la rive droite du Gave, sur la colline, à mi-côte, en face de la grotte et de la basilique, un couvent, qu'elles appellent le Carmel de la Pénitence.

Le monde ne comprend plus les ordres contemplatifs, et les regarde comme inutiles, parce que les services, qu'il en reçoit, ne frappent pas ses sens, parce qu'il ne les voit pas soigner ses malades et ses fous, élever ses enfants, garder ses vieillards, défricher ses terres incultes, préparer ses colonies en évangélisant les idolâtres. Mais le monde lui-même les rend opportuns et nécessaires, pour faire contre-poids à ses crimes par leurs austérités, pour apaiser la justice divine par leurs réparations, pour attirer la miséricorde 171 par leurs prières. Plus la société a horreur de la pénitence, plus elle a besoin de religieux pénitents. Le carmel est le plus vieux de tous les ordres, et l'impiété moderne en renouvelle l'op­portunité comme Dieu en renouvelle la jeunesse… C'est lui, qui a choisi les filles de Thérèse pour répandre parmi nous les idées de réparation et qui, par les épines du cœur de Thérèse comme par les apparitions de Marie Immaculée, nous invite à la pénitence.

Vers le commencement de ce siècle, vivait au carmel de Poitiers une sainte religieuse, Mère Adelaïde, qui fut choisie de Dieu pour commen­cer à répandre les pratiques réparatrices, moins sous forme de commu­nion que sous forme di pénitence. A sa prière, un vicaire général, qui fut depuis évêque de Luçon, Mgr Soyer6), publia dès 1819 un écrit intitulé: Avertissement au peuple français, ou réparation inspirée pour apaiser la colère de Dieu. La mère Adelaïde mourut en odeur de sainteté, le 31 juillet 1843. Huit jours après Grégoire XVI donnait un Bref pour l'érection en Italie, au Caravita, de pieuses confréries ayant pour but la réparation des bla­sphèmes. Le 26 août de la même année, Notre-Seigneur chargeait de travailler à cette œuvre réparatrice une jeune bretonne, entrée au Car­mel de Tours le 13 novembre 1839. Elle y mourut le 8 juillet 1848, et sa biographie 172 a été publiée en 1881, sous le titre de: Vie de la soeur Saint-Pierre7). Nous y voyons qu'elle fut spécialement chargée de prier et de souffrir pour la France, qui déchire les entrailles de la miséricorde di­vine, abuse des plus grandes grâces, blasphème le nom du Seigneur et profane son jour.

Du carmel de Tours, plus encore que du carmel de Poitiers, la répara­tion se répandit au loin, sûrement et sans bruit, par les inspirations et les vertus d'une humble fille de Sainte Thérèse. De là vient l'association ré­paratrice des blasphèmes, établie à S-Dizier en 1847, le 16 juillet, fête de N.-D. du Mont-Carmel, érigée par Pie IX en archiconfrérie le 30 du même mois; de là vient cette dévotion à la Sainte Face du Sauveur, en sa passion, qu'un saint homme, M. Dupont, a tant propagée, et qui a don­né naissance à une confrérie, établie à Tours le 29 juin 1876; de là vien­nent à Paris, au centre du mal, deux communautés fondées, l'une en 1849 par M.elle Dubouché, mère Marie Thérèse8), pour l'adoration ré­paratrice; l'autre en 1853, avenue de Messine, par les Carmélites mê­mes, sous le titre de Monastère de la Réparation et de la Sainte Face.

Après le Cœur de Jésus toujours vivant dans l'Eucharestie, quel cœur resté sur la terre préside à ce mouvement et lui donne le branle? Le cœur de Sainte Thérèse, qui se conserve incorruptible depuis trois 173 siècles là où il cessa de battre, au Carmel d'Alba, et qui est doué maintenant d'une fécondité significative, il produit des épines. Les deux plus grandes furent remarquées le 18 mars 1836, une moindre le 27 août 1864, et plusieurs autres depuis ce temps là. M. Cardellac, lazariste espagnol, en compte 15 dans le livre qu'il publia sur ce prodige en 1876. Si le fait est miraculeux, il est un avertissement du ciel; s'il est naturel, on y peut voir un symbole saisissant des souffrances mystiques du cœur de Thérèse comme de Jésus.

