MANUEL SOCIAL CHRÉTIEN
RÉDIGÉ PAR
LA COMMISSION D'ÉTUDES SOCIALES DU DIOCÈSE DE SOISSONS
SOUS LA PRÉSIDENCE DE
MONSIEUR LE CHANOINE DEHON
ET PUBBLIÉ AVEC L'APPROBATION DE
SA GRANDEUR MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE DE SOISSONS
___________
CINQUIÈMME ÉDITION
REMANIÉE ET CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE
PARIS
5, RUE BAYARD, 5
LETTRE DU CARDINAL RAMPOLLA
Rome, le 6 juillet 1895
Très honoré Monsieur,
J'ai présenté au Saint-Père l'exemplaire du Manuel social chrétien que vous m'avez envoyé dans ce but; je suis heureux de pouvoir vous dire que Sa Sainteté en a agréé l'hommage et qu'Elle vous accorde de tout cœur la bénédiction apostolique.
Je vous remercie, pour ma part, de l'exemplaire que vous m'avez offert et vous exprime les sentiments de sincère estime avec lesquels je suis
Votre très affectionné serviteur,
Signé: M. cardinal RAMPOLLA
APPROBATION DE MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE DE SOISSONS
__________
Soissons, le 16 juillet 1894
Mon cher monsieur Dehon,
Je vous renvoie votre manuscrit.
Je l'ai lu en entier, la plume à la main.
J'y ai fait quelques corrections sans grande importance.
Je vous félicite de tout mon cœur de ce travail, qui suppose de grandes et sérieuses lectures sur tout ce qui touche la question sociale.
Ce sera un utile répertoire de renseignements pour tous ceux qui s'occupent de cette importante question et qui ont à défendre la vérité contre les doctrines socialistes que l'on répand dans nos campagnes.
Tout se trouve condensé dans ce travail au point de vue théorique et scientifique. Ceux qui voudront approfondir ces matières le pourront facilement, grâce aux indications d'auteurs spéciaux que vous nommez.
Je n'ai plus qu'un désir à former: C'est qu'à ce manuel d'œuvres sociales, ou plutôt de „science sociale”, vienne s'ajouter bientôt un petit „manuel pratique”, un „vade-mecum”, une sorte de petit catéchisme qui puisse être mis en toutes les mains, et qui donne clairement et sûrement la méthode „pratique” pour fonder des œuvres sociales, particulièrement dans nos petites paroisses de campagne1).
Je vous remercie, mon cher chanoine, de cet intelligent travail, et je prie Dieu d'en bénir l'auteur.
Bien affectueusement vôtre en Notre Seigneur.
J.-B., évêque de Soissons.
LETTRE DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL LANGÉNIEUX
ARCEVÊCHÉ____________________
DE REIMS%%__%%%%__%%__
Reims, le 2 août 1894.
Monsieur l'Abbé,
Vous avez fait, sur la question sociale, un travail des plus consciencieux et des plus utiles.
Après avoir rappelé les principes généraux qui dominent le sujet, et avoir décrit le malaise social du temps présent, vous en recherchez les causes multiples et vous en indiquez les remèdes, les vrais remèdes, dont le premier vous semble être, à bon droit, l'action bienfaisante de l'Église. L'exposé est ainsi complet; il se recommande, de plus, par la clarté de la méthode et une rare précision dans les termes. Je suis persuadé qu'après vous avoir lu, on aura, sur les problèmes aujourd'hui agités, des notions plus exactes, parce qu'elles seront plus conformes aux enseignements de Léon XIII, dont vous avez fait le fond de votre travail.
Aussi je n'hésite pas à joindre à mes sincères félicitations mes meilleurs vœux pour la plus large diffusion de votre Manuel.
Agréez, je vous prie, Monsieur l'Abbé, l'assurance de mes sentiments dévoués en Notre Seigneur.
B. M. cardinal LANGENIEUX,
Archevêque de Reims.
LETTRE DE MONSIEUR LÉON HARMEL
Val-des-Bois, le 10 août 1894
Très Révérend Père,
c'est avec une joyeuse reconnaissance que je salue l'apparition de votre ouvrage, parce qu'il me paraît éminemment propre à populariser l'enseignement de notre Père bien-aimé, Léon XIII.
Dans notre audience du 24 mai dernier, nous avons demandé au Souverain Pontife sa bénédiction particulière pour votre travail. Sa Sainteté a répondu avec une bonté paternelle. Il a été convenu que les épreuves seraient remises au Révérendissime Maître général des Dominicains.
J'ai accompli cet ordre le 12 juin. Les épreuves nous ont été retournées avec une lettre datée de Rome le 9 juillet, nous disant que l'ouvrage a été minutieusement étudié par une Commission d'examinateurs. Les corrections ont été rares et peu importantes. Vous y avez fait droit et nous avons la confiance de présenter au public un livre reconnu irréprochable par les théologiens les plus éminents de l'Ordre de saint Dominique.
Nous savons que c'est une oeuvre collective, où notre bon ami, monsieur le M is de la Tour du Pin, a la place que lui valent sa grande intelligence et sa profonde science sociale. La lettre approbative de l'éminent cardinal Langénieux, qui a mérité le titre glorieux de cardinal des ouvriers, et la lettre élogieuse de monseigneur de Soissons, sont la légitime récompense de votre labeur.
Nous ne pouvons donc souhaiter qu'une chose, c'est que ce bon petit livre, si clair, si net, si vrai, se répande partout, faisant la féconde diffusion des enseignements pontificaux. Léon XIII a illuminé le monde d'une lumière si vive qu'elle éblouit encore certains esprits, habitués au crépuscule des demi vérités. Vous avez travaillé à dissiper les derniers nuages en exposant les principes généraux de la vie sociale chrétienne.
Vous avez dépeint le malaise social actuel et recherché ses causes. Vous avez réfuté les illusions socialistes. Vous avez exposé complètement et pratiquement les vrais remèdes: L'action de l'Église, celle de l'État et des patrons, celle des corporations.
Agréez, Très Révérend Père, l'expression de mon très affectueux dévouement.
LÉON HARMEL
Nous avons reçu encore les encouragements les plus bienveillants de son éminence le cardinal de Malines, de monseigneur l'évêque de Liège, de nos seigneurs les évêques de Saint-Dié, Nevers, Langres, Blois, Agen, Vannes, Séez, Evreux, Luçon, La Rochelle, Limoges, Le Puy, Bayeux, Saint-Brieuc, Don, Orléans, Moulins, Angoulême, Coutances, Digne, Bayonne, Châlons et Nîmes. Nous ne les citons pas, ce serait tout un volume.
Le Manuel est devenu classique dans plusieurs séminaires.
De Rome, nous avons reçu les félicitations les plus vives du maître général des Dominicains, le très révérend père. Frühwirth, du journal l'Osservatore Romano et des principaux hommes d'œuvres, notamment du M is Crispolti et du C te Vespignani.
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
L'association catholique, in-8°, 262, boulevard Saint-Germain, Paris - 20 francs.
Le XX siècle, revue mensuelle in-12°, 39, rue Sainte, Marseille - 10 francs.
La démocratie chrétienne, revue mensuelle, 25, rue Nicolas Leblanc, Lille - 6 francs.
La réforme sociale, revue bi-mensuelle, 54, rue de Seine, Paris - 20 francs
Les Questions actuelles, revue hebdomadaire, 5, rue Bayard, Paris - 6 francs.
La Sociologie catholique, revue mensuelle, Montpellier - 6 francs.
La Justice sociale, journal hebdomadaire, 12, rue Littré, Paris - 6 francs.
ŒUVRE DES CERCLES, Questions sociales et ouvrières, in-8°, 262, boulevard Saint-Germain, Paris.
G. ARDANT, La question agraire, in-8°, chez Retaux-Bray, 82, rue Bonaparte, Paris.
G. ARDANT, Papes et paysans, in-12°, chez Gaume et Cie, 3, rue de l'Abbaye, Paris.
G. ARDANT, Le curé de campagne, in-12°, 5, rue Bayard, Paris.
DE MUN, Discours, in-8°, chez Poussielgue, 15, rue Cassette, Paris.
MARTINET, Œuvres complètes, chez Roger et Chernoviz, 7, rue des Grands-Augustins, Paris.
LE PLAY, Œuvres complètes, chez Mame, Tours.
CH. PERRIN, Œuvres complètes, chez Lecoffre, Paris.
L. HARMEL, Manuel d'une corporation, 262, boulevard Saint-Germain, Paris.
L. HARMEL, Catéchisme du patron, 262, boulevard Saint-Germain, Paris.
L. HARMEL, Discours et lettres, 262, boulevard Saint-Germain, Paris.
G. ROMAIN, L'Église et la liberté, chez Bloud et Barral, 4 rue Madame, Paris.
G. ROMAIN, Le moyen âge, in-8°, chez Bloud et Barral, 4 rue Madame, Paris.
G. PRÉVOST, L'Église et les campagnes au moyen âge, in-8°, chez H. Champion, 9, quai Voltaire, Paris.
BABEAU, Le village sous l'ancien régime, in-12°, chez Perrin, 35, quai des Grands-Augustins, Paris.
BABEAU, Le bourgeois d'autrefois, in-8°, chez Firmin-Didot, 56, rue Jacob, Paris.
FELIX SARDA Y SALVANI, Le libéralisme est un péché, in-12°, chez Retaux-Bray, 82, rue Bonaparte, Paris.
STŒCKL, Doctrine philosophique de saint Thomas d'Aquin, in-12°, chez Roger et Chernoviz, 7, rue des Grands-Augustins, Paris.
ALLARD, Les esclaves chrétiens, in-12°, Didier, 35, quai des Grands-Augustins, Paris.
J. JANSSEN, L'Allemagne et la réforme, 3 vol. in-8°, chez Plon et Nourrit, 10, rue Garancière, Paris.
FÉLIX, L'économie sociale devant le christianisme, in-12°. chez J. Albanel, 15, rue de Tournon, Paris.
J. GUIBERT, L'Éducateur apôtre, in-8°, chez Poussielgue, 15, rue Cassette, Paris.
J. CHAPELLE, Manuel d'Oeuvres, in-18°, chez C. Paux, Mende.
GARNIER, Cours de pastorale, 1, rue Feydeau, Paris.
Pour ceux qui commencent à se livrer aux études sociales, les auteurs suivants sont les plus propres à les initier à ces études d'une manière progressive:
1. GREGOIRE L., Le Pape, les catholiques et la question sociale, chez Perrin, quai des Grands-Augustins, Paris.
2. PERRIOT, Commentaire de l'Encyclique, à Langres.
3. De PASCAL, Commentaire de l'Encyclique, chez Lethielleux.
4. DECURTINS, Discours de monseigneur Ketteler, chez Picard.
5. FERET, La question ouvrière, chez Lethielleux.
6. OTT, Traité d'économie sociale, chez Fischbacher.
7. NAUDET, Notre œuvre sociale, chez Tolra, 112, rue de Rennes, Paris.
* Dans ce volume, l'encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII est très souvent citée: parfois tout simplement comme l'encyclique, autres fois comme l'encyclique sur la condition des ouvriers et quelques fois comme l'encyclique de 1891 (Note de rédaction)
INTRODUCTION
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LA QUESTION SOCIALE
«Il n'y a pas de question sociale», disait Gambetta, d'accord en cela avec un trop grand nombre d'hommes politiques et d'économistes.
Plus clairvoyante et plus courageuse, l'Église avait, dès longtemps, reconnu le mal. Dès 1848, l'illustre Ketteler, mort évêque de Mayence, dénonçait l'injustice sociale dont souffrait l'Europe, et proposait les vrais remèdes.
Laïques dévoués, prêtes et évêques ont étudié la question depuis quarante ans. Puis Léon XIII a parlé. L'//encyclique// //sur la condition des ouvriers //dépeint le mal social, en découvre les causes profondes et en propose les remèdes
La parole du Pape a inspiré ce manuel.
La première partie en est toute théorique, elle traite de l'économie sociale. La deuxième partie traitera des œuvres sociales.
Le fait qui frappe d'abord les yeux au sujet de la condition des ouvriers, c'est qu'ils sont, pour la plupart, dit Léon XIII, //«////dans un état d'infortune et de misère immérité». //Malgré un certain progrès extérieur, l'ouvrier est, en maints endroits, moins heureux que jadis; ses besoins ont augmenté plus que ses ressources, si même celles-ci n'ont pas diminué.(())
En même temps, les ouvriers voient d'immenses richesses s'accumuler en un petit nombre de mains, et Léon XIII n'hésite pas à mettre au nombre des maux actuels //«le monopole du travail et des valeurs de commerce deve////nus le partage d'un petit nombre de riches, qui imposent ainsi un joug presque servile à l'infinie multitude des prolétaires».//<sup>// //</sup>(( Encyclique Rerum Novarum.))
Or, ces richesses //«ne paraissent guère correspondre aux// services rendus//.... ////Elles ne paraissent nullement proportionnelles à// //la// peine prise//.... Encore moins paraissaient-elles proportionnelles aux// mérites// ou aux //vertus// des hommes»//.(( GIDE, Principes d’économie politique, 3e édition, page 438.)) Enfin, elles ne correspondent pas davantage à «//la valeur sociale des fonctions» //remplies. Quelle valeur a pour la société le travail de l'agioteur, du financier juif, qui ruinent tous les producteurs, ou celui du jeune rentier, qui dissipe dans l'oisiveté ses forces et sa fortune?
Cette disproportion amène la misère avec son cortège inévitable: L'ignorance, le vice, les tentations du crime, les maladies.
Donc, "//les choses//"// //vont mal.
Mais, les richesses ne sont pas des choses qui échappent à l'action humaine comme la pluie et les rayons du soleil. L'argent circule en passant par les mains des hommes, et les hommes ont une conscience morale régie par des lois supérieures; l'action des richesses s'exerce sous le bénéfice d'institutions fondées par les hommes.
Ainsi intervient l'action "//des personnes//"//. //Si// //les choses vont mal, c'est en grande partie que les personnes vont mal. Supposez que, parmi tous les hommes qui gagnent, accumulent et distribuent les richesses, chacun remplisse envers autrui ses devoirs de justice et de charité, alors les choses iront aussi bien que possible. Supposez, au contraire, que ces mêmes hommes violent leurs devoirs envers leurs semblables et que les lois publiques favorisent ces violations ou rendent presque impossible la justice sociale, alors les choses iront mal, de mal en pis.
La question des richesses est donc dépendante d'une question morale.
Des politiques et des savants de renom ont déclaré la question sociale insoluble. //«La société actuelle,// a dit Thiers, //reposant sur les bases les plus justes, ne saurait être améliorée//».<sup> </sup>(( THIERS, cité par L. GREGOIRE, Le Pape, les catholiques et la question sociale, page 3. ))
Monsieur P. Leroy-Beaulieu dit à son tour: //«Les lois qui président au capital, au salaire, à la répartition des richesses, sont aussi bonnes ////qu'inéluctables. Elles amènent l'élévation graduelle du niveau humain».//
Une pareille théorie est fort commode, car elle donne "//ipso facto//", à ceux qui l'admettent, le droit de ne rien faire; elle dispense d'une responsabilité pénible et coûteuse//.//
Non! ces lois ne sont pas inéluctables; il y a, dans la morale chrétienne, une force qui peut prévenir leurs mauvais effets, et la libre volonté qui a établi de mauvaises institutions peut, par des lois contraires, remettre dans les rapports des hommes entre eux l'ordre et la paix, l'entente fraternelle.
Ainsi l'avait pensé le cardinal Pecci, archevêque de Pérouse, quand il flétrissait //«le colossal abus de la pauvreté et de la faiblesse»//, //«l'horrible existence des enfants dans la fabrique»//, quand il indiquait la nécessité //«d'une législation qui mît un frein à ce trafic sans humanité».//<sup>// //</sup>(( L’Église et la civilisation. Lettres pastorales du cardinal PECCI, page 20. ))
Ce qu'avait prêché le cardinal Pecci, Léon XIII l'a proclamé comme Souverain Pontife, //urbi //et //orbi. //Il// //déclare, au début de l'encyclique, qu'il veut //«mettre en évidence les principes d'une solution conforme à la justice et à l'équité».//
PREMIÈRE PARTIE
ÉCONOMIE SOCIALE
ÉCONOMIE SOCIALE2)
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CHAPITRE PREMIER
PRINCIPES GÉNÉRAUX
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Ce sont les idées qui font la différence entre les époques et les hommes. Les idées chrétiennes ont transformé le monde païen. Le retour aux idées païennes, lors de la Renaissance, a préparé la Révolution de 1789, le libéralisme économique et son influence antisociale. Il faut donc remonter à la source des idées primordiales, des vérités chrétiennes, seules capables de redresser les mœurs.
La société se compose de familles, et la famille, d'individus; ceux-ci sont donc les derniers éléments dont le groupement constitue le corps social. Mais, contrairement à ce qui arrive ailleurs, ici les éléments possèdent, indépendamment du corps qu'ils composent, et conservent dans ce corps une valeur propre, une valeur personnelle. "//Personnelle//"// //est le terme exact, car ces hommes que réunit le corps social sont bien des personnes; chacun d'eux en a la dignité inamissible, les devoirs et les droits. À quelque classe qu'il appartienne, tout homme est doué, aussi bien que d'un corps vivant, d'une âme intelligente, libre et immortelle, que Dieu seul a créée. Venue de Dieu, cette âme doit servir Dieu et retourner à Dieu. Qu'elle vive dans un corps d'ouvrier mineur, au fond d'une noire galerie de houille, ou dans un corps d'opulent financier, parmi les brillants excès du luxe, cela importe peu: en réalité, toutes deux ont même valeur. Elles ont une égale dignité personnelle, une égale responsabilité morale, une même destinée éternelle, et à toutes deux l'existence est donnée pour tendre, par la vérité, par la moralité et la religion, à l'immortelle vie.
Pour cette raison, tout homme mérite le respect et la justice, tout homme a un droit essentiel à trouver ici-bas des conditions qui alimentent sa vie intellectuelle et morale et sa religion. Il a droit au pain quotidien pour lui et pour les siens; il a droit, autant et plus encore, à un traitement humain - à une part suffisante d'instruction et de liberté -, à une large faculté de prier et de servir Dieu.
Cette vérité nous parait banale: Plût au ciel qu'elle le fût! plût au ciel que l'Église n'ait pas à la venger du dédain où la tiennent et certains patrons qui ont fait de l'ouvrier une machine et les théories qui sanctionnent leur conduite. Tout récemment encore, monsieur Yves Guyot proclamait que la science économique est et doit être immorale. C'est exprimer d'une façon brutale que le travailleur n'est qu'un outil, qu'il n'a droit ni au respect ni à la justice. Il est donc évident que la thèse chrétienne sur la dignité de l'homme, selon qu'elle est admise ou rejetée, ouvre à l'économie sociale deux voies tout opposées: l'une est la voie de la justice et de la charité, c'est celle qu'indique l'Église, et qui mène à l'ordre et à la paix; l'autre, c'est la voie de l'exploitation inhumaine et sans pitié, qui mène au socialisme et à la guerre des classes.
Pour nous, nous concluons avec l'Église, que partout et toujours l'homme garde sa dignité humaine et chrétienne, qu'il est injuste de faire abstraction de ses droits sacrés, pour ne voir en lui que le travail mécanique; la science économique par conséquent, loin de pouvoir être immorale, doit traiter l'homme en homme et en chrétien.
L'homme est essentiellement un être social; sa nature et la volonté de Dieu le destinent à vivre et à travailler en société. Or, la première société qui réunit les hommes entre eux, c'est la "//famille//".
«La famille, dit avec justesse un philosophe chrétien, est une œuvre de la nature, une institution divine, une pépinière de morale, l'intermédiaire entre les anciennes et les nouvelles générations, la base des États et de l'humanité; tout ordre s'appuie sur elle»3).
La famille a son but propre, sa destinée providentielle. C'est là seulement que l'homme, la femme et l'enfant trouvent à la fois la satisfaction de leurs besoins différents, leur part de bonheur et les conditions normales de leur dignité et de leur destinée.
Aussi la religion a-t-elle toujours entouré de bénédictions et de soins le mariage et la famille. Jésus Christ fit du contrat matrimonial un sacrement et rendit ainsi la famille plus noble encore et plus sainte.
Ainsi fondée par la nature et par la grâce, la famille constitue un corps inviolable et sacré, elle possède d'imprescriptibles droits; ces droits, le pouvoir humain ne les crée pas, il doit les reconnaître et les protéger(( Encyclique.)). Alors même que la famille est fondue avec d'autres familles, dans l'organisme social, elle reste toujours, par sa nature même, une parfaite unité; elle a une vie propre, une histoire spéciale, elle a des lois divines et éternelles, loi de stabilité, loi d'autorité, loi d'amour.(( Confère, monseigneur D’HULST, Première conférence, 1894.))
//«La famille, ainsi comprise, est le pivot de la société humaine. Qu'est-ce qu'une nation, sinon une famille agrandie, une fédération de familles? Et comment les groupes factices garderont-ils leur consistance, si les unités naturelles dont ils sont formés ont perdu la leur? Ah! ils ne s'y trompent pas, ces hommes d'extermination, dont les sauvages attentats font la terreur du monde, dont les menaces pèsent comme un cauchemar sur// //la fin d'un siècle qui se croyait si fort! Ils savent que, pour renverser l'ordre social, ce n'est pas au gouvernement qu'il faut s'attaquer; les gouvernements, cela se remplace; c'est la famille qu'il faut dissoudre, parce que, une fois détruite, elle ne se refait// //pas//. "Or, la famille, //disent-ils, et je cite ici leurs propres paroles//, la famille est notre ennemie, parce qu'elle est la mère de la propriété et de l'autorité". //Ils devraient ajouter: parce qu'elle est la mère de la justice et de l'amour.//
//Aussi, après un siècle imbu d'idées révolutionnaires, "//quel est le grand mal de la classe ouvrière? C'est le relâchement du lien de la famille. Que les classes élevées donnent d'abord l'exemple d'une vie sobre et pure; puis, qu'elles se penchent vers les déshérités pour leur apprendre à respecter en eux-mêmes l'image de Dieu, à aimer dans leurs foyers la vraie garantie de leur dignité et de leur indépendance!
À ce monde qui hésite, déconcerté, entre tant de doctrines contraires, montrons ce grand spectacle: un groupe compact de familles fidèles à la loi de stabilité, à la loi d'autorité, à la loi d'amour. Qu'on soit forcé de dire en les voyant: Si toutes les familles étaient faites sur ce modèle, la société serait sauvée!"//».//(( Confère, monseigneur D’HULST, Première conférence, 1894.))
1. Nécessité. - Les hommes ne doivent pas seulement vivre en famille, mais s'unir encore en une société plus large, qui s'appellera tribu, cité, nation. La nature même de l'homme lui fait de la tendance sociale un besoin et une loi. Considérez, en effet, les facultés de l'homme, vous verrez que toutes, pour acquérir leur épanouissement, exigent le bienfait de la vie sociale. Pour l'entretien convenable de sa vie corporelle, mille objets sont nécessaires ou utiles; de là naissent les métiers divers et les échanges qui en sont la suite. Voyez au-dessus, la vie intellectuelle, dans son double essor, la science et l'art: pour naître, grandir, s'épanouir, ces deux fleurs plongent leurs racines dans le terrain social et empruntent à l'atmosphère sociale l'air qu'elles respirent.
Plus nécessaire encore et plus belle, plus générale aussi est la vie morale, puisqu'elle règne en toute conscience humaine, et qu'elle prépare l'immortelle vie, la vie en Dieu, à laquelle tout homme est destiné! Or, c'est dans la vie sociale que se conservent les données fondamentales de la morale; c'est là qu'elles trouvent leurs principales applications.
Tout vie morale, en effet, repose sur une tradition religieuse aussi ancienne que l'homme; elle est dominée par un fait qui est la vocation de l'humanité à un état surnaturel et à une fin surnaturelle. Or, ce fait et cette tradition ne peuvent être et connus et transmis que par la société et par son enseignement.
Pour arriver à cette fin, l'homme a besoin de la force que donnent le milieu et l'éducation, l'exemple et l'entraînement mutuel; il a besoin pour son corps et pour son âme de l'aide et de la charité fraternelles. C'est dans la société avec ses semblables qu'il peut pratiquer la vertu et le dévouement qui s'imposent à lui pour remplir sa destinée.
N'est-il pas juste, enfin, que les hommes, enfants d'un même Dieu, s'unissent pour rendre à leur Père et à leur Maître les devoirs de religion qui lui sont dus?
2. Fausse notion. - La société, état voulu par la nature et par Dieu, n'est donc pas une œuvre purement humaine. Elle n'est pas née d'une libre convention, comme le voudrait Jean Jacques Rousseau dans son Contrat social.
Supposez cette origine à la société, pourquoi ce contrat lierait-il la génération future? Ce qu'ont fait les uns, d'autres pourront le défaire et saper un édifice qui repose sur des principes de convention. C'est la porte ouverte aux extravagances sociales, à l'anarchie.
La part de l'homme dans l'organisation sociale, c'est la réalisation de cet organisme qui lui est nécessaire, c'est la détermination du sujet qui exercera ce pouvoir dont les droits et les devoirs sont tracés par Dieu et par la nature.
Une conséquence opposée de l'erreur de Rousseau, c'est la "//tyrannie//".
Si la société n'a d'autre principe qu'un "//libre contrat//", l'État, une fois constitué, est la seule source du droit: il ne reconnaît aucun droit antérieur ou supérieur au sien. L'individu ne peut lui opposer ni sa conscience, ni sa destinée céleste. La famille n'a d'autre loi et d'autre constitution que celle qu'elle reçoit de l'État. La religion n'a point de droit divin. Ce qu'il plaît à l'État d'ordonner, cela est le droit. Dès lors, l'arbitraire sanctionné par le nombre, soutenu par la force, voilà la loi.
3. Autre erreur. - On rejeta la croyance traditionnelle à une déchéance de la nature humaine; on ferma les yeux au fait patent de son inclination plus grande au mal qu'au bien, on proclama l'homme capable, par ses propres forces, d'arriver à la vertu totale.
Inutile donc la morale chrétienne et son ensemble de pratiques religieuses, force et sauvegarde contre les passions! Puéril l'arsenal des menaces contre le vice et des récompenses pour la vertu!
«Voulez-vous fermer les bagnes? ouvrez des écoles!» (Victor Hugo). «L'expérience prouve, dit tristement M. Francis Charmes, que l'instruction ne suffit pas…».4) N'avait-on pas l'expérience de six mille ans et la tradition religieuse de l'humanité pour confirmer la doctrine de l'Église?
Si l'homme peut et doit remplir tout son devoir, ce n'est qu'en luttant toute sa vie, et ce n'est pas par ses seules forces, mais en demandant à la grâce divine l'aliment et le secours.
C'est l'homme tel qu'il est, avec cette propension au mal, que l'État doit gouverner. Croire et agir autrement, c'est l'utopie avec ses mécomptes et ses désastres.
4. Vraie notion de l'État. - La société est destinée à vivre sous la direction d'un pouvoir central, l'État. Celui-ci a droit au respect, à l'obéissance.
L'État doit à l'individu, à la famille, aux groupements divers consacrés par l'histoire et l'expérience, une protection respectueuse et efficace, une sauvegarde. Ce n'est pas de lui qu'ils tiennent leur existence ou leurs lois essentielles.
L'État ne doit pas se substituer à eux, en les traitant comme ses créatures, mais il doit les coordonner en un corps organisé, assurer leur intérêt propre et les faire concourir au bien commun.
L'État ne peut rien contre les droits essentiels de l'individu et de la famille.
Cette notion de l'État suppose la soumission de l'homme et du pouvoir à Dieu. Elle a pour principe la dépendance de l'homme à l'égard de son Créateur.
L'État a une seconde fonction, qui est de travailler d'une manière active et intelligente au bien de ses sujets par une double action: suppléer à ce qui ne peut être fait par les particuliers, et, en ce qu'ils peuvent faire, les aider à faire mieux et à progresser.
«Si quid deest supplere, dit saint Thomas, si quid melius fieri potest, studet perficere».5)
5. La société est un organisme. - Si, à l'individu, à la famille, à l'État, on ajoute les groupements professionnels, religieux, scientifiques, on reconnaîtra que cet ensemble n'est pas un mécanisme, mais un organisme, où chaque organe a son activité propre et sa fonction.
Individus, familles, professions, groupements divers, sont autant d'organes vivants et autonomes.
Sous la direction de l'État, leur activité spéciale profite aux organes voisins et au corps tout entier.
Mais là, comme dans la famille, la hiérarchie est une loi fondamentale, d'où une certaine inégalité entre les membres.
Le père, la mère, l'enfant, qui ont une égale dignité devant Dieu et devant la justice éternelle, ont un rang distinct et des fonctions différentes. Ainsi les citoyens, égaux devant la loi éternelle, doivent occuper dans l'échelle sociale des positions plus ou moins hautes.
Il y aura toujours entre les hommes des inégalités morales et des inégalités physiques; quoi qu'on puisse tenter, le nivellement matériel serait toujours incomplet. Mais l'égalité sociale doit se rétablir par des échanges naturels et ordonnés, conformément aux règles du droit et de la charité, échanges qui relient les grands aux petits et font des uns et des autres un tout complet.
C'est par des équivalents moraux et religieux, dont les avantages s'étendent bien au delà de la terre, que la société peut réaliser une égalité idéale.
La misère, sans compensation, sans consolation, sans appui, sans biens moraux qui servent de dédommagement, voilà ce que la société a pour but d'empêcher. Quant à la pauvreté simplement dite, c'est-à-dire la participation plus ou moins défavorable aux biens extérieurs, prétendre la supprimer, c'est se donner un témoignage de pauvreté d'esprit et faire un voyage aux pays des utopies.6)
6. L'État chrétien. - Les principes de la saine philosophie, que découvre la raison, fournissent la conception juste et rationnelle de l'État. Mais à ces principes naturels, l'Evangile est venu ajouter une conception plus claire et plus féconde.
Les hommes, éclairés par le christianisme, connaissent mieux leur dignité, leurs droits, ils ont davantage soif de justice et de liberté; ils ont aussi un plus grand besoin d'honneur et de vertu. L'idéal des chrétiens est à la fois plus clair et plus élevé. Aussi ne sont-ils plus gouvernables par les seuls moyens qui ont pu suffire sous le paganisme. À l'état d'âme nouveau créé par l'Evangile, il faut appliquer les principes nouveaux.
Pour l'État, comme pour la famille, comme pour l'individu, il y a un droit chrétien. C'est ce droit chrétien que Léon XIII a proclamé dans l'encyclique Immortale Dei, sur la constitution chrétienne des États. Elle doit être présente à l'esprit de tous les hommes qui ont à cœur de rétablir sur ses vraies bases une société ébranlée.
1. Ses bienfaits. - La nature de l'homme et sa destinée, les intérêts de la famille et ceux de l'État sont tels qu'il n'est pas possible de les séparer de l'idée de Dieu ou de la religion. Son oubli entraîne tous les désordres; elle est nécessaire à la prospérité même matérielle de la vie présente. Par la religion, la vie individuelle et la vie sociale s'orientent dans leur vrai sens, c'est-à-dire vers Dieu.
L'intervention divine dans la mission de Jésus Christ, dans l'Incarnation du Fils de Dieu, a introduit dans le monde un élément surnaturel dont le peuple chrétien ne peut pas faire abstraction. De la religion découlent sur l'humanité des énergies divines toutes pleines des plus grands bienfaits pour les familles et pour les peuples.
La société, pour atteindre sa perfection, a besoin de liberté, de justice et de dévouement, alors que les passions humaines sont toujours prêtes à enfanter l'égoïsme, l'injustice et le despotisme. Seule, la religion a rendu aux hommes la plénitude de liberté; seule, elle assure dans les relations publiques et privées les bienfaits de la justice; seule, elle inspire au cœur humain les dévouements continus et les héroïsmes cachés, même quand il n'y a aucun espoir de récompense humaine.
2. Ses droits. - Le rang de la religion dans la société doit être celui de l'organe principal et non celui d'un organe secondaire.
Par l'autorité du Christ, la religion a revêtu dans l'Église les formes d'une société parfaite, elle en a reçu les droits supérieurs à tous les pouvoirs humains. C'est donc l'Église catholique qui, pour la durée des siècles, représente et incarne pour ainsi dire le rôle de la religion et de ses droits.
Veut-on voir, en retour, quel rôle immense et bienfaisant est celui de l'Église? qu'on relise la première partie de l'encyclique sur la condition des ouvriers.
1. Elle est de droit naturel. - C'est ce qu'enseigne magistralement notre encyclique avec preuves et explications irréfutables: «… De ce que les sociétés privées n'ont d'existence qu'au sein de la société civile, dont elles sont comme autant de parties, il ne suit pas, à ne parler qu'en général et à ne considérer que leur nature, qu'il soit au pouvoir de l'État de leur dénier l'existence. Le droit à l'existence leur a été octroyé par la nature elle-même, et la société civile a été instituée pour protéger le droit naturel, non pour l'anéantir».
Les lois les plus funestes peut-être qu'ait léguées la Révolution à la France sont celles qui suppriment ou entravent la liberté de s'associer. Ainsi la multitude, désagrégée, pulvérisée, a été livrée à la puissance énorme de l'État sans contrepoids.
Cependant il est bon, il est nécessaire que, pour gérer leurs affaires communes, les hommes s'unissent, mettent en commun leurs forces intellectuelles, morales, aussi bien que pécuniaires.
Amortie, contrebalancée par des groupes organisés, la puissance centrale n'en remplit que mieux sa mission, protégée elle-même contre ses tendances envahissantes.
2. La pratique du droit d'association. - La multitude souffre de l'individualisme, de l'isolement. Mais le peuple français, dans sa masse, ne connaît pas ou ne goûte pas le remède, il a bien peu l'esprit d'association. Si cet esprit se développe dans les, centres industriels, combien il est défectueux! L'ouvrier d'usine connaît la grève, il ne connaît guère l'association vraie, permanente, réfléchie, sage et féconde. La population agricole a besoin qu'on fasse son éducation sur ce point.
Ce défaut d'esprit collectif vient sans doute de l'égoïsme humain; mais le sophisme, répandu par les philosophes du siècle dernier, a faussé les idées et les sentiments. Il a été appuyé par les pouvoirs publics, qui ont tout fait pour désapprendre l'association au peuple.
C'est là, pour le peuple français, une cause incontestable d'infériorité.
3. Que faire? - Il faut rapprendre au peuple les moyens de s'associer. D'abord, il faut l'éclairer sur un point si grave de ses intérêts. Par des conférences, par le journal, par les livres, il faut rendre au peuple l'intelligence de l'association, lui en faire sentir les avantages et la nécessité.
Puis, aussitôt que possible, user largement des libertés partielles concédées par la loi. Leur usage procurera de réels avantages au point de vue économique et moral; il réveillera mieux qu'aucune leçon l'esprit d'association. C'est enfin le meilleur moyen de conquérir la liberté complète qu'il faut réclamer.
Léon XIII nous appelle à restaurer pour le bien l'esprit d'association que tant d'autres exploitent pour le mal. Combien d'hommes énergiques travaillent à grouper le peuple en vue d'un but injuste et d'une cause impie! Pourquoi ne verrait-on pas des chrétiens en plus grand nombre, avec plus d'énergie encore, convier les foules à s'unir pour leurs intérêts légitimes?
1. Le droit de propriété privée. - Le droit de propriété privée est assurément l'une des bases nécessaires de toute société civilisée. Pour affirmer que ce droit procède de la nature humaine, la philosophie et l'Église, l'expérience et la raison sont d'accord. Mais aujourd'hui que ce droit est contesté par les utopies communistes, il a besoin d'être mieux que jamais enseigné et défendu.
Nombreux et décisifs sont les arguments qui démontrent la nécessité et la légitimité de la propriété. Rappelons-les brièvement:
a. «L'homme, comme être raisonnable, est un être prévoyant. Or, la prévoyance exige qu'il subvienne, non seulement au besoin présent, mais au besoin à venir; ce qui ne peut se faire sans la possession stable des choses productives. Si les besoins de l'homme cessaient une fois qu'ils ont été satisfaits, cette prise de possession ne serait certainement pas dans le dessein de la nature. Mais l'homme est ainsi fait, qu'il a des besoins chaque jour renaissants. Pour s'assurer contre les effets de leur retour constant, il est raisonnable qu'il cherche à s'approprier, non seulement les fruits de la terre, mais le fonds même sur lequel ces fruits se recueillent. La stabilité du besoin mène à la stabilité de la possession. Cette raison prend une valeur encore plus grande, si l'on considère non plus l'homme isolé, mais l'homme domestique et l'obligation qu'a le père de pourvoir à l'avenir de ses enfants».7)
«La nature impose au père de famille le devoir sacré de nourrir et d'entretenir ses enfants. Elle va plus loin: comme les enfants reflètent la physionomie de leur père et sont une sorte de prolongement de sa personne, la nature lui inspire de se préoccuper de leur avenir et de leur créer un patrimoine qui les aide à se défendre dans la périlleuse traversée de la vie contre toutes les surprises de la mauvaise fortune. Mais ce patrimoine, pourra-t-il le leur créer sans l'acquisition et la possession de biens permanents et productifs qu'il puisse leur transmettre par voie d'héritage?».8)
b. «D'ailleurs, le travail est éminemment personnel à l'homme. Ce sont ses propres facultés mises en action. Si ces facultés s'exercent sur un objet qui n'appartienne à personne, cet objet, meuble ou immeuble, matière ou fonds de terre, désormais perfectionné et transformé, est inséparable du travail auquel il doit sa transformation et il appartiendra en toute justice au travailleur comme l'équivalent de son travail».
Si le travail a eu pour terme un objet appartenant à autrui, et si cet objet a été perfectionné et transformé à la demande même de son propriétaire, le travailleur sera récompensé de son travail par un salaire.
C'est là encore une des origines du droit de propriété.
c. À ces preuves de la légitimité de la propriété, tirées de la prévoyance et du travail, ajoutons les raisons que saint Thomas déduit des conditions de la vie humaine. Il en expose trois:
- «Premièrement, la propriété est le seul moyen d'obtenir une bonne gestion des biens terrestres; car tout homme administre ce qui lui appartient en propre mieux que ce qu'il possède en commun avec d'autres. N'est-ce pas un fait que, dans ce dernier cas, chacun fuit le travail et renvoie aux autres ce qui est commandé à tous en général; c'est ce qu'on voit souvent dans les maisons où se trouvent beaucoup de serviteurs».
Supposez que les biens terrestres soient à tous en général, à personne en particulier. Qui donc voudra travailler pour son voisin et prendre une peine dont il n'aura pas le fruit? Vous verrez rapidement périr toute initiative, tout effort, et avec eux, toute propriété et tout progrès.
- En second lieu, «si l'on veut voir régner dans les choses humaines l'ordre nécessaire à leur bonne gestion, il faut que le soin de chaque chose en particulier revienne de droit aux individus; car, si chacun devait veiller à tout, il s'en suivrait une confusion générale».
De fait, la diversité des professions appelle une organisation. Or, «l'élément essentiel de cette organisation générale du travail est la propriété répartie par familles (le patrimoine), qui détermine, en général, la vocation des membres de chaque famille, et empêche les fluctuations soudaines, le passage brusque de grandes masses d'hommes d'un travail et d'un genre de vie à un autre. Quelle incurable confusion dans le travail, si des partages continuels brisaient ce lien puissant de l'ordre social».9)
- «Troisièmement enfin, seul le droit de propriété peut maintenir la paix parmi les hommes et apprendre à chacun à se contenter de son bien. N'est-il pas d'expérience journalière que la possession d'une chose en commun mène à de trop fréquentes querelles?
Si, déjà, des frères ne peuvent s'entendre quand ils veulent partager l'héritage paternel; si les habitants d'une même maison se brouillent, qui n'ont à se partager que l'air de cette maison et l'eau d'une même fontaine, qu'en sera-t-il de l'humanité quand toute propriété et tout travail devront chaque jour être à nouveau partagés? Toute l'humanité serait déchirée par les querelles et les haines».10)
Ainsi donc, considérez les conditions réelles dans lesquelles l'homme déchu doit vivre soit comme individu, soit comme chef de famille, soit comme membre du corps social, toujours la propriété apparaît comme le moyen efficace de procurer à chacun et à tous la subsistance et la paix. Et c'est pourquoi Dieu a voulu la propriété. De là vient que, dans toutes les nations civilisées, le droit de propriété eut et aura toujours pour le protéger la puissance des lois divines et humaines. Elles s'unissent encore de nos jours pour le défendre et défendre en même temps la société, la civilisation et la religion.
2. L'usage de la propriété. - C'est de la fin et des conditions normales de la vie sociale que naît le droit de propriété. N'est-il pas évident, dès lors, que ce droit même aura pour conséquence des devoirs: les devoirs qu'imposera la nécessité de donner à tout homme le moyen suffisant de vivre? Débarrassé de ces devoirs comme d'une entrave gênante, le droit de propriété devient bientôt abusif, odieux et, loin de servir la société, lui prépare de terribles secousses.
Aussi l'Église n'a-t-elle jamais séparé les deux aspects de la propriété. Elle qui, mieux que personne, assure à chacun son droit, prêche à tous plus haut que personne son devoir.
Saint Thomas, dans sa Somme théologique, a formulé avec une admirable précision l'enseignement de l'Église. Léon XIII, dans l'encyclique, le reproduit mot pour mot. «Sur l'usage des richesses, dit-il, voici l'enseignement d'une excellence et d'une importance extrême que la philosophie a pu ébaucher, mais qu'il appartenait à l'Église de nous donner dans sa perfection et de faire descendre de la connaissance à la pratique. Le fondement de cette doctrine est dans la distinction entre la juste possession des richesses et leur usage légitime. La propriété privée, nous l'avons vu plus haut, est pour l'homme de droit naturel; l'exercice de ce droit est chose non seulement permise, surtout à qui vit en société, mais encore absolument nécessaire. Maintenant, si l'on demande en quoi il faut faire consister l'usage des biens, l'Église répond sans hésitation: „Sous ce rapport, l'homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais bien pour communes, de telle sorte qu'il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités. C'est pourquoi l'apôtre a dit: [«Divitibus hujus saeculi praecipe… facile tribuere, communicare»], ordonne aux riches de ce siècle… de donner facilement, de communiquer leurs richesses”».11)
«Nul, assurément, n'est tenu de soulager le prochain en prenant sur son nécessaire ou sur celui de sa famille, ni même de rien retrancher de ce que les convenances ou des bienséances imposent à sa personne: „Nul, en effet, ne doit vivre contrairement aux convenances”. Mais dès qu'on a suffisamment donné à la nécessité et au décorum, c'est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres. C'est un devoir, non pas de stricte justice, sauf les cas d'extrême nécessité, mais de charité chrétienne; un devoir, par conséquent, dont on ne peut poursuivre l'accomplissement, par les voies de la justice humaine. Mais, au dessus des jugements de l'homme et de ses lois, il y a la loi et le jugement de Jésus Christ, notre Dieu, qui nous persuade de toutes les manières de faire habituellement l'aumône; „il est plus heureux, dit-il, celui qui donne que celui qui reçoit, et le Seigneur tiendra pour faite ou refusée à lui-même l'aumône qu'on aura faite ou refusée aux pauvres. „Chaque fois que vous avez fait l'aumône à l'un des moindres de mes frères, que vous voyez, c'est à moi que vous l'avez faite”».
Voilà comment l'Église entend le droit et l'usage de la propriété. C'est l'oubli de sa doctrine qui a laissé les riches faire de leurs biens un usage égoïste et antisocial, et qui a suscité dans le cœur des malheureux la haine et l'envie. Mais l'oubli du devoir porte aujourd'hui sa peine, il a produit l'ébranlement du droit. Veut-on rendre à ce droit, avec sa solidité, le respect qu'il mérite? Qu'on le rende comme jadis utile et bienfaisant par l'accomplissement généreux du devoir. Que ceux qui possèdent regardent leurs biens, non pas comme un lot dont ils peuvent user en égoïstes, mais comme un dépôt que Dieu leur a confié pour acquérir des mérites en secourant leur prochain.
Cette doctrine a toujours été celle de l'Église. Les orateurs chrétiens du XVIIe siècle l'ont exprimée comme les Pères des premiers siècles. Ce que la cour du grand roi a bien voulu entendre, n'avons-nous pas le droit de le répéter aujourd'hui, sans mériter pour cela l'épithète de socialistes?
Pour nous justifier, laissons donc parler un instant Bossuet et Bourdaloue.
«Sachez, disait Bossuet, que si vous êtes les véritables propriétaires selon la justice des hommes, vous ne devez vous considérer que comme dispensateurs devant la justice de Dieu, qui vous en fera rendre compte. Ne vous persuadez pas qu'il ait abandonné le soin des pauvres. Encore que vous les voyiez destitués de toutes choses, gardez-vous de croire qu'ils aient tout à fait perdu „ce droit naturel qu'ils ont de prendre à la masse commune ce qui leur est nécessaire”. Non, non, ô riches du siècle, ce n'est pas pour vous seuls que Dieu a fait lever son soleil, ni qu'il arrose la terre, ni qu'il fait profiter dans son sein une si grande diversité de semences. „Les pauvres y ont leur part aussi bien que vous”. J'avoue que Dieu ne leur a donné aucun fonds en propriété, mais il leur a assigné leur subsistance sur les biens que vous possédez, tout autant que vous êtes de riches… Il a voulu que vous eussiez l'honneur de faire vivre votre semblable…».
Bourdaloue n'est pas moins explicite. Il proclame que «l'aumône est non seulement un conseil, mais „un précepte”. Elle n'est pas une œuvre de surérogation, mais une obligation étroite et rigoureuse et une loi si sévère qu'il n'y va pas moins de notre salut éternel».
Le XVIIe siècle n'avait pas cette classe de prolétaires qu'a engendrée l'industrie. C'est la forme actuelle du paupérisme, et la première aumône qui lui est due, c'est le juste salaire, le salaire propre à faire subsister l'ouvrier dans des conditions normales.
1. Sa nécessité. - Le travail est le seul moyen par où l'homme puisse pourvoir aux besoins de sa vie. La terre contient en puissance de quoi satisfaire aux besoins sans cesse renaissants, mais ses richesses ne peuvent passer à l'usage que par le travail. Culture de la terre, création de l'industrie, pêche, chasse ou cueillette, c'est toujours le travail.12)
Les richesses naturelles elles-mêmes: Matériaux, sources, forêts, prairies, carrières, mines, force motrice des cours d'eau, ne deviennent utiles que par le travail qui les découvre et les exploite.
Sans le travail, les choses utiles ou agréables ou n'existeraient pas, ou ne serviraient à rien.
2. Le travail chrétien. - Depuis le péché originel, le travail a pris le caractère d'une expiation; il a ainsi une nouvelle valeur. S'il est une punition, il est devenu une réparation, un remède et un préservatif du péché aussi méritoire que salutaire.
En se livrant jusqu'à trente ans aux labeurs d'un métier manuel, et pendant trois années à ceux de la prédication, l'Homme-Dieu a donné au travail une véritable dignité. Qu'il soit donc simplement manuel, intellectuel ou artistique, dès qu'il est sanctifié, il conduit l'homme à Dieu, il est toujours respectable ou méritoire.
«S'il en est (parmi les hommes), dit Léon XIII, qui promettent au pauvre une vie exempte de souffrances et de peines, toute au repos et à de perpétuelles jouissances, ceux-là certainement trompent le peuple et lui dressent des embûches où se cachent, pour l'avenir, de plus terribles calamités que celles du présent».
3. Travail social. - Professions.13) - Il n'est guère possible que chaque individu se suffise à lui-même et puisse se procurer tout seul tout ce que réclame sa nature d'homme. Pour ses besoins physiques, que d'objets nécessaires à la nourriture, au vêtement, au logement! Pour les besoins moraux, peut-il trouver de son propre fonds l'instruction, l'éducation, les secours spirituels et divins? Dans la vie sociale, ne faut-il pas veiller à la sécurité intérieure et extérieure du pays, à la confection des lois, au maintien de la justice, aux intérêts généraux de la nation?
Les travaux doivent donc être partagés et répartis. Dans cette infinie variété d'occupations, chacun trouve à exercer avec plus de plaisir et d'utilité les aptitudes qu'il possède.
De là sont nées les ”professions„.
Sous le règne du Christ, il n'y a plus de fonction servile, toutes les professions honnêtes sont honorables; cependant, elles conservent leur hiérarchie sociale: les professions libérales et les professions économiques; celles-ci ont pour objet la création des produits matériels, leur échange et leur transport.
Les professions diverses se rendent l'une à l'autre des services réciproques. Qui niera l'heureuse influence de la religion et de la morale, enseignées par le prêtre, sur le travail et la richesse? Qui niera l'action salutaire exercée par la puissance publique, par la science, par les beaux-arts et la médecine?
Ainsi apparaît le lien social par lequel Dieu réunit les hommes en une vaste famille où s'échangent les travaux et les bienfaits. Toutes les professions sont utiles, mais leur utilité est proportionnelle aux besoins mêmes auxquels elles répondent. Là où les besoins sont plus grands que la production, le nombre des producteurs peut croître sans péril: ainsi en est-il en France de la culture du blé. Mais combien il y a de besoins auxquels suffit un nombre restreint d'employés! Si cette limite est dépassée, c'est une dépense inutile et funeste de force humaine et d'argent, des frais énormes sans profit: fonctionnaires sans travail,14) avocats sans causes, petits commerçants qui se ruinent pour une clientèle restreinte, maîtres et maîtresses sans élèves, déclassés de toute sorte, proie facile pour la misère et le vice.
4. La division du travail. - Outre cette division du travail général en professions, il y a une autre division qui a lieu dans l'atelier même. Ainsi pour la confection d'armes à feu, les ouvriers de Liège, d'après leurs syndicats, sont divisés en vingt et une catégories qui constituent autant de métiers distincts (Bien du peuple, 3 mars 1894). Les avantages d'une telle division sont: la réduction du travail à des mouvements très simples, parfois mécaniques, la facilité d'approprier la tâche aux aptitudes de l'ouvrier, la dextérité de celui-ci, l'économie du temps que prenait le changement d'occupation, la facilité de l'apprentissage.
Cependant, il résulte de cette division si économique l'abrutissement moral et physique de l'ouvrier. Ce travail, réduit à quelques mouvements simples, éteint l'initiative, déforme le corps et rend difficiles ses fonctions. La race s'abâtardit.
Le patron n'a plus souci que du travail. Peu lui importe l'homme, cent autres peuvent le remplacer.
L'ouvrier, incapable de ne rien faire autre chose que le détail spécial dont il a pris l'habitude, est à la merci d'un chômage ou d'un renvoi.
Voici les moyens de parer à ces inconvénients:
a. C'est que l'ouvrier ait une part plus juste aux profits de son travail et une compensation équitable pour ses risques. Sa participation aux bénéfices paraît seule pouvoir résoudre cette difficulté.
b. C'est que la journée de travail soit limitée, afin de laisser à l'ouvrier le moyen d'occuper d'une façon plus normale son corps et son esprit.
c. Il est souhaitable que l'apprentissage dépasse les subdivisions trop spéciales d'un travail donné, et que l'ouvrier sache sa profession entière et même les notions générales des professions similaires.
5. Organisation du travail. - Le travail concourt d'une manière immédiate à la conservation de la famille et de la société. De sa bonne ou de sa mauvaise organisation découlent ou l'aisance et la paix, ou la souffrance et le trouble. C'est un organe essentiel de la vie du peuple. Abordez n'importe quelle question du problème social, au bout vous verrez toujours se dresser, comme cause du mal ou comme remède, l'organisation défectueuse ou bonne du travail.
Un élément si essentiel peut-il être abandonné aux caprices individuels? Le travail peut-il être livré aux variations des passions humaines, aux calculs de l'égoïsme? C'est du travail que dépend, pour le plus grand nombre des hommes, leur part de justice et de liberté. Laissez agir l'intérêt sans conscience ni frein, ils auront, pour part, l'injustice et l'esclavage.
L'erreur aussi énorme que funeste de la Révolution et du libéralisme a été de laisser le travail désagrégé, désorganisé, en proie à l'exploitation et à la concurrence. Il faut lui rendre une organisation sage, basée sur les vrais principes de la justice et de la religion, aussi bien que sur les conditions nouvelles créées par les machines et par la science.
1. Le travail n'est pas seulement pour l'homme un devoir, c'est aussi le moyen qui doit lui fournir sa subsistance, la réparation de ses forces et les ressources pour élever ses enfants. Or, le salaire est devenu, depuis le développement de l'industrie, la forme la plus répandue de la rémunération du travail. Il faut donc que le travailleur trouve dans son salaire les avantages que nous venons d'énumérer. C'est là le principe fondamental que l'encyclique met en relief pour en déduire la vraie théorie du salaire.
Non, dit le Saint-Père, la fixation du salaire ne dépend pas uniquement d'un libre contrat passé entre le patron et l'ouvrier.
2. Le travail a un double caractère. Il est personnel, parce que la force physique est la propriété de celui qui l'exerce; mais il est aussi nécessaire, parce que l'homme a besoin du fruit de son travail pour conserver son existence. C'est la loi de la nature: «Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front».
Ces deux caractères sont inséparables. Si le travail était purement personnel et libre, le travailleur pourrait, à son gré, stipuler un salaire insuffisant. Mais l'ouvrier se trouve en face d'un devoir auquel il ne peut se soustraire: il doit conserver sa vie, et c'est par son salaire qu'il doit se procurer ce qui est nécessaire à sa subsistance. Toute convention contraire blesse l'équité naturelle (Encyclique, édition de Liège, page 28).
Ces principes contredisent formellement les théories de l'économie libérale, que beaucoup de catholiques avaient acceptées trop facilement.
3. Mais la justice exige-t-elle que le salaire suffise non seulement à la subsistance personnelle de l'ouvrier, mais encore à celle de sa femme et de ses enfants?
Un doute s'est élevé, parce que l'encyclique affirme seulement que le salaire doit suffire à faire subsister l'ouvrier sobre et honnête.
Les partisans de la négative objectent que l'ouvrier, père de famille, ne donne pas plus de travail que le célibataire. Ils ajoutent que le salaire ne pourrait jamais être proportionné aux besoins d'une famille nombreuse.
Malgré ces objections, la thèse n'est pas douteuse: le salaire normal doit suffire, dans les conditions ordinaires, à faire subsister l'ouvrier et sa famille.
Si la justice commutative ne l'exige pas en vertu du contrat, il y a d'autres devoirs qui découlent de l'équité naturelle. On ne peut pas agir de manière que l'ouvrier ne se marie pas ou qu'il ne puisse pas soutenir sa famille.
Si l'encyclique ne parle que de l'ouvrier, c'est qu'elle le considère ”in concreto„, dans les conditions normales de son existence, avec sa femme et ses enfants. Le Saint-Père l'indique bien par un autre passage de l'encyclique où il dit que «l'ouvrier qui percevra un salaire assez fort pour parer aisément à ses besoins et à ceux de sa famille, devra s'appliquer à être parcimonieux».
Le célibataire et le père d'une famille nombreuse sont en dehors des conditions normales et ordinaires. Le premier doit économiser l'excédent de son salaire pour fonder une famille. Le second doit chercher dans les institutions corporatives et charitables ce que le salaire ne peut pas lui donner.
Rien n'empêche aussi qu'on ne tienne compte du travail de la femme; mais, dans une société bien organisée, la place de la femme est à son foyer, et ses gains sont minimes.
Cette thèse est celle des maîtres les plus autorisés.
«Le travail pour l'ouvrier, dit le père. Liberatore, est virtuellement ce qui est nécessaire pour son entretien et celui de sa famille. Si donc il fait profiter le patron de ce travail, il faut que le patron lui donne une rétribution équivalente, afin de maintenir l'égalité dans l'échange, c'est-à-dire la justice: „Justitia aequalitatem importat” (saint Thomas, Somme théologique)».
«Pour suffire à des besoins et à des devoirs normaux et ordinaires, ajoute le père Liberatore, la société doit offrir un moyen ordinaire et normal. Or, d'une part, il est normal qu'un ouvrier ait une famille, et, d'autre part, le moyen normal que Dieu lui donne, c'est le travail. Il faut donc que la rémunération du travail suffise aux besoins de la famille».15)
Ce sentiment est aussi celui du cardinal Manning, du cardinal Gibbons, de monseigneur Ireland; c'est l'avis émis par le Congrès catholique de Gênes sur la proposition de monseigneur Nicotera, nonce à La Haye.16)
Que si une réponse du cardinal Zigliara a semblé contredire cette solution, parce qu'il ne demandait au salaire que les aliments du travailleur, c'est qu'il prenait le mot ”aliments„ dans le sens canonique pour tout ce qui est nécessaire à l'entretien d'un homme dans les conditions normales de son existence et avec ses charges de famille. Cette interprétation est autorisée par une réponse du révérend père. Eschbach, qui s'était assuré de la pensée du Saint-Père.
4. Mais, dira-t-on, cette théorie du salaire, jointe à celle qui veut réduire le travail des femmes, exigerait une augmentation sensible des salaires dans l'industrie. Or, sous le régime actuel de la concurrence illimitée, cette augmentation est impossible. Le patron qui l'appliquerait courrait vite à sa ruine.
Cela prouve précisément que le régime actuel est mauvais, injuste, antisocial, et c'est pour cela que Léon XIII demande qu'on réagisse contre ce régime inique, pour lui en substituer un autre plus conforme à la justice.
Les principes éternels ne doivent pas céder devant les faits. La vérité entraînera les esprits et produira, avec le concours de la Providence, la réforme des mœurs sociales.
Une société chrétienne doit être organisée de façon que l'homme qui travaille soit le plus rarement possible obligé de recourir lui-même à la charité. Il doit y avoir des institutions, des réserves dans les diverses professions pour aider les familles nombreuses et les invalides du travail. Cette aide fournie pour franchir les points morts de l'existence à l'honnête ouvrier qui a fait ce qu'il pouvait, réclame un caractère spécial bien distinct de l'aumône accordée aux miséreux.
1. Le capital est le fruit de l'épargne. Il est formé d'une portion de richesse non consommée.
Toutefois, les économistes ne donnent ce nom qu'à l'épargne considérée comme destinée à la production d'une nouvelle richesse.
Le capital n'est pas nécessairement une somme d'argent. Il consiste dans toutes les choses diverses qui ont une utilité ou une valeur et qui sont destinées à produire une nouvelle richesse. Telles sont les semences pour l'agriculture, les matières premières pour les manufactures, les moyens de transport, les machines, etc.; toutes choses qui peuvent se réduire à deux grandes catégories, les instruments et les provisions.
Un commerçant, un manufacturier, un cultivateur ne possèdent ordinairement sous la forme de monnaie que la plus petite partie de la valeur qui compose leur capital.
2.** **Le capital est-il un agent producteur?
Les éléments nécessaires à la production sont au nombre de trois: la terre, le travail, le capital.
Le travail est sûrement un agent producteur; c'est l'agent par excellence, l'agent universel.
La terre est-elle un agent producteur? Sans aucun doute. Sa productivité naturelle est exploitée et améliorée par le travail.
Mais le capital, c'est-à-dire l'instrument de travail créé par l'homme, est-il un agent producteur?
À proprement parler, non. L'instrument n'agit pas par lui-même. L'homme, pour produire, se sert de l'instrument, mais l'instrument ne produit pas.
Le capital aide cependant la productivité. L'instrument de travail est souvent nécessaire, toujours utile. Toute entreprise importante exige des avances, des machines, un capital en un mot, sans lequel elle ne pourrait ni commencer, ni persévérer. Ainsi le capital est une condition nécessaire, un moyen souvent indispensable. On peut lui donner le nom d'auxiliaire de la production.
Le travail, la terre, les capitaux concourent, chacun à leur manière, à la création des produits. Il s'agit de savoir si et comment ils doivent se partager les produits ou le prix de ces produits.
Une première part va de droit rémunérer le travail, c'est le ”salaire„ de l'ouvrier ou le traitement de l'employé.
Une autre part doit-elle être faite à celui qui possède la terre sans la cultiver lui-même?
La ”rente„ - c'est le nom consacré, - payée par le fermier qui travaille, au propriétaire qui ne travaille pas, est-elle légitime?
La théologie ne le met pas en doute. Un homme peut s'approprier un champ. Il s'approprie en même temps les forces naturelles et productives de ce champ. C'est donc à lui qu'appartient aussi la portion du produit correspondante à ces forces productives. Et alors qu'il loue son champ, il peut recevoir cette portion, soit en nature, soit en argent, pour prix de la location.
”En droit„, la rente est donc légitime, mais combien aisément ”en fait„ peut se glisser l'injustice dans le contrat qui stipule la quotité de la rente! Combien il est facile au propriétaire d'imposer au travailleur qui afferme sa terre des conditions onéreuses et sans proportion avec la part légitime qui lui revient!
Les principes de justice rappelés par Léon XIII aux patrons conservent toute leur force à l'égard des propriétaires fonciers.
L'injustice, toujours criante, devient un mal social plus grand encore lorsqu'une rente surélevée va nourrir des hommes pleins de santé et qui ne rendent à leurs semblables aucun service. La terre n'est objet de propriété que pour le plus grand bien social; le travail est une fonction sociale: pour vivre de sa terre à soi et du travail d'”autrui„, et pour justifier cela aux yeux de ceux qui peinent, il est souverainement désirable, sinon essentiel, qu'on paye sa part de services au pays autrement que par l'oisiveté et le plaisir. C'est l'oubli de ces principes qui fournit tant de prétextes aux ennemis de la propriété.
Les abus auxquels expose le contrat de fermage indiquent assez que, si ce contrat est en lui-même juste, il est loin d'être le meilleur. Combien plus équitable serait le contrat de société entre le propriétaire du sol et le cultivateur, qui, dès lors, courraient les mêmes chances et les mêmes risques, et se trouveraient placés dans des conditions plus voisines de l'égalité!
Le capital a-t-il, lui aussi, une part à prélever sur le prix des produits? En fait, on lui en accorde une, sous le nom de ”profit„ ou de bénéfice si le capital est exploité par son possesseur; d'”intérêt„, si le capital est prêté. En droit, cette part exigée par le capital est-elle légitime?
1. Le profit. - Nous parlons du bénéfice net, du profit qui reste après déduction de toutes les dépenses justifiées. Car le capital engagé a droit d'abord à une ”prime d'assurance„, qui garantisse son possesseur contre les risques qu'il court, puis à l'amortissement du capital lui-même, s'il est transformé en instruments de travail qui s'usent avec le temps. De même l'entrepreneur, qui donne à une œuvre son temps, son intelligence, qui supporte tous les soucis, a droit à une juste rémunération qui le fasse vivre selon sa condition, lui et sa famille. Mais si, toute déduction faite, de l'intérêt, de l'amortissement et des salaires, il reste un profit, à qui appartient ce profit?
S'il va tout entier à l'entrepreneur, la justice est-elle violée? Il serait difficile de l'affirmer, car il semble conforme à la stricte justice que le bénéfice appartienne à celui qui, à ses risques et périls, a mis dans une œuvre honnête sa fortune et son labeur, et qui a payé à ses collaborateurs, le salaire convenu.
Pourtant, ne serait-il pas mieux encore et plus conforme à l'équité que, dans le profit net, il y eût une part pour l'ouvrier? Sans doute, il a reçu déjà, nous le supposons, le salaire équitable qui lui revient de droit. Mais, est-ce qu'il n'a pas risqué, lui aussi, sa propre vie? Est-ce qu'il n'a pas usé ses forces et coopéré par son travail aux profits réalisés? Il serait donc bien qu'il fût admis, pour une part proportionnelle, au partage de ces profits.
C'est ce qui se pratique déjà en plusieurs usines où les ouvriers participent à la prospérité des affaires et ont part aux bénéfices. La part qui reviendrait ainsi aux ouvriers pourrait d'ailleurs ne pas leur être distribuée individuellement, mais être consacrée avec avantage au service des intérêts généraux, tels que caisses d'assurance, de secours mutuel, etc. Combien efficace serait ce mode d'agir pour ramener la paix dans les rapports du capital et du travail!
2. L'intérêt, l'usure. - Mais une part du produit revient-elle au capital seulement prêté? L'argent, autrement dit, peut-il prétendre justement à un intérêt?
a. En thèse absolue, le prêt proprement dit, le ”mutuum„, s'il n'intervient aucune circonstance qui en change la nature, est essentiellement gratuit. C'est le caractère du prêt proprement dit, fait au pauvre en détresse, d'être un service gratuit. Exiger un intérêt, pour un service qui doit être gratuit, c'est violer la nature du contrat, c'est commettre l'usure, cent fois condamnée par l'Église.17)
b. Mais y a-t-il des circonstances extrinsèques qui modifient les conditions du contrat de prêt?
L'Église a toujours admis comme possible le fait que des titres particuliers, qui ne sont pas intrinsèques au prêt, donnent un droit légitime à recevoir quelque intérêt. Ainsi, le dommage subi (”damnum emergens„), le manque à gagner, comme on dit en style commercial (”lucrum cessans„), le risque particulier auquel est exposé le capital (”periculum sortis„), peuvent donner au prêteur le droit de réclamer une juste indemnité, qui n'a rien à voir avec un intérêt perçu en vertu même du prêt (De Pascal, Philosophie morale et sociale, page 588).
Ces divers titres se peuvent rencontrer à toutes les époques de l'histoire. b. Mais y a-t-il, à notre époque, des conditions particulières qui modifient davantage encore le prêt des capitaux?
L'état actuel de l'industrie et du commerce a-t-il donné à l'argent un emploi tel que l'argent ait acquis une sorte de force productive, et qu'il donne ainsi droit, comme la terre, à la perception d'un gain?
Le père Lehmkuhl le croit,18) le père Liberatore l'enseigne positivement pour les capitaux prêtés à une affaire commerciale ou industrielle. «Si le capital, à rigoureusement parler, n'est pas un agent de production, c'est toutefois un élément et un moyen de production „digne, à ce titre”, de rétribution».19)
d. Mais si l'intérêt acquiert, par suite des circonstances, une certaine légitimité, la théologie et la raison sont loin de justifier pour cela toute espèce d'intérêt. Le taux peut aisément franchir la limite de la justice et devenir une véritable usure. Si les capitalistes profitent de la détresse des entrepreneurs pour grossir leurs exigences, le prêt blesse manifestement l'équité.
e. Que sera-ce des capitaux qui ne font que circuler, des capitaux de banque? Ils exigent un intérêt qui court toujours, en toute hypothèse, et qui majore singulièrement le prix de toutes choses. Combien menaçante est ici l'injustice!
Grâce au trafic de l'argent, combien d'hommes vivent et s'enrichissent sans aucun travail utile et aux dépens des travailleurs! Combien d'entreprises sérieuses ruinées, de fortunes particulières englouties, de fermes abandonnées, par suite de l'immoral commerce des capitalistes!
«Lorsque le trafic dont l'argent est l'objet, dit monseigneur Lachat, aura pris tout son développement, exercé toutes ses influences, donné ses derniers fruits, on regrettera, peut-être, mais trop tard, qu'une digue plus inflexible n'ait pas été opposée à ce qu'on regardera, non sans raison, comme les premiers envahissements d'un agiotage qui finit toujours par ruiner les sociétés, sous prétexte de multiplier les richesses».20)
D'ailleurs, le capitalisme se détruit déjà lui-même: l'intérêt est descendu de 5% à 2,5%; n'est-ce pas déjà un hommage rendu aux droits du travail?
On ne peut donc que hâter de tous ses vœux le retour à un état économique meilleur, où les prescriptions de l'Église retrouveront leur bienfaisante application.
T. MEYER, La question ouvrière et les principes fondamentaux de la sociologie chrétienne, traduit par Fritsch, chez Lethielleux, rue Cassette.
De PASCAL, Philosophie morale et sociale, chez Lethielleux.
De PASCAL, Le pouvoir social et l'ordre économique, appendice au troisième volume de la Philosophie scolastique de Elie Blanc, chez Vic et Amat, Paris.
LIBERATORE, Principes d'économie politique, traduit par Sylvestre de Sacy, chez Oudin, 10, rue de Mézières, Paris.
DOUTRELOUX,21) Lettre pastorale sur la question ouvrière, chez Dessain, Liège.
