Au milieu de toutes ses occupations et de toutes ses sollicitudes, le Saint-Père voulut bien accorder une audience aux sténographes avant le Concile, pour nous bénir et nous encourager. Ce fut le 30 novembre, fête de l'Apôtre Saint-André. Le Saint-Père passa en revue son petit bataillon de secrétaires. Nous étions groupés par nations. Notre directeur lut une adresse. Le Saint-Père dit quelques mots aimables à chacun. Nous étions prêts et armés pour la campagne qui s'ouvrait, et la bonté du Saint-Père enflamma notre zèle.
Le Saint-Père tint le 2 décembre à la Chapelle Sixtine une congrégation présynodale. Il voulait, dans une allocution aux Pères du Concile, leur dire sa joie, son affection. Il leur donnait en même temps le règlement des travaux, etc.; il désignait les cardinaux présidents.1) Il recevait le serment dès officiers du Concile qui promettaient de remplir leur emploi avec zèle et de garder le secret.
Elle était bien belle l'allocution présynodale de Pie IX. Elle fit impression sur tous ceux qui la lurent avec simplicité et dans un bon esprit. Après avoir témoigné son affection fraternelle aux Pères du Concile et après avoir invoqué le secours de Dieu, Pie IX prévoyait les difficultés et les orages que la sainte assemblée rencontrerait sur son chemin. «Non deerunt certe nobis, una licet in Christi nomine coniunctis, non deerunt contradictiones ac dimicationes subeundae». L'ennemi de tout bien ne manquera pas de semer la zizanie: «Nec inimicus homo segnis erit, nil magis cupiens quam superseminare zizaniam». Mais nous nous souviendrons, disait Pie IX, de la fermeté des Apôtres, nos modèles, nous nous souviendrons de Notre-Seigneur et nous resterons unis. Ne sommes-nous pas déjà, ajoutait-il, aguerris à la lutte, dans les temps difficiles que nous traversons? «In ea enim conditione constituti sumus, ut in acie adversus multiplices eosdemque acerrimos hostes diuturna jam contentione versemur». Nous recourrons aux armes spirituelles, à la charité, à la patience, à la prière, à la constance. Nous contemplerons le Sauveur sur la Croix et nous trouverons à ses pieds la force et le courage pour surmonter les calomnies, les injures et les embûches de nos ennemis. Puis le Saint-Père redisait la prière du Sauveur pour l'union, et il invoquait le secours de la Vierge Immaculée, et il avait bien le droit d'y compter, lui qui l'avait tant glorifiée en proclamant le privilège de sa Conception sans tache.2)
Le règlement des travaux du Concile était distribué aux Pères dans cette même réunion présynodale. C'était la constitution Multiplices inter,3) qui parut fort sage à la plupart des Pères, mais qui en froissa quelques-uns, ceux qui étaient habitués à l'usage des parlements en Hongrie et en France, et leurs amis. Ceux-là auraient voulu que le Concile fût maître de son règlement et le rédigeât lui-même. Je crois, moi, que le Concile y eût perdu trois mois. Le Saint-Père déclarait qu'il avait fait préparer des projets de constitutions par les théologiens conciliaires, mais il les présentait à la libre discussion du Concile et ne voulait leur donner à l'avance ni approbation, ni autorité: «Volumus et mandamus ut schemata decretorum et canonum, quae Nos nulla nostra approbatione munita integra integre Patrum congregationi reservavimus, iisdem Patribus in congregationem generalem collectis ad examen et judicium subjiciantur».4) Il instituait quatre grandes commissions qui seraient élues par le Concile et qui se partageraient le travail comme avaient fait les commissions des théologiens conciliaires. L'une traiterait de la foi, l'autre de la discipline, la troisième des réguliers, la quatrième des rites orientaux et des missions. Elles se composeraient de vingt-quatre Pères élus et d'un cardinal président nommé par le Pape. Elles seraient aidées par les théologiens conciliaires. Elles réviseraient les schemata d'après les discours et les observations des Pères et les présenteraient aux discussions et aux votes des congrégations générales. C'était assez libéral. Mais il y avait chez les gallicans une prévention violente contre les schemata préparés par des commissions de théologiens ultramontains.
Il y eut donc dès le premier jour bien des nuages à l'horizon.
Le lendemain de la congrégation présynodale, le 3 décembre, les sténographes furent réunis dans la chapelle privée de Mgr Joseph Fessler, secrétaire général du Concile, évêque de Saint-Polten (S. Hippolyti) en Autriche. Là nous eûmes à lire la profession de foi de Pie IX et à prononcer le serment de dévouement à notre mission et de fidélité au secret.5) Nous avions reçu ainsi l'investiture définitive de notre charge. Dès lors, nous reçûmes comme les évêques tous les documents conciliaires. Ils nous étaient nécessaires pour remplir notre charge avec intelligence.
Quel beau jour! Quel spectacle émouvant! Autour du Vicaire de Jésus-Christ, législateur et chef suprême de l'Église, tous les successeurs des Apôtres, tous les pasteurs des diocèses se sont réunis pour rendre témoignage à la doctrine de l'Évangile.
C'est Pierre vivant et parlant sur son tombeau, et autour de lui, sur ce même tombeau, toute l'Église. Elle s'apprête à écouter l'Esprit-Saint et à proclamer ses enseignements: «Paraclitus autem Spiritus Sanctus, quem mittet Pater in nomine meo, fille vos docebit omnia, et suggeret vobis omnia, quaecumque dixero vobis» (Ioa. 14, 26).
On voit ailleurs des assemblées délibérantes. Nos capitales ont leurs corps législatifs. Leur tâche serait belle aussi, s'ils savaient-la remplir; ils devraient procurer le salut et la prospérité des nations. Mais le plus souvent ces assemblées ressemblent au premier grand conseil qui s'est tenu sur la terre et elles se proposent de construire un édifice qui devient la tour de Babel.6)
Mais aujourd'hui, quel est le but de cette assemblée de pontifes? Le Saint-Père l'a tracé dans la Bulle d'indiction: «Ce Concile œcuménique aura donc à examiner avec le plus grand soin et à déterminer ce qu'il convient de faire, en ces temps si difficiles et si durs, pour la plus grande gloire de Dieu, pour l'intégrité de la foi, pour la beauté du culte divin, pour le salut éternel des hommes, pour la discipline du clergé régulier et séculier et son instruction salutaire et solide, pour l'observance des lois ecclésiastiques, pour la réformation des mœurs, pour l'éducation chrétienne de la jeunesse, pour la paix commune et la concorde universelle. Il faudra aussi travailler de toutes nos forces, avec l'aide de Dieu, à éloigner tout mal de l'Église et de la société civile; à ramener dans le droit sentier de la vérité, de la justice et du salut, les malheureux qui se sont égarés; à réprimer les vices et à repousser les erreurs, afin que notre auguste religion et sa doctrine salutaire acquièrent une vigueur nouvelle dans le monde entier, qu'elle se propage chaque jour de plus en plus, qu'elle reprenne l'empire, et qu'ainsi la piété, l'honnêteté, la charité et toutes les vertus chrétiennes se fortifient et fleurissent pour le plus grand bien de l'humanité ».7)
Tel sera le noble but de cette assemblée, la plus auguste de la terre. De bonne heure, le matin du 8 décembre, une foule immense remplit la basilique de Saint-Pierre. Une multitude de pèlerins de toutes les nations sont venus se joindre aux Romains pour saluer le Concile au jour de son ouverture. Les prélats ont été convoqués dans la vaste chapelle qui est située au dessus de l'atrium. Ils sont là près d'un millier: cardinaux, patriarches, primats, archevêques, évêques de tous pays et de tous rites. A huit heures le Saint-Père arrive au milieu d'eux et les bénit. Tous s'agenouillent. Le Saint-Père entonne le Veni Creator et la procession s'organise. Et ce flot de prélats descend vers la basilique. Ils s'avancent deux à deux. La petite armée pontificale maintient le passage libre. Les prélats défilent en chantant le Veni Creator, ils vont à l'autel de la Confession. Chacun dans la foule reconnaît les siens. On se montre ceux que leur science et leur éloquence ont rendu célèbres, ceux qui viennent de loin, ceux qui ont fondé des églises nouvelles chez les peuples barbares, ceux qui ont souffert pour la foi. Les latins ont la mitre blanche, les orientaux ont leurs couronnes semblables à celles des rois.8) Le Saint-Sacrement est exposé sur l'autel majeur et quand les prélats l'ont adoré, ils se rendent à la salle conciliaire.