Le 21 février 1858 à Lourdes, le regard de la Vierge Immaculée était si triste que la petite bergère s'en affligea et dit: que faut-il faire? La ré­ponse fut: «Prier pour les pécheurs». Le 24 février, Marie cria trois fois: «Pénitence»! En se traînant sur ses genoux dans la grotte, la voyante fit écho à cette voix du ciel et répéta,de manière à être entendu par les per­sonnes qui l'entouraient: «Pénitence! Pénitence! Pénitence!» Les car­mélites ont compris les appels de Marie à la prière et à la pénitence, et el­les y ont répondu: nous voici! Nous accourons à Lourdes pour y être, plus encore qu'ailleurs, expiatrices, réparatrices et pénitentes! Unissons-nous à ces saintes âmes!

Toulouse

C'est le congrès franciscain, qui m'appelait à Toulouse. De loin en loin quelque congrès me conduit dans notre 174 «capitale du midi». Le congrès se tint au pensionnat des Frères et fut bien édifiant. Quel contraste avec les congrès socialistes! Ici, pas de querelles. On peut avoir des opinions différentes sur des points secondaires, on les défend avec animation; mais dans l'ensemble, quelle union! quelle charité! La grâce seule peut faire ces miracles.

Le Tiers-Ordre se rajeunit et se met au courant de la vie sociale chré­tienne. Il était gallican, sans s'en douter. Il revit. Ce sera long, mais le mouvement est commencé et il y a beaucoup à espérer. J'entretins les Tertiaires de la charité chrétienne et de ses œuvres.

J'aime à revoir Toulouse de temps en temps, mais vraiment, quand on y a vu l'église Saint-Cernin, on a tout vu.

La belle basilique a été bâtie en l'honneur de S. Cernin ou Saturnin, premier évêque de cette ville et célèbre martyr. L'aspect en est vraiment religieux et monumental; l'impression produite dès l'entrée a quelque chose de saisissant et de céleste. C'est l'église la plus vaste et peut-être la plus parfaite, qui ait été construite en style roman. Les Espagnols disent de leurs principales cathédrales: à Séville, la grande; à Burgos, la belle; à Tolède, la riche; les Français peuvent dire que la basilique de St-Cernin est tout à la fois grande, belle et riche; elle est du moins la plus riche du monde en reliques 175 des Saints.

On y vénère les corps de six apôtres: Saint Barnabé, Saint Simon et Saint Jude, Saint Philippe et Saint Jacques le Mineur, avec une partie notable des ossements de Saint Jacques le Majeur. On y vénère égale­ment le corps et le chef de St. Thomas d'Aquin, de St. Edmond, roi d'Angleterre, des Saints Raymond, Exupère, Honorat et d'une foule d'autres. On y voit beaucoup d'objets précieux, tels que: le crucifix, que portait St. Dominique à la bataille de Muret, où les Albigeois furent vaincus le 13 septembre 1213; une chasuble, qui fut à son usage; la cros­se de St. Louis, évêque de Toulouse; la mitre de St. Remy, évêque de Reims, avec de remarquables reliquaires, dont quelques-uns ont échap­pé au vandalisme révolutionnaire.

Bâtie après l'an mille, l'église actuelle fut consacrée par le bienheu­reux pape Urbain II, le 24 mai 1096, après qu'il eut prêché la première croisade à Clermont.

Au XVIe siècle, le choeur fut orné de stalles en bois, dont l'une, qui est la première à droite, lorsqu'on entre par la nef, conserve un panneau sa­tirique; c'est un pourceau dans une chaire devant quelques auditeurs, et au-dessous est écrit Calvin le porc p. t. (prêchant) 176.

Toulouse a bien concouru au mouvement de prière et de réparation, qui a regne en France depuis 30 ans. Le P. Ramière9) y a fondé l'Aposto­lat de la prière et le Messager du Cœur de Jésus. Le F. Lyonnard10) y a écrit l'Apostolat de la souffrance.

C'est encore une bonne ville, qui a beaucoup d'œuvres, beaucoup de communautés religieuses. C'est aussi un centre intellectuel. Il y a là l'université de l'état et l'université catholique qui rivalisent.

Combien ces grandes villes de province auraient encore plus de vie et d'originalité, si nous n'avions pas notre centralisation outrée, qui atro­phie toute la vie provinciale!