Sur la propriété, consulter:
L'Encyclique.
KETTELER, opera citata: Premier sermon.
SAINT THOMAS, Summa theologiae, IIa, IIae, q. 66, ad 2. BOURDALOUE, Deux sermons sur l'aumône.
Sur l'intérêt et la rente, consulter:
OTT, opera citata, volume premier, page 370 et suivantes, page 406 et suivantes.
LEHMKUHL, Théologie morale, volume premier, page 681 et suivantes.
CARRIERE, Traité de la justice.
SAINT THOMAS, Somme de théologie, deuxième partie: les questions relatives à la justice.
JOSEPH BURG, De la vie sociale, politique et religieuse des nations modernes, chez Sutter, Rixheim (Alsace).
CHAPITRE II
_______________
Les nations, comme les individus, se lassent parfois d'être sages. Elles abandonnent la religion et les bonnes coutumes des ancêtres.
Les nations chrétiennes, et la France en particulier, étaient fatiguées de la direction maternelle et tutélaire de l'Église. Elles se sont retournées vers le paganisme. Elles ont voulu faire un nouvel essai de ses principes et de ses mœurs. Voyons où elles ont abouti, tant au point de vue moral qu'au point de vue matériel. Nous constaterons un malaise social universel dans la famille, dans les mœurs, dans les rapports sociaux, et il sera facile de rapprocher ces conséquences funestes de leur cause, qui est la violation des principes énumérés dans le premier chapitre.
«Croissez et multipliez». C'est la loi de la nature et c'est la loi divine. L'homme aime à se voir entouré de rejetons nombreux. C'est sa force, sa consolation et son honneur.
Mais l'égoïsme contemporain, l'amour du luxe et le sensualisme ont changé tout cela. Voici, du reste, le fait brutal. C'est le tableau officiel de l'accroissement de la population en Europe en 1891:
Russie ………………………….. | 800.000 |
Allemagne ……………………. | 675.000 |
Angleterre ……………………. | 368.000 |
Italie ……………………………. | 270.000 |
Hollande ……………………… | 60.000 |
France …………………………. | 10.500 |
Et encore, ces 10.500 sont des étrangers émigrés en France. En réalité, les décès, en 1891, ont dépassé les naissances de 10.505. En 1892, le déficit est de 20.041.
La race française est en décroissance, tandis que l'accroissement en 1881 était encore de 108.000 par an.
Le chiffre annuel des naissances était encore, en 1881, de 937.000. En 1886, il n'était plus que de 880.000. Il est tombé en 1891 à 838.000. C'est une diminution de 100.000 en neuf années.
En 1892, la population du département de l'Aisne a diminué de 1438 habitants, et la plupart de nos départements en sont là, sauf dans quelques régions restées plus catholiques.
Si le mouvement de la population se continue dans les mêmes rapports, d'ici à cinquante ans les États-Unis compteront 200 millions d'habitants, la Russie 160 millions, l'Allemagne 90 millions, la Grande-Bretagne 65 millions, et la France 40 au plus! Elle sera comme noyée au milieu de cet immense développement d'êtres humains.
Sur 1.000 familles, 200 en France et 324 à Paris n'ont pas d'enfants; 338 en France et 200 à Paris ont trois enfants ou plus. C'est donc un tiers seulement des familles en France, et un cinquième à Paris qui fournissent le contingent normal à la population. Ces chiffres sont fournis par monsieur Levasseur, de l'Institut.
La comparaison du chiffre de la natalité chez les différentes nations d'Europe n'est pas moins navrante. La Russie est au premier rang avec 50 naissances par an sur 1.000 habitants. La France est au vingt-neuvième et dernier rang entre toutes les nations grandes et petites, avec 27 naissances sur 1.000 habitants.
Les causes de cet arrêt dans l'accroissement de la population sont, en première ligne: le calcul opposé au devoir; l'immoralité, qui est en proportion de l'affaiblissement des principes religieux et de l'instabilité des foyers; la prostitution provocante dans les villes; la promiscuité qui naît des logements restreints et du mélange des sexes dans les usines.
Il faut avoir le courage d'enlever l'appareil qui couvre cette plaie et d'avouer encore d'autres causes, telles que: les désordres contre nature qui croissent à mesure que l'infidélité revient, l'incurie des premiers maîtres de l'enfance, indifférents à la morale, surtout depuis les lois scolaires; la précocité coupable par suite de la ”nervosité„ des tempéraments actuels; l'internement de la jeunesse dans les casernes; les obstacles apportés au mariage des ouvriers par la complication des formalités à remplir; les retards forcés du mariage dans l'armée et chez les fonctionnaires, les industriels, les employés administratifs ou civils, les agents de l'État, à cause de la nécessité d'attendre un avancement, une position faite. Enfin, l'insuffisance de l'allaitement chez beaucoup d'enfants que leurs mères ne peuvent nourrir, et le manque de conscience chez la plupart des nourrices non chrétiennes; les statistiques socialistes ajoutent, avec des preuves irréfutables, la mortalité précoce chez les ouvriers dans beaucoup d'industries et surtout chez les descendants des ouvriers de ville.
Nous taisons les autres causes qui relèvent d'une certaine clinique. «Vitio parentum rara juventus» (Horace).
Les médecins accusent encore une diminution dans l'aptitude de la race, qui a dégénéré sous le rapport de la natalité. Comment ne pas voir là une punition divine? Il y a en France 2 millions de familles sans enfants!
Pour être justes, ajoutons que la natalité commence à décroître chez toutes les nations de l'Europe.
Comme remède à la dépopulation, les Juifs nous ont imposé la loi du divorce. C'est un retour en arrière de deux mille ans.
Or, voici l'échelle si tristement progressive de ces attentats à la famille chrétienne.
En 1886 ……………… En 1887 ……………… | divorces 2.950 3.636 |
En 1888 ……………… | 4.708 |
En 1889 ……………… | 4.786 |
En 1890 ……………… | 5.437 |
En 1891 ……………… | 5.752 |
En 1892 ……………… | 5.772 |
De là des milliers d'enfants scandalisés, ballottés et souvent abandonnés.
A noter que les divorces sont encore très rares dans nos départements les plus catholiques.
La Bretagne, la Lozère n'en comptent presque pas. Notre département de l'Aisne y est dans une proportion de 8 pour 1.000 ménages.22) En 1884, les mariages étaient encore de 289.000 en France, et en 1890, ils sont descendus à 269.000.
Est-ce la loi sur le divorce ou la morale laïque qui sont la cause de ce recul?
Leur nombre va toujours croissant.
À Paris, en 1893, le mois de janvier donne: 4.772 naissances, dont 1.249 illégitimes.
C'est plus du quart.
En février: 4.972 naissances, dont 1.433 illégitimes.
C'est près d'un tiers.
La proportion est la même dans toutes nos villes; en 1892 le département de l'Aisne en comptait 1.388. À Saint-Quentin, novembre 1892 donne 56 naissances légitimes et 22 illégitimes; décembre donne 67 naissances légitimes et 34 illégitimes.
En Belgique: Bruxelles a 38% de naissances illégitimes, Liège 33%, Anvers 22%.
Berlin et Londres sont aussi malades.
Quel état social désespérant! Ce n'est pas la déconsidération jetée sur la famille par le divorce qui y remédiera.
Voici maintenant un genre de crime atteignant un développement sans exemple jusqu'ici sur une terre chrétienne et nous ramenant au niveau des mœurs barbares: l'infanticide.
Dans un rapport à l'Académie, monsieur le docteur Brouardel dit qu'il a fait, à lui seul, 326 autopsies pour des présomptions d'infanticides. Après divers détails de statistique médicale, l'éminent praticien ajoute: «La fréquence des infanticides en France va toujours croissant».
Notez bien que sur ce point la province ne le cède point à la capitale. Personne n'ignore qu'il n'est presque pas de sessions d'assises où plusieurs affaires d'infanticides ne soient inscrites au rôle. Et dans quelles conditions de barbarie ou de cynisme s'accomplissent, dans la plupart des cas, ces méfaits qui rencontrent trop souvent des jurys bien indulgents!
La diversité des pratiques abortives et leur vulgarisation tiennent une place notable dans les causes de la dépopulation; leur fréquence est telle que, maintes fois, les Parquets ont dû renoncer à faire usage des résultats de leurs enquêtes, et beaucoup de ces pratiques échappent à toute répression humaine.
Autre signe du ”progrès„.
Ces renseignements se trouvent dans un projet de loi élaboré par le Conseil supérieur de l'Instruction publique.
Le nombre des enfants que la charité officielle doit prendre à sa charge à Paris est d'environ 50.000!
Là-dessus, les enfants abandonnés occupent une place très considérable. Pendant l'année 1880, le chiffre des admissions s'est élevé à 3.547. Et ce chiffre va croissant.
Il ne s'agit, dans ces chiffres, que du département de la Seine. À quel total effrayant n'arriverait-on pas, si on y joignait l'appoint des autres départements?
À Saint-Quentin, la maison de famille du Patronage saint Joseph refusait chaque semaine environ deux enfants abandonnés, et des enfants très dignes d'intérêt.
Voici un autre symptôme du progrès, triste entre tous, c'est le nombre toujours croissant de criminels et même d'assassins à peine sortis de l'enfance.
Il y a dix ans, les statistiques donnaient par an 16.000 criminels âgés de moins de vingt ans. En 1892, il y en a eu 41.000.
De 1889 à 1891, on a arrêté à Paris 40.000 garçons et 13.000 filles au-dessous de seize ans pour faits de prostitution. Ces faits n'ont-ils pas leur éloquence? C'est là le fruit de la laïcisation de l'enseignement et de l'absence de religion dans l'éducation au sein de la famille.
Parmi les crimes commis en France en 1889, par les enfants, on compte:
30 | assassinats |
39 | meurtres |
3 | parricides |
3 | empoisonnements |
33 | infanticides |
4.213 | coups et blessures |
25 | incendies |
153 | viols |
11.852 | délits divers |
Total: 17.000 | crimes et délits |
Ce sont là les fruits de la fameuse loi scolaire. Et ces chiffres sont le bilan de sa banqueroute. L'aveu en échappe journellement à des philosophes, à des littérateurs, à des journalistes qui sont loin d'être cléricaux. Mais, hélas! le ”consortium„ maçonnique de la Chambre tient bon et la France se laisse encore faire.
Dans ces dernières années, l'augmentation du nombre des suicides suit une progression continue et rapide.
De 7.572 en 1884, ils se sont élevés à 8.451 en 1888. Paris seul en compte environ 60 par mois.
Parmi ces 8.451 suicidés, en 1888, il y avait 1.788 femmes; et, ce qui est plus triste encore à constater, 65 de ces malheureuses n'avaient pas atteint leur seizième année, et 383 n'étaient âgées que de seize à vingt et un ans. Dans l'ensemble, il faut compter un quart de suicides d'enfants et d'adolescents. Chaque jour les journaux nous révèlent quelque suicide de collégien ou d'écolier.
C'est là un fait nouveau. Autrefois, les suicides dans l'enfance étaient très exceptionnels. Cela montre le vide effrayant que laisse, dans les âmes, l'absence de l'idée chrétienne du sacrifice. La religion catholique seule donne un sens à la souffrance, à l'épreuve morale, à l'insuccès, à l'humiliation imméritée, au brisement du cœur. Seule elle peut, par la prière et la grâce des sacrements, relever des âmes que le monde laisserait dans l'ignominie et l'abattement.
Pour ce qui est de la décadence des mœurs, signalons brièvement ”la licence de la presse, la multiplication des crimes et des suicides et les trafics immoraux„ auxquels on se livre jusque dans les rangs élevés de la société.
Par le livre et le journal, tout ce qui est respectable est vilipendé; les principes d'ordre et de paix sociale sont battus en brèche; les mauvaises passions sont excitées à plaisir.
Si une grande partie de la presse est à ce point corruptrice, faut-il s'étonner que plusieurs de ses représentants aillent peupler les cellules de Mazas, pour avoir mis leurs actions au niveau de la perversion de leur esprit?
Quels progrès effrayants aussi dans la criminalité générale! En 1880, les crimes poursuivis en France atteignaient déjà le chiffre de 167.000. Ils sont montés à 700.000 en 1892.
Les suicides aussi suivent une progression continue et rapide. De 7.500 en 1884, ils se sont élevés à près de 9.000 en 1892. Il y en a donc aujourd'hui 1.500 de plus par an qu'il n'y en avait il y a dix ans. Et l'augmentation porte surtout sur les suicides d'enfants. C'est le fruit de l'éducation sans Dieu.
Pour ce qui est des trafics immoraux, hélas! tout à été mis à l'encan dans ces dernières années, les décorations, les votes à la Chambre, les élections, les protections administratives. Chaque jour, des scandales nouveaux se découvrent dans les grandes affaires et dans la vie publique. Ils ont leur rubrique dans les journaux et y forment un chapitre à part. C'est au point qu'on s'est demandé s'il ne valait pas mieux, pour l'honneur de la France, cacher le mal que de le châtier.
Il faut que le mal soit bien grand pour qu'une ligue, peu suspecte de cléricalisme et de pruderie, se soit formée pour essayer d'y porter remède.
Un congrès s'est tenu, où l'on a entendu monsieur Jules Simon, monsieur Gréard, monsieur Mézières, monsieur Frédéric Passy. Ils protestent contre les provocations auxquelles se livre la prostitution dans les rues et contre la diffusion des livres et dessins scandaleux.
Soixante Conseils généraux ont adhéré à cette ligue.
Il faut pour cela que le mal soit bien épouvantable!
Signalons aussi le défi constant jeté à la pudeur par l'art contemporain qui pousse à l'excès l'intempérance païenne de la Renaissance.
En 1870, on consommait en France, 600.000 hectolitres d'alcool, soit 1,5 litre par habitant. En 1890, c'est 1.700.000 hectolitres, soit 4,5 litres par habitant. Et quel alcool! à peine s'il était livré encore, en 1885, 23.240 hectolitres d'eau-de-vie de vin à la consommation. C'est un véritable empoisonnement. Tous les autres alcools, surtout à l'état de rectification imparfaite, contiennent des poisons dangereux.
Il y a actuellement 442.000 débits de boissons en France, dont 27.000 pour Paris.
C'est un débit par 87 habitants, c'est 50.000 de plus qu'en 1870.23) En 1885, on buvait, en France, 57.000 hectolitres d'absinthe. En 1892, on en a bu 129.000; la consommation a plus que doublé en sept ans.
Il résulte de ces habitudes un tempérament excitable et souvent déséquilibré pour les enfants; la descendance des alcooliques, d'ailleurs, s'arrête le plus souvent à la quatrième génération.
Il est à remarquer que l'élévation des impôts sur l'alcool aboutit à donner à l'ouvrier des boissons encore plus mauvaises, faute de surveillance et de répression efficaces. Le seul moyen légal qui produise des effets sérieux, c'est l'augmentation notable des patentes. Cette mesure amène bientôt la fermeture d'un grand nombre de débits.24)
En additionnant, dans les statistiques, les suicides, les enfants morts d'atrepsie, les pauvres et les vieillards morts de misère ou d'inanition, on trouve que la misère physique et morale enlève à la France 100.000 de ses enfants chaque année.
Le budget de l'Assistance publique à Paris doit subvenir aux besoins de 44.000 enfants assistés; 367.000 pauvres sont secourus à domicile; 154.000 sont entretenus dans les hôpitaux et hospices.
La proportion est la même dans toutes nos grandes villes. La misère n'est pas moins grande dans les campagnes.
Un grand nombre des enfants d'ouvriers meurent dans les premiers jours après leur naissance. Les mères sont obligées, par le besoin, de rester à l'atelier jusqu'à leurs couches et de reprendre le travail peu de jours après.
Sans doute, «Il y aura toujours des pauvres»: la prévoyance organisée et la charité spontanée sont là pour adoucir la situation des individus incapables de travailler; mais, au sein d'une civilisation brillante, l'existence de classes entières, manquant habituellement des moyens suffisants pour subsister, est un état contre nature, engendré par l'économie libérale et par les principes sociaux de la Révolution.
Une des fins de la société est précisément d'aider les membres de la famille humaine par une bonne organisation sociale, à échapper aux étreintes de la misère.
La terre est assez riche pour nous nourrir tous, et même pour nous faire vivre dans une modeste aisance. Il n'est pas un homme de bon sens qui puisse croire que la misère du grand nombre soit une loi naturelle.
Et cependant…
Capitaliste! Ce mot est souvent pris aujourd'hui en mauvaise part. Il a besoin d'être expliqué.
Il n'y avait pas de capitalistes au moyen âge. Il y avait de riches seigneurs féodaux, qui avaient reçu, au moment de la conquête, de belles terres en récompense de leur bravoure. Il y avait de riches commerçants à Venise, à Gênes, à Bruges et à Anvers, qui avaient fait de beaux profits sur les marchandises apportées du Levant. Les métiers ne produisaient pas de grosses fortunes. Ils donnaient à vivre honorablement et bourgeoisement.
Parmi les seigneurs féodaux et les grands commerçants, il y avait de bons et de mauvais riches. Cela dépendait beaucoup de l'exemple qui venait d'en haut, du roi et des gens d'Église. Quand un saint François, un saint Bernard, un saint Louis passait, tout allait mieux et le bien prenait le dessus.
Après le grand schisme d'Occident et la guerre de Cent Ans, le mal était à son comble. L'Europe était mûre alors pour l'hérésie protestante, maladie mondiale qui a ses phases, le rationalisme, la révolution, le libéralisme, le socialisme; maladie dont le Christ nous offre la guérison, si nous voulons écouter son Vicaire sur la terre.
Mais revenons au capitalisme. On entend par là l'emploi de fonds, acquis par l'épargne, en placements avantageux sans travail personnel.
Le capitalisme a commencé par le louage des terres après l'abolition du servage. L'Église, les corporations, les seigneurs féodaux n'ayant plus de serfs pour cultiver leurs terres, les louèrent à bail et le plus souvent à métayage.
Pourquoi pas? Le propriétaire disait au travailleur: «J'ai des terres et vous avez des bras et du savoir professionnel, unissons ensemble ces facteurs et nous partagerons les produits».
Du métayage au simple loyer, le passage n'est pas injuste. Le propriétaire a dit au fermier: «À notre contrat d'association, ajoutons un contrat d'assurance. Attribuez-moi un revenu fixe, basé sur la moyenne du métayage. Si les années sont bonnes, vous ferez de gros profits; si elles sont dures, vous mangerez un peu de votre épargne». Et ce contrat mixte est passé dans les mœurs.
Au capital foncier s'est bientôt ajouté le capital argent. Le propriétaire s'est dit: «Puisque je puis louer mes terres à bail, pourquoi ne pourrais-je pas aussi louer, ou prêter, ou placer mon épargne, mon argent, chez le commerçant et l'industriel? Il le fera valoir et me donnera une partie du profit, c'est son intérêt et le mien». Et cette part du profit est bientôt devenue, toujours par le principe d'assurance, un revenu fixe annuel.
L'Église hésita longtemps à sanctionner ce nouveau contrat. Il ressemblait tant au prêt usuraire que faisait le mauvais riche au pauvre dans la détresse, en lui redemandant plus qu'il ne lui avait prêté!
Cependant, le courant nouveau l'emporta, et le placement du capital à intérêt est devenu universel. Sur la question théorique, il y a encore deux écoles en théologie. Les uns, les modernes, avec Liberatore, Ballerini, Lehmkuhl, trouvent qu'il s'agit là d'un contrat parfaitement légitime et tout différent du prêt usuraire et oppressif du pauvre: Le prêt moderne, disent-ils, n'est pas un ”mutuum„, c'est un placement, une location, un contrat ”sui generis„. D'autres soutiennent que le régime actuel est seulement toléré par l'Église, que l'argent est essentiellement improductif, et qu'un avenir meilleur ramènera d'autres mœurs commerciales et industrielles. Les uns et les autres s'appuient sur saint Thomas et la théologie classique, qu'ils interprètent différemment.
Permis ou toléré, le fait existe, et voilà que beaucoup de capitalistes vivent des revenus de leur argent placé, sans travail personnel.
N'en déplaise aux plus rigides de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche, théologiens trop rigoureux ou socialistes marxistes, nous avons la témérité de penser que cela n'est pas absolument injuste. Le capital ”placé„ rend des services qui méritent d'être récompensés. Il a son rôle utile dans la société. La grande charte économique de Léon XIII ne le condamne pas. L'encyclique dit que le capital et le travail doivent s'entendre et s'harmoniser; elle ne dit pas que le capital doit abdiquer.
Mais pour que le capital n'excite pas l'envie et le mépris, il faut deux choses: la première, qu'il soit légitimement acquis, la seconde, que ses revenus soient noblement et légitimement employés.
Le capital est-il légitimement acquis, quand un industriel se fait la part du lion dans son usine, quand il ne donne aux travailleurs qu'un maigre salaire, sans aucune part des bénéfices et sans aucune institution morale ou économique? Nous ne le pensons pas.
Est-il légitimement acquis, le capital qui est le fruit de la spéculation, du coup de bourse, de l'accaparement ou de quelque autre agissement de l'usure moderne? Personne ne le soutiendra.
Sont-ils noblement employés, les revenus du viveur sceptique et débauché qui vit les romans de Zola dans les quartiers les plus faisandés de la Babylone parisienne?
Sont-il chrétiennement employés, les revenus du fils de famille noceur ou même simplement ami du plaisir avant tout; de ces jeunes gens que stigmatisait le père Olivier dans un discours qui fit sensation; de ces jeunes gens qui excellent dans l'art du cotillon, qui savent piquer un cheval, qui savent siffler pour rallier les chiens, qui ne manquent ni un ”steeple-chase„ ni un ”rallye-paper„, et qui ne connaissent pas à leur vie d'autre but plus sérieux que celui-là?
Sont-il chrétiennement employés, les revenus du rentier qui vit placidement dans son égoïsme, avec quelques pratiques religieuses, si vous voulez, mais sans œuvres, sans action sociale chrétienne, sans études sérieuses, sans une pitié éclairée et agissante pour la classe de ceux qui souffrent? Pas encore.
Ce sont toutes ces formes du capital mal acquis et des revenus mal employés qui ont déshonoré le capital et fait crier sus au capitalisme.
Pour échapper aux visées de l'envie, si naturelle à l'homme, le capital devrait être absolument juste et chrétien dans son origine et dans son emploi.
La grande industrie est naturellement instable. Elle a des années de prospérité, puis surviennent des inventions nouvelles, un déplacement des marchés, la surproduction, l'élévation des droits aux frontières, etc., et l'état de crise succède à la prospérité.
Cette instabilité amène des situations délicates où il faudrait un grand fond de justice, de modération, de patience, de charité. Nous en sommes loin.
L'ouvrier a souvent de justes sujets de mécontentement: diminution des salaires, exagération du travail, direction tyrannique, etc., etc.
Des meneurs, politiciens ou idéologues, savent exploiter ces difficultés et soulever les foules au profit de leur popularité.
De là un état habituel d'antagonisme, des réunions tumultueuses, des mises en quarantaine, des grèves et des menaces.
Du côté des patrons, nous constatons un malaise correspondant: la méfiance exagérée, la brusquerie, le refus d'écouter les plaintes, des retenues multiples, des diminutions de salaires parfois non justifiées, des renvois effectués légèrement.
Dans cet état de guerre, la concurrence des patrons étrangers et même des ouvriers étrangers vient compliquer la situation.
La vérité est qu'il y a des deux côtés un déficit moral qui empêche l'entente. L'intervention de la force n'y peut rien. Devant la rigueur des lois ou la violence des grèves, il restera au patron la ressource de fermer son usine.
C'est là une impasse où s'usent les forces vives de la société.
Les grands magasins et les sociétés anonymes font disparaître le petit commerce et la petite industrie.
Une infinité de foyers, où l'on jouissait de la paix et d'une modeste aisance, moyennant un travail modéré, sont abandonnés: on va vivre dans les usines aussi malsaines pour l'âme que pour le corps, ou dans les caravansérails du haut commerce, avec le surmenage en perspective, les veilles soutenues par l'alcool, l'air sans oxygène et la phtisie pour en finir.
Le tableau suivant donne une idée de cette migration.
On comptait pour 10.000 habitants:
En 1880 | En 1885 E1EEEnn118851885 | |
Boulangers ……….. . | 28 | 13 |
Bouchers ……………. | 19 | 11 |
Tailleurs ………….… | 92 | 39 |
Cordonniers ……….. | 151 | 40 |
Menuisiers …………. | 63 | 20 |
Le machinisme, comme on l'a montré à la Conférence de Berlin en 1890, ayant mis en œuvre la force énorme de 50 millions de chevaux-vapeur, a laissé sans travail des millions d'ouvriers. Le petit métier a été ainsi détruit, et des populations entières se sont trouvées abandonnées aux spéculations de l'industrie, sans règle ni frein. La libre concurrence, poussée par l'appétit du lucre, s'est mise à produire avec une rapidité vertigineuse, à produire chaque jour davantage pour dépasser en quantité et en bon marché le produit du voisin ou de la veille.
On a cessé de filer, de tricoter, de festonner, de tisser à domicile, et la famille ouvrière s'est disloquée; les artisans, groupés jusqu'à nos jours avec les membres du même foyer à l'entour de leurs métiers, ont été agglomérés par bandes considérables, à la merci du nombre encore plus que des contre-maîtres, des directeurs ou des patrons.
D'abord, l'ouvrier a pu gagner le triple et le double de ce qu'il gagnait chez lui; il a vendu sa petite maison, ses bouts de terre, et il est venu résider à la ville, où il a perdu le calme de l'existence et la sécurité morale. Bientôt l'instabilité du commerce ou de la mode a forcé de diminuer les salaires, alors que des habitudes de dépense et de consommation avaient été contractées.
Bien souvent, les fluctuations de l'offre et de la demande, le ralentissement des affaires ou le chômage, mettent une quantité d'honnêtes gens sur le pavé, et ainsi des familles, qui ont quitté la campagne pour un salaire plus élevé, se trouvent exposées à une misère noire imméritée.
Mais pourquoi ont-ils quitté la campagne?
La population agricole représente 60% de la population totale du pays; elle vivait surtout du blé; or, il y a surproduction à l'étranger: la Russie, l'Amérique, la Hongrie, l'Inde, peuvent, au gré des spéculateurs, nous inonder de leurs produits, et dans ces pays les frais d'exploitation sont minimes en comparaison des nôtres. Le maigre Hindou travaille à 0 franc 10 heures par jour, il faut 2 francs 50 ou 3 francs à notre ouvrier. L'accélération des voies de communication les a mis en concurrence; la mise en valeur des terres du Nouveau Monde et la facilité d'amener les produits de tous pays dans les ports européens, comme de les distribuer dans l'intérieur par les voies navigables ou ferrées, produisent l'avilissement de la rente et de la valeur des terres dans notre pays. Ajoutez à cela que, depuis la suppression des petits métiers, beaucoup de gens peu aisés ont de la peine à vivre à la campagne.
Le partage forcé conduit à l'”unicisme„ de la famille ou à la licitation du petit domaine qu'aucun des enfants ne peut racheter; ils doivent chercher fortune ailleurs, et ainsi les fortes races de nos paysans s'éteignent ou tombent dans le prolétariat.
«Dans l'espace de huit années, dit monsieur Urbain Guérin, dans son livre de l'Évolution sociale, 8.658.546 ventes ont eu lieu pour un nombre d'hectares ayant dépassé 15.716.000, soit plus du tiers de la superficie cultivable de la France». Cette mobilisation du sol et des familles anéantit les traditions et l'influence des anciens.
On évalue à 2 milliards les biens du clergé que l'État s'est appropriés, il faut y ajouter 15 autres milliards pour les biens confisqués aux corporations, aux œuvres d'enseignement ou de bienfaisance et aux communes. Ces biens étaient une réserve amassée par des siècles de travail et de charité pour l'utilité du peuple.
La vente des communaux, la suppression des droits d'usage ont contribué à rendre l'existence plus difficile à la campagne, et ainsi à pousser les populations vers les villes où les convoitises sont excitées par le rapprochement du luxe et de la misère.
Toutes les lois et mesures fiscales qui favoriseraient la petite propriété, le petit domaine familial, le ”home-stead„, seraient des moyens de salut pour la race, pour les mœurs, pour la paix sociale; mais nos législateurs ont-ils bien le temps de s'occuper de choses si pratiques?
Les faits. - L'agriculture est en détresse, c'est un fait. Les fermiers les plus favorisés peuvent à peine payer leurs propriétaires. Beaucoup se ruinent. Presque tous ont recours aux emprunts et aux hypothèques. Les terres elles-mêmes ont perdu une partie de leur valeur. Le travail des champs n'est plus en honneur, parce qu'il est peu rémunérateur.
On comprendra la gravité de cette crise si l'on songe que la culture occupe en France 19 millions d'habitants. Elle nous fournit presque toutes nos denrées alimentaires, le blé, le vin, les pommes de terre, les animaux de boucherie, etc. Elle procure à l'industrie la plupart de ses matières premières, le lin, le chanvre, la laine, la soie, la betterave, etc. C'est la classe agricole qui fournit le plus d'impôts et le plus de soldats. C'est chez elle que se conservent le mieux la vigueur de la race ainsi que les mœurs et les traditions nationales. Rien n'est donc plus grave pour la patrie qu'une crise qui menace de jeter dans le découragement et la misère une partie si importante de la population.
Eh bien! cette crise sévit et il est grand temps d'en chercher les remèdes s'il y en a.
Le désastre des vignes en ce siècle a été unique dans l'histoire. Le phylloxera a passé, précédé et accompagné d'autres fléaux, ravageant les propriétés, comme les peuples barbares ont passé, culbutant les sociétés anciennes.
Les vignes se refont, mais la crise n'est pas finie. Les nations voisines, l'Espagne, l'Italie, la Suisse, la Bavière ont augmenté leurs vignobles et ont appris l'art de bien fabriquer le vin. Nos frontières se sont fermées par la rupture des traités de commerce. L'industrie des vins ”qui n'en sont pas„ a grandi prodigieusement. Les alcools de betterave, de grains, de farineux ont supplanté l'alcool de vin. Les beaux temps de la vigne reviendront-ils jamais?
Le Nord est le pays des céréales, des betteraves, des plantes oléagineuses et textiles. Où en est-il? Une étude consciencieuse, publiée récemment par un grand agriculteur de l'Aisne, établit les données suivantes:
Le XVIIIe siècle avait laissé l'industrie rurale complètement épuisée par la période révolutionnaire.
Dans le premier quart du siècle nouveau, l'agriculture commence à se relever avec le rétablissement de l'ordre sous Napoléon, de la paix sous la Restauration, et avec le développement du mouvement commercial.
Le deuxième quart accuse une marche sensible du progrès agricole sous l'influence d'une paix prolongée et d'un commencement de diffusion des connaissances scientifiques appliquées aux industries agricoles et autres.
La troisième période (1850-1876) est marquée par un développement de prospérité agricole et industrielle sans précédents dans notre histoire.
Mais, après 1876, et plus exactement après 1880, la situation se renverse, et il se produit une crise, dont l'intensité, rapidement croissante, atteint son maximum en 1883, et qui, en quelques années, ramena l'agriculture nationale à une condition presque aussi précaire et aussi fâcheuse que celle de la fin du siècle précédent.
Ces changements de situation ont coïncidé avec des variations correspondantes dans les cours des produits agricoles, dans les prix du loyer et la valeur vénale des terres et dans le taux des salaires.
Dans la région au nord de Paris, de 1800 à 1825, la valeur de la propriété rurale oscillait entre 600 et 800 francs par hectare; le prix de location était de 50 à 60 francs.
Ces prix commencèrent à s'élever dans la deuxième période, vers 1830. Ils progressèrent rapidement jusqu'à atteindre et dépasser, avant 1870, les chiffres de 90 à 100 francs de loyer et de 3 à 4.000 francs pour la valeur vénale à l'hectare.
Mais, sous le coup de la crise de 1880 et des années suivantes, ces prix tombèrent rapidement, et la dépréciation atteignit 40% des prix antérieurs.
La valeur des principales denrées suivait le même mouvement. Ainsi, le blé valait, en moyenne, 18 francs l'hectolitre dans la première période; dans la deuxième, à peu près 20 francs; dans la troisième, environ 22 francs 50. Depuis 1882, il flotte entre 15 et 16 francs.
La laine valait en moyenne 1 franc 70 le kilo au commencement du siècle. Elle a monté jusqu'à 2 franc 25. Elle est retombée à 1 franc 30.
La bête bovine pour la boucherie se vendait en moyenne de 0 franc 40 à 0 franc 50 le kilo; dans la troisième période, elle atteint 0 franc 80 à 1 franc; depuis lors, elle oscille vers la baisse entre 0 franc 75 et 0 franc 85.
Pour les oléagineux, les textiles, la crise est plus grave. Notre région a dû renoncer à ces cultures autrefois si rémunératrices.
Mais, à mesure que les produits diminuaient de valeur, les charges augmentaient.
La main-d'œuvre journalière, au village, était cotée, au début du siècle, de 0 franc 80 à 1 franc; dans le deuxième quart de siècle, elle est de 1 franc 24 à 1 franc 50; dans le troisième, elle atteint jusqu'à 2 francs 25.
Le prix des travaux à façon a subi une progression égale, même plus forte.
Pour les impôts, l'accroissement n'est pas moins sensible.
Au commencement du siècle, la charge des impôts par hectare est à peine de 5 francs; dans la seconde période, elle s'élève à 8 francs; dans la troisième, elle atteint 10 et 11 francs et dans celle en cours, elle va de 13 à 15 francs suivant les charges variables dont sont grevées les communes.
Diminution des produits, aggravation des charges, c'est le bilan de la situation agricole. De là, les fermes incultes, la petite propriété ébranlée, les rentes foncières diminuées de moitié, les grandes exploitations se reconstituant.
Les causes de cette situation. - Nous en avons indiqué quelques-unes déjà en traçant le tableau qui précède. Il y en a, comme les intempéries, les maladies des plantes et d'autres fléaux désastreux, qui sont du ressort de la Providence. Pour conjurer ces causes de sa détresse, le chrétien sait ce qu'il a à faire. Il doit observer le Décalogue et prier.
D'autres causes, au contraire, pourraient être écartées par l'organisation corporative et par les lois.
Le manque de crédit et l'isolement sont irrémédiables sans les associations. Le fermier n'a pas les ressources nécessaires pour se procurer les instruments dont il a besoin, ou pour faire les travaux que réclame le bon aménagement de sa culture. Son isolement le met à la merci des spéculateurs et des intermédiaires pour toutes ses opérations d'achat et de vente. C'est la conséquence de l'individualisme créé par la Révolution.
Les impôts pèsent aussi trop lourdement sur le cultivateur. Il paye jusqu'à 27% de son revenu; l'industriel n'en paye que 13% et le propriétaire de valeurs mobilières 4% seulement. (Confère les discours de messieurs Méline et de Ramel à la Chambre, séance du 20 janvier 1894).
L'agriculture souffre aussi des tarifs douaniers dits ”de pénétration„, qui permettent à certains produits étrangers de venir nous faire, chez nous, une concurrence ruineuse.
Le partage forcé des petits héritages, et les droits exorbitants de mutation, sont encore des obstacles à la prospérité de l'agriculture.
Il faut encore signaler la spéculation et l'agiotage des bourses de commerce sur les divers produits agricoles, et la dépréciation de l'argent qui permet aux produits de l'Inde anglaise de nous arriver à un prix auquel nos producteurs ne peuvent descendre sans se ruiner.
C'est là le vol et l'immoralité en grand.
Que dire de l'affaire du Panama, qui menace de laisser son nom à ce siècle? Pots de vin innombrables, achat des votes et des consciences, concussion, escroquerie et le reste.
On se rappelle le krach de l'Union générale en 1882, affaire montée par une machination politique. À Lyon, on compta 60 suicides, et on vit sauter tout le Parquet des agents de change.
Et le krach des cuivres à Paris en 1880. La Société des métaux, aidée par le Comptoir d'escompte se livra à l'accaparement des cuivres. Les autres mines ayant habilement augmenté leur production, le cuivre baissa. Le Comptoir d'escompte vit ses actions tomber de 1.000 francs à 100 francs et ruina ses actionnaires.
C'est par milliards qu'il faut chiffrer les sommes enlevées à l'épargne française par les coups de Bourse, les réclames mensongères et le charlatanisme financier qui fait vivre la presse. Une étude sérieuse a prouvé que, depuis quinze ans, les banqueroutes et faillites de toute espèce ont fait perdre plus de 12 milliards à la France.
Il est résulté de ce déplacement des fortunes au profit de l'habileté et de la mauvaise foi un trouble profond dans la conscience du peuple, qui voit trop souvent ce bien mal acquis profiter au vice.
Pendant ce temps-là, les familles historiques, où l'honneur était traditionnel, s'abaissent et perdent leur influence.
Que de mesures à prendre contre l'accaparement, l'escroquerie, l'usure!
Aurons-nous l'énergie de supprimer le jeu des différences et les marchés à terme en Bourse? C'est douteux: nous sommes trop esclaves de la Banque juive qui trouve là ses profits.
D'où vient aussi que le blé est à bon marché et que le pain est relativement cher? que la betterave n'atteint pas un prix rémunérateur et que le sucre conserve son prix élevé? qu'il y a souvent un écart si considérable entre la valeur de la bête prise à l'étable et la viande du marché ou de la boucherie? Pourquoi en est-il ainsi de beaucoup de denrées?
C'est que, entre le producteur et les consommateurs, il n'y a pas seulement les intermédiaires, il y a aussi les spéculateurs, ce qui occasionne le renchérissement de la vie et l'avilissement du travail.
Le producteur est en souffrance et le consommateur se plaint.
Bien des fortunes se sont élevées ainsi par la spéculation, aux dépens du travail et de la vie populaire.
Le marché à terme sur les marchandises peut avoir quelque utilité. Le fabricant qui vend ses produits d'avance peut se baser sur cette vente pour déterminer la quantité de matière première qu'il devra acheter et l'activité qu'il devra donner à sa fabrication.
Mais, le plus souvent, ces marchés n'ont d'autres résultats que de favoriser la spéculation et l'agio.
La spéculation a toujours quelque chose d'aléatoire. Elle est immorale. Le spéculateur achète ou vend d'avance, suivant ses prévisions. Il vit sans cesse dans l'angoisse et court des risques incessants. La spéculation est tout à fait en dehors des conditions du travail normal, qui doit être rétribué équitablement, sans profits excessifs et sans pertes ruineuses.
L'agio n'est qu'un simple jeu, une vente fictive. Il n'y a dans l'agio aucune vente réelle, ni aucune livraison au terme fixé. Le compte se règle tout simplement par le payement d'une différence, qui est payée par le vendeur, s'il y a hausse, et par l'acheteur s'il y a baisse.
La spéculation et l'agio jettent le trouble sur les marchés. Ils mettent en péril les fortunes privées et nuisent aux consommateurs eux-mêmes en produisant souvent la hausse des marchandises.
Prenons pour exemple le marché des laines, à Roubaix.
La presse de Roubaix est obligée d'avouer que le jeu a fait dévier le marché à terme du but de sa création. Sous l'influence de la spéculation et de l'agiotage, sans cesse grandissants, les prix, depuis plusieurs années, sont en proie à une véritable danse de Saint-Guy; la spéculation, ou prévision raisonnée, n'est même plus possible, ”le jeu domine tout„. On cite telles personnes qui, en quelques mois, ont réalisé des bénéfices de 300.000 francs sans avoir fait aucun achat réel, aucune vente réelle.
Le plus souvent, l'agiotage conduit à l'accaparement et au monopole.
Il se forme d'abord des syndicats opposés: l'un pousse à la hausse, et l'autre pousse à la baisse. Puis ils ne tardent pas à se dire qu'ils feraient mieux de s'entendre que de se combattre. Ils forment alors une ligue, ce qu'on appelle un ”consortium„, et ils s'entendent pour se rendre maîtres du marché par l'accaparement et pour faire ensuite hausser les prix à leur gré. Ils écrasent ainsi à la fois les producteurs et les consommateurs, au seul profit du ”consortium„ des spéculateurs.
Le remède à ce désordre économique, c'est la suppression ou la réglementation du marché à terme. Si on laisse subsister ce marché, il faut que la caisse de liquidation ait pour mission d'entraver les opérations fictives et le jeu, en n'admettant comme clients que les industriels, en surveillant les opérations, et en limitant le crédit.
Ces règlements ne peuvent être sérieusement établis et maintenus que par les corporations et les chambres de travail.
C'est une question fort intéressante, fort importante, mais un peu difficile à saisir.
Jadis, toutes les nations admettaient l'argent comme monnaie d'échange international. Les nations d'Occident y joignaient l'or, et les deux métaux étaient dans un rapport constant de valeur de 1 à 15,5. Un gramme d'or valait 3 franc 10 d'argent. On appelait ce régime celui du bimétallisme.
Depuis tantôt quatre-vingts ans, quelques États n'ont plus voulu accepter que l'or comme monnaie d'échange international. Ces États gardent bien à l'intérieur de l'argent monnayé, mais seulement comme monnaie d'appoint.
C'est l'Angleterre qui a commencé en 1816. Elle détenait alors presque tout l'or de l'Europe, grâce à son commerce, à ses colonies, et aussi parce que les nations continentales s'étaient ruinées à la guerre.
Elle trouva donc bon de spéculer sur l'or, de le monopoliser autant que possible, et de l'accaparer. Elle exigea de l'or pour les marchandises qu'elle écoulait, elle en exigea pour les intérêts des emprunts qu'on lui avait faits. Les autres nations, pour la payer en or, durent lui en acheter à elle-même fort cher, en lui donnant beaucoup de leur argent et de leurs produits. Ce fut le profit du commerce anglais et des banques anglaises, qui sont en partie aux mains des Juifs.
L'argent, le blé, la soie de l'Inde, de la Chine et du Japon, affluèrent à bon compte en Angleterre, ces pays ayant besoin de l'or de l'Angleterre pour lui payer ce qu'ils lui achetaient.
D'autres nations, les États-Unis, l'Allemagne et l'Union des nations latines ont imité l'Angleterre. Elles ont adopté le monométallisme et supprimé l'argent comme monnaie internationale.
Mais les conséquences de cette mesure pèsent maintenant sur diverses classes de la société, chez les nations occidentales. Nos agriculteurs et nos industriels sont écrasés, nos modestes rentiers sont en perte; seuls, les grands financiers et le commerce d'importation y trouvent leur compte.
L'argent est déprécié de moitié par rapport à l'or. L'argent, n'ayant plus de valeur internationale, est devenu moins précieux, moins recherché. De là, le prix du change est devenu plus onéreux pour les nations qui n'ont que de l'argent.
Gare à ces nations, si elles ont des payements à faire en or dans les pays à monnaie d'or! Dans ce cas, si elles ont des produits naturels abondants, elles les donneront à bon compte. Si elles n'en ont pas, elles trahiront leurs engagements et ne payeront pas.
Ainsi l'Inde, la Chine, le Japon, pays à monnaie d'argent, donnent leur blé et leur soie à bon compte pour se procurer un peu d'or. Et ce blé et cette soie viennent peser sur nos marchés. Nos agriculteurs et sériciculteurs sont écrasés par la concurrence. Le blé de l'Inde vaut 10 francs dans nos ports, quand le nôtre coûte 20 francs à produire. La soie de l'Asie a pris entièrement la place de la nôtre. Notre industrie consommait encore 35% de soie française en 1872, elle n'en consomme plus que 1%.
Nos industriels aussi sont écrasés, parce que les pays à monnaie d'argent, trouvant trop onéreux d'acheter à prix d'or nos produits industriels, s'arrangent pour s'en passer. L'Inde et le Japon se couvrent d'usines. Bientôt ces pays suffiront à leurs besoins et, de plus, ils nous prendront le marché de la Chine en lui vendant moins cher et en se contentant de sa monnaie d'argent.
Nos petits rentiers souffrent aussi, parce qu'ils ont placé leurs capitaux sur les petits États, comme le Portugal et la Grèce, qui promettaient de grosses rentes. Mais ces petits États, écrasés par le cours du change, ne payent plus d'intérêts.
Seul, le commerce d'importation fait de beaux profits, ainsi que la haute Banque, qui spécule sur les changes et sur les emprunts. Et ce commerce et ces banques sont généralement aux mains des Juifs.
Le remède serait de rétablir le bimétallisme. Mais la haute banque est puissante et très écoutée. Pour nous faire patienter, elle nous dit que l'or abonde dans les mines africaines et qu'il y en aura bientôt assez pour mettre toutes les nations à l'aise. Elle n'ajoute pas que cet or nouveau va encore entre ses mains, parce qu'elle en accapare les mines.
Il faut que nos agriculteurs, nos industriels et le peuple lui-même fassent entendre leurs plaintes bien haut, pour que cette crise soit conjurée et ces spéculations arrêtées par la réhabilitation de l'argent.
L'argent ne se prête ni aux mêmes aléas, ni aux mêmes spéculations. La plupart des nations ont des mines d'argent. L'extraction en est plus lente et plus coûteuse. Il y a échange de labeur entre le producteur d'argent et le producteur de marchandises. L'argent ne se prête pas à l'accaparement.
Soulevons l'opinion par la presse et la propagande électorale pour que les nations, par une entente, rétablissent le rapport constant de l'argent et de l'or.
Consulter: La crise des changes, par Edmond Théry, et divers articles de l'Association catholique et de la Sociologie catholique.
Des études ont été faites sur les budgets économiques des classes ouvrières. La Belgique a fait là-dessus une enquête officielle. En France, l'étude se poursuit dans les Congrès catholiques. On comprend que les résultats sont très variables.
Les ressources d'une famille normale de cinq personnes varient, aujourd'hui, de 1.100 francs à 1.400 francs, et c'est 1.600 francs qu'il faudrait.25) 1.100 francs! Avec la charge du loyer, cela donne 0 franc 50 par jour par personne. C'est juste assez pour ne pas mourir. Comment l'ouvrier se soutiendra-t-il? Comment aura-t-il une tenue décente? Il n'est pas question qu'il ait sa petite part des joies de la terre, ni qu'il puisse faire des réserves pour le chômage, la maladie, l'éducation des enfants, la vieillesse.
Léon XIII a-t-il tort de dire que beaucoup d'ouvriers sont dans un état de misère immérité?
Rien n'est pénible à voir comme ces travaux à l'aiguille faits pour des maisons de confection ou pour des ateliers de toilettes. L'ouvrage est toujours si pressé, et le salaire souvent si minime!
Les journées de 15, 18 heures et même 20 heures n'y sont pas rares, et le dimanche n'est pas respecté.
La veillée à l'atelier est souvent suivie, hélas! d'une arrière-veillée à la maison.
Le révérend père Du Lac, dans une réunion de dames à Paris, citait cette lettre qui n'est pas du tout exceptionnelle:
«Je vous écris à 2 heures du matin. Vous me le reprochez, vous avez tort. Je suis obligée de veiller chez mon patron. Mais, de plus, comme il y a beaucoup de petits frères et de petites sœurs, je me suis imposé une chemise d'homme à faire le soir, avant de me coucher. Elle n'est pourtant pas payée bien cher: une chemise d'homme, pour les grands magasins, c'est 0 franc 50».
La vaillante femme continuait:
«Ne croyez pas que ces veillées me font mal; je crois que j'en ai plutôt besoin, tant j'y suis accoutumée!».
Elle en avait si peu besoin, qu'elle dut bientôt entrer à l'hôpital avec une maladie de poitrine.
Il faudrait aussi faire lire aux femmes qui font travailler, pour leur recommander les femmes qui travaillent, le célèbre Chant de la chemise, du poète anglais Thomas Hood. Ce chant éclata en Angleterre comme un cri de révolution. On le dirait écrit avec des pleurs. Monsieur d'Haussonville en a donné un long fragment dans son intéressante étude sur la vie et les plaisirs à Paris. Mais il n'est point assez connu, il ne le sera jamais trop. En voici le refrain et quatre couplets traduits littéralement:
Les doigts las et usés
Les paupières alourdies et rouges,
Une femme, dont les haillons indignes
Contrastaient avec son visage,
Etait assise, poussant l'aiguille et le fil.
Cousant, cousant, cousant toujours,
Dans la misère, la faim et la hâte;
Et, de sa voix à l'intonation douloureuse,
Elle chantait le Chant de la chemise.
1. Coudre, coudre, coudre,
Tandis que le coq chante là-bas;
Coudre, coudre, coudre encore,
Jusqu'à ce que l'aube brille à la lucarne!
Oh! c'est être esclave,
Comme chez les Turcs barbares,
Dont les femmes n'ont pas d'âme à sauver
Si c'est là le travail d'un chrétien!
2. Travaille, travaille, travaille,
Jusqu'à ce que ta tête ait le vertige!
Travaille, travaille, travaille,
Jusqu'à ce que tes yeux soient pesants et troubles!
Fais les coutures, la triplure et les poignets,
Jusqu'à ce que, arrivée aux boutons,
Tu tombes de sommeil
Et continues à les coudre en rêvant!
3. O hommes, qui avez des sœurs chéries,
hommes, qui avez mères et femmes,
Ce n'est pas de la toile que vous usez,
Mais la vie de créatures humaines!
Couds, couds, couds toujours!
Dans la pauvreté, la faim et la hâte,
Tu couds avec un fil double
Un linceul en même temps qu'une chemise.
(…)
4. Oh! pendant une courte heure, une seule,
Avoir un répit, si bref fût-il;
Non pas un heureux loisir pour aimer ou espérer,
Mais seulement un temps de repos pour la douleur!
Pleurer un peu, cela me soulagerait le cœur;
Mais sous mes paupières, il faut
Que sèchent les larmes amères,
Car chaque pleur arrête mon aiguille et mon fil.
Les doigts las et usés,
Les yeux pesants et rouges,
Une femme couverte de haillons, dont l'indignité
Contrastait avec son visage,
Etait assise à pousser l'aiguille et le fil,
Cousant, cousant toujours
Dans la misère, la faim et la hâte;
Et toujours d'une voix douloureuse.
- Plût à Dieu que ses accents eussent
Touché l'oreille du riche! -
Elle chantait ce Chant de la chemise.
Et ce n'est pas là de l'imagination, mais du réalisme.
CHAPITRE III
1. La société n'est pas une invention du libre arbitre des hommes, comme on l'a prétendu, mais une condition naturelle de leur existence. Cette condition repose elle-même sur des bases immuables: la religion, la famille, le travail et la propriété.
«Dieu, qui a donné des lois à la république des abeilles, n'en aurait-il pas tracé à la société des hommes?».
Liens de l'homme avec Dieu, avec ses parents, avec ses pareils, avec toute la création, tout cela est dans le plan du Créateur, dans la formule du Décalogue, dans l'esprit de l'Évangile, dans la doctrine de l'Église.
Ces liens tutélaires attendent l'homme avant sa naissance, le soutiennent tout le long de la vie et jusqu'aux portes de l'éternité.
Le réseau de ces liens naît sans doute de l'ordre de la nature, mais il ne s'impose pas physiquement à l'homme, créature consciente et libre, comme le font les lois de la nature au reste de la création. Ce réseau forme un tout qui correspond à la conception chrétienne de la société. Il n'a pas été réalisé ailleurs que dans les sociétés chrétiennes. L'histoire nous dit ce que les sociétés païennes avaient fait de la famille et des travailleurs.
2. Puisque c'est de la conception chrétienne de la société que dépend la solidité du réseau de liens qui lui correspond, il est clair qu'une autre conception se substituant à celle-ci devra d'abord relâcher, puis emporter ces liens, quitte à leur en substituer d'autres.
Seulement, une conception fausse de la société ne peut engendrer que des liens artificiels. Et des liens artificiels ne peuvent que gêner, blesser et finalement devenir insupportables. Tel l'enfant marche avec des lisières, à condition qu'elles soient bien placées pour soutenir ses pas. Si elles lui font défaut, il trébuche; mais si, par sottise ou malice, on les lui avait attachées aux pieds en place de les laisser aux épaules, ce serait encore pis, sa chute serait violente et il ne saurait plus marcher du tout.
1. Dans cette conception nouvelle, ni l'humanité ni l'homme adulte n'ont besoin de lisières.
L'homme naît bon; l'antique conception sociale l'a seule faussé; rendu à l'état de liberté, il retrouvera la plénitude de ses facultés.
Il appliquera toutes ses facultés à la satisfaction de ses besoins et de ses désirs sans autre limite que la satiété.
Il ne connaîtra d'autres lois que celles de la nature; et celles-ci, il les déterminera lui-même scientifiquement.
Si, par suite de cette détermination scientifique, il convient à un certain nombre d'hommes d'adopter des règlements sociaux dans l'intérêt de leur plus grand bien-être, la pluralité des voix en décidera; et ce qu'aura décidé la majorité s'appellera la volonté du peuple.
Dans la volonté du peuple réside la justice absolue, puisqu'il n'y a dans l'humanité aucun germe de malice. Dans la volonté du peuple réside aussi la souveraineté absolue, puisqu'il n'y a pas d'autre source du droit que le bon vouloir des individus qui le composent.
2. Cette doctrine philosophique de la perfection naturelle de l'homme, et conséquemment de son droit à une liberté absolue dans un état d'égalité sociale absolue, en a enfanté logiquement d'autres qu'on accepte comme des dogmes:
Celui de la liberté de conscience, ou de l'affranchissement de tout devoir social vis-à-vis de Dieu; l'idée de Dieu n'apparaissant plus dans le système que comme une hypothèse arbitraire et superflue.
Celui de la liberté du travail, c'est-à-dire de la licéité de toutes Conventions entre employeurs et employés, les intérêts devant s'harmoniser au mieux par la seule vertu de la loi de l'offre et de la demande.
Celui de la liberté de toutes les autres transactions, en vertu du même principe: liberté du commerce, liberté de l'intérêt, liberté de toutes les spéculations.
Au résumé, liberté de s'enrichir par tous les moyens, liberté de s'appauvrir par toutes les imprévoyances.
Par contre, proscription de toutes les libertés les plus sacrées: la liberté des vocations, la liberté de l'éducation, la liberté du testament, la liberté d'association.
L'État reste la seule forme de groupement permise aux citoyens; il en interdit toute autre qui tendrait à protéger des intérêts particuliers, et n'intervient en faveur d'aucun de ceux-ci.
Sa mission est purement une action de police pour le maintien de l'ordre public, sous le couvert duquel chaque citoyen soutient à son compte la lutte pour la vie, sans plus s'inquiéter des autres ni en rien prétendre.
Tel est le corps de doctrine de l'individualisme.
1. La doctrine de l'individualisme, où l'homme se prend pour sa propre fin et où l'humanité, se glorifiant elle-même, s'affranchit de tout devoir vis-à-vis du Créateur, est aussi ancienne que le monde, puisqu'elle est celle que l'ange rebelle soufflait au premier homme.
Elle s'est transmise à travers les âges, dans les civilisations païennes, parce qu'elle est fille de l'orgueil, et que l'homme ne cherche trop souvent dans les bienfaits de Dieu que les moyens de s'affranchir de sa loi.
Elle a éclaté, au lendemain de la Renaissance, dans la Réforme, qui s'est faite au nom de la liberté d'examen.
Elle a inspiré la Franc-Maçonnerie. Cette société, née au commencement du siècle dernier, en Écosse, sur un sol où la Réforme avait fomenté plus encore qu'ailleurs la haine de l'Église, professait une philosophie inspirée de l'orgueil pharisaïque et du matérialisme des sectes de l'Orient, en même temps que ses pratiques étaient empruntées aux plus grossières idolâtries dans lesquelles les Juifs étaient tombés. Elle mêlait toutefois à son langage un vague hommage à l'Etre suprême, Dieu impersonnel dont les commandements se confondaient avec ceux de la nature, et à ses coutumes une puérile contrefaçon de la chevalerie; pour faire des dupes dans son propre sein, elle s'affublait des ornements extérieurs de ce qu'elle allait s'acharner à détruire: la société chrétienne.
2. Lorsque la Franc-Maçonnerie eut gagné dans toute l'Europe les classes dirigeantes et leur eut inspiré un grand dédain du menu peuple qu'elle n'admettait pas dans ses rangs, elle concentra ses efforts sur la France, qui tenait alors sans conteste la tête de la civilisation. Profitant de l'écroulement d'un régime politique qu'elle avait miné en même temps que corrompu, elle fit luire aux peuples, comme un Évangile nouveau, dans la proclamation des droits de l'homme, ce qu'on appelle encore les grands principes et que Le Play appela beaucoup plus justement les faux dogmes de 1789.
Comme elle avait inspiré les cahiers des bailliages,26) elle fit les élections, gouverna les assemblées, imposa à l'État sa devise: «Liberté, Egalité, Fraternité», et poursuivit avec la dernière violence tous les restes d'autonomie, tous les vestiges de solidarité, toutes les libertés publiques ou privées que l'ancien régime n'avait pas lui-même abolies: les corporations avec leurs ”boîtes„ de secours mutuels, les communautés religieuses avec leurs biens, toutes les fondations en faveur des pauvres. Tout ce qui formait leur patrimoine fut confisqué sous le bénéfice de cette déclaration, que la nation assumait la charge de fournir du travail aux citoyens valides et des aliments aux indigents.
Le siècle s'est écoulé, la Franc-Maçonnerie s'est maintenue au pouvoir, ses doctrines sont invoquées comme des dogmes à peu près par tous les partis. Mais ses promesses sont restées vaines, parce qu'elles sont en contradiction avec ses principes.
§ 4. - Comment le libéralisme économique a concouru, avec l'individualisme impie et révolutionnaire, à désorganiser la société, en préconisant une fausse notion du travail
«Laissez faire, laissez passer, disait l'École de Manchester. Ôtez toute entrave au commerce, toute lisière au travail. La loi de l'offre et de la demande et le libre échange suffiront à tout. Si l'équilibre est un moment troublé, il se rétablira. L'ouvrier malheureux ira chercher au loin des salaires plus avantageux, ou bien il se défendra par la grève».
La plupart de nos économistes en sont encore là.
C'est une illusion déplorable qui a concouru, avec la propagande révolutionnaire, à désorganiser la société.
L'ouvrier, privé des associations qui le soutenaient et des lois qui le protégeaient, est resté sans défense. La loi inéluctable de la concurrence conduit toujours à la production à bon marché et à l'abaissement des salaires.
L'ouvrier, patient, se prête à tout pour vivre et pour donner un peu de pain à ses enfants. Les journées s'allongent, les nuits s'y ajoutent, les femmes et les enfants travaillent, et le pain est toujours aussi rare à la maison. Alors, l'ouvrier s'aigrit, et il est prêt à accepter toutes les mauvaises doctrines. C'est là que nous en sommes.
Qu'on ne dise pas que l'ouvrier a la grève pour faire hausser le prix du travail. L'ouvrier n'a pas les ressources pour attendre. De fait, sur cent grèves, il n'y en a que cinq ou six qui tournent au profit de l'ouvrier.
On dit aussi que le travail est libre, que l'ouvrier peut chercher ailleurs. Non, l'ouvrier ne peut pas facilement chercher ailleurs. Il y a peu d'usines semblables. L'ouvrier ne peut pas transporter partout son modeste foyer comme l'Arabe transporte sa tente au pâturage voisin. Et puis, ailleurs, que trouverait-il?
C'est la conception même du système qui est fausse. ”Le travail n'est pas une marchandise„, une valeur régie par des lois économiques; c'est un acte humain et social, qui a des conséquences morales pour l'individu, la famille et la société.
«Ah! s'écriait l'éminent cardinal Manning, si le but de la vie est de multiplier les aunes de drap et de coton; si la gloire d'une nation est de produire ces articles dans la plus grande quantité et au plus bas prix, c'est bien… En avant dans la voie où nous sommes!
Au contraire, si la paix et l'honneur du foyer, si l'éducation des enfants, les devoirs d'épouse et de mère sont écrits dans une loi naturelle autrement importante que toute loi économique; si toutes ces choses sont autrement sacrées que tout ce qui se vend au marché, il faut agir en conséquence.
Si, dans certains cas, la non réglementation du travail conduit à la destruction de la vie domestique, à l'abandon des enfants; si elle transforme les femmes et les mères en machines vivantes, les pères et les époux (qu'on nous pardonne ces mots) en bêtes de somme, qui se lèvent avant le soleil et retournent au gîte le soir, épuisés de fatigue, et n'ayant plus que la force de prendre un morceau de pain et de se jeter sur un grabat pour dormir, alors la vie de famille n'existe plus, et nous ne pouvons continuer de ce pas».
Et, comme quelques-uns accusaient le cardinal de socialisme, il répondait: «Non; aider les ouvriers et les indigents, mettre à leur service le concours de l'Église, les forces de l'État et l'appui des associations, pour empêcher ce qui est contre la loi naturelle et chrétienne, ce n'est pas faire du socialisme, c'est accomplir un devoir».
1. Le principe de la souveraineté du peuple est aussi tyrannique que celui des monarchies absolues, car tandis que celles-ci exagèrent le droit divin pour se soustraire à tout contrôle, le principe de la souveraineté du peuple exclut l'idée de Dieu et ne reconnaît aucun frein. Le premier docteur de l'École, J.-J. Rousseau, l'a proclamé, et aucun depuis n'a pu le contester. Or, la souveraineté du peuple ne peut, en réalité, être exercée que par une faction qui s'empare de la majorité et traite forcément en ennemie toute minorité dissidente. Environ une moitié des citoyens est ainsi réduite au rôle du vaincu dans un pays conquis, d'émigrés à l'intérieur. Dans la majorité même, tout citoyen en possession théorique de la souveraineté vit, en réalité, dans un état juridique peu différent de celui de l'esclavage, puisque rien ne garantit que ce qu'il appelle aujourd'hui son droit ne sera pas déclaré périmé par ses propres mandataires, et qu'il ne sera pas du même coup déclaré suspect, parce qu'on le supposera mécontent et rebelle, parce qu'il ne peut manquer de l'être dans son for intérieur.
2. Que l'instabilité des institutions soit une conséquence inséparable du dogme de la souveraineté du peuple, cela va de soi, la mobilité naturelle du peuple n'étant contenue par rien dès qu'il se croit le maître de tout. Ce n'est même pas seulement leur instabilité, c'est leur caducité qu'il faut dire, car toute institution ancienne a contre elle l'esprit de nouveauté que ce régime exalte outre mesure, tandis qu'il affaiblit l'esprit de tradition.
3. Mais que l'égoïsme des mœurs soit une autre conséquence des mêmes doctrines sociales ou plutôt antisociales, cela demande à être bien considéré.
La liberté, telle qu'elle est comprise dans la pratique de l'École, consiste à n'avoir vis-à-vis de personne de devoirs de subordination; l'égalité, à n'être tenu davantage à aucun respect, à aucune déférence, à aucun égard. Où donc serait le lien social dans cette conception? Pas même dans la famille, où l'enfant devient bien vite l'égal du père - heureux quand il ne se croit pas plus que lui, par cela même qu'il est plus «dans le mouvement».
Reste sans doute le troisième terme de la formule «Fraternité». Mais, pour voir de quel ressort il peut être, il faut considérer le pivot. Ce n'est plus parce que nous avons un Père commun «qui est aux cieux» que nous sommes frères dans la doctrine nouvelle, mais par une simple similitude de nature, et parce que nous descendons tous des singes.
Ces dogmes nouveaux ne sont guère propres à inspirer aux hommes un véritable amour de l'humanité.
1. //«L'homme est un loup pour l'homme»// (//Homo homini lupus//)//.//
Cette parole est de l'un des docteurs de l'Ecole: elle n'est que trop aisée à justifier dans sa conception sociale.
L'homme a des besoins, il a des passions, il a des erreurs. S'il n'est fondé, dans la société moderne, à invoquer aucun secours, à rencontrer aucun modérateur, à se guider sur aucun phare, à quoi ne le poussera pas le besoin? où ne l'entraînera pas la passion? jusqu'où ne l'égarera pas l'erreur?
Dans la société moderne, aucune loi ne protège la faiblesse dans les luttes de la concurrence; aucune institution n'intervient comme modératrice dans les questions vitales du prix du salaire et du coût de la vie; aucune ne met un frein à la cupidité du spéculateur. Dès lors, l'homme sans protection entre en lutte pour la vie contre les autres hommes, et la maxime évangélique: «Aimez-vous les uns les autres», devient impossible à pratiquer, tandis que triomphe la formule satanique: «Détruisez-vous les uns les autres».
2. Si ces paroles paraissent excessives, qu'on veuille bien jeter les yeux autour de soi, compter les ateliers, les foyers disparus, et se demander s'ils pouvaient ne pas disparaître.
La chose est si commune que l'on n'y fait pas attention: on voit des villages agricoles tomber en ruines, et l'on dit que c'est l'appât des gros salaires de l'industrie et des plaisirs faciles de la ville qui les a fait abandonner. On ne veut pas se dire que les gens n'y trouvaient plus à vivre, faute de protection de leurs moyens d'existence, de leurs industries domestiques, de leurs petits biens.
3. C'est l'individualisme révolutionnaire et la libre-pensée qui ont détruit, il y a cent ans, les grandes institutions qu'avait créées la solidarité chrétienne. Ce sont eux qui ont détruit le patrimoine collectif des travailleurs et amené la confiscation des richesses des ordres religieux, lesquelles étaient le patrimoine collectif des pauvres.
C'est de l'individualisme et de la libre-pensée que procède, ”comme une réaction et comme une conséquence fatale„, la propagande collectiviste d'aujourd'hui.
Le peuple, ayant une tendance naturelle à l'association et un besoin réel de protection dans les luttes pour la vie, et ne rencontrant plus le secours des corporations et des fondations religieuses d'autrefois, accepte les utopies du socialisme collectiviste, qui lui promet cette assistance et ce bienfait de l'union. Remarquons, en passant, que cette origine manifeste du péril collectiviste en indique clairement le remède sur lequel nous reviendrons plusieurs fois.
Pour enrayer le collectivisme, il faut couper la racine du mal, c'est-à-dire attaquer l'individualisme économique et la libre-pensée. Il faut restaurer, sous une forme appropriée aux circonstances actuelles, la solidarité chrétienne ruinée par le libéralisme révolutionnaire. Il faut reconstituer les patrimoines collectifs par l'association, par la mutualité, par la coopération, par les caisses d'épargne, d'assurances, de retraite, etc., bref, par l'application, dans le domaine social, du grand précepte de la charité chrétienne, à la place du principe égoïste de l'économie libérale.
Le libéralisme, ou plutôt l'individualisme, puisque c'est le nom qui convient à la fausse notion de la société, devait engendrer de fausses notions sur toutes les institutions qui sont à la base de l'ordre social. Il a fait de la religion une opinion personnelle, et de sa pratique une affaire d'ordre purement privé, sans rapport avec la vie publique. Il a fait de la famille une société momentanée, de nature animale, également sans rapport avec la vie sociale; l'État usurpe l'autorité du père de famille, et en affranchit le citoyen dès qu'il est adulte. Il a fait du travail une forme d'esclavage, dont les conditions sont déterminées et imposées à la pauvreté par les détenteurs de la richesse, sans autres règles de droit que celles qui naissent de la force. Il a fait, enfin, de la propriété, une puissance sans conditions, une puissance sans frein, une source de droits sans devoirs.
La doctrine de l'individualisme est donc responsable, en plus du mépris de la religion, de la famille et du travail, de cette forme particulière du mépris de la pauvreté qui a sa source dans l'avarice, et se traduit par cette définition païenne de la propriété: le droit d'exclure tout autre de la disposition et de l'usage d'un bien; tandis que sa définition chrétienne est le droit d'administrer et de dépenser en vue du bien commun: «Potestas procurandi ac dispensandi» (saint Thomas).27)
8. - La fausse notion de la propriété a faussé la répartition des biens
Aux siècles chrétiens, la répartition des biens avait respecté le grand principe que «l'usage des biens est commun à tous dans une certaine mesure». Les riches ne pouvaient pas s'affranchir de tout devoir social; les pauvres ne pouvaient pas perdre tout droit.
La propriété foncière était à l'état de copropriété quant au fonds et quant aux revenus; elle ne pouvait changer de nature ou de mains sans le consentement des divers ayants droit, qui détenaient, les uns le domaine éminent, les autres le domaine utile; ses fruits étaient également l'objet d'un partage, dans lequel la part restant au cultivateur était supérieure à celle que lui laisse aujourd'hui le fermage ou l'exploitation dont il est le salarié.