Puis le Saint-Père arrive. La foule ne sait pas retenir ses acclamations malgré la gravité et la solennité qui s'accomplit.
Nous étions là nous aussi les sténographes au dernier rang, comme il convenait à notre modeste fonction: «Ultimo loco, post offaciales, incedent stenographi, veste talari induti».9) Mon cœur battait bien fort, et je priais pour l'Église tout en admirant cette imposante manifestation de son unité et de sa sainteté.
Le Saint-Père adora le Saint-Sacrement, chanta les oraisons du SaintEsprit et de la Sainte Vierge et se rendit à la salle conciliaire.
Tous les prélats avaient été placés selon leur rang. Comme nous n'avions rien à écrire aux sessions solennelles, nous occupions les tribunes supérieures, au-dessus des tribunes réservées aux princes et aux ambassadeurs.
Le cardinal doyen du Sacré Collège chanta la messe de l'Immaculée Conception.10) Après la messe, le Concile entendit un sermon d'un évêque de l'ordre des Capucins, Mgr Passavalli, archevêque d'Iconium.
Le pieux religieux était natif de Trente et sa fonction rappelait le dernier Concile oecuménique. Il prit pour texte la parole de David: «Euntes ibant et flebant mittentes semina sua, venientes autem venient cure exultatione portantes manipulos suos» (Ps. 125, 6). Il rappela les tristesses du temps présent et exprima les espérances que le Concile faisait concevoir. Le thème était bien choisi. Les développements furent beaucoup trop longs.11)
Après le discours, le Saint-Père donna sa bénédiction, puis il revêtit les ornements sacrés comme pour la messe, pendant qu'on récitait le psaume Quam diletta tabernacula tua. [Ps. 83].
Alors eut lieu la touchante cérémonie de l'obédience. Tous les Pères du Concile allèrent tour à tour rendre au Saint-Père l'hommage de leur humble soumission. Les cardinaux embrassaient ses mains, les évêques ses genoux, les abbés et supérieurs d'Ordre son pied. Quel magnifique témoignage de l'unité de l'Église et des liens de la charité et de l'obéissance qui fortifient et perpétuent cette unité!
Après l'obéissance, tous les Pères s'agenouillèrent et le Pape seul debout prononça cette magnifique prière et profession de foi: Adsumus, Domine, Sancte Spiritus, etc. Je traduis: «Nous voici, Esprit divin, nous voici humiliés par nos fautes et cependant réunis en votre nom. Venez à nous, demeurez avec nous, daignez vous répandre en nos cours. Enseignez-nous ce que nous devons faire, où nous devons tendre; montrez-nous ce qu'il faut faire avec votre concours pour vous être agréables. Soyez notre salut et l'auteur de nos jugements, Vous qui seul avec Dieu le Père et son Fils possédez un nom glorieux. Ne souffrez pas que nous troublions la cause de la justice, vous qui aimez la souveraine équité. Que l'ignorance ne nous entraîne pas, que la faveur ne nous fléchisse pas, que les dons et l'amitié ne viennent pas nous corrompre. Mais unissez-nous efficacement à vous par le don de votre grâce, pour que nous soyons un en vous, que nous ne nous écartions en rien de la vérité, de sorte que réunis en votre nom, nous sachions unir la justice à la piété, que nos jugements se conforment aux vôtres et qu'ayant accompli notre devoir nous en recevions la récompense éternelle».
Quelle profonde impression produisit ensuite dans tous les cours le chant des litanies! L'Église militante associait à ses combats l'Église triomphante. Au cours des litanies, trois fois le pontife suprême bénit le Concile: Ut hanc sanctam Synodum et omnes gradus ecclesiasticos benedicere, regere et conservare digneris, te rogamus audi nos.
Quel contraste avec nos pauvres assemblées politiques, qui ne savent plus invoquer Dieu avant leurs travaux!
Puis le cardinal diacre chanta l'Évangile12) et le livre des Évangiles fut déposé sur l'autel.
Alors le Saint-Père fit lire13) son allocution au Concile.14) Elle était bien bonne encore cette allocution. Je la résume: Notre cœur exulte d'allégresse en voyant cette belle assemblée conciliaire se réunir sous les auspices de la Vierge Immaculée, et en vous voyant, vous qui partagez notre sollicitude dans le gouvernement de l'Église réunis ici plus nombreux que jamais.
Vous êtes réunis au nom du Christ pour rendre avec nous témoignage à la parole de Dieu, pour enseigner aux hommes la voie du salut et pour juger des oppositions qui se voilent sous le nom de la science (ut de oppositionibus falsi nominis scientiae judicetis: 1 Tim. VI, 20; Nobiscum Spiritu Sancto duce iudicetis: Act. Ap. XV, 19).
Vous savez combien l'Église est attaquée par des ennemis puissants qui mettent en avant le prétexte de la liberté (Velamen habentes malitiae libertatem: 1 Pet. II, 16). Les droits respectifs sont violés, les liens de la justice et de l'autorité sont relâchés: Mais l'Église, comme le remarque Saint-Chrysostome, est plus puissante que tous ses ennemis. Le ciel et la terre passeront et les paroles du Christ ne passeront pas et quelles sont ces paroles: « Tu es Petrus et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam et portae inferi non praevalebunt adversus eam » (Mt. XVI, 18).
Notre cœur déborde d'affection. En voyant, il nous semble voir toute l'Église, et nous pensons à tant de gages d'amour que nous avons reçus, à tant de bonnes œuvres accomplies sous votre direction. Nous ne pouvons résister au désir d'exprimer en votre présence notre reconnaissance pour tous les fidèles, et nous prions Dieu pour que le témoignage de leur foi, plus précieux que l'or (1 Pet. I, 7), soit agréé de Dieu.
Nous pensons ensuite à la misérable condition de tant d'hommes qui se trompent sur la réalisation du vrai bonheur et nous désirons pourvoir à leur salut.
Nous portons aussi nos regards sur cette ville privilégiée qui, grâce aux secours de Dieu, n'a pas encore été livrée en proie aux nations, et nous nous félicitons de l'amour et de la fidélité de notre peuple.
Nous nous réjouissons aussi dans le Seigneur de votre zèle et de votre union très étroite avec nous et avec le Saint-Siège…
Après cet épanchement cordial, le Saint-Père invoquait le Saint-Esprit, la Vierge Immaculée, les Saints Apôtres Pierre et Paul et tous les Saints.