Les Pyrénées

Notre région pyrénéenne a beaucoup de liens avec l'Espagne. Long­temps les deux versants des Pyrénées ont été unis politiquement. Les Wisigoths d'Espagne possédaient la Gascogne. Plus tard, Charlemagne unit à son empire la Marche d'Espagne. La Navarre s'étendait aussi sur les deux versants. Nos Pyrénées orientales étaient unies au royaume de Majorque, avant qu'il fût absorbé par l'Aragon.

Avec les liens politiques concordent les liens de race. La vieille nation des Basques occupe toute la région de Pau à Oviedo. Les Wisigoths ont mêlé leur sang à celui des Celtes.

L'idiome des vallées pyrénéennes est sensiblement le même des 177 deux côtés: le basque à l'Ouest, l'aragonais au centre, le cata­lan à l'Ouest.

La visite de nos Pyrénées est vraiment le complément du voyage d'Espagne. Les églises d'Alby, de St-Bertrand de Comminges et de Per­pignan sont vraiment espagnoles de style. Elles ont en particulier le choeur, le vaste Coro espagnol, qui encombre la nef, avec les rétables monumentaux et les stalles rehaussées de sculpture et de marquetterie.

A propos de Comminges, l'humanisme a pénétré jusque là avec ses anachronismes. Quelque bon chanoine, fort en thème et en version, a fait sculpter sur un joli buffet d'orgue de la cathédrale les douze travaux d'Hercule. Vraiment, il aurait pu trouver des héros aussi intéressants qu'Hercule, ne fut-ce que Jésus, Marie, les apôtres, les martyrs!

Pour les beautés naturelles, les Pyrénées françaises surpassent celles d'Espagne. Elles sont plus abruptes, plus décomposées, plus variées. En Espagne, elles s'allongent en vastes plateaux, qui n'ont rien de pittoresque.

Combien d'ailleurs les Pyrénées sont inférieures aux Alpes de Suisse! Il manque aux Pyrénées les grands lacs, les cascades majestueuses, les vastes glaciers, les grands massifs neigeux. Comparez les petits lacs inconnus 178 des Pyrénées à ceux de Genève, de Lucerne, de Zurich, de Constance! que sont les petits gaves des Pyrénées auprès du Rhin, du Rhône et de l'Inn! Que sont les pics du Midi, du Mont-perdu ou de la Maladetta, à côté des massifs du Mont Blanc, du Mont Rose, de la Junkfrau, et du Bernina?

Les Pyrénées ont cependant leurs beautés. Pour les voir sommaire­ment, trois stations suffisent: Pau, Luchon et Canterets. C'est ce que j'ai fait cette fois-ci, dans l'intervalle de mes congrès et à mon retour.

Pau est le belvédère des Pyrénées. Des terrasses de Pau on a sous les yeux, par un beau temps, le plus merveilleux panorama des Pyrénées, comme du faîte de la cathédrale de Milan ou des hauteurs voisines de Turin on jouit du panorama des Alpes. Mais Pau l'emporte facilement, les montagnes y sont plus rapprochées et plus souvent visibles.

Luchon et Canterets sont de gracieuses villes de bains, rehaussées par des environs incomparables. Luchon a sa vallée du Lys et, pour, les vail­lants, l'ascension de la Maladetta. Canterets a son cirque de Gavarni et l'ascension du Pic du Midi.

Le cirque de Gavarni est en somme le joyau des Pyrénées, et si quel­qu'un me disait: «J'ai vu la Suisse, ses lacs et ses glaciers, qu'irais-je fai­re aux Pyrénées?». Je lui dirais: «Allez encore au Cirque de Gavarni». Les Alpes n'ont rien dans ce genre d'aussi 179 grandiose et d'aussi imposant.

Après ces quelques jours de repos, passés à respirer l'air pur des mon­tagnes et à contempler les jeux du Créateur dans ce jardin terrestre, qu'il nous a préparé, je repassai encore par Lourdes pour saluer à nouveau et remercier la Madone, et je repris de là le chemin de Saint-Quentin avec un aimable prélat, qui venait nous donner les ordinations.

Fayet. Ordinations

C'est le 27 août que Mgr Passerini fit les ordinations à St-Clément: une vingtaine d'ordinands. Belle fête de famille, maison enguirlandée, assistance émue des familles. C'est pour les âmes une journée ensoleillée avec bien peu de nuages.

Le lendemain, première messe du cher P. Louis11), qui nous donne un discours pieux et bien écrit. Représentation d'Athalie, qui est jouée très passablement par nos élèves.