De plus, une partie très notable, souvent même la plus considérable des biens-fonds, était soustraite à l'appropriation individuelle, et formait des biens dits ”de mainmorte„, qui étaient la dotation du culte, de l'enseignement, de l'assistance publique, ou formaient des bénéfices viagers en faveur de telle ou telle condition de personnes; en sorte qu'il n'y en avait aucune de tellement déshéritée qu'elle n'eût recours sur quelque portion de la propriété publique ou privée.
L'Église prélevait en faveur des pauvres la dîme sur tous les revenus; elle participait en faveur des œuvres pies à tous les héritages; les corporations d'artisans avaient leur ”boîte„ pour les secours éventuels, leurs hôpitaux, leurs écoles; les communautés rurales avaient leurs biens, leurs droits, leurs usages, tels que le glanage, l'affouage, la vaine pâture; enfin, trait essentiel, les biens mobiliers, l'argent, ne pouvaient être capitalisés, de sorte que tout le monde trouvait de quoi vivre sur les «biens du bon Dieu».
De nos jours, tout cela a disparu: celui qui ne possède rien en propre ne peut prétendre à rien, et il est conduit ainsi à ne voir dans l'appropriation actuelle des biens qu'une monstrueuse exaction.
On dit bien, pour défendre ce régime, qu'il est inhérent au progrès économique; mais alors l'affranchissement de la propriété, dans la mesure où il était avantageux au possesseur du fonds, ne devait-il pas ouvrir un droit à une juste indemnité au profit des usagers?
L'État s'est substitué à tous ces ayants droit par l'élévation des impôts et des taxes successorales, mais il ne leur en est rien revenu. Et il n'a fait ainsi que consacrer la spoliation, quand il ne l'a pas perpétrée lui-même, comme dès le début de la Révolution.
Il est donc tenu encore aujourd'hui à restitution; non pas globale, sans doute, mais successive et indéterminée, en favorisant surtout la reconstitution de biens corporatifs.
Les particuliers, de leur côté, doivent être rappelés à cette loi fondamentale, que leur superflu n'est pas la dotation de leurs plaisirs, mais le bien des pauvres.
Mais ce n'est pas assez que de signaler les péchés par omission imputables à la propriété, telle qu'elle est actuellement établie et exercée; il faut maintenant passer à ses péchés d'actions, et voir comment, après avoir abandonné les pauvres, elle les pressure.
La propriété, affranchie de tout devoir, conserve ce que, en termes modernes, on appelle des disponibilités. Du moment où elle ne croit plus devoir les employer en services gratuits, il est naturel qu'elle cherche des placements rémunérateurs, et qu'elle mesure le prix de ses services, moins sur ce qu'ils lui coûtent et sur ce qu'ils rapportent que sur le besoin d'autrui et sur la nécessité où il est de se les procurer.
C'est là le principe de l'usure. Il rend la pauvreté tributaire de la richesse, tandis que c'est celle-ci qui a reçu de la Providence la charge de répartir ses dons.
L'usure s'est d'abord exercée par le prêt dit de consommation et par le gage hypothécaire, puis par la rente excessive imposée à la terre ainsi engagée; ensuite, par la location des capitaux à un taux excessif, tandis que la location d'ouvrage se traduisait en salaires insuffisants.28)
Cela est facile à toucher du doigt dans la statistique des premières entreprises industrielles: lorsque des capitaux ont décuplé, les salaires n'ont pas même doublé, alors que la valeur de l'argent a diminué davantage.
Les classes inférieures, c'est-à-dire celles qui, vivant d'un travail journalier peu rémunéré, ont droit au dévouement des classes supérieures, se sont trouvées, sous le régime de l'usure, non seulement abandonnées à elles-mêmes, mais exploitées par les possesseurs du capital et, comme nous l'avons dit, tributaires de ceux-ci.
Le résultat de cette exploitation a été la prolétarisation, c'est-à-dire la perte d'une existence assurée, telle que la possession d'un foyer, d'un métier et de ses instruments, en un mot, d'un état. Aussi le régime, dit de la liberté du travail et du commerce, a-t-il été justement stigmatisé dans les termes suivants par Léon XIII:
«Une usure vorace est venue ajouter encore au mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Église, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain et d'une insatiable cupidité. À tout cela, il faut ajouter le monopole du travail et des valeurs, devenu le partage d'un petit nombre de riches et d'opulents qui imposent ainsi un joug presque servile à l'infinie multitude des prolétaires».29)
Partant de cette fausse notion de la propriété, les classes élevées, sans se livrer directement à la spéculation usuraire, n'ont pas craint de participer à ses profits par le moyen des capitaux qu'elles pouvaient lui fournir. D'où une première cause de déconsidération.
Puis elles se sont abandonnées à l'oisiveté, à la faveur de ces revenus dont la rentrée n'exigeait aucun travail; elles n'ont plus songé à se distinguer des classes inférieures que par le luxe et le bien-être.
La richesse, dès lors, n'est plus apparue chez elles comme un produit des nobles labeurs, ni comme un attribut du pouvoir acquis. Elle a cessé d'inspirer le respect.
N'étant pas restée non plus une source de libéralités, inhérentes à sa nature, elle a cessé d'appeler la reconnaissance.
Elle est devenue une jouissance d'ordre inférieur, qui ne peut plus inspirer que le dédain à ceux qui n'en sentent pas le besoin, et l'envie à ceux qui souffrent de la médiocrité ou qui endurent la pauvreté. En même temps qu'elle créait l'éloignement entre les riches et les pauvres, la propriété ainsi conçue amenait un nivellement antisocial entre les usuriers de profession et leurs associés inconscients.
Les Juifs prenaient de droit la première place dans une société ploutocratique; leur clientèle bénévole ne songeait plus à ce qui devait la distinguer d'eux; après les avoir remorqués, elle tombait à leur remorque, perdant ainsi jusqu'au droit à l'existence. C'est bien là «propter vitam vivendi perdere causas».
Dans ces conditions d'abaissement moral des classes élevées, l'inégalité des conditions ne peut plus apparaître comme le produit de l'équitable rémunération des divers services sociaux, mais comme celui de la force ou de la ruse au service de la cupidité.
Le peuple ne peut s'en faire une autre idée puisqu'il ne lui aperçoit pas une autre utilité que celle de stimuler le travail des uns au profit de l'oisiveté des autres. Il ne se paye plus du sophisme «que s'il n'y avait pas de riches, il n'y aurait pas de travail pour les pauvres»; ceux-ci, en effet, se chargeraient très volontiers de la consommation qui paraît être l'unique fonction de ceux-là.
Dès lors que les classes élevées ne sont plus que des classes riches, et que les riches n'apparaissent plus que comme des parasites, leur suppression revêt les apparences de la justice sociale, et devient l'idéal de la démocratie. L'égalité politique ne lui apparaît plus comme le dernier mot de l'évolution moderne, mais simplement comme le moyen de réaliser l'égalité économique. D'ailleurs, celle-ci est-elle plus que celle-là contre nature et droit?
La notion de la hiérarchie des rangs sociaux correspondant à l'ordre des services ayant disparu avec le fait, ne peut être remplacée que par celle de l'exploitation des masses qui forment la base de la pyramide sociale par les classes qui s'élèvent à la richesse.
Alors, à l'écrasement réel ou apparent du plus grand nombre, correspond le soulèvement général des esprits.
Le programme nettement égalitaire de la démocratie sociale étant adopté par les masses trouve néanmoins encore d'immenses résistances dans la société moderne, non seulement parce qu'il est contre nature, mais parce qu'il bouleverserait l'enchevêtrement des intérêts les plus nombreux.
Ses adeptes, lorsqu'ils sont gens de sens rassis ou qu'ils sont à l'aise pour attendre, le considèrent volontiers comme celui d'une évolution historique qui se produira et se poursuivra fatalement, par l'excès même du système inverse.
Ce système, en effet, qu'ils nomment le capitalisme, et qui repose sur l'usure, doit amener le monopole des richesses en un nombre de mains toujours décroissant; si bien que, forcément, ces richesses se confondront avec la richesse publique, soit que les rois du capital s'emparent de l'État, soit que quelque opération, facilitée par leur petit nombre, les fasse tomber eux-mêmes au pouvoir de l'État.
Mais les esprits plus absolus ou les appétits plus pressés n'entendent rien à cette évolution légale, à cette lente transformation. C'est à la violence qu'ils sont prêts à demander ce qu'ils appellent la justice; et en attendant qu'ils possèdent la force, ils procèdent par la terreur.
On les appelle ”anarchistes„. Ils ne le sont pas plus que ceux qui ont employé ces mêmes moyens pour l'établissement d'un ordre social qui n'a pas réalisé ses promesses.
Ce n'est donc pas sans causes que l'on sent la menace d'une révolution sociale.
1. La substitution d'une morale plus facile à la morale chrétienne a engendré dans toutes les classes la soif de jouissances, et développé ce genre de besoins dans une proportion plus forte que celle de l'accroissement des moyens de bien-être. Même sans désordre, le ménage des petites gens va à la ruine; on n'y peut plus boucler le budget, encore moins épargner, parce qu'on n'y veut plus vivre selon sa condition. Le luxe, qui n'était jadis que le chancre de la richesse, est devenu la lèpre de la pauvreté; l'accroissement apparent du confortable des classes moyennes est un trompe-l'œil qui ne produit chez elles qu'une poussée vers le prolétariat où s'engouffrent tous les déclassés. Et jamais il n'y eut tant de ces malheureux que depuis que l'on a dit qu'il n'y avait plus de classes.
Avec la religion a disparu la modestie chez les femmes, la sobriété chez les hommes, la discipline dans la famille. Quand chacun y gagne de son côté, chacun y prétend à son gain pour le dissiper. Et quand il ne reste plus à gagner que pour un, chacun entend encore vivre de même aux dépens de celui-ci. Combien de pauvres mères en sont là, dans des conditions pires que celles d'une bête de somme, qui, si elle est frappée, est au moins nourrie!
Mais, assez parlé de la religion chrétienne disparue. Un dernier mot encore sur celle de l'humanité qu'on lui a substituée. Après avoir montré où elle est née, quels maux elle a causés, voyons où elle mènera la société moderne et comment son règne finira fatalement. En un mot, voyons ce qu'il y a dans le dilemme: Christ ou Révolution.
2. Cette doctrine sociale, cette religion de l'humanité proclamée par la Franc-Maçonnerie repose, en résumé, sur trois principes:
La perfection naturelle de l'homme.
La liberté absolue qui en est la conséquence logique.
Enfin l'égalité sociale absolue de tous ces individus également bons et également libres.
Or, le système se tient parfaitement, une fois le premier principe admis. Je dirai plus, il s'impose, et il est légitime d'imposer les lois sociales qui en découlent, même par force, aux récalcitrants.
C'est ainsi que la proclamation de ces principes en 1789 impliquait fatalement leur application violente par le régime de la terreur. Ce régime ne fut pas, comme on le dit souvent, pour n'y pas laisser regarder de plus près, celui d'une série d'excès opposés à la générosité du mouvement de 1789, mais une nécessité sanglante, pour faire passer le nouveau droit, qui répugnait à la nature, dans les faits qui durent s'y plier.
Ainsi voilà le système, il est d'une extrême simplicité; la majorité des citoyens veut que la société soit faite de telle façon; la minorité ne la conçoit pas ainsi. On fait disparaître les opposants, et tout le monde est content, jusqu'à ce qu'on se soit aperçu que le résultat n'est pas parfait. Les mécontents s'appellent alors des anarchistes et appliquent le même principe par des procédés nouveaux: la lutte s'établit entre la bombe et la guillotine.
C'est la troisième phase logique et fatale de la Révolution.
Le Décalogue est la charte divine de la vie sociale. Les dix commandements de Dieu sont l'ordonnance paternelle et préventive dont l'observation nous assurerait toujours le bonheur.
Dieu nous avait dit: «Faites cela et vous vivrez heureux». L'expérience des siècles a justifié sa parole. L'école économique la plus pratique, l'école de monsieur Le Play, qui ne s'est basée que sur l'observation et la comparaison des faits, a constaté que le bien-être social grandit avec l'observation du Décalogue et décroît avec son abandon.
La cause principale de notre crise sociale, c'est donc que les commandements de Dieu ne sont plus observés et qu'on n'en tient plus compte dans la direction civile de la société. Aussi les ouvriers qui travaillent contre la religion travaillent directement contre leurs intérêts.
La première cause de tous les désordres sociaux, c'est l'égoïsme. On ne l'eût jamais vu s'établir parmi nous, si le premier commandement de Dieu eût été observé. Ce commandement nous rappelle que nous avons un même Père qui est au ciel, et sa conséquence logique est que nous devons aimer nos frères. Notre Seigneur Jésus Christ ne l'a-t-il pas dit: Ces deux commandements de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain sont tellement unis qu'ils n'en font qu'un.
L'égoïsme et l'indifférence paralysent toute action pour le bien. C'est un mal général en France. À part une élite bien restreinte, il n'y a plus guère que l'amour du bien-être ou du plaisir qui pousse à accomplir un effort. La grande masse du pays, pénétrée par le découragement et l'indifférence, annihilée par son désir immodéré de jouissance, soumise à l'égoïsme universel, se laisse vivre sans réagir contre la décadence sociale qui se précipite.
Le pays a besoin d'hommes vigoureux et forts. L'humanité appelle des réformateurs éclairés. Mais il faudrait, pour cela, travailler, se sacrifier et oublier un peu les plaisirs immédiats, et la lâcheté est si naturelle au cœur de l'homme heureux! Les âmes efféminées se replient sur elles-mêmes. La jouissance et l'orgueil étouffent le dévouement et ne laissent subsister dans nos cœurs, pour tout ce qui ne nous touche pas directement ou ne nous élève pas au-dessus des autres, qu'indifférence et mépris.
Le plaisir, le bien-être obtenu sans peine, la vie facile acquise sans grand travail, c'est l'idéal du jour. Toutes les classes de la société sont atteintes par ce mal dévastateur. Et si nous voyons parfois la classe ouvrière agir avec énergie et marcher aux élections avec un certain empressement, c'est qu'elle espère, à force de choisir des mandataires imbus de ses idées de jouissance illimitée, arriver à l'obtenir aux dépens de la fortune publique et même de la vitalité nationale.30)
Les ouvriers se plaignent, avec raison qu'on abuse de leurs forces et qu'on ruine pour eux la vie de famille en leur refusant le repos du dimanche. Pour les préserver de ce malheur, il suffisait de respecter le troisième commandement de Dieu.
Les désordres qui se rencontrent dans les familles ou bien entre patrons et ouvriers seraient évités par l'observation du quatrième commandement. Il prescrit le respect, l'aide mutuelle et l'affection dans la famille et dans ses extensions, dans la vie domestique, dans l'usine et dans l'atelier.
Les excès de travail imposés à l'ouvrier, et particulièrement aux femmes et aux enfants, sont condamnés par le cinquième commandement, aussi bien que les assassinats, les suicides, les querelles et les duels.
Le sixième devait nous prémunir contre la débauche, l'immoralité de l'atelier, les attentats et les séductions qui s'y commettent, et contre ce mal désastreux qui produit la dépopulation de notre pays.
Le septième n'enseigne pas seulement les droits de la propriété, mais aussi ses devoirs et ses charges. Bien observé, il n'assurerait pas seulement le respect de la propriété, mais aussi son bon usage, conformément aux principes de la justice et de la charité.
Mais, hélas! ceux qui dirigent la société sont si loin de s'appliquer à lui procurer le bénéfice de l'observation du Décalogue que, au contraire, ils ne semblent préoccupés que d'en assurer le mépris et la violation.
Ajoutons enfin que le Décalogue ne va plus aujourd'hui sans l'Évangile. Les Israélites, qui avaient reçu de Dieu la loi ancienne, n'ont pas su l'observer. Leurs descendants ont remplacé l'observation des lois de la justice par la pratique de l'usure sous toutes ses formes.
Le Christ est venu renouveler la promulgation de la loi. Il a recommandé de chercher la justice avant tout le reste. Il a porté la loi à sa perfection en nous enseignant la charité, le dévouement et l'humilité, et en nous offrant les grâces surnaturelles nécessaires pour pratiquer ces vertus. C'est sous la direction du Christ et de son Église que la société pourra revenir à la pratique du Décalogue, et, par là, au relèvement social.
CHAPITRE IV
Quand un désordre moral se produit, il a pour point de départ quelque faux principe dont il est la conséquence.
Quand il s'agit d'un état social absolument désordonné, comme celui que nous avons décrit, il est manifeste que des principes nombreux et fondamentaux ont été méconnus et violés, et il est à supposer que des agents puissants et organisés ont mis en œuvre ces principes faussés ou renversés pour satisfaire leurs intérêts ou leurs passions.
Nous avons rappelé au commencement de ce volume les principes religieux, moraux et sociaux, dont l'oubli a causé l'état lamentable de la société actuelle.
Nous venons de montrer comment trois notions fondamentales en économie sociale, la notion de la société, celle du travail et celle de la propriété, ont été dénaturées depuis un siècle, et nous avons vu quel désordre en est résulté.
Mais quels peuvent bien être les agents puissants qui ont concouru à propager ces faux principes et ces fausses notions et à leur faire produire des conséquences si ruineuses?
Il y en a deux surtout, la Franc-Maçonnerie et le Judaïsme, qui agissent avec autant d'hypocrisie que de force et de ténacité. Nous allons essayer de les démasquer.
Le principe de la Franc-Maçonnerie est vieux comme le monde, c'est la lutte permanente du mal contre le bien.
Monseigneur Fava en fait remonter l'organisation actuelle à l'hérésie socinienne. C'était un renouveau de l'hérésie arienne.
Lélius Socin et son neveu Fauste niaient le dogme de la Trinité et celui de la divinité de Jésus Christ. La secte prit naissance à Vicence, en 1546. Lélius Socin, exilé de Vicence, porta ses idées en Pologne. La secte devint une puissance. Socin était en rapport avec les chefs de la Réforme et en particulier avec Mélanchton.
Persécutés plus tard en Pologne, les sociniens, devenus les francs-maçons, portèrent leurs doctrines en Angleterre et en Écosse, où Cromwell les favorisa. C'est d'Écosse qu'ils sont venus en France, où la première loge fut fondée en 1725.
Les sociniens avaient pris le nom et les insignes des maçons, pour signifier qu'ils voulaient construire une société nouvelle.
D'autres historiens ont fait remonter la Franc-Maçonnerie aux confréries des Logeurs du bon Dieu, qui ont construit nos cathédrales et nos églises du moyen âge, et qui auraient dégénéré, par suite de leurs richesses et par l'adjonction de membres étrangers au monde du travail.
Monseigneur Meurin, dans un ouvrage magistral, paru en 1893, a traité cette question historique dans toute son ampleur. Il a étudié les symboles maçonniques, les degrés du rite écossais, les emblèmes et les décors usités dans les loges, et il en a trouvé la clé. Tous ces mystères sont calqués sur ceux de la Kabbale juive. Cette Kabbale était une secte juive qui avait accepté un mélange de doctrines païennes pendant la captivité de Babylone. L'inspirateur de la Kabbale, comme des religions païennes, est Satan, et son but est de se faire adorer à la place de Dieu.
Monseigneur Meurin nous montre l'analogie des doctrines de la Kabbale avec celles des anciennes théogonies païennes de l'Inde, de la Perse, de l'Assyrie, de l'Egypte et de la Grèce.
Il retrouve la même main et la même inspiration dans la philosophie hermétique et dans les sectes des premiers siècles chrétiens, le gnosticisme, les ophites et le manichéisme.
Satan était l'inspirateur de toutes ces sectes, comme il l'avait été du paganisme, et les Juifs de la Kabbale lui prêtaient leur concours. Leur doctrine était un vague panthéisme mêlé de dualisme. Ils admettaient, comme les Perses, deux principes émanés du Grand Tout. Ahriman et Ormuzd étaient devenus Jéhovah et Lucifer. Mais, pour eux, c'est Lucifer qui est le dieu bon, tandis que Jéhovah est un dieu cruel et persécuteur.
Les Templiers déchus avaient adopté les mêmes doctrines. Ils se rattachaient aux sectes kabbalistiques.
Aujourd'hui, c'est la Franc-Maçonnerie qui est l'instrument de Satan sous la direction de la Kabbale juive.
Sans aucun doute, la plupart des francs-maçons ignorent les mystères intimes de leur secte et son but satanique. Cependant, le voile se déchire, des révélations nous viennent de plusieurs côtés sur les secrets les plus intimes de la secte judéo-maçonnique.
Au-dessus des loges ordinaires, il y a la haute Maçonnerie qui existait depuis longtemps sous des noms divers: ”gnostiques, martinistes, occultistes„, et qui a reçu depuis quelques années une organisation puissante, sous le nom mystérieux de Palladisme.
Le Palladisme a ses trois grands centres, dogmatique, administratif et politique, à Charleston, à Berlin et à Rome.
Les loges palladistes sont appelées des triangles. Soixante-dix-sept provinces triangulaires sont présidées chacune par un mage élu.
Le Palladisme rend un culte à Lucifer, et il dirige l'action politique et sociale des loges dans la guerre qu'elles font au catholicisme.
Les maçons italiens, d'ailleurs, depuis vingt ans déjà, ne se gênent plus pour glorifier Satan, l'acclamer en public et arborer son étendard.
A Turin, en 1882, on chanta au théâtre, devant une populace digne d'un pareil spectacle, l'hymne à Satan du poète Giosué Carducci, dont nous citerons le début et la fin:
Vers toi, principe de l'Être,
S'élancent mes vers enflammés.
Je t'invoque, ô Satan, ô roi de ce banquet.
Voici qu'il passe, ô peuple, Satan le grand.
Il passe, bienfaisant, de lieu en lieu,
Sur son char de feu.
…………………………….
Salut, ô Satan, ô rébellion!
Force vengeresse de la raison!
À toi le sacrifice de notre encens et de nos vœux.
Tu as vaincu le Jéhovah des prêtres.
À Palerme, on a vu le lycée, maîtres et élèves, recevoir en triomphe le poète Rapisardi, qui a chanté la victoire de Satan et blasphémé le Christ et la Vierge Marie.
L'étendard de Satan a été arboré à Gênes, aux fêtes du 20 septembre 1884, et à Rome à celles du 20 septembre 1891.
En 1884, le professeur Mannarelli, chargé de faire le discours de rentrée de l'Université de Rome, prit pour thème: «L'éloge de Satan et son influence salutaire dans l'histoire, depuis la révolte d'Adam jusqu'à l'entrée à Rome des Piémontais».
Ces apologies de Satan ont trouvé de l'écho dans toute l'Europe. Une conférence publique, donnée à Bruxelles, au 30 juin 1876, par le groupe de la libre pensée, avait pour but de «justifier Satan de la longue calomnie des siècles».
En France, le franc-maçon Renan a donné aussi un coup d'encensoir à Satan, dans le Journal des Débats:
«Satan, écrivait-il, est sans contredit celui qui a gagné le plus au progrès des lumières et de l'universelle civilisation. Milton comprit „ce pauvre calomnié”. Son siècle, aussi fécond que le nôtre en réhabilitations de toutes sortes, ne pouvait manquer de raisons pour excuser „un révolutionnaire malheureux”, que le besoin d'action jeta dans des entreprises hasardeuses».
Disons maintenant brièvement le but de la Franc-Maçonnerie, son organisation, ses cadres, ses hauts faits et son action incessante et souverainement démoralisatrice.
Elle se donne comme une simple société d'assistance mutuelle. Ceci, c'est pour la galerie. En fait, elle est un groupement politique, religieux et social puissant.
La clientèle banale des loges y voit surtout ”une affaire„, avec le malin plaisir de faire une niche à l'Église. «Soutenons-nous les uns les autres dans les affaires, poussons-nous aux emplois et aux charges de l'État et secouons le joug des curés». Telle est la pensée intime du ”vulgare pecus„ des loges.
Les hauts grades, les initiés, ont d'autres vues. Ceux-là sont des illuminés, des sectaires. Ils ont une thèse, une doctrine, une théologie. Ce sont les ennemis de notre Dieu, des révoltés contre Jéhovah qu'ils accusent de rigueur et de cruauté, des disciples, des amis, des suppôts et des défenseurs de Satan, qu'ils regardent comme un grand persécuté.
Les Juifs, dans la Maçonnerie comme ailleurs, ont encore un but à part. Ils se servent de la Maçonnerie, comme du reste, pour préparer leur domination universelle. Pour eux, le ”Temple de Salomon„ à bâtir, c'est leur futur empire, ce sera la nouvelle Jérusalem (Confère les Archives israélites, 1861).
Les Juifs ont changé le sens des prophéties messianiques. Ce n'est plus un homme, un sauveur qu'ils attendent, c'est le triomphe de la race. Ils aspirent à la république universelle, dans laquelle ils auront le pouvoir, les emplois et surtout la fortune. Et alors, comme ils le disent naïvement, «les chrétiens mangeront, quand ils le voudront bien».
Il leur arrive souvent de manifester cette espérance de domination universelle qui les grise. En voici un exemple entre cent. Déjà, en 1860, un israélite écrivait dans le Volksblatt (journal socialiste allemand): «Ne comprenez-vous pas le vrai sens de la promesse du Seigneur Dieu Sabaoth à notre père Abraham, qu'un jour toutes les nations de la terre seront assujetties à Israël? croyez-vous que Dieu entendait par là une monarchie universelle avec des rois juifs? Oh non! Dieu a dispersé les Juifs sur toute la surface du globe, afin qu'ils devinssent un levain au milieu de toutes les races et qu'enfin ils étendissent, par l'élection, leur domination sur elles».
Il y a en France plusieurs rites de francs-maçons. Le rite de misraim compte 500 membres; le rite français du Grand-Orient de Paris, 18.000. C'est ce dernier qui possède de fait l'influence principale et la direction décisive dans la Franc-Maçonnerie de France.
Le Grand-Orient compte actuellement 302 loges. Presque toutes les villes de France en ont une ou plusieurs. Paris en a 54 du seul rite français (90 en tout); Bordeaux en a 13, Lyon, 8; Marseille, 5; Rouen, 5; Toulouse, 5; Saint-Etienne, 2; Lille, 2; etc.
Le pouvoir central est exercé par le Conseil de l'Ordre. Il a son organe officiel: le Bulletin du Grand-Orient. C'est véritablement un État dans l'État.
Léon XIII, dans son encyclique de 1884, a constaté la puissance effrayante de la Franc-Maçonnerie. Elle a envahi, dit-il, tous les rangs de la hiérarchie sociale, et elle commence à prendre dans les États modernes une puissance qui équivaut à la souveraineté.
En fait, elle détient les ministères de toutes les nations de l'Europe, sauf de la Belgique.
Au Convent de 1886, au Grand-Orient de Paris, les francs-maçons ont proclamé eux-mêmes leur puissance en ces termes: «Depuis un siècle, rien ne s'est fait dans le monde que par la Franc-Maçonnerie».
Elle mène l'Europe et particulièrement la France depuis un siècle. Elle y règne surtout depuis bientôt vingt ans en souveraine maîtresse. Le gouvernement n'est ni à l'Elysée, ni au Palais-Bourbon, il est à la rue Cadet.
Le fait est manifeste, et les francs-maçons eux-mêmes, aussi bien que les autorités catholiques, le proclament.
Leurs journaux et leurs revues s'en vantent et s'en réjouissent.
«La Franc-Maçonnerie, disait La République maçonnique au 30 avril 1882, doit être la maîtresse et non la servante des partis politiques». «Nous avons organisé dans le sein du Parlement un véritable syndicat de francs-maçons, disait le Journal officiel de la Franc-Maçonnerie en 1888, en vue d'obtenir des interventions ”extrêmement efficaces„ auprès des pouvoirs publics».
«La Franc-Maçonnerie, disait le président du grand Convent de 1891, est digne d'être à l'avant-garde du progrès. ”Elle est digne de diriger la République. On le dit et c'est vrai„» (Bulletin du Grand-Orient, page 281).
«Il ne devrait rien se produire en France sans qu'on y trouve l'action cachée de la Maçonnerie, disait le président du Convent de 1890». On ajoutait: «Si nous voulons nous organiser, dans dix ans d'ici, la Maçonnerie aura emporté le morceau, et „personne ne bougera plus en France en dehors de nous”».
Monseigneur Freppel avait donc raison de dire: «La lutte actuelle est entre le christianisme et la Franc-Maçonnerie, qui règne et qui gouverne et dont le programme a été appliqué point par point depuis quinze ans». (Allocution à son clergé, 1er janvier 1891).
Monseigneur l'archevêque d'Aix a pu écrire à monsieur le ministre des Cultes:
«La Franc-Maçonnerie, cette fille aînée de Satan, gouverne et commande; mille fois aveugle volontairement qui ne le voit» (8 octobre 1891).
Son Eminence le cardinal archevêque de Paris n'était pas moins explicite dans sa lettre à laquelle adhéra tout l'épiscopat français. «La lutte actuelle, a-t-il dit, n'est pas entre partis politiques, mais entre la France chrétienne, qui revendique la liberté de sa foi, et les sectes maçonniques».
Les diverses révolutions qui ont agité l'Europe depuis un siècle ont été l'œuvre de la Franc-Maçonnerie.
Les francs-maçons avaient préparé la Révolution de 1789, et, quand elle eut lieu, on les retrouva sur les bancs de la Constituante, de la Législative et de la Convention.
«Les trois quarts de l'Assemblée nationale appartenaient à la Franc-Maçonnerie, lisons-nous dans les Révélations d'un Rose-Croix, et l'on ne peut pas citer un seul Conventionnel qui ne dût son mandat à sa qualité d'adepte».
«C'est la Maçonnerie qui a fait la Révolution de 1789», disait le président du grand Convent de 1891.
Nous retrouvons la même main dans les révolutions de 1830, de 1848 et de 1870. Sur onze membres du gouvernement provisoire du 4 septembre, dix appartenaient à la secte.
Les élections de 1871 les mirent de côté. Ils travaillèrent à reconquérir le pouvoir. Ils y arrivèrent par l'élection du franc-maçon Grévy. Depuis lors, tous les ministères, sous monsieur Grévy et sous monsieur Carnot, étaient composés presque uniquement de francs-maçons.
A l'Instruction publique, les ministres qui se sont succédé, messieurs Ferry, Paul Bert, Bourgeois et Dupuy étaient francs-maçons. Tous les ministres des Finances, depuis 1880, étaient francs-maçons.
Ils avouent dans leur Journal officiel qu'ils détiennent toutes nos institutions publiques (Année 1886, page 545).
Par les élections, ils sont les maîtres du pays. Chaque loge est un comité électoral permanent. On y choisit les candidats, on les impose par la presse et par les réunions publiques.
Nous leur devons toutes les lois antisociales votées depuis vingt ans. Ils ont imposé au gouvernement l'expulsion des religieux, la loi scolaire, la loi militaire, le droit d'accroissement et toutes les mesures de persécution.
Ils s'en vantent d'ailleurs: «C'est dans le sein de la Franc-Maçonnerie, disait le franc-maçon Lepelletier, que s'élaborent la plupart des grandes réformes sociales; l'instruction laïque et obligatoire a été étudiée, préparée, et pour ainsi dire „décrétée” dans les loges» (Confère le Mot d'ordre, mai 1885).
Toutes les lois de ce genre se préparent dans les loges. Un ministre ou un député reçoit la mission de les présenter. Les journaux de la secte préparent l'opinion. Dès lors, la discussion des Chambres n'est que pour la galerie, la majorité maçonnique vote toujours suivant le mot d'ordre reçu du Grand-Orient.
Les membres du Parlement qui appartiennent à l'ordre maçonnique sont convoqués, quand il y a lieu, au Grand-Orient, et là on leur indique ce qu'ils doivent ”exiger du gouvernement„.
Actuellement, le Parlement compte environ 220 francs-maçons et 100 autres membres sont plus ou moins soumis à l'influence de la secte. Et combien nous sommes faibles et divisés dans la lutte contre eux!
Leur œuvre sociale est d'ailleurs purement destructive. Ils ne sont d'accord que pour la persécution religieuse, pour l'accaparement des places et pour le pillage des finances. Ils n'ont rien su faire pour l'organisation économique de la société et pour le relèvement du peuple.
L'action de la Franc-Maçonnerie est incessante. Elle détient presque toute la presse et l'administration. Elle envahit les tribunaux; elle règne dans l'université. Au Convent de 1894, sur 330 membres élus, il y avait 117 employés de l'État: professeurs des facultés et des lycées, instituteurs, employés des ministères et des postes, des chemins de fer et de l'assistance publique.
Il y a d'abord les remèdes spirituels, la prière et l'apostolat. Il faut ensuite une action constante et organisée. Il faut une campagne incessante de presse. Léon XIII nous l'a dit: Pour vaincre la Franc-Maçonnerie, il faut la démasquer. Il faudrait aussi une entente et une campagne d'influence pour débusquer les francs-maçons de tous les postes où ils s'installent pour nous opprimer. Toutes les associations catholiques devraient ajouter ce point à leur programme: «Connaître les francs-maçons, se procurer leurs listes et employer tous les moyens pour leur ôter le pouvoir de nuire».
FAVA, Le Secret de la Franc-Maçonnerie, chez Oudin, rue Bonaparte, Paris.
DESCHAMPS, Les Sociétés secrètes.
MEURIN, La Franc-Maçonnerie, synagogue de Satan, chez Retaux, rue Bonaparte.
RICAUD, Les Loges de femmes.
ANDRIEUX, //Mémoires d'un préfet de police.//
La Franc-Maçonnerie et le Panama
La Persécution depuis quinze ans
Le Complot franc-maçonnique, et d'autres brochures de propagande, 5, rue Bayard, Paris.
DE SAINT-ALBIN, //Les Francs-Maçons.//
DELAMAIRE, Le F. M. voilà l'ennemi, 5, rue, Bayard, Paris.
Confère aussi JANET CLAUDIO et les ouvrages allemands de PACHTLER, La Guerre sourde,
ECKERT, Le Temple de Salomon.
Les Juifs sont en train d'accomplir la conquête de l'Europe. Ils y visent et ils comptent bien y arriver bientôt.
Comme nous le disions plus haut incidemment, ils attendent maintenant la réalisation des promesses de l'Ancien Testament, par leur domination universelle dans des États républicains dont ils occuperaient les plus hautes magistratures.
Ils n'oseraient pas encore dévoiler ouvertement leur plan dans la presse européenne: ce serait téméraire. Cependant, leur vraie pensée ne laisse plus de doutes; elle se manifeste chaque jour par leurs actes et quelquefois même par un programme défini.
Rien de plus clair et de plus suggestif que le discours-programme d'un grand rabbin publié par le journal le Citoyen, de Marseille, dans son numéro du 6 novembre 1884. Citons-en quelques extraits.
«Le Sanhédrin a souvent proclamé et prêché la lutte sans merci contre nos ennemis les chrétiens. Mais dans nul des précédents siècles nos ancêtres n'étaient parvenus à concentrer entre nos mains autant d'or et conséquemment de puissance que le XIXe siècle nous en a légué. Nous pouvons donc nous flatter, sans téméraire illusion, d'atteindre bientôt notre but.
Nous sommes, en grande partie, maîtres de la Bourse sur toutes les places. C'est donc à faciliter encore de plus en plus les emprunts qu'il faut nous étudier, afin de prendre en nantissement des capitaux que nous fournissons aux divers pays, l'exploitation de leurs lignes de fer, de leurs mines, de leurs forêts, de leurs grandes forges et fabriques, ainsi que d'autres immeubles, voire même de leurs impôts.31)
Chaque guerre, chaque révolution rapproche le moment où nous atteindrons le but suprême vers lequel nous tendons.
Le commerce et la spéculation ne doivent jamais sortir des mains Israélites… „Nous serons les dispensateurs des grains à tous”.32)
Les Israélites doivent aussi aspirer au rang de législateurs, en vue de travailler à l'abrogation des lois faites par les „goïms” (les chrétiens).
Quant aux sciences, médecine et philosophie, elles doivent faire également partie de notre domaine. Un médecin est initié aux secrets de la famille, il a entre les mains „la santé et la vie de nos mortels ennemis”.
Nous dicterons au monde ce qu'il doit croire, ce qu'il doit honorer, ce qu'il doit maudire.
L'aveuglement des masses, leur propension à se livrer à l'éloquence aussi vide que sonore, en font une proie facile et un instrument de popularité et de crédit…
L'Église chrétienne étant un de nos plus dangereux ennemis, nous devons travailler avec persévérance à amoindrir son influence. Nous devons donc propager chez les chrétiens les idées de „libre-pensée” et de scepticisme et favoriser les divisions. Logiquement, il faut commencer par déprécier les ministres de cette religion; provoquons les soupçons sur leur conduite privée et, par le ridicule et le persiflage, nous aurons raison de la considération attachée à l'état et à l'habit.
L'idée du progrès a pour conséquence l'égalité de toutes les religions, laquelle conduit à „la suppression, dans les programmes d'études, des leçons de religion chrétienne”. Les Israélites, par leur adresse et leur science, obtiendront facilement des chaires de professeurs. L'éducation religieuse sera reléguée dans les familles où elle s'amoindrira et disparaîtra.
„Si l'or est la première puissance du monde, la seconde est, sans contredit, la presse”. Comme nous ne pouvons réaliser nos projets sans le secours de la presse, il faut que les nôtres président à la direction de tous les journaux quotidiens dans chaque pays…
Il faut, autant que possible, „entretenir le prolétariat”. Par ce moyen, nous soulèverons les masses quand nous voudrons; nous les pousserons aux bouleversements, aux révolutions; et chacune de ces catastrophes avancera d'un pas nos intérêts intimes et nous rapprochera rapidement de „notre but: celui de régner sur la terre”, comme cela a été promis à notre père Abraham».
Ces pages méritent d'être longuement méditées, elles sont la clé de toute l'histoire contemporaine.
Que d'instruments inconscients de la fortune juive! Que de dupes, dont les Juifs se rient, dans les foules qui croient aux journaux et aux discours des clubs!
En Algérie, où ils se sentent déjà les maîtres, les Juifs, dans leurs journaux, laissent facilement passer le bout de l'oreille et se flattent d'un triomphe prochain. Un de leurs organes, qui porte le nom harmonieux d'Haschophet (le Juge), était dernièrement dans un de ses jours d'expansion. Il publia un article sur l'Agonie de l'univers romain. Sur un verset d'Isaïe (Is 1, 26), qu'il regarde comme une prophétie de la nouvelle domination d'Israël, il modula les variations suivantes:
«Après bientôt dix-neuf siècles d'existence aventurière, le christianisme est enfin sur le point de toucher à son terme; et bientôt, on ne s'en souviendra plus que pour peindre à la postérité l'horrible état dans lequel les nations se trouvaient depuis deux mille ans sous le joug de la papauté.
En vain, la tiare se débat contre le spectre de la révolution juive de 1793; en vain elle veut se dégager des bras de fer du colosse sémitique qui l'étreint; tous ses efforts sont inutiles! Le catholicisme papal se meurt à mesure que le Judaïsme pénètre dans toutes les couches de la société et anime les peuples d'un souffle de vie».
Mais ces menaces ne sont-elles pas invraisemblables? Le Judaïsme est-il vraiment puissant?
Oui, les Juifs sont puissants, et si Dieu ne nous vient en aide, ils occuperont bientôt les premières magistratures de tous les États de l'Europe. Ils règneront et nous les servirons.
Ils remplissent les banques et le haut commerce. Ils sont à l'assaut de l'administration. Ils visent haut et juste.
Ils détiennent la presse. Tous nos journaux sont entre leurs mains, sauf les trois ou quatre journaux catholiques. Citons, pour appuyer cette assertion, quelques-uns de leurs rédacteurs:
République Française: Reinach. - Lanterne: Mayer. - Gaulois: Arthur Meyer, Ferdinand Bloch. - Nation: Camille Dreyfus, Paul Dreyfus, Bernheim - Echo de Paris: Valentin Simond, Henri Baüer. - Paris: Strauss, Klotz. - Figaro: Wolff, Millaud, Emile Berr, Rosenthal (Jacques Saint-Cère). - Gil Blas: Abraham Dreyfus. - Journal: Bernheim - Evénement: Schwob, Lazare Cerfbeer. - XIXe Siècle: Strauss. - Petite Presse: Crémieux. - Rappel: Hément. - Radical: Victor Simond, Hirsch. - Temps: Hément. - Voltaire: Klotz. - Vraie parole: Singer, etc., etc. - L'Autorité, Les Débats, La Revue des Deux-Mondes n'en sont pas exempts.
Par la presse, ils ont l'influence; par l'administration, le barreau et la magistrature, ils auront le pouvoir; par la banque et le commerce, ils auront la fortune.
Si vous voulez juger de leurs progrès à Paris, comparez les bottin de 1869 et de 1893. Ils ont maintenant la majorité au Tribunal de commerce de la Seine.
Parmi les abonnés au téléphone à Paris, un tiers sont Juifs. Il y a 102 banquiers Juifs à Paris: 55 Lévy, 20 Bloch, 26 Dreyfus, une foule de Cahen, de Kahn, de Weil, Deutsch, Isaac, Israël, Nahmais, Nathan, etc.
Dans toutes nos grandes villes, l'invasion progresse rapidement. Nantes, Bordeaux, Toulouse, Nancy, Verdun, Reims, Lille, Valenciennes, Saint-Quentin sont véritablement infestées de Juifs.
En Algérie, ils sont bien plus avancés. Ils détiennent un grand nombre de municipalités. À Oran, d'après le journal L'Etoile africaine, l'industrie et le commerce sont presque entièrement aux mains des Juifs. Dans le commerce de nouveauté, on compte 41 Juifs et 7 chrétiens; dans les meubles, 13 Juifs et 7 chrétiens; dans les tissus indigènes, 12 Juifs et pas un chrétien; dans le commerce de grains, 17 Juifs et 13 chrétiens, etc. Le reste est à l'avenant.
Leur tactique est la même dans toute l'Europe. C'est d'ailleurs le mot d'ordre de leur ”sanhédrin„ secret. Ils marchent à la conquête de la fortune, de l'influence et du pouvoir.
Ils ont accaparé la haute Franc-Maçonnerie et même le socialisme. Les docteurs les plus en vogue du socialisme sont Juifs. Des Juifs millionnaires, Singer, Aron et Friedlœnder, sont à la tête du socialisme allemand.
En Autriche, les Juifs dirigent tous les grands journaux, sauf deux. Ils détiennent les banques. Ils accaparent toutes les grandes propriétés. Ils ont même des patronats ecclésiastiques et nomment à 60 cures.
À Vienne, sur 6.400 étudiants de l'université, on compte 2.500 Juifs. À la faculté de médecine, ils sont plus de 50%. La proportion est la même à l'université de Buda-Pesth.
En Hongrie, il n'y a que trente ans que les Juifs peuvent acquérir des propriétés, et déjà ils possèdent 30% du sol hongrois. Sur 3.000 grands propriétaires fonciers, il y a plus de 1.000 Juifs. Ils ne sont pas plus de 3% dans le pays, ils sont 30% à l'université.
À Berlin, le barreau de la cour d'appel compte 36 Juifs sur 54 avocats. Le tribunal de première instance compte 200 avocats Juifs contre 150 chrétiens. Sur les 150 notaires de Berlin, il y a 54 Juifs. Sur 87.000 négociants, il y a 41.000 Juifs.
La population générale de Berlin n'a que 8% de Juifs; mais ils sont 70% dans le barreau, 60% dans la médecine, 48% dans le commerce, et 36% dans la magistrature… en attendant mieux.
En revanche, sur 108.000 personnes de service, domestiques, portiers, commis, etc., il n'y a à Berlin que 319 Juifs: c'est trois pour mille. La conclusion saute aux yeux: Israël commande et ne sert pas les autres.
La proportion des Juifs dans les emplois qui donnent l'influence est la même au duché de Bade et au Wurtemberg; elle est plus grande encore au Portugal et dans les principautés danubiennes.
Ils sont aussi à la tête du commerce d'exportation et d'importation à Hambourg, à Anvers et au Havre. Ils sont les maîtres du marché des céréales.
Qui ne voit quelle influence ils peuvent avoir par là sur les destinées des nations, particulièrement en cas de guerre!
Mais quels sont donc les principes et les doctrines qui favorisent ainsi le développement de leur puissance? Les voici. Ils ont d'abord une confiance inébranlable dans le succès final. Comme ils n'ont compris ni la rédemption par le Christ, ni le règne spirituel du Messie, ils attendent toujours le triomphe temporel de leur race. Ils l'attendent avec toute la force de leur foi et toute la ténacité de leur caractère, et ils y travaillent avec une constance que deux mille ans de lutte n'ont fait qu'affermir.
Leur ardeur et leur persévérance sont d'autant plus grandes qu'ils ont au cœur la haine la plus profonde du Christ et des chrétiens. Pour eux, le Christ et ses disciples sont des usurpateurs qui ont retardé depuis bientôt deux mille ans le triomphe du Juif. C'est l'obstacle principal au règne d'Israël; aussi c'est avec acharnement qu'ils s'attachent à le ruiner et à le perdre.
Mais ce qui multiplie leurs forces, c'est que, pour eux, tous les moyens sont bons quand il s'agit de nuire aux chrétiens.
S'ils suivaient les préceptes de la Bible, les Juifs observeraient les lois de la justice et de la charité, mais presque tous, et notamment tous ceux d'Europe, ont adopté, depuis le second siècle de l'ère chrétienne, un recueil de prétendues traditions, le Talmud, qui fait loi parmi eux presque à l'égal de la Sainte Écriture. Et ce Talmud leur enseigne qu'il n'y a pas d'autres devoirs vis-à-vis des chrétiens que de les tromper, de les ruiner et de les détruire. Voici quelques-unes de ses maximes et de ses prescriptions:
C'est toujours une bonne œuvre de procurer la mort d'un nazaréen.
Tel est l'esprit du Judaïsme, telles sont les véritables tendances des Juifs. Tous les Juifs d'Europe sont talmudistes. Ils lisent le Talmud à la synagogue. L'Orient seul a encore un certain nombre de Juifs qui s'en tiennent au seul texte de la Bible et qui s'appellent des ”caraïtes„.
L'Europe chrétienne est punie pour s'être soustraite à la direction de la papauté.
L'Église n'a jamais varié sur la question juive. Elle a toujours voulu que les Juifs fussent respectés dans leurs personnes et que leur culte fût toléré; mais toujours aussi elle a voulu qu'ils fussent tenus dans la soumission et l'isolement, pour les empêcher de nuire aux chrétiens. Tant que l'Église a été écoutée, ils sont demeurés impuissants. Tous les peuples qui ont méconnu ses sages prescriptions n'ont pas tardé à s'en ressentir.
Le prince-archevêque d'Olmutz, de famille juive convertie, consulté récemment sur la question, a répondu avec connaissance de cause que pour conjurer le péril juif, il eût souvent suffi de s'en tenir aux règles du droit canon.
Les Conciles de Tolède et de Paris, aux Ve et VIe siècles, insistaient sur la défense de confier aux Juifs aucune charge publique, civile ou militaire. Ils défendaient aux Juifs d'employer des serviteurs chrétiens.
Le Concile de Mâcon (581) interdisait aux Juifs toutes les fonctions judiciaires.
D'autres conciles ont défendu aux chrétiens d'avoir recours aux services des Juifs comme médecins ou comme serviteurs.
Le IVe Concile de Latran interdit aux Juifs d'exiger des intérêts exagérés, à peine de se voir privés de tous rapports avec les chrétiens. Il demanda aussi qu'on leur imposât partout de porter un signe distinctif sur leurs habits. C'était devenu nécessaire pour prémunir les chrétiens contre leurs fraudes et leurs exactions.
Quand les populations oubliaient ces prescriptions, elles tombaient sous le joug des Juifs, et recouraient, pour s'en délivrer, à des violences déplorables que l'Église condamnait.
Le pape Clément VIII déplorait que tout le monde eût à souffrir de leurs usures, de leurs monopoles, de leurs fraudes. «Ils ont réduit à la mendicité, disait-il, une foule de malheureux, principalement les paysans, les simples et les pauvres». Tant il est vrai que l'histoire recommence toujours!
Aujourd'hui, l'usure a changé de nom Elle s'appelle la haute banque, la spéculation, la société véreuse, le coup de Bourse, l'accaparement, le chantage, le monopole. Le résultat est toujours le même.
Quand les Papes ont été compatissants pour les Juifs, comme a fait Pie IX en ouvrant le ghetto, ils ont été payés d'ingratitude. Le ghetto accueillit les Piémontais en triomphe en 1870. Les Juifs se livrèrent à mille excès contre la Rome catholique. Ils sont aujourd'hui les maîtres de Rome et de l'Italie. Ils détiennent toute la presse, les banques et le haut commerce.
Les lois canoniques, c'étaient les digues opposées au flot montant des Juifs. Les digues ayant été rompues, le flot monte et les sociétés chrétiennes sont envahies et submergées.
Les principes du Droit canon sont de tous les temps. Leur application sera nécessaire tant que les Juifs seront Juifs. Il faut y revenir au moins quant à l'esprit qui les inspirait. Il faut, par des lois nouvelles, arrêter le flot qui monte. Les Juifs cherchent toujours à se rendre mitres des mêmes forteresses pour dominer la société: la banque, le commerce, la magistrature, le barreau, la médecine. Ils y ont ajouté une force nouvelle, la presse, et un instrument complaisant, la Franc-Maçonnerie.
Quelles digues nouvelles opposer à leur envahissement? La Russie a limité le nombre de leurs étudiants dans les universités de l'État. C'est très légitime, parce que leur patriotisme est toujours au moins douteux. Il est donc juste qu'on ne leur ouvre pas l'accès aux fonctions sociales.
La Prusse ne les admet pas au nombre des officiers de l'armée. Ce n'est pas une loi, mais c'est une coutume cent fois justifiée.
En France, un projet de loi propose de ne pas admettre aux charges publiques les citoyens qui ne seraient pas naturalisés depuis au moins trois générations. Cela passera difficilement, à cause de l'influence des Juifs à la Chambre et dans la presse. Cependant, cela aurait au moins l'avantage d'exclure des emplois publics quelques Juifs cosmopolites, qui n'ont guère pour objectif que de faire leur fortune par tous les moyens possibles, voire même par la trahison, le chantage et la concussion.
D'autres mesures s'imposeront, si nous ne voulons pas devenir leurs esclaves.
Que Dieu nous éclaire et nous aide!
LEMANN, L'entrée des Juifs dans la société chrétienne.
DRUMONT, La France juive.
Le Péril judéo-maçonnique. À la librairie antisémite, 14, boulevard Montmartre, Paris.
VIAL, Le juif Roi, chez Lethielleux, 10, rue Cassette, Paris.
CHAPITRE V
Les descriptions de sociétés idéales, faites par Platon dans sa République, par Thomas More dans son Utopie, par Campanella dans sa Cité du soleil, et par d'autres, n'ont été que des préludes éloignés de la doctrine socialiste.
L'antiquité et même les temps chrétiens avaient entendu certaines utopies dont la prétention était d'éliminer de cette terre tous les maux et d'y restaurer l'âge d'or. C'étaient des rêveries individuelles qui ne marquaient pas dans la vie des peuples.
Le véritable initiateur de toutes les doctrines socialistes comme de toutes les doctrines révolutionnaires, c'est Jean-Jacques Rousseau. Ses écrits sont remplis des deux idées qui composent tout le socialisme: l'égalité radicale des hommes et le droit qu'ils ont toujours de ramener les sociétés, égarées et corrompues par leurs institutions, aux véritables conditions de la nature humaine, qui d'elle-même ne peut être que bonne et droite.
Mais c'est au XIXe siècle seulement que les apôtres du socialisme ont commencé à faire école. Saint-Simon et Fourier en furent les premiers maîtres en France, et Robert Owen, en Angleterre. Leurs premiers écrits parurent en 1817, mais les idées nouvelles ne prirent un grand essor qu'après 1830.
Avec des nuances diverses, tous demandaient l'émancipation de la raison humaine, la suppression des dogmes religieux, la suppression de la propriété privée, l'éducation égale pour tous, l'émancipation de la femme, l'organisation d'ateliers corporatifs, où les adolescents entreraient suivant leurs goûts et leurs aptitudes.
Le journal le Globe prêta sa publicité aux idées nouvelles. Michel Chevalier, Binder, Enfantin, formèrent une première couronne de disciples à ces nouveaux apôtres. Après eux vinrent Leroux, Raspail, Pecqueur, Louis Blanc et Comte.
Proudhon demande une mention à part. C'est un disciple de Hégel. Il a formé Blanqui. Il est panthéiste et souvent nébuleux comme Hégel. C'est une pénitence de le lire. Mais ses déductions sont assez claires: pour lui, la propriété, c'est le vol; Dieu, c'est le mal; le pouvoir, c'est la tyrannie. C'est le dernier terme de la doctrine socialiste. Proudhon est le père des anarchistes.
La période impériale en France n'offrait pas un terrain favorable au socialisme. Il poussa alors ses racines en Allemagne, en Italie et en Russie, et il nous donna Karl Marx, Lassalle, Bakounine et Mazzini. Celui-ci propagea principalement la révolution politique.
Marx donna dans son livre intitulé Capital une synthèse de toutes les revendications socialistes. Ce n'est plus un illuminé, un doctrinaire, comme Saint-Simon et Fourier; sa doctrine est simple et brutale. Il dit aux prolétaires: «Vous êtes le nombre et, par conséquent la force. Vous êtes exploités et vous ne voulez plus l'être, voilà votre justice et votre droit. Allez donc à l'assaut du pouvoir, soit par le vote, soit par la révolution».
Toutes ces écoles diverses se continuent et se développent. Nous dirons plus loin leur situation actuelle.
Le socialisme se flatte ou se fait illusion. Il prétend au monopole de la pitié pour les malheureux et du zèle pour les réformes sociales. Tous ses livres, tous ses programmes, tous ses discours commencent par là.
Pardon, messieurs les socialistes! soyez plus justes, s'il vous plaît. Soyez plus modestes, au moins. Nous voulons bien vous croire de bonne foi: vous avez pitié des prolétaires, vous les aimez, vous désirez des réformes sociales qui leur assurent une meilleure part au banquet de la vie. C'est bien, mais ne prétendez pas au monopole de ces bonnes dispositions. Elles sont une monnaie assez courante dans la société actuelle. Presque tout le monde avoue qu'il y a quelque chose à faire, et tous les partis sont à la recherche des remèdes les meilleurs.
Ne pensez-vous pas même que les chrétiens pourraient revendiquer avant vous un brevet d'invention? L'Évangile n'est-il pas le code même de la pitié et de l'émancipation sociale? Notre chef suprême, Jésus Christ, a formulé avant vous sa compassion pour les foules: «Misereor super turbam». Il a appelé à lui tous les déshérités et s'en est fait le protecteur. Il les a recommandés au zèle de ses disciples.
L'Église catholique ne vous a pas attendus pour aller au secours des prolétaires. Elle les a tirés de l'esclavage, de la barbarie, du servage. C'est un fait historique. N'est-ce donc rien que cela? Elle les avait entourés d'institutions protectrices: corporations, caisses de secours, d'assistance et de retraites de tous genres. Elle les avait conduits ainsi à une situation d'honneur, de prospérité, de vie libre, éclairée et artistique, qui a eu son apogée au XIIIe siècle, et que nous voyons décroître à chaque victoire de l'idée païenne dans la vie sociale.
Un peu de loyauté, s'il vous plaît. Vous avez pitié des travailleurs malheureux? Nous aussi. Nous l'avons eue avant vous, et notre passé montre que nous savons l'avoir efficacement.
Ne dites donc pas: Le socialisme, c'est la pitié pour le pauvre. Dites, si vous voulez: Le socialisme, lui aussi, a pitié du pauvre. C'est bien, nous ne contesterons pas votre bonne foi.
Ne dites pas non plus: Le socialisme, c'est la réforme sociale. Quelques-uns d'entre vous sont bien sommaires et peu rassurants dans leurs projets de réformes. Ils disent: Détruisons d'abord l'organisation sociale actuelle et nous verrons ensuite. C'était l'épigraphe de Proudhon: «Destruam et aedificabo». C'est la doctrine de Karl Marx.
D'autres, les possibilistes surtout, ont de longs programmes où se rencontrent de bonnes choses, par exemple: l'organisation d'une assistance efficace pour les invalides du travail, la réglementation du repos hebdomadaire, du travail des femmes et des enfants, etc., etc. Mais tout cela, ce n'est pas le socialisme. Nous trouvons cela aussi sur les programmes catholiques, et les corporations anciennes l'avaient réalisé.
Il est une doctrine philosophique assez mal définie, ayant pour auteur des illuminés ou des révolutionnaires plutôt que des penseurs. Il est au fond le matérialisme pratique, teinté parfois de panthéisme, comme dans Proudhon.
Il est toujours la négation d'un Dieu personnel et créateur, qui est le premier principe de la philosophie morale; la négation de la famille, qui est le premier élément social; la négation de la propriété, qui est le premier principe économique; la négation de la chute originelle, qui est une des premières données de la vie morale; et même, chez les logiciens de l'anarchie, la négation de l'ordre, qui est le premier principe politique.
Les quatre fédérations socialistes, réunies en congrès à la Maison du Peuple, à Paris, en novembre dernier, l'ont déclaré. Elles mènent ensemble le combat «contre les choses du passé», c'est-à-dire contre la religion, la propriété et l'ordre social. Elles se glorifient des grands aïeux de juin 1848 et de mars 1871. Leur but est la substitution de la propriété collective à la propriété privée. Si elles se bornent, pour le moment, à demander la reprise par l'État des mines, des banques, des chemins de fer, etc., ce sont des ”mesures transitoires„, dont elles se contenteront ”en attendant mieux„.
Quand le socialisme fait patte de velours, comme il arrive aujourd'hui en Allemagne, défions-nous des griffes cachées. Frédéric Engels, dans son livre récent sur l'évolution du socialisme à travers les utopies jusqu'à la science, nous montre un socialisme adouci, mitigé, apprivoisé. Ce sont là de belles paroles pour séduire les simples. Il y a là-dessous des meneurs qui cachent leur jeu, comme il y a dans la Franc-Maçonnerie les loges où ne manquent pas les naïfs, et les arrière-loges qui dirigent; comme il y a dans la politique les opportunistes hypocrites ou badauds, et les radicaux qui ne voilent pas leurs doctrines.
Le socialisme est un système d'économie sociale qui veut réduire tous les instruments du travail en propriété commune et organiser la production collective et la répartition des richesses économiques par l'État ou par la commune.
Il est cela, ou il n'est rien. S'il ne vise qu'à quelques réformes économiques, il n'est plus le socialisme.
Elles sont nombreuses et atteindront, si Dieu leur prête vie, le nombre des espèces de roses dans nos jardins ou celui des sectes du protestantisme.
On compte cinq groupements principaux:
1. Le Parti ouvrier. - C'est le socialisme d'État. Il a eu pour évangélistes Guesde et Marx. Il a envoyé au Parlement messieurs Lafargue, Thivrier, Ferroul et Jourde. Il demande le retour à la nation du sol, des instruments et de la matière du travail.
2. Les Possibilistes. - Leur évangéliste a été Benoît Malon. Ce sont les opportunistes du socialisme. Ils dominaient à la Bourse du travail avant sa fermeture. Brousse et Joffrin sont leurs apôtres. Ils ont envoyé monsieur Lavy à la Chambre. Ils ont pour organe le journal la Fédération. Plus prudents que les premiers, ils veulent nous mener tout doucement au communisme. Ils sont politiques et connaissent le proverbe italien: «Chi va piano, va securo».33)
3. Le Parti socialiste révolutionnaire. - Allemane est le chef de ce groupe, et monsieur Dumay, son député. Les autres aussi seraient révolutionnaires, s'ils y voyaient chance de succès, mais ils se contentent de le penser et ceux-ci le disent tout haut.
4. Les Indépendants. - Ils ont pour organe le Peuple, et pour représentants à la Chambre messieurs Basly, Boyer, Couturier, Jaurès, Lachèze, Lamendin et Millerand. Sans doctrines bien définies, ceux-là aspirent surtout à gouverner, et trouvent que le socialisme est une étiquette avantageuse.
5. Les Classiques. - Ceux-là surtout se rattachent aux ancêtres de juin 1848 et de mars 1871. Ils descendent de Blanqui et de la Commune. Ils prennent le mot d'ordre du Comité révolutionnaire central. Ils sont représentés par monsieur Baudin à la Chambre, et par messieurs Vaillant et Chauvière au conseil municipal de Paris.
L'anarchie est une floraison du socialisme.
Le mot d'anarchie est dû à Proudhon. Pour lui, c'était un état social dans lequel l'ordre eût résulté des libres rapports économiques des individus sans autorité politique.
Bakounine, «le second père de l'anarchie», considéra la chose d'une façon plus radicale. N'espérant point convertir le monde actuel au bien rêvé par Proudhon, il déclara qu'il fallait le détruire.
Elisée Reclus et Kropotkine furent ses premiers adeptes. C'est à Genève qu'ils posèrent les bases de l'association occulte qui nous étreint aujourd'hui beaucoup plus puissamment que nous ne le pensons.
Bakounine donna les principes de la secte dans son Catéchisme révolutionnaire.
«Le révolutionnaire, dit-il, est „un homme voué”. Il ne doit avoir ni intérêts personnels, ni affaires, ni sentiments, ni propriété. Il doit s'absorber dans un seul intérêt: la Révolution; il n'a qu'une science, qu'un but: la destruction. Pour cela, il étudie la mécanique, la physique, la chimie et parfois la „médecine” (sans doute le chapitre des intoxications…). Il méprise et il hait la morale actuelle. Entre lui et la société, c'est une lutte à mort.
Il doit vivre au milieu de la société, feignant d'être ce qu'il n'est pas. Il doit pénétrer partout, dans la haute classe comme dans le peuple. Il a sous la main des révolutionnaires du second et du troisième degré, non complètement initiés, et dont il doit tirer tout le parti possible…».
Le premier organe de l'anarchie fut le Révolté, dirigé par Elisée Reclus et Bakounine et rédigé par Jean Grave.
Mais nous sommes loin de ces modestes débuts. Il y a aujourd'hui plus de soixante journaux anarchistes en toutes langues, quoique les lois récentes leur aient mis une sourdine.
Le Père Peinard a atteint le tirage de 15.000, dont 6.000 à Paris.
Au besoin, le journal devient secret, il est manuscrit, il s'envoie par lettres.
La propagande est incessante et l'organisation est puissante. Un conseil suprême de cent membres donne l'impulsion, sous le nom de Frères internationaux. Ce comité central a à sa tête deux consuls. Jusqu'en 1876, c'étaient Bakounine et Elisée Reclus. Après la mort de Bakounine, ce furent Elisée Reclus et Kropotkine. Au second degré, il y a les Frères nationaux, c'est le conseil de direction de chaque nation. Au-dessous d'eux, il y a la foule innombrable des adhérents de l'alliance démocratique.
La secte a sa bibliothèque, ses revues. Elle a son chant de guerre, dont voici une strophe:
Guerre au capital qui nous gruge!
Guerre à la mine où nous crevons!
Guerre à la robe qui nous juge!
Guerre au drapeau que nous servons!
Il faut, sur l'amas des ruines,
Que refleurisse un jour nouveau;
À nous de faire le niveau
Avec nos boites à sardines!
Aux armes, citoyens! debout, peuple en haillons!
Et que la dynamite arme nos bataillons!
L'anarchie domine et inspire le socialisme. Elle prétend s'en servir comme d'une étape. Le programme des socialistes a été rédigé par Bakounine lui-même, avec le concours de Karl Marx, Tolain, Fribourg, Camélinat, Malon, Beslay et Corbon (tous francs-maçons également), dans les Congrès de Berne (1865), de Bruxelles (1868), de Bâle (1869). Ce programme comprend l'abolition des cultes, l'abolition de l'héritage et de la propriété privée, l'éducation commune… Enfin, ces programmes reconnaissent «que tous les États politiques et autoritaires, se réduisant de plus en plus à de simples fonctions administratives, doivent disparaître dans l'union universelle des associations, tant agricoles qu'industrielles».
C'est la formule anodine de l'anarchie.
Et le moyen pratique pour les anarchistes, c'est la ”propagande par le fait„. Il y a cependant en ce moment un changement de tactique. On avait espéré que les attentats individuels effrayeraient le bourgeois et lui feraient lâcher la proie du pouvoir. On a reconnu que cela ne menait à rien. Alors, on en revient au système de Blanqui: propager par tous les moyens les idées révolutionnaires, pour préparer les révolutions en masse; agiter toujours et profiter de toutes les circonstances pour renouveler les beaux jours de la Commune.
Alors, on verra des merveilles. Nous aurons des programmes de gouvernement comme celui de la commune de Lyon en 1871, dont voici le sommaire:
«Article 1 - L'État est aboli et le peuple est entré dans la plénitude de ses droits.
Article 2 - Les tribunaux criminels et civils sont remplacés par la justice du peuple.
Article 3. - On lèvera un impôt progressif; les richards qui ont abandonné la ville sont tenus d'y rentrer sous peine de mort.
Article 4. - Tous les officiers de l'armée sont destitués.
Article 5. - On publiera les noms de tous les fonctionnaires qui ont servi la réaction. On en tuera autant qu'on pourra».
En attendant, l'arme quotidienne c'est le journal, c'est la conférence, c'est la réunion secrète, c'est l'idée, c'est la suggestion à dose répétée.
Le triomphe est escompté d'avance. Un journal qui n'est que socialiste, le Peuple, de Bruxelles, décrit ainsi l'avenir de la bourgeoisie:
«Un jour viendra où, dans quelque musée d'histoire naturelle, on montrera le dernier des bourgeois, comme on exhibe aujourd'hui des aztèques. Quand l'humanité connaîtra un peu de justice sociale, le dernier des capitalistes apparaîtra aux générations futures comme le témoin d'une époque disparue, une sorte de monstre phénoménal livré à la phrénologie et soumis à l'auscultation. Devant la cage où il persistera à se croiser les bras par atavisme, la foule échangera des exclamations stupéfaites:
„C'est extraordinaire, on dirait des hommes comme nous! Est-il possible que ces animaux-là aient vécu pendant des siècles sans rien faire, sans préoccupation de leur dignité, se laissant nourrir, habiller, chausser, loger, coiffer, désaltérer par de malheureux ouvriers - leurs frères selon la nature - qui souvent n'avaient pas une chemise sur le dos ni une croûte de pain dans le ventre… Fi, les affreuses brutes!...”».
Tout cela est bien suggestif et pas mal écrit.
Pour nous, nous ne louons pas certains bourgeois qui mènent une vie inutile et égoïste, mais nous pensons qu'il faut les convertir par la propagande des idées chrétiennes, de justice sociale, de devoir et de solidarité, plutôt que par la dynamite et le fusil.
Le socialisme va à l'encontre des droits les plus sacrés. Il anéantit la religion, la famille, la propriété, la liberté individuelle.
Que faites-vous de la religion, messieurs les socialistes?
L'homme, aussi bien que le ciel et la terre, les plantes et les animaux, a été créé de rien par un Dieu personnel. Dieu a créé l'homme intelligent et libre, pour être par lui connu, aimé et glorifié. Il l'a créé aussi pour le rendre heureux, et il a mis la matière à son service, à titre de fief divin, afin qu'elle lui fournisse les moyens de vivre et de parvenir à sa fin.
Nous savons que vous remplacez ce premier principe par la théorie de l'évolution.
C'est vraiment trop commode. Mais, dites-moi, si la matière se prête si aimablement à toutes sortes d'évolutions et s'accommode à tous les besoins, à toutes les tendances des êtres vivants, pourquoi nos maisons, nos vêtements, tout ce qui sert à notre usage ne se fabrique-t-il pas tout seul? Cela viendra sans doute.
L'homme est, par sa nature et la volonté de Dieu, destiné à vivre et à travailler en société. Nous en convenons. La société, basée sur un fondement moral et religieux, est une exigence de la loi naturelle que le christianisme a renouvelée et sanctifiée.