Comme on retrouve dans cette allocution l'esprit de Pie IX! Il est toujours bon, toujours pieux, mais il est toujours fin aussi. Très adroitement, dès le premier jour, et comme sans y toucher, il a condamné le libéralisme, il a revendiqué les droits temporels de la Papauté et il a recommandé aux Pères du Concile l'union avec lui et le Saint-Siège. Il sut nous dire toutes ces bonnes choses en cinq pages, tandis que l'Excellent Mgr Passavalli en avait écrit dix pour dire beaucoup moins de choses.
Après l'allocution de Pie IX, on chanta de nouveau le Veni Creator, puis toutes les personnes non-conciliaires se retirèrent, et les Pères du Concile votèrent deux décrets qui étaient seulement la déclaration d'ouverture du Concile et la fixation de la seconde session au 6 janvier. Tout se termina par le chant du Te Deum.15)
Puis on se retira par une pluie battante. Beaucoup d'évêques pauvres allaient à pied, portant leurs insignes sous le bras. D'autres montaient à quatre dans une mauvaise voiture. Il est manifeste que le clergé n'a plus les richesses qui portaient ombrage à quelques-uns dans les siècles passés.
La salle des réunions est fort imposante et ne défigure pas trop la basilique. Un décor extérieur la met en harmonie avec le style de l'église.16) Mais cette belle salle est trop vaste, on ne s'y entend pas. Les voix vont se perdre dans l'immensité de la basilique.17) Ce sera un des griefs des opposants, qui ont les goûts parlementaires. On les satisfera autant que possible par des appropriations. La salle sera recouverte d'un vélum et raccourcie par une cloison pour les congrégations.
C'est cependant bien bon de se sentir là auprès des tombeaux de St. Pierre et de St. Paul et d'un grand nombre de Papes et de martyrs, auprès des grandes reliques de la Passion. Les maîtres de la doctrine et de l'éloquence sacrée reposent là: St. Léon et St. Grégoire le Grand, St. Chrysostome et St. Grégoire de Naziance. On y respire la pure doctrine de l'Évangile, et les murs parleraient si les esprits voulaient s'égarer dans des sentiers profanes.
Pour moi, j'éprouvai une grande jouissance à passer mes journées pendant quelques mois dans ce sanctuaire qui est aujourd'hui le plus saint de toute la terre. «Quam dilecta tabernacula tua, Domine … melior est dies una in atriis tuis quam millia … in tabernaculis peccatorum» [Ps. 88, 2. 11].
Au dehors de la salle sur le fronton qui surmonte la porte, on a peint une figure du Christ, au-dessus de laquelle on lit ces mots: Docete omnes gentes. Tous les fidèles en visitant Saint-Pierre pouvaient lire cette sentence qui leur rappelait l'autorité doctrinale des Apôtres et de leurs successeurs. Le long de la frise intérieure de la basilique, on avait écrit en grandes majuscules d'or l'année du centenaire des Apôtres, les textes évangéliques qui se rapportent à l'autorité de Pierre et dé ses successeurs. La partie de cette frise qui couronnait la salle conciliaire comprenait ces paroles: «Rogavi pro te ut non deficiat fides tua… Confirma fratres tuos» [Lc. XXII, 32].
C'était un à-propos providentiel.18)
* * *
Circa l'adattamento dell'aula conciliare, nell'Epistolario si trovano i seguenti accenni:
Lettera del 12 ottobre 1863 all'amico Palustre: «… L'installation du Concile est assez heureuse. On a établi avec goût un amphithéâtre dans le transept droit de Saint-Pierre sans déparer la basilique et on a fermé les trois chapelles les plus voisines pour y installer les dépendances et accessoires de la salle des séances. J'espère beaucoup du Concile. Outre l'effet de ses décrets il y aura un frottement entre les romains et les étrangers où chacun aura à gagner. Il y a une certaine lumière propre à notre siècle dont les romains ont un peu besoin d'être éclairés et dont les autres se trouvent bien d'être éloignés pendant quelque temps pour ne pas en être éblouis…».
Lettera del 16 ottobre 1869 ai genitori: «… Les préparatifs du Concile s'achèvent. L'amphithéâtre est à peu près terminé dans Saint-Pierre. Il ne dépare pas du tout la basilique. Il y a place pour 700 évêques. Leurs théologiens seront dans les tribunes. Les sténographes seront probablement dans le centre de la salle autour d'une table ovale. Avant de fixer notre place on doit essayer comment on entendra…».
Lettera del 4 novembre 1869 ai genitori: «… Le grand jour de l'ouverture approche et déjà Rome est remplie d'étrangers.
Le corps sténographique a été présenté il y a 4 jours au secrétaire général du Concile Mgr Fessler, évêque allemand très aimable et très distingué. Nous prêterons dans quelques jours entre ses mains le serment de garder le secret sur les travaux des séances secrètes du Concile jusqu'à leur publication.
Nous sommes aussi allés en corps faire l'essai du grand amphithéâtre des séances à Saint-Pierre. Nous avons constaté qu'on s'y entendait assez bien et on a déterminé la place de la tribune et la nôtre.
Si vous le voulez bien je vous abonnerai pour 6 mois à la Correspondance de Rome (pr. 10 fr.). Les journaux politiques français vous donneront des nouvelles inexactes sur le Concile, à moins qu'au lieu de la France vous ne receviez un journal d'un bon esprit comme l'Union… ».
Lettera del 5 febbraio 1870 all'amico Palustre: «… Tu ne ménages pas dans ta dernière lettre ni Veuillot ni les architectes de Rome. Je savais que tu n'aimais. ni ceux-ci ni celui-là. Tu les juges avec ton ardeur habituelle. Tu pourrais être un peu plus indulgent pour des hommes qui ne manquent ni de talent ni de bonne volonté… Quant aux architectes de la salle du Concile, ils l'avaient disposée avec goût et avaient admirablement tiré parti de l'emplacement qu'on leur avait assigné, sans laisser ignorer qu'il serait difficile de s'y entendre. Ils ont depuis habilement tiré parti de ce qui existe en séparant pour les congrégations par une tenture une partie de la salle où les évêques se resserrent et s'entendent parfaitement…».
Les Pères étaient au nombre de sept cent trente-sept à Rome dès la première session. Sept cents seulement prirent part à la session.19) D'autres arrivèrent peu à peu. La hiérarchie pontificale comprenait environ un millier de sièges.20)
Il y avait quatre patriarches orientaux, deux de rite grec, un chaldéen et un arménien, et quarante archevêques et évêques des rites orientaux.
On comptait plus de cent vicaires apostoliques.
On constatait le retour progressif des pays anglais à la foi catholique. Le Concile de Trente n'avait que quatre évêques de langue anglaise, un d'Angleterre et trois d'Irlande. Le Concile du Vatican en comptait cent vingt, venus du Royaume-Uni, de l'Amérique, de l'Australie et des Indes.
Sans le latin, cette vaste assemblée eût dégénéré en une Babel de langues. Grâce à la langue latine, les prélats purent facilement échanger leurs idées. Tous ne la parlaient pas avec la même facilité, mais tous pouvaient la comprendre aisément, sauf quelques orientaux, et tous pouvaient remettre aux commissions leurs vœux et leurs observations en langue latine.