J'accompagne Mgr Passerini le 29 à Cambrai, où nous dînons chez le vénérable évêque12) 180.

Le 30, nous allons à Reims et au Val. Le bon abbé Dolci, de l'Acadé­mie ecclésiastique, accompagne Mgr Passerini dans tout ce voyage. Il devait être nommé peu après évêque de Gubbio13).

Le Val. Congrès. 30 août

Du 30 août au 5 septembre, c'était la réunion des jeunes ecclésiasti­ques au Val. Quelles bonnes journées! Je préside avec M. Perriot14) et M. Pottier15).

Il y a aussi quelques jeunes gens laïques, notamment Goyau16), Sangnier17), Isabelle. On étudie la Justice sociale, les œuvres sociales, l'apologétique moderne. M. Perriot nous charme par son aménité et l'étendue de ses connaissances. M. Pottier qui vient d'écrire son volume sur la justice sociale a sur cette matière des idées très nettes et très logi­ques. Goyau a l'étoffe d'un homme d'Etat, avec la simplicité d'un ter­tiaire de St. François.

Nous avons aussi une élite de jeunes ecclésiastiques 181. Ces réu­nions du Val ont une grande action sur l'âme de la France, parce qu'el­les donnent une direction à l'élite de la jeunesse.

Retraite. 6 septembre

Notre retraite, du 6 au 14, fut prêchée par le P. Vacon. Elle n'était pas nombreuse, parce que les ordinands avaient fait la leur au mois d'août. Le P. Vacon nous donna les exercices de St. Ignace, avec simpli­cité et piété. Je fus heureux de pouvoir suivre la retraite sans trop de dé­rangements. J'en sortis éclairé et renouvelé, mais pas assez fortifié ce­pendant pour conserver à travers mille sollicitudes et occupations la vie intérieure que je devrais avoir.

Chapitre. 14 septembre

Après la retraite, bonnes réunions capitulaires, sans troubles ni mau­vais esprit. Elections, révisions des Règles dont nous avons fait cette an­née à Rome une nouvelle rédaction 182. On prend quelques bonnes ré­solutions, notamment pour les études.

Justement, le Saint-Père, a donné ces temps-ci, le 8 septembre, sa bel­le encyclique aux Français sur la formation du clergé et les études ecclé­siastiques (Depuis le jour)18). Le Saint-Père avait été informé par plu­sieurs de mes amis du libéralisme dans lequel versait l'enseignement de certains séminaires et du scepticisme qui minait toutes les règles de l'Eglise sur l'exégèse. Le mal est grand. Les avis du St-Père vont l'en­rayer et préparer le remède.

Anciens élèves

Le 17, après le chapitre, réunion des Anciens Elèves à St Jean, Bonne fête de famille. Ravinet, Marchandier, Leduc sont au bureau. Beaucoup d'anciens gardent pour la maison de St-Jean une affectueuse sympa­thie.