Mais cette vie sociale est postérieure à la vie individuelle et à la vie de famille. Elle peut et elle doit les aider, les protéger, elle ne peut pas les détruire. Les familles ont existé longtemps avant les groupements nationaux. L'homme individuel et la famille avaient reçu de la nature le droit de vivre et de protéger leur existence avant que l'État fût formé. Ils avaient donc des droits et des devoirs antérieurs à ceux de l'État.
L'État est fait pour protéger la liberté individuelle et la famille.
Et la propriété privée? Elle aussi est de droit naturel. C'est le but instinctif du travailleur de s'assurer la possession en propre, la possession stable et permanente des fruits de son travail. Pour s'assurer la conservation de ses épargnes, il les réalise dans un champ. Ce champ n'est que le salaire transformé, la rémunération légitime du travail. L'homme ne vit pas au jour le jour, comme l'animal, il veut pourvoir à son avenir, il est en quelque sorte sa providence à lui-même. C'est pour cela que la nature a mis à sa disposition un élément stable et permanent, la propriété.
Vous m'objecterez en vain que Dieu a donné la terre en jouissance au genre humain tout entier. Il est vrai que Dieu a confié au sol des ressources pour nous nourrir tous. Mais la terre, quoique divisée naturellement en propriétés privées, ne laisse pas que de servir à l'utilité de tous. Tous se nourrissent de ses fruits, grâce aux échanges, à la rémunération du travail, et, au besoin, grâce à la charité publique et privée.
Et l'hérédité? elle non plus n'est pas un produit de l'invention humaine. Elle est dans la nature, dans les instincts légitimes de l'homme. Elle est nécessaire aussi pour stimuler au travail des hommes qui désirent se survivre dans une autre génération, qui jouira des fruits de leurs labeurs.
Ne voyez-vous pas où nous mènerait votre régime socialiste?
Vous chargerez l'État de régler la production et la distribution des richesses. Par quel moyen, d'abord, la société actuelle sera-t-elle liquidée de fond en comble?
Vous nous ferez ensuite une vaste machine scientifiquement organisée. Le premier effet sera de créer une aristocratie bureaucratique, chargée de distribuer le vivre et le travail.
Les Juifs seront en tête, à coup sûr, et, en fin de compte, ce sera justement l'anéantissement de la démocratie et de la liberté.
Ce sera tout le monde redevenu employé, mieux que cela, pensionnaire, prisonnier et forçat, sous la baguette des commissaires du collectivisme: quelque chose comme l'organisation du travail des Hébreux sous le bâton des Egyptiens.
L'État enseignera; mais quelle morale, s'il vous plaît? Celle d'Epicure ou de Diogène?
L'État sera chargé seul de l'assistance publique. Ce sera superbe. Nous pouvons nous en faire une idée.
Il y a aura des nuées d'agents et d'infirmières.
Les ressources destinées aux malades, aux pauvres et aux vieillards seront drainées par le service et par l'administration.
À l'aspect du péril, en temps de choléra, le personnel positiviste refusera la service. On cherchera des dévouements religieux, il sera trop tard: la source en sera tarie.
Et qui fera le triage des vocations et des capacités? Qui distribuera les produits selon les besoins et les mérites? Et les jalousies? Et les discordes? Et les haines qui vont surgir?
Mon Dieu! quelles galères!
Le collectivisme ne voit-il pas qu'il va créer une oligarchie plus oppressive, plus orientale et plus despotique qu'aucun régime capitaliste?
Un penseur éminent, qui, depuis, hélas! s'est bien fourvoyé, Lamennais, avait bien défini, dès le début du mouvement socialiste, cette doctrine nouvelle et ses conséquences.
Il disait: «Voulez-vous que je vous dise ce que je pense des systèmes socialistes qui ont cours de notre temps?… Dans les doctrines qui se sont produites jusqu'à ce jour, je n'en connais pas une seule, qui, plus ou moins directement, n'arrive à cette conclusion, que l'„appropriation” personnelle est la cause du mal auquel on cherche à remédier; qu'en conséquence, la propriété doit cesser d'être individuelle, qu'elle doit être concentrée exclusivement dans les mains de l'État, qui, possesseur unique des instruments de travail, organisera le travail même, en attribuant à chacun la fonction spéciale, et rigoureusement obligatoire pour lui, à laquelle on l'aura jugé propre, et distribuera, selon certaines règles, sur lesquelles on diffère d'ailleurs, le fruit du labeur commun.
Il m'est évident que la réalisation d'un pareil système conduirait les peuples à une servitude telle que le monde n'en a point encore vu; réduirait l'homme à n'être qu'une machine, un pur outil; l'abaisserait au-dessous du nègre, dont le planteur dispose à son gré; au-dessous de l'animal. Je ne crois pas que jamais idées plus désastreusement fausses, plus extravagantes et plus dégradantes, soient entrées dans l'esprit humain, et ne méritassent-elles pas ces qualifications, qui, à mes yeux du moins, ne sont que justes, il n'y en aurait point encore de plus radicalement impraticables».
Le socialisme a ses heures de franchise. Il nous laisse voir parfois le but où il nous mène. Ce ne serait pas seulement le régime du bagne. Ce serait aussi le règne de l'union libre, comme chez les Quakers, ou mieux comme chez les animaux. Ce serait le retour aux pratiques les plus barbares du paganisme, comme l'immolation des vieillards et des êtres faibles et souffrants pour en délivrer la société.
Lisez plutôt monsieur Lafargue, dans son livre: Le droit à la paresse. Il s'écrie: «Les Indiens du Brésil tuent leurs infirmes et leurs vieillards. Tous les peuples primitifs ont donné aux leurs ces ”preuves d'affection„. En Suède, on conservait encore dernièrement des massues qui servaient à délivrer les parents des tristesses de la vieillesse. „Combien dégénérés sont nos prolétaires modernes”!».
C'est égal, j'aime mieux la douceur et la charité chrétiennes, et l'espérance du ciel après les misères de cette vie.
Pour vous, qui n'allez pas aux extrêmes, vous voulez seulement, dites-vous, mettre de nouvelles ressources aux mains de l'État, en lui remettant les mines, les banques et les chemins de fer, pour qu'il organise l'assistance sous toutes ses formes.
S'il ne s'agit que de quelques monopoles de plus, vous n'êtes pas de grands inventeurs. L'État en a déjà pas mal: les tabacs, les allumettes, les poudres, les postes et télégraphes, etc.
Les choses en vont-elles mieux? Les allumettes sont-elles meilleures? Le budget est-il mieux équilibré? Donnez à l'État quelques centaines de millions de plus, il créera de nouvelles sinécures, il ouvrira des écoles sans élèves, il vous tiendra un peu plus à la caserne, c'est tout ce que vous aurez gagné.
Ce qu'il faut, ce n'est pas augmenter le budget, c'est supprimer les dépenses inutiles.
Et pour les caisses de secours et d'assistance, les corporations libres sont plus sûres que l'État, qui, en un jour de guerre ou de crise sociale, gaspillera tous les capitaux amassés.
Ne regardez pas comme un essai pratique de socialisme le Familistère de Guise. C'est là une simple société coopérative de production et de consommation; ce n'est pas le socialisme communal, encore moins le socialisme d'État. C'est un choix d'ouvriers: il faut trois ans de stage et l'admission par un comité pour habiter le familistère. Il y a donc là une sélection. Comme l'industrie propre à l'établissement est prospère, on y est assez heureux. Il faudrait voir ce que produirait la moindre crise industrielle. Quant à la moralité, les fondateurs, on le sait, n'en ont pas donné l'exemple.
Ce n'est pas non plus du socialisme que les communautés de Frères Moraves. Nous avons visité celle de Zeist en Hollande. C'est une petite république gouvernée par des anciens ou chefs ecclésiastiques, qui règlent tous les actes de la vie civile. Ils président à l'éducation physique et morale des enfants. Ils infligent des pénitences, prononcent l'exclusion de la communauté et marquent le rang de chacun dans les diverses classes qui composent la cité. C'est là une sorte de couvent de gens mariés où la discipline est conservée par la ténacité que donnent certains entêtements hérétiques. Mais il faut voir ces communautés pour reconnaître que ce n'est pas l'idéal sur la terre. Ces braves gens portent sur leur visage une tristesse résignée, un air de puritains qui les fait prendre en compassion.
Mais voici l'histoire d'un essai véritable.
Victor Considérant, mort en décembre 1893, fut l'un des principaux adeptes du ”fouriérisme„. L'idée était neuve alors, elle eut du succès auprès des badauds de l'époque. Les capitaux affluaient pour fonder la société idéale qui réaliserait l'âge d'or.
Le nouvel apôtre, Victor Considérant, quelque peu compromis dans les émeutes révolutionnaires de 1848, jugea prudent de mettre l'océan entre lui et la justice, et d'aller tenter ses essais en Amérique. Il partit pour le Texas, emportant la caisse et emmenant une colonie toute résolue à tenter l'application des merveilleuses théories collectivistes.
Là-bas, Considérant rencontra l'évêque missionnaire de la région, plus riche de dévouement que d'argent. Considérant, poussé par un sentiment d'humanité, exposa au missionnaire sa précieuse méthode.
L'évêque l'écouta patiemment et lui dit: «Mon ami, avant quelques mois, tout votre édifice social s'écroulera; il vous manque le bon ciment, la charité chrétienne… Quand vos colons voudront vous écharper, venez vous réfugier chez moi, je vous attends».
Considérant resta stupéfait d'une telle pauvreté d'esprit.
Quelques jours après, Considérant, battu, traqué, exténué par ses colons, trouvait un refuge chez l'évêque missionnaire.
Il revint en Europe et le reste de la colonie vécut à la diable et périt dans les savanes.
Considérant n'a pas recommencé.
Il vient de se faire en Angleterre, à Bradfort, une expérience véritablement bien curieuse.
Une association ouvrière a reçu l'offre d'une manufacture tout outillée et d'un crédit de 125.000 francs. La cession était consentie pour une année, sans redevance ni contrat. La seule condition imposée par le donateur, monsieur Priestley, était que l'affaire fût conduite ”selon les principes socialistes„. En outre, il s'engageait si, à la fin de l'année, l'entreprise avait réussi, si les ouvriers avait gagné plus d'argent qu'ils n'en gagnent sous la direction du patron, à abandonner aux membres du syndicat sa manufacture, moyennant une faible redevance et à continuer à leur ouvrir un crédit de 125.000 francs chez ses banquiers.
L'association ouvrière à laquelle cette offre a été faite a réfléchi pendant quatre mois à l'accueil qu'il convenait de lui réserver. Après ce délai, les socialistes du Yorkshire ont dû avouer qu'ils se sentaient incapables de gérer et d'exploiter la manufacture ”traîtreusement„ mise à leur disposition par un capitaliste. En se servant de cette expression, les socialistes anglais ont sans doute voulu dire qu'on agit d'une façon perfide en les mettant en demeure d'établir que leurs théories ont quelque valeur économique.
Monsieur Thiers dans son ouvrage De la propriété, nous rappelle une expérience de même genre, poussée plus loin que celle de Bradfort.
C'était en 1848. Un industriel de Paris, dont les ouvriers avaient accueilli avec enthousiasme les doctrines collectivistes de Louis Blanc, résolut de mettre son personnel à même de faire un essai pratique du système.
Ayant réuni ses ouvriers, il offrit de leur céder ses ateliers, sans indemnité aucune, en promettant en outre d'acheter leurs produits aux prix courants.
Les ouvriers acceptèrent. Ils placèrent à la tête de chaque atelier un ”président élu„ et à la tête des ateliers réunis un ”président général„.
La classification des salaires fut maintenue; seulement, on porta de 2 francs 50 à 3 francs le salaire des plus déshérités, les hommes de peine, et on supprima le travail à la tâche dont profitaient quelques bons ouvriers.
Voici comment monsieur Thiers décrit les résultats de l'expérience après un essai de trois mois: «Le tumulte a été quotidien dans les ateliers. On se donnait des relâches, quand il convenait de prendre part à telle ou telle manifestation de la rue. On travaillait peu, même quand on était présent, et les surveillants d'ateliers, chargés de maintenir l'ordre et de veiller au travail, étaient changés jusqu'à deux ou trois fois par quinzaine.
Si on avait travaillé „comme autrefois”, pendant les trois mois qu'a duré ce régime, on aurait dû toucher 367.000 francs de main-d'œuvre. On n'en a cependant touché que 197.000, quoique les prix d'exécution fussent élevés de 1%».
C'est que le travail a été moins actif et les heures de présence moins nombreuses. Aussi les bons ouvriers étaient-ils tous résolus à quitter l'établissement, si on n'avait pas mis fin à cet essai après les trois mois.
Voilà ce que le collectivisme a fait dans une usine placée dans des conditions inespérées au point de vue d'une exploitation facile et fructueuse: pas de capital de premier établissement, écoulement assuré de toute la production.
Ces deux exemples, il est vrai, ne se rapportent pas au socialisme pur, mais seulement à des essais de coopération avec organisation socialiste.
Le second essai seul a été tenté, on voit où il a abouti.
Ce n'est pas que nous blâmions les associations coopératives de production. De bons esprits y voient le remède ou l'un des remèdes à notre situation sociale.
Mais l'exemple cité prouve manifestement que si ces associations s'organisent dans l'esprit du socialisme, avec des élections répétées, l'indépendance des travailleurs, l'absence de respect et d'autorité, elles aboutiront à la ruine et à la dissolution.
L'association de production exige des hommes vertueux, comme condition de prospérité. Il y faut des principes de justice et de charité, de la modération d'esprit et des habitudes de respect qu'on ne peut puiser que dans la vie chrétienne.
En fait, si quelques sociétés coopératives de production ont réussi, c'est qu'une autorité patronale de fait y avait été instituée par les associés.34)
Cette page est empruntée en partie à la profession de foi d'un candidat aux dernières élections législatives.
Le ”socialiste„ veut me loger dans une maison construite avec les fruits de mon travail, maison qu'il administrera et… ”dont il me chassera quand il lui plaira„.
”Moi„, je veux demeurer dans une habitation dont personne ne puisse me chasser.
Le ”socialiste„ veut m'obliger au bureau de bienfaisance universelle, alimenté avec mon travail, bureau qu'il administrera et auquel il m'admettra… ”si c'est son bon plaisir„.
”Moi„, je ne veux pas être réduit à tendre la main au bureau de bienfaisance.
Le ”socialiste„ veut m'obliger à mettre mes enfants dans des écoles payées avec mon argent et mon travail, et où il instruira et éduquera mes enfants… ”à son image„.
”Moi„, je veux choisir l'école de mes enfants comme il me plaît, dussé-je la payer moi-même.
Le socialiste veut m'obliger à passer ma vieillesse et à mourir dans un hospice bâti et entretenu avec mon argent, où ses amis se gobergeront à mes dépens, et où ils m'admettront… ”si moi et mes enfants nous votons pour lui„.
”Moi„, je veux passer ma vieillesse dans ma famille et mourir en paix chez moi…
Et ce ne sont là que les prétentions du socialisme modéré!
Le vrai socialiste veut me donner la vocation et la carrière qui lui plairont.
Il veut me faire travailler et me mesurer mon pain. Il veut m'ôter mon Dieu, ma famille et ma liberté.
Il veut me jeter à l'eau ou au four crématoire pour débarrasser la société quand j'aurai vieilli et que je ne serai plus apte au travail. Merci. J'aime mieux ma liberté, ma maison, ma famille, ma foi et mes espérances.
Voilà pourquoi je ne suis pas et ne veux pas être socialiste.
WINTERER, Le danger social, 1880, chez Lecoffre.
WINTERER, Trois années de l'histoire du socialisme, chez Lecoffre.
WINTERER, Le socialisme international de 1885 à 1890,chez Lecoffre.
WINTERER, Le socialisme contemporain, chez Palmé.
FÉLIX,, Le socialisme devant la société. 1878, chez Roger et Chernoviz.
FÉLIX, Socialisme et christianisme, chez Roger et Chernoviz.
FÉLIX,// Le charlatanisme social, //Roger et Chernoviz.
DE PASCAL, Le mouvement social, chez Vic et Amat
DE PASCAL, Le collectivisme et ses docteurs, chez Vic et Amat
DE PASCAL, Le pouvoir social et l'ordre économique, chez Vic et Amat.
DE BOYLEVE, //La question ouvrière, //chez Haton, Palmé//.//
DE BOYLEVE, Problèmes religieux et sociaux, chez Haton, Palmé.
MÉRIC, Les erreurs sociales du temps présent.
BLANC, La question sociale: principes nécessaires et réformes urgentes.
MARTINET, La question sociale au point de vue des faits. 1851.
BENÔIT MALON (auteur socialiste), Histoire du socialisme, 1883
BENÔIT MALON, Le socialisme intégral, 1890.
CHAPITRE VI
Nous ramenons à quatre sources les remèdes qui doivent rétablir la paix sociale et relever la condition des ouvriers.
Nous croyons être exacts et complets.
Les études sociales se multiplient. Des panacées sont proposées à l'infini, mais toutes se ramènent à l'action de l'Église, à celle de l'État, à celle des patrons et à celle des corporations.
Nous nous appuyons d'ailleurs sur les meilleures autorités. Léon XIII, dans son encyclique, indique comme remèdes au mal social: l'enseignement et l'action de l'Église, la part de l'État, les devoirs des patrons, le rôle des associations.
Le cardinal Manning indiquait les mêmes principes de salut social: union de l'Église et du peuple, intervention des pouvoirs publics, entente du capital et du travail, nécessité absolue des associations privées.
Ce sont les principes que nous allons exposer.
L'Église catholique seule peut remédier aux maux de la société actuelle. Seule elle peut réconcilier le riche et le pauvre, parce que seule elle possède pleinement les principes de justice et de charité que la philosophie humaine n'a fait qu'effleurer avec beaucoup d'obscurités et de divergences de vues.
Or, l'action de l'Église, c'est l'action du prêtre, son représentant autorisé, son porte-voix, son bras et son cœur, et le ministre des sacrements qui confèrent la grâce divine.
Le prêtre, au nom de l'Église, dit à l'ouvrier: «Accomplissez fidèlement votre tâche, respectez toute autorité, évitez toute violence dans vos revendications».
Il dit à ceux qui emploient des ouvriers: «Respectez en eux leur dignité d'hommes et de chrétiens. Regardez comme une honte et une barbarie d'abuser des ouvriers comme de machines à gagner de l'argent. Tenez compte de leurs besoins religieux et spirituels, donnez-leur le temps convenable pour cela. Ecartez d'eux les causes de corruption et de péché. Ne leur imposez pas un travail au-dessus de leurs forces, ni contrairement aux nécessités de l'âge et du sexe. Donnez-leur un juste salaire, afin qu'ils puissent soutenir convenablement leur vie. Ne spéculez pas sur leur pauvreté».
Il dit aux riches: «Dieu seul a le droit de propriété absolue. Vous êtes des administrateurs. Après avoir pris sur vos revenus de quoi vivre convenablement, vous devez faire largement l'aumône. Il faut que tous les hommes vivent des produits de la terre».35)
Il dit aux pauvres: «Votre situation a été honorée par le Fils de Dieu. Soyez doux et patients, sanctifiez vos épreuves. Au ciel vous serez dédommagés».
Il dit aux uns et aux autres: «Soyez unis dans la charité. Vous êtes tous frères. Vous avez le même Dieu créateur, le même Rédempteur, la même nature, la même grâce, le même héritage céleste. Quelles raisons de vivre paisiblement et fraternellement!».
L'Église a-t-elle des moyens pratiques, efficaces, de réaliser un tel idéal?
Oui, elle éclaire les intelligences en leur montrant où est le devoir. Elle agit sur les cœurs par ses conseils, ses exemples et son influence surnaturelle.
L'histoire est là qui le prouve. La société humaine a été complètement renouvelée par les institutions chrétiennes. Le progrès le plus extraordinaire a remplacé la plus honteuse déchéance. L'action du prêtre a produit la civilisation chrétienne, avec sa prospérité, son éclat, ses œuvres, particulièrement aux XIIe et XIIIe siècles et même au XVIIe.
Les mêmes principes produiront les mêmes effets. L'Église aime l'ouvrier, l'enfant, le vieillard. Elle secourt toutes les infortunes et toutes les souffrances. L'histoire de la charité, c'est l'histoire de l'Église.
La bienfaisance administrative ne peut pas remplacer la charité chrétienne, enseignée et propagée par le prêtre, parce que la charité chrétienne donne tout et se donne elle-même avec un entier désintéressement. Or, un tel sentiment ne vient que du Cœur de Jésus Christ; et s'éloigner du prêtre et de l'Église n'est pas du tout se rapprocher de ce Cœur divin. (Léon XIII, dans l'encyclique sur la condition des ouvriers).
La société souffre parce qu'elle s'est éloignée de la religion et par conséquent du prêtre.
Le gallicanisme de Philippe le Bel et le césarisme des légistes sont venus entraver l'action sacerdotale, et la société française a passé par les crises douloureuses du XIVe et du XVe siècles.
Le gallicanisme de Louis XIV restreignait l'action politique et sociale du prêtre. Le libéralisme qu'il engendra écarta de plus en plus le prêtre de la vie civile, et la société sans boussole sombra à la fin du XVIIIe siècle. Il faut que le prêtre rentre dans la vie sociale pour la christianiser à nouveau et lui infuser la justice et la charité. C'est le salut.
«Que les ministres sacrés, dit Léon XIII dans l'encyclique, déploient toutes les forces de leur âme et toutes les industries de leur zèle, et que, sous l'autorité de leurs évêques, ils ne cessent d'inculquer aux hommes de toutes les classes les règles évangéliques de la vie chrétienne; qu'ils travaillent de tout leur pouvoir au „salut des peuples”».
«Ce sont vos prêtres, disait encore Léon XIII dans une audience à monseigneur l'évêque de Liège, qu'il faut exhorter à aller au peuple. Ils ne peuvent pas rester enfermés dans leurs églises et leurs presbytères. Il faut les animer de l'esprit apostolique, de l'esprit qui animait saint François Xavier, qui allait de ci, de là, partout, pour prêcher la doctrine chrétienne à tous».
//«Le prêtre,// dit monseigneur l'évêque de Liège après Léon XIII, //doit avoir sa place dans les associations professionnelles. Il doit s'en faire l'initiateur, le directeur, le propagateur. Il doit même prêter le concours de ses connaissances, de son cœur, de son dévouement, de son influence et de son action à la poursuite du bien temporel de ces sociétés. Les œuvres anciennes ne suffisent plus. Elles n'atteignent pas les ouvriers des villes et des usines. C'est en s'occupant de leurs intérêts par les corporations, que le prêtre aura accès auprès d'eux.//
Allons, ne nous laissons pas arrêter par une fausse prudence ou une timidité désastreuse. Si un prêtre voit ses ouailles se perdre ou exposées à se perdre dans le socialisme, il ne doit pas facilement tranquilliser sa conscience et rester inactif. Le bon pasteur ne se cache pas quand le loup vient. Qu'il se mette à l'œuvre, Dieu le bénira et lui donnera souvent un succès inespéré».
L'action du prêtre, c'est le salut, c'est la condition de la paix sociale et de la civilisation chrétienne.
Le péril social est immense, tout le monde le reconnaît. Et tous ceux qui ont à cœur le salut des nations font appel au prêtre pour le prier de prendre en mains le gouvernail et de guider les manœuvres qui doivent mener au port le navire social ballotté par la tempête.
C'est le Pape, ce sont les évêques, ce sont les moralistes, ce sont les hommes d'œuvres qui disent au prêtre: mettez-vous à l'œuvre sous la direction de vos pontifes.
«Que chacun, dit Léon XIII, se mette à la tâche qui lui incombe, et cela sans délai, de peur qu'en différant le remède, on ne rende incurable un mal déjà si grave… Que les ministres sacrés déploient toutes les forces de leur âme et toutes les industries de leur zèle; et que, sous l'autorité des évêques, ils travaillent de tout leur pouvoir au salut des peuples» (encyclique sur la condition des ouvriers).
L'épiscopat est unanime. Les conciles provinciaux accentuent de plus en plus leurs prescriptions. Ils se contentaient d'abord de conseiller les œuvres ouvrières. Le Concile plénier de Baltimore, en dernier lieu, ”ordonne„ que ”partout„ les curés fondent des associations ouvrières.
Depuis l'encyclique de 1891, tous les évêques ont parlé. Tous recommandent à leur clergé l'application de l'encyclique comme un moyen suprême de salut. Plusieurs instituent dans leurs Séminaires des cours et conférences d'études sociales. Quelques-uns énumèrent à leurs prêtres les sources à consulter pour s'initier à ces œuvres de salut.
Ces jours-ci même, monseigneur l'évêque de Liège adressait à son clergé sa magnifique lettre, qui est un traité complet sur cette matière. Il exhorte, il presse, il secoue les tièdes, il dirige les hommes de bonne volonté. Il ne veut pas que l'encyclique soit lettre morte. Il montre la grandeur du péril, l'insuffisance des œuvres anciennes, la nécessité des associations professionnelles dans lesquelles le prêtre doit avoir une part active. Pour armer ses prêtres de toutes pièces, il joint à sa lettre plusieurs documents qui complètent l'encyclique: les lettres de Léon XIII à monsieur de Mun, à monsieur Decurtins, aux évêques allemands, et ses discours aux pèlerinages d'ouvriers français.
Les moralistes font écho à l'enseignement du Pape et des évêques. «Les conditions nouvelles de la société, dit le théologien Lehmkuhl, imposent des devoirs nouveaux aux pasteurs des âmes. „Ils manquent aujourd'hui à leurs devoirs s'ils ne fondent pas des associations” et spécialement des associations d'ouvriers, où le bien religieux s'unisse à la poursuite d'un bien temporel».
Mais, nous diront les hommes de bonne volonté, que devons-nous faire? Comment nous y prendre?
Nous laissons aux maîtres le soin de le leur dire. Indiquons seulement une petite bibliothèque, dont la dépense totale ne dépassera pas 5 francs.
1. L'encyclique sur la condition des ouvriers, 5, rue Bayard, Paris.
2., La Lettre pastorale, de monseigneur DOUTRELOUX avec ses documents annexes, chez Dessain, à Malines.
3. LEHMKHUL, Le Clergé et le Peuple catholique, chez Lethielleux, rue Cassette, Paris.
4., Motu proprio de PIE X sur la démocratie chrétienne.
5. Le Prêtre et la Situation actuelle de l'Église, œuvre de Saint-Paul, 6, rue Cassette, Paris.
6. Le Renouvellement de la paroisse, ibidem
7. Trois jours d'études sacerdotales sur les questions ouvrières et sociales, sous la présidence de monsieur le chanoine DIDOT, à Limé (Aisne), imprimerie de la Croix.
8. Le Curé de Campagne, par un homme d'œuvres, 5, rue Bayard, Paris.
9. Le Pasteur selon le Cœur de Jésus dans le temps présent, œuvre de Saint-Paul. Cet opuscule, qui a paru d'abord dans la revue le Règne du Cœur de Jésus, publiée à Saint-Quentin, a semblé à monseigneur l'évêque de Liège si propre a éclairer le clergé sur les conditions de l'apostolat dans le temps présent, qu'il l'a distribué à tout son clergé avec sa lettre pastorale et les documents pontificaux.
10. Les réflexions de Monseigneur l'évêque de Montpellier à son clergé et un discours de monseigneur Ireland, œuvre de Saint-Paul.
11. Le Prêtre, par un Curé de Lyon, 5, rue Bayard, Paris.
Les œuvres à faire, les documents indiqués vous le diront.
Mais on ne saurait trop le répéter, les œuvres anciennes ne suffisent plus. Cela saute aux yeux. Elles nous laissent aller à la dérive, et nous sommes au bord de l'abîme.
Il ne faut cependant pas les omettre. Le ministère sacerdotal ordinaire: prédication, catéchisme, administration des sacrements, est toujours la base fondamentale de l'apostolat. Il y faut joindre les missions, l'apostolat à domicile, les associations pieuses, et cela ne suffit pas encore. Il faut ajouter les œuvres d'enseignement: écoles, bibliothèques, journaux, cercles et patronages, et c'est encore insuffisant. Il y faut joindre les œuvres de charité: Conférences de saint Vincent de Paul, vestiaires paroissiaux, Oeuvre de saint Régis, etc.
Toutes ces œuvres sont admirables et nécessaires, mais elles ne conjureront pas le péril social.
Il est certain, dit Léon XIII, et tout le monde en convient, que les ouvriers, par suite de la pseudo réforme sociale du XVIIIe siècle, sont dans des conditions de souffrance imméritées. Ils sentent le besoin de s'unir dans des associations professionnelles qui les protègent. Si nous ne nous hâtons pas d'aller à eux par des associations catholiques, ils se laisseront séduire par les illusions socialistes, et les nations chrétiennes vont courir à des cataclysmes épouvantables.
Vous êtes le sel de la terre.
Vous êtes la lumière du monde. Vous êtes les incendiaires du feu sacré.
Ce siècle a ses grandeurs; il peut se glorifier de ses progrès industriels et scientifiques.
Cependant il se termine, de l'aveu général, dans l'affadissement des mœurs et des caractères, dans l'obscurcissement de la vérité et des doctrines et dans le refroidissement de la charité.
Ses mœurs sont caractérisées par le théâtre, le turf, le roman et toutes les manifestations de la vanité et de la sensualité.
La vérité? qui la connaît encore? Ce siècle finissant dirait bien comme Pilate: «Qu'est-ce que c'est que la vérité?». Jamais il n'y eut plus grande confusion de doctrines dans l'ordre social, dans l'ordre politique, dans l'ordre moral, dans l'ordre religieux.
Et la charité est tellement refroidie, que les diverses classes de la société se méprisent et se haïssent et que la guerre sociale est à nos portes.
Oh! que nous avons besoin du prêtre, du vrai et saint prêtre, pour qu'il soit le sel de cette terre affadie, la lumière de ce monde enténébré, et le foyer qui réchauffera les cœurs glacés!
Le prêtre est le sel de la terre par sa vie de prière et de sacrifice. Il comprend qu'il doit s'appliquer à la prière et à la réparation avec d'autant plus d'instance que les temps sont plus mauvais, les péchés du peuple plus nombreux et les obstacles au bien plus difficiles à vaincre. C'est aux prêtres surtout que Dieu en donne la mission.
Ces pensées sont admirablement développées dans l'opuscule: Le prêtre et la situation actuelle de l'Église.
Si le prêtre est la lumière qui répand sur le monde l'éclat de la doctrine révélée, il doit être, surtout à la fin de ce siècle, le héraut de la science sociale. L'Église seule, nous l'avons montré, possède les éléments de solution de la question sociale par ses enseignements précis sur la justice et par les leçons et les exemples de sa charité. Il faut que le prêtre se hâte de répandre cette lumière.
La société marche à sa ruine pour l'avoir mise sous le boisseau. Enfin, l'Église seule peut apaiser les haines sociales et réconcilier toutes les classes. Elle seule possède la source de la charité chrétienne qu'on ne puise que dans le Cœur sacré de Jésus Christ.
Le prêtre doit donc être d'abord ”l'homme de la prière et du sacrifice„, pour apaiser la justice divine irritée par l'affadissement des mœurs.
Il doit être ”l'homme des études et des œuvres sociales„, pour porter la lumière au milieu de ces ténèbres, où se heurtent pêle-mêle des hommes de bonne volonté avec des criminels qui veulent pêcher en eau trouble.
Il doit être enfin le ”disciple et l'apôtre du Cœur de Jésus„. Il faut à ces temps de division et de haine un remède nouveau. Notre Seigneur lui-même nous l'a dit. Ces âmes glacées ont besoin d'être réchauffées par un foyer brûlant.
Le Cœur de Jésus, manifesté par ses paroles, par sa vie, par ses bienfaits, est un thème infini de méditations ardentes et de prédications entraînantes.
Ah! si le peuple désabusé savait ce qu'il doit à Jésus Christ et ce que Jésus Christ voudrait lui procurer, par le règne de son Évangile, de vraie liberté, de dignité, de respect, d'aisance et de joie pure! Le peuple est bon au fond, mais il est trompé. C'est au prêtre, à l'apôtre tout pénétré lui-même de la charité du Christ, de faire passer ses chaudes convictions dans le cœur de l'ouvrier, pour entraîner les masses à la suite du Sauveur.
CHAPITRE VII
Ni le dévouement de l'Église ni la bonne volonté des particuliers ne suffiront à pourvoir au bonheur des classes déshéritées.
Comme le remarque Jules Simon, «il appartient à la charité de secourir la misère, mais il appartient à une bonne organisation sociale de la prévenir».
La justice est la base des rapports sociaux, et son objet est le droit propre de chacun. Ces droits, qu'on ne peut violer sans crime de lèse humanité, qui les protégera, sinon la loi?
Droit à l'existence; droit à une juste rémunération du travail; droit à ne pas être écrasé par un travail excessif; droit aux joies du foyer domestique; droit à ce que l'enfant et la femme ne soient pas dévorés par un labeur homicide; droit enfin à la liberté du devoir et de la conscience: ce sont là autant de droits dont on ne demande pas l'octroi à une charité quelconque, mais dont on réclame impérieusement le respect et la garantie.
Ces justes droits des travailleurs, nous les avons entendu revendiquer par les maîtres de la science sociale chrétienne, par les Ketteler, les Manning, les Gibbons, les Decurtins, les de Mun et, par-dessus tout, par Léon XIII.
Or, l'État, comme le remarque le révérend père De Pascal, est, par vocation essentielle, le mainteneur du droit, le gardien de la justice. Ses devoirs embrassent le respect de la religion, la protection de la famille, la protection des faibles. Il doit tendre, aux termes de l'encyclique, à «une organisation sociale de laquelle découle, spontanément et sans effort, la prospérité tant publique que privée». Il faut qu'une sage législation du travail, portant particulièrement sur les points que nous venons de signaler, et qui sont aussi visés par l'encyclique, assure les droits du travail en même temps que ceux de la propriété.
L'impiété publique est le plus grand de tous les maux et la source de tous les autres. L'État doit se souvenir d'abord que les ouvriers ont une âme. Il doit protéger leur vie morale et religieuse. Il doit leur procurer la liberté du dimanche pour qu'ils puissent remplir leurs devoirs envers Dieu.
L'histoire, comme la raison, proclame que la religion est la source de la civilisation et que, sans elle, tous les peuples aboutissent à la décadence matérielle et morale.
La Conférence internationale de Berlin a reconnu la nécessité du repos hebdomadaire. Notre loi du 2 novembre 1892 sur le travail des usines n'a pas osé fixer le repos au dimanche. La libre-pensée française est fanatique, ou plutôt les Juifs nous gouvernent d'une manière occulte.
La libre Amérique observe cependant le dimanche, et les Juifs de là-bas ont reporté d'assez bonne grâce le sabbat à son lendemain. Nous y arriverons. Sans le secours de la loi, l'ouvrier ne sera pas assez fort pour sauvegarder son dimanche, et il sera, comme l'esclave, courbé sans répit sur le travail, semblable à un animal sans raison.
C'est de la liberté vraie que nous parlons ici, et non pas d'une liberté menteuse comme celle de nos lois actuelles.
Les chrétiens ont le droit d'être chrétiens, et ce droit est lésé si la foi est combattue au nom de l'État par des hommes chargés de distribuer la science au compte du budget.
Il y a oppression des consciences, s'il existe un enseignement officiel matérialiste et positiviste. Le droit de professer la religion comporte celui d'avoir des maîtres chrétiens aussi favorisés par l'État que quelques maîtres que ce soit.
L'éducation est le devoir et le droit de la famille. C'est aux familles d'une commune à déterminer quelle école elles veulent avoir.
La répartition des subsides en proportion des élèves est seule conforme à la justice distributive. C'est ainsi qu'on l'entend en Angleterre.
En France, l'ouvrier chrétien paye deux écoles au lieu d'une: l'école officielle par l'impôt et l'école libre par sa cotisation. C'est absurde, c'est inique, et cependant cela dure dans ce pays qui se dit et se croit libre.
L'enseignement doit être libre à tous les degrés. Il doit être libre dans ses programmes et dans la collation des grades.
La liberté d'enseignement comporte la personnalité civile des corporations enseignantes et le respect des fondations en faveur de tout enseignement respectable.
Cette diminution allégerait de beaucoup le joug qui pèse sur l'ouvrier en permettant à l'État d'aider et d'encourager des institutions en sa faveur.
Pourquoi retenir trois ans sous les drapeaux des hommes qu'on peut former au métier en un ou deux ans? Nos voisins ont le volontariat et le service de deux ans et ne s'en trouvent pas plus mal.
Pourquoi retenir un an à l'exercice des hommes qui n'auront, en temps de guerre, que des services spéciaux, comme les étudiants de théologie et de médecine?
«Il faut, disait avec raison monseigneur d'Hulst dans ses conférences de Carême, que les charges de la paix armée ne prélèvent pas sur la richesse générale un impôt trop lourd…, que le principe de l'arbitrage, se substituant de plus en plus à la brutale raison du plus fort, rende aux pacifiques conquêtes de la civilisation les ressources qu'absorbe aujourd'hui, partout, la préparation continue de la guerre».
La liberté de l'Église est la première condition de la prospérité sociale du peuple chrétien. Là où l'Église est opprimée, le peuple qui travaille est le premier à en souffrir matériellement et moralement.
Liberté du culte, de la parole, des associations, liberté de posséder, ce sont là des droits sacrés dont l'Église doit avoir l'usage pour le plus grand bien des ouvriers.
Les prétendues conquêtes de la société laïque sont autant d'empiètements sur la liberté de conscience, sur l'influence légitime et l'action nécessaire de l'Église.
Si l'Église n'est plus écoutée, qui enseignera aux riches la justice et la charité? qui prêchera aux pauvres le respect et la sagesse?
Le principal remède aux misères contemporaines est la restauration des mœurs chrétiennes. C'est là l'objectif de l'Église, mais il faut qu'elle puisse y travailler librement, et, pour cela, il faut que sa liberté soit garantie et protégée par la loi.
La question ouvrière est avant tout une question de justice. L'Église seule a l'autorité voulue pour prêcher cette justice aux gouvernants, aux classes responsables, aux patrons, aux capitalistes. L'Évangile seul a supprimé l'esclavage.
Attenter au recrutement et à la formation du clergé en envoyant les clercs dans les casernes, c'est frapper l'ouvrier dans ses protecteurs naturels.
Dans les associations religieuses aussi l'ouvrier recrute ses meilleurs amis. Elles ont pour elles, d'ailleurs, le droit naturel, étant essentiellement des associations honnêtes et légitimes. L'État n'a contre elles aucun droit. Son devoir est de les protéger.
La France a le triste privilège d'être la nation la plus lourdement imposée.
L'ensemble des impôts équivaut, en Belgique, à 6% du revenu national. Il s'élève à 8% en Angleterre. En France, il est de 13 à 14% en moyenne. Il s'élève à 20% pour la classe ouvrière.36)
Nous avons un budget de trois milliards et demi. Celui de l'Angleterre n'est que de deux milliards et demi; celui de la Prusse de deux milliards, y compris sa part des dépenses fédérales; celui de l'Autriche est aussi de deux milliards; celui de l'Italie de un milliard 600 millions. Nous sommes donc le peuple le plus chargé d'impôts.
Nous sommes aussi le peuple le plus endetté. Notre dette publique s'élève à 38 milliards. Celle de l'Angleterre est de 20 milliards seulement. L'Autriche et l'Italie doivent chacune 12 milliards. La Prusse n'en doit que 9.
La France s'est signalée, surtout depuis 1876, par son imprévoyance, ses gaspillages et ses folies. Elle avait encore une belle situation financière en 1876: des budgets en équilibre qui ne dépassaient pas deux milliards, un amortissement annuel de la dette, et l'espérance de conversions avantageuses de nos dettes pour les alléger. Mais depuis!!!
La dette publique française, en 1872 ne s'élevait qu'à 23 milliards. Aujourd'hui, nous approchons de 40, chiffre auquel s'est faite la banqueroute de 1793. Il est vrai que l'argent, aujourd'hui, est plus commun, et nous pourrons aller encore un peu plus loin.
Grâce aux rentes accordées aux victimes du 2 décembre et à d'autres électeurs non moins intéressants, nous payons, pour les pensions, 102 millions de plus par an qu'en 1874.
De 1876 à 1885, les traitements des fonctionnaires ont été augmentés de 122 millions, et cela continue toujours. Grâce aussi à la guerre faite aux frères et aux sœurs, l'instruction publique nous coûte aussi 100 millions de plus par an qu'en 1877. Est-il étonnant qu'après tant de gaspillages et un si grand accroissement de charges, nos populations éprouvent un tel malaise, qu'elles n'auront bientôt plus rien à envier à la pauvre Italie?
La première réforme à opérer, en matière de finances, serait donc de mettre un terme à tous ces gaspillages et de réagir contre eux. Pour ce qui est de la réforme spéciale des impôts, elle doit porter surtout sur l'impôt foncier, sur les droits de mutation et sur les impôts de consommation.
Impôt foncier. - Notre impôt foncier est mal réparti. Il varie suivant les départements, dans la proportion de 1 à 5. La révision cadastrale devrait s'accomplir tous les dix ans. Il est aussi trop lourd. La terre est sacrifiée. Avec les centimes additionnels, l'impôt foncier monte à 365 millions de francs. Or, le budget ne demande, par les patentes, à l'industrie et au commerce, que 159 millions par an, pour un capital et des revenus plus considérables que ceux de la terre.
Les terres payent un impôt qui dépasse souvent le quart du revenu cadastral. Or, le revenu cadastral est aujourd'hui, en certaines régions, double ou triple du revenu réel. Il s'ensuit que l'impôt, au lieu d'être le quart du revenu du sol, atteint, dans ces régions, la moitié ou les trois quarts. Nous marchons à grands pas vers la prospérité italienne ou vers celle du fellah d'Egypte, qui paye à l'Anglais 80% de son revenu.
Les droits de mutation. - L'impôt sur les mutations des propriétés est exagéré. Le budget lui demande 700 millions. L'Angleterre ne lui en demande que 300.
Les droits de timbre et d'enregistrement coûtent par tête:
En Allemagne 1 fr 50
En Autriche 3 fr 50
En Angleterre 8 fr 20
En France 17 fr 50
Les droits de mutation, avec les honoraires des officiers ministériels, montent chez nous à 10 ou 12%. C'est une vraie confiscation. Ainsi, la terre est presque immobilisée. Personne ne pouvant acheter de propriétés pour les améliorer et les revendre comme en Amérique, elles restent entre les mains des incapables. Il faudrait que ce droit ne dépassât pas 1%. Il est seulement de 1/2% en Angleterre. En réduisant beaucoup ce droit, on aurait des ventes fréquentes et le fisc s'y retrouverait.
Plusieurs mutations successives ruinent les familles les mieux établies. C'est là une destruction constante de la petite propriété et un obstacle immoral à l'accession du travailleur à la propriété.
Les ventes judiciaires donnent lieu à un vrai brigandage fiscal. C'est l'impôt progressif à rebours. Les frais de liquidation et de vente d'un petit héritage de 300 francs coûtent jusqu'à 112% du capital.
Ainsi, si vous achetez, en vente judiciaire, une maisonnette de 300 francs, vous aurez en plus 340 francs de frais. Au-dessus de 10.000 francs, les frais ne dépassent pas 12%. N'est-ce pas une monstruosité?
Les droits d'hypothèques sont aussi un mauvais impôt, qui est levé sur le pauvre au moment même où il s'endette.
Les impôts indirects ou de consommation. - Ces impôts ont cela de particulièrement odieux qu'ils pèsent sur l'ouvrier, sur les pauvres, sur les familles nombreuses, autant et plus que sur le riche.
Monsieur Leroy-Beaulieu, qui n'est pas suspect de partialité pour le peuple, a recherché ce que payait d'impôts un ménage d'ouvriers parisiens composé de trois personnes. Il est arrivé à reconnaître qu'une famille ouvrière, dans ces conditions, paye environ 370 francs d'impôts. Le revenu de ce ménage peut être estimé à 1.800 francs. C'est donc une proportion de 20% d'impôts. En faisant le même calcul pour un ménage d'ouvriers ruraux, on trouve des résultats analogues. Un ménage vivant sur le salaire moyen de nos campagnes, qui est de 800 francs environ, paye 160 francs d'impôts. C'est la même proportion.
La charge des impôts est bien moins lourde pour les citoyens aisés, qui ont des revenus bien plus considérables et qui ne payent à l'État que 14% de ces revenus.
Le budget est, en effet, de 3 milliards et demi, et l'ensemble des revenus de la France est d'environ 25 milliards. La proportion est de 14%.
Ces chiffres ont été donnés à la Chambre par monsieur Cavaignac et ils n'ont été contestés par personne. Les ouvriers sont donc surchargés d'une manière inique par notre système d'impôts.
N'est-il pas également inique et honteux de faire payer au peuple, par les octrois, les fantaisies des municipalités, comme des lycées et des collèges de filles, qui ne servent qu'à la bourgeoisie et aux fonctionnaires, alors que tout secours est refusé aux enfants des ouvriers s'ils fréquentent des écoles congréganistes?
Un système dans lequel, pour une bouteille de vin de0 franc 45, l'ouvrier doit payer0 franc 30 à l'impôt et à l'octroi, n'est-il pas antisocial et antihumanitaire?
La réforme. - Il y a donc d'immenses gaspillages à supprimer. Il y a aussi des impôts mal assis qu'il faut diminuer ou déplacer. Mais par quoi les remplacer? Faut-il établir un impôt sur le revenu? Cet impôt doit-il être progressif?
Disons d'abord que le projet d'un impôt unique sur le revenu, remplaçant tous les autres, est une utopie socialiste.
Les revenus se cacheraient et iraient s'abriter à l'étranger. Ce qui ne pourrait pas être dissimulé serait écrasé pour faire face aux dépenses de l'État. Ce n'est plus 14% qu'il faudrait demander au revenu, c'est 50 ou 60.
Mais, ne peut-on pas créer un impôt modéré sur le revenu pour remplacer bien des taxes injustes? C'est l'avis de beaucoup de bons esprits et nous y arriverons certainement.
Les autres nations d'Europe ont déjà cet impôt. Le difficile est d'établir la base de l'impôt. Demandera-t-on à chacun de déclarer le chiffre de son revenu? L'administration l'établira-t-elle d'office par une enquête? Le revenu sera-t-il fixé par une présomption tirée de la valeur locative du domicile de chacun? Ce dernier mode est préféré par beaucoup parce qu'il est moins inquisitorial, mais ne serait-il pas fort inexact?
Cet impôt sur le revenu sera-t-il progressif? Par exemple, un revenu double payera-t-il trois ou quatre fois autant qu'un revenu modeste? Ce point est plus discuté encore. Ce qui légitimerait une certaine progression dans l'impôt sur le revenu, c'est surtout l'opportunité qu'il y a de réparer l'injustice des impôts indirects, lesquels pèsent trop lourdement sur les petits revenus.
Mais, dans ce temps où passe sur la société un souffle de socialisme, la progression ne serait-elle pas une arme dangereuse?
La conclusion de ce paragraphe, comme des autres, est donc qu'il faut à la fois réformer les lois et les mœurs.
Tout accaparement est une usure et une usure vorace, et nos lois n'y ont pas pourvu.
Des unions syndicales de patrons, comme les ”cartels„ allemands et les ”trust„ américains, peuvent organiser, quand elles le veulent, des accaparements aussi funestes aux travailleurs que préjudiciables aux consommateurs eux-mêmes.
Ces unions, qui ne sont retenues par aucune organisation générale professionnelle, peuvent déterminer à leur gré le taux des salaires aussi bien que celui des produits.
Un exemple frappant d'accaparement, et qui s'exerce encore impunément aujourd'hui, est celui des sucres. Nous n'avons en France que cinq ou six grandes raffineries de sucre. Elles n'en laissent pas d'autres s'établir ou elles les écrasent promptement par la concurrence. Elles sont ainsi maîtresses du marché. Elles peuvent acheter à bon compte le sucre brut et vendre à un prix usuraire le sucre raffiné.
On se rappelle l'accaparement des cuivres, qui fit crouler le comptoir d'escompte en 1880. L'accaparement s'exerce sur le blé dans nos grands ports de commerce, sur les laines à Londres et dans certains centres industriels. Quelques grands banquiers Juifs tendent à se mettre en possession de presque toutes les actions des mines d'or, ce sera le plus effroyable accaparement que l'histoire ait connu. Ils seront les maîtres du marché de l'or et, par suite, du commerce universel dont l'or est l'instrument nécessaire.
Le programme des catholiques allemands demande avec raison que la Bourse soit ramenée à ses fonctions normales, et que le jeu des différences et le marché à terme soient interdits.
Les paris de courses et autres jeux semblables sont profondément immoraux.
Les émissions d'actions et lancements d'affaires nouvelles exigeraient le contrôle de l'État.
Les emprunts d'État prennent des proportions telles que l'amortissement en sera impossible. C'est un capital mal assis et destiné à s'effondrer. Les revenus de l'avenir sont par là engagés d'une manière inique pour solder des dépenses dont une grande partie ne saurait être justifiée.
Les rentes assises sur le prêt commercial ou industriel doivent être maintenues dans une juste limite. La loi et les tribunaux doivent prévoir et réprimer les diverses formes sous lesquelles l'usure se cache.
La rente foncière elle-même revêt un caractère d'injustice et d'usure quand les saisies pour dettes viennent à la suite d'accidents, de disette, d'intempéries. Ici l'arbitrage professionnel seul pourrait rectifier les contrats devenus usuraires.
Le petit domaine rural et les instruments de travail doivent être insaisissables, si l'on veut conserver la race de nos paysans. L'agriculture n'est-elle pas la réserve du plus pur de notre sang et du meilleur de nos forces?
On ne peut objecter que les créanciers se trouveront lésés. C'est à chacun de s'assurer du crédit qu'il peut accorder à son débiteur.
Il y a déjà dans la loi des exceptions semblables en faveur des rentes sur l'État et de certains traitements, en faveur des provisions alimentaires attribuées par justice ou instituées à titre gratuit; en faveur du coucher nécessaire aux saisis et à leurs enfants, de leurs vêtements, des livres, outils et machines dans une certaine mesure; et même d'une vache ou trois brebis ou trois chèvres, au choix du saisi, avec leur nourriture pour un mois. (Code proc., articles 581, 582, 592).
L'ancienne législation était plus favorable encore. L'ordonnance de 1667 réservait les chevaux, bœufs et bêtes de labourage, les charrues, charrettes et instruments de culture. Ces objets ne pouvaient être saisis que pour le payement des fermages.
Le fisc pourra se plaindre s'il ne peut pas exercer ses droits par la saisie; mais, d'autre part, si la population diminue, si les maisons ne sont plus habitées, et si la production et le mouvement des affaires vont en décroissant, le fisc subira bien d'autres pertes.
Pour que les familles soient prospères, nombreuses, morales, économes et fortes, il faut leur permanence sur le sol qui les a vu naître.
N'est-il pas cruel d'enlever le champ qui le nourrit à un ménage qui s'achemine vers la vieillesse? Et c'est là qu'aboutissent chaque jour la rapacité de l'État et les pièges de l'homme d'affaires.
La loi doit avoir souci de favoriser la formation et la conservation du petit domaine rural jusqu'à concurrence d'une propriété suffisante pour nourrir la famille qui le cultive et absorber son activité.
Le chef de famille doit avoir le droit de se choisir un successeur parmi ses enfants pour le domaine familial. L'égalité peut être rétablie par une soulte payable par annuités et proportionnelle au produit des récoltes. L'héritier légal pourrait céder ses droits à l'un ou à l'autre de ses frères. L'aliénation à des étrangers devrait être autorisée en conseil de famille réuni devant le juge de paix.
Cette préoccupation de fixer la famille, pour la rendre morale et prospère, existe en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, en Chine, aux États-Unis. Elle est demandée en Italie, en Belgique. Le problème est posé au Parlement français, et nul ne l'a mieux exposé et résolu que monsieur l'abbé Lemire, soit dans son projet de loi, soit dans l'exposé des motifs qu'il en a donné.
Une foule de bons esprits, et en tête Le Play et ses disciples, demandent que le père de famille ait liberté entière pour tester et désigner son successeur. C'est qu'en effet, chez le propriétaire, chez l'industriel et chez tout homme qui a une situation indépendante, il y a un instinct aussi fort que celui d'avoir des enfants, c'est le désir de se survivre et de se perpétuer après soi dans le même rang et dans la même situation.
La fièvre de justice égalitaire, qui distingue la race française, ne permet pas d'attendre des résultats immédiats et considérables de cette liberté, mais il n'en reste pas moins vrai que la force et la prospérité d'une nation dépendent du nombre et de la solidité des établissements stables et des familles-souches fondées d'une façon durable, qu'elle compte dans son sein.
Cette liberté est aussi l'unique moyen d'assurer l'expansion coloniale.
Sous prétexte d'arrêter l'exercice du droit d'aînesse, dont il n'est nullement question dans le droit de tester, la Franc-Maçonnerie est arrivée à détruire le foyer de la famille et à la disperser.
Un père connaît les aptitudes et les goûts de ses enfants.
À celui qui a le goût d'être comme lui cultivateur, industriel, il laisse son champ ou son usine. - S'il a plusieurs enfants ayant les mêmes aptitudes, il les laisse indivis entre eux -. Il donne à celui qui court le monde son argent comptant, ou il charge ceux qui conservent le fonds paternel de lui servir une rente. Les intérêts de chacun sont respectés, mais cela ne dissout pas la famille.
La diminution des frais de justice, surtout en ce qui concerne les mineurs, les personnes peu aisées, s'impose à l'équité. Pour peu qu'il survienne une complication dans une petite succession, c'est la ruine.
Il y a eu déjà une bonne volonté manifeste de la part du législateur en ce sens, mais elle n'a profité qu'aux manieurs de papier timbré. Les frais excessifs de liquidation judiciaire continuent à dévorer les petits héritages, comme nous l'avons vu plus haut à propos des impôts.
Les frais énormes des saisies mobilières grossissent d'une façon tout à fait disproportionnée le chiffre de la dette première.
S'il faut, pour y arriver, que l'État rachète les charges des officiers ministériels, il peut le faire graduellement. L'Allemagne l'a bien fait en Alsace: elle a racheté une à une les études de notaire au décès ou à la démission de leurs titulaires, sur la base d'une proportion fixée entre les revenus de l'étude et son prix. Les nouveaux notaires sont des employés de l'État qui ont un traitement fixe et qui, par suite, n'ont pas intérêt à surcharger les droits.
Certains fonctionnaires, certains employés, sont protégés par la loi contre leurs propres entraînements et les manœuvres peu scrupuleuses de gens cupides.37) Pourquoi les ouvriers, encore plus exposés et plus imprévoyants, n'obtiendraient-ils pas la même protection? Pourquoi leur salaire ne serait-il pas déclaré en partie incessible et insaisissable?
En Belgique, une loi de 1887 ne laisse que le cinquième du salaire à la libre disposition de l'ouvrier et pose pour le reste une interdiction à toute cession. Cette limitation, sans doute, ne doit pas être exagérée, mais elle met l'ouvrier dans l'incapacité de se vouer, lui et les siens, à la misère par faiblesse, et les préserve de la haine qui naît de la souffrance.
Le monde du travail, c'est la grande majorité de la nation, et cette partie si considérable du peuple n'est ordinairement ni consultée ni entendue pour le gouvernement de ses affaires.
Le commerce et l'industrie ont au moins des chambres consultatives, dont le gouvernement veut bien quelquefois prendre l'avis.
Nous voudrions une représentation des intérêts bien plus complète et bien plus sérieuse. Il faudrait, dans chaque département, une chambre ou conseil du travail, à côté du Conseil de l'industrie, de celui du commerce, de celui de l'agriculture, de celui des professions libérales, et, dans les départements maritimes, de celui de la marine.
Le Conseil du travail se composerait de patrons et d'ouvriers élus par les corps d'états. Il devraient être consultés pour toutes les lois qui concernent le travail, comme chacun des autres conseils départementaux devrait être consulté pour les lois spéciales qui le concernent.
Nous voudrions plus encore. Les chambres consultatives départementales ne sont pas suffisantes. Nos assemblées législatives elles mêmes devraient être élues sur la base de la représentation des intérêts. Il faudrait commencer par le sénat. Nous aurions ainsi au moins une chambre compétente sur tout ce qui touche aux intérêts vitaux de la nation. Les conseils départementaux, élus eux-mêmes par les corps d'états, seraient la base de l'élection des sénateurs.
Ce ne sont pas là des utopies. C'est une réforme demandée partout. La Belgique a déjà ses conseils du travail bien organisés et vraiment actifs.
Chaque centre industriel a un conseil de l'industrie et du travail, composé en nombre égal de patrons et d'ouvriers. Jusqu'ici, le rôle de ces conseils a été uniquement consultatif: dans les conflits entre employeurs et employés, ils ont été d'utiles arbitres; de plus, le gouvernement les consulte sur les projets de réglementation du travail avant de les soumettre au Parlement.
Ce sont des instruments d'enquêtes excellents; ils ont donné déjà des renseignements précis et très utiles sur la situation des ouvriers. Les démocrates chrétiens réclament le bienfait d'institutions similaires pour l'agriculture, et il est très probable que le gouvernement se prêtera à cette mesure.
Au-dessus de ces conseils provinciaux, il y a le Conseil supérieur du travail, composé pour un tiers de patrons, un tiers d'ouvriers et un tiers de sociologues. Ce Conseil vient de préparer un projet de loi sur les règlements d'ateliers qui sera vraisemblablement voté sans changements par les chambres. C'est donc un véritable parlement du travail. C'est une réalisation assez approchée de la représentation professionnelle.
Cette idée même de la représentation des intérêts au Parlement fait son chemin en Belgique. Elle avait ses nombreux partisans lors de la révision de la Constitution. Mais la majorité recula devant les difficultés d'organisation. On n'était pas prêt pour cette réforme un peu complexe, mais qui eût été si féconde, et on s'arrêta à l'adoption du ”vote plural„.
En tout cas, le suffrage universel, tel que nous le pratiquons en France, est condamné partout par les hommes sérieux, c'est un chaos d'où peuvent sortir toutes les surprises et toutes les ruines. Il ne favorise que les politiciens. Le monde du travail y est représenté par des avocats ou des journalistes. Les lois sont faites par les hommes les moins compétents.
Ces commissions fonctionneraient, plus efficacement que les inspecteurs salariés que l'on a essayés et qui n'ont pas donné de grands résultats. Mettre des ouvriers et des patrons en présence pour s'entendre sur des intérêts communs est bien le moyen d'empêcher les préventions et l'antagonisme. Autrement, le patron n'est qu'imparfaitement renseigné par ses contremaîtres, et les ouvriers prêtent aux patrons des torts qui ne sont nullement dans leurs intentions.
Dans ces commissions, les patrons profiteraient de l'esprit pratique et positif des ouvriers, et ceux-ci apprendraient à respecter l'intelligence des patrons et à tenir compte des difficultés avec lesquelles ceux-ci doivent compter.
Le contrôle des commissions devrait porter aussi sur les conditions hygiéniques du travail, spécialement dans les industries dangereuses pour la santé.
Les commissions mixtes, établies pour un groupe de syndicats ou pour une place industrielle, seront utilement complétées par les conseils d'usine, qui sont spéciaux à chaque usine.
Ces conseils, composés de contremaîtres et d'ouvriers, sont en rapports réguliers avec le patron. Par leur concours, les différends peuvent être arrêtés à leur début, avant qu'ils ne deviennent acrimonieux.
Une telle organisation procurerait aux ouvriers une véritable émancipation, qui les ferait échapper aux meneurs.
Cette détermination, que les socialistes, suivant des principes utopiques, ont fixée à huit heures, doit faire l'objet d'une loi, à cause des abus véritables qui existent en certains endroits, abus qui exaspèrent les ouvriers honnêtes et qui servent de prétexte aux agitateurs.
La justice et l'humanité interdisent d'exiger de l'ouvrier un travail excessif qui hébète son esprit, qui fatigue outre mesure son corps, qui dépasse les limites naturelles de ses forces. Le repos doit être assez prolongé pour procurer une reconstitution convenable des forces.
Le travail n'est pas non plus le seul devoir de l'homme, il a encore des devoirs de famille, de religion et de société. Il n'est donc pas permis d'augmenter le travail sans proportion puisqu'il ne resterait plus à l'homme assez de temps, d'intelligence et de force pour remplir ses autres devoirs.
Des études consciencieuses faites sur la question, il ressort qu'on peut prendre pour base un maximum de onze heures, sauf à le modifier suivant la profession.
Les heures de travail doivent être réglées d'après sa nature, d'après les circonstances de temps et de lieu. Autre est le travail des mines, autre celui des champs, celui des ateliers, celui des usines à feu continu.
La solution des problèmes qu'engendre cette différence consiste à permettre à des conseils d'arbitrage de chaque industrie de fixer une limitation spéciale.
Cette révision serait l'œuvre première de la représentation du travail. Ces lois sont souvent inapplicables. Un parlement, composé de gens de lettres, d'avocats, de politiciens, ne peut avoir qualité pour prononcer sur des questions aussi spéciales. Les projets qu'on leur soumet sont remaniés sous l'empire de préoccupations électorales et sortent de leurs mains méconnaissables et inefficaces.
L'enfance ne peut entrer à l'usine, avant que l'âge ait suffisamment développé ses forces physiques, intellectuelles et morales. En général, tout travail industriel doit être interdit aux enfants au-dessous de quatorze ans.
Le travail des femmes aussi doit être réglé de manière à sauvegarder leur santé et leur moralité.
Le travail des femmes comme celui des enfants exige des conditions spéciales d'isolement et de surveillance.
Il faut que la femme conserve le loisir de s'occuper de son ménage et, par conséquent, travaille chez elle le plus possible.
Les catholiques allemands demandent, avec raison, que la loi supprime graduellement le travail des femmes dans les usines.
Le travail de nuit ruine la santé de la femme et la retient loin de son foyer le soir et le matin, à ces moments où elle peut le mieux remplir son rôle d'épouse et de mère. La loi qui interdit le travail de nuit aux filles mineures doit s'étendre aux filles majeures et aux femmes mariées.
Pour plusieurs de ces points, l'entente internationale est nécessaire à cause de la concurrence des marchés.
C'est une conséquence du droit naturel des hommes à l'association. On redoute la puissance des syndicats. Ils ne seront pas à redouter, s'ils sont moraux et honnêtes. A qui la faute s'ils ne le sont pas, si ce n'est aux sectaires qui ont tout fait pour comprimer la liberté religieuse et entraver l'action de l'Église et son enseignement? Si l'on persévère dans cette voie, l'égalité politique amènera fatalement l'égalité économique, la morale chrétienne n'étant pas là pour faire échec aux convoitises, pour prêcher le respect des droits et la justice.
La personnalité civile des syndicats doit leur assurer le droit de posséder des immeubles, de recevoir des dons et legs, d'ester en justice, de prendre part aux adjudications publiques. Si le fonds de propriété commune n'est ni libre ni assez solide, on ne pourra en faire la base des institutions de charité qui feraient la vitalité des associations chrétiennes.
Les syndicats ont droit, pour le moins, aux mêmes privilèges que les sociétés anonymes, qui ne représentent que l'argent sans responsabilité, tandis que le travail est moral par lui-même et représente la vie du peuple et l'entretien des familles ouvrières. C'est le droit à l'existence mis en regard de ce qui est souvent le droit à la jouissance.
Il n'est pas possible qu'un père de famille verse à la fois des cotisations aux caisses de secours, de retraite, d'épargne, de coopération, de syndicat. Il faut lui simplifier l'accès à la propriété en commun, à défaut de la propriété privée.
Comme le remarque monseigneur Ketteler, la religion chrétienne est si féconde en moyens, qu'avec la liberté elle ne tarderait pas à reconstituer le patrimoine des corporations confisqué par la Révolution au détriment du peuple.
Cette détermination doit se faire pour les travaux publics. Ce sera une indication et comme une base pour les conventions privées relatives aux travaux analogues.
L'État patron, plus que tout autre, doit fournir un salaire suffisant pour entretenir l'ouvrier sobre et moral.
La Belgique est entrée dans cette voie. Les évêques ont insisté auprès des fabriques des églises pour que ces institutions prennent les mesures nécessaires pour empêcher le salaire d'un travail adjugé publiquement de s'avilir au-dessous de la moyenne des salaires convenables de la contrée.
Cet exemple gagne peu à peu les administrations provinciales et communales, les établissements religieux et de bienfaisance. En spécifiant ainsi le minimum de salaire dans le cahier des charges, on empêchera les entrepreneurs peu scrupuleux de spéculer sur la baisse des salaires.
La loi doit se préoccuper du contrat de travail pour y faire observer ce qui concerne le juste salaire, les garanties contre le renvoi arbitraire, les règlements d'ateliers.
Une loi sur le contrat de travail doit pourvoir à ce que le juste salaire soit assuré au travailleur, mais elle ne peut pas le déterminer elle-même. Il dépend de trop de circonstances variables à l'infini.
Mais la loi peut statuer que les réclamations des ouvriers pourraient être portées à des conseils d'arbitrage, composés de patrons et d'ouvriers qui se détermineraient d'après les nécessités de la région, les circonstances et les difficultés du moment.
Les garanties contre le renvoi arbitraire ne peuvent exister qu'autant que la loi sanctionnera le recours au patron dans l'usine et le recours contre celui-ci à un conseil arbitral.
Les règlements d'ateliers, les règles du travail sont variables, mais doivent relever de corps professionnels, qui les contrôlent, dans l'intérêt de la sécurité et de la loyauté du métier.
La loi doit fixer aussi ou plutôt remettre au soin des chambres du travail le soin de fixer le maximum des retenues qui peuvent être faites pour les diverses institutions de retraites ou d'assurances, et le maximum auquel pourront s'élever les amendes.
La loi doit exiger de la part des patrons la fondation de caisses de secours en cas de maladie, d'accidents ou de vieillesse, et régler leur fonctionnement de façon à garantir les patrons contre les exigences outrées et les ouvriers contre les résistances égoïstes.
La charge de la maladie doit être supportée par l'ouvrier ordinairement et par le patron quand elle est une suite évidente des mauvaises conditions du travail.
La charge de la vieillesse incombe à l'ouvrier comme homme et l'oblige à la prévoyance, puisque vieillir est une loi de sa nature. Comme souvent l'ouvrier ne peut constituer une réserve à cause de ses charges et aussi à cause de sa faiblesse naturelle ou de ses habitudes, le patron, au service de qui il vieillit, est tenu de s'en préoccuper avec lui. La loi doit fixer un minimum de contribution pour les deux parties.
Le syndicat de Fourmies a présenté ce vœu au Congrès ouvrier de Reims.
Que tout établissement garantisse ses ouvriers par une assurance contre tous les accidents à survenir pendant leur présence à l'usine.
La justice sociale veut que certaines classes ne soient pas vouées à tomber à la charge de la charité publique, alors que leur travail profite à des entreprises privées. Le prolétariat industriel doit être imposé à la charge de l'industrie.
Les aspirations vers une protection efficace des travailleurs sont sensiblement les mêmes chez les nations européennes. Des mesures vont être prises partout.
Par cela même, des Conventions internationales s'imposent. L'industrie, en effet, serait dans une situation d'infériorité relative dans le pays qui lui imposerait des sacrifices en faveur des ouvriers, tandis qu'à côté, ils seraient impunément exploités.
La libre concurrence actuelle est un état barbare dont les pauvres ouvriers payent presque tous les frais. Ils sont rançonnés à merci pour soutenir une concurrence écrasante.
Sur tout ce qui concerne l'action de l'État, il faut relire ce qu'en dit l'encyclique (édition de Liège, chapitre IV, page 20 à 31).
CHAPITRE VIII
L'encyclique Rerum Novarum, en abordant la solution de la question sociale, nous rappelle les devoirs des maîtres et des patrons, en même temps que ceux des ouvriers.38)
Signalons d'abord sommairement les ”devoirs des ouvriers„.
1. Ils doivent à leurs patrons une obéissance respectueuse dans les relations professionnelles et des égards pour leur autorité.
2. Ils doivent fournir fidèlement tout le travail auquel il se sont engagés par un contrat conclu librement et conformément à l'équité.