Il y avait bien des nuances dans la prononciation21) et l'on vit souvent les premiers jours un sourire échapper à la gravité des évêques ou des cardinaux italiens, quand ils entendaient parler la langue de Cicéron avec des inflexions et une prononciation peu familières à leurs oreilles. Mgr Pie appliquait spirituellement à cette variété le texte sacré: «Multifariam, multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis» [Hebr. I, 1]. Mgr Mermillod disait: Ma voix, mes Révérends Pères, est française, mais mon cœur est romain.
Nous autres sténographes, nous avions quelque peine à nous retrouver dans cette variété. Les Anglais étaient terribles par leur prononciation, les Espagnols et les Hongrois parleur volubilité. Les Français n'ont pas brillé par l'élégance ou la correction de leur latinité. Mgr Verot, évêque missionnaire de Savannah et Mgr Bravard, évêque de Coutances, se payaient sans scrupules de nombreux barbarismes. Leur latin répondait à ce spécimen: Columbus discooperuit Americam. Un évêque d'un grand siège, mécontent d'un schéma, s'écriait: Abeat quo volebit. Peu importe, on se comprenait.
La présence des vicaires apostoliques offusquait certaines gens. Ils n'avaient pas un siège fixe ni un diocèse formé, ils ignoraient les choses de l'Europe et ne suivaient pas le courant de la science, etc.22) Louis Veuillot, dans L'Univers, formula l'objection avec esprit et y répondit avec une verve et une chaleur qui vengèrent brillamment ces généreux apôtres du Christ.
«Coquelet, disait-il, se dépite de voir au Concile tant de Vicaires Apostoliques. Il en parle dans les cafés, il en écrit dans les journaux:
Prétendent-ils faire des lois pour les nations civilisées, ces hommes séparés des choses de l'Europe? Attestent-ils la foi antique des peuples, ces pasteurs de petits troupeaux sauvages, épars à travers les déserts de l'infidélité? Sont-ils libres, ces pontifes errants, exclusivement soumis au Pape et à qui le Pape peut ôter leur Siège imaginaire quand et comme il lui plaira?… Tel est le raisonnement de Coquelet, chevalier de plusieurs ordres et correspondant de plusieurs journaux, galant homme, homme pieux, mais en ce moment fort piqué contre le Saint-Esprit…
Il donne à entendre que les Vicaires Apostoliques oppriment les autres évêques, à ses yeux seuls réguliers et libres. Suivant Coquelet, l'évêque complètement régulier doit avoir palais, carrosse et journal, et diriger des gens «comme il faut», et l'évêque complètement libre doit relever de quelque gouvernement qui le lie de quelque concordat. Dans le mariage de l'évêque et de l'Église, Coquelet veut l'intervention de monsieur le Maire.
Les Vicaires Apostoliques n'ont point ces consécrations, n'offrent point ces garanties, Coquelet les récuse. Ils sont, dit-il, plus au service particulier du Pape, qu'au service légal de l'Église et de l'État. Ils ont été appelés de la Chine, du japon, de la Polynésie, des Montagnes-Rocheuses, de cent autres lieux bizarres, pour fabriquer l'infaillibilité. Après quoi, sans aucun souci des tourments qu'ils laisseront à l'Europe, ils iront jouir des sécurités de leur lointain séjour… Assurément ces divers aperçus de M. Coquelet sont très impertinents, injurieux, et absurdes ».
La réponse à ces sottises est facile: Est-ce que les Pères du Concile de Nicée n'étaient pas tous comme des vicaires apostoliques? N'avaient-ils pas des troupeaux peu nombreux et des diocèses fort instables en pays païens? Et cependant ce Concile n'est-il pas de tous le plus vénéré? Seraient-ils moins aptes à témoigner de leur foi, des hommes qui ont eu le courage de la propager au péril de leur vie, des hommes qui ont souffert pour elle toutes les privations et parfois la prison et les tortures, comme les Pères de Nicée et nos vicaires apostoliques? Constantin baisait les mains cicatrisées des évêques confesseurs de la foi et nos gallicans leur jettent l'insulte et le mépris. De quel côté sont la grandeur d'âme et l'esprit chrétien?
«Ces hommes apostoliques sont le printemps de l'Église; ils lui font revivre ses premiers jours, parés de fleurs, empourprés de sang, éclatants de miracles. Riche de leur vertu ardente et victorieuse, elle les montre au monde qui croit l'avoir appauvrie; à meilleur titre que l'antique Romaine, elle dit: Voilà mes joyaux et ma beauté! Mais ils sont aussi l'honneur et la consolation de notre siècle. Une grâce de Dieu a visité sa misère, et cette légion d'apôtres, illustrée de la palme des martyrs, vient décorer son histoire triviale, pleine de fourbes, de meurtriers et d'histrions… Ils sont venus à Pierre et ils lui ont dit: Donne-nous un lambeau des royaumes de la nuit, afin que nous y portions le jour. Envoie-nous à la faim, à la soif, aux tortures, dans toutes les ombres de la mort. Il y a là des multitudes qui dorment et que nous voulons réveiller. Elles sont au Christ et à toi; nous les voulons rendre au Christ par toi. Envoie-nous, agrandis-toi du monde. Pierre leur a partagé le monde. Ils sont donc ici, nous les voyons. Ils sont partis, plusieurs sans même savoir où ils allaient, pieds nus et les mains vides. Ils reviennent pieds nus, mais chacun dans ses mains rapporte un. peuplé et fait asseoir avec lui dans le Concile cet accroissement de la famille du Christ… A l'appel de Pierre, ils sont venus chargés de leurs dépouilles sublimes. Les voilà dans la ville dé César devenue la ville du Christ. Triomphateurs qui n'ont versé que leur sang, conquérants qui ont créé des peuples au lieu d'en détruire! Pierre, leur chef et leur père, nous apparaît dans ce cortège que n'eut jamais César, et dont lui-même ne fut jamais entouré. Jadis il vit autour de lui tous les rois inclinant leurs couronnes, cette pompe est surpassée. Ces créateurs et ces pasteurs de peuples l'environnent de plus d'amour, lui assurent plus d'empire…
S'en allant loin de nous; ces hommes de Dieu n'ont pas rompu avec nous, au contraire le lien de la charité qui les attache à la patrie s'est serré davantage, leur âme en a senti l'étreinte plus véhémente. Ils ont prié, ils ont offert leurs sacrifices et Dieu a été patient. Nous saurons un jour quel rempart a été l'humble sonde la propagation de la foi. En attendant, et c'est assez, nous avons ce spectacle inénarrable: cent Vicaires Apostoliques dans le Concile! Quel problème pour les sages, au déclin de ce siècle qui fut encore en son commencement le siècle de Voltaire, que l'on crut ensuite nommer le siècle de Napoléon! Le nom du siècle honorera davantage l'intelligence humaine. Il sera le siècle de Pierre, Vicaire du Christ, seul vrai conquérant à travers tant de batailles, seul vrai illuminateur parmi tant de systèmes, seul vrai législateur dans cette multitude de fabricateurs de constitutions…».
C'est les calomnier que de les tenir pour ignorants ou illettrés. Ils ont peu de livres dans leurs solitudes, mais ils les approfondissent davantage dans leurs longues heures de recueillement. Combien même ont produit dans ce siècle de livres de valeur: études d'histoire naturelle ou de linguistique, notes de philosophie, de théologie et d'histoire. Les livres de Mgr Meurin, du P. Aubry, du P. Leroy, dû P. Wicart sont la gloire des missions.