183

Table des matières

Madrid: musées 1
Les lettres 20
Les sciences 34
Le palais 38
Les Saints 41
Tolède 56
Segovie 77
La Granja 89
L'Escorial 96
Les Fastes de l'Espagne 109
Avila: Sainte Thérèse 120
Burgos 148
Loyola 157
Fontarabie 161
Réflexions sur l'Espagne 163
Retour: Cahors 167
Lourdes: le Carmel de la Péni­tence 168
Toulouse 173
Les Pyrénées 176
184 Fayet: ordinations 179
Le Val: Congrès 180
Retraite 181
Le Chapitre 181
Anciens élèves 182
1)
Dello ou Dèlli, peintre et sculpteur, né à Florence vers 1404. Il séjourna en Espa­gne de 1433 à 1446, puis y retourna en 1448 et mourut à Valence, vers 1471.
2)
Le reste du journal sur le voyage en Espagne et le retour en France, ou bien à par­tir de «Les Fastes de l’Espagne», p. 109, jusqu’à «Fayet, ordinations», p. 179, est écrit d’une écriture différente de celle du P. Dehon.
3)
Dupont (Léon-Papin: 1797-1876). Né dans l’île St-Martin, aux Antilles, il vint à Paris en 1818 pour faire ses études. Après son mariage, il alla à la Martinique. En 1834, il vint se fixer à Tours où il vécut saintement, s’occupant de beaucoup d’œuvres de zèle et de piété. Il fut appelé «le saint homme de Tours». Une carmélite de Tours, la Soeur Saint-Pierre ( + 1848), fut son inspiratrice. Par sa brochure La foi raffermie et la piété ranimée dans le mystère de l’eucharistie (Tours, 1839) et par la création de l’Association de prières contre le blasphème, l’imprécation et la profanation des jours de dimanche et de fête, il fixa l’attention des fidèles sur la nécessité de réparer les fautes qui sont commises. Sa corre­spondance était considérable. Il fut en relation avec des spirituels comme le Bx Eymard ( + 1868), et avec des journalistes comme Louis Veuillot. Son influence fut très grande. Il fit établir à Tours l’adoration nocturne du Saint-Sacrement. Il est particulièrement célèbre par son action en faveur du culte de la Sainte-Face. Il vénérait dans sa maison de Tours une image de la Sainte-Face du Christ, semblable à l’image vénérée à Rome. Une lampe était sans cesse allumée devant l’image. Le bruit se répandit que l’huile de cette lampe servait à guérir miraculeusement les malades. Ce qui contribua à populari­ser cette dévotion (C H A D).
4)
Gallifet (Joseph De). – Né à Aix, le 3 mai 1663, il entra dans la Compagnie de Jé­sus à Avignon, en 1678. En 1680, étudiant la philosophie au collège de Lyon, il se trou­va placé sous la direction spirituelle du Bx Claude de La Colombière, qui lui communi­qua sa dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. Un voeu fait en son nom, lors d’une grave maladie, et qu’il ratifia pleinement, le confirma dans la volonté de consacrer son activi­té au développement de cette dévotion. Dans les différentes fonctions qu’il exerça, recteur à Vesoul, à Grenoble, à Lyon, à Besançon, il érigea des confréries et bâtit des chapelles au Sacré-Cœur. Après avoir été provincial de Lyon (1719-1723), il fut appelé à Rome comme assistant du Père général (1723-1730). Rentré en France, il regagna Lyon, où il mourut le 31 août 1749. A Rome, il se fit le propagateur zélé de la dévotion au Sacré-Cœur, par l’érection ca­nonique de nombreuses confréries, et surtout par ses démarches pour obtenir l’appro­bation du culte public et l’autorisation de la fête du Sacré-Cœur. A cet effet, promoteur de la cause, il composa en latin, pour la Congrégation des Rites, le De cultu Sacratissimi Cordis Dei et Domini nostri Jesu Christi (Rome, Salvioni, 1726), dont Benoît XIII accepta la dédicace. Il y inséra une traduction latine de l’autobiographie de Ste Marguerite­-Marie. Il obtint l’envoi de suppliques par les rois de Pologne et d’Espagne et l’appui de la reine de France. Contrebattu par le promoteur de la foi, Prosper Lambertini, futur Benoît XIV, il n’obtint pas gain de cause (1726: non proposita; 1729: negative). De retour en France, il publia la traduction française du De cultu: L’excellence de la dévotion au Cœur adorable de Jésus-Christ (Lyon, 1733). La première partie expose l’origine, les progrès, la nature et l’excellence de la dévotion au Sacré-Cœur. La seconde partie comporte la transcription du mémoire autobiographique de Ste Marguerite-Marie, précédé, à par­tir de l’édition de 1743, d’une préface apologétique (pour répondre aux difficultés sou­levées tant par cette publication que par la biographie composée par Mgr Languet) et divers documents. Cet ouvrage connut de nombreuses éditions jusqu’à la fin du XIXe s., et fut traduit en plusieurs langues. Le Père de Galliffet fut aussi un promoteur de la dévotion au saint Cœur de Marie (C H A D).