3. Leurs revendications doivent être exemptes de violence et ne jamais revêtir la forme de séditions.
Les principes desquels dérivent les devoirs du patron sont l'autorité patronale elle-même et le contrat de travail. Le patron exerce une autorité sociale qui a quelque analogie avec celle du père de famille. Il peut et il doit veiller à tous les intérêts de ceux que les circonstances providentielles et un libre contrat ont mis sous sa direction.
Ces devoirs des patrons peuvent se ramener à trois chefs: ils concernent ou la vie physique, ou la vie morale, ou les intérêts temporels de l'ouvrier.
Il s'agit ici de l'application littérale du Ve commandement de Dieu: «Homicide point ne sera». Il ne faut pas nous faire illusion, ni voiler un mal qui a de si douloureuses conséquences. Le patron qui ne veille pas à la sécurité et à la salubrité de l'atelier, le patron qui fait travailler des enfants trop longuement ou trop tôt avant leur complet développement physique, le patron qui emploie des femmes et des jeunes filles à des travaux au-dessus de leurs forces, celui qui garde les mères de famille à l'atelier dans les jours qui précèdent leurs couches ou dans les jours de l'allaitement, et même celui qui demande à des ouvriers trop d'heures de travail, un travail sans trêve et sans repos hebdomadaire, un travail qui empiète sur la nuit sans nécessité; ces patrons pèchent manifestement contre le Ve commandement du Décalogue. Ils violent à la fois les préceptes de la loi naturelle et ceux de la religion révélée.
De là viennent tous les devoirs du patron relativement aux heures du travail, au repos hebdomadaire, au travail des enfants, des femmes et particulièrement des mères de famille. Il y doit pourvoir par une réglementation prudente et juste.
Il est tout aussi évident que le patron doit veiller à la salubrité de l'atelier et qu'il doit prendre tous les moyens pour prévenir les accidents qui peuvent mettre en péril la vie ou la santé des ouvriers.
Combien, hélas! se font illusion. Quel crime c'est envers les ouvriers, envers les familles et envers la patrie, que de réduire tant de santés robustes à l'anémie et à la phtisie par des travaux écrasants et sans trêve, dans l'atmosphère malsaine des usines!
Dans nos villes, les familles d'ouvriers s'éteignent dans la phtisie à la seconde génération.
Ces devoirs sont tantôt négatifs et tantôt positifs.
Et d'abord, le patron ne peut pas permettre que ses ateliers soient un foyer de corruption, une occasion de scandale. C'est encore le Ve précepte du Décalogue. Il ne peut pas plus attenter à la vie morale de ses ouvriers qu'à leur vie physique. Il ne peut pas plus tuer leur âme que leur corps. Il ne peut pas les mettre dans l'impossibilité de remplir leurs devoirs religieux.
De là découlent les devoirs relatifs au choix et au classement des ouvriers, au choix des autorités secondaires, à la discipline de l'atelier, à la protection de la femme et de l'enfant.
Le premier devoir est relatif au choix du personnel. Un père de famille abandonne-t-il au hasard l'entrée de son foyer?
Le patron doit connaître son personnel et en retrancher les éléments mauvais, surtout les éléments corrupteurs.
Le patron doit choisir avec soin les autorités secondaires de l'atelier, les directeurs et contremaîtres. Il doit choisir les plus honnêtes et les plus dignes. Il doit leur imposer l'impartialité et la vigilance. Il doit en exiger le bon esprit et le bon exemple. Ils sont, en effet, un des plus puissants moyens de conservation ou de destruction de la vie morale dans l'atelier.
On a constaté généralement une profonde dégradation de la femme dans les ateliers modernes. C'est que les patrons ont laissé régner la promiscuité des sexes et l'impunité de la séduction. Pour y remédier, les patrons doivent prendre à la fois des mesures de préservation, de surveillance et de répression. Ils préserveront les ouvrières en leur ménageant des heures d'entrée et de sortie différentes et des ateliers spéciaux, en évitant le travail de nuit des femmes. Ils pourvoiront à la surveillance en instituant dans les ateliers des conseillères ou des déléguées chargées de protéger la vertu de leurs compagnes. Ils réprimeront le mal par la punition sévère des actes et des discours licencieux et par l'expulsion des séducteurs.
Vis-à-vis de l'apprenti, le devoir du patron est de le confier à des maîtres ouvriers d'une moralité et d'un savoir-faire éprouvés, de le mettre à l'abri, autant que possible, du vice et de la corruption, et de le garantir contre tout abus d'autorité de la part de ceux qui l'emploient.
Le patron doit enfin proscrire le blasphème et l'impiété, les mauvais livres et les mauvais journaux, les conversations immorales et impies. Il ne peut pas permettre ce qui blesse les droits de Dieu et ce qui tend à vicier l'esprit et à corrompre le cœur des ouvriers.
Mais ce n'est pas tout. Aux devoirs négatifs s'ajoutent des devoirs positifs. Le patron ne doit pas seulement proscrire le mal, il doit aussi protéger et favoriser le bien.
Le patron remplit à l'égard de ses ouvriers des devoirs analogues à ceux du père envers ses enfants, dans la mesure de l'autorité que Dieu lui a donnée sur eux.
Il est tenu par charité de corriger leurs vices et de les ramener à la foi et aux pratiques religieuses. Il a le droit et le devoir d'exiger de ses employés et de ses ouvriers l'observation des commandements de Dieu et de l'Église. Ce devoir relève de la qualité de père. Le patron doit le remplir avec sagesse et prudence, chercher les circonstances favorables et les attendre, s'il le faut, sans perdre de vue le but à atteindre.
La sanctification du dimanche et les associations sont les moyens les plus favorables pour arriver au résultat désiré.
Le patron doit faciliter à ses ouvriers l'accomplissement de leurs devoirs religieux et pour cela il doit s'entendre avec les ministres de l'Église pour choisir les moyens les plus favorables.
L'accomplissement de ces devoirs ne sera possible que si le patron s'intéresse à ses ouvriers et s'il gagne leur affection par sa bienveillance.
Enfin, le patron doit savoir que, sans l'exemple, tous ses efforts seraient inutiles. Il faut que les ouvriers puissent reconnaître en lui leur modèle au point de vue moral et religieux.
Ces devoirs se rapportent au salaire et à l'assistance.
Le salaire est la juste rétribution accordée à l'ouvrier en échange de son travail.
L'ouvrier doit conserver son existence et assurer la subsistance de sa famille. Il n'a pour cela que son salaire: le salaire doit donc y suffire. Le travail n'est pas une marchandise qui puisse subir toutes les fluctuations de l'offre et de la demande. C'est un acte humain, auquel doit correspondre un salaire suffisant pour la subsistance de la famille.
Il n'y a plus de doutes aujourd'hui, après les démonstrations indiscutables du cardinal Manning, de monseigneur Nicotera, du Conseil d'études de l'Oeuvre des cercles et de tant d'autres.39)
Il n'est pas nécessaire d'appeler ce salaire familial, c'est le salaire normal. Il doit suffire à la vie ordinaire d'une famille d'ouvriers, selon la moyenne commune et suivant les pays.
L'état actuel de concurrence effrénée et de surproduction à outrance est un état de crise.
Le minimum de salaire ou le salaire normal ne peut être déterminé qu'avec l'aide des corporations pour chaque région.
Il peut subir des exceptions en cas de travail défectueux et pour les ouvriers qui n'ont ni la santé, ni la capacité ordinaires.
La justice et l'intérêt social exigent que le salaire normal soit déterminé progressivement et prudemment. Il pourra l'être d'abord pour les travaux de l'État et des communes. Il y va de l'avenir même de la société qui menace de s'étioler dans le dépérissement ou de s'effondrer par la révolte de ceux qui souffrent injustement.
Le patron et les contremaîtres ayant à juger le travail et trop souvent à établir des amendes, à prononcer le renvoi d'un mauvais ouvrier, doivent connaître eux-mêmes le travail. Ils doivent y avoir mis la main et y être exercés. Autrement les ouvriers seront maintes fois lésés et leur mauvaise humeur retombera sur le patron. L'ouvrier méprise le patron qui ne connaît pas le travail, et se révolte contre le contremaître incapable de faire un bon ouvrier.
Le patron fera bien de se préoccuper aussi de l'emploi du salaire et de sa dilapidation, source ordinaire du paupérisme. Il peut user de tous les moyens que son autorité lui attribue, pour que le salaire soit employé à la subsistance de l'ouvrier et à l'entretien de sa famille, et, pour le surplus, versé à l'épargne. Il doit choisir en conséquence le jour et le mode de payement les plus favorables.
Pour aider l'ouvrier à utiliser son salaire, le patron peut recourir aux institutions économiques qui ont fait leurs preuves telles que: les caisses de retraites, les assurances sur la vie, les caisses corporatives, etc.
Le patron a, de plus, un devoir spécial d'assistance charitable envers ses ouvriers, car il doit agir envers eux en bon père de famille, et prendre soin d'eux moralement et matériellement.
Il est tenu particulièrement de remplir ce devoir quand la perte de la santé, les accidents, la mort d'un père ou d'une mère de famille rendent insuffisantes les ressources d'une famille d'ouvriers.
Le patron n'est tenu de venir en aide à ses ouvriers dans leurs besoins ordinaires que sur le superflu de ses biens; mais dans le cas de besoins extrêmes, il devrait même s'imposer des privations.
Les devoirs du patron s'étendent au delà de l'atelier. Il ne peut pas se désintéresser de la famille de ses ouvriers, ni de leur conduite en dehors de l'exploitation.
Ce n'est pas là une servitude pour l'ouvrier, pas plus que la vigilance du père de famille n'est une servitude ni une humiliation pour l'enfant.
Toutefois, ces devoirs relatifs à la vie extérieure de l'ouvrier sont moins rigoureux, parce que l'autorité du patron s'y exerce moins complètement et moins facilement.
Le patron zélé et dévoué doit s'intéresser à l'éducation et à la surveillance des enfants.
Il doit s'efforcer de prémunir ses ouvriers et de les protéger contre les influences funestes des meneurs, des politiciens, des cabaretiers et des ennemis de tout genre qui vivent aux dépens de l'ouvrier.
Il doit s'occuper des logements de ses ouvriers, s'assurer s'ils sont suffisants et si les conditions de l'hygiène et de la moralité y sont sauvegardées.
Il doit pourvoir à ce que l'ouvrier ait à sa portée l'église, l'école, les associations religieuses et la corporation.
Le chef d'une usine isolée devrait donc s'imposer des sacrifices pour fonder, à côté de l'usine, une chapelle et des écoles.
Le principal moyen d'action, c'est le ministère sacerdotal. Le patron doit s'entendre pour cela avec l'autorité ecclésiastique.
Il doit mettre ses ouvriers à même de recevoir l'instruction religieuse et de s'acquitter de leurs devoirs de chrétiens.
Si l'usine est importante et que l'organisation du travail ne puisse pas concorder avec la vie paroissiale, le patron devra procurer une chapelle à ses ouvriers.
Le patron est obligé, sous peine de péché, de procurer à ses ouvriers la facilité nécessaire pour accomplir leurs devoirs de chrétiens.
Il est tenu de s'occuper des écoles dont l'influence est si grande sur toute la famille de l'ouvrier. Il doit détourner ses ouvriers d'envoyer leurs enfants à des écoles neutres ou hostiles à la religion. S'il n'y a pas de bonnes écoles à portée de son usine ou de son exploitation rurale, il doit faire des sacrifices pour en créer.
Les associations sont un moyen d'action essentiel. Elles ne doivent pas être obligatoires cependant. Elles procèdent de la charité plus que de la justice. La charité attire, elle ne contraint pas. L'ouvrier obligé d'entrer dans les associations y serait un dissolvant et une cause de malaise.
Les associations doivent se gouverner elles-mêmes. C'est une condition nécessaire pour y faire régner l'initiative et l'esprit d'apostolat.
L'association ouvrière se rattache pratiquement à l'autorité de l'Église et du patron par la présence de droit, sinon de fait, du prêtre et du chef de la famille ouvrière dans le sein du conseil ouvrier.
L'association la plus nécessaire est l'association religieuse. Elle préparera des âmes d'élite, elle suscitera des dévouements.
Des associations différentes doivent grouper les enfants, les jeunes gens, les hommes, les jeunes filles, les mères de famille.
Dans les grandes usines isolées et dotées d'une chapelle, les associations sont spéciales à l'usine. Ailleurs, les associations sont paroissiales, et les patrons veillent à ce que tout leur personnel en fasse partie.
En dehors des associations religieuses, qui ont leur centre à l'église, il y a les associations moralisatrices et les associations économiques. Les premières comprennent les conférences ouvrières de Saint-Vincent de Paul, les patronages, les cercles: nous en parlons au chapitre des œuvres. On peut y ajouter les délégués d'atelier et de quartier. Une brochure spéciale, qu'on trouve à l'Oeuvre des cercles (262, boulevard Saint-Germain), en explique le fonctionnement. Parmi les associations économiques, citons les Sociétés de secours mutuels; les caisses d'épargne, de prévoyance, de retraite; les banques populaires, les caisses de prêt; les sociétés coopératives, les économats, etc.
Nous en parlons aussi au chapitre des œuvres et à celui de la corporation (2e partie).
CHAPITRE IX
===LES VRAIS REMÈDES: L’ACTION DES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES===
Corporation! Ce seul mot évoque un lointain glorieux, le moyen âge, tout fleuri de ses admirables ”corporations ouvrières„.
Dans les mille difficultés de la vie, les travailleurs trouvèrent toujours en elles une force et un soutien. Souvent, ils y trouvèrent la gloire. Tous les chefs-d'œuvre du moyen âge et de la première renaissance sont les fruits des corporations.
Les corporations n'étaient pas seulement des groupements professionnels, c'étaient des institutions sociales. C'était la base de l'organisation communale. Les corporations avaient fait monter les travailleurs à un rang social élevé dans nos villes. Ils n'étaient pas refoulés au-dessous de la bourgeoisie à un niveau social inférieur; ils étaient eux-mêmes la bourgeoisie. Loin de rougir de leur travail, ils en étaient fiers, et ils avaient un point d'honneur professionnel singulièrement délicat. Quiconque, par sa conduite ou par ses relations, souillait le noble blason du métier, en était sévèrement exclu. Les honorables insignes de la profession étaient exhibés avec orgueil sur les bannières, et partout, dans les cortèges pacifiques ou dans les expéditions militaires, on voyait les étendards des ”métiers„ flotter fièrement à côté des panonceaux qui portaient les symboles héraldiques de la chevalerie. (Confère, G. Kurth, Les corporations ouvrières au moyen âge).
Leur prospérité perdit les corporations. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, elles admirent des membres étrangers au métier et les abus s'introduisirent.
La Révolution, là comme ailleurs, au lieu de réformer, détruisit. Mais l'heure historique a sonné. Partout, en Europe, les ouvriers demandent la liberté de s'unir, et les catholiques réclament des corporations adaptées aux besoins présents. En Allemagne, en Italie, en Belgique, en France, les vœux sont les mêmes.
L'encyclique sur la condition des ouvriers a fortifié encore ce mouvement d'évolution. Nous réclamons tous les corporations comme un moyen d'assurer au peuple la jouissance de ses droits essentiels méconnus par le régime individualiste.
L'organisation professionnelle nous donnera le moyen d'assurer à l'ouvrier la dignité et la juste mesure de son travail, de déterminer dans chaque profession industrielle ou agricole le taux du juste salaire, de garantir des indemnités aux victimes d'accidents, de maladies ou de chômages, de créer une caisse de retraite pour la vieillesse, et enfin d'assurer la représentation publique du travail dans les corps élus de la nation. (Discours de monsieur de Mun à Saint-Étienne).
Après le relâchement des liens religieux et de ceux de la famille, celui des liens professionnels est venu contribuer, comme on l'a vu, au mal social. Le rétablissement de ces liens est donc un remède indiqué.
L'association professionnelle est de droit naturel. Ç'a été un acte absolument tyrannique que celui par lequel un décret de la Convention a porté la peine de mort contre les citoyens qui tenteraient de rétablir l'association professionnelle au titre d'un «prétendu intérêt commun».
Qu'on remarque bien ce texte historique: Il résulte de toute la doctrine économique de l'École, qui prétend, elle, qu'il n'y a pas d'intérêts communs aux membres de la même profession, et qui fait, en conséquence, de la concurrence sans frein, c'est-à-dire du combat sans merci, la loi unique de l'existence pour ceux qui appartiennent à des professions manuelles.
Tous les hommes qui vivent dans la même condition sociale, tous les patrons d'une même industrie, par exemple, ou tous les artisans d'un même métier, ont, en fait, des intérêts identiques; et tous ceux qui exercent la même profession, fût-ce dans des conditions sociales diverses, comme les patrons et les ouvriers d'une même industrie, ont des intérêts connexes. Il est donc naturel qu'ils s'associent pour grouper les intérêts identiques et pour coordonner les intérêts connexes.
L'association est ainsi simple ou complexe, suivant qu'elle porte uniquement sur des conditions identiques, comme le ferait une association d'ouvriers du même métier, ou bien qu'elle porte sur des intérêts connexes, comme ceux de patrons et d'ouvriers de la même profession. Les intérêts des patrons et des ouvriers ne sont pas tous identiques, puisque les uns trouveraient leur compte à l'abaissement des salaires, les autres à leur relèvement. Mais ils sont connexes, car l'établissement des salaires dépend lui-même de la prospérité de la profession, c'est-à-dire des conditions plus ou moins avantageuses qu'elle rencontre pour l'établissement de ses produits et pour leur écoulement.
Lorsque l'association est simple, c'est-à-dire lorsqu'elle ne porte que sur l'un des éléments de la profession, elle constitue un ”syndicat simple„; lorsqu'elle est complexe, c'est-à-dire lorsqu'elle réunit toutes les conditions diverses de la profession, telles que l'ouvrier et le patron, le propriétaire et le métayer, elle est un ”syndicat mixte„ et prend ainsi le caractère corporatif.
L'exercice de ces deux formes d'associations est aujourd'hui déterminé par la loi du 21 mars 1884, qui, après un siècle, a rendu le droit d'association aux professions manuelles, sous certaines conditions restrictives.
Les principales de ces restrictions sont l'interdiction pour les associations de recevoir des membres étrangers à la profession; celle de posséder des immeubles qui deviendraient des biens de mainmorte; celle enfin d'avoir un caractère religieux ou politique et de porter sur des intérêts qui ne seraient pas strictement professionnels. Enfin, les syndicats ne doivent pas faire acte commercial. Toutefois, la jurisprudence n'a pas encore fixé la mesure dans laquelle les syndicats peuvent faire acte de société de consommation, c'est-à-dire satisfaire aux commandes de leurs membres, sans en tirer profit, au lieu de se borner à les grouper, mais elle leur interdit de faire acte de société coopérative proprement dite.
Enfin, la loi autorise les syndicats à former entre eux des unions syndicales, mais elle ne reconnaît à ces unions ni le droit de posséder, en quelque mesure que ce soit, ni celui d'ester en justice. On peut dire ainsi qu'elle tolère ces associations plutôt qu'elle ne les admet, puisqu'elle ne leur reconnaît pas la personnalité civile.
Tel qu'il est, et malgré ces restrictions inconnues pour la plupart à l'ancien régime des corporations, le nouveau régime peut encore porter de bons fruits, s'il est appliqué dans un esprit de justice et de concorde.
Les syndicats mixtes rendent par eux-mêmes un témoignage de la concorde entre patrons et ouvriers, puisque les uns et les autres y acceptent de se réunir, sans se confondre, pour régler ensemble les questions d'intérêt commun.
Là où les deux classes sont trop divisées pour se prêter à cette forme complexe de l'association, les associations simples, soit patronales, soit ouvrières, peuvent encore, tout en conservant leur autonomie respective, s'entendre pour fournir chacune par moitié à la constitution des conseils d'arbitrage et de conciliation permanents. Les associés s'engagent alors à ne recourir, en cas de désaccord, à la juridiction professionnelle ou commune, qu'après avoir déféré leurs litiges au conseil.
Cette institution fonctionne très heureusement en Angleterre, dans la grande industrie, et commence à s'établir en France dans les mêmes conditions.
Ce n'est d'ailleurs pas là le seul avantage des syndicats mixtes, qui sont la véritable base du régime corporatif.
La constitution d'un syndicat, quelle qu'en soit la composition, doit, pour produire de bons effets, répondre à certaines conditions: la fixité dans la direction, que l'on peut garantir par des dispositions statutaires qui en tempèrent le principe électoral, telles que le renouvellement partiel du bureau et la réserve pour celui-ci du droit de présentation; la répartition des charges syndicales entre le plus grand nombre d'associés, afin d'en intéresser davantage à la gestion des intérêts communs: la garantie qu'aucun de ces intérêts ne sera soustrait à la décision et au contrôle de l'ensemble des associés; le maintien du nombre des associés dans les limites qui leur permettent de se connaître entre eux et de pouvoir accepter une certaine solidarité, sans laquelle il n'y a pas d'association réelle. Au delà de ces limites, c'est à l'union syndicale qu'il faut recourir, malgré son inhabileté à la gestion d'institutions économiques, afin de réaliser la représentation au moins régionale des intérêts de la profession, qui est un des grands bienfaits du régime corporatif.
En plus de ces conditions générales, qui sont la conséquence de la loi, il y a des conditions spéciales à chaque nature de profession.
Dans la grande industrie, le but du régime syndical est de régler d'un commun accord tout ce qui, dans le contrat de travail, intéresse les deux parties: le patron et l'ouvrier. Ce règlement syndical n'est pas une atteinte à la liberté de ce contrat, mais une transformation de son caractère individuel en accord collectif. Il peut porter sur tout ou partie des points suivants: taux des salaires, durée et conditions du labeur, hygiène et bonne tenue des ateliers, règlements d'usine, admission et renvoi, secours en cas de charges de famille anormales ou de maladie, indemnité en cas d'accident, pension de retraite. Tous ces compléments du salaire peuvent être procurés par le régime syndical, selon des Conventions qui doivent varier avec l'industrie, soit par le système des caisses particulières, alimentées par des versements fixes et des primes de participation à la prospérité de l'industrie et garanties par le capital d'établissement, soit par le recours à des assurances présentant autant de garantie.
Toutes ces questions, tombées aujourd'hui dans le domaine de la législation, seront mieux réglées dans le régime syndical que dans celui de l'individualisme.40)
Enfin la question des crises de surproduction, qui causent les alternatives de travail excessif et de chômage, peut être au moins atténuée dans ses difficultés et dans ses conséquences redoutables par le jeu des unions syndicales, comme cela se produit déjà dans certaines industries.41)
Dans les arts et métiers, jadis gouvernés par le régime corporatif, les principales dispositions de ce régime peuvent encore se rétablir, dans la mesure où l'on en sent le besoin, pour le règlement de l'apprentissage, de la valeur du travail sur commande, des conditions de l'exécution; pour le placement; pour les institutions de secours mutuels, et même de prêts, qui faciliteraient au bon ouvrier de s'établir à son compte.
La délivrance de brevets de capacité, qui procuraient à l'ouvrier une certaine ascension dans la profession et même dans la société, et d'autre part, la garantie de l'honorabilité et de la perfection de la maison, qui valaient au patron ces mêmes avantages, étaient comprises dans le rôle des anciennes jurandes, et répondaient à un des besoins les plus élevés de la nature humaine et de la société. La clientèle ne trouvait pas moins son compte à cette garantie de la loyauté des produits et de l'honneur professionnel.
Tout cela a disparu, et c'est une des causes qui ont fait refluer cette clientèle vers les grands magasins.
Ceux-ci, en achetant par grandes quantités, offrent de tels avantages aux producteurs qu'ils en obtiennent des rabais considérables et accaparent le marché au point que les maisons où l'on travaille encore sur commande sont obligées de se fournir chez eux des matières premières.
Le syndicat mettrait fin à ces accaparements, en groupant les demandes et en retenant la clientèle par des prix qui seraient d'autant diminués.
Les unions syndicales faciliteraient encore davantage cette action, en offrant, par l'entente de divers syndicats, les mêmes facilités d'exposition et de vente que les grands magasins.
Le régime syndical, en un mot, maintiendrait et même relèverait les conditions d'une main-d'œuvre d'élite, qui est l'honneur de la profession, et qui succombe partout, moins contre la concurrence de la machine qui ne peut la suppléer que contre celle de la confection de pacotille.
Dans l'agriculture, «la grande délaissée» sous le régime actuel de l'individualisme, le syndicat se propage rapidement chez les petits cultivateurs et dans les pays de métayage où le propriétaire en prend l'initiative. Il répond au grand besoin de solidarité qu'ont les populations rurales pour rester cramponnées au sol. Il leur fournit, sur la base du simple crédit personnel et gratuit, tous les avantages si chers à acquérir du crédit réel, par la facilitation des achats, des ventes et de toutes les transactions.42)
La propagation des bonnes méthodes de culture, qui varient sans cesse avec la création de nouveaux instruments, de nouveaux fertilisants et de nouveaux besoins, n'est pas un des moindres bienfaits des syndicats. La plupart des assurances y trouvent une excellente base de mutualité.43)
La transformation des contrats de travail, qui doit marcher de pair avec les nouvelles formes de la culture, ne saurait se faire dans de meilleures conditions que celles dont l'étude s'élabore au syndicat.
Enfin les unions syndicales, qui se forment entre les associations locales ou cantonales d'une même province, ont déjà fait leurs preuves comme organes représentatifs de l'agriculture, qui réclamait en vain d'en être dotée par les pouvoirs publics. Au résumé, le régime syndical n'a pas été une révolution, mais bien une révélation pour les populations agricoles, qui semblaient ne former dans la société politique qu'un quatrième état aussi négligeable que négligé.
Les professions libérales n'ont pas moins besoin que les professions manuelles du rétablissement des liens professionnels. Mais la loi sur l'organisation des syndicats ne s'applique encore qu'à celles-ci, chez lesquelles nous venons d'en décrire le jeu. D'ailleurs, plusieurs d'entre celles-là ont conservé une organisation corporative plus ou moins complète, telle que chez les avocats et certains officiers publics. D'autres tendent à la prendre, à la faveur d'une jurisprudence complaisante. D'autres professions, enfin, sont formées en corps sur un autre principe que celui de l'association, mais sont quand même en partie soustraites à l'action dissolvante de l'individualisme: ainsi l'armée, la magistrature, le clergé. - Les deux premiers de ces corps ont même conservé leurs tribunaux propres, ce qui est un des privilèges les plus essentiels dans l'organisation professionnelle.
Enfin le principe de l'association doit obtenir la reconnaissance de son droit imprescriptible dans tous les ordres d'activité qui ne constituent pas des professions proprement dites, mais unissent les hommes dans un but éminemment social; ainsi, chez les religieux, chez les sociétés de bienfaisance, d'enseignement … car, dans toutes les conditions, le progrès de la civilisation ne peut se maintenir et se poursuivre que par l'association.
La propriété collective, syndicale ou corporative, peu importe le nom qu'on lui donne, est indispensable au fonctionnement et au développement des associations.
C'est grâce aux ressources accumulées pendant des siècles que les corporations d'autrefois étaient devenues assez puissantes pour assurer l'honneur et la loyauté des métiers, pour développer les progrès de la profession, pour former et protéger les apprentis, pour mettre leurs membres et leurs familles, leurs veuves, leurs orphelins, à l'abri de tous les accidents, de toutes les misères de la vie; et à certains moments de notre histoire, à la journée de Bouvines, par exemple, pour fournir au roi des hommes d'armes et de l'argent.
Une des grandes erreurs de la fin du siècle dernier a été de supprimer et d'interdire la propriété collective, pour ne laisser subsister que la propriété individuelle; et comme toute erreur en appelle une autre, les socialistes sont venus, qui ont nié la légitimité de la propriété individuelle et ont conclu à sa suppression et à son remplacement par la propriété collective.
La vérité est dans la coexistence de ces deux sortes de propriétés, aussi légitimes, aussi sacrées, aussi nécessaires l'une que l'autre.
La propriété collective, bien loin de menacer la propriété individuelle, la fortifie et la sauvegarde.
Pour celui qui ne possède rien, elle est à la fois une consolation de n'être pas propriétaire et un stimulant à le devenir; et, en attendant qu'elle lui facilite l'accès de la propriété, elle lui en procure certains avantages, en lui donnant le droit à la jouissance de certains objets, à l'usage de certaines choses, en lui assurant certains secours médicaux ou autres, non pas à titre d'aumônes, mais comme co-participant de la propriété collective.
On ne saurait trop engager les syndicats à ne jamais perdre de vue la nécessité de se constituer un patrimoine, lequel leur est indispensable pour se développer, pour augmenter le nombre et l'importance de leurs services, et surtout pour fonder des institutions d'assistance et de prévoyance, qui doivent être l'objet constant de leurs préoccupations et de leurs efforts.
En résumé, le syndicat, c'est-à-dire l'association professionnelle spontanée pour point de départ, l'organisation corporative pour point d'arrivée, voilà les voies de la réorganisation sociale. Il reste à apercevoir comment le point de départ se relie au point d'arrivée.
La consultation des syndicats par les pouvoirs publics est le premier pas dans cet acheminement.
Le second serait l'établissement, par voie administrative, de ”collèges professionnels„44) dont les membres seraient appelés au vote sur toutes les dispositions spéciales demandées par les syndicats et jugées acceptables par le pouvoir.
Le troisième et dernier pas serait fait par la constitution, sur cette double base du syndicat et du collège professionnel, de corps représentatifs, semblables aux chambres de commerce actuelles, chargés de dresser en permanence ou à époques déterminées les ”cahiers„ des professions respectives, comme disaient nos pères.
Une telle organisation de l'État rendrait le régime représentatif une réalité en le faisant reposer sur le régime corporatif, et serait la meilleure assise de ce qu'on appelait jadis les libertés publiques et qu'on nomme aujourd'hui la démocratie.
Il n'y aurait pas loin de là à obtenir une organisation du Parlement ou du Sénat basée sur la représentation professionnelle. C'est une idée qui gagne du terrain et ce serait peut-être le remède à l'incohérence et à la stérilité de nos parlements, composés trop généralement de politiciens brouillons et incompétents.
Sans doute, le seul fait d'une bonne constitution organique ne saurait suffire au relèvement et à la grandeur morale d'une nation. Mais on peut dire qu'il en est la condition: «Mens sana in corpore sano».
APPENDICE
DE LA PREMIÈRE PARTIE
=== DES RÉFORMES SOCIALES CHRÉTIENNES ADOPTÉES PAR L’OEUVRE DES CERCLES CATHOLIQUES D’OUVRIERS=== 1. - Nos études nous ont conduits à la conclusion que, par suite du relâchement et de la dissolution des liens sociaux, la justice chrétienne se trouve bannie de la société, et la charité y est réduite à l'impuissance.
Nous avons attribué ce phénomène aux fausses doctrines dont s'est réclamée la Révolution et nous avons été confirmés dans ce jugement en mainte circonstance par le langage même du Souverain Pontife.
Le Pape nous a encouragés à chercher dans le rétablissement de liens corporatifs les moyens les plus efficaces pour assurer aux travailleurs un juste salaire et une existence conforme à la dignité humaine.
Nous devons donc diriger toutes nos initiatives privées et orienter toutes nos revendications publiques vers cette réforme fondamentale, la réorganisation corporative de la société. Nous disons de la société, et non de tel ou tel de ses éléments, exclusivement, parce que le respect égal du droit de chacun, comme l'harmonie entre tous, ne saurait trouver meilleure garantie.
Tout en poursuivant ce but, nous devons porter des remèdes plus prompts, fussent-ils moins complets, aux maux les plus pressants, tels que l'impiété publique, la désorganisation de la famille et la misère imméritée, si fréquente dans les classes populaires.
2. - Nous inscrirons donc tout d'abord ces questions vitales à notre programme, et travaillerons à rétablir la religion en réclamant la liberté de l'Église dans son établissement, dans son recrutement, dans son enseignement.
3. - En ce qui concerne la famille, nous réclamerons contre les atteintes portées à l'indissolubilité du mariage, à l'intégrité et à la stabilité du foyer domestique, aux droits du père de famille.
4. - En ce qui regarde la société civile, nous poursuivrons l'organisation des professions en corps autonomes. Nous maintiendrons l'esprit et les formes corporatives dans les professions qui les ont conservées; nous les introduirons dans celles qui ne les ont point encore, par le développement du mouvement syndical.
5. - Aux syndicats professionnels nous reconnaîtrons, quelle que soit la condition de leurs membres dans les professions, les facultés suivantes:
a.- Droit de propriété aussi étendu que l'exigent les besoins de l'association.
b.- Droit de juridiction professionnelle sur leurs membres.
c - Droit de représentation près des pouvoirs publics.
De plus, pour ceux des syndicats qui présentent le caractère corporatif, c'est-à-dire qui réunissent sans les confondre les éléments divers de la profession (syndicats de patrons et d'ouvriers, de propriétaires et de colons):
d. - L'établissement de conseils de conciliation et d'arbitrage pour prévenir les conflits et les résoudre.
e. - La préparation des règlements de la profession à soumettre au referendum professionnel et à l'homologation des pouvoirs publics.
6. - Pour l'industrie en particulier, ces règlements doivent assurer, d'accord avec la législation:
La protection de la femme et de l'enfant.
La limitation des heures de travail, selon les conditions de la profession.
L'interdiction du travail le dimanche dans les fabriques et ateliers.
7. - Dans l'agriculture, nous nous attacherons à promouvoir des Sociétés de consommation et de production, de prévoyance et de crédit, sur les bases de la mutualité et de la solidarité, à créer l'assistance dans les campagnes par le rétablissement du patrimoine des pauvres et d'usages à leur profit.
8. - Ce régime corporatif doit établir le salaire sur des bases suffisantes à l'entretien d'une famille moyenne, et au fonctionnement de caisses de secours pour subvenir aux charges résultant notamment des accidents, de la maladie et de la vieillesse, etc.
9. - Il ne saurait se maintenir sans une protection efficace contre la concurrence étrangère, et sans une entente internationale sur la législation du travail et du crédit.
10. - Nous déclarons en terminant que nulle réforme économique ne saurait aboutir en dehors de celle de la spéculation usuraire qui est un dol caractérisé, puisqu'elle consiste à s'approprier légalement les bénéfices du travail d'autrui.
Nous invoquerons en conséquence contre les formes nouvelles données au fléau de l'usure le concours de toutes les forces sociales:
a. - l'Église, par ses condamnations renouvelées dans l'encyclique pontificale sur la condition des ouvriers.
b.- La loi, par ses sévérités dont le principe est encore inscrit dans le Code pénal.
c - Les pouvoirs publics, par leurs mesures fiscales.
d - Les mœurs enfin, qui doivent préserver les membres de la société chrétienne du contact des usuriers de toutes sortes.
DEUXIÈME PARTIE
ŒUVRES SOCIALES
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
Il faut aller au peuple! Il le faut!
Le mot est de Léon XIII. Il s'impose à nous, et par l'autorité de celui qui l'a prononcé, et par sa vérité intrinsèque.
Il faut aller au peuple, parce qu'il s'égare, parce qu'il se trompe, parce qu'il est trompé, parce qu'il est induit en erreur par des hommes illusionnés ou pervers qui lui inspirent les doctrines les plus funestes.
Il faut aller au peuple, parce qu'il est malheureux, parce qu'il souffre, parce qu'il est dans un état de misère immérité; parce qu'il est sans appui, n'ayant plus ses anciennes corporations.
Comment faut-il aller à lui? Par la parole et par les œuvres, par la parole privée et par la parole publique, par les associations religieuses et professionnelles. Il faut aller à son foyer et à son atelier. Il faut l'appeler à des réunions et le grouper en associations, pour l'instruire et le consoler, pour l'assister dans ses souffrances et le relever dans ses abattements, pour entendre ses plaintes et ses désirs, pour le diriger dans ses revendications, pour le ramener au Christ, son ami, son frère, son défenseur et son sauveur.
Etes-vous prêtre? Ecoutez le Saint-Père: «Ce sont vos prêtres surtout, disait-il à monseigneur l'évêque de Liège,45) qu'il faut exhorter à „aller au peuple”; ils ne peuvent pas rester enfermés dans leurs églises et leurs presbytères, il faut les animer de l'„esprit apostolique”, de l'esprit qui animait un saint François-Xavier, qui allait de-ci, de-là, partout, pour prêcher la doctrine chrétienne à tous».
Mais ce n'est pas tout. Il ne suffit pas de porter au peuple la parole qui instruit et qui console, il faut s'occuper de ses intérêts temporels et l'aider à organiser des institutions qui suppléent aux corporations disparues.
«L'Église, vous dit Léon XIII dans l'encyclique, ne se laisse pas tellement absorber par le soin des âmes qu'elle néglige ce qui se rapporte à la vie terrestre et mortelle. Pour ce qui est en particulier des travailleurs, elle fait tous ses efforts pour les arracher à la misère et leur procurer un sort meilleur».
«Nous sommes persuadés, dit-il encore, qu'il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une situation d'infortune et de misère imméritée».
Mais, comment remédier au mal? «Par toutes les œuvres propres à soulager l'indigence, dit Léon XIII, mais surtout par les corporations».
C'est une pensée bien arrêtée chez Léon XIII. Déjà, dans l'encyclique Humanum genus, il avait dit: «Pour le salut du peuple, nous désirons ardemment voir se rétablir des corporations appropriées au temps présent et destinées à protéger, sous la tutelle de la religion, les intérêts du travail et des mœurs du travailleur».
Dans son discours au pèlerinage des ouvriers français en 1889, il disait: «Ce que nous demandons, c'est qu'on cimente à nouveau l'édifice social ébranlé, en revenant aux doctrines et à l'esprit du christianisme; en faisant revivre, au moins quant à la substance, dans leur vertu bienfaisante et multiple, et sous telles formes que peuvent le permettre les nouvelles conditions des temps, ces corporations d'arts et métiers, qui, jadis, informées de la pensée chrétienne, et s'inspirant de la maternelle sollicitude de l'Église, pourvoyaient aux besoins matériels et religieux des ouvriers, leur facilitaient le travail, prenaient soin de leurs épargnes, défendaient leurs droits et appuyaient, dans la mesure voulue, leurs légitimes revendications».
Et Léon XIII ne se contente pas d'indiquer la voie, mais il veut qu'on aille vite et il stimule notre apathie. «Que partout donc, dit-il aux ouvriers français en 1891, que partout on agisse sans plus consommer un temps précieux en de stériles discussions!».
«Que chacun, dit-il dans l'encyclique Rerum novarum, se mette à la tâche qui lui incombe et cela sans délai: en différant le remède, on rendrait le mal incurable». - «Que les ministres sacrés déploient toutes les forces de leur âme et toutes les industries de leur zèle».
À ces conseils, à ces ordres si formels et si pressants du Pape, nous pourrions ajouter cent commentaires épiscopaux. C'est inutile. Écoutons seulement le cardinal Langénieux faire, comme il le dit, «le procès à la tiédeur,à la lassitude, au découragement».46)
«Eh, quoi donc! dit-il, c'est quand, de l'aveu de tous, les âmes se perdent en masse; quand elles sont ballottées à tous vents de doctrine; quand les mœurs chancellent; c'est quand la religion est méconnue et persécutée; quand l'Église lutte pour ses plus saintes libertés; c'est quand l'ennemi se dévoile et nous déclare qu'entre lui et nous, c'est une question de vie ou de mort; c'est quand nous sentons notre influence baisser et les nôtres fléchir; c'est quand sous nos yeux s'égarent et se perdent des générations entières, qu'il n'y aurait rien à faire?
Non, messieurs, je me refuse à voir là le dernier mot de notre situation. Hélas! il n'y a que trop à faire!
Loin de nous ces appréhensions qui outragent notre foi et paralysent notre action!…
N'attendons pas je ne sais quelles circonstances plus favorables, des jours meilleurs, des temps plus opportuns…
Prêtres et laïques dévoués, faisons des œuvres. Le salut est à ce prix…
Le prêtre qui a charge d'âmes „ne peut plus se contenter d'exercer autour de lui son ministère ordinaire”, il doit se livrer à l'apostolat dans le sens le plus rigoureux du mot. Et l'apostolat dans le ministère, c'est, pour une grande part, ce que nous appelons „les œuvres”, c'est-à-dire cette forme spéciale d'action nécessitée par la force des choses, et plus adaptée aux difficultés des temps… ”Les œuvres„, c'est l'effort désespéré du pasteur qui fait appel à toutes les ressources de son zèle et de son intelligence pour sortir, malgré tout, du cercle d'impuissance où on veut l'enfermer, pour se frayer du côté des âmes des voies nouvelles à mesure que se ferment les anciennes, pour lutter pied à pied contre le mal, conjurer tous les dangers, parer tous les coups portés et panser toutes les blessures reçues».
Voilà, certes, des paroles généreuses et vaillantes.
Monseigneur l'évêque de Liège ne laisse pas non plus dormir ceux qu'il appelle «les paresseux et les peureux».47)
«S'il y a des hommes d'une initiative trop empressée, dit-il, il en est bien plus qui se laissent dominer soit par l'apathie, soit par des craintes exagérées et des frayeurs imaginaires: „Il n'y a rien à faire, c'est irréalisable”, disent-ils. Un prêtre qui voit ses ouailles se perdre ne doit pas facilement tranquilliser sa conscience sur de pareils motifs…».
C'est entendu, il faut aller au peuple par les voies que nous ouvrent les œuvres nouvelles. Dieu le veut!
L'action catholique doit donc être différente aujourd'hui de ce qu'elle était pour les générations précédentes? Sans aucun doute. - La doctrine de l'Église a donc varié? Nullement, mais ce sont les circonstances qui sont absolument changées.
Cette nécessité d'une action nouvelle à opposer à des besoins nouveaux est tout le fond de l'encyclique. C'est aussi l'enseignement de nos évêques qui fait écho à celui du Pape.
Ecoutez encore le cardinal Langénieux: «Notre génération a vu s'opérer, sous l'influence de causes multiples, une transformation soudaine, qui a modifié les conditions de la vie dans nos sociétés modernes.
Les efforts de l'impiété ont amené dans les masses populaires un affaiblissement général de la foi. L'industrie a enlevé l'ouvrier à son foyer pour l'attirer à l'usine et à la fabrique, qui sont devenues trop souvent des centres d'irréligion et d'immoralité, en sorte que, de fait, aujourd'hui, une partie considérable des populations est soustraite à l'action du prêtre.
Le ministère pastoral, se trouvant en face d'éléments nouveaux, doit évidemment se plier aux nécessités du moment et répondre aux exigences des temps, comme il l'a fait à toutes les époques de l'histoire depuis dix-huit siècles; „de là nos œuvres” qui donnent à l'action du prêtre un caractère plus apostolique et „permettent aux laïques de lui apporter un concours toujours utile et parfois indispensable”.
Jadis, le ministère paroissial s'exerçait dans des conditions normales; l'esprit de religion était vivant au sein des populations; l'indifférence même était sympathique; on venait à l'église, et le prêtre, respecté, exerçait dans la paix un ministère qui pouvait réellement s'appeler pastoral.
„Toute autre est la situation aujourd'hui”. Le prêtre a perdu son influence. Il est devenu suspect, surtout dans les centres populeux où son action personnelle n'a point accès, ne fût-ce que par cette voie indirecte des relations purement sociales.
De là la nécessité pour les prêtres et pour les laïques chrétiens de créer „des œuvres nouvelles” qui répondent aux besoins actuels des âmes et de la société».
Ce que disent les évêques, les théologiens et moralistes le répètent: «Les changements survenus dans la situation sociale et dans les dispositions des hommes, dit le père Lehmkuhl, un des moralistes les plus autorisés, „entraînent nécessairement un changement de procédés dans le soin des âmes”.
Ce serait, pour un pasteur, „oublier entièrement son devoir” que de ne pas établir et développer vigoureusement des associations dans sa paroisse…».48)
Deux brochures de direction sacerdotale ont été approuvées par tous nos évêques et distribuées dans nos retraites diocésaines. Elles ont pour titres: Le prêtre et la situation actuelle de l'Église - Le prêtre selon le Cœur de Jésus dans le temps présent. Toutes deux nous disent que «Le ministère ordinaire du prêtre ne peut plus suffire aujourd'hui». Toutes deux énumèrent les nouveaux devoirs du ministère pastoral, qui sont: «La création d'associations chrétiennes, les relations effectives avec les fidèles, et le soin particulier des hommes et des jeunes gens».
Quel contraste avec nos vieux directoires et manuels d'œuvres!
Prenez, par exemple, un excellent manuel d'œuvres rurales publié en 1865. Il va jusqu'à ”ériger en principe qu'il n'y a rien ou à peu près rien à faire pour les hommes„. Il ne propose que des œuvres de femmes et de jeunes filles et, tout au plus, de petits patronages de jeunes garçons. «Ne nous faisons pas illusion, dit-il, dans les mauvaises paroisses, la masse de la génération adulte reviendra-t-elle à la religion? Nous „ne glanerons peut-être là que quelques épis”. Raison de plus de nous occuper de la génération naissante et de la génération souffrante, c'est-à-dire „des enfants et des malades. Il n'y a pas d'autre marche: c'est la règle, c'est la loi”». Et le pieux manuel ajoutait: «C'est ainsi qu'a fait Notre Seigneur».
Voilà jusqu'où est allée l'illusion de prêtres pieux.
Ils ont regardé grandir le mal. Ils ont assisté à l'apostasie de tout un peuple, et ils ont fait… des associations de jeunes filles.
Et ils ont cru lire dans l'Évangile que Notre Seigneur avait fait comme eux!
Tout le livre est dans cet esprit.
«Les enfants, les vieillards, les pauvres, les malades, les affligés, voilà, dit-il, les cinq doigts de l'apostolat des campagnes». Et le livre ne parle que d'eux.
«Pour „les autres”, dit-il, pères, mères, jeunes gens, jeunes personnes, livrés aux affaires, aux préoccupations d'intérêt, de plaisir, „il n'y a pas la même facilité”, les mêmes moyens d'entrer en rapport, surtout s'ils ne viennent pas à l'église. „Avec eux, contentons-nous d'attendre”».
Et la préface nous dit que le livre devient le manuel des séminaires et des jeunes prêtres, que les éditions s'écoulent rapidement. Et des directeurs de séminaires écrivent qu'ils sont ravis de l'apparition de ce volume, qu'ils le propagent et que «c'est bien là la direction qu'il faut donner au ministère pastoral».
Il y a bien, à la fin du livre, une monographie d'association modèle laïque et apostolique. Je me suis empressé de la lire et j'ai trouvé que l'association modèle se composait de ”trois dames et de cinq jeunes filles„, et que le règlement les engageait à «tâcher de se réunir ou de s'écrire au moins trois fois dans l'année, pour se faire part de ce qu'elles avaient fait et observé…»
Tel est l'esprit qui a régné dans beaucoup de nos diocèses, depuis 1825 ou 1830 jusqu'à nos jours.
Et tout a été organisé dans ce ton et sur cette note: offices, prédications et associations.
Et l'on s'étonne que le peuple ait fini par dire que la religion est faite pour les femmes et pour les enfants!
Cette génération pusillanime nous a changé le Christ. Ce n'était plus le Christ des ouvriers, «pauperes evangelizantur», le Christ qui exerçait son apostolat incessant auprès des pécheurs, des publicains, des hommes du monde, «non veni vocare justos, sed peccatores». Le Lion de Juda est métamorphosé en une brebis timide. Notre Christ, dont l'apostolat puissant et fort a inspiré celui des Paul, des Xavier et de tous les conquérants des âmes, est changé en un homme craintif et faible qui ne parle qu'aux enfants et aux malades.
On sait où nous a conduits un demi-siècle de cette déplorable illusion.
La réaction est commencée. L'Œuvre des cercles, fondée par de vaillants officiers, n'y a pas peu contribué.
Et Léon XIII, embrassant de son regard élevé et profond le mal et le remède, a tracé magistralement la voie dans sa grande encyclique. «Que les ministres sacrés, dit-il, déploient toutes les forces de leur âme et toutes les industries de leur zèle pour inculquer „aux hommes de toutes les classes” les règles évangéliques de la vie chrétienne». Et il nous montre ce que la société peut attendre de l'Église: le relèvement des ouvriers et l'enseignement des règles de la justice et de la charité qui doivent présider à la réforme des lois et à l'organisation professionnelle.
À la suite du Pape, la théologie pastorale nous dit aujourd'hui: «”Il faut s'occuper particulièrement des hommes„. Il faut approprier à leurs besoins l'exercice de la charge pastorale dans les paroisses. Il faut aller les chercher et les ramener à des rapports personnels avec leur pasteur. Il faut leur faciliter la réception des sacrements, en prenant leurs heures et en se prêtant aux circonstances où la chose leur est plus commode.
Et dans les autres fonctions sacerdotales qui regardent toute la paroisse, „il faut toujours avoir égard aux goûts et aux besoins des hommes”. Dans les dévotions, dans la prédication, dans l'enseignement, l'attention aux hommes doit être, sinon tout à fait exclusive, du moins, prédominante».
Toutes ces paroles sont de Lehmkuhl. C'est bien tout le contre-pied de ce que nous lisions plus haut.
Tout cela se fera, mais… il y a des habitudes prises et enracinées, il y a une longue routine et des préjugés. On n'y est plus habitué et on ne sait plus la manière.
Puisse ce petit manuel y aider un peu!
III
Il faut donc faire des œuvres nouvelles et des œuvres d'hommes, mais lesquelles?
Parmi ces œuvres, nous dit Léon XIII: «La première place appartient aux corporations qui, en soi, embrassent à peu près toutes les œuvres».
«C'est avec joie, ajoute-il, que nous voyons se former partout des Sociétés de ce genre, soit mixtes, soit composées des seuls ouvriers… Elles doivent fournir à chacun de leurs membres les moyens les plus propres à lui faire atteindre son but, qui consiste dans l'accroissement le plus grand possible des biens du corps, de l'esprit et de la fortune… sans oublier le but principal, qui est le perfectionnement moral et religieux».
Comment! Le prêtre va s'occuper de choses temporelles? Il va se mêler à des associations qui ont pour but des intérêts matériels?
Oui, il doit le faire, avec l'aide de laïques dévoués s'il en rencontre, et son zèle en suscitera. Son ministère n'atteint pas le plus grand nombre de ceux qui en ont besoin. «Le moyen de ramener ces âmes au soin de leur salut, remarque monseigneur l'évêque de Liège, était difficile à trouver, mais il existait, et Léon XIII nous l'a indiqué. Le sort matériel de cette multitude doit être amélioré; elle le sent, elle le réclame, la justice et la charité le commandent. Or, le prêtre est le défenseur de la justice et le ministre de la charité. Qu'il prenne en main cette cause, qu'il a mission divine de protéger; qu'il prête le secours de sa parole, de son action, de son influence: les rapports qui s'ensuivront entre lui et les ouvriers serviront non seulement à leurs intérêts et à leur bien-être temporel, mais aussi à leur avantage spirituel et au salut de leurs âmes. Oui, c'est la voie à suivre pour sauver ces malheureux frères et leurs familles, pour les empêcher de se laisser entraîner dans les rangs des ennemis de la société et de la religion».
Mais enfin, comment organiser ces corporations et quelles œuvres y joindre?
Comment les organiser? Hélas! comme le permet la loi française, avec la dose discrète d'esprit religieux que laissent passer nos lois laïcisées, jusqu'à ce que nous ayons brisé les chaînes de notre triste esclavage.
Nous ferons donc provisoirement des syndicats, qui seront des embryons de corporations.
Pour faire honneur à la parole du Pape, nous mettrons donc en tête du Manuel le ”Guide pratique des syndicats„.
Les autres œuvres sociales seront généralement les fruits et le couronnement des syndicats. Telles sont les caisses de crédit agricole, les caisses de famille ou de secours mutuels, les cercles et les patronages ruraux, les cercles d'études et conférences, les secrétariats du peuple, etc. Il y a là matière pour quelques chapitres bien utiles.
Les écoles libres sont aussi une œuvre nouvelle, nécessitée par l'apostasie de l'État. Elle a sa place marquée au Manuel.
Il y faut une courte notice sur quelques œuvres anciennes auxquelles on peut donner une tournure plus apostolique.
La bonne presse est une œuvre sociale et moderne. C'est une œuvre déjà connue, il suffira de la rappeler brièvement.
Enfin, nous croyons utile de rappeler la méthode pour bien faire une œuvre aussi ancienne que l'apostolat et prescrite par les anciens canons de l'Église, c'est la visite annuelle de la paroisse. Cette visite bien faite préparera les associations et en fournira les éléments.
Tel est notre beau programme. Après l'avoir exposé, concluons avec l'apôtre saint Paul (épître à Tite) et avec le cardinal Langénieux qui le commente, en exhortant «les prêtres et les laïques à s'initier et à s'exciter par une sainte émulation à cette forme apostolique du ministère „discant nostri bonis operibus praeesse”; qu'ils se mettent à même, par l'étude des moyens pratiques, de créer et de diriger ces œuvres qui visent directement les besoins actuels des âmes et de la société, „ad usus necessarios”. Alors les pasteurs ne se consumeront plus dans un ministère infructueux parce qu'il n'est pas éclairé et qu'il n'agit point dans des conditions efficaces,„ut non sint infructuosi”. Les laïques chrétiens aussi apprendront à ne point s'annihiler dans le découragement, en s'enfermant dans le cercle égoïste des obligations domestiques, et ils deviendront des auxiliaires puissants de leurs pasteurs pour le plus grand bien de la patrie chrétienne et de l'Église».
CHAPITRE PREMIER
C'est là encore une vue générale et un chapitre préliminaire.
Ce n'est pas toutefois un hors-d'œuvre dans ce Manuel pratique.
Il y a quelque chose qui domine les œuvres, c'est l'esprit dont elles sont animées, c'est le but général qu'elles ont en vue.
Nous avons à refaire un régime corporatif.
Les corporations sont des organes naturels de la vie sociale. Elles ont leur place marquée entre les familles et les sociétés supérieures, cités, provinces, royaumes.
Elles groupent les hommes qui ont un intérêt professionnel commun. Leur but direct est temporel. Dans une société chrétienne, elles sont animées d'une vie religieuse par les confréries auxquelles elles sont alliées.
Nous connaissons les corporations du passé, leur magnifique organisation, les bienfaits immenses qu'elles ont procurés à la société, puis leurs imperfections, leurs abus et leur effondrement dans le cataclysme révolutionnaire.
Mais on ne peut pas violenter longtemps la nature. Elle réclame ses droits. Les corporations nous manquent, nous le sentons et nous voulons qu'elles renaissent.
Nous sentions bien depuis le commencement de ce siècle que le monde du travail était dans le malaise. Le mal a grandi. Nous avons été frappés de l'affaissement de la nation au moment de la guerre et de la fermentation anarchique qui se fit jour à la Commune. Nous avons cherché le remède.
Les fondateurs de l'Oeuvre des cercles, avec une clairvoyance qui est leur grand honneur, nous ont dit: «Ce qui manque, c'est la vie corporative, avec tout le concours moral et matériel qu'elle apporte au monde du travail». Et ils ajoutaient: «Mais les corporations sont proscrites par la loi; il faut donc tourner la difficulté et faire rentrer l'esprit corporatif dans les mœurs, en faisant les associations qu'on peut faire».
Une seule forme d'association était possible, le cercle. Ils en ont tiré un Instruction sur l'œuvre parti merveilleux. Ils en ont fait, comme le dit avec raison la nouvelle Instruction sur l'Oeuvre, une des formes modernes les plus parfaites de la confrérie ancienne. Mais, de plus, ils en ont fait un foyer de propagande de l'idée corporative, en indiquant toujours la corporation comme la forme logique du développement complet de l'œuvre. Ils nous ont toujours montré le cercle comme un point de départ et la corporation comme le point d'arrivée.
Et ces idées ont si bien fait leur chemin, qu'elles se sont imposées aux pouvoirs publics, et l'État nous a donné la Loi de 1884, qui permettait un essai de corporations sous le nom de syndicats professionnels.
Bien plus, l'autorité suprême de l'Église est venue encourager et sanctionner cet apostolat. Dans l'encyclique Rerum novarum, Léon XIII nous dit: «Les Sociétés de secours mutuels, les œuvres de prévoyance et de patronage sont excellentes, elles concourent à soulager l'indigence et à rapprocher les classes sociales; mais „la première place appartient aux corporations ouvrières”, qui, en elles, embrassent à peu près toutes les œuvres!…».
Mais quelle sera la forme définitive des corporations de l'avenir? Nul ne pourrait le dire. Léon XIII nous dit: «Nous ne croyons pas qu'on puisse donner des règles certaines et précises pour en déterminer le détail».
Que faire donc? Il faut agir, en s'avançant par toutes les issues qui nous sont ouvertes pour nous rapprocher de l'idéal corporatif, dont les principaux éléments sont «l'association autonome et libre», groupant des personnes d'une même profession, en vue de sauvegarder l'honneur du métier et les intérêts professionnels, avec «le droit de propriété et de juridiction» et l'adjonction «d'un lien religieux et d'institutions de secours et de prévoyance», et la participation à la vie sociale et politique par «une représentation publique».
La corporation nouvelle remplira-t-elle toutes ces conditions? Ce n'est pas certain. Plusieurs de ces fonctions pourront être remplies par un organisme plus large imposé par l'État. La juridiction professionnelle, les institutions de secours et de retraite pourront avoir des cadres différents de la corporation.
On peut dire que notre monde économique est en travail d'une organisation nouvelle. Qu'en sortira-t-il au juste? Qui pourrait le dire?
Tout devrait se faire par les corporations. L'État ne devrait intervenir que pour encourager et protéger. Sa lourde main pourrait gâter tout et mettre aux meilleurs mets un assaisonnement empoisonné de politique, de partialité, de centralisation outrée, d'administration coûteuse et de tyrannie.
Agissons donc par nous-mêmes et le plus vite possible.
C'est bien le plan de l'Oeuvre des cercles. Quand les cercles seuls étaient possibles, elle nous a donné une magnifique floraison de cercles. Maintenant, elle fait son évolution.
Les dernières modifications à //l'Instruction sur l'Œuvre //nous disent qu'il faut entendre le nom de l'Œuvre dans le sens le plus large, et qu'on pourrait tout aussi bien l'appeler l'Œuvre des associations catholiques ouvrières//.//
Elles ajoutent que la floraison nouvelle des œuvres économiques, syndicats, caisses rurales, caisses de famille, etc., répond parfaitement au but primitif de l'œuvre des Cercles; que les syndicats, en particulier, s'ils sont animés de l'esprit chrétien, réalisent supérieurement la forme de l'Oeuvre.
L'Oeuvre des Cercles ne nous dit donc plus aujourd'hui: «Faites à tout prix des cercles». Elle nous dit, au contraire: «Profitez largement des facilités qui vous sont accordées par la Loi de 1884. Faites des syndicats. Animez-les de l'esprit chrétien par la confrérie. Joignez-y les œuvres annexes, caisse de crédit, caisse de secours et de retraite, etc., et vous aurez fait un grand pas pour le relèvement du régime corporatif».
Nous pouvons donc nous dire, dans ce manuel, les vrais disciples de l'Oeuvre des cercles.Nous pouvons donc nous dire, dans ce manuel, les vrais disciples de l'Oeuvre des cercles.
Nous nous appuyons sur les mêmes bases qui sont l'affirmation catholique, la participation des ouvriers au gouvernement intérieur des œuvres et le dévouement de la classe dirigeante envers les travailleurs.
L'avantage d'un comité, que l'on regarde comme essentiel dans l'Oeuvre des cercles, est, au point de vue pratique, celui de procurer la continuité à une entreprise personnelle, et, au point de vue théorique, celui de rendre aux classes supérieures leur place dans la société chrétienne en les mettant au service des classes populaires.
Toutefois, nous dirons volontiers pour nos œuvres corporatives ce que dit l'administration de La Croix pour son œuvre de la bonne presse: «Nous tenons pour comité même un seul homme qui veut se dévouer à l'œuvre, „en attendant mieux”».
Si nous trouvons un curé ou un laïque chrétien qui veuille fonder une œuvre économique et corporative, nous ne lui dirons pas: «I1 faut absolument attendre que vous ayez un comité».
Nous lui dirons: «Si vous êtes seul pour commencer, commencez seul, mais dès que vous le pourrez, vous recruterez quelques hommes dévoués pour former avec vous un comité de patronage de votre œuvre».
Nous dirons donc à tous les hommes de bonne volonté: «Reliez-vous à l'Œuvre des cercles, qui est, en France, la source de toutes les œuvres corporatives. Profitez de son lien religieux, des faveurs spirituelles dont le Saint-Siège l'a comblée, de ses lumières, de ses documents, de ses congrès. Adressez-vous dès le début à son secrétariat, 262, boulevard Saint-Germain, à Paris, pour être agrégé à l'Œuvre».
Nous ne voulons voir même dans ce manuel d'œuvres sociales qu'un supplément ou un complément au manuel de l'Œuvre des cercles.
Nous développerons particulièrement dans ce manuel la question des syndicats ruraux ou agricoles, parce que c'est l'œuvre urgente vers laquelle il faut porter tous nos efforts pour empêcher l'envahissement des campagnes par le socialisme. Ces sortes de syndicats sont d'ailleurs les plus faciles et ceux qui produisent de suite une organisation corporative à peu près complète.
Nous décrirons, dans les monographies, les corporations d'usine du Val-des-Vois et de Lille.
Quant aux corporations d'arts et métiers, le problème est moins avancé. Faisons des syndicats chrétiens d'arts et métiers, mais les non-chrétiens en feront aussi, et peut-être l'État groupera-t-il les uns et les autres en corps de métiers, de telle sorte qu'une partie des fonctions corporatives, comme la juridiction professionnelle, l'arbitrage, les institutions de prévoyance et la représentation publique seront peut-être remplies par le corps de métier, tandis que le concours moral et religieux, le secours mutuel, l'union familiale et d'autres bienfaits plus intimes seraient procurés par le syndicat libre et chrétien. C'est du moins ce qui paraît probable dans l'état actuel des choses.
CHAPITRE II
Il ne s'agit pas là d'une association, mais d'une œuvre personnelle, aussi ancienne que l'apostolat, et prescrite par les canons de l'Église. Elle a sa place dans ce manuel, parce qu'elle est le moyen ordinaire et naturel de préparer les associations.
«Le bon pasteur connaît ses brebis». C'est la règle donnée par le Pasteur suprême dans l'Évangile.
Si le pasteur ne connaît pas ses brebis, comment les aimera-t-il? Comment en prendra-t-il soin?
Et comment les connaîtra-t-il, s'il ne les visite pas?
La visite annuelle de la paroisse a toujours été tenue par l'Église comme obligatoire. Bien des conciles particuliers l'ont prescrite. Elle est d'ailleurs le seul moyen pour tenir régulièrement le „Livre des âmes”. Or, ce „Livre des âmes” est mis dans le Rituel romain sur le même pied que les livres des baptêmes, mariages et décès. Il doit être tenu dans chaque paroisse.
Les prêtres que nous considérons tous comme des modèles, le père Holzhauser, monsieur Vuarin de Genève, et les autres tenaient ce „Livre des âmes” avec un soin extrême.
Les statuts de certains diocèses demandent seulement que la visite soit faite au moins tous les deux ou trois ans. C'est sans doute une concession basée sur le petit nombre des prêtres et leur grande besogne.
Quelques statuts aussi demandent que le „Livre des âmes” contienne des notes détaillées sur chaque famille. Ceci ne nous paraît pas heureux. Les écrits peuvent toujours devenir indiscrets. Il faut écrire de simples bulletins de famille avec les dates de baptême, de première communion, de confirmation, de mariage. Pour le reste, la mémoire y suppléera. Si cette visite a toujours été utile et même nécessaire, elle l'est aujourd'hui de plus en plus.
D'anciens manuels d'œuvres, et en particulier celui de l'Œuvre des campagnes, ont fort bien traité ce sujet. Ils signalent quelques-uns des fruits qu'on peut attendre de cette visite. Indiquons-les, en les complétant.
1. C'est d'abord le vrai moyen de connaître tout son monde, catholiques et indifférents, parents et enfants, vieillards, infirmes, malades, domestiques. - Et si on a la charge de toutes ces âmes, ne doit-on pas les connaître, avec leurs besoins propres et les secours divers qu'elles attendent de notre ministère?
Quelques-uns objecteront que leur paroisse n'est pas grande, qu'ils connaissent déjà leurs ouailles, qu'ils les voient à l'église, qu'ils les rencontrent souvent.
Nous leur répondrons que la vue des paroissiens à l'église et leur rencontre dans la rue n'ont pas les mêmes effets qu'une visite à la maison. Une visite du pasteur et une causerie paternelle expriment une attention du cœur qui fait honneur à la famille visitée et lui laisse l'impression de devoirs réciproques à remplir.
2. C'est un moyen de faire plaisir. - Chacun est honoré d'avoir reçu la visite de son curé. Il faut pour cela, bien entendu, voir tout le monde, se montrer bon et affable pour tous et dans chaque maison s'informer de tout le monde.
Plusieurs paroissiens n'auront, hélas! aucune autre relation avec le prêtre pendant l'année, et le souvenir d'une visite charitable pourra être dans les derniers moments de leur vie le motif déterminant pour appeler un prêtre qui sera l'instrument de leur salut.
3. C'est un moyen de faire d'utiles découvertes. - Découvertes de misères à secourir: insuffisance de literie, indigents, vieillards et infirmes à signaler aux œuvres de charité. - Découverte de misères spirituelles: unions irrégulières qui n'attendent qu'un bon conseil ou une recherche de pièces pour se régulariser, premières communions et confirmations en retard; enfants qui ne fréquentent pas les écoles et les catéchismes. - Découvertes de vertus cachées, d'âmes généreuses, de cœuus apostoliques, qui ne demandent qu'à seconder le bien par la prière, par les associations et par les œuvres.
4. Moyen de provoquer des œuvres de miséricorde. - Il ne faut rien demander pour ses propres œuvres dans la visite annuelle. Cette visite doit être toute désintéressée. Mais ne sera-t-il pas facile souvent d'intéresser quelques personnes aisées aux souffrances des familles pauvres? Le récit discret des misères dont on a été témoin suscitera des secours. On aura rendu par là un double service en aidant le pauvre et en donnant au riche l'occasion de faire une œuvre méritoire.
5. C'est un moyen de faire venir à l'église. - Ce n'est pas qu'il faille procéder par des gronderies et pratiquer souvent le «compelle intrare». Il faut en ces visites beaucoup de tact et de prudence. En certains pays de foi, on y peut encore parler avec autorité et rappeler fermement à chacun son devoir. Mais le plus souvent, en France, il faudra se contenter d'une visite courtoise et cela suffira parfois pour ramener quelques paroissiens à l'église. Une visite n'en provoque-t-elle pas une autre?
Il est sans doute superflu de rappeler en passant que les petits cadeaux entretiennent l'amitié et qu'on gagne les parents en s'intéressant à leurs enfants. Il est facile d'être généreux à bon marché. On trouve à la Maison de la Bonne Presse, 5, rue Bayard, à Paris, des „vies de saints” illustrées à un ou deux centimes la pièce, et de jolies images à très bon compte pour les enfants.
6. C'est le moyen de préparer les œuvres sociales. - On peut trouver dans cette visite les éléments des associations et en préparer le groupement. C'est la meilleure manière d'étudier le terrain, de sonder prudemment les bonnes volontés et de faire désirer les œuvres.
En racontant ce qui se fait ailleurs, en déplorant l'isolement des agriculteurs, les difficultés du crédit, les avantages qu'on pourrait tirer des œuvres nouvelles, on prépare les esprits à la fondation de ces œuvres et on amène les paroissiens à les demander eux-mêmes, ce qui est souvent la condition du succès.
7. C'est aussi un moyen de répandre la bonne presse. - Disons simplement ici ce que nous avons vu faire auprès de nous. Dans un canton voisin, tous les curés, stimulés par le curé de canton, ont fait la visite de leur paroisse. Ils ont dit à chaque famille: nous voudrions voir chez vous la Vie des Saints, c'est une publication hebdomadaire illustrée qui vous intéresserait autant qu'elle vous édifierait. Vous pouvez l'avoir à très bon compte ainsi qu'une feuille à peu près semblable, les Causeries du Dimanche, exposé populaire des vérités de la religion. - Dans toutes les maisons où l'on sait lire, on a accepté avec joie. Depuis lors, les paquets postaux arrivent dans les paroisses qui ont le chemin de fer et de là sont distribués chaque samedi dans toutes les paroisses du canton.