Ils n'ignorent pas non plus les choses de l'Europe et les choses du monde. «Ils n'ont pas seulement affaire à des sauvages. L'Europe est partout dans le monde. Si loin qu'ils aillent, les ballots et les marchands de l'Europe, et ses diplomates, ses aventuriers et ses soldats, les ont prévenus ou les suivent. La plupart du temps, c'est là précisément les poids lourds et la meurtrissure de leur croix. L'Europe ne voyage pas sans ses vices, sans ses sophismes, hélas! sans ses cruautés. Elle élève ces obstacles sur les pas dés missionnaires et verse ces immondices dans leurs cultures. Plus d'un rencontre à combattre tout à la fois le fanatisme cruel, de l'idolâtre barbare, l'arrogance haineuse de l'idolâtre lettré, l'hypocrisie du prédicant hérétique; la mauvaise volonté du représentant de l'Europe sectaire ou impie. Devant de tels adversaires, le missionnaire catholique, l'évêque surtout a besoin de la dignité et de la science du prêtre… En se montrant unanimes et immuables pour l'infaillibilité du Chef de l'Église, les Vicaires Apostoliques ont renversé tout l'argument que le parti contraire comptait tirer des répugnances prétendues de l'hérésie et du paganisme… L'un de ces hommes que leur cœur ne porte pas à négliger l'intérêt des âmes et qui donnent au contraire leur vie pour les sauver (Mgr Bonjean, Vic. ap. de Jafna en Ceylan) réfuta victorieusement les arguties gallicanes et tous les autres confirmèrent la parole de leur collègue, attestant comme lui que l'infaillibilité de Pierre était le besoin et non pas l'épouvante de l'humanité ».23)
Plusieurs de ces apôtres avaient souffert pour la foi. Mgr Ridel et Mgr Petitjean ont été traqués par les satellites des mandarins en Corée et au japon. Un autre aux Indes a vécu plusieurs mois dans les flancs d'un vieil arbre séculaire.
L. Veuillot a peint, comme il sait le faire, un épisode choisi dans la vie de ces confesseurs de la foi: «L'un d'eux, alors simple missionnaire envoyé par son évêque dans un canton éloigné, pour étudier si l'on y pouvait établir un prêtre, arriva au terme de sa course sans argent et sans moyens de revenir. De son dernier dollar, il avait acheté un flacon de vin, afin de pouvoir dire la messe, ressource suprême et unique pour résister aux tortures de l'abandon. En ce lieu vivaient des hommes, des Européens et parmi eux des Français. Il les avait salués dans la langue de la patrie, et ces hommes, parce qu'il était prêtre, ne lui avaient pas répondu. Il s'établit sous un arbre, à quelque distance des maisons où il ne pouvait espérer un abri, et il vécut dés semaines entières, sans pain, de racines inconnues qu'il essayait à tout risque et de coquillages qu'il mangeait crus. Mais la dureté persévérante des hommes et la longue impuissance de sa prière était un plus grand tourment. Parfois quelque habitant du village, passant, lui jetait une injure et s'éloignait… Un jour, il vit venir à lui un jeune homme grand et beau, qui lui dit pour première parole: En grâce, avez-vous à manger? C'était un prêtre envoyé à sa recherche par l'évêque. Il était mourant de fatigue et de faim… Il se coucha par terre, implorant un peu de nourriture… Peu de jours après, les deux missionnaires… se dirent: Nous mourrons ici. Que l'un de nous fasse effort et célèbre une dernière messe: il communiera l'autre et nous bénirons Dieu. C'était le jour de l'Assomption. Ils tirèrent au sort pour dire la messe. Le sort échut au premier arrivé. Il offrit le saint sacrifice pour son frère mourant, couché près de l'autel de terre, et pour lui-même qui comptait aussi mourir. Il dut s'y reprendre à vingt fois, désespérant souvent de pouvoir achever, et cette véritable messe dura près de trois heures. Enfin le moribond put donner la sainte hostie à l'agonisant et consommer le triple sacrifice où le prêtre et l'assistant s'immolaient euxmêmes avec la victime… La messe dite, le célébrant se coucha auprès de son compagnon et ils attendirent la mort. Elle ne tarda point. Dans la nuit le jeune prêtre expirait… Quelques passants se trouvèrent là quand vint le jour. Ils virent le cadavre et le mourant côte à côte. Ils en portèrent la nouvelle au village, et ces cœurs durs, comprenant ce qui s'était passé, s'amollirent enfin, ou plutôt le mort avait vaincu et Dieu déclarait sa victoire. Ils vinrent donc, apportant de l'eau fraîche et des aliments… Ce n'étaient plus les mêmes hommes. Au pied de l'autel, ils creusèrent une fosse, ils y descendirent le victorieux et beau cadavre; et ensuite portant dans leurs bras le malade, ils le soutinrent sur le bord de cette fosse, pour qu'il pût la bénir. Ils firent plus. A sa prière ils coupèrent un grand arbre et en firent une croix qu'ils plantèrent sur cette tombe déjà féconde. Ainsi la croix apparut et prit possession de ce nouveau domaine. Il y a là maintenant une ville, une église et des milliers de catholiques aussi dociles à la voix de leur évêque que chers à son cœur; et leur évêque est ce missionnaire d'abord si cruellement repoussé ».24)
J'ai eu le bonheur de connaître particulièrement Mgr Petitjean et Mgr Kobès. Mgr Petitjean avait toute la douceur et la sainteté d'un martyr. Il nous racontait ses durs labeurs du Japon et la joie qu'il avait eu de retrouver des chrétientés longtemps oubliées.
Mgr Kobès avait la piété d'un enfant ou d'un ange. Sa récréation consistait à fredonner sans cesse le Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Il avait déjà bien entamé sa santé par son séjour en Sénégambie et il se préparait à y retourner. Mgr Dubuis, de Galveston, était simple et bon comme un curé du vieux temps. Je l'ai rencontré chez Louis Veuillot et j'ai fait une promenade avec eux aux ruines de la vieille Rome et à Saint-Paul hors des murs. Je le soupçonne fort d'être le héros du récit pathétique que j'ai donné plus haut d'après Veuillot.
J'ai vu de près ces neuf cents prélats pendant huit mois et j'ai été frappé chaque jour de la dignité de cette assemblée et de la somme de science et de vertus qu'elle représentait. La terre n'a rien qui ressemble à ces réunions conciliaires. Qu'importe qu'il y ait quelques personnalités un peu banales dans cet ensemble étonnant d'hommes graves, doctes et pieux qui ont été préparés à ces hautes fonctions les uns par l'enseignement, les autres par l'apostolat ou le gouvernement de grandes paroisses. La plupart ont passé par les Universités et ont exercé le ministère dans les villes. Dire qu'ils ignorent les conditions de la société contemporaine, c'est ignorer soi-même ce que l'on dit.
Dans cette élite, il y avait une élite encore et quelques-uns tranchaient par leur réputation, leur habileté, leurs œuvres passées, leur éloquence.
Voici quelques noms qui furent particulièrement remarqués au Concile.
En Italie, les plus vénérés pour leur science et leurs travaux étaient: Mgr d'Avanzo, évêque de Calvi; Mgr Cugini, archevêque de Modène; Mgr Zinelli, évêque de Trévise; Mgr Arrigoni, archevêque de Lucques;25) Mgr Dusmet, archevêque de Catane, Mgr Ricciardi, archevêque de Reggio [Calabria].