5)
Mazzella (Camillo), jésuite. Né en 1833, prêtre en 1855, entra dans la Compagnie de Jésus en 1857. Après avoir enseigné, à Lyon et aux Etats Unis, la théologie dogmati­que et morale, Léon XIII l’appela à enseigner la théologie à l’Université Grégorienne pour contribuer à la renaissance de la Scolastique. Créé cardinal en 1886, fut sacré évê­que de Palestrina en 1897. Il travailla, infatigable, pour les congrégations romaines et fut préfet de la congrégation des Etudes et des Rites. Théologien clair et fécond, favori­sa la diffusion de la Scolastique.
6)
Soyer (René-François: 1767-1845), év. de Luçon: 1821-1845.
7)
La carmélite Marie de Saint-Pierre (Perrine Eluère: 1816-1848) naquit à Rennes, en Bretagne, de parents très chrétiens qui eurent douze enfants. Vers l’âge de seize ans, el­le fit une retraite où elle s’orienta vers la vie religieuse. Le 11 novembre 1839 elle partit pour le Carmel de Tours. Elle fit profession le 8 juin 1841. Deux ans après sa profes­sion, le 26.8.1843, la Sr. Saint-Pierre eut la grâce d’être orientée plus spécialement vers la réparation des blasphèmes. En 1845 Notre Seigneur lui inspira l’idée de réparer les blasphèmes par un culte spéciale à sa Ste Face. La Soeur comprit que la grâce de cette dévotion était comme le sommet de sa vie spirituelle. Dans la suite, grâce surtout au zè­le de M. Dupont, des représentations du voile de «Véronique», conservés à Saint­-Pierre de Rome seront l’objet d’un culte spécial et le signe extérieur de la réparation des blasphèmes. L’image se répandra à une grande échelle en France et dans le monde entier. Sr. Saint-Pierre mourut le samedi 8.7.1848.
8)
Debouché (Théodolinde), née à Montauban le 2.5.1809, dans une famille indifférente à la religion. Sa mère était très superficielle et mondaine. Quand elle était en pension, Théodolinde reçut quelques éléments d’instruction religieuse. Elle se prépara elle­-même à la lre communion et à la confirmation. Se passionna pour la peinture et pour la musique jusqu’à ce que, à 25 ans, une grâce fulgurante lui remplît le cœur d’un ardent amour pour Dieu. Commença à fréquenter les sacrements et à servir les pauvres. En 1846 elle sentit un attrait particulier pour l’adoration eucharistique et, en 1847, pour la réparation envers la Sainte-Face qu’elle peignit elle-même, selon une vision intérieure, avec une facilité et rapidité extraordinaires. En 1849 elle fonda la congrégation de l’Adoration réparatrice, approuvée par Mgr Sibour, arch. de Paris, en 1851, et par le Saint-Siège, en 1853. Son grand désir fut la fondation d’un institut des prêtres consa­crés à l’adoration réparatrice. Il y eut le premier essai avec Mgr Luquet, mais son ré­sultat fut négatif. La spiritualité de la Mère Marie Thérèse repose sur Nazareth qu’elle contemplait comme le mystère de l’Hostie Sainte: silence, solitude, pureté, lumière. Les trois heures d’adoration quotidienne de ses soeurs devaient être marquées: le ma­tin, par la méditation de la vie de Jésus: le soir, par la contemplation de son état de con­science; de nuit, par l’union aux mystères de sa passion. Le début de la première œuvre, rue d’Ulm, remonte à 1861, avec la construction de la célèbre chapelle de l’adora­tion réparatrice. Mère Marie Thérèse mourut à Paris le 30.8.1863.
9)
Ramière (Henry), jésuite, thèologien, né à Castres (diocèse d’Albi), le 10.7.1821, mort à Toulouse le 3.1.1884. Il fut professeur de philosophie et de théologie au scolasticat de Vals, ensuite, professeur de philosophie du droit et de théologie à l’Institut Ca­tholique de Toulouse. Son principal mérite fut d’avoir développé et répandu presque dans le monde entier l’Apostolat de la prière, hérité du P. Gautrelet en 1861. Il le fit en se servant en particulier du Messager du Sacré-Cœur qu’il fonda et dirigea jusqu’à sa mort. Il assista au 1er Concile du Vatican en tant que théologien de l’év. de Beauvais et publia à Rome un Bulletin du Concile (36 nos: 16.12.1869-20.8.1870), où on peut suivre les controverses autour