Beaucoup de prêtres se demandent comment ils répandront les abonnements à La Croix, voilà un moyen sûr et facile.
Certains curés se dispensent du devoir de la visite, en se prévalant de la trop grande population de leur paroisse. Faudra-t-il donc ne remplir que les devoirs faciles et omettre ceux qui nous coûtent davantage?
Ces paroisses trop populeuses sont une des grandes plaies de notre temps. C'est une des conséquences les plus funestes du Concordat, qui ne nous permet pas, du moins dans son interprétation officielle, d'ériger des paroisses sans l'assentiment de l'État.
Les anciennes prescriptions canoniques n'admettaient pas de paroisses de plus de 6.000 âmes, précisément à cause du devoir primordial qu'a le pasteur de connaître ses ouailles.
Aujourd'hui, nous avons, à Paris, des paroisses de 90.000 âmes. C'est tout bonnement insensé.
Dans cette situation absolument intolérable de nos villes, faut-il que le pasteur renonce à connaître ses ouailles? Nullement. Nous pensons qu'il devrait plutôt renoncer à sa charge, puisqu'on ne peut pas être un bon pasteur sans connaître ses brebis. Que fera-t-il donc? Il fera ce qu'on fait dans d'excellents diocèses où le zèle intelligent des pasteurs a conservé la foi, il se partagera avec ses vicaires les rues et quartiers de sa paroisse et visitera par ses auxiliaires ceux qu'il ne peut pas visiter par lui-même.
Mais nous ne saurions mieux décrire cette mise en œuvre de l'action pastorale que ne l'a fait un livre tout récent: La paroisse de saint Paterne, dans le passé et dans le présent, par monsieur l'abbé Surcin, chez Herluison, libraire à Orléans.
Empruntons-lui cette page.
«Dans une paroisse qui a l'étendue et la population de celle de Saint-Paterne,49) il est impossible à un prêtre de se mettre en rapport directement avec tous les paroissiens, et de se transporter instantanément sur tous les points où se font sentir les besoins religieux. Les paroissiens ne connaissent pas leur clergé, le clergé ne connaît pas son peuple, et cette ignorance mutuelle du prêtre et du peuple est un obstacle à tout bien. Monsieur le curé de Saint-Paterne a donc pensé à diviser la paroisse et à confier à chaque vicaire une section déterminée, et „depuis six ans déjà cette organisation fonctionne et a produit les meilleurs résultats”.
Cette division par quartiers a le grand avantage de donner aux paroissiens un prêtre „qui les connaît et qui les visite”, qui est connu d'eux et qui se tient spécialement à leur disposition pour leurs malades, pour le soulagement des pauvres, pour l'éducation chrétienne des enfants, pour tous leurs besoins religieux, en un mot.
Le vicaire de quartier a la surveillance et l'administration religieuse du quartier qui lui est confié. Il s'occupe des enfants, du baptême des nouveau-nés, du recrutement des écoles chrétiennes, des petits et grands catéchismes. Il procure, autant qu'il le peut, l'accomplissement du devoir pascal.
Il tâche de découvrir et il visite les infirmes, de manière à ne pas les laisser dans l'isolement et l'éloignement des pratiques religieuses. Toutes les fois qu'on vient chercher un prêtre, sans le désigner nommément, c'est le vicaire du quartier qui se rend auprès du malade.
Il découvre les pauvres honteux et les soulage, de concert avec monsieur le curé, avec les religieuses, les dames patronnesses et les œuvres charitables de la paroisse.
Il travaille au recrutement des associations paroissiales. Il fait entrer les hommes chrétiens dans la Confrérie du saint sacrement, les femmes dans l'Association des mères chrétiennes.
Il visite son quartier le plus souvent possible, et il a un registre qui contient les noms, la rue et le numéro de tous les fidèles confiés à son zèle.
Il s'entoure de quelques hommes chrétiens et apôtres, qui l'aident de leurs conseils, de leurs démarches, de leur coopération. En un mot, il appartient tout entier aux habitants de son quartier, et il a sans cesse l'œil ouvert et la main tendue pour subvenir à leurs besoins spirituels et matériels.
Il est bien entendu, d'ailleurs, que cette division de la paroisse n'a rien d'absolu ni de mathématique, et que monsieur le curé et messieurs les vicaires restent à la disposition de tous les fidèles, quel que soit le quartier qu'ils habitent».
Ajoutons comme dernier conseil que la visite doit être une visite ”assise„, une visite d'un quart d'heure au moins. C'est un père qui visite ses enfants.
Le mois de janvier est un temps favorable, mais la visite peut se répartir sur plusieurs semaines, sur plusieurs mois, suivant l'importance de la population.
CHAPITRE III
C'est la première question que se pose tout homme investi sur les autres d'une autorité morale ou positive dont il voudrait faire emploi pour le bien.
Curé dans sa paroisse; vicaire sous les ordres d'un curé; catholique placé dans un rang d'honneur parmi les hommes; chef d'industrie employant de nombreux ouvriers; propriétaire ou fermier à la tête d'une exploitation agricole: quiconque, ayant conçu le désir de préparer la rénovation morale et religieuse de notre malheureux pays, veut utiliser au profit de Dieu, de l'Église et de la France, l'influence que la Providence lui a mise en main se trouve la plupart du temps aux prises avec les incertitudes et les hésitations du début.
Par où commencer?
Nous répondrons: Par vous-même.
Avant tout, prêtre ou pieux laïque, il faut bien vous affermir dans la pensée que vous n'êtes pas fait seulement pour la stalle et la sacristie; que vous êtes pour votre part le sel de la société et la lumière de la vie sociale; que vous devez aller aux hommes, autant et plus qu'aux femmes et aux enfants; que c'est faire injure au Christ d'agir autrement; que votre maître, enfin, et votre modèle a groupé des apôtres et des disciples et n'a pas limité son action à l'apostolat de l'enfance.
Bien pénétré de cette pensée maîtresse, vous ne devez pas vous laisser arrêter par les timides. N'oubliez pas que vous vous trouvez au milieu d'un monde où la véritable intelligence de l'apostolat est amoindrie depuis deux cents ans. Le jansénisme a passé par là, puis le gallicanisme, la révolution, le libéralisme et le rationalisme.
Toutes ces négations de l'action sociale chrétienne se sont accumulées. Notre société y est toute plongée. L'atmosphère des âmes en est toute saturée. L'erreur se cache sous les noms de prudence, de réserve, de modération, d'impossibilité.
Certains châteaux frémiront en entendant vos rêves d'apostolat populaire.
Si vous êtes prêtres, quelques confrères plus âgés, qui n'ont connu que les vieilles méthodes, vous regarderont comme des utopistes. De pieux laïques, et des dévotes gémiront sur votre témérité. Tous ces braves gens ne voient pas avec plaisir les indifférents nous dire que la religion est bonne pour les vieillards, les femmes et les enfants, mais ils font tout, sans s'en douter, pour qu'on le dise.
Ils ne conçoivent guère que le prêtre sorte pour autre chose que pour voir des malades et pour conduire les convois mortuaires, et ils s'étonnent que le peuple compare le prêtre à un oiseau funèbre.
Allez aux vivants, allez aux hommes, allez au peuple, et vous ne passerez plus pour le triste oiseau des funérailles.
Notre siècle a soif d'action religieuse. La maladie aiguë de la société présente, c'est l'absence de vie religieuse, c'est l'absence du prêtre. N'entendez-vous pas ses médecins diagnostiquer son mal? Les philosophes, les penseurs, les économistes nous le disent. Vous avez entendu Le Play, Littré, J. Simon, Brunetière. La société se meurt faute de religion. C'est le cri de tous les hommes intelligents â la vue du désordre moral actuel. C'est le Canossa de la philosophie rationaliste, de la politique persécutrice et de l'économie sociale séparée.
Le peuple voit le mal et cherche la solution, à vous de la lui offrir. Après vous être bien affermi vous-même et cuirassé dans la résolution d'agir, quelle méthode suivrez-vous?
Cela devient plus facile.
Ne perdez pas de vue les modèles, le Christ et les apôtres. Le Christ allait aux hommes sans trêve et sans repos. Il en triait quelques-uns, il formait douze apôtres, puis soixante-douze disciples. Ceux-là devenaient ses auxiliaires. Il leur donnait un mot d'ordre: Allez et enseignez.
Ils allèrent et cherchèrent des auditeurs groupés ou isolés. La parole était leur seule arme. Ils prêchèrent la doctrine et s'occupèrent des œuvres, des besoins du peuple et de l'organisation sociale. Saint Paul cherchait dans toutes les villes opulentes de la Grèce des ressources pour les communautés chrétiennes de Palestine.
Notre mission est là toute tracée: aller aux hommes, surtout à ceux qui ne viennent pas à nous, leur parler, les grouper, et utiliser cette forme nouvelle de la parole, le journal, qu'un saint Paul n'aurait pas manqué d'employer, si son temps l'avait connue, et enfin nous occuper des intérêts économiques et sociaux du peuple.
C'est là la théorie, mais avançons. Que ferons-nous dans le détail de la pratique?
Nous répandrons le bon journal; nous grouperons des hommes, pour leur faire entendre des conférences; nous les amènerons aux études sociales, aux œuvres économiques et enfin aux œuvres de piété.
Tout cela se fera, à la campagne, dans de modestes proportions et peu à peu.
Les exemples s'imposent plus que les théories. Lisez, à la fin du volume, la méthode qui a donné le succès dans de petites paroisses de la Haute-Marne et de Saône-et-Loire, et faites ce qu'on a fait là.
La Croix du dimanche suffira pour préparer les voies à la campagne. Pour la manière de la répandre, lisez le chapitre sur la bonne presse et celui sur la visite pastorale.
Formez ensuite avec patience un petit groupe d'hommes de bonne volonté qui deviendront vos auxiliaires.
Priez et faites prier, et le Sauveur ne se refusera pas à vous fournir un petit collège apostolique.
Nos monographies vous disent aussi comment on forme ces premiers groupes. Avec ces premiers groupes, vous pourrez tout, et les œuvres sociales, syndicats et caisses de crédit, s'organiseront facilement, comme un fruit mûr tombe facilement de l'arbre qui lui a fourni la sève.
La Confrérie de Notre Dame des Champs réunira vos associés et les conduira à l'église. Les œuvres de piété seront le couronnement des œuvres économiques. Mettez-vous donc à l'œuvre sans tarder.
Hier encore, nous lisions une lettre chaleureuse de monseigneur l'évêque de Périgueux à ses diocésains, sur la «nécessité pressante des œuvres rurales» en faveur des populations agricoles. Tous nos évêques pensent comme lui.
«Oui, dit monseigneur Dabert, il y a des réformes à faire pour améliorer le sort des travailleurs, faisons-les.
Créons sur les bases de l'honnêteté et de la justice des syndicats agricoles.
Créons des institutions économiques, caisses rurales, caisses de famille, économats domestiques, assurances contre les accidents du travail, caisses de retraite, etc.
En un mot, concluait l'évêque de Périgueux, tous ceux qui, à un titre ou à un degré quelconque, ont à la campagne une part d'influence „doivent aujourd'hui se dévouer pour les intérêts matériels de nos ouvriers des champs”.
Et le clergé, tout en travaillant principalement à la conversion et à la sanctification des âmes, ne doit pas demeurer étranger à ces œuvres de réformes sociales.
Il ne fera du reste que suivre les exemples du Sauveur». En résumé, nous dirions à un curé de campagne:
Commencez par vous bien convaincre de la nécessité d'agir et d'aller aux hommes. Pour cela, il vous suffira, si vous voulez, de relire l'encyclique Rerum novarum.
Mettez-vous tout de suite à répandre La Croix par tous les moyens possibles. De notre temps, la bonne presse, c'est l'œuvre des œuvres.
En même temps, formez trois ou quatre hommes de bonne volonté. Ne vous lassez pas: «Insta opportune importune», jusqu'à ce que vous les ayez décidés à devenir vos auxiliaires pour les œuvres sociales.
Alors, commencez avec eux un syndicat. Il se développera. Le syndicat fera tout le reste. Il fondera la caisse de crédit et la caisse de famille. Il aura un lieu de réunion analogue à un cercle. L'élite de ses membres formera plus tard une fraternité du Tiers-Ordre.
Le syndicat s'annexera un patronage.
Les mères et les jeunes filles voudront aussi des associations, si elles n'en ont pas déjà, et la paroisse retrouvera peu à peu toute la vie corporative chrétienne des meilleures époques.
CHAPITRE IV
Le but que l'on se propose en recommandant, au titre des Œuvres sociales chrétiennes, le syndicat agricole, est celui-ci:
Se rendre utile aux campagnards en développant chez eux, par l'association, le sentiment de la fraternité chrétienne et du devoir social qui y est attaché, de telle sorte qu'ils en éprouvent en même temps les bienfaits matériels et moraux, et qu'en accomplissant mieux la loi sociale, ils apprennent à la comprendre et à l'aimer dans son divin Auteur.
Le syndicat agricole ne peut se constituer, comme toute association, que par une sélection, car des éléments hétérogènes, soit moralement, soit de fait, ne sauraient entrer dans une association professionnelle. Or, cette sélection est par elle-même un puissant moyen d'encourager l'honnêteté et de flétrir ce qui mérite d'être flétri.
Il ne saurait prospérer sans une direction éclairée et dévouée qui le pénètre de son esprit. Il rend ainsi leur place aux autorités sociales et notamment au prêtre qui, alors même qu'il n'en devient pas membre actif, n'en est pas moins le promoteur et le conseil naturel.
L'objection contre l'utilité morale du syndicat et la possibilité pour le prêtre d'y faire accepter son influence tombe devant les considérations qui précèdent, et l'on ne saurait trop s'en pénétrer avant que d'entreprendre cette œuvre. Car, si on la présente sous ce jour, elle peut réunir tous les hommes de bien pour qui elle est faite, et produire des fruits excellents de concorde, de moralité et de rénovation religieuse.
Si, au contraire, on la conçoit simplement au point de vue des avantages économiques, comme une société de consommation ouverte à tout venant, on ne fausse pas moins l'esprit et les dispositions de la loi civile, qu'on ne passe à côté de la loi morale.
Bien compris, au contraire, les syndicats agricoles sont des écoles de moralité, où l'on forme des citoyens à la vie publique en même temps qu'on retient les campagnards à la vie des champs en la leur rendant meilleure, plus honorée et plus rémunératrice.
D'ailleurs, sans sortir en rien dans leurs statuts du caractère strictement professionnel, les syndicats agricoles peuvent inscrire à leur règlement intérieur des pratiques religieuses et prendre sur le terrain politique le rôle d'une représentation professionnelle. Et ce n'est pas là le moins intéressant des points de vue auxquels il faut se placer pour en promouvoir la formation.
Sous le bénéfice de ces considérations préliminaires, mais essentielles, nous entrerons dans les indications pratiques pour la fondation d'un syndicat agricole.
Nous suivrons pas à pas l'excellent petit manuel de monsieur De Gailhard-Bancel et celui de monsieur. Fontan, en les résumant.
Nous donnerons ensuite le texte de la loi de 1884 et un projet de statuts et de règlement intérieur.
1. Qu'est-ce qu'un syndicat agricole? - Un syndicat agricole est une association formée entre propriétaires, cultivateurs, fermiers, journaliers; entre tous ceux, en un mot, qui exercent la profession agricole ou qui tiennent au sol par un lien quelconque, pour la défense de leurs intérêts professionnels et économiques.
C'est, sous un nom nouveau et une forme rajeunie, l'ancienne corporation, adaptée aux populations rurales; c'est l'unique moyen d'exercer ”légalement„ le droit d'association, supprimé en 1791, et restitué partiellement par la loi du 21 mars 1884.
L'association est de droit naturel comme la propriété; elle est le complément nécessaire de l'individu, qui, seul, isolé, sans autres ressources que ses bras, est impuissant à suffire à tous ses besoins, à sauvegarder ses droits, à faire face à toutes les éventualités de la vie; elle est aussi le complément de la famille qu'elle doit également protéger et soutenir dans les moments difficiles.
Cette mission, les corporations l'avaient remplie autrefois: transformées, rajeunies, adaptées aux conditions nouvelles de notre temps, elles la rempliront encore aujourd'hui.
Il n'y a donc pas à hésiter; il faut réagir contre l'esprit d'individualisme et d'égoïsme qui a envahi notre société, il faut former des associations professionnelles, des syndicats. L'expérience est là pour prouver que c'est possible et que c'est facile même, avec un peu de dévouement et de persévérance.
2. Comment peut-on fonder un syndicat? Réunions préparatoires et dépôt des statuts. - Pour fonder un syndicat agricole, il faut d'abord réunir quelques hommes de bonne volonté, intelligents, actifs, dévoués, qui seront les fondateurs de l'association. À la campagne, ce premier groupe est facile à former; l'hiver surtout, le cultivateur est toujours disposé à répondre à une convocation.
C'est le curé, le plus souvent, qui aura l'initiative de cette fondation; et c'est justice, parce qu'elle importe autant au bien moral qu'au bien matériel des populations agricoles.
On expose dans ces réunions la nécessité, les bienfaits de l'association, les services que peut rendre un syndicat, au point de vue des intérêts agricoles, économiques et moraux; on fait connaître ce qui a été fait ailleurs; on communique des statuts, on les discute, on recherche ce qui pourra être fait le plus facilement et le plus utilement dans la région où l'on se trouve.
Les fondateurs ont toute liberté de se réunir sans être exposés aux pénalités des articles 291 et suivants du Code pénal.
Lorsqu'on a arrêté les termes des statuts, on désigne ceux qui seront chargés d'administrer l'association. Leur premier acte devra être de déposer à la mairie deux exemplaires des statuts et la liste des administrateurs choisis. Ces documents seront signés par le président et le secrétaire du syndicat. La date doit être écrite en toutes lettres.
Le dépôt est constaté par un récépissé du maire. Les documents déposés et le récépissé seront écrits sur papier libre.
Une fois ces formalités remplies, le syndicat est fondé, sans qu'il soit nécessaire de demander aucune autorisation. Si le maire refusait de recevoir le dépôt de ces documents ou d'en délivrer récépissé, il faudrait les faire déposer entre ses mains par exploit d'huissier et faire constater en même temps son refus.
3. De l'administration et des statuts. - L'administration est confiée à un conseil syndical, qui comprend un président, un vice-président, un secrétaire, un trésorier et, souvent, trois autres membres. Il est bon que les divers éléments du syndicat y soient représentés.
Le conseil est élu en assemblée générale. Il nomme lui-même son bureau.
Le syndicat est naturellement représenté par le président dans les actes de la vie civile.
Il paraît préférable que le curé soit seulement membre consultatif du conseil. S'il y a d'autres membres consultatifs, ils forment un comité consultatif ou d'arbitrage, qui assiste le conseil de ses lumières et qui joue le rôle d'arbitre quand le conseil est divisé sur une question.
Les statuts officiels peuvent être assez succincts. On y ajoute d'ordinaire un règlement intérieur plus détaillé, qui n'a pas besoin d'être déposé.
Les statuts contiennent les dispositions relatives à la constitution du syndicat, à sa composition, à son objet, à son administration, à ses réunions, à son patrimoine et à sa dissolution.
Le règlement intérieur concerne l'esprit du syndicat, ses fêtes, les détails de son administration et l'emploi de ses ressources.
4. Quelle circonscription convient-il d'assigner à un syndicat agricole? - Il n'est pas possible de donner à cette question une réponse précise. L'étendue à donner à un syndicat dépend des circonstances, des ressources, des besoins des populations. La loi laisse toute latitude à cet égard.
On peut établir un syndicat dans un département, un arrondissement, un canton, un groupe de communes, une vallée, une commune. Cependant, au point de vue social, pour faire d'un syndicat une grande famille, dans laquelle tout le monde se connaît et se sent uni par le lien d'une étroite et cordiale solidarité, il est préférable de fonder des syndicats à circonscription restreinte, des syndicats communaux ou tout au plus cantonaux.
Au point de vue économique, pour annexer facilement au syndicat des institutions d'assistance et de prévoyance, des caisses de famille, des sociétés de secours, des caisses rurales de crédit, des lieux de réunion, etc., il ne faut pas que les syndicats soient trop étendus.
5. Qui peut faire partie d'un syndicat agricole? - Aux termes de l'article 2 de la loi du 21 mars 1884, peuvent faire partie d'un syndicat toutes personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés.
Par conséquent, au point de vue agricole, toutes les personnes qui cultivent la terre ou en recueillent directement les produits, le propriétaire grand ou petit, exploitant ou non son domaine, le fermier, le métayer, «l'homme qui entretient le plus modeste potager», le vigneron, l'horticulteur, le maraîcher, le jardinier-fleuriste, le sylviculteur, l'éleveur, appartiennent à la même profession et peuvent entrer dans le même syndicat.
Dans les métiers similaires de l'agriculture on peut classer les industries se rattachant directement à la terre, comme les sucreries, les distilleries, les fromageries; et dans les professions annexes, celles des vétérinaires, professeurs d'agriculture, constructeurs d'instruments agricoles, marchands d'engrais, bourreliers, charrons, maréchaux-ferrants. Il ne faut pas cependant trop étendre le nombre des professions similaires ou connexes, d'autant plus qu'à la campagne, bien petit est le nombre de ceux qui ne possèdent pas un coin de terre à un titre quelconque.
Les femmes, les mineurs, les étrangers peuvent faire partie d'un syndicat agricole. Cependant la loi exige que les administrateurs du syndicat soient français et jouissent de leurs droits civils.
Il est bien entendu que les simples journaliers en peuvent faire partie. Leur présence fait de nos syndicats ruraux des syndicats mixtes, composés de patrons et d'ouvriers.
On peut statuer qu'il y aura toujours un ou plusieurs journaliers dans le conseil syndical et qu'ils seront élus par leurs pairs.
Les patrons et les journaliers peuvent former des sections différentes et payer des cotisations proportionnées, ceux-ci jouissant seuls des secours de la caisse de famille ou d'autres œuvres d'assistance.
6. Quel genre d'opérations peut faire un syndicat agricole? - Le champ ouvert à son activité est très vaste. Le syndicat peut accomplir tous les actes, fonder toutes les institutions ayant pour objet les intérêts professionnels et économiques de ses membres. Il n'a que l'embarras du choix entre les diverses œuvres dont il peut s'occuper.
Par quoi est-il préférable de débuter?
À cet égard, on ne peut rien dire d'absolu. Dans tel pays, c'est une chose qui réussira le mieux; ailleurs, c'est une autre. Chaque syndicat appréciera.
Nous allons énumérer les divers services que les syndicats agricoles rendent le plus souvent au point de vue professionnel, économique, moral et social.
Enseignement agricole. - Un syndicat agricole peut étudier théoriquement et pratiquement toutes les questions qui intéressent l'agriculture et vulgariser l'emploi des meilleures méthodes. Il peut organiser des cours ou demander des conférences aux hommes compétents. Il peut publier ou recevoir un bulletin spécial.
Champs d'expérience. - Plusieurs syndicats ont organisé des champs d'expérience, dans lesquels sont essayées les variétés nouvelles de céréales, de pommes de terre, etc., les instruments perfectionnés, les différentes sortes de fumures.
Achat des matières et objets utiles à l'agriculture. - Ce n'est pas tout de faire connaître les bonnes méthodes, il faut en faciliter l'application. Tous les syndicats se sont efforcés de procurer à leurs membres, à des conditions meilleures de prix et de qualité, les choses dont ils pouvaient avoir besoin dans l'exercice de leurs fonctions: instruments agricoles, semences, engrais, etc. Quelques syndicats ont servi simplement d'intermédiaires pour ces achats; d'autres ont ouvert eux-mêmes des magasins dans lesquels leurs membres viennent s'approvisionner.
Ces opérations n'obligent nullement les syndicats à la patente.
Quelques syndicats se sont occupés aussi de la vente des produits, mais cette opération a paru généralement plus difficile.
Institutions d'assistance et de prévoyance. - La Loi de 1884 donne aux syndicats le droit d'établir des sociétés coopératives, des caisses de secours mutuels et de retraite.
Un syndicat peut fonder pour ses membres une société de secours mutuels sans avoir à demander aucune autorisation. Il faut seulement que l'administration et la caisse de la société de secours mutuels soient distinctes de celles du syndicat. De plus, toute personne qui se retire d'un syndicat conserve le droit d'être membre des sociétés de secours et de pension à l'actif desquelles elle a contribué par des versements.
Une forme populaire de la société de secours mutuel est la caisse de famille, à laquelle prend part toute la famille, même les enfants. Assurances. - Au point de vue des assurances, les syndicats agricoles peuvent aussi rendre de réels services à leurs sociétaires qui désirent s'assurer contre la grêle, les accidents, l'incendie.
Les syndicats pourront renseigner leurs membres sur la valeur des diverses Sociétés qui sollicitent leurs assurances, et, au besoin, leur servir d'intermédiaire auprès d'elles.
Bon nombre de compagnies d'assurances sont disposées à considérer les syndicats comme des agents et à les faire bénéficier d'importantes remises.
Quelques syndicats ont organisé eux-mêmes des caisses d'assurance ou de secours mutuels contre la mortalité du bétail.
Sociétés de crédit mutuel. - Une des œuvres les plus utiles que puissent encore établir les syndicats sont les sociétés ou caisses de crédit, qui procureront à leurs membres le moyen de trouver de l'argent à un taux modéré, lorsqu'ils en auront besoin pour un emploi professionnel, tel qu'achat de semences, d'engrais, de bétail. Nous indiquons dans un autre chapitre le fonctionnement des caisses de crédit selon le système Durand-Raiffeisen.
Lieu de réunion, buvette. - Un lieu de réunion est un accessoire très utile pour le fonctionnement d'un syndicat. Rien n'empêche les syndicats de l'organiser, pour l'utilité et l'agrément de leurs membres.
C'est là que seront affichés tous les avis, que se feront toutes les commandes et les règlements de comptes, que l'on s'inscrira pour l'emploi des divers instruments, prêtés ou loués par le syndicat, que l'on demandera et recevra une foule de renseignements utiles. Sans compter que l'on pourra y trouver des consommations saines à un prix avantageux et s'y reposer aux jours de fête des travaux de la semaine.
Arbitrage, paix sociale. - Au point de vue moral et social, les syndicats ont rendu aussi de nombreux services aux populations rurales. Ils ont contribué à résoudre pacifiquement, par leur arbitrage, bien des difficultés, bien des litiges, qui, sans leur intervention, se seraient aggravés et auraient fait naître de ces procès qui jettent le trouble dans les familles et les ruinent.
Depuis que riches et pauvres, grands et petits propriétaires, fermiers, métayers, ouvriers, se sont rencontrés dans les syndicats, bien des préjugés ont disparu, bien des envies se sont éteintes, bien des amitiés se sont formées entre gens qui se connaissaient à peine autrefois, et qui n'avaient que peu ou point de sympathie les uns pour les autres.
Les syndicats sont la digue la plus solide à opposer au socialisme qui menace de tout envahir et de tout détruire, et leur action, au point de vue social, peut être des plus efficaces et des plus fécondes.
7. Le patrimoine des syndicats. Sa nécessité. - Les syndicats ne doivent jamais perdre de vue la nécessité de se constituer un patrimoine, lequel leur est indispensable pour se développer, pour augmenter le nombre et l'importance de leurs services et surtout pour fonder des institutions d'assistance et de prévoyance, qui doivent être l'objet constant de leurs préoccupations et de leurs efforts.
Sa nature. - La loi du 21 mars 1884 donne aux syndicats le droit de posséder; mais, si grandes sont encore les préventions contre la propriété collective, que le législateur ne leur a pas permis «d'acquérir d'autres immeubles que ceux qui sont nécessaires à leurs réunions, à leurs bibliothèques et à des cours d'instruction professionnelle» (art. 6).
Il résulte de cet article que les syndicats peuvent posséder des champs d'expérience et les immeubles nécessaires à leur fonctionnement, tels que bureaux, magasins, entrepôts.
Par contre, ils peuvent, sans aucune limitation, posséder des meubles et valeurs mobilières de toute espèce, rentes, obligations, créances, machines et instruments agricoles, etc.
Formation du patrimoine syndical. - Le patrimoine des syndicats peut se former.
a. Par les cotisations des membres et par les droits d'entrée. L'article 6 de la loi du 21 mars 1884 dit formellement que les syndicats peuvent ”employer„ les sommes provenant des cotisations. Ils ne sont donc pas tenus de les consacrer à couvrir leurs frais généraux, auxquels ils peuvent faire face par une légère majoration sur les marchandises qu'ils procurent à leurs membres.
b. Par des acquisitions à titre onéreux. Les syndicats ayant la personnalité civile peuvent acheter, vendre, accomplir tous les actes légaux conformément à la Loi de 1884.
c. Par des acquisitions à titre gratuit. Il semble, d'après la loi que les syndicats puissent recevoir des libéralités testamentaires.
Cependant, ceci est contesté par une circulaire ministérielle, et les parquets ne permettent pas qu'on indique cette source d'acquisition dans les statuts.
Les syndicats peuvent recevoir des dons ou subventions des particuliers, de l'État, des départements et des communes.
Ils ont aussi la faculté de s'adjoindre, sous des titres laissés à leur choix, «membres honoraires, donateurs, bienfaiteurs», etc., des membres qui versent annuellement une cotisation plus élevée que celle des autres membres, ou qui font don à la société d'une somme une fois versée.
Toutefois, les bienfaiteurs ne peuvent être en même temps membres actifs du syndicat que s'ils remplissent, les conditions professionnelles requises par la loi, sinon ils seront simplement des bienfaiteurs, étrangers à l'association.
8. Les syndicats et la représentation de l'agriculture. - Les syndicats peuvent aussi défendre et servir les intérêts généraux de l'agriculture. De toutes les professions, l'agriculture est la seule qui n'ait pas de représentation légale. Les industriels et les commerçants ont les chambres de commerce. Les professions libérales, les notaires, avoués, avocats ont leurs chambres ou conseils. L'agriculture n'est pas représentée. Elle trouvera dans les syndicats une représentation libre, autorisée, probe, compétente, prête à parler en son nom et à porter aux pouvoirs publics ses revendications toutes les fois que les intérêts agricoles sont enjeu.
À plusieurs reprises déjà, les syndicats ont élevé la voix au nom des agriculteurs. Ils ont pu obtenir quelque protection pour les produits agricoles et quelque allègement pour l'impôt. Mais leur action sera d'autant plus puissante et efficace, qu'ils seront plus florissants et qu'ils se multiplieront davantage.
9. Les unions de syndicats. - L'association multiplie la force des individus. Les unions, les fédérations décuplent la force des syndicats.
L'expérience en est faite; et quoique le législateur ait refusé la personnalité civile aux unions et les ait privées ainsi d'un puissant moyen d'action, elles n'en ont pas moins rendu aux syndicats d'immenses services.
C'est grâce à leurs unions départementales ou régionales que les syndicats agricoles ont pu jusqu'à présent procurer à leurs membres la plupart des avantages que nous avons énumérés: passer des marchés avantageux, fonder des coopératives, publier des bulletins et des almanachs à un bon marché surprenant.
C'est grâce à l'Union centrale des agriculteurs de France, dont le siège est à Paris, que les délégués des syndicats ont pu, à maintes reprises, avoir accès auprès des pouvoirs publics, leur faire entendre les vœux, les volontés des agriculteurs et remplir ainsi leur mission de représentants de l'agriculture.
10 Conclusion. - L'agriculture est la plus grande force morale, matérielle et sociale du pays; la prospérité de la patrie est intimement liée à sa prospérité.
C'est donc faire œuvre patriotique que de travailler au relèvement de l'agriculture; et le meilleur moyen d'y travailler, nous espérons l'avoir démontré, c'est de grouper, d'associer les agriculteurs, de multiplier les syndicats.
Grâce à eux, la terre deviendra plus riche et plus féconde; la profession agricole reprendra la place d'honneur parmi les professions ; les jeunes gens qui ont tendance à la délaisser apprendront à l'honorer et à l'aimer.
Ils lui redeviendront fidèles et on reverra se multiplier et prospérer ces nombreuses et fortes familles rurales, qui donnent au pays ses meilleurs citoyens et à l'armée ses plus vaillants soldats.
APPENDICE I
Article premier. - Sont abrogés la Loi des 14,17 juin 1791 et l'article 416 du Code pénal.
Les articles 291, 292, 293, 294 du Code pénal et la loi du 10 avril 1834 (sur les associations ou réunions illicites) ne sont pas applicables aux syndicats professionnels.
Article 2. - Les syndicats ou associations professionnelles, même de plus de 20 personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés, pourront se constituer librement sans l'autorisation du gouvernement.
Article 3. - Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles.
Article 4. - Les fondateurs de tout syndicat professionnel devront déposer les statuts et les noms de ceux qui, à un titre quelconque, seront chargés de l'administration ou de la direction. Ce dépôt aura lieu à la mairie de la localité où le syndicat est établi, et à Paris, à la préfecture de la Seine.
Ce dépôt sera renouvelé à chaque changement de la direction ou des statuts.
Communication des statuts devra été donnée par le maire ou par le préfet de la Seine au procureur de la République.
Les membres de tout syndicat professionnel chargés de l'administration ou de la direction de ce syndicat devront être français et jouir de leurs droits civils.
Article 5. - Les syndicats professionnels, régulièrement constitués d'après les prescriptions de la présente loi, pourront librement se concerter pour l'étude et la défense de leurs intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles.
Ces unions devront faire connaître, conformément au deuxième paragraphe de l'article 4, les noms des syndicats qui les composent.
Elles ne pourront posséder aucun immeuble ni ester en justice.
Article 6. - Les syndicats professionnels de patrons ou d'ouvriers auront le droit d'ester en justice.
Ils pourront employer les sommes provenant des cotisations.
Toutefois, ils ne pourront acquérir d'autres immeubles que ceux qui seront nécessaires à leurs réunions, à leurs bibliothèques et à des cours d'instruction professionnelle.
Ils pourront, sans autorisation, mais en se conformant aux autres dispositions de la loi, constituer entre leurs membres des caisses spéciales de secours mutuels et de retraites.
Ils pourront librement créer et administrer des offices de renseignements pour les offres et les demandes de travail.
Ils pourront être consultés sur tous les différends et toutes les questions se rattachant à leur spécialité.
Dans les affaires contentieuses, les avis du syndicat seront tenus à la disposition des parties, qui pourront en prendre communication et copie.
Article 7. - Tout membre d'un syndicat professionnel peut se retirer à tout instant de l'association, nonobstant toute clause contraire, mais sans préjudice du droit pour le syndicat de réclamer la cotisation de l'année courante.
Toute personne qui se retire d'un syndicat conserve le droit d'être membre des sociétés de secours mutuels et de pensions de retraite pour la vieillesse à l'actif desquelles elle a contribué par des cotisations ou versements de fonds.
Article 8. - Lorsque les biens auront été acquis contrairement aux dispositions de l'article 6, la nullité de l'acquisition ou de la libéralité pourra être demandée par le procureur de la République ou par les intéressés. Dans le cas d'acquisition à titre onéreux, les immeubles seront vendus, et le prix en sera déposé à la caisse de l'association. Dans le cas de libéralité, les biens feront retour aux déposants ou à leurs héritiers ou ayants cause.
Article 9. - Les infractions aux dispositions des articles 2, 3, 4, 5 et 6 de la présente loi seront poursuivies contre les directeurs ou administrateurs des syndicats et punies d'une amende de 16 à 200 francs. Les tribunaux pourront, en outre, à la diligence du procureur de la République, prononcer la dissolution du syndicat et la nullité des acquisitions d'immeubles faites en violation des dispositions de l'article 6.
Au cas de fausse déclaration relative aux statuts et aux noms et qualités des administrateurs ou directeurs, l'amende pourra être portée à 500 francs.
Article 10. - La présente loi est applicable à l'Algérie.
Elle est également applicable aux colonies de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion. Toutefois, les travailleurs étrangers et engagés sous le nom d'immigrants ne pourront faire partie des syndicats.
APPENDICE II
===PROJETS DE STATUTS POUR UN SYNDICAT AGRICOLE COMMUNAL===
Article premier. - Une association syndicale est formée entre les propriétaires, cultivateurs, fermiers, domestiques, journaliers et ouvriers de culture ou de professions connexes, domiciliés dans la commune ou y possédant des propriétés, et adhérant aux présents statuts.
Article 2. - Elle prend le nom de syndicat agricole et horticole de la commune de X…, et se place sous le patronage de saint…, dont la fête sera célébrée chaque année au jour fixé par le conseil.
Article 3. - Elle est régie par la loi du 21 mars 1884, sur les syndicats professionnels, et elle commence à exister du jour du dépôt légal de ses statuts.
Article 4. - L'association a pour objet l'union fraternelle de ses membres, l'étude et la défense des intérêts agricoles.
Article 5. - Elle a pour but spécial:
Article 6. - Le nombre des sociétaires est illimité. Pour faire partie du syndicat, il faut être présenté par deux membres et admis par le conseil.
Article 7. - Nul ne peut faire partie du syndicat s'il ne jouit pas d'une réputation irréprochable au point de vue des mœurs et de la probité.
Article 8. - Le syndicat comprend des membres titulaires et des associés.50)
Article 9. - Les membres titulaires (propriétaires, fermiers et patrons) payent une cotisation double et n'ont pas droit aux secours de la caisse de famille.
Article 10. - Le syndicat peut avoir des membres honoraires ou souscripteurs qui l'aident par leurs cotisations annuelles, mais ils ne peuvent prendre part à l'administration du syndicat ni à ses réunions.
Article 11. - Tout membre du syndicat est libre de s'en retirer, en notifiant sa démission au président.
Article 12. - Il perd alors ses droits au patrimoine corporatif, mais il doit payer la cotisation de l'année courante. Il conserve le bénéfice du second alinéa de l'article 7 de la loi du 21 mars 1884.
Article 13. - Le syndicat est administré par un conseil syndical composé de: un président, un ou deux vice-présidents, un trésorier, un secrétaire et deux autres membres.
Article 14. - Le conseil syndical est élu en assemblée générale tous les trois ans. Ses membres sont rééligibles et leurs fonctions sont gratuites. Au troisième tour, la majorité relative suffit. Il nomme lui-même dans son sein le bureau, c'est-à-dire le président, les vice-présidents, secrétaire et trésorier.
Article 15. - Le conseil se réunit régulièrement tous les mois, mais le président peut le convoquer extraordinairement.
Il statue sur les demandes d'admission; il convoque les réunions générales; il prend toutes les mesures propres à assurer les avantages moraux et matériels du syndicat.
Article 16. - Le conseil peut pour des raisons graves dont il est seul juge prononcer l'exclusion d'un membre. Par le fait de cette exclusion, le membre qui en a été l'objet est assimilé au membre démissionnaire (art. 12).
Article 17. - Le conseil désigne chaque année 3 ou 5 personnes qui forment un conseil d'arbitrage devant lequel sont portés les différends qui surgissent dans la profession. Ces personnes peuvent être prises en dehors du syndicat.
Article 18. - Le président a voix prépondérante en cas de partage. Il représente le syndicat dans toutes les relations officielles. Il signe les procès-verbaux et les actes divers du syndicat. Il est chargé d'ester en justice s'il y a lieu. Tout acte engageant le syndicat doit porter la signature du président et d'un autre membre du conseil d'administration. Le conseil d'administration peut nommer, sous sa responsabilité, un gérant, même non syndiqué.
Article 19. - Le conseil pourvoit à l'installation des locaux du syndicat. Il peut organiser des conférences et une bibliothèque.
Article 20. - Les ressources se composent des cotisations des associés, des souscriptions des bienfaiteurs et des membres honoraires, et d'une retenue sur les profits des opérations syndicales.
Article 21. - La cotisation est de…, elle se paye dans les trois premiers mois de l'année (ou par mensualités).
Article 22. - Le conseil d'administration dresse le bilan et arrête les comptes au 31 décembre de chaque année. Bilan et comptes doivent être à la disposition de tout syndiqué, au siège du syndicat, à dater du premier février.
Article 23. - Les dépenses comprennent les frais de correspondance, de publicité, de magasinage, d'analyse, etc. Le surplus constitue un fonds de réserve qui pourra être employé pour les intérêts généraux de l'association et pour doter la caisse de secours ou de famille, ou déposé à la caisse rurale.
Article 24. - L'assemblée générale annuelle se tiendra le… dimanche de février. Il y sera rendu compte par le bureau des opérations de l'année et de la situation financière du syndicat.
L'assemblée générale est convoquée par lettres personnelles adressées aux sociétaires au moins huit jours avant la réunion.
Une assemblée générale extraordinaire peut être réunie toutes les fois que le conseil le juge nécessaire.
Article 25. - Le syndicat pourra être uni, par simple décision du conseil d'administration, à un ou plusieurs syndicats pour former une union, ainsi qu'à une ou plusieurs unions de syndicats. Il donne par les présents statuts plein pouvoir à son conseil d'administration pour faire à cet effet toutes les démarches nécessaires.
Article 26. - Le présent règlement pourra être modifié, s'il y a lieu; mais toute modification devra être votée d'abord par le conseil et ensuite par les deux tiers de l'assemblée générale.
Article 27. - Le siège social est à X...
Article 28. - Les statuts ont été déposés à la mairie de X… le…
Article 29. - La dissolution pourra être votée dans les mêmes conditions que la révision des statuts.
Article 30. - En cas de dissolution, l'assemblée générale réunie à cet effet décidera l'emploi des fonds pouvant rester en caisse en faveur d'une œuvre d'assistance ou d'intérêt agricole, sans que jamais la répartition puisse être faite entre les syndiqués.
Fait à………………………… le……………
mil huit cent…………………………
Le Président,
Le Secrétaire
APPENDICE III
Article premier - Admission: Outre les conditions professionnelles ordinaires, il faut, pour être admis:
Etre respectueux pour les convictions religieuses.
Avoir publiquement bonnes vie et mœurs.
N'avoir été frappé d'aucune condamnation judiciaire réprouvée par la conscience publique.
Sont exclus, par conséquent, les concubinaires et autres débauchés publics.
Article 2 - Obligations morales: Le syndicat, voulant contribuer au bien moral de ses membres, qui est d'ailleurs la garantie de leur bien-être matériel, ses membres devront respecter les lois de l'Église sur l'observation du dimanche et éviter le blasphème.
Ils ne prendront part à aucune réunion ou société antireligieuse.
Les patrons, loin d'entraver la pratique religieuse de leurs subordonnés, la favoriseront.
Article 3 - Fêtes et cérémonies: Les associés assisteront en corps à leur fête patronale et à la messe annuelle qui sera dite pour leurs défunts.
Ils prendront part aux fêtes de corporations: saint Eloi et saint Jean-Baptiste pour les agriculteurs, saint Nicolas et sainte Catherine pour la jeunesse.
(Certains syndicats ont une messe spéciale le premier dimanche de chaque mois).
Article 4. - Œuvres et institutions connexes: Le conseil syndical organisera une caisse de famille, une caisse de secours pour les vieillards, un office de renseignements juridiques et autres, et des conférences instructives.
Article 5 - Collectes des cotisations: Des dizainiers seront désignés pour faciliter la collecte des cotisations. Ils seront aussi chargés de visiter les malades et de leur remettre des bons de visite pour les médecins.
Article 6. - Amendes: Pour procurer l'observation des statuts, le conseil peut imposer des amendes variant de 0 franc 50 à 1 franc.
Article 7 - Local du syndicat: Le conseil détermine les jours et heures d'ouverture du local syndical. Il réglemente l'usage des livres et journaux.
Article 8// - Funérailles: //Le syndicat assiste en corps aux funérailles de ses membres. Sa bannière y est portée.
Article 9 - Conseil d'arbitrage: Les membres du bureau, avec le curé de la paroisse, forment un conseil consultatif et d'arbitrage. Ses décisions font loi dans les différends qui s'élèvent entre les syndiqués sur des questions professionnelles.
Dans certaines paroisses, le conseil de patronage et d'arbitrage est pris tout entier en dehors du syndicat. Il se compose du curé et de quelques notables qui ont concouru à la fondation du syndicat.
- M. DE GAILHARD-BANCEL, Petit Manuel pratique des Syndicats agricoles, chez Maison de la Bonne Presse, 5, rue Bayard, 1 franc, franco.
- M. J. BOULLAIRE, Manuel des syndicats professionnels agricoles, par, chez Marescq, 20, rue Soufflot, Paris, 3 francs.
- Bulletin du syndicat central des agriculteurs de France, 19, rue Louisle-Grand, Paris. Paraissant deux fois par mois. Un an: 4 francs. Pour les membres des syndicats unis: 2 francs.
- CLAUDE SYLVESTRE, Monographie de l'Union du Sud-Est des syndicats agricoles. Aux bureaux de l'Union du Sud-Est, 9, rue du Garet, Lyon, 3 francs.
- Compte rendu du Congrès des syndicats agricoles, tenu à Lyon en août 1894. Aux mêmes bureaux, 3 francs 50.
- FONTAN, Les machines agricoles à la portée de tous au moyen du syndicat d'industrie agricole, librairie catholique, 19, place Marcadieu, Tarbes, 0 franc 45.
- DURAND L., Manuel pratique à l'usage des fondateurs et administrateurs des Caisses rurales, 5, rue Bayard, Paris, 1 franc 30, franco
- Bulletin mensuel de l'Union des Caisses rurales, 97, avenue de Saxe, Lyon, 2 francs par an
CHAPITRE V
1. Son importance. - C'est l'œuvre des œuvres actuellement. Voudra-t-on enfin le comprendre partout?
Pie IX et Léon XIII nous l'ont dit assez. On ne compte plus leurs encouragements aux journaux catholiques et spécialement au journal populaire La Croix et à ses comités de propagande.
Pour les curés surtout, c'est l'œuvre réservée par Dieu au temps présent.
Quelles que soient les œuvres que l'on fasse, on ne peut sauver la France qu'en la délivrant, dans les racines, d'un mal destructeur de toutes les bonnes œuvres.
Ce mal, c'est la ”presse impie„, et même la ”presse indifférente„, colportée dans les moindres hameaux et dans toutes les agglomérations ouvrières. Cette calomnie quotidienne, cet athéisme pratique, aidés par le roman sensuel ou obscène, réduisent à néant tout ce que l'on fait à l'école, au patronage, au cercle, à l'église ou dans les bonnes conférences du soir.
Aucune de ces excellentes œuvres n'a eu de fruit durable qu'autant qu'on a pu écarter ce fléau.
Il n'y a plus que de rares îlots, çà et là, qui ne soient pas inondés, et, devant ce déluge, de placides conservateurs se résignent en disant: «Il n'y a rien à faire, le monde est perdu».
On a eu beau protester et leur dire que la diffusion d'un bon journal populaire, dans des conditions de bon marché que les autres ne pourraient pas atteindre, pouvait dessécher ce déluge. On l'a prouvé par des exemples fournis par le journal La Croix. Beaucoup ne se sont pas encore rendus, mais ils y arriveront avec la grâce de Dieu.
Si nous voulons connaître le moyen d'acquérir une véritable influence sociale, allons à l'école des Juifs, ils s'y connaissent.
Eh bien! lorsque Crémieux fonda L'Alliance israélite pour enjuiver le monde, quel moyen mit-il en œuvre?
«Il ne nous faut, disait-il à ses coreligionnaires, qu'une seule arme, qui est toute-puissante. Quand nous l'aurons, le monde sera à nous». Quelle était cette arme?
«Ce n'est pas l'argent, ce ne sont pas les places, ce n'est pas la considération publique. Mettez tout cela au second plan, leur disait-il, mais avant tout, „emparez-vous de la presse!”. La presse, c'est tout. Ayant la presse, nous aurons tout le reste».
L'Alliance israélite accepta le programme de Crémieux. Elle mit la conquête de la presse au premier rang de ses préoccupations. Elle y dépensa son argent et sa peine.
Elle a conquis la presse, et, avec la presse, elle a eu tout le reste: l'argent, les places, la considération, l'influence.
Elle a pu ainsi enjuiver la France, car la France que nous avons devant nous, cette France dont la vue arrache nos larmes et crispe nos nerfs, c'est la France enjuivée. C'est la France telle que l'a faite la presse juive.
C'est L'Alliance israélite de Crémieux qui nous a menés où nous sommes. Nous sommes devenus les vassaux du Juif. Et si quelque seigneur du moyen âge oublia les nobles traditions de la féodalité, jamais cependant il n'a traité ses hommes liges avec autant de tyrannie et de mépris que nous en essuyons du Juif.
Allons à l'école de ce vainqueur, qui a détruit tout l'ordre social chrétien, qui a détruit toute l'énergie du caractère français, qui a déchristianisé, humilié, subjugué la France. Examinons son arme, étudions sa tactique. A son exemple, mettons la presse au premier rang de nos moyens d'action. Toutes les œuvres marcheront quand nous aurons la presse. Sans la presse, toutes les œuvres périront.
2. Objections. - Il y en avait des montagnes. Elles disparaissent une à une. «C'est impossible, disait-on, cela ne prendra pas, ce n'est pas l'affaire des prêtres de s'occuper des journaux». Et en s'arrêtant devant ces difficultés imaginaires, on laissait le mal s'aggraver, la foi se perdre et la patrie courir aux abîmes.
Non, ce n'est pas impossible. Ce n'est pas même difficile. Il faut cependant se donner un tout petit peu de peine pour faire de la propagande. Mais quelle lâcheté ce serait de s'arrêter devant ces petits sacrifices, quand il s'agit d'un si grand bien à faire!
Le temps est passé où l'on voulait reléguer le prêtre et même les pieux fidèles à la sacristie. L'unité de la foi est perdue. La France est maintenant un champ de missions, où il faut combattre avec toutes les armes qui sont en notre pouvoir.
La presse catholique d'ailleurs ne fait plus d'opposition à la forme du gouvernement, le clergé des paroisses lui-même peut donc s'en faire le propagateur. Elle n'est plus qu'un moyen d'apostolat.
3. Principaux journaux. - À quelle publication donner la préférence pour combattre la mauvaise presse? Comme publication populaire, La Croix est sans conteste au premier rang.
Elle ne coûte que 1 ou 2 centimes, suivant la grandeur du format (petit ou grand).
Elle n'est inféodée à aucun parti.
Elle est franchement et par-dessus tout catholique.
Elle ne publie jamais aucun feuilleton qui ne puisse être lu même par des enfants.
Elle est très bien informée; sa rédaction est intéressante.
Elle arbore crânement le crucifix; ceux qui la reçoivent font par là même un acte de foi.
Elle a conquis largement sa place. La Croix quotidienne tire aujourd'hui à près de 200.000 exemplaires.
À côté de La Croix quotidienne, il y a La Croix du Dimanche, doublée du Laboureur, La Croix des Marins, le Pèlerin, la Vie des Saints et les Causeries du Dimanche, etc., etc.
La Croix du Dimanche tire actuellement à 520.000; la Vie des Saints à 300.000, les Causeries du Dimanche à 125.000, le Pèlerin à 280.000.
La Croix quotidienne convient aux villes et aux bourgades, La Croix du Dimanche aux agglomérations rurales et ouvrières.
Il y a aussi les Croix régionales, qui complètent La Croix de Paris et qui donnent les nouvelles locales.
4. La méthode. - Il faut d'abord, évidemment, une personne de bonne volonté - homme actif ou dame dévouée - ou bien un petit comité.
On a ensuite facilement un ou plusieurs porteurs, en les payant, en leur donnant par exemple 1 centime par numéro vendu et, quelquefois, une petite indemnité par chaque abonnement nouveau.
Dans nombre de localités, des Chevaliers de La Croix et des Pages du Christ font la propagande et la distribution par pur dévouement.
On peut faire connaître le journal par des prospectus, que l'on trouve aux bureaux de La Croix. Ils sont alléchants, suggestifs. En demander un stock.
On peut, pour commencer, distribuer quelques numéros gratuitement. L'administration de La Croix vous aidera, en vous faisant ”gratuitement„ six envois consécutifs de La Croix quotidienne, ou trois envois hebdomadaires de La Croix du Dimanche ou du Pèlerin.
Après la distribution des prospectus et des numéros spécimens, il faut aller chercher les abonnements. Un porteur peut le faire. Nous connaissons des cantons où les curés ont fait eux-mêmes la visite de leur paroisse pour recommander l'abonnement à la Vie des Saints, aux Causeries, à La Croix du Dimanche ou au Pèlerin. Ils ont eu un succès complet.
L'abonnement à la semaine ou au mois est le meilleur système; la vente au numéro réussit peu.
Dans certaines régions, La Croix du Dimanche, avec ses annexes: Vie des Saints, Causeries et Croix locale, se vend à la porte de l'église à la sortie de la messe.
Comme début de propagande, l'expérience démontre qu'on peut très avantageusement commencer par le Pèlerin qui aide puissamment à la diffusion de La Croix et des autres publications, tant par la facilité avec laquelle il se vend que par les bénéfices qu'on en peut retirer pour la propagande. On le fait connaître au moyen de tracts que la Maison de la Bonne Presse tient à la disposition des comités, comme pour La Croix du Dimanche, les trois premiers envois du Pèlerin sont accordés gratuitement.
Le Pèlerin, par minimum de 10 exemplaires expédiés par la poste à une seule et même adresse, revient franco à 4 centimes et demi l'exemplaire, ce qui ne laisse qu'un demi centime par exemplaire s'il est vendu 0 franc 05 par les comités. Mais à partir de 10 exemplaires, le Pèlerin est laissé, en effet, à 2 centimes et demi, plus le port. Or, celui-ci, qui est de 0 franc 02 l'exemplaire par la poste, n'est plus que de 0 franc 50 pour un colis postal de 3 kilos, qui peut contenir jusqu'à 100 exemplaires du Pèlerin. De sorte que 100 numéros coûtent:
2 francs 50 + 0 franc 60 = 3 francs 10
et peuvent être vendus au minimum 5 francs, soit une différence de près de 2 francs qui peut pourvoir aux frais de distribution et de propagande. La vente du Pèlerin se fait d'abord à la sortie de la messe, à domicile ensuite.
Le Pèlerin, illustré en couleurs, obtient un succès toujours croissant, grâce à ses actualités religieuses, humoristiques et satiriques.
5. L'œuvre à la campagne. - Est-elle possible?
Evidemment, puisqu'elle se fait.
Dans tous les centres desservis par une gare, la propagande peut se faire comme à la ville. Le ”colis postal„ permet de donner le journal de bon matin et à très bon marché.
Il suffit de trouver une personne qui consente à s'occuper de l'œuvre et un porteur.
Il faut arriver à un chiffre de 100 abonnés (le colis postal de 3 kilos contient 100 Croix grand format; si l'on reçoit La Croix petit format, le colis postal en contient 200); autrement, les frais de port augmenteraient notablement le prix du journal.
Avec le système du colis postal, on peut vendre La Croix quotidienne petit format 0 franc 15 par semaine. On peut même, à la campagne, donner La Croix du Dimanche petit format avec la Vie des Saints ou les Causeries pour 0 franc 15 par mois, le Pèlerin pour 0 franc 20 par mois.
Afin d'obtenir ce résultat, on groupe au besoin deux ou trois villages assez rapprochés pour avoir les 100 ou 200 abonnés. Le comité le plus voisin d'une gare reçoit le colis postal; les autres envoient chercher chez lui leur part des numéros.
Si l'on n'avait que 10 abonnés ou même 50, les frais de port augmenteraient le prix de revient du journal; malgré cela néanmoins, La Croix serait encore moins chère que les autres journaux.
Puisque les mauvais journaux parviennent dans les hameaux les plus reculés, pourquoi ne pourrait-on pas y faire parvenir aussi les bons journaux?
Dès que les journaux sont parvenus au village, un enfant peut les distribuer pour très peu de chose.
Il est évident que dans chaque village, il faut une personne qui se charge spécialement de la propagande et qui recueille les abonnements.
6. Comités et propagande. - L'administration de La Croix aime avoir affaire à des comités de propagande. Il est vrai qu'elle n'est pas difficile; elle tient pour comité même une seule personne qui s'occupe de la diffusion de La Croix.
Les comités reçoivent, moyennant 1 franc 50 par an, la Croisade de la Presse, publication hebdomadaire, qui donne les détails de la vie de l'œuvre; ceux qui désirent en outre être au courant de tout ce qui concerne la presse en général ont, pour 3 francs par an, une revue de presse très intéressante: la Chronique de la Bonne Presse.
Les comités seuls peuvent avoir La Croix petit format à 1 centime à partir de 10 numéros et La Croix grand format à 2 centimes le numéro, à partir de 5 numéros, le Pèlerin à 2 centimes et demi à partir de 10 numéros.
De même, ils ont la Vie des Saints et les Causeries du Dimanche à 1 demi centime, à partir de 50 exemplaires.
Pour tout ce qui concerne la propagande, s'adresser au Secrétariat général de la Bonne Presse, 5, rue Bayard, à Paris.
L'œuvre de la bonne presse poursuit un but surnaturel: la gloire de Dieu et le salut des âmes. Elle ne réussit que par les moyens surnaturels. C'est pourquoi les comités adhèrent à cette immense coalition de prières que l'on appelle la Ligue de l'Ave Maria. Ils prient, ils demandent des prières et des communions. Ils font dire une messe mensuelle pour l'œuvre de La Croix.
Pour initier les nouveaux zélateurs à la propagande, il y a des fascicules gratuits.
Étendons notre zèle au delà même de notre paroisse. Suivons l'exemple déjà donné. Provoquons des réunions cantonales.
Les comités cantonaux envoient des délégués dans les paroisses pour gagner des amis à l'œuvre et leur fournir renseignements et documents. Ceux-ci, à leur tour, vont faire l'apostolat à domicile, présenter le bon journal et demander l'abonnement.
Qui seront ces apôtres?
Des curés et des vicaires ont fait eux-mêmes la propagande à domicile pour les Causeries du Dimanche, et le Pèlerin.
À Lille, à Saint-Chamond, au Creusot, ce sont des ouvriers.
À Paris, à Lyon, à Saint-Etienne, ce sont des jeunes gens du monde ou des cercles catholiques.
Ailleurs, ce sont des femmes ou des enfants.
Les Chevaliers de La Croix et les Pages du Christ se multiplient et font des merveilles un peu partout.
Les débuts sont parfois difficiles. Il faut savoir persévérer et continuer la propagande. Le succès vient toujours.
7. Abonnements. - C'est par le bon marché que nous supplanterons les autres journaux.
Dans le plus petit village, on peut trouver 10 abonnés à La Croix petit format.
Dix numéros ensemble expédiés par la poste coûtent 0 franc 10 d'achat et 0 franc 20 de port, soit 0 franc 30. Cela fait 8 francs 10 par mois (27 numéros). - On peut, dans ce cas, demander à chaque abonné 0 franc 20 par semaine, ou 1 franc par mois. Dix abonnements à 1 franc par mois donnent 10 francs. Il reste donc quelque chose pour le porteur ou pour la diffusion d'une autre publication, de La Croix locale, par exemple.
L'envoi par ”colis postal„ est bien préférable, soit pour La Croix quotidienne, soit pour La Croix du Dimanche.
Un colis postal de 3 kilos ne coûte que 0 franc 60 en gare; il peut contenir 100 Croix grand format ou 100 Pèlerins, 200 Croix petit format, ou bien 150 Vies des Saints ou Causeries du Dimanche avec autant de Croix petit format.
Un colis de 5 kilos, coûtant 0 franc 80 en gare, peut contenir 170 Croix grand format ou 170 Pèlerins, 340 Croix petit format, ou bien 250 Vies des Saints ou Causeries du Dimanche avec autant de Croix petit format.
Un colis de 10 kilos, coûtant 1 franc 25 en gare, peut contenir 340 Croix grand format ou 340 Pèlerins, 680 Croix petit format ou bien 500 Causeries du Dimanche ou Vies des Saints avec autant de Croix petit format.
8. Colportage et vente sur la voie publique. - La loi affranchit les colporteurs et distributeurs de l'autorisation préalable; elle les astreint seulement à une simple ”déclaration„ à la mairie de leurs nom, prénoms, profession, domicile, âge et lieu de naissance. De cette ”déclaration„, il leur est délivré gratuitement un récépissé, qui doit être présenté à toute réquisition.
La distribution et le colportage ”accidentels„ (pour prospectus ou numéros spécimens) sont entièrement libres; ils sont exemptés même de la formalité de la déclaration.
Il n'est pas même nécessaire que le colporteur soit Français et jouisse de ses droits civils et politiques.
9. Les résultats. - Quels sont les résultats obtenus au point de vue du bien social?
Il est certain qu'un journal ne transforme pas les idées en un jour. C'est un travail d'autant plus long qu'il rencontre des obstacles plus nombreux et plus sérieux. Il faut du temps pour redresser les idées d'un peuple qui a perdu la foi, qui est endoctriné par les politiciens, démoralisé par la mauvaise presse, qui est victime de l'école sans Dieu et des utopies socialistes.
Quoi qu'il en soit, il est un résultat constaté partout, c'est que, grâce à Dieu, La Croix a brisé, pour beaucoup d'âmes, les liens du honteux esclavage qui les asservissait au respect humain. On s'est habitué à revoir le crucifix, à le tenir dans les mains.
Avec La Croix, l'Évangile rentre aussi dans les maisons des catholiques qui ne le connaissaient plus.
Si l'on demande aux prêtres quel profit ils y ont trouvé, l'un vous dira qu'il y a plus d'hommes à la messe; un autre qu'il y a plus de communions pascales; un autre qu'elle a été un point de départ des œuvres paroissiales, syndicat, caisse de famille, etc.; un autre que les colporteurs des mauvais journaux ont renoncé à venir chez lui.
Il faudrait des volumes pour dire tout le bien accompli. Mettons-nous à l'œuvre. Nous avons dans la bonne presse un des moyens les plus efficaces pour restaurer le règne de Dieu dans les âmes et dans la société.
Autres publications. - Les publications de la Bonne Presse forment un véritable arsenal. Nous ne pouvons donner ici qu'une énumération sommaire des principales.
La Croisade de la Presse, hebdomadaire, indique les meilleures méthodes pour lutter contre l'envahissement de la mauvaise presse par la diffusion de la bonne presse et expose les résultats obtenus. Organe de la propagande.
Le Petit Journal bleu ou Ligue de l'Ave Maria, mensuel, excite à la prière et aux œuvres d'apostolat pour le salut de la France.
Les Questions actuelles, précieuse revue documentaire, très estimée par les hommes d'études, les conférenciers, les journalistes. Chaque semaine une livraison compacte de 32 pages, 5 beaux volumes par an.
Le Cosmos, hebdomadaire illustré, le plus ancien et un des plus estimés des journaux scientifiques.
Les Contemporains publient chaque semaine, en une livraison illustrée de 16 pages grand format, la biographie d'un personnage célèbre. Révision catholique de toute l'histoire moderne.
Le Bulletin des Congrégations est indispensable aux religieux persécutés et à tous leurs défenseurs.
Les Echos d'Orient, revue savante de toutes les graves questions d'Orient.
Les Echos de Notre Dame de France à Jérusalem, mensuel illustré, journal des pèlerins en Terre sainte, anciens, nouveaux, futurs.
Le Mois, revue littéraire et pittoresque, imprimé avec grand luxe, 160 pages, le plus complet et le plus varié des magazines.
Le Noël, hebdomadaire, journal catholique des enfants, très gracieusement illustré, donne le portrait de ses abonnés.
Les Conférences, bimensuelles, nécessaires aux conférenciers, donnent des conférences avec ou sans projections, des canevas et la chronique du mouvement des conférences.
L'Action catholique, mensuelle, offerte gratuitement aux abonnés des Conférences et de la Chronique de la Bonne Presse.
Citons encore La Croix illustrée, Rome, le Laboureur-Revue, la Franc-Maçonnerie démasquée, le Fascinateur, etc.
Tout homme d'œuvres fera bien de consulter le catalogue général de la Bonne Presse et le Manuel de propagande, envoyés gratis et franco à ceux qui en font la demande, 5, rue Bayard, Paris, VIIIe.
CHAPITRE VI
1. Ce que c'est. - La caisse rurale est une association mutuelle des cultivateurs et artisans d'une commune, pour se procurer du crédit. Son but est de prêter à un taux raisonnable de l'argent au cultivateur ou artisan qui en a besoin, pour élever, engraisser du bétail, semer ses terres, acheter des outils, etc. La caisse rurale veut aider le travailleur, encourager et protéger l'agriculteur.
Les caisses rurales ont rendu déjà les plus grands services à l'étranger. On les appelle en Allemagne les caisses Raiffeisen, du nom de leur premier organisateur. Depuis de longues années, elles fonctionnent en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Russie, etc. Il en existe plusieurs milliers. Elles ont réussi partout: aucune n'a jamais fait subir une perte de un centime à ses créanciers ni à ses associés. Toutes ont facilité à leurs membres l'exercice de la profession agricole, en leur fournissant les modestes capitaux nécessaires à une bonne culture et en les délivrant des usuriers.
En France, depuis longtemps, l'opinion publique s'en préoccupait. On songeait comme toujours à une grande administration d'État. Une loi nouvelle a même proposé une organisation qui restera sans doute sur le papier. Mais un avocat catholique de Lyon a introduit chez nous les caisses Raiffeisen, en améliorant encore leur règlement. Des caisses rurales se fondent chez nous, et on les nomme les caisses Durand. En voilà 600 de fondées depuis cinq ans. Elles réussissent partout.51)
2. Leur succès. - Il est merveilleux, la presse le constate. Les évêques les encouragent; le Souverain Pontife lui-même les a spontanément conseillées et louées.
Léon XIII, ayant appris ce qui se passait au diocèse de Tarbes, a voulu envoyer une bénédiction particulière à M. l'abbé Fontan, «qui s'occupe avec un zèle louable et un plein succès de l'Œuvre des caisses rurales».
Il a prié monseigneur l'évêque de Tarbes de communiquer à son diocèse cette preuve de la bienveillance pontificale que le Saint-Père lui envoie, pour le fortifier et l'encourager dans «cette œuvre si merveilleusement appropriée aux besoins de notre époque».
Monseigneur l'évêque de Tarbes, protecteur de monsieur l'abbé Fontan, vient de lui donner un auxiliaire pour cette propagande dans monsieur l'abbé Lafforgue.
Monseigneur l'évêque de Digne, qui réunissait en décembre 1894, au grand séminaire, les prêtres capables de préparer le mouvement des caisses rurales en son diocèse, disait:
«„Notre monde ouvrier”, à nous, ce sont ces petits cultivateurs parmi lesquels nous devons rendre autant que possible l'agriculture florissante, selon une expression du Saint-Père. Nous avons donc surtout à nous occuper des caisses rurales. Aux prêtres de notre diocèse de tâcher de les établir autour d'eux! ils entreront ainsi pleinement dans les vues de leur évêque».
Un journal du boulevard disait à la même époque: «Le crédit agricole tel qu'il naît de lui-même, avec les 200 caisses rurales fondées en un an par monsieur Louis Durand de Lyon, ce sont les paysans, se coalisant pour avoir de l'argent à bon marché, comme nous les avons vus se coaliser dans le syndicat et dans la coopérative pour avoir des marchandises à bon marché.
Syndicat, coopérative, crédit mutuel, telles sont les trois étapes de ce grand mouvement rural que nous avons tenté d'analyser.
Acheter moins cher, vendre mieux, trouver des fonds de roulement pour améliorer leurs cultures. Voilà tout ce que demandent les paysans.
Ils ne rêvent pas le paradis terrestre anarchique dont monsieur Elisée Reclus fait, entre temps, la géographie, ni la terre promise par monsieur Jaurès aux socialistes, mais ils demandent ces trois choses que nous venons de dire; et cela, ni monsieur Reclus, ni monsieur Jaurès ne le leur ont donné.
Mais d'autres se sont levés et se sont mis à la besogne, besogne rude assurément et œuvre de dévouement, mais qui a produit plus de fruit que la vaine rhétorique des orateurs du quatrième État».
Une œuvre qui rallie de pareils suffrages, du haut en bas de l'échelle sociale, depuis le Pape jusqu'à la presse mondaine, en passant par les évêques et les économistes, ne peut être qu'une œuvre de salut.