Mgr de Catane était un Borromée, il avait trouvé son diocèse dans une situation lamentable et il avait tout réformé, les séculiers et les réguliers, avec une vigueur apostolique.
Trois évêques italiens parlèrent souvent, avec facilité, avec à propos et avec une aisance qui prouvait que la science théologique leur était très familière; c'est Mgr Gastaldi,26) évêque de Saluces, Mgr Gandolfi, évêque de Corneto [Tarquinia], et Mgr Ballerini, patriarche latin d'Alexandrie, résidant à Rome.
En Espagne, les noms les plus vénérés étaient ceux de Mgr Garcia Gil, archevêque de Sarragosse; Mgr Yusto, archevêque de Burgos; Mgr Montserrat, évêque de Barcelone; Mgr Monescillo, évêque de Jaën.
Les orateurs les plus diserts parmi les Espagnols furent: Mgr Monescillo, évêque de Jaën; Mgr Caixal y Estrade, évêque d'Urgel; Mgr Lluch, évêque de Salamanque; Mgr Paya y Rico, de Cuenca. Ces évêques étaient vraiment théologiens. Les dignités en Espagne sont données au concours. On reconnaissait au Concile les fruits de cette ancienne règle canonique. L'épiscopat espagnol semblait surpasser tous les autres. Mgr l'évêque d'Urgel parlait avec piété et énergie. Il parla souvent, très souvent, et finit même par fatiguer le Concile.
L'épiscopat allemand était tellement atteint par le germanisme (le gallicanisme d'outre-Rhin), qu'on eut de la peine à choisir quelques noms pour la commission de fide. On y porta Mgr Ledochowski, archevêque de Posen; Mgr Martin, évêque de Paderborn; et Mgr Senéstrey, évêque de Ratisbonne.
Les principaux évêques de l'Allemagne, le cardinal Rauscher, de Vienne, le cardinal Schwarzenberg, de Prague, le cardinal Melchers, de Cologne, Mgr Ketteler de Mayence, Mgr Hefele de Rottenbourg étaient tous opposés à l'infaillibilité.
Il en était de même des principaux évêques de Hongrie: Mgr Simor, archevêque de Gran; Mgr Haynald, archevêque de Kalocsa; Mgr Strossmayer, évêque de Sirmium. Ces prélats hongrois parlaient le latin avec une grande facilité. Ils y étaient habitués. Le latin est resté plus vivant en Hongrie que partout ailleurs. Il était encore en 1870 la langue officielle des tribunaux.
L'Angleterre était brillamment représentée par le cardinal Manning,27) de Westminster; Mgr Grant, de Southwark; Mgr Vaughan, de Plymouth; Mgr Clifford, de Clifton. L'Irlande par le cardinal Cullen, de Dublin; Mgr Leahy, de Cashel; Mgr Keane, de Cloyne.
Mgr Manning parla un jour une heure sans lasser le Concile. Mgr Leahy était le meilleur orateur des prélats de langue anglaise. Mgr Gibbons, quoique visiblement partial pour les gallicans, avoue dans ses mémoires sur le Concile que «la réplique de Mgr Leahy au cardinal-prince Schwarzenberg (adversaire de l'infaillibilité) fut un chef-d'œuvre de raisonnement et d'éloquence, tout imprégné d'une délicate saveur d'esprit irlandais».
L'Amérique avait aussi quelques prélats éminents: Mgr MacCloskey, archevêque de New-York; Mgr Spalding, de Baltimore; Mgr Kenrick, de St. Louis; et un jeune prélat alors peu connu, Mgr Gibbons, vicaire apostolique de la Caroline du Sud, qui est devenu depuis archevêque de Baltimore. Mgr Gibbons a écrit ses mémoires sur le Concile. Il a gardé un faible fort accentué pour les gallicans. Dans ses portraits des évêques conciliaires, il ne trouve à signaler parmi les évêques français que Mgr Darboy et Mgr Dupanloup, c'est court. Parler de l'épiscopat de France et du Concile et ne pas citer même Mgr Pie, c'est commettre une grosse faute de mémoire. Mgr Gibbons révèle sa pensée intime en faisant le portrait suivant de Mgr Strossmayer (le hardi tribun de l'opposition): «Il passait pour le prélat le plus éloquent du Concile, et il se sentit obligé de répudier certains sentiments hostiles au Saint-Siège qui lui avaient été faussement (? ? ?) attribués. Ses discours étaient toujours sûrs de captiver ses auditeurs, sinon de les convaincre. Ses périodes coulaient avec la grâce, la majesté et le rythme musical d'un Ciceron».
3
Il est vrai que Mgr Strossmayer parlait avec facilité et même avec éloquence, mais il a souvent blessé les sentiments dé la majorité du Concile, jusqu'à s'attirer les apostrophes les plus sévères.
La Belgique pouvait être fière de son primat, Mgr Dechamps. Mgr dé Montpellier, évêque de Liège, était aussi au nombre des prélats les plus écoutés.
La Suisse avait un évêque bien sympathique, Mgr-Mermillod, et des prélats connus pour leur doctrine: Mgr Lachat, de Bâle, Mgr Marilley, de Lausanne.
L'Orient latin était bien représenté par Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem; et Mgr Spaccapietra, de Smyrne. Les Arméniens par Mgr Hassun et Mgr Nasarian, les Grecs par Mgr Jussef, les Chaldéens par Mgr EbedJésus Khayatt.
Reste l'épiscopat français. Evidemment il n'était pas très théologien et nous avons bien été humiliés sous ce rapport. La France n'avait plus d'universités catholiques. Nos séminaires étaient pieux, mais ils avaient organisé de petits cours après la Révolution et ils s'en tenaient là. Les Sulpiciens et les Lazaristes n'envoyaient pas leurs sujets se former aux grandes écoles de Rome. Nous étions en retard pour la théologie et le Concile révéla cette lacune. Les étrangers nous disaient: Vous n'avez qu'un évêque théologien, l'évêque de Poitiers.
Notre épiscopat rachetait, autant qu'il est possible, cette lacune capitale par bien des qualités et des distinctions. Mgr Pie n'était pas seulement un théologien sûr et profond, c'était aussi un apologiste, un orateur, un écrivain d'une grande finesse. Nul plus que lui n'avait suivi la genèse des erreurs et le développement théologique de ce siècle. Ses écrits étaient comme le commentaire anticipé du Concile.
Mgr Dupanloup était un polémiste ardent, un orateur, un lettré. Il avait organisé son diocèse avec un peu de brusquerie peut-être, mais avec un grand zèle; il avait attiré auprès de lui une élite d'écrivains ecclésiastiques.
Mgr Plantier était aussi un apologiste et un orateur. Mgr Berteaud était un poète. Sa parole enflammée et toujours improvisée jaillissait comme un bouquet d'étincelles où les vues sublimes de la foi se mêlaient aux traits abondants de l'esprit naturel.
Mgr Freppel fut sacré pendant le Concile. Il s'était déjà révélé comme théologien et comme orateur.
Mgr Landriot, Mgr Le Courtier étaient des écrivains distingués sinon profonds. Mgr Cousseau et Mgr Meignan étaient des érudits. Mgr Raess se révéla comme excellent latiniste et bon théologien.
Mgr Allemand Lavigerie était un apôtre ardent. Mgr Régnier un merveilleux administrateur.