de l’infallibilité qu’il défendit vivement par plusieurs écrits apo­logétiques. De 1870 à 1873, il publia dans le périodique Etudes dont il fut directeur, de nombreux articles contre le liberalisme et il en fit paraître d’autres, consacrés aux questions d’actualité, dans d’autres revues. Ses meilleures œuvres restent ses écrits consacrés à la Ligue et à la dévotion au Sacré-Cœur: Les espérances de l’Eglise (Toulouse, 1861); L’Apo­stolat de la prière (ibidem, 1859) qui connut plusieurs éditions, toujours mieux révisées, et de nombreuses traductions; ainsi que les trois volumes posthumes prenant leur origine dans ses articles parus dans le Messager et classés par le P. E. Laborde: Le mois du Sacré­-Cœur de Jésus (ibidem, 1890): Le Cœur de Jésus et la divinisation du chrétien (ibidem, 1891); Le règne social du Sacré-Cœur (ibidem, 1892).
10)
Lyonnard (Jean s. j.). – Né à Remoulins (Gard) le 27 déc. 1819, il fit ses études au petit séminaire d’Avignon et, après sa philosophie chez les jésuites de Mélan, fut re­çu en leur noviciat d’Avignon en 1839. Il acheva sa formation par la théologie au scola­sticat de Vals-près-Le Puy en même temps que les PP. Ramière, de Foresta, Drevon, et fut ordonné prêtre en 1847. Après avoir été préfet ou père spirituel en divers collèges, surtout Sarlat et Mende, il passa au grand séminaire de cette ville, chargé de cours de prédication, d’histoire religieuse et de direction spirituelle. Il fit un nouveau séjour à Sarlat en 1865, mais au bout de trois ans sa santé l’amena à exercer son ministère à la résidence de Pau. Nommé à Vals en 1882, il y mourut le 9 janv. 1887. Religieux fer­vent et très mortifié, mystique épris d’apostolat, il fut très tôt séduit par la dévotion à l’Agonie du Christ, qui est au centre de toutes ses publications, une dizaine d’ouvrages et autant d’articles dans Le Messager du Cœur de Jésus. Parurent sous l’anonymat La dévo­tion au Cœur agonisant de Jésus (1850), traduite en anglais et en italien, et Le Cœur agoni­sant de Jésus et les agonisants (1852), qui compta plusieurs éditions. Mais son ouvrage ca­pital est L’apostolat de la souffrance (1866), composé à Sarlat, plusieurs fois réédité (der­nière éd., 1926) et traduit en plusieurs langues. Il créa l’Archiconfrérie de Jésus agoni­sant, dont le siège fut établi à Jérusalem en 1864 et qui fut reconnue par Pie IX en 1867. Par ses soins, on vit longtemps dans toutes les sacristies l’invitation à prier à la messe pour les agonisants, suivie de l’oraison Clementissime… à leur intention. C’est sous son impulsion qu’à Mende, en 1859, une Lyonnaise, M.me Trapadoux, créa l’In­stitut du Cœur agonisant de Jésus qui le revendique pour son fondateur (C H A D).
11)
Chatelain (Louis-Jean), né à St-Quentin le 5.1.1873; profession le 26.9.1891, ordi­nation le 27.8.1899; quitte la congrégation.
12)
Sonnois (Alphonse-Marie-Etienne), cf. NQ vol. 2°, note 83, p. 646.
13)
Dolci (Angelo), né à Civitella d’Agliano, le 12.7.1865, nommé évêque de Gubbio le 19.4.1900.
14)
Cf. NQ vol. 2°, note 10, p. 608.
15)
Cf. NQ vol. 2°, note 36, p. 623.
16)
Cf. NQ vol. 2°, note 59, p. 649.
17)
Sangnier (Marc) petit-fils de Lachaud, grand avocat du second Empire, est né à Paris, le 3 avril 1873. Il fit ses études au collège Stanislas, et fut élève de l’École Poly­technique. Il fonda le mouvement d’éducation populaire qui prit le nom Sillon et le journal quotidien La Démocratie puis, après la dissolution du Sillon, la ligue de la jeune­-République; enfin, après la guerre, le Comité international d’action démocratique pour la paix. Marc Sangnier fut élu, le 16 novembre 1919, député du IIIe secteur de Paris. Toujours son programme fut essentiellement un programme de paix: paix religieuse, paix sociale, paix internationale. Parmi ses principaux ouvrages il faut mentionner: L’esprit démocratique, La vie profon­de, Aux sources de l’éloquence, Discours. Ajoutons que Marc Sangnier n’a cessé d’être l’âme de cet important mouvement so­cial, qui, sous le nom général de La Démocratie, comprend tant d’œuvres utiles à divers titres: ligues, comités, revues, journal, imprimerie, hôtel-restaurant du Foyer, restau­rants populaires, maison de repos et de vacances. M. Sangnier mourut à Paris le 28.5.1950.
18)
C’est la célèbre encyclique Depuis le Jour, de Léon XIII.