3. Leur utilité. - Ces caisses rurales sont donc utiles? - Evidemment. Il faut au paysan des capitaux pour travailler, soit pour se livrer à une culture plus intensive et productive, soit même pour les besoins ordinaires: achats d'outils, de bétail, de semences et d'engrais.
Autrefois il empruntait chez son voisin, mais le voisin n'est pas riche et, s'il a des réserves, il se laisse tenter plutôt par les affaires industrielles.
Il y a bien la banque de la ville voisine, mais la banque ne connaît pas le paysan, elle n'aime pas à faire ces prêts minimes qui immobilisent ses capitaux pour de longues périodes. La banque aime les affaires courantes, à trois mois au plus d'échéance. Elle vit de ses commissions, d'ailleurs la banque, avec ses frais de commission et de renouvellement, en arrive à demander de 8 à 10% d'intérêt.
Il y a le Juif et l'usurier qui font leur œuvre néfaste dans nos campagnes, beaucoup plus qu'on ne pense. C'est la ruine de nos petits cultivateurs.
On a essayé des banques agricoles, les banques Schulze en Allemagne, les banques Luzzati en Italie. Ce n'est pas encore le salut. Ces banques ont des actionnaires qui veulent des dividendes et des administrateurs qui coûtent cher. Sur 1.000 banques de ce genre en Allemagne, 200 sont tombées en faillite ou liquidation en dix ans.
Une banque d'État coûtera trop cher aussi.
Le salut, c'est la caisse rurale de crédit mutuel.
4. Leur constitution. - C'est bien simple. Quelques cultivateurs honnêtes et chrétiens, se connaissant entre eux, s'unissent et forment une petite société de crédit mutuel.
C'est très légal. Cela s'appelle en France des sociétés en nom collectif à capital variable. Elles sont régies par le titre 3 de la Loi du 24 juillet 1867.
Il faut commencer à trois seulement, parce que la loi exige autant de copies timbrées de l'acte de société qu'il y a de sociétaires. On commence donc à trois. Ces trois signent l'acte constitutif de la société sur ses trois copies. Les autres sociétaires adhèrent ensuite à la société, ils sont inscrits sur le registre des entrées et sorties, et cela ne coûte rien.
Nous devrions donner ici le modèle des statuts et celui des registres fort simple à tenir. Mais cela se trouve exposé dans une brochure excellente de monsieur Durand lui-même, intitulée: Manuel pratique à l'usage des fondateurs et des administrateurs des caisses rurales. Cela coûte, franco, 1 franc 30, soit à la Maison de la Bonne Presse, 5, rue Bayard, à Paris, soit chez l'auteur, à Lyon, 97, avenue de Saxe. Cette brochure est indispensable pour les fondateurs et administrateurs.
5. Responsabilité des sociétaires. - En droit, tous les associés sont solidaires et responsables des prêts qui sont faits. Mais qu'on ne s'effraye pas, la responsabilité est, en fait, sans inconvénients, et aucun sociétaire n'a jamais rien perdu.
En effet, les sociétaires se connaissent. Ils appartiennent tous à la même commune. Ils sont choisis et ne se recrutent que parmi les honnêtes gens. Ils ne prêtent que prudemment, aux associés seuls et dans un but déterminé. Jamais on ne fait de prêts de simple consommation. On fait des prêts qui aident à la production par des achats d'instruments, d'engrais, de bétail, de semences, etc.
La caisse a d'ailleurs bientôt une réserve, comme nous le verrons tout à l'heure, et si quelque perte survenait, elle serait bientôt couverte.
6. Fonctionnement. - La caisse n'a pas de capitaux d'avance. Quand elle juge un prêt opportun, elle emprunte elle-même pour prêter. Elle trouve facilement des fonds à un taux modéré, 3%, 3,5 ou 4 au plus, parce qu'elle offre toute garantie par la solidarité de ses membres. Elle prête à 4 ou 4,5. C'est avantageux pour l'emprunteur et la caisse y trouve un petit profit qui constituera sa réserve.
La réserve pourvoira aux pertes qui pourraient survenir. Elle peut aussi être employée, dans une certaine mesure, en institutions de bienfaisance, ou servir à rétribuer un comptable, si les affaires de la caisse deviennent importantes.
L'emprunteur doit toujours présenter une caution solvable.
Les époques de remboursement sont fixées de manière à laisser à l'emprunteur le temps nécessaire pour retirer de ses fonds le bénéfice qu'il en attend.
7. Administration. - Elle est facile. Pour faire fonctionner une caisse rurale, il n'est pas nécessaire d'être au courant des affaires de banque: quelques hommes connaissant bien leur commune, appartenant à la classe agricole, et sachant faire les quatre règles d'arithmétique, peuvent administrer à la perfection une caisse rurale, pourvu qu'ils veuillent bien y consacrer chaque semaine quelques moments.
Les statuts expliquent les fonctions, d'ailleurs très faciles, du conseil d'administration, du conseil de surveillance, du directeur et du comptable.
Un des principaux devoir du conseil d'administration est de guider le sociétaire dans l'emploi des fonds qu'il emprunte, de façon à ce qu'il en tire le plus de profit possible.
On trouvera au bureau de l'Union des caisses rurales à Lyon, 97, avenue de Saxe, des statuts tout imprimés sur papier timbré et les registres nécessaires. Ces documents coûtent environ 18 francs. Monsieur Durand répond avec une obligeance, une exactitude et une précision merveilleuses à toutes les demandes de renseignements qui lui sont adressées; il est de toute justice de joindre, à la demande, un timbre de 0 franc 15 pour la réponse. Nous ne saurions trop recommander aux fondateurs de caisses rurales l'affiliation de chaque caisse à l'Union des caisses rurales. Ils y trouveront de précieuses indications. L'affiliation est gratuite; on reçoit un bulletin mensuel du prix de 2 francs par an, qui donne des renseignements indispensables, en même temps qu'il relate les progrès de cette œuvre encore trop peu connue.
Nous conseillons de se procurer la petite brochure de monsieur l'abbé Quillet, curé à Burcy, par Epeugney (Doubs). La conférence au village. - Caisses rurales. - Prix franco: l'exemplaire, 0 franc 30. Elle est parfaite pour faire comprendre aux plus modestes cultivateurs et artisans le but de la caisse rurale, son fonctionnement et ses avantages. On y trouve aussi la réfutation de toutes les objections qui peuvent être faites sur la matière.
Nous signalons à nos lecteurs une charmante et instructive brochure que vient de publier un de nos amis, grand propagateur des caisses rurales dans le Pas-de-Calais et le Nord. C'est enlevé, net et précis. Le style plein d'entrain de ce récit, absolument vécu, montre excellemment les diverses applications et les résultats qu'amène forcément, pour ne pas dire fatalement, la création d'une caisse rurale. Monographie d'une caisse rurale, par un officier supérieur de cavalerie. - Imprimerie moderne d'Arras, 7, place du Wetz-d'Amain, Arras; le prix n'est pas indiqué, mais il est certainement peu élevé en vue de la propagande.
8. Côté moral de l'œuvre. - Cette œuvre s'occupe des souffrances des agriculteurs et les soulage. Elle est donc une œuvre morale et charitable.
Les campagnes se dépeuplent. Les cultivateurs abandonnent les lieux où ils sont nés; ils s'éloignent de l'église où ils ont fait leur première communion. Ils se rendent dans les villes; qu'y trouvent-ils? l'incrédulité et la tentation des plaisirs pernicieux. S'ils quittent ainsi la campagne, c'est qu'ils souffrent, c'est qu'ils n'y gagnent plus leur vie. Les retenir à la campagne par des œuvres appropriées à leurs besoins, n'est-ce pas l'œuvre des œuvres, pour la conservation de la foi, des mœurs simples et des santés robustes, pour l'avenir de la race et de la patrie.
Les syndicats exerceront une influence puissante, mais les caisses de crédit ne sont pas moins nécessaires.
De plus, la caisse rurale favorise l'honnêteté des mœurs et la régularité de la conduite. Dans les communes rurales, on sait qu'on n'accepte dans les caisses de crédit que des honnêtes gens. C'est un titre d'honneur d'en faire partie. Elles sont une école d'honneur, de probité et de bonne conduite. Là où elles fonctionnent, elles ont opéré de nombreuses conversions.
Elles mettent aussi les travailleurs de la campagne en rapport avec le prêtre, car le prêtre en fait ordinairement partie. C'est son devoir. Il doit apporter à une œuvre si utile le concours de son intelligence et de son zèle. Presque toutes les fondations de caisses rurales sont dues aux curés. Il n'y a aucun inconvénient à ce que le curé soit secrétaire comptable. À ce titre, il ne fait pas partie des administrateurs, et il peut toujours, à chaque demande, en référer au directeur; il n'a donc pas la responsabilité des décisions. prises. On ne peut l'accuser de profiter de l'argent en caisse à cause du contrôle périodique de l'administration; la comptabilité est au vu et su de tous les sociétaires. Il a la peine de tenir les écritures, mais souvent n'est-il pas le seul qui, dans une petite commune, puisse le faire facilement? Par contre, cette situation lui permet de voir tous les sociétaires, de donner un avis à l'un, un conseil à l'autre, sans être suspect à personne. N'est-ce pas d'ailleurs la mission du ministre de Jésus Christ d'aller à tous ceux qui souffrent pour les soulager?
Nota - Nous ajoutons à la fin du volume (page 291 et suivantes) ce qui concerne les formalités administratives relatives aux syndicats et les syndicats d'industrie agricole.
CHAPITRE VII
Nous allons décrire ici l'action de l'Oeuvre des cercles à la campagne. Mais, à vrai dire, nous ne conseillerions pas aujourd'hui d'adopter le cercle comme forme à donner à une œuvre sociale dans une paroisse rurale. Pourquoi prendrions-nous une forme d'œuvre absolument dépendante de la bonne volonté des préfets et entourée souvent par eux de restrictions tyranniques, quand nous avons la Loi de 1884 qui nous autorise à fonder des syndicats avec une liberté bien plus large?
Nous pensons donc qu'il ne faut fonder de cercles proprement dits à la campagne que dans les bourgades où l'on veut réunir dans une même association des hommes de professions différentes, qui ne pourraient pas être groupés dans un syndicat.
Mais, dans nos villages où tout le monde appartient plus ou moins à la profession agricole et aux professions connexes, ce n'est pas un cercle qu'il faut fonder, c'est un syndicat agricole et horticole, et il faut donner à ce syndicat un lieu de réunion où il trouvera tous les avantages et toute la vie d'un cercle sans être soumis à toutes les lisières administratives des cercles.
Le présent chapitre servira donc pour les bourgades où un cercle s'imposera. Quant aux villages, ils y trouveront seulement des indications pour organiser le lieu de réunion de leur syndicat, et ils s'inspireront de l'esprit éminemment social qui a dicté le règlement des cercles pour organiser la vie intérieure de leur syndicat et des œuvres connexes.
C'est sous la forme de cercles que l'esprit d'association, longtemps comprimé, a pu reprendre en France son premier essor.
L'article 291 du Code pénal met les cercles sous la dépendance entière de l'administration. Il est ainsi conçu: «Nulle association de plus de vingt personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués, pour s'occuper d'objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu'avec l'agrément du gouvernement et sous les conditions qu'il plaira à l'autorité publique d'imposer à la société».
Une administration favorable aux choses religieuses, après la guerre, a laissé prendre aux cercles catholiques d'ouvriers un certain épanouissement. Maintenant le pli est pris, on les laisse vivre, mais ils doivent, bien entendu, se conformer aux exigences légales. Il y a donc pour la fondation d'un cercle des prescriptions légales à observer et des règles administratives à suivre; nous allons les examiner tout d'abord et nous dirons ensuite ce qui caractérise le cercle comme œuvre sociale de régénération.
1. Le cercle au point de vue administratif. - La première formalité à remplir pour ouvrir un cercle est donc d'obtenir l'autorisation du gouvernement représenté par les préfets. Pour cela, il faut adresser au préfet du département une demande sur papier timbré à 0 franc 60, signée par trois ou quatre personnes, y joindre les statuts de l'association sur papier timbré52) et une copie des mêmes statuts sur papier libre, et ajouter la liste des membres du bureau sur papier libre.
La préfecture n'autorisera l'ouverture d'un cercle qu'après avoir pris l'avis du maire de la localité dans laquelle le cercle doit s'établir. On gagnera donc du temps en sollicitant d'avance l'avis de l'autorité municipale et en le joignant aux autres pièces pour adresser le tout ensemble à la préfecture.
Le préfet peut toujours retirer son autorisation.
L'arrêté préfectoral qui autorise la fondation d'un cercle stipule d'ordinaire que la liste des membres du bureau sera envoyée chaque année à la préfecture dans le courant du mois de janvier.
Outre cette autorisation qui ne vise que l'association, le Code pénal en exige une autre, celle du maire de la commune, avant qu'on puisse commencer les réunions. L'article 294 est, en effet, ainsi conçu: «Tout individu qui, sans la permission de l'autorité municipale, aura accordé ou consenti l'usage de sa maison ou de son appartement en tout ou en partie, pour la réunion des membres d'une association même autorisée, ou pour l'exercice d'un culte, sera puni d'une amende de 16 francs à 200 francs».
Ces diverses autorisations doivent être conservées dans les archives de l'association.
Il importe de ne pas s'écarter de ces prescriptions, car, dans le cas d'infractions à la loi, on s'expose à la fermeture du cercle et à diverses pénalités.
L'impôt sur les cotisations est déterminé par le montant de la cotisation et le nombre des membres inscrits; un registre à souches est donc nécessaire pour établir le nombre exact des membres qui fréquentent le cercle et qui acquittent leur cotisation. Le service des contributions a le droit de contrôler la déclaration qu'on a faite, en vérifiant le registre des cotisations.
Le local du cercle est d'ordinaire la propriété des administrateurs du cercle, ou il est loué par eux. Ce sont eux, les locataires ou propriétaires, qui doivent veiller à ce qu'il ne s'y passe rien de contraire aux lois, aux statuts ou aux conditions de l'autorisation.
C'est un local privé; il peut donc y avoir une buvette sans que la régie ait rien à contrôler. Mais, pour cela, il faut veiller à ce que la buvette soit pour l'usage des membres du cercle et à ce qu'elle ne soit pas ouverte à tout venant comme un estaminet.
Quant aux représentations ou soirées théâtrales, auxquelles sont invitées d'autres personnes que les sociétaires, elles doivent conserver un caractère purement privé. Elles doivent être données dans un local fermé où l'on est admis que sur invitations écrites et personnelles.
Lorsque l'entrée des représentations est payante, les bureaux de bienfaisance réclament la taxe dite du ”droit des pauvres„. Certains auteurs prétendent que cette taxe est due seulement pour les représentations qui sont à la fois publiques et payantes, mais c'est là une interprétation contestée.
Avant de représenter des pièces ou des morceaux qui ne sont pas tombés dans le domaine public, il importe de régler la question des droits d'auteur, autrement on s'expose à des poursuites judiciaires.53) La Société des gens de lettres a, dans toutes les grandes villes, des représentants qui ont tout pouvoir pour régler ce payement des droits d'auteurs.
Pour que les loteries ou tombolas ne tombent pas sous le coup de la loi du 21 mai 1830, il faut qu'elles aient lieu dans une réunion privée, et que les billets n'en soient pas vendus en dehors de la réunion où la loterie est tirée.
Le statuts les plus simples sont les meilleurs. Voici un modèle qu'on peut adopter:
a. Une société est instituée à X…, pour grouper des hommes et des jeunes gens, sous le nom de Cercle Saint-Joseph (ou autre).
b. Le but de la société est de préserver ses membres des mauvaises fréquentations.
c. Dans la société, on trouvera des jeux et des récréations honnêtes.
d. On n'y tolèrera ni les jeux dits de hasard, ni les abus de consommations, ni les discussions politiques.
e. L'entrée aux réunions ordinaires est interdite au public.
f. La direction de la société appartient à un comité, composé de messieurs X…, Y…, Z…
Il est bien entendu qu'on a, outre cela, un règlement intérieur privé, plus détaillé et basé surtout sur l'expérience.
2. Le Cercle au point de vue social. - Le cercle n'est pas seulement un local plus ou moins bien meublé et confortable, pourvu de récréations diverses et agréables, de boissons variées, de livres intéressants et instructifs, mais ce doit être une association autour d'une chapelle dans les villes, autour de l'église paroissiale dans les campagnes, et, partout où ce sera possible, le cercle favorisera les associations professionnelles.
On trouvera dans l'Instruction sur l'Oeuvre des Cercles catholiques d'ouvriers (au secrétariat de l'Oeuvre, 262, boulevard Saint-Germain, à Paris), tous les renseignements nécessaires pour l'organisation et la direction des cercles. Nous ne pouvons ici que les indiquer à grands traits.
L'oeuvre s'adresse tout d'abord à la classe dirigeante et lui donne la mission de créer et de maintenir, dans la classe ouvrière, des associations catholiques. Elle se propose le rétablissement du règne social de Jésus Christ, et elle crée dans le cercle un foyer puissant d'apostolat.
La vie intérieure du cercle a pour but de former des hommes d'élite, et son action se propose pour triple résultat de développer:
L'affirmation catholique est manifestée par le nom de cercles catholiques d'ouvriers et par l'institution d'un aumônier: il faut arriver à développer dans les membres du cercle, non seulement la foi, mais encore la pratique des lois de l'Église.
Les membres ouvriers du cercle participent à son gouvernement, en nommant, d'accord avec le comité représenté par le directeur, un conseil chargé d'administrer les intérêts matériels du cercle. Cette responsabilité dans le gouvernement matériel de l'association amène forcément le sociétaire à désirer que la société prospère et lui inspire le désir du recrutement de membres nouveaux, et l'apostolat de l'ouvrier sur l'ouvrier est des plus efficaces. Des âmes généreuses se rencontrent fréquemment dans les classes ouvrières, car l'habitude du sacrifice rapproche de Dieu. C'est ainsi qu'un grand nombre de cercles ont pu exercer une réelle influence sur les ateliers et les quartiers voisins, par la formation de délégués d'atelier et de quartier, qui sont des apôtres au service de la population ouvrière. Le zèle, du reste, a mille occasions de s'exercer dans la vie intérieure du cercle. L'idée de responsabilité et l'esprit d'initiative y seront développés par les diverses dignités dont pourront être investis les membres les plus dévoués.
Enfin, l'esprit d'association est maintenu et sauvegardé par l'institution même de l'œuvre, qui n'est en opposition ni avec la famille, ni avec la paroisse. Le livret-diplôme, remis seulement aux plus dignes, donne accès dans toutes les associations de l'Œuvre à celui qui en est porteur. Il est la preuve de la même foi religieuse. Il est la marque du lien religieux et moral qui unit tous les membres de l'Œuvre.
A côté du cercle, peuvent fonctionner certaines institutions de piété ou économiques, qui associent la famille entière à la vie du cercle et aux bienfaits résultants de l'association, comme les visites de malades, Sociétés de Saint-Vincent de Paul, Caisses de familles, caisses de secours mutuels, etc.
D'autres cercles, indépendants de la grande institution dont nous venons d'esquisser les grandes lignes, peuvent n'être que des réunions de délassements honnêtes, les cercles de l'Oeuvre ont éminemment le caractère social. Il se manifeste par le dévouement de la classe dirigeante, par l'apostolat réciproque des ouvriers et la part qu'ils prennent à l'administration du cercle, et par la solidarité qui unit tous les cercles de France et dont le signe est le livret-diplôme.
Nous ne saurions donc trop recommander à tous les cercles qui se fonderaient, d'entrer dans le cadre de l'Oeuvre pour participer au relèvement de la vie sociale chrétienne. On trouve au secrétariat de l'Oeuvre des cercles, 262, boulevard Saint-Germain, à Paris, une brochure spéciale sur l'Oeuvre à la campagne.
C'est le curé qui a la part la plus active à la fondation du cercle rural. Le comité est là très peu nombreux et plus difficile à recruter, mais il se formera peu à peu.
Le cercle rural ne s'ouvre d'ordinaire que le dimanche, dans un local fort modeste, divisé en deux compartiments: l'un sert d'oratoire, de bibliothèque, de salle d'étude; l'autre de salle de récréation. Quelques rayons, tables, chaises ou bancs, un crucifix, des images du Sacré Cœur, de la Sainte Vierge, de saint Joseph, composent tout le mobilier, avec le matériel du jeu en honneur dans le pays, jeux de boules ou de quilles, tir à l'arc, etc.
Les réunions ont lieu à l'issue des Vêpres; elles sont courtes dans leur partie essentielle, prières, bons avis, lectures intéressantes. La plupart des sociétaires retournent ensuite à la vie de famille; quelques-uns demeurent pour suivre un cours de chant et se livrer aux jeux en usage.
Les réunions mensuelles prennent plus d'importance. Elles réunissent tous les membres de l'œuvre, sociétaires et associés, jeunes gens et pères de familles, et on y fait une conférence.
Le cercle a un oratoire, mais sa chapelle est l'église paroissiale. Une place spéciale peut y être réservée aux sociétaires. Souvent, c'est le chœur même, et ils prennent une part active au chant liturgique.
Une fête patronale, quelques autres fêtes durant l'année, suivant les usages locaux et un pèlerinage régional, suffisent pour maintenir les liens de l'association et assurer sa vie.
Le cercle rural est ordinairement le pivot des œuvres paroissiales. Il s'annexe un patronage, il fonde les œuvres économiques, syndicats, caisses de famille et caisses de crédit. Avec l'association connexe des mères chrétiennes, il constitue une sorte de corporation paroissiale.
CHAPITRE VIII
Il y a plusieurs formes d'économats. Parfois, c'est une véritable entreprise commerciale, faite par un patron ou par une société, avec ses risques et son aléa. Quoique une pareille entreprise puisse avoir des intentions bienveillantes envers les ouvriers, ce n'est pas une œuvre proprement dite. C'est une affaire, et nous n'avons pas à nous en occuper dans ce volume.
D'autres fois, il prend la forme de société coopérative de consommation. Ces coopératives se multiplient. On en compte un millier en France, 1.500 en Angleterre, 1.200 en Allemagne. Beaucoup de ces sociétés, en France, ne visent que le bon marché de la vente, elles ne font aucun boni et n'ont aucun but moral direct. Nous ne pouvons pas les regarder comme des œuvres.
Le système anglais, dit système de Rochdale, consiste à vendre à peu près au prix ordinaire du détail, de façon à faire des bonis, qui peuvent être employés de façons très diverses et très utiles. Toutes les sociétés anglaises et allemandes et quelques sociétés françaises ont adopté ce système, qui paraît le meilleur. Le boni moyen est de 13,50% en Angleterre, de 9% en Allemagne.
Le plus souvent, le boni de ces coopératives est distribué aux participants au bout de l'année. Dans ce cas encore, ce n'est pas une œuvre, c'est une affaire.
Mais parfois une part du boni est affectée à des institutions d'éducation ou de prévoyance. Alors seulement la société coopérative peut être considérée comme œuvre. Il en est souvent ainsi en Angleterre, où les sociétés coopératives consacrent à l'éducation et à l'assistance de leurs membres l'énorme somme de 1.450.000 francs par an. Sur cette somme, 350.000 francs sont employés à l'éducation des membres sous forme de cercles, conférences, cours réguliers, cabinets de lecture, etc.
Il n'existe presque rien encore dans ce genre, en France. On cite cependant, à Lyon, une société qui a 5.000 francs en réserve pour une caisse de retraite.
Nos syndicats agricoles font généralement de la coopération sous deux formes différentes. Ou bien ils constituent un magasin et achètent quelques marchandises, qu'ils revendent à bon marché et sans profit à leurs membres, ou bien ils se contentent de demander à quelques fournisseurs des prix réduits en faveur du syndicat.
Nous ne pouvons que les engager, en pareil cas, à réserver une partie du boni pour doter leurs œuvres d'assistance et de prévoyance. Alors leurs économats et coopératives seront vraiment des œuvres.
Il est une autre forme d'économat recommandée par monsieur l'abbé Garnier, qui offre vraiment une utilité morale en même temps que des avantages économiques. C'est une œuvre. En voici la description et le fonctionnement.
L'économat a pour but de procurer à tous une réduction de prix sur les achats usuels, en supprimant les comptes à crédit, toujours si désastreux pour les ouvriers, et en les aidant à payer leurs dettes. Pour cela, il suffit:
1. D'obtenir de certains fournisseurs des réductions de prix, moyennant payement comptant.
2. De s'adresser à ces fournisseurs, dont la liste est publiée.
3. De payer comptant les achats pour lesquels on veut profiter de l'économat.
4. De réclamer aux fournisseurs, en les payant, des jetons qui indiquent la valeur de ce qu'on achète.
Voici maintenant le fonctionnement de l'économat: les fournisseurs se sont nantis chez le trésorier de jetons qui représentent une valeur, ou de billets marqués au timbre de l'association.
Quand les acheteurs vont chez eux, en même temps qu'ils payent comptant, ceux-ci reçoivent la valeur de leur acquisition en jetons ou en un billet sur lequel le fournisseur inscrit la somme. Ils gardent ces jetons ou billets jusqu'à la fin du trimestre.
Tous les trois mois, le trésorier va toucher la remise chez les fournisseurs, et il la distribue aux acheteurs sur le vu de leurs jetons ou billets et en proportion des achats.
Le trésorier retient, pour frais d'administration, et en faveur de la caisse de famille ou d'une autre œuvre:
Aux ouvriers, le quart de leur remise.
Aux autres personnes, la moitié.
Ainsi, dans le trimestre, si vous avez, sur vos différents jetons additionnés, 20 francs de remise, vous toucherez 15 francs si vous êtes ouvriers, et 10 seulement si vous ne l'êtes pas.
On voit l'immense ressource qui peut résulter de la pratique de l'économat pour les œuvres ouvrières, sans parler des avantages qui découlent pour les ouvriers du payement comptant.
Parfois, la commission qui dirige l'économat fait une avance aux ouvriers qui ont des dettes, afin de leur permettre de payer comptant; puis elle touche leurs jetons à leur place, pour se rembourser de cette avance.
Voici un exemple fort curieux d'un économat sous forme de coopérative, qui a produit un grand bien moral. Nous en empruntons la monographie à la Chronique des Comités du Sud-Est.
Il s'agit d'un économat créé au fond des bois pour des bûcherons, par un curé.
C'est dans un hameau, situé à quelques kilomètres d'une petite ville, mais sur un plateau élevé, froid, peu fertile, encadré entre deux forêts.
Les habitants sont peu nombreux, 5 à 600, sans beaucoup de culture intellectuelle, et encore moins morale; ils étaient, jusqu'en 1890, à la merci de quelques détaillants qui en abusaient. Pas de boulangers, pas de bouchers; par contre, huit cabaretiers et quatre épiciers débitants de boissons.
Le cabaretier était le roi du pays, intermédiaire obligé pour tout et tenant tout le monde par le crédit. Résultats: endettement, ivrognerie, débauche, etc., désordre sans cesse croissant.
Le nouveau curé, en 1891, jugea qu'il fallait se préoccuper des intérêts matériels aussi bien que des spirituels. Mais il n'avait rien. Un comité, dans la petite ville voisine, réussit à réunir 1.500 francs; on les confia au curé qui mit 500 francs en roulement et 1.000 en réserve. C'était en août 1891.
On achète un peu d'épicerie en gros à la ville, quelques quartiers de lard aux charcutiers, et quelques tonneaux de vin à des propriétaires. Mais, comment organiser le débit? Le premier magasin fut ouvert chez un charbonnier: il faisait les transports et sa femme vendait, moyennant une petite remise, variant de 40 à 50 francs par mois. Pour l'installation, quelques planches et une balance.
Bientôt, les clients affluèrent, car on vendait presque au prix coûtant.
Les cabaretiers, troublés dans leur exploitation, poussèrent les hauts cris. Menaces, insultes, plaintes à la sous-préfecture, à l'évêché, pétitions, dénonciations du curé, rien ne manqua. Mais une enquête démontra la parfaite régularité des opérations: le curé se bornait à tenir les comptes, l'économat ne réalisait aucun bénéfice, opérant, comme intermédiaire gratuit, à la façon d'un syndicat.
Messieurs les débitants se virent dans la cruelle nécessité de baisser leurs prix de Juifs.
En décembre 1891, l'économat ouvrit un second magasin et, étendant ses opérations, put, en s'adressant de plus en plus aux producteurs directs, obtenir des réductions encore plus fortes. Puis il aborda la boulangerie, achetant les grains, faisant moudre et confiant la cuisson à cinq de ses clients, moyennant 4 francs pour 125 kilos de pain.
L'abaissement des prix de vente a été en moyenne de 10%. Cinquante familles, soit la moitié de la population, s'approvisionnent à l'économat.
En 1892, l'économat a acheté pour 45.323 francs. Il a vendu pour 52.341 francs. La différence, soit 7.018 francs, a été ainsi employée: mobilier et frais généraux, 5.688 francs; pertes, 120 francs; versement à l'association des pères de famille, 200 francs; en réserve, 1.010 francs.
En 1893 a commencé la répartition du boni mensuel.
Les résultats moraux ont été considérables. Le règne des cabaretiers-épiciers est fini. Les chefs de famille ne vont plus chez eux ou beaucoup moins. Les bals deviennent rares. Les habitants, ayant vu le prêtre s'intéresser à leur bien-être matériel, ont perdu une partie de leurs préjugés et commencent à reprendre le chemin de l'église.
Il y a là un grand exemple. Les cultivateurs, aussi bien que les ouvriers, ont de plus en plus besoin d'être défendus contre l'exploitation scandaleuse du détaillant qui, trop souvent, le gruge, l'empoisonne, et en fait par surcroît son serf politique.
Ce n'est pas qu'il faille imiter cela partout. Cette forme d'économat, c'est la lutte violente contre les puissances de la paroisse.54) Si on la juge nécessaire, et s'il n'y a pas d'autre moyen de réussir à sauver les âmes, et à améliorer le sort des paroissiens, il faut l'entreprendre courageusement.
Si cette lutte ne s'impose pas, l'autre forme d'économat, qui consiste seulement à demander une remise aux fournisseurs qu'on paye comptant, est tout à fait inoffensive et ne peut soulever aucun conflit.
CHAPITRE IX
C'est là une œuvre simple et facile.
C'est une association dont les membres ont pour but de s'assister mutuellement dans les maladies et les différents besoins de la vie. C'est au fond une société de secours mutuels avec des formes très simples et une grande liberté d'allure.
On peut en établir partout, à la campagne comme à la ville, sans aucune autorisation ni déclaration, en vertu de la loi du 15 juillet 1850.
Un procureur méticuleux avait voulu contester leur légalité; la Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 7 décembre 1882, a reconnu le droit absolu qu'ont les sociétés de secours mutuels de s'administrer librement, sans aucune intervention de l'État.
Ce sont des œuvres de bonne fraternité chrétienne. Monsieur l'abbé Garnier les a prises à cœur, et il a réussi; elles se multiplient partout où il peut faire entendre sa chaude parole.
Dans les agglomérations, plutôt urbaines que rurales, des environs de Paris, c'était le meilleur moyen d'avoir de suite des associations et de réunir de braves gens à qui on pût parler.
Ce n'est pas évidemment une œuvre corporative complète. Le secours mutuel n'est qu'une des fonctions de la vie corporative. Dans l'organisme de la corporation moderne, le syndicat est l'œuvre maîtresse pour les intérêts temporels et la confrérie pour les intérêts spirituels. À ces deux associations fondamentales viennent se joindre utilement la caisse de crédit, la caisse de famille, l'économat, les assurances et d'autres encore.
Nous pensons que, dans les campagnes, après avoir semé pendant quelque temps le bon journal, il faut aller droit au syndicat. Le reste viendra facilement quand le syndicat est commencé avec le concours du prêtre.
Mais nous ne prétendons pas donner là une règle absolue. Dans le Lyonnais et dans les Pyrénées, on a fondé bien des caisses de crédit, qui devancent et préparent des syndicats. Dans les environs de Paris, ce sont les caisses de famille qui ont la vogue. Nous louons de bon cœur tous ceux qui font quelque chose, et nous ne blâmons que ceux qui ne font rien.
La caisse de famille sera donc tantôt une œuvre subsistant par elle-même, tantôt une œuvre annexe d'un syndicat.
Elle comprend d'ordinaire les familles entières, hommes, femmes et enfants.
Elle a ses membres participants et ses membres honoraires. Ceux-ci payent une cotisation et ne reçoivent aucun secours.
La caisse procure à ses membres des visites gratuites de médecin et une réduction sur le prix des médicaments. Elle fait plus si ses ressources le permettent.
Elle a sa fête annuelle. Elle prie pour ses associés défunts.
Au surplus, pour être utiles aux hommes de bonne volonté, nous leur proposons un règlement sommaire, qu'ils modifieront comme ils voudront.
1. Constitution. - Une caisse de famille est établie dans la paroisse de X… (à la campagne on peut réunir deux paroisses).
Elle admet les hommes, les femmes et les enfants. Ses membres sont inscrits en même temps dans une confrérie (ordinairement Notre Dame des Champs).
Les premiers souscripteurs sont admis de plein droit. Les autres doivent être présentés par deux membres et admis par le bureau.
2. Administration. - La caisse est administrée par un bureau composé de cinq membres.
Le bureau nomme dans son sein un président, un vice-président, un secrétaire et un trésorier.
Le bureau se réunit tous les quinze jours. Il statue sur les demandes qui lui sont adressées, règle l'emploi des fonds et décide toutes les questions qui se rapportent aux intérêts de la caisse.
Une assemblée générale se tient chaque année au mois de janvier. Elle entend le compte rendu de la gestion annuelle et l'approuve s'il y a lieu. Elle réélit le bureau (on peut fixer la réélection tous les trois ans).
Des zélateurs ou dizainiers sont désignés pour chaque rue ou chaque quartier. Ils perçoivent les cotisations, visitent les malades et leur remettent les bons de visite et de pharmacie.
3. Cotisations. - La caisse a des membres participants et des membres honoraires.
Les membres honoraires donnent au moins 6 francs par an.
Les membres participants donnent 0 franc 50 par mois.
Tout versement fait reste acquis à la caisse et ne peut être restitué.
4 Participation. - Les membres ne peuvent participer aux secours que trois mois après leur inscription.
Les secours comprennent la visite gratuite du médecin, une remise sur les médicaments, et, si l'état de la caisse le comporte, une indemnité facultative pour la maladie.
Cette indemnité n'est pas un droit absolu. Elle est allouée par le bureau. Il tient compte de ses réserves et des besoins de la famille à secourir.
Au commencement de chaque année, le bureau établit les bases des secours qu'il pourra donner et il soumet ses résolutions à l'assemblée générale.
Ne peuvent participer aux secours ceux dont la cotisation est en retard de plus d'un mois.
5. Formalités à remplir en cas de maladie. - Le malade doit faire prévenir son dizainier ou visiteur de quartier, qui lui remet un bon de visite et un bon de pharmacie sur lequel le médecin écrira son ordonnance.
Le bureau veillera à ce que les médecins et pharmaciens ne lui occasionnent pas de dépenses exagérées.
À la fin de chaque mois, le trésorier centralise les bons et rend compte au bureau.
Un tarif est dressé avec les pharmaciens et il est convenu qu'ils ne délivrent pas de fournitures de luxe ou de fantaisie.
6. Secrétariat. - Un registre est destiné à inscrire les membres honoraires, avec le chiffre de leur souscription. À chaque versement, il leur est délivré un reçu détaché d'un carnet à souche.
Un autre registre reçoit les noms des membres participants.
Ceux-ci ont tous une carte ou un livret avec le nom de leur dizainier. (On peut trouver tous les imprimés utiles au Comité de l'Union nationale, 1, rue Feydeau, à Paris).
7. Fêtes et cérémonies religieuses. - La caisse de famille a sa fête annuelle, qui coïncide ordinairement avec l'assemblée générale.
La fête se célèbre de préférence le dimanche et tous les associés sont invités à la messe.
Au décès des membres, tous les associés sont invités à assister aux funérailles. La lettre de faire-part rappelle que le défunt était de la caisse de famille.
Certaines caisses de famille ont adopté la messe du premier dimanche de chaque mois.
CHAPITRE X
C'est une œuvre ”sui generis„. Elle rend de grands services dans les villes. Elle aura des proportions bien plus restreintes à la campagne. Elle pourra être une annexe du syndicat agricole ou du cercle rural. Elle pourra aussi fonctionner à part.
C'est en somme un bureau de renseignements et d'aide mutuelle. Cette œuvre se met au service des ouvriers et des pauvres. Elle va même au-devant de leurs demandes et recherche leurs besoins.
Elle a des délégués de rues, de quartiers ou d'ateliers. Ce sont des hommes de bonne volonté qui s'informent des besoins et des misères cachées et en rendent compte au comité ou secrétariat.
Ils indiquent aux intéressés le lieu et l'heure où ils trouveront les renseignements et l'aide nécessaire. Ils leur donnent au besoin une carte pour se présenter.
À la campagne, le secrétariat du peuple n'aura quelque importance que s'il s'appuie sur les œuvres d'une ville voisine.
Les services que peut rendre le secrétariat se classent en quatre catégories principales:
1. Écrire des lettres.
2. Donner des renseignements pour placer des orphelins ou des vieillards, faciliter les mariages religieux, l'obtention de secours, etc.
3. Découvrir les misères cachées et signaler les misères simulées.
4. Donner des consultations juridiques, financières, médicales, militaires, ou trancher des différends par des arbitrages amiables.
À la ville, des dames se chargent souvent de rendre les trois premières catégories de services. Pour la quatrième, on a recours à des hommes spéciaux.
Pour les campagnes, ces sortes de services sont rendus par le curé, par la mairie, par l'instituteur.
S'il y a un cercle ou un syndicat, son bureau organisera un modeste secrétariat du peuple.
Il aura la liste de toutes les œuvres des villes voisines auxquelles on peut recourir. Petites-Sœurs des pauvres, hospices, orphelinats, instituts de sourds-muets, etc.
Il se mettra en rapport avec les œuvres de la ville et trouvera là des hommes d'affaires chrétiens auxquels il pourra s'adresser pour des questions de procès, d'assistance judiciaire, etc.
Le secrétariat du peuple ne rend pas seulement des services temporels, il exerce ses membres à l'apostolat, il fait tomber les préjugés et concilie aux hommes chrétiens qui s'en occupent un crédit et une influence sociale dont profite la bonne cause.
Nota. - Rien ne sera plus utile, pour bien organiser cette œuvre, que le rapport de monsieur l'abbé Lecomte, de Reims, sur les secrétariats du peuple. On le trouve à l'imprimerie de l'archevêché, à Reims.
CHAPITRE XI
===CERCLES CHRÉTIENS D’ÉTUDES SOCIALES ET CONGRÈS OUVRIERS=== 1. Origine. - Les cercles chrétiens d'études sociales ont été fondés à Reims par des ouvriers que la lecture de l'encyclique de Léon XIII ”sur la condition des ouvriers„ avait ramenés des égarements du socialisme. Ils ont voulu mettre au service de la vérité chrétienne la méthode qui propage l'erreur, et le zèle qui distingue les ouvriers pour les intérêts de leur classe.
Comme il y a des ouvriers de bonne foi qui, sans être socialistes, vont dans les réunions où l'on prêche le socialisme, entraînés qu'ils sont par le désir de soutenir leur parti, de même, des ouvriers éloignés de la pratique religieuse voudront étudier les solutions de l'Église au problème social, et examiner quelle satisfaction la religion peut donner à leurs revendications légitimes; il est bon qu'ils trouvent des réunions où ils pourront se renseigner sur nos doctrines sociales et notre programme.
2. But. - Les cercles chrétiens d'études sociales ont pour but:
a. De mettre leurs membres au courant des questions qui intéressent les ouvriers.
b. De les préserver des erreurs répandues par ceux qui exploitent la gêne de l'ouvrier en l'excitant contre la société.
c. De ramener au point juste les récriminations violentes qui empêchent les ouvriers d'être écoutés, et de les formuler dans des propositions acceptables à la justice chrétienne.
d. De chercher les moyens de faire aboutir ces réclamations et de promouvoir les vrais intérêts des ouvriers, sous le rapport religieux, moral, intellectuel et matériel.
e. Et pour cette fin, d'organiser des congrès d'ouvriers chrétiens.
f. De fonder des institutions pour le bien-être des travailleurs.
3. Organisation. - Il n'y a point de hiérarchie; tous les membres présents au cercle sont égaux. Le bureau n'est point permanent. À chaque séance on désigne un président provisoire qui, cependant, peut être maintenu pour trois réunions.
Les ouvriers seuls font partie du cercle; parlant la même langue, ne craignant pas d'être signalés aux contremaîtres ou patrons, ils exposent mieux leurs difficultés lorsqu'ils se trouvent seuls en présence du prêtre. Cependant, ils admettent à titre de membres consultatifs les patrons ou d'autres personnes compétentes et influentes, mais les ouvriers seuls délibèrent et prennent des résolutions définitives.
Un secrétaire choisi pour trois mois est la cheville ouvrière pour préparer les réunions.
Un prêtre assiste régulièrement aux réunions du cercle comme ”conseil„. C'est lui qui représente l'enseignement de l'Église dont les ouvriers voudraient se rendre compte.
Ce rôle du prêtre écouté avec courtoisie et déférence permet d'ouvrir les portes du cercle d'études à tous les ouvriers francs-maçons, radicaux, socialistes, athées, collectivistes, pourvu qu'ils se montrent polis et de bonne foi, désireux de connaître les doctrines sociales de l'Église catholique et que le ton de la discussion demeure calme et amical.
Toutefois, cette organisation, qui a été imitée de celle des réunions socialistes pour les mieux combattre, n'est pas absolue. Elle peut varier suivant les milieux. On en peut rêver une meilleure et plus stable. Il paraît évident que, s'il s'agit de cercles d'études agricoles, il vaudra mieux mettre plus de stabilité dans les fonctions.
4. Préparation des séances. - Une commission d'initiative s'occupe à l'avance de l'étude des questions à examiner et dresse le programme des séances.
Cette commission est composée:
Du rapporteur de la question à traiter dans la réunion suivante.
Du président et des vice-présidents.
Du secrétaire et des vice secrétaires.
Du prêtre directeur.
Un membre de la commission d'initiative qui, pendant deux mois, a manqué aux réunions, sans motifs sérieux, est considéré comme démissionnaire. Il pourra encore assister aux réunions comme simple membre du cercle.
La commission d'initiative correspond avec les autres centres d'études.
5. Ordre des séances. - a. Nomination du bureau si elle n'a pas été faite dans une réunion précédente. Le premier président ou le plus ancien de la réunion tient d'abord la présidence du bureau. Les noms à mettre aux voix ont dû être prévus dans la commission d'initiative; pour qu'il y ait élection, il faut les deux tiers des suffrages. (En cas de vote contraire, le plus ancien de la réunion ou le dernier président reste au bureau).
b. Prière: Notre Père; invocation trois fois répétée: Notre Dame de l'Usine, priez pour nous; ou Notre Dame du Travail, ou Notre Dame des Champs…
c. Lecture d'un passage de l'Évangile, suivie de quelques réflexions par le prêtre directeur.
d. Procès-verbal de la réunion précédente et observations.
e. Étude d'une question religieuse, morale, sociale ou économique par écrit, et discussion de la question traitée, ou bien lecture d'un sujet concernant la condition des ouvriers et observations sur les points incompris.
f. Avis du secrétaire ou du prêtre directeur.
g. Prière, comme ci-dessus.
6. Conditions d'admission. - a. Les sociétaires d'un cercle catholique sont admis aux réunions sur la présentation de leur carte, moyennant une lettre d'invitation privée.
b. Il suffit, après avoir pris connaissance du règlement, d'être présenté par deux membres et de se faire inscrire par le secrétaire; d'être électeur, et de mœurs honorables.
L'admission définitive est proposée par le président à la réunion suivante.
c. Chaque membre peut inviter à venir aux réunions les ouvriers qu'il croira susceptibles de devenir membres actifs. On doit s'adresser de préférence aux ouvriers intelligents, capables de donner des renseignements utiles sur leur profession et leur situation.
d. Les contremaîtres et employés, comptables et surveillants et tous intermédiaires entre le patron et l'ouvrier, ne sont admis qu'à titre de membres consultatifs, ils ne votent pas sur les questions.
7. Rôle du prêtre directeur. - Le prêtre doit être l'âme cachée qui donne la vie et l'esprit au cercle. Il veille sous main à ce que les fonctionnaires et dignitaires remplissent leur rôle, à ce que le règlement soit observé, mais il n'intervient pas directement. Il ne fait acte d'autorité que lorsque la foi et les mœurs sont en cause, et encore il requiert pour cela l'autorité du bureau et du président. Il s'applique à donner une idée exacte et juste de la doctrine sociale de l'Église, laisse les points douteux libres, et fait la part des préjugés des ouvriers dont l'esprit ulcéré, aigri par la souffrance ou excité par le milieu, ne supporterait pas la contradiction; il laisse passer les erreurs de moindre importance pour être écouté sur les points principaux dans lesquels sont intéressés la bonne foi et la religion, la morale et l'honneur chrétien.
8. Fonctions des dignitaires. - Le président fait la prière, appelle la question à l'ordre du jour, maintient l'ordre et la discipline, empêche les parleurs d'envahir la discussion, stimule les taciturnes pour qu'ils disent leur avis; il s'entend pour cela avec le secrétaire.
Il ouvre et lève la séance.
Le secrétaire est la cheville ouvrière pour l'organisation du cercle d'études; c'est le secrétaire qu'il faut chercher et former d'abord pour cette œuvre. Il doit savoir lire en public, rédiger une lettre et même un rapport, avoir le désir de s'instruire, être apte à exercer une influence sur les ouvriers.
Il est élu pour trois mois, en sortant il est vice secrétaire.
Il est proposé par la Commission et élu comme le président.
Il conserve les procès-verbaux et rapports adoptés dans les réunions et les signe avec le président de la séance; un vice secrétaire les transcrit.
Il se tient au courant des matières traitées dans les autres cercles d'études.
Il aide à la préparation et aux travaux des congrès chrétiens.
9. Les congrès d'études sociales. - Ces congrès sont une nécessité de nos jours. Outre qu'ils créent une force de résistance énorme contre le socialisme, en groupant les ouvriers que l'athéisme révolutionnaire n'a pas encore pervertis, ils donnent une sorte de consécration sociale aux cercles d'études. Il ne faut point oublier, en effet, que les congrès sont comme une fédération des cercles, puisque leurs membres sont composés des délégués de chaque cercle; que les rapports lus en séance sont ceux des membres des cercles, et qu'enfin les vœux émis ne sont que l'écho des vœux des cercles. Que les congrès se généralisent et les revendications ouvrières acquerront une force avec laquelle le gouvernement sera obligé de compter tôt ou tard. Ne peut-on pas même espérer que, de ces assises pacifiques, sortira, dans l'avenir, la représentation des intérêts, et avec elle la modification presque complète de notre régime du travail actuel?
Le Saint-Père encourage ces congrès. Il a félicité monsieur Harmel de leur organisation.
10. Cercles d'études sociales d'agriculteurs. - Dans les paroisses rurales, les cercles d'études réuniront plutôt des cultivateurs que des ouvriers. Il est clair qu'ils auront un tout autre caractère. Les sujets d'études seront différents. Le bureau sera celui du syndicat ou de la corporation paroissiale. Les renseignements fournis par la monographie des œuvres d'une paroisse de la Haute-Marne, à la fin de ce volume, suffiront pour aider à leur organisation.
11. Cercles d'études sociales de prêtres. - Ces réunions ont une importance capitale. On peut en attendre un bien immense. Sans elles, le mouvement social chrétien mettra un temps infini à se propager.
Nous n'indiquerons pas de règlement déterminé pour ces réunions. Elles naîtront des circonstances et s'en inspireront.
Leur programme peut se résumer en trois mots:
a. Le péril est grand.
b. Il faut agir.
c. Comment allons-nous nous y prendre?
Ce manuel peut fournir un thème d'études indéfini.
Les exemples encouragent mieux que la théorie. «Exempla trahunt». Citons donc des précédents:
Au Val-des-Bois, il y a chaque mois une réunion d'études des prêtres de la vallée de la Suippe. On lit un rapport écrit et on s'entretient d'une œuvre pratique. La réunion n'a pas tardé à produire quelques œuvres.
De petits groupements de laïques chrétiens ont été commencés dans les paroisses. Après quelques mois, les curés assidus aux réunions se sont entendus pour amener chacun deux ou trois cultivateurs.
Dans ces réunions plus nombreuses, on s'est entretenu des syndicats agricoles.
On a jeté les bases d'un syndicat régional qui se subdivisera en plusieurs syndicats paroissiaux.
On a fait de même à P… (Saône-et-Loire), comme l'indique la monographie qui est à la fin de ce manuel.
Ces réunions mixtes n'ont lieu que deux ou trois fois. Cela suffit pour préparer les syndicats. Après cela les prêtres reprennent leurs réunions plus intimes.
Voilà des exemples qu'il faut imiter partout. Les règlements précis viendront après, s'il y a lieu. «Jesus cœpit facere et docere».
CHAPITRE XII
Le Tiers-Ordre doit être un des instruments de la rénovation sociale chrétienne.
Une fraternité du Tiers-Ordre, là où on pourra l'établir dans son véritable esprit, dans l'esprit de son saint fondateur, sera la source toute naturelle de toutes les œuvres sociales: bonne presse, syndicat, caisse de crédit, caisse de famille, etc.
Mais il faut pour cela que le Tiers-Ordre, comme le clergé, sorte de la sacristie.
Saint François n'a pas voulu faire seulement une association de piété. Il a considéré son siècle, tout gangrené par le luxe des grands, par la misère des travailleurs, par la lutte des classes, la désunion et le réveil des mœurs païennes. Il a voulu faire une œuvre démocratique, une œuvre sociale, une œuvre de pacification, de vie chrétienne, d'union et d'assistance mutuelle. Il a transformé la société et nous a donné le plus grand siècle de l'histoire.
Léon XIII a l'intuition des grandes choses. Il voit que la situation sociale actuelle a des analogies avec celle du XIIe siècle, il nous engage à recourir au même remède, au Tiers-Ordre.
Le Tiers-Ordre doit réunir les diverses classes de la société, patrons et ouvriers, riches et pauvres sous une même règle de vie, qui a pour base la simplicité, la modestie et la charité. Quel meilleur ciment pourrait-on trouver pour l'union des classes?
En soi-même déjà, le Tiers-Ordre est une œuvre sociale, parce qu'il fait l'union et qu'il réprime les abus de la richesse.
Mais de plus il est le meilleur instrument pour fonder et soutenir les œuvres sociales modernes.
Heureux le prêtre qui possède une fraternité du Tiers-Ordre! Ses bons tertiaires fonderont tout ce qu'il voudra, un comité de la bonne presse, un syndicat, une caisse de crédit, un cercle, un patronage; on peut tout demander à des hommes désintéressés, qui ont compris Jésus Christ et goûté sa doctrine d'abnégation et de dévouement. Sans doute, bien des paroisses ne peuvent pas donner de suite une fraternité. Les hommes n'y ont plus aucune pratique religieuse, on n'en peut pas faire de suite des tertiaires. Là on commencera par une association plus facile et plus large, comme la Ligue de l'Ave Maria ou la Confrérie de Notre Dame des Champs. Mais il sera bon de tendre partout à former une fraternité.
Là où le Tiers-Ordre n'aura pas été le fondement des œuvres, il en sera le couronnement; s'il n'a pas aidé à les commencer, il servira à les conserver, en y introduisant l'esprit de dévouement et d'abnégation.
Lés religieux du grand ordre, Franciscains et Capucins, ont compris les intentions de Léon XIII, et ils vont de congrès en congrès, sondant ce nouveau champ qui leur est ouvert, et étudiant les diverses formes de cette action sociale, qu'ils vont inculquer au Tiers-Ordre.
Depuis un an, nous les avons vus au Val-des-Bois, à Paray, à Novare, formulant et accentuant le programme de leur entrée en lice pour la rénovation sociale des nations chrétiennes.
Voici le résumé des vœux qu'ils ont émis à leur réunion de Paray-le-Monial. C'est tout un programme inspiré par le Sacré Cœur de Jésus.
1. «Le Tiers-Ordre franciscain doit grouper les hommes d'élite de toutes les classes, qui se font remarquer par leur foi entière et par leur soumission complète au Souverain Pontife, en toutes les matières dans lesquelles il croit devoir intervenir».
Ce premier vœu indique la nécessité de cet enrôlement et l'esprit des fraternités. Le Saint-Père a parlé, agissons. Le Tiers-Ordre n'est pas une œuvre surannée. Il a aujourd'hui la même opportunité qu'au XIIe siècle. Léon XIII a rajeuni sa forme et ses règles. Nous devons chercher là le contrepoids aux sectes maçonniques. Mais les fraternités n'auront vraiment un rôle puissant que si elles se montrent dociles aux enseignements du Saint-Siège et aux directions qu'il nous donne et si elles s'en font les apôtres ardents et dévoués.
2. «Les tertiaires ayant pour but l'accomplissement intégral des devoirs de la vie chrétienne ne doivent pas se borner aux devoirs intimes de la piété et de la vie intérieure, mais ils doivent s'appliquer aussi aux devoirs importants de la vie publique et sociale. Là aussi ils doivent donner l'exemple et travailler à faire régner Jésus-Christ, à faire prévaloir dans la société les principes chrétiens et l'influence sociale de l'Église».
Quel est en effet le but du Tiers-Ordre? C'est de grouper les hommes de bonne volonté pour les mettre à même d'accomplir avec plus de facilité tous les devoirs de la vie chrétienne.
Ces devoirs sont multiples. Il y a ceux de la vie privée et ceux de la vie publique. L'Évangile nous dit: «Menez une vie simple et modeste, pratiquez la pénitence et la charité». Mais est-ce tout? Non. Il nous dit aussi que le Christ est le Roi des nations, que les peuples sont heureux s'ils honorent Dieu et s'ils observent ses lois. Il nous dit encore que la justice et la charité doivent régler tous les rapports sociaux, et que le mauvais riche n'a pas de place au ciel.
Les tertiaires, entraînés par le courant qui dominait depuis deux cents ans, se sont confinés dans les pratiques de la vie dévote intime et privée. C'était amoindrir Jésus Christ, c'était aller incontestablement contre l'esprit de saint François. Léon XIII le leur rappelle.
3. «Si le socialisme est devenu le danger imminent de notre société, le capitalisme, c'est-à-dire la prédominance injuste du capital et les abus qui en sont résultés sont les vraies causes du désordre social actuel. Le congrès demande donc que les tertiaires travaillent, par l'enseignement oral et écrit et par l'exemple, à réformer les idées fausses et les pratiques vicieuses trop généralement acceptées sur ces matières».
Quelques-uns trouveront cela exagéré, il n'en est rien. Léon XIII n'est pas moins formel que le Congrès de Paray. «La classe des travailleurs, nous dit-il, est généralement dans un état de misère immérité». Et la misère est mauvaise conseillère.
Les tertiaires doivent s'initier aux questions sociales et devenir les apôtres ardents des réformes sociales.
Les trois vœux suivants ne sont que le développement de celui-ci; nous les citerons sans longs commentaires.
4. «Que les directeurs des fraternités étudient dans le détail, pour chaque profession, la pratique de la justice et de l'équité, et s'appliquent à enseigner dans les réunions du Tiers-Ordre les règles de probité spéciales à chaque état».
Un bon traité théologique sur la justice et les contrats, celui de Carrière, par exemple, fournit la base de ces études. Il faut y joindre quelques-uns des ouvrages modernes sur la justice sociale, que nous avons cités.
5. «Que les tertiaires prennent l'initiative et se fassent les auxiliaires actifs de réunions d'études organisées pour rechercher les institutions qui peuvent assurer l'observation des règles de la justice dans le commerce et dans l'industrie».
6. «Le congrès demande aux prêtres, membres du Tiers-Ordre, de s'appliquer spécialement à étudier les règles de la justice et de l'équité privée, afin d'en instruire les fidèles d'une manière exacte, précise et pratique, comme aussi de rechercher les conditions du rétablissement de la justice sociale».
Il exprime le désir que ces sujets trouvent place aussi bien que les sujets de piété, dans les entretiens des fraternités sacerdotales.
7. «Le congrès engage les tertiaires à s'inspirer de l'esprit de saint François, qui s'est mis au service des plus petits, s'occupant de tous leurs besoins et travaillant à les affranchir de toutes les oppressions. Dans ce but, les tertiaires doivent fonder ou aider, dans la mesure possible, les institutions propres à organiser équitablement et chrétiennement le travail, à prévenir ou secourir les misères diverses qui résultent de la maladie, du chômage, de la vieillesse ou de la mort».
Voilà qui est pratique. Ce n'est plus un christianisme énervé, bon pour les femmes et les enfants, c'est le christianisme véritable et complet, avec toute la bienfaisante influence sociale qui lui convient.
8. «Le congrès insiste sur l'esprit d'association à développer parmi les tertiaires, afin que les liens de solidarité qui doivent les unir soient resserrés sur le terrain social et économique aussi bien que sur le terrain surnaturel et religieux».
Ce vœu résume les précédents et les confirme.
Si ces vœux se réalisent, aujourd'hui comme au XIIIe siècle, le Tiers-Ordre renouvellera la société chrétienne.
Il ne peut pas y avoir d'ailleurs pour les prêtres et pour les vrais catholiques d'argument plus péremptoire que l'insistance étonnante de Léon XIII. Il a recommandé à l'Église entière le Tiers-Ordre de saint François par quatre actes solennels: l'Encyclique du 17 septembre 1882, où il recommande le Tiers-Ordre comme remède aux maux présents; la Bulle du 30 mai 1883, où il modifie la règle du Tiers-Ordre pour la rendre accessible au plus grand nombre; l'Encyclique du 8 mai 1884, sur la À, où il oppose le Tiers-Ordre à l'association subversive des francs-maçons; l'Encyclique pour le jubilé de 1886, où il recommande encore le Tiers-Ordre comme association de pénitence.
Par diverses lettres moins solennelles et diverses allocutions, le Saint-Père a insisté sur les mêmes pensées. Dans une audience du 18 décembre 1884, il indiquait le Tiers-Ordre comme «le remède qui doit relever et sauver la société». Dans une autre audience, à laquelle assistait monseigneur l'évêque de Marseille, il disait: «Répétez partout que „c'est par le Tiers-Ordre que je veux relever la France… j'ai été vraiment inspiré en le recommandant”».
Après cela, peut-on encore hésiter?
- Le Tiers-Ordre de saint François et le clergé séculier: francs 25, chez librairie Saint-Paul, 6, rue Cassette Paris.
- De SEGUR, Le Tiers-Ordre de saint François, édition nouvelle, chez Tolra, rue de Rennes, Paris, francs 40. ,
- Manuel du Tiers-Ordre: celui des Franciscains de l'observance se trouve à leur maison de Bordeaux, 3, rue de la Teste; celui des Capucins, à Lyon, chez Delhomme et Briguet; celui des Récollets, chez Valin éditeur, Caen.
- NORBERT, Léon XIII et le Tiers-Ordre, chez imprimerie franciscaine, 16, rue de Clamart, Vanves.
CHAPITRE XIII
Les patronages rentrent dans le cadre des œuvres sociales. «Cette œuvre ne doit pas être envisagée comme une œuvre de détail, comme une unité indépendante: elle a sa place marquée dans la structure de l'édifice social chrétien, comme une pièce de charpente dans l'assemblage général de la construction» (Manuel des patronages, par l'abbé Le Conte, vicaire général de Châlons).
Cette œuvre sera tantôt le point de départ, tantôt une conséquence de l'établissement d'un syndicat ou d'une corporation dans une paroisse.
Si l'on commence par les enfants, les jeunes patronnés grandiront. Ils auront pris goût à la vie d'association et voudront la continuer. Des hommes viendront se joindre à eux, le cercle d'ouvriers et le syndicat s'imposeront.
Si l'on commence par les hommes et qu'on les groupe en syndicat, ils auront leur ”lieu de réunion„, qui sera bientôt l'équivalent d'un cercle. Les enfants voudront avoir le leur et le patronage naîtra du syndicat. Ce sont des œuvres connexes.
Inutile de nous étendre longuement sur l'utilité des patronages. Sans le patronage, l'adolescent n'a que la rue ou le cabaret qui le reçoit avant l'âge, ou les sociétés de gymnastique, de tir ou de musique, qui sont des ”patronages laïques„ établis pour graviter dans l'orbite des loges.
Le foyer paternel ne suffit plus à cet âge-là qui réclame du mouvement, des jeux et des camarades.
Ouvrez donc aux apprentis et jeunes ouvriers, le dimanche, aux écoliers, le jeudi, un patronage où ils trouveront des délassements honnêtes avec quelques pratiques religieuses, sous les yeux du prêtre auquel ils s'attacheront pour toute leur vie.
1. Fondation. - Heureux les diocèses qui ont un conseil central actif et bien organisé!
À Châlons, par exemple, le conseil diocésain des œuvres est toujours prêt à aider à la fondation des patronages. Les curés trouvent là une direction, des ressources, des jeux, des livres, des récompenses.
Là, du jour au lendemain, une œuvre rurale peut être mise en possession de tout le mobilier qui lui est nécessaire.
Un patronage demande toujours quelques ressources. Pour se les procurer, le curé qui fonde une œuvre devra toujours s'efforcer d'avoir un comité local. Il n'est guère de paroisse où on ne puisse trouver quelques bienfaiteurs qui fourniront une souscription annuelle. À défaut du comité local ou pour suppléer à son insuffisance, on recourra au conseil diocésain, s'il y en a un.
On pourra toujours s'adresser aussi aux œuvres suivantes, à Paris:
a. L'Oeuvre de saint François de Sales, 11 bis, passage de la Visitation.
b. L'Oeuvre des campagnes, 11, rue Bellechasse.
c. L'Oeuvre de Notre Dame de Salut, 129, rue de l'Université.
d. La Commission des patronages, 7, rue Coëtlogon.
Cette dernière forme un office central et gratuit de renseignements pour la fondation et le développement des patronages, l'acquisition de jeux, de pièces, de tout ce qui peut être utile dans ces œuvres.
Elle a pour organe un bulletin mensuel qui fournit des renseignements utiles. Abonnement, 2 francs 50 par an.
2. Organisation. - Il y a à considérer ici le personnel, le local et les moyens d'action.
Il arrivera que le curé soit à lui seul tout le ”personnel dirigeant„. D'autres fois, il aura pour l'aider une petite Conférence de saint Vincent de Paul, ou au moins un ou deux hommes zélés. S'il commence seul, les plus grands et les plus fidèles de ses enfants deviendront bientôt ses auxiliaires.
Le ”personnel dirigé„ comprendra bientôt deux sections: celle des jeunes enfants recrutés dans les catéchismes et celle des adolescents qui formeront un petit cercle.
Pour le ”local„, le presbytère sera souvent la seule ressource, mais il semble de plus en plus nécessaire que les paroisses aient un local pour les œuvres. Le cercle, le syndicat ont besoin d'être chez eux. Les monographies d'œuvres rurales données à la fin du volume montrent que ce local est nécessaire. Il ne comprendra souvent qu'une ou deux salles avec une cour.
Souvent, on a converti en salle d'œuvres une dépendance du presbytère, remise, hangar, cellier, ou une maisonnette voisine.
Pour ce qui est des ”moyens d'action„, il faut faire en sorte de donner à ces œuvres un caractère vraiment social. Il faut en faire un organisme vivant et lui donner un conseil et des dignitaires qui se forment à l'apostolat en l'exerçant. C'est comme cela qu'on se prépare des auxiliaires pour les œuvres sociales proprement dites.
Nous ne pouvons pas nous étendre ici sur les autres moyens d'action en usage dans les patronages, pratiques de piété, chants, récompenses, récréations dramatiques, etc. Tout cela est connu et décrit abondamment dans tous les manuels de patronage.
Nous recommandons le Manuel de monsieur l'abbé Le Conte, 0 franc 50, chez l'auteur, à Châlons, et les documents de la Commission des patronages, rue de Vaugirard, 74, à Paris.
3. Conditions légales. - Il importe de savoir que les patronages ne sont soumis à aucune autorisation administrative. Ils ne tombent pas sous l'article 291 du Code pénal qui punit toute association non autorisée de plus de vingt personnes.
Des décisions administratives et judiciaires toutes récentes établissent formellement cette jurisprudence.
Un maire trop zélé, dans l'Oise, avait essayé d'interdire des réunions de patronage. Son arrêté, même sanctionné par le préfet, a été annulé par un arrêt du Conseil d'État du 11 février 1892.
Dans l'Aude, un curé qui avait fondé un patronage fut poursuivi pour délit d'association illicite. Le tribunal de Narbonne, le 11 janvier 1892, l'acquitta et déclara qu'une réunion de jeunes gens assemblés pour se livrer ensemble, sous la direction d'un abbé, à des exercices littéraires ou corporels n'était pas une association illicite, et qu'elle ne tombait pas sous le coup des dispositions de l'article 291 du Code pénal de la loi du 10 avril 1834.
La Cour de Montpellier confirma, le 27 février 1892, le jugement du tribunal de Narbonne.
Pour les ”représentations théâtrales et les loteries„, voir ce qui est dit plus haut au chapitre des cercles ruraux.
4. La congrégation. - Quand le patronage a quelque importance et qu'il contient une élite de quelques jeunes gens pieux, on fait de cette élite une Congrégation de la Sainte Vierge. La congrégation est pour le patronage ce qu'est le Tiers-Ordre pour le cercle ou le syndicat, ce qu'étaient les douze apôtres à côté des soixante-douze disciples.
La congrégation a un double but, la piété et l'apostolat. Elle a ses réunions spéciales, son règlement, son conseil. Les congréganistes ont quelques pratiques de piété déterminées: une dizaine de chapelet chaque jour, la sainte communion tous les huit ou quinze jours.
On leur conseille de faire une lecture pieuse et une visite au saint sacrement.
Le dimanche, à leur réunion spéciale, ils prient ensemble, et le prêtre directeur leur fait un entretien sur la piété ou l'apostolat.
Ils donnent l'exemple dans la paroisse pour l'assistance aux offices. Ils sont les premiers auxiliaires des œuvres, pour la propagande de La Croix, pour la propagation de la foi et la Sainte-Enfance, etc.
Il y a beaucoup de bons manuels pour la direction des congrégations. On trouve des manuels pour les hommes et pour les enfants au bureau du Messager du Sacré Cœur, à Tournai (Belgique). Généralement, les manuels n'insistent pas assez sur la pratique de l'apostolat.
Dans un document de l'Union des associations, rue de Verneuil, 32, sur les associations de piété, on trouve d'excellents conseils pour promouvoir, dans les œuvres, l'esprit d'apostolat. On propose l'examen de conscience suivant, que les congréganistes peuvent faire en particulier, ou même en commun sans nommer la personne qu'ils ont en vue:
Avez-vous déterminé dans votre esprit une personne à gagner au bien? Avez-vous prié et fait prier spécialement pour elle? Lui avez-vous donné des livres ou des journaux à lire? Pourrez-vous la décider à assister aux offices, à faire ses pâques, à communier à telle fête? Croyez-vous que la personne gagnée pourra de son côté exercer l'apostolat?
La piété et l'apostolat doivent être sur le même pied dans les congrégations.
5. Résultats. - Certains diocèses ont déjà un bon nombre de ces œuvres et les paroisses en retirent un très grand fruit.
Le diocèse de Cambrai compte 140 patronages ruraux; celui d'Arras, 50; celui de Nancy, 30. À Châlons, le dernier rapport du 24 juillet 1892 en signalait 55. La plupart des diocèses en comptent quelques-uns et leur nombre augmente chaque année.
On a donné dans tous les congrès d'œuvres des monographies de patronages; inutile de recommencer ici.
Mais ce qu'il importe de retenir en terminant, c'est qu'un patronage ne doit être ni l'œuvre unique, ni l'œuvre principale d'une paroisse.
L'œuvre principale est celle des hommes. L'œuvre des enfants ne peut être qu'une transition ou un appoint. Ceux qui se contenteraient d'une œuvre d'enfants resteraient dans la routine d'un apostolat faible et timide qui a fait dire que la religion était bonne pour les femmes et pour les enfants.