Nous avions tout un groupe d'évêques grands seigneurs, issus de nobles familles, avec toute la distinction de l'Ancien Régime sans en avoir lés défauts. Il y avait Mgr de Dreux-Brézé, Mgr Roullet de la Bouillerie, Mgr Gerault de Langalerie, Mgr Dupont des Loges, Mgr Pallu du Parc, Mgr de La Tour d'Auvergne, Mgr de Bonnechose.
Dans ces. conditions notre épiscopat fit encore très bonne figure au Concile, bien qu'il fût médiocrement théologien.
Il y a eu un parti d'opposition, il faut bien l'avouer.
Comme écrivait Veuillot, «personne ne blâme une opposition de conscience, chose naturelle, légitime, souvent très utile. Le mal, c'est l'opposition systématique, l'esprit d'opposition, l'application obstinée et désordonnée à faire de l'opposition. Voilà ce que le publié chrétien n'aurait pas voulu voir au Concile… ».28)
D'où est venue cette opposition? De l'esprit gallican et libéral et du joséphisme allemand. Dès qu'on a su que l'infaillibilité était dans le programme du Concile, le parti s'est formé et il a levé la tête. Mgr Maret et le P. Gratry ont représenté la vieille Sorbonne. Doellinger était le petit-fils de Luther. L'article du Correspondant du 10 octobre a sonné la charge. On l'a dit inspiré par Mgr Dupanloup et il a été signé par la Rédaction. Il engageait donc toute l'école libérale, qui est aussi, sans s'en douter, une petite fille de la Réforme.
N'y a-t-il pas eu quelques fautes chez les autres, je ne voudrais pas l'affirmer.
La commission préparatoire du Concile n'était-elle pas composée un peu trop de théologiens ultramontains triés sur le volet? Peut-être. La première des grandes commissions du Concile a été élue avec cet exclusivisme. Était-ce prudent? L'opposition s'accentua, s'aigrit, s'organisa et l'on vit aux élections suivantes une liste d'opposition.
Les schemata n'étaient-ils pas un peu étroits, un peu trop couvre d'école?
Mgr Dupanloup avait dit: «Il faut faire un grand Concile». Ses amis et son parti avaient répété cela. Il pouvait y avoir du bon dans ce désir. Ces prélats avaient peut-être raison quand ils voulaient que le Concile procédât un peu largement, que l'on commençât par un peu d'apologétique, en rappelant au monde les bienfaits de l'Évangile et la civilisation sortie de l'Église. Il me semble que Léon XIII eût fait comme cela. Il a ouvert très largement ses bras aux nations, aux Églises séparées, à tous les hommes de bonne volonté. Si les plus éminents opposants avaient eu place dans les commissions, ils auraient peut-être proposé cela.
Au lieu de cela, on commença de suite un peu étroitement, comme en classe de théologie.
Mgr Dupanloup avait souvent de grandes idées, mais il avait un caractère bouillant, dur, autoritaire. Se voyant combattu et mis au ban du Concile, il se fit chef d'opposition et il crut qu'il serait le maître. On tenait des conciliabules à la villa Grazioli où il habitait.29) On s'entendait pour tous les votes. Un secrétaire docile, Mgr David, se tenait à l'entrée de la salle et donnait le mot d'ordre. Nous entendions cela derrière les coulisses.
L'opposition avait ses journaux: la Gazette de France, le Français, etc. Les brochures à effet paraissaient en leur temps. On s'entendait pour les arguments à produire: le fait d'Honorius, les fausses décrétales, l'importance des grands sièges, le manque de liberté des vicaires apostoliques, la nécessité de l'unanimité morale, etc. On se prêta aux agissements des gouvernements. On eut recours aux moyens en usage dans les parlements: l'obstruction, la sortie en masse, l'abstention, etc. On essaya des moyens plus diplomatiques: des pétitions à Pie IX et des démarches pour demander l'ajournement de la question.
Qu'il y ait eu dans tout cela de l'humain, c'est bien évident. Il y avait quelques hommes aigris, mécontents, obstinés.
Chez plusieurs, c'était une légitime opposition de conscience. Ils craignaient que la définition n'entraînât quelques tentatives de schisme dans les pays peu croyants. Ceux-là étaient des opposants courtois, polis, humbles. Tel fut par exemple Mgr Simor, archevêque de Gran. Il n'était pas favorable à la définition. Cela ne l'empêcha pas de prendre aux travaux du Concile une part active et dévouée. Il en fut récompensé par la pourpre peu de temps après le Concile.
Il faut ajouter que les opposants croyaient à peu près tous à l'infaillibilité. Ils la faisaient enseigner dans leurs séminaires et leurs catéchismes. Mgr Gibbons a eu raison d'écrire que le nombre des prélats qui mettaient vraiment en doute l'infaillibilité aurait pu être compté sur les doigts d'une seule main. La plupart ne s'opposaient à la définition que parce qu'il leur semblait difficile de faire accepter ce dogme au monde.
Pie IX et le Concile ont pensé que l'agitation une fois soulevée rendait la définition non seulement opportune mais nécessaire, sans cela le Concile aurait laissé l'Église plus agitée et plus troublée qu'elle ne l'était avant lui.
Il y eut jusqu'à cent vingt opposants environ. Au 12 février L'Univers citait trente-trois opposants français: les archevêques de Reims, Paris; Sens, Albi, Avignon, Chambéry; les évêques de Grenoble, Orléans, Dijon, Autun, Evreux, Cahors, Perpignan, Constantine, Luçon, La Rochelle; Metz, Oran, Gap, Saint-Brieuc, Bayeux, Valence, Coutances, Pamiers, Viviers, Nice, Montpellier, Soissons, Chàlons, Marseille, Nancy; Verdun, Sura.
A la démonstration qu'on voulut faire par une sortie en masse dans les congrégations du 2 et 4 juillet, ils étaient une cinquantaine, dont une vingtaine d'Italiens, dix Allemands, douze Français. Au grand jour de la définition le 18 juillet, il y eut environ soixante-dix abstentions. Tous ont ensuite adhéré à la définition et l'Église n'a pas eu la tristesse de voir un seul évêque déserter ses rangs.
Malgré cela, il est absolument certain que le Concile dans son ensemble a été admirable de piété, de dignité, de sagesse. A peine y eut-il deux fois un quart d'heure d'agitation dans les séances. C'est moins en toute une année qu'en une journée dans un parlement.30)
L'Univers pouvait écrire avec raison dès le 20 décembre: «Il suffit d'ouvrir les yeux et les oreilles, aussitôt le grand et uniforme caractère de piété apparaît. Dans cette immense diversité de physionomies, de langues, d'origines, de situation, on reconnaît le même évêque, je dirais volontiers le même homme. Si un groupe d'opposition se constitue, comme quelques-uns le craignent, ce groupe sera petit, et encore pense-t-on qu'il existera plutôt au dehors qu'au dedans du Concile. Au dehors, me disait un évêque, il y a quelque place pour l'esprit de l'homme; au dedans, il n'y aura place que pour l'esprit de Dieu, et bien que l'unanimité ne soit pas du tout nécessaire; néanmoins elle manquera rarement».31)
Par le fait, ceux qui firent de l'opposition de parti ne furent pas plus de cinquante sur neuf cents prélats.
Nous étions quatre sténographes au séminaire français: M. Dugas, M. Bougouin, M. de Dartein et moi. Il y avait congrégation générale à Saint-Pierre quatre ou cinq fois par semaine. Nous partions le matin vers 8 heures. Nous avions le costume officiel des clercs de Rome: la soutane droite sans taille et sans ceinture, les souliers à boucle, le col blanc, le petit manteau appelé farajolo [ferraiolo]. Ordinairement un évêque nous prenait dans sa voiture. Je montais le plus souvent avec Mgr Gignoux de Beauvais, qui m'appelait en souriant «son petit vicaire général», ou avec Mgr Pallu du Parc, évêque de Blois, qui me disait avec sa bonté ordinaire: «venez mon fils», en prononçant comme à Blois «mon fi».
La messe conciliaire était à huit heures et demie. C'était chaque jour quelque vicaire général d'évêque qui ambitionnait de la dire pour prendre ainsi sa petite part au Concile, part bien petite sans doute, mais encore appréciée. Et cela nous faisait comprendre, à nous sténographes, quelle grande faveur c'était pour nous de prendre part à toute la vie quotidienne de cette sainte assemblée.
Les travaux commençaient après la messe, il était près de neuf heures et demie quand on était en train. On quittait vers midi. Nous écrivions debout devant la tribune. Nous nous remplacions deux à deux de cinq en cinq minutes. Notre système n'était pas merveilleux. Je l'ai déjà décrit. Nous écrivions chacun une ligne. Nous disions lentement à notre voisin à quel mot nous prenions. Parfois l'orateur nous entendait. Mgr Strossmayer s'impatientait, s'arrêtait et nous disait: taisez-vous, taceatis. Il nous fallait de vingt à trente minutes pour reconstituer en caractères romains notre grimoire sténographique. Nous allions vite faire cela, toujours deux à deux, et nous revenions dans la salle écouter les discours en attendant notre tour pour écrire encore. Nous avions un vaste bureau de travail derrière la tribune. J'écrivais avec un bien aimable abbé Carlo Zei, qui a été ensuite secrétaire, puis vicaire général de l'archevêque de Florence et qui est mort au moment où il allait être évêque de Fiesole.
Nous avions souvent la visite des évêques à notre salle de travail. Ils venaient nous demander ce qu'on avait dit, quand ils n'avaient pas entendu ou compris.
Quelques évêques d'opposition étaient agacés de nous voir toujours là. L'un d'eux disait: «On saura comment nous votons par ces jeunes gens!». Avait-il donc quelque scrupule de conscience sur la sagesse de ses votes?
Quand la séance finissait, vers midi, il nous restait pour une demi-heure de besogne à transcrire, puis nous retournions sous le chaud soleil de Rome et après-dîner nous allions aux cours.
Cinq grandes commissions avaient été instituées et deux tribunaux, celui des Excuses et celui des Querelles.
La première grande commission était la commission d'initiative. Elle devait recevoir les postulata des Pères pour les questions à introduire. Le Saint-Père la nomma de lui-même. Elle comprenait douze cardinaux et quatorze évêques. Elle était admirablement composée. Elle comprenait quelques cardinaux de Curie des plus intelligents: le cardinaux Patrizi, Di Pietro, De Angelis, Barili, Monaco La Valetta; les cardinaux Corsi, de Pise, et Riario Sforza, de Naples, pour l'Italie; les cardinaux Rauscher, pour l'Allemagne, de Bonnechose, pour la France, Cullen, pour l'Irlande, Moreno, pour l'Espagne. Elle comptait aussi les principaux archevêques et primats de chaque nation: Mgr Jussef, patriarche des Grecs Melchites; Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem; Mgr Guibert, archevêque de Tours; Mgr Manning, Mgr Spalding; les archevêques de Malines, de Valence, de Santiago, de Sorrente, de Turin, l'évêque de Paderborn.32)
Pourquoi le Saint-Père avait-il nommé cette commission lui-même? N'était-ce pas entraver l'initiative du Concile? Pourquoi n'y avait-on mis aucun des évêques gallicans? Pourquoi l'exclusion des grands évêques du Rhin, de ceux de Cologne et de Mayence, quand on donnait place au modeste évêque de Ratisbonne? Pourquoi Paris n'était-il pas représenté comme Vienne, Londres, Turin, Bruxelles? Telles furent les critiques qui éclatèrent et dont plusieurs auraient peut-être pu être évitées.
Les deux tribunaux des Excuses et des Querelles furent élus dans la congrégation générale du 10 décembre. Dans l'élection du tribunal des Excuses, les suffrages s'efforcèrent de consoler quelques-uns des oubliés de la commission d'initiative: les archevêques de Cologne, de Reims, de. Grenade, de Florence.
Le tribunal des Querelles fut élu sans esprit de parti. On choisit les évêques connus par leur douceur et leur esprit de conciliation: Mgr Angelini, évêque résidant à Rome, Mgr Mermillod et trois autres.
C'est sur l'élection de la commission de fide que porta le principal effort des deux camps.33) Les choix furent préparés par des groupes de chaque nation. Le vote eut lieu le 14 décembre.34) Le résultat fut écrasant pour les gallicans. Mgr Garcia Gil, archevêque de Sarragosse, passait le premier; Mgr Pie le second; Mgr Leahy, de Cashel, le troisième; Mgr Régnier, de Cambrai, le quatrième. La Hongrie était représentée par Mgr Simor, qui fut un opposant de conscience et non de parti; la Hollande, par Mgr Schaepman, archevêque d'Utrecht; l'Orient par le patriarche Hassun; l'Angleterre par Mgr Manning; la Belgique par Mgr Dechamps; l'Amérique par Mgr Spalding, archevêque de Baltimore. Ce qui étonna, ce fut la représentation de la France, de l'Allemagne et de l'Italie. Pour la France, on ne voyait arriver ni l'archevêque de Paris, ni le cardinal de Besançon, ni l'évêque d'Orléans. L'Allemagne était représentée par Mgr Ledochowski de Posen et par les évêques de Ratisbonne, de Brixen et de Paderborn, les rares ultramontains que comptât l'épiscopat allemand. L'Italie avait, avec l'archevêque de Modène, les évêques de Calvi et de Trévise.
Après cette élection, L'Univers pouvait écrire avec raison: «Le Concile est fait».35) C'était vrai. Il y avait une immense majorité sur la question qui pouvait agiter les esprits.
Mais de ce jour-là l'opposition sentit le besoin de s'organiser. Elle se composa une liste pour le scrutin sur la commission de disciplina. On distribua la liste aux amis à la porte du Concile. Ce fut en vain. Ni Mgr Dupanloup, ni aucun des gallicans militants ne passèrent.36) Pour la France, c'est Mgr Plantier, Mgr Fillion et Mgr Sergent qui furent élus. Pour l'Allemagne, ce furent quatre évêques peu connus: l'évêque de Lemberg en Galicie, celui de Würzburg, celui de Seckau en Styrie et celui de La Crosse en Silésie.
L'opposition essaya encore la lutte pour la commission des réguliers, mais avec le même insuccès.37) C'est Mgr Raess, de Strasbourg, et Mgr Saint-Marc, de Rennes, qui passèrent pour la France. Mgr de Fürstenberg passa pour l'Allemagne. C'était un opposant, mais il n'y avait peut-être plus d'évêques allemands de la majorité à proposer. Après ces élections, on pouvait vraiment dire que le Concile était fait, mais on pouvait prévoir toute l'action d'un parti d'opposition, organisé et assez puissant.