Dans les monographies citées au Manuel de monsieur Le Conte, je vois divers patronages qui s'estiment heureux d'avoir conservé les jeunes gens jusqu'à seize ou dix-sept ans. C'est mieux que rien, mais ce ne sont pas là des œuvres vraiment sociales.
Je vois qu'à Mohon (Ardennes), monsieur le curé a commencé l'œuvre avec des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans. Ils sont devenus des apôtres. Ils ont répandu La Croix. Ils se sont multipliés. Ils ont fondé la Confrérie de Notre Dame de l'Usine. Ils sont maintenant de 80 à 100 aux jours de communion. Ils affirment hautement leur foi chrétienne et contribuent largement à la transformation de la paroisse. Bravo! Là, c'est vraiment une œuvre sociale, mais ce n'est plus un patronage. On peut avoir les deux.
Je vois qu'à Bouxières-aux-Dames (Meurthe-et-Moselle), le patronage d'enfants s'est dédoublé. Sa grande salle de 14 mètres de long est coupée par une cloison mobile qui s'ouvre pour les grandes fêtes. D'un côté, c'est le patronage avec 40 enfants; de l'autre, c'est le cercle avec 15 grands jeunes gens de quinze à vingt-cinq ans et 12 pères de famille. C'est bien; il y a là au moins les bases d'une œuvre complète. Qu'on y ajoute le syndicat et le crédit agricole, et la vie corporative renaîtra dans la petite paroisse.
- Manuel du patronage, au Secrétariat de la Société de saint Vincent de Paul, rue de Furstemberg, Paris.
- COMBE, Instructions sur les patronages, chez Pamiès, à Carcassonne.
- De SEGUR, Avis et conseils aux apprentis, chez Tolra, 112, rue de Rennes, Paris, 0 franc 30,
- De SEGUR, Le jeune ouvrier chrétien: petites directions spirituelles, chez Tolra , 112, rue de Rennes, Paris
- JAUD, Conseils à la jeunesse chrétienne, chez l'auteur, Châlons (Vendée).
- Scènes et dialogues populaires, pour fêtes et soirées, 0 franc 60, chez Poussielgue, rue Cassette, Paris.
- Documents gratuits sur les patronages, au Bureau central des œuvres, 32, rue de Verneuil, Paris.
CHAPITRE XIV
Les associations des mères chrétiennes sont affiliées à l'Oeuvre de Notre Dame de Sion, à Paris, rue de Sèvres.
Etablies par des curés zélés ou par des missionnaires, ces réunions se maintiennent aussi longtemps que subsistent les influences capables d'entretenir le zèle et la piété.
Leurs membres assistent à une messe mensuelle à laquelle est faite une instruction; on y communie et on y prie à l'intention des membres de la famille.
C'est généralement un noyau de personnes de piété ayant du loisir, et les mères de famille ouvrières restent en dehors.
Les réunions des mères chrétiennes seront bien plus suivies, plus vivaces, si elles sont fondées et dirigées principalement en vue d'être utiles aux femmes des ouvriers.
1. Nécessité et avantages. - La mère ayant une grande influence au foyer, on obtiendra par elle le maintien de la vie chrétienne dans toute la famille. Dieu a formé le cœur de la mère exprès pour fixer le cœur de l'homme dans le devoir et inspirer aux enfants la piété et l'amour du bien. L'association chrétienne contribue merveilleusement à surnaturaliser ces dispositions, et le résultat est immédiatement tangible: paix au foyer, soumission des enfants, économie dans les détails du ménage.
Si l'association a pour objectif principal de patronner les ménagères et de les sanctifier, ce sera un champ naturellement ouvert pour l'exercice des devoirs de patronage, pour l'apostolat mutuel de la charité.
2. Fondation. - Pour fonder une association de mères chrétiennes, on cherchera d'abord des auxiliaires dont le dévouement et l'intelligence puissent surmonter les difficultés.
S'il se rencontre plusieurs dames d'une condition influente, elles peuvent être groupées sous le nom de dames patronnesses, qui s'occuperont, l'une des pauvres, l'autre des malades, d'autres des enfants du catéchisme, et même du patronage des jeunes garçons, mais surtout de l'association des mères chrétiennes comme dignitaires.
Le nom de dames de Charité, celui de dames de la Providence ou de dames du Sacré Cœur ou de Notre Dame du Salut, ou simplement le vocable du patron de la paroisse seront souvent préférables. Si elles sont assez nombreuses, on pourrait y chercher les éléments d'un comité pour les œuvres paroissiales.
Une deuxième section comprenant les femmes de la classe ouvrière prendra le nom de sainte Anne ou de Notre Dame des Champs. Cette division ne saurait avoir lieu dans les petites localités.
Une légère cotisation peut être fixée.
3. Réunions mensuelles. - Chaque mois, dans le courant de la semaine, au jour de la fête marquée dans le coutumier de l'archiconfrérie ou au jour le plus commode qui suit, il y a une réunion à l'église ou dans une chapelle, à des heures où ni le ménage ni les enfants ne souffrent de cette absence.
”Les sujets à traiter„ dans ces réunions sont principalement: Les devoirs d'état, l'éducation chrétienne des enfants, l'influence de la religion dans la famille, les bienfaits des associations, le bonheur qui résulte pour la mère de la pratique religieuse dans la famille.
4. Ouvroir de charité. - Un ouvroir est un lien extérieur de charité entre les membres de l'archiconfrérie des mères chrétiennes. Il prendra le nom de réunion de sainte Anne ou de la Providence. C'est un centre pour les femmes d'employés ou d'ouvriers qui veulent consacrer quelques heures par semaine au vestiaire de l'association. On se réunit un jour par semaine et on travaille pour les pauvres, pour les enfants; on prépare des layettes, du linge, des vêtements. Dans bien des petits ménages, les femmes peuvent donner plusieurs heures par semaine. C'est un moyen de les initier au dévouement. Pour que les devoirs du patronage chrétien s'exercent efficacement et autrement que pour la parade, il faut des rapports personnels. La charité exercée en commun prépare les cœurs à la confiance, à l'estime et à l'affection.
Les associées qui le peuvent sont donc invitées à venir une fois par semaine à l'ouvroir ou à y envoyer une de leurs filles.
Le travail est sanctifié par la récitation du chapelet et par des conversations édifiantes que prépare une lecture choisie spécialement pour la réunion.
C'est à l'ouvroir que les conseillères chargées des malades font leur rapport et que les secours sont décidés.
Une réunion mensuelle générale a lieu à l'ouvroir, la réunion à l'église étant consacrée à la piété.
Dans les petites paroisses où les travaux sont exclusivement agricoles, on pourra rendre compte des intérêts de l'œuvre à l'église même, afin de ne pas multiplier les réunions.
5. Rôle du conseil. - La direction se compose du prêtre directeur et d'une dame présidente.
Moins le prêtre sera obligé d'entrer dans le gouvernement direct et plus il laissera à l'œuvre d'initiative propre, plus elle a chance de se développer et de procurer le bien; il laissera donc son action et son influence sous le voile du conseil qui a seul la responsabilité des mesures prises et appliquées.
La direction est assistée par des conseillères qui remplissent les fonctions de vice-présidente, secrétaire, trésorière. Parfois de braves femmes, de condition modeste, mais intelligentes et zélées, introduites dans le conseil pousseront les dames en avant et les forceront d'embrasser le parti de la piété avec la réception fréquente des sacrements.
La présidente se tient en rapports constants avec les conseillères.
La vice-présidente remet à chaque conseillère les billets individuels destinés à convoquer les associées. Ces billets portent le nom de chacune des sociétaires, les dates et les heures des réunions.
Une dame qui, sans raison valable et sans excuses, a manqué trois fois de suite aux réunions du mois est censée avoir renoncé à l'archiconfrérie.
Voici un modèle de convocation:
PAROISSE
DE ASSOCIATION DES MÈRES CHRÉTIENNE
XXX
Madame……………… est invitée à la réunion mensuelle, le mardi à 3 heures et à la messe mensuelle, le jeudi à 7 heures du matin.
Ce rappel écrit est nécessaire pour triompher de l'oubli et de la négligence.
La réunion du ”bureau„ a lieu une fois par mois:
La ”secrétaire„ convoque les conseillères, fait les procès-verbaux dans lesquels elle indique le chiffre des présences et des absences. Elle tient les livres nécessaires à l'association.
On peut diviser l'archiconfrérie par quinzaines pour le rosaire vivant et diviser ensuite chaque quinzaine en trois sections; les communications seront ainsi rendues extrêmement faciles.
6. Secours mutuels. - ”Une trésorière„ tient la caisse qui est alimentée par des cotisations ou par les quêtes des réunions; elle rend compte des dépenses et fait les achats décidés par le conseil.
Une conseillère ”infirmière„ est chargée de toutes les malades et chaque conseillère visite les malades de sa section. Les conseillères présentes à l'ouvroir s'occupent des secours urgents à distribuer aux malades, aux veuves et aux jeunes mères.
La caisse de l'association forme ”une caisse de famille„ où le conseil peut puiser pour aider les membres participants. Ce n'est pas une aumône, puisque c'est un fonds commun; ce n'est pas non plus un droit strict, puisque le conseil décide s'il y a lieu d'accorder un secours. C'est de la part des ”consœurs„ une aide bienveillante qui n'a rien d'humiliant ni d'administratif.
Suivant les ressources, quand une femme de l'association vivant de son travail est malade, on charge, à sa place, une personne de faire la cuisine de la famille, le ménage et les lavages.
7. Soins aux jeunes mères. - Quand un enfant naît dans l'association, ”s'il y a lieu„, on fait présent d'un petit trousseau, d'une layette préparée à l'ouvroir.
On veille à ce que les prescriptions du médecin soient suivies et notamment à ce que la jeune mère ne se lève pas avant le dixième jour.
Une laveuse fait le service de la maison jusqu'à ce que la mère puisse reprendre ce travail.
Il serait à désirer même que l'association pût allouer aux familles d'ouvriers une indemnité pour couches, équivalente à tous les frais. Voir Manuel de la Corporation chrétienne, par monsieur Léon Harmel.
N. B. - Des institutions analogues, professionnelles ou charitables, sont aujourd'hui nécessaires pour permettre aux femmes d'ouvriers de triompher du respect humain. Avec cet appoint matériel, les ouvriers forceront leurs ménagères à être assidues aux réunions des mères chrétiennes.
CHAPITRE XV
===LES CONFRÈRIES ET CONGRÉGATIONS DE LA TRÉS SAINTE VIERGE===
Sous le nom de Congrégations de la Très Sainte Vierge, il existe dans les collèges et dans bon nombre de paroisses des associations de piété qui font un grand bien.
Pour répondre à la pensée primitive de leur institution, ces Congrégations doivent s'adjoindre les œuvres de charité corporelle et avoir au moins leur caisse au service des pauvres.
Le père Aquaviva, aidé de dix-sept consulteurs, fit lui-même les règles de la Congrégation ”primaire„ (prima-primaria), lesquelles, conformément à la bulle Omnipotentis Dei de Grégoire XIII, doivent être inviolablement observées par toutes les Congrégations qui sont agrégées.
Ces règles, en vertu des pouvoirs confiés aux généraux de la Compagnie de Jésus, ont subi différentes modifications.
Celles qui sont actuellement en vigueur ont été approuvées par le très révérend père Beckx, général de la Compagnie, et publiées à Rome en 1855, sous le titre: //Leges et statuta sodalitatum Beatae Mariae Virginis quae Primariae conjunctae sunt.//
Ces règles s'appliquent aux congrégations des deux sexes. Pour l'affiliation, on devra donc s'adresser au Provincial de la Compagnie de Jésus. C'est la voie la plus simple et la plus facile pour procurer à une association quelconque l'avantage des indulgences et la canonicité.
Comme conditions:
1. Il faut que l'ordinaire ait préalablement reconnu et approuvé la congrégation que l'on veut faire affilier. La copie de l'ordonnance est requise.
2. On doit soumettre à l'ordinaire le règlement de la congrégation. Ainsi, l'association aura un directeur spirituel, un préfet, des assistants, un secrétaire et autres dignitaires composant un conseil. Cependant l'élection et la nomination des dignitaires, si importantes pour le bien et les progrès de l'association, ne sont pas essentielles pour le gain des indulgences.
3. La demande doit indiquer la classe des personnes qui composent la congrégation et le vocable ou la fête titulaire; car il faut que la congrégation soit consacrée à honorer un mystère ou un titre de la Sainte Vierge.
Elle peut néanmoins avoir un patron ou un titre secondaire: les saints Anges, saint Joseph, le patron de la paroisse.
4. La congrégation doit avoir été établie et avoir fonctionné quelque temps (trois mois, par exemple) avant qu'on demande le diplôme.
Parmi les confréries en l'honneur de la Très Sainte Vierge, il n'en est point de plus populaire que celle qui réunit des jeunes personnes; ces réunions sont cependant pleines de difficultés.
Dans les paroisses qui ont une œuvre sous la direction des Filles de la Charité, l'association prend le titre d'//Enfants de Marie Immaculée //et la chapelle des religieuses est la chapelle de l'association; ailleurs on peut se contenter du règlement des congrégations ordinaires.
On trouvera tous les renseignements pratiques dans le //Manuel des Enfants de Marie Immaculée à l'usage des réunions externes dirigées par les Filles de la Charité. //Paris, D. Dumoulin et C, 5, rue des GrandsAugustins.
1. BUT ET AVANTAGES:
a.// Préservation individuelle. - //On a constaté que partout où domine le culte de la Très Sainte Vierge, les mœurs sont honnêtes et pures. Consacrer des jeunes personnes à la Mère de Dieu, c'est assurer leur vertu par une sauvegarde, leur foi par la piété, et les meilleures qualités du cœur par un modèle qui est de même efficace.
b. Conservation de la foi dans la paroisse. - Souvent une paroisse où la foi s'est conservée forme un contraste frappant avec l'infidélité des paroisses du voisinage. Quand on examine la conduite pastorale, on s'aperçoit que dans la paroisse fidèle, il y a des exercices publics en l'honneur de Marie. Cette pratique a eu l'effet d'un ”sacramental„.
Pour établir ces exercices: Vêpres de la Sainte Vierge ou chapelet, et pour les conserver, les ranimer ou les remettre en honneur, le meilleur moyen est une confrérie de jeunes personnes.
c. Développement de la piété. - Il résulte de cette association l'entraînement mutuel du bon exemple, des grâces plus abondantes que donne la communauté de prières et de bonnes œuvres, un apostolat réciproque, des rapports plus intimes de charité, un véritable appui moral dans les peines et dans les difficultés.
Le port de la médaille est un mémorial des engagements pris et sa vertu miraculeuse est une armure tutélaire.
Enfin les indulgences nombreuses de l'association sont un encouragement à la communion et à la prière.
2. FORMATION.
À l'occasion d'une mission ou d'une retraite, ou simplement à la clôture du temps pascal, on réunit l'élite des jeunes personnes susceptibles d'êtres groupées. On leur parle du but et des avantages de la réunion des enfants de Marie pour leurs familles et pour elles-mêmes.
Ce sera mieux si le premier choix pour cette convocation est fait par la future directrice, ou par une jeune personne influente qui serait indiquée naturellement comme devant être la présidente, et si l'initiative est confiée à un prédicateur missionnaire de passage.
On pourrait commencer par recevoir enfant de Marie une jeune fille de bonne volonté qui chercherait à en gagner quelques autres à mesure qu'il s'en rencontrerait inspirant une confiance raisonnable.
3 COMPOSITION DE LA CONGRÉGATION.
La congrégation se compose des enfants de Marie proprement dites, qui forment le corps de l'association, et des aspirantes, qui n'y sont admises qu'après un temps d'épreuve plus ou moins long, afin de constater si elles ont les qualités requises.
Les aspirantes ont la plupart des privilèges des enfants de Marie; elles prennent part à la réunion mensuelle. Après trois mois de postulat et de bonne conduite, l'aspirante est présentée au conseil. Si elle est refusée, l'admission est ajournée; on veille à ne pas décourager la bonne volonté, sans cependant compromettre l'esprit de l'association.
4. FONCTIONS DU CONSEIL.
Le conseil est chargé de la direction.
Il se compose:
a. Du prêtre directeur.
b. D'une religieuse ou d'une dame ou demoiselle influente faisant fonction de "//directrice//"//.//
c. D'une présidente, assistée d'une ou plusieurs vice-présidentes.
d. De conseillères élues.
La direction comprend:
a. L'ordre et le temps des séances.
b. Les affaires soumises au conseil.
c. La réception des aspirantes et des congréganistes.
d. La préparation des fêtes.
e. L'étude des moyens de zèle dans la congrégation et autour de soi.
f. Le maintien de l'édification parmi les membres et les moyens d'y arriver.
g. La répartition des fonds de la caisse de famille entre les membres participants.
N.B. - Pour les autres règles indiquées dans le Manuel des Congrégations, ou dans le Manuel des Enfants de Marie Immaculée, comme elles ne sont que directives, elles sont laissées à la prudence et à la sagesse du prêtre directeur et de la directrice, qui seuls, peuvent être juges de leur opportunité. On pourra d'abord rédiger un simple coutumier d'après les règles du père Beckx ou d'après les détails du manuel à l'usage des Filles de la Charité. Plus tard on en extraira un règlement spécial à l'œuvre locale.
5 ESPRIT DE L'ASSOCIATION.
a. Les enfants de Marie se font un devoir de ne pas fréquenter les bals, les théâtres et autres réunions dangereuses, d'éviter les lectures immorales, comme les romans, les feuilletons, etc. Elles ont à cœur d'honorer leur divine Mère par leur modestie, leur piété, leur charité et leur dévouement. Elles veillent à se rendre dignes de marcher sous la bannière tutélaire de la Très Sainte Vierge.
b. Pour avoir plus d'efficacité, l'Association des enfants de Marie se regarde comme instituée en faveur des jeunes filles ouvrières et de celles qui ont le plus de simplicité dans le genre de vie et la mise extérieure.
c. La directrice doit avoir, indépendamment du prêtre, son initiative formelle dans le gouvernement de l'association.
d. Les conseillères doivent être de véritables auxiliaires par qui tout se fait; le talent de la direction est de les mettre en œuvre pour l'apostolat, pour l'intérêt des réunions et l'entrain des jeux, pour les industries de la charité, etc.
On se proposera de provoquer les dévouements en utilisant toutes les bonnes volontés et toutes les aptitudes et surtout de développer l'esprit d'apostolat mutuel qui doit s'exercer soit au dedans de l'association, soit au dehors, dans la famille et à l'égard des jeunes filles d'humble condition susceptibles d'être attirées et gagnées.
6. RÉUNIONS.
La réunion commence par une lecture spirituelle. La directrice fait une courte exhortation sur les matières qui regardent l'avancement spirituel des enfants de Marie.
Tous les mois, le prêtre directeur vient présider et fait une allocution; cette réunion mensuelle est obligatoire à moins d'empêchements graves que la directrice appréciera.
Tous les dimanches il y a récréation commune et jeux, qui, pour l'entrain, doivent être préparés par une commission et une conseillère, maîtresse des jeux.
Un coutumier dressé dès la première année, entretenu et amélioré par l'expérience, prévoit les fêtes et les promenades et varie les divertissements et les diversions qui détourneront des plaisirs dangereux du dehors.
Dans certaines œuvres, on a joint à l'Association des enfants de Marie une caisse de famille qu'alimente une quête mensuelle, ou une cotisation qui en fait une société de secours mutuels: ou bien il y a une caisse d'épargne qui prépare la dot pour le mariage. Cette aide matérielle, sous une forme ou sous une autre, est aujourd'hui indispensable comme force contre le respect humain, comme encouragement aux familles ouvrières et comme exercice du devoir de patronage pour les jeunes personnes aisées.
Il importe d'affirmer que les associations tendent aux unions chrétiennes. Il serait avantageux, où ce sera possible, de fournir une petite dot de 50 francs ou de 100 francs aux filles d'ouvriers.
On donnera du moins une solennité spéciale aux mariages des enfants de Marie. Par exemple, la bannière de la Très Sainte Vierge est portée au-devant de l'enfant de Marie par les conseillères qui la tiennent près d'elle pendant la cérémonie. Ses autres compagnes qui le peuvent assistent à la messe. La mariée porte le ruban bleu et la médaille sur sa robe de noces; après la messe, elle va à l'autel de la Sainte Vierge sur lequel on dépose son ruban. La médaille lui est laissée comme souvenir. On lui remet une chaînette d'argent et un paroissien complet, dons de l'association, etc.
10. MALADIES ET DÉCÈS. - Lorsqu'une enfant de Marie tombe malade, la directrice, la présidente et une conseillère appelée infirmière s'entendent pour la visiter ou la faire visiter par les autres, l'environnent de soins affectueux et pourvoient autant qu'il est en elles à ses besoins matériels et spirituels.
S'il y a lieu, elles la disposent aux sacrements de l'Église.
Si un décès survient, non seulement la bannière de la Très Sainte Vierge est portée à l'enterrement, comme cela se pratique en beaucoup d'endroits pour les jeunes filles, mais les enfants de Marie font tout ce qui est en elles pour rehausser la cérémonie.
Dans les réunions qui suivent, on récite le De profundis pour la défunte et l'association fait célébrer à son intention le saint sacrifice de la messe.
L'expérience a démontré la nécessité d'un lieu spécial pour la réunion des enfants de onze à quinze ans dont la turbulence fatigue les grandes.
Il est bon qu'elles aient leur directrice spéciale.
Une conseillère des enfants de Marie leur est donnée comme présidente et celle-ci s'entoure de dignitaires prises parmi ses jeunes protégées.
CHAPITRE XVI
1.// L'Union des œuvres ouvrières. - //Cette œuvre générale a son bureau central à Paris, //32//, rue de Verneuil.// //On peut toujours correspondre avec son secrétaire. Elle a son bulletin mensuel. Elle transporte ses grandes assises annuelles, depuis vingt ans, de province en province. Elle a suscité des milliers d'œuvres. Elle a eu la gloire d'être présidée par monseigneur de Ségur et par monseigneur Gay. Elle a suscité et fondé partout des bureaux diocésains d'œuvres et des conférences d'œuvres dans les Grands Séminaires. Elle procure pour quelques centimes des renseignements sur toutes les œuvres à fonder, des modèles de statuts et de règlements. C'est la mine la plus riche pour les hommes d'œuvres.
2.// L'Union nationale et l'action sociale catholique. - //C'est l'œuvre de monsieur l'abbé Garnier. Elle a son siège, 1, rue Feydeau//, //à Paris. Elle a pour organe //Le Peuple français.//
On trouve au secrétariat de l'Union nationale des documents de tous genres sur la méthode de l'infatigable apôtre et sur les œuvres qu'il recommande.
3.// L'Association catholique de la jeunesse française. - //Son but est la formation de groupes d'étude et d'action parmi les jeunes gens. Toutes nos villes ont déjà répondu à l'appel de l'œuvre. Elle a son organe, la //Revue de la jeunesse catholique. //Son secrétariat est le même que celui de l'œuvre des cercles, 262, boulevard Saint-Germain,// //à Paris.
4. //L'Office central des institutions charitables. - //C'est là un bureau de renseignements très précieux. On y trouve toutes les indications dont on a besoin sur les œuvres charitables de la France et même de l'étranger.
Son bureau est à Paris, 175, boulevard Saint-Germain//.//
5. //L'Œuvre de saint François de Sales. - //Elle a pour but la conservation et la propagation de la foi à l'intérieur.
Elle donne son concours par des allocations, des livres et des objets de piété aux missions des campagnes, aux écoles libres, aux œuvres de patronage.
Elle a son siège à Paris, 11 bis, passage de la Visitation//.//
6. L'Œuvre des campagnes. - Elle soutient également les écoles et les patronages, elle favorise les missions et les bibliothèques paroissiales. Elle a été fondée par un saint prêtre, le révérend père Vandel. Son manuel est encore un des meilleurs pour les campagnes, quoiqu'il demande à être complété pour les œuvres d'hommes et les œuvres sociales.
Sa direction est 35, rue de Sèvres.
7.// L'Association de Notre Dame de Salut. - //Elle s'occupe aussi de propager et de soutenir les œuvres ouvrières. Elle a son siège à Paris, 129, rue de l'Université, comme l'œuvre des Pèlerinages nationaux.
Elle a aussi des directeurs diocésains.
1.// Œuvres d'apostolat général. - //Nous ne faisons que nommer en passant les grandes œuvres de la Propagation de la Foi, de la Sainte Enfance et des Ecoles d'Orient. Elles ont dans chaque diocèse un directeur particulier.
2. //Les Tiers-Ordres. - //Nous avons donné une notice spéciale sur le Tiers-Ordre franciscain. On en trouve la règle chez les éditeurs Delhomme et Briguet, à Lyon.
Les Fraternités du Tiers-Ordre se rattachent à l'une ou à l'autre branche de l'Ordre franciscain.
Le Tiers-Ordre dominicain se rattache à l'Ordre de saint Dominique. Pour s'y agréger, on peut s'adresser 222, faubourg Saint-Honoré//, //à Paris.
3. La Confrérie du saint rosaire. - C'est la plus ancienne des confréries en l'honneur de la Sainte Vierge. Elle a eu, comme le Tiers-Ordre de saint François, un rôle social immense, et elle peut l'avoir encore. En beaucoup de pays, en Espagne, en Italie, dans l'Amérique du Sud, elle avait ou elle a encore des biens-fonds, des valeurs, une caisse de famille, un conseil d'administration, un autel particulier ou une chapelle. Elle remplit le but qu'ont nos œuvres modernes: procurer aux familles des secours temporels en même temps que des avantages spirituels. On a oublié, en France, ce rôle de nos anciennes confréries.
Pour l'organisation des confréries du rosaire, on s'adressera aux maisons des révérends Pères dominicains.
4//. Les Confréries du saint sacrement. - //Toutes celles qui sont érigées canoniquement par les évêques participent aux indulgences et privilèges de l'archiconfrérie romaine de la Minerve. Ces faveurs sont indiquées dans les recueils d'indulgences.
5.// L'Apostolat de la prière et la communion réparatrice. - //Cette œuvre est très répandue. Elle a pris au Canada une forme sociale et militante qu'on pourrait imiter. Elle a chez nos frères de la nouvelle France ses réunions mensuelles d'hommes, ses processions, sa bannière. Elle groupe les hommes sous l'égide du Sacré Cœur.
La direction est à Tournai55).
6. //Les Confréries de Notre Dame de l'Usine et de Notre Dame des Champs. - //Ces confréries s'adaptent à tous les groupements d'ouvriers. Elles sont le lien religieux des syndicats et des corporations. Elles ont des bulletins périodiques très utiles pour les œuvres sociales.
S'adresser, pour la première, à monsieur le curé de Saint-Remi, à Reims; pour la seconde, à M. l'archiprêtre de Séez (Orne).
C. Œuvres de charité et de patronage
1. //Les Conférences de saint Vincent de Paul. - //La Belgique en a fondé deux cents nouvelles dans ces dernières années. Imitons-la. Enrôlons surtout les jeunes gens.
On peut s'adresser pour les règlements et renseignements au conseil diocésain, ou à Paris, au conseil central, rue de Fürstenberg, 6//. //On trouve là des documents pour les œuvres des campagnes comme pour celles des villes.
2.// Les orphelinats. - //On est souvent embarrassé, pour caser les orphelins. L'œuvre de l'adoption, rue Casimir-Delavigne, 9//, //à Paris, donnera les renseignements nécessaires.
La Société de patronage des orphelinats agricoles est 2, rue Casimir-Périer, à Paris.
3.// La Société Saint-François Régis, pour la revalidation des unions illégitimes. - //Cette œuvre est plus nécessaire que jamais à notre époque où règne l'épidémie du divorce et des unions libres. Cette association facilite le mariage religieux des indigents et la légitimation des enfants.
Son centre est à Paris, 13, rue Madame.
4.// Les œuvres de soldats. - //Beaucoup de paroisses ont pris la bonne habitude de célébrer une messe de départ pour les jeunes gens appelés au service militaire. C'est une bonne occasion de leur distribuer des manuels du soldat chrétien. On peut se les procurer chez monsieur l'aumônier du fort de Vincennes, moyennant0 franc 35 franco.
On trouve au Bureau central de l'Union des œuvres (32, rue de Verneuil) la liste de messieurs les ecclésiastiques auxquels on peut recommander les militaires. On fait bien de donner aux conscrits auxquels on s'intéresse une lettre de recommandation pour l'aumônier volontaire de la garnison à laquelle il est affecté.
CHAPITRE XVII
L'école chrétienne est considérée comme la première des œuvres dans tous les pays où l'Église jouit de la liberté.
En Angleterre, aux États-Unis, pour fonder une mission nouvelle, on ouvre d'abord une école qui, le dimanche, sert d'église.
Un prêtre qui a charge d'âmes aura pour premier souci d'avoir son école privée, si la Providence met entre ses mains les fonds nécessaires.
***
Les catholiques zélés qui, par leur instruction et leurs connaissances, peuvent seconder l'action du prêtre dans l'ouverture d'une école chrétienne, se mettront ainsi que lui en rapport au plus tôt avec monsieur le secrétaire de la //Société générale d'éducation et d'enseignement, //35, rue de Grenelle, Paris.
Ils trouveront tous les renseignements désirables dans une brochure éditée par cette société: //Commentaire de la loi du 30 octobre 1886, sur l'organisation de l'enseignement primaire et des règlements organiques du 18 janvier 1887.//
Les lois sur l'enseignement ayant pour but caché de combattre l'influence de l'Église en l'affaiblissant, il sera bon, pour ouvrir et diriger une école "//privée//"//, //de parcourir le //Bulletin de la Société générale d'éducation et d'enseignement. //On pourra ainsi se prémunir contre les embûches de la loi, on connaîtra le terrain demeuré libre et les garanties encore nombreuses qui n'ont pas été enlevées. Dans les doutes et les difficultés on peut recourir gratuitement au //secrétariat //de la même société; mais ces consultations, rendues par des hommes éloignés des circonstances complexes, d'où naissent souvent les entraves, ne dispensent pas d'étudier la loi et ses applications. Il faut surtout se renseigner auprès des hommes pratiques qui ont su tourner les obstacles dans des œuvres semblables.
***
La loi distingue:
1. Les écoles maternelles et les classes enfantines.
2. Les écoles primaires élémentaires.
3. Les écoles primaires supérieures.
4. Les écoles manuelles d'apprentissage.
(Loi du 30 octobre 1887, article Ier).
Les écoles fondées et entretenues par des associations et des particuliers sont dénommées écoles "//privées//"// //(//idem, //article 2.).
Nul ne peut être directeur ou adjoint chargé de classe dans une école publique ou privée, s'il n'est Français et s'il ne remplit, en outre, les conditions de capacité fixées par la loi du 16 juin 1881...
Toutefois, les étrangers remplissant les deux ordres de conditions précitées, et admis à jouir des droits civils en France, peuvent enseigner dans les écoles privées, moyennant une autorisation donnée par le ministre, après avis du Conseil départemental (//idem//, article 4)
Sont incapables de tenir une école publique ou privée, ou d'y être employés, ceux qui ont subi une condamnation judiciaire pour crime ou délit contraire à la probité ou aux mœurs (//idem//, article 5).
L'enseignement est donné par des instituteurs dans les écoles de garçons, par des institutrices dans les écoles de filles, dans les écoles maternelles, dans les écoles ou classes enfantines et dans les écoles mixtes (//idem//, article 6).
Nul ne peut enseigner dans une école primaire, de quelque degré que ce soit, avant l'âge de dix-huit ans pour les instituteurs, et dix-sept ans pour les institutrices.
Nul ne peut diriger une école avant l'âge de vingt et un ans.
Nul ne peut diriger une école primaire supérieure ou une école recevant des internes, avant l'âge de vingt-cinq ans révolus (//idem//, article 7)//.//
«L'inspection des établissements d'instruction primaire publics ou privés est exercée:
1. Par les inspecteurs généraux de l'Instruction publique.
2. Par les recteurs et inspecteurs d'Académie.
3. Par les inspecteurs de l'Enseignement primaire.
4. Par les membres du Conseil départemental désignés à cet effet.
Toutefois, les écoles privées ne pourront être inspectées par les instituteurs et institutrices publics qui font partie du Conseil départemental.
Une circulaire ministérielle du 25 mars 1887 décide que lés conseils départementaux peuvent autoriser les délégués cantonaux à visiter non seulement certaines écoles déterminées, mais encore toutes les écoles de leur canton. La même circulaire rappelle que ces délégués n'ont pas à s'occuper de l'enseignement proprement dit.
6. «Dans les écoles maternelles, concurremment avec les autorités précitées, par les inspectrices générales et les inspectrices départementales des écoles maternelles», seulement dans les écoles de cette catégorie.
7. «Par les médecins inspecteurs communaux ou départementaux», mais seulement au point de vue médical.
«L'inspection des écoles privées porte sur la moralité, l'hygiène, la salubrité et sur l'exécution des obligations imposées à ces écoles par la loi du 28 mars 1882. Elle ne peut porter sur l'enseignement que pour vérifier s'il n'est pas contraire à la morale, à la constitution et aux lois» (idem, article 9).
L'article 10 de la loi du 28 mars 1882 précitée, s'exprime ainsi:
Lorsqu'un enfant manque momentanément l'école, les parents ou les personnes responsables doivent faire connaître au directeur ou à la directrice les motifs de son absence.
Les directeurs et les directrices doivent tenir un registre d'appel qui constate, pour chaque classe, l'absence des élèves inscrits. À la fin de chaque mois, ils adresseront au maire et à l'inspecteur primaire un extrait de ce registre avec l'indication du nombre des absences et des motifs invoqués. Les motifs d'absence seront soumis à la commission scolaire. Les seuls motifs réputés légitimes sont les suivants: maladie de l'enfant, décès d'un membre de la famille, empêchements résultant de la difficulté accidentelle des communications. Les autres circonstances exceptionnellement invoquées seront également appréciées par la commission.
«Toutes les classes de jeunes filles, dans les internats comme dans les externats primaires publics et privés, tenues soit par des institutrices laïques, soit par des associations religieuses cloîtrées ou non cloîtrées, sont soumises, quant à l'inspection et à la surveillance de l'enseignement, aux autorités instituées par la loi.
Dans tous les internats de jeunes filles tenus par des institutrices laïques ou par des associations religieuses cloîtrées ou non cloîtrées, l'inspection des locaux affectés aux pensionnaires et du régime intérieur du pensionnat, est confiée à des dames déléguées par le ministre de l'Instruction publique».
Il résulte dés termes de la loi que les inspectrices ne peuvent visiter que les locaux affectés aux pensionnaires et n'auront d'investigations à exercer que sur le régime intérieur du pensionnat, sans avoir à s'occuper des locaux ou du régime de la communauté.
Les articles 142 et 143 du décret du 18 janvier 1887 ont précisé cette règle. L'inspection des dames inspectrices porte exclusivement sur les conditions hygiéniques dans lesquelles le pensionnat est établi. Elles ont le droit de rechercher si les dortoirs ne reçoivent pas d'enfants en nombre plus considérable que celui fixé par le Conseil départemental.
Il ne peut dépendre du préfet, de l'inspecteur d'Académie ou d'une autorité autre que celle du directeur, de laisser pénétrer dans l'école privée des personnes étrangères à l'inspection légale. Les préfets et sous-préfets eux-mêmes n'ont pas le droit d'y entrer. Par contre, les personnes que le directeur de l'école privée admettra, ministres du culte, fondateurs ou bienfaiteurs de l'établissement, inspecteurs libres, etc., pourront, s'il les y invite, devenir les témoins de son enseignement, interroger les enfants. etc.
Dans les écoles privées, les livres, les méthodes, les matières et les résultats de l'enseignement échappent à l'inspection.
L'article 167 du décret du 18 janvier 1887 confère aux personnes chargées de l'inspection dans les écoles privées le droit de se faire présenter les livres et les cahiers des élèves.
Cependant, l'article 35 de la même loi s'exprime ainsi:
«Les directeurs et directrices d'écoles primaires privées sont entièrement libres dans le choix des méthodes, des programmes et des livres, réserve faite pour les livres qui auront été interdits par le Conseil supérieur de l'Instruction publique, en exécution de l'article 5 de la loi du 27 février 1880».
Cet article porte: le Conseil donne son avis:
... Sur les règlements relatifs à la surveillance des écoles libres.
Sur les livres d'enseignement, de lecture et de prix qui doivent être interdits dans les écoles libres comme contraires à la morale, à la Constitution et aux lois, etc., etc.
«Aucune école privée ne peut, sans l'autorisation du Conseil départemental, recevoir d'enfants des deux sexes, s'il existe au même lieu une école publique ou privée spéciale aux filles» (idem, article 36).
Cette autorisation n'est donc pas nécessaire, si la localité ne possède pas d'école spéciale de filles; cette solution ressort nettement des termes de la loi.
«Aucune école privée ne peut recevoir des enfants au-dessous de six ans, s'il existe dans la commune une école maternelle publique ou une classe enfantine publique, à moins qu'elle-même ne possède une classe enfantine» (idem, article 36 ).
Les classes enfantines sont des classes intermédiaires entre l'école maternelle et l'école primaire (article 7 de la //Loi du 16 juin 1881//). Elles requièrent le brevet élémentaire.
Les écoles maternelles (salles d'asile) publiques ou libres, sont des établissements d'éducation où les enfants des deux sexes reçoivent les soins que réclame leur développement physique, intellectuel et moral. Les enfants peuvent y être admis dès l'âge de deux ans accomplis et y rester jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de sept ans (//Décret// //du 2 août 1881//)//.//
L'article 6 du décret du 18 janvier 1887, qui exige des directrices d'écoles maternelles le certificat d'aptitude pédagogique, n'est applicable qu'aux institutrices publiques.
Le droit de recevoir des enfants au-dessous de six ans appartient aux écoles privées, s'il n'y a pas dans la commune d'école maternelle ou de classe enfantine, et cela alors même que ces écoles libres n'auraient pas de classe enfantine spéciale, sans qu'elles aient besoin de demander aucune autorisation.
Il est à remarquer que, dans ce cas, et lorsqu'il s'agit d'écoles privées, la loi ne fixe pas l'âge "//minimum//" de l'entrée des enfants.
Les écoles maternelles ou enfantines privées peuvent recevoir des écoliers des deux sexes sans l'autorisation du Conseil départemental, car les écoles maternelles et les classes enfantines sont, par leur nature même, aux termes de l'article 7 de la loi du 16 juin 1881, destinées à recevoir des filles et des garçons.
Aux termes des articles 6 et 15, l'enseignement ne peut être donné dans les classes enfantines que par des institutrices.
On peut toujours, sans aucune formalité de déclaration ou d'autorisation, ouvrir une "//garderie//", c'est-à-dire réunir des enfants des deux sexes, âgés de moins de six ans. Comme il a été déclaré à la Chambre des députés (séance du 15 mars 1884), //«les //"garderies"// ne sont pas dans la loi; la loi n'a rien à voir avec elles...».//
Dans ces établissements, les enfants ne peuvent recevoir l'enseignement d'aucune des matières comprises dans le programme de l'instruction primaire; c'est le privilège des classes enfantines, dont l'ouverture spéciale est soumise aux conditions des écoles privées depuis le 1° janvier 1888.
S'il existe déjà une école maternelle ayant une directrice munie d'un certificat d'aptitude à la direction des salles d'asile antérieur à la loi du 30 octobre 1886, également s'il existe une école privée, ces écoles peuvent s'adjoindre une classe enfantine, sans demander aucune autorisation et sans avoir à faire de déclaration. Il suffit d'informer l'inspecteur d'Académie dans le cas de l'annexion d'une classe enfantine à une école privée. L'article 36, loin d'imposer aucune formalité préalable, réserve à l'école privée déjà existante sa liberté pleine et entière et lui permet de recevoir des enfants des deux sexes au-dessous de six ans, en concurrence avec les écoles enfantines publiques.
«Tout instituteur qui veut ouvrir une école privée doit préalablement déclarer son intention au maire de la commune où il veut s'établir, et lui désigner le local.
Le maire remet immédiatement au postulant un récépissé de la déclaration, et fait afficher celle-ci à la porte de la mairie pendant un mois.
Si le maire juge que le local n'est pas convenable pour raisons tirées de l'intérêt des bonnes mœurs ou de l'hygiène, il forme, dans les huit jours, opposition à l'ouverture de l'école et en informe le postulant.
Les mêmes déclarations doivent être faites en cas de changement du local de l'école, ou en cas d'admission d'élèves internes» (Loi du 30 octobre 1886, article 37).
Le postulant adresse les mêmes déclarations au préfet, à l'inspecteur d'Académie et au procureur de la République; il y joint, en outre, pour l'inspecteur d'Académie, son acte de naissance, ses diplômes, l'extrait de son casier judiciaire, l'indication des lieux où il a résidé, et des professions qu'il y a exercées pendant les dix années précédentes, le plan des locaux affectés à l'établissement, et, s'il appartient à une association, une copie des statuts de cette association.
L'inspecteur d'Académie, soit d'office, soit sur la plainte du procureur de la République, peut former opposition à l'ouverture d'une école privée dans l'intérêt des bonnes mœurs ou de l'hygiène.
«Lorsqu'il s'agit d'un instituteur public révoqué et voulant s'établir comme instituteur privé dans la commune où il exerçait, l'opposition peut être faite dans l'intérêt de l'ordre public.
A défaut d'opposition, l'école est ouverte à l'expiration du mois, sans autre formalité» (idem, article 38).
D'après la loi nouvelle, le maire ne peut exiger la déclaration des lieux où le postulant a résidé, ou des professions qu'il a exercées; le maire ne peut plus faire qu'une opposition purement matérielle, fondée sur les conditions du local proposé.
Le maire doit donc:
1. Donner au postulant un récépissé de sa déclaration.
2. Faire afficher à la porte de la mairie cette déclaration et en maintenir l'affichage pendant un mois.
3. Il peut former, s'il y a lieu, opposition à l'ouverture de l'école. Cette opposition ne peut reposer sur d'autres motifs que ceux de l'intérêt des bonnes mœurs et de l'hygiène.
Le maire a un délai de huit jours pour former cette opposition. Il use lui-même du droit d'opposition sans avoir, comme autrefois, à consulter le préfet.
Pour toutes les pièces à envoyer, le postulant fera bien, s'il les confie à la poste ou au guichet d'un bureau, d'exiger un récépissé constatant l'exactitude du bordereau. L'ouverture d'écoles privées a été retardée par la disparition de pièces dont il a fallu demander les duplicata.
Les diplômes à joindre pour l'inspecteur d'Académie sont les brevets nécessaires, suivant la nature de l'école qu'il s'agit d'ouvrir. L'extrait du casier judiciaire doit être demandé au greffe du tribunal civil de l'arrondissement dans lequel est né le postulant. - La demande doit être faite sur papier timbré. Le droit de greffe est de 3 francs 65. - L'extrait du casier judiciaire est délivré par le ministre de la justice aux postulants nés en Alsace-Lorraine ou aux colonies. Dans ce cas, la demande est transmise par le greffier du tribunal de l'arrondissement dans lequel le postulant a son domicile.
En cas de changement dans le local de l'école, il n'y a aucune déclaration à faire.
Mais en cas de changement du local lui-même, lorsqu'il y a translation de l'école dans un local nouveau, l'article 37 prescrit une simple déclaration au maire qui est juge du local; l'instituteur n'a pas à fournir les autres pièces qui le concernent personnellement, puisqu'il demeure ce qu'il était.
Les locaux d'une école libre n'ont pas besoin d'être conformes aux indications données par les actes et règlements administratifs quant aux conditions matérielles d'installation. Il sera bon cependant qu'ils offrent des conditions analogues.
La copie des statuts de l'association à laquelle appartient l'instituteur se réduit à une indication avec renvoi aux statuts et mention de la date de la reconnaissance quand il s'agit des membres de congrégations reconnues par l'État.
Quant aux membres des autres associations, ils ne doivent communiquer que la partie de leurs statuts qui touche à l'exercice de la profession d'instituteurs et non celle qui a trait plus intimement aux conditions de la vie religieuse.
Pour ne pas causer d'embarras à l'administration civile, les instituteurs congréganistes non reconnus pourraient se tenir dans le droit commun individuel sans mentionner leur situation de religieux, qui est purement du domaine de la conscience; c'est à la prudence des supérieurs à en décider, d'accord avec l'autorité épiscopale.
«Les oppositions à l'ouverture d'une école privée sont jugées contradictoirement par le Conseil départemental dans le délai d'un mois.
Appel peut être interjeté de la décision du Conseil départemental, dans les dix jours à partir de la notification de cette décision. L'appel est reçu par l'inspecteur d'Académie; il est soumis au Conseil supérieur de l'Instruction publique dans sa plus prochaine session, et jugé contradictoirement dans le plus bref délai possible.
L'instituteur appelant peut se faire assister ou représenter par un conseil devant le Conseil départemental et devant le Conseil supérieur.
En aucun cas, l'ouverture ne pourra avoir lieu avant la décision de l'appel» (idem, article 39).
Le préfet, informé de l'opposition faite par le maire ou par l'inspecteur d'Académie, désigne un rapporteur choisi parmi les membres du conseil, et, huit jours avant la séance, invite l'instituteur déclarant à comparaître ou à se faire représenter devant le conseil.
Le conseil, avant de statuer, entend l'intéressé, son conseil ou son représentant, entend les témoins et consulte les pièces produites. Il délibère hors la présence de l'instituteur.
L'instituteur, après avoir obtenu la main-levée de l'opposition, pourra ouvrir son école le jour même, et la tenir ouverte tant qu'il n'y aura pas d'appel; mais, l'appel une fois formé, il devrait congédier ses élèves et attendre que le Conseil supérieur ait statué.
«Quiconque aura ouvert ou dirigé une école, sans remplir les conditions prescrites par les articles 4, 7 et 8, ou sans avoir fait les déclarations exigées par les articles 37 et 38, ou avant l'expiration du délai spécifié à l'article 38, dernier paragraphe, ou enfin en contravention avec les prescriptions de l'article 36, sera poursuivi devant le tribunal correctionnel du lieu du délit et condamné à une amende de 100 à 1. 000 francs.
L'école sera fermée.
En cas de récidive, le délinquant sera condamné à un emprisonnement de six jours à un mois, et à une amende de 500 à 2.000 francs.
Les mêmes peines seront prononcées contre celui qui, dans le cas d'opposition formée à l'ouverture de son école, l'aura ouverte avant qu'il ait été statué sur cette opposition, ou malgré la décision du Conseil départemental qui aura accueilli l'opposition, ou avant la décision d'appel.
L'article 463 du Code pénal pourra être appliqué».
L'énumération des cas de fermeture peut être ainsi formulée complètement:
1. L'ouverture d'une école par un instituteur non Français, n'ayant pas été dûment autorisé.
2. L'ouverture par un instituteur non breveté et ne remplissant pas les conditions de capacité fixées par la loi du 16 juin 1881.
3. L'ouverture par un instituteur employant des adjoints ne remplissant pas ces mêmes conditions.
Les auxiliaires sont cependant autorisés par la loi, c'est-à-dire des //«jeunes gens qui se préparent au brevet de capacité, mais qui ne font pas la classe ou qui ne la font qu'à côté du maître et sous sa surveillance et, pour ainsi dire, en manière de répétitions»// (Cour de Nîmes).
4. L'ouverture d'une école dans laquelle l'enseignement serait donné pas des maîtres n'ayant pas l'âge requis.
5. L'ouverture des écoles, classes ou cours d'adultes ou d'apprentis, si cette ouverture n'est pas précédée des formalités prescrites.
6. L'ouverture d'une école avant l'accomplissement des conditions renfermées dans les articles 37 et 38.
7. L'ouverture d'une école avant l'expiration du délai d'un mois.
8. L'ouverture d'une école prenant le titre d'école primaire supérieure, sans que le directeur soit pourvu du brevet nécessaire.
9. L'ouverture d'une école recevant des enfants des deux sexes, dans le cas où la commune possède une école publique ou privée spéciale pour les filles.
10. L'admission d'enfants au-dessous de six ans dans une école non pourvue d'une classe enfantine, s'il existe dans la commune une école maternelle publique ou une classe enfantine publique.
11. L'ouverture d'une école malgré l'opposition formée par les autorités compétentes.
12. L'ouverture d'une école avant la main-levée de cette opposition et avant la décision sur l'appel.
L'article 463 du Code pénal s'exprime ainsi:
«Dans tous les cas où la peine de l'emprisonnement et celle de l'amende sont prononcées par le Code pénal, si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux correctionnels sont autorisés, même en cas de récidive, à réduire… l'emprisonnement même au-dessous de six jours et l'amende même au-dessus de 16 francs. Ils pourront aussi prononcer séparément l'une ou l'autre de ces peines et même substituer l'amende à l'emprisonnement, sans qu'en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de simple police».
«Tout instituteur privé pourra, sur la plainte de l'inspecteur d'Académie, être traduit pour cause de faute grave dans l'exercice de ses fonctions, d'inconduite ou d'immoralité, devant le Conseil départemental, et être censuré ou interdit de l'exercice de sa profession, soit dans la commune où il exerce, soit dans le département, selon la gravité de la faute commise.
Il peut même être frappé d'interdiction à temps ou d'interdiction absolue par le Conseil départemental, dans la même forme ou suivant la même procédure que l'instituteur public.
L'instituteur frappé d'interdiction peut faire appel devant le Conseil supérieur dans la même forme et selon la même procédure que l'instituteur public.
Cet appel ne sera pas suspensif» (article 41).
Il est facile de voir ce que cette énumération vague laisse à l'arbitraire.
Les peines que peut prononcer le Conseil départemental sont les suivantes:
1. La censure.
2. L'interdiction d'enseigner dans la commune.
3. L'interdiction d'enseigner dans le département.
4. L'interdiction à temps, et pour une durée qui ne peut excéder cinq ans (article 31).
5. L'interdiction absolue.
Quelles sont les mesures à prendre en cas d'interdiction prononcée contre un instituteur privé?
Il semble qu'il peut être pourvu à la vacance provisoire créée par l'interdiction au moyen de la désignation immédiate d'un nouveau maître remplissant les conditions légales, lequel entrera officiellement en fonction dans le délai d'un mois. Cela résulte du rapprochement des diverses lois d'enseignement. Dans la pratique, l'inspecteur autorise officieusement le nouveau titulaire à continuer l'enseignement sans interruption.
Le directeur devra donc aviser l'inspecteur du choix qu'il aura fait et justifier de la capacité de l'instituteur qui en aura été l'objet. L'inculpé a le droit de faire appel devant le Conseil supérieur de l'Instruction publique; mais cet appel n'est pas suspensif.
1. Publications de la Société générale d'éducation et d'enseignement:
Commentaire de la loi du 28 mars 1882.
Commentaire de la loi du 30 octobre 1886.
Les Commissions scolaires.
De la constitution des sociétés en vue de l'établissement d'écoles libres. La rétribution scolaire dans les écoles chrétiennes libres.
2. Vies de saints:
Vie du bienheureux Jean-Baptiste de la Salle.
Vie du vénérable Champagnat, fondateur des Petits-Frères de Marie. Vie de saint Joseph Calasanz, par l'abbé Timon David.
3. Œuvres du même auteur, entre autres:
Méthode pour la direction des œuvres de jeunesse.
La lecture de ces trois vies démontrera qu'il ne suffit pas, pour former des chrétiens, d'avoir ouvert des écoles et de les avoir pourvues de maîtres chrétiens, mais qu'il y faut l'action sacerdotale continue et surnaturelle pour féconder leurs efforts.
CHAPITRE XVIII
Cette usine considérable occupe 540 personnes, dont 400 femmes ou jeunes filles. Les œuvres y ont commencé en 1876. Les patrons, messieurs P. Vrau fils et Féron-Vrau, dont le zèle fait l'édification du centre industriel lillois, firent appel aux Sœurs de la Providence pour organiser les œuvres dans l'atelier. Ils obtinrent d'abord deux sœurs, puis quatre; six religieuses leur prêtent maintenant leur concours. Elles ont leur installation et leur oratoire auprès des ateliers. Leur présence fut facilement acceptée. Elles passent leur journée dans les ateliers. Elles surveillent, elles font les comptes de travail, elles inscrivent les demandes d'entrée; elles s'intéressent aux absentes, aux malades; l'une d'elles fait la classe aux jeunes filles.
Les ouvriers de l'usine se recrutent dans les cercles et les patronages. L'ensemble forme un milieu chrétien exceptionnel.
Les ouvriers et les ouvrières entrent et sortent par des issues différentes et à un quart d'heure d'intervalle.
La maison Vrau forme, avec cinq autres, une sorte de fédération qui constitue la Corporation chrétienne de saint Nicolas.
La maison a un conseil patronal composé des patrons, de leurs femmes, des cinq principaux employés et d'un aumônier. On y étudie, dans les réunions mensuelles, tout ce qui peut être entrepris dans l'intérêt moral ou matériel des ouvriers.
Elle a aussi un conseil intérieur pour les ouvriers et un autre pour les ouvrières. Un patron et l'aumônier assistent à leurs réunions. Ils se composent des surveillants d'ateliers et des délégués élus par leurs camarades. Ce sont les intermédiaires entre le conseil patronal et le personnel.
Nous ne pouvons que citer rapidement les œuvres de piété et de moralisation, et les institutions économiques fondées successivement par la maison Vrau.
Les ateliers ont des emblèmes religieux. On y prie avant et après le travail.
Une chapelle, fondée en 1886, dans la maison des sœurs, se prête aux catéchismes, aux confessions du samedi, à la messe et à la communion en semaine, mais toujours avec la plus grande liberté.
La Confrérie de Notre Dame de l'Usine a pris possession de la maison tout entière: les ouvrières en portent le ruban et la médaille à l'atelier.
Les retraites annuelles ravivent les bonnes volontés.
Le journal //La Croix// a cent abonnés dans l'usine.
Les jeunes filles fréquentent le patronage paroissial le dimanche. Les témoignages de présence qu'elles en rapportent leur donnent droit à une distribution de récompenses deux fois l'an.
Les jeunes ouvriers fréquentent le patronage ou le cercle, suivant leur âge.
Les institutions économiques sont libres. Elles comprennent une caisse de secours mutuels, une caisse d'assistance, un économat populaire, une caisse de prêts, une caisse d'épargne.
Ce n'est pas tout, mais c'est assez pour indiquer combien la vie corporative chrétienne est puissante dans la maison Vrau. Aussi c'est une oasis où la religion concourt au bien commun, à la paix sociale, et, par surcroît, à la prospérité matérielle.
CHAPITRE XIX
1. Historique. - Les œuvres du Val-des-Bois datent de 1861. Jusque-là, pas un ouvrier n'y remplissait ses devoirs religieux.
On commença par une modeste école des Filles de la Charité.
Il fallut deux ans pour arracher quelques jeunes filles aux séductions des fêtes profanes du dimanche et les grouper sous la bannière des Enfants de Marie.
En 1863, trois Frères des Écoles chrétiennes commencèrent l'école des garçons. En 1867, ils pouvaient, avec une quinzaine de jeunes gens et quelques pères de famille, organiser le Cercle Saint Joseph.
L'apostolat des œuvres se développait. Quelques conversions apportaient dans les familles des joies jusqu'alors inconnues. L'Association de sainte Anne commença à grouper les mères de famille en 1868. Ce fut un grand progrès. La paix du foyer, l'économie domestique, l'éducation des enfants en reçurent un merveilleux accroissement.
Un modeste oratoire avait été inauguré en 1862. Il fut depuis remplacé par une belle chapelle ogivale.
Depuis 1870, les diverses associations sont réunies en un tout qu'on appelle la corporation chrétienne. Leur union est cimentée par des institutions économiques que gouverne le conseil corporatif.
La pratique chrétienne, qui était inconnue dans l'usine avant les œuvres, en est devenue la règle générale. Les trois quarts de la population de l'usine font partie des associations. Dans la chapelle de l'usine, il y a 1.300 communions par mois, et cependant la liberté sur ce point est absolue.
La population ouvrière du Val a pris une physionomie d'honnêteté, de douceur, de bon ton qu'on ne trouve nulle part ailleurs.
2. Personnel. - Les ”patrons„ vivent au milieu de leur population ouvrière. Ils invitent les conseillers à leur table en diverses circonstances.
En 1893, le bon père recevait à dîner, le soir en semaine, successivement les 28 sections qui comprennent tous les hommes de l'usine.
Selon une tradition constante dans la famille, le ”futur patron„ fait son apprentissage dans l'usine et passe successivement dans chacun des services.
Il ne quitte un poste que lorsqu'il a pu complètement remplacer l'ouvrier ou le contremaître pour le compte duquel il travaille, pendant une ou deux semaines de congé accordées au titulaire.
Les ”contremaîtres et employés„ sont choisis, autant que possible, dans les familles des anciens ouvriers, qui ont ainsi en perspective une certaine ascension professionnelle.
L'autorité des contremaîtres est limitée. Ils ne peuvent ni embaucher, ni renvoyer, et les amendes qu'ils infligent ne deviennent définitives qu'après la signature d'un patron.
Les remontrances paraissent préférables et n'ont pas le côté odieux de la retenue sur le salaire. Aussi, la somme des amendes versées chaque année à la Société de secours mutuels ne dépasse-t-elle guère 20 francs.
Le recours au patron est maintenu à tous sans distinction.
Le personnel des ”ouvriers„ de l'usine comprend 610 personnes, dont 400 hommes et jeunes gens et 210 femmes et jeunes filles.
Les écoles tenues par les Frères des Écoles chrétiennes et les Sœurs Servantes du Cœur de Jésus (de Saint-Quentin) reçoivent 355 enfants.
Une ”compagnie de vétérans„ a été formée des ouvriers qui ont travaillé plus de vingt-cinq ans à l'usine. Elle a son conseil, ses insignes, ses fêtes. Elle comprend 50 membres. L'un d'entre eux porte une décoration du Saint-Siège, 8 portent la décoration tricolore de la médaille d'honneur du ministère, plusieurs autres ont reçu des diplômes de Reims ou de Paris.
Douze ouvriers ont plus de quarante ans de service dans l'usine; 30 ont plus de trente ans.
La population ouvrière du Val a déjà donné à l'Église des prêtres, des religieux et des religieuses. Au mois de mars 1895, elle comptait 14 élèves ecclésiastiques.
3. Associations fondamentales. - La population ouvrière est répartie comme il suit dans les associations:
Saint-Louis de Gonzague, 6 à 13 ans | 93 |
Petit Cercle, 13 à 16 ans | 34 |
Hommes au-dessus de 16 ans (Cercle) | 313 |
440 | |
Sainte-Philomène, filles de 6 à 11 ans | 55 |
Saints-Anges, de 11 à 15 ans | 51 |
Enfants de Marie, de 15 ans au mariage | 132 |
Sainte-Anne, femmes mariées | 231 |
469 |
Ces associations ont chacune leur gouvernement autonome au moyen de conseils nommés par leurs pairs.
Un certain nombre d'hommes n'appartiennent pas aux associations, qui n'atteignent pas non plus toutes les femmes et toutes les jeunes filles. Le recrutement se fait par l'apostolat mutuel dans la plus grande liberté.
4. Hygiène et travail. - Les salles d'usines sont élevées de 6 mètres sous plafond. Elles sont spacieuses et largement éclairées.
L'aération est produite par des ventilateurs qui enlèvent chacun 10.000 mètres cubes d'air à l'heure.
Des signaux disposés dans chaque salle permettent l'arrêt immédiat des moteurs en cas de danger. Les machines ne sont pas mises en mouvement avant que deux avertissements successifs aient prévenu les ouvriers. Des précautions minutieuses sont prises pour éviter le nettoyage en marche, etc.
Le "//travail" //commence à 6 heures moins un quart pour se terminer à 6 heures du soir, avec un quart d'heure d'arrêt à 8 h 30 et une heure à midi.
5.// Salaires. - //La moyenne des salaires des fileurs dépasse 5 francs 50; la moyenne pour les ouvrières dépasse 2 francs.
L'usine donne du travail à tous les membres de la même famille, d'où résulte un avantage moral pour le père et les enfants, celui de vivre ensemble à l'usine comme au foyer; et un avantage matériel, celui d'accumuler les salaires. De ce chef, certaines familles reçoivent chaque année plus de "//cinq mille francs//"// //à cause du nombre de leurs membres dont le travail est assuré.
Le travail n'a été interrompu ni pendant les troubles civils de 1848, ni pendant la guerre de 1870-71.
Il n'y a jamais eu de grèves.
6.// Les adjuvants du salaire. - //Les ouvriers sont logés dans des "//maisons//"// //commodes et indépendantes, dont le loyer annuel varie de 78 à 110 francs suivant les groupes. Le type de la "//cité Jeanne d'Arc//"// //à 110 francs est ainsi composé: une grande place basse, relaverie et caveau; deux chambres au premier avec grenier au-dessus; jardin devant chaque habitation, entouré de barrières, avec cabinets et remises pour le débarras et pour quelques animaux domestiques; plus loin, second jardin plus considérable.
En cas de "//maladie//"//, //la Société de secours mutuels donne droit aux soins du médecin et aux médicaments pour toute la famille et à une indemnité de 1 franc 50 par jour pour le travailleur. Les frais de funérailles sont à la charge de la société.
Des sœurs gardes-malades soignent à domicile; elles ont une pharmacie pour l'usine. Le médecin donne tous les jours des consultations annoncées dans les salles d'usine et au dehors par des signaux convenus.
Quand la "//vieillesse//"// //altère les forces et empêche de continuer le travail habituel, on trouve dans l'usine un ouvrage facile qui permet aux ouvriers âgés de continuer à gagner honorablement leur vie.
Quand il y a incapacité complète, la "//Caisse de prévoyance//"//, //formée exclusivement par les patrons, fournit une pension en rapport avec les besoins.
7.// Fructification du salaire par la Société coopérative et ses bonis. - //Une société coopérative livre le pain et les étoffes. Elle fait environ 80.000 francs d'affaires par an, et le dernier trimestre a donné plus de 3.000 francs de bénéfice, dont le huitième seulement appartient aux actionnaires et les sept huitièmes aux coopérateurs, c'est-à-dire aux acheteurs.
Des remises sont faites sur d'autres marchandises par certains fournisseurs, d'après les traités faits avec eux.
Le "//boni corporatif//"// //est un dividende ordinairement de 5% sur les achats à la société coopérative. Il est obligatoirement placé à la Caisse d'épargne, jusqu'à ce que le chef de famille ait atteint l'âge de cinquante ans, sauf au décès ou au départ de l'usine, auxquels cas il est remboursé.
De ce chef, 189 livrets représentent 15.330 francs.
8. Salaire familial: Caisse de famille. - Le salaire doit nourrir la famille. Or, il est des circonstances où un supplément est nécessaire, soit à cause du nombre des enfants en bas âge, soit par suite de la mort du chef de famille ou pour toute autre cause.
Pour arriver à maintenir le salaire familial, les patrons ont fondé une caisse de famille, qui fournit les suppléments.
Il fallait tout d'abord déterminer la somme nécessaire à la vie.
Dans la situation spéciale de l'installation à la campagne, avec les jardins et les autres avantages, les patrons ont pensé pouvoir fixer le minimum indispensable à 4 francs 20 par semaine et par tête en y comprenant les petits enfants.
Les patrons seuls, c'est-à-dire, en somme, l'entreprise, prennent cette charge pour faciliter la vie des nombreuses familles.
9.// Epargne. - //Pour faciliter et encourager l'épargne, on reçoit dans les bureaux, à la paye, les petites sommes que l'ouvrier veut laisser. Ces sommes portent intérêt à 5% jusqu'à un certain chiffre, fixé par les règlements.
Les jeunes filles qui font partie de l'Association des enfants de Marie reçoivent en "//dot//"//, //outre leurs dépôts, une somme égale jusqu'à concurrence de 100 francs.
L'épargne a suivi les progressions morales et religieuses de la population. Elle était presque nulle au début des associations en 1861. Elle est arrivée maintenant à une moyenne de 62.000 francs par année.
Une enquête faite permet d'assurer que l'ensemble des 50 ouvriers de la Compagnie des vétérans ne possède pas moins de 225.000 francs en maisons, terres, placements, mobiliers et dépôts à la caisse d'épargne.
Il est intéressant de savoir que les 42 ménages de vétérans ont eu ensemble 145 enfants.
10//. Organisation ouvrière. - //Le //syndicat mixte //a été établi en 1885 suivant la loi.
Le conseil syndical ouvrier est nommé par les camarades. Il a ses réunions chaque semaine, le mardi. Le conseil patronal tient ses réunions le lundi. Chaque mois il y a une réunion du conseil entier.
Le "//conseil d'usine//"// //fonctionne depuis 1885. Il est composé d'un ouvrier de chaque salle, désigné par le conseil syndical ouvrier parmi les anciens. Dans ses réunions de quinzaine, il étudie avec un patron l'hygiène et les mesures sanitaires, les précautions pour empêcher les accidents, la formation des apprentis, les questions de production, de salaires et de primes, les plaintes que peuvent faire les ouvriers pour un motif quelconque.
Ce conseil est un auxiliaire précieux pour aider le patron dans le gouvernement de son usine, et un instrument moral bien utile pour maintenir le bon esprit, qui est facilement altéré par de petits malentendus, quand ils ne sont pas liquidés aussitôt.
Les "//conseillères d'atelier//"// //remplissent les mêmes fonctions pour les ateliers de femmes dont elles sont déléguées.
Au point de vue religieux, la chapelle, desservie par deux aumôniers, rend la pratique chrétienne facile pour tous. Les membres du Tiers-Ordre et des associations de piété exercent l'apostolat autour d'eux.
Toute l'action morale est basée sur l'initiative personnelle et le dévouement des meilleurs, dont l'influence est le fruit du sacrifice et des services rendus. C'est ce qui entretient dans la population tout entière un esprit de famille et de liberté qui est le caractère particulier du Val-des-Bois.
CHAPITRE XX
La commune de V..., arrondissement de S..., compte 210 habitants. C'est un pays de grande culture. La plupart des ouvriers y vivent des travaux que leur procure la grosse ferme. Les uns y trouvent de l'ouvrage pendant toute l'année, ce sont les charretiers, bouviers, batteurs et journaliers. Les autres n'y sont occupés que du 15 mai au 15 novembre, c'est-à-dire pendant les binages et arrachages de betteraves, les fanages et les moissons. Ceux-ci ont un métier quelconque dont ils vivent pendant l'hiver: plusieurs taillent des pierres dans les carrières pour la ville voisine.
Deux générations de patrons chrétiens ont entretenu, dans cette population, le bon esprit et l'amour du travail. On n'y trouve pas de mendiants. Le dernier recensement a constaté un accroissement de population de 32 habitants. On y a compté 54 naissances pour 35 décès. L'ivrognerie et la débauche y sont à peu près inconnues. Le repos du dimanche est observé à la ferme. La presse parisienne n'est représentée à V... que par 5 numéros quotidiens du //Petit// //journal. La Croix //du département y envoie 30 numéros chaque dimanche. Il est vrai que les patrons se chargent de la moitié des frais d'abonnement.
La ferme de V... donne aux ouvriers des salaires rémunérateurs, qui se trouvent encore accrus par diverses institutions économiques.
Les ouvriers sont logés dans des maisons saines et propres appartenant au fermier. Ceux qui ne le sont pas reçoivent une indemnité de logement.
Une prime favorise la permanence des ouvriers dans l'exploitation. Ils reçoivent à ce titre 25 francs la première année, 50 francs la seconde, 75 francs la troisième, et 100 francs les années qui suivent.
Chaque famille ouvrière a la jouissance d'un petit jardin de 3 ou 4 ares, qui lui permet la culture des pommes de terre et de quelques céréales ou fourrages nécessaires à la nourriture d'un porc et de quelques volailles et lapins.
Ce champ est labouré et les récoltes sont rentrées, le plus souvent, avec les animaux et les équipages du patron.
L'ouvrier n'est pas nourri à la ferme, mais il a droit chaque jour au repas de midi, à la quantité de bouillon nécessaire pour lui et sa famille, parfois nombreuse.
Par une convention du patron avec un boulanger, les ouvriers payent leur pain 0 francs 03 de moins au kilo que les cours habituels.
Le patron fait venir le charbon par wagons et le livre à ses ouvriers au prix du gros, ce qui leur procure une bonification de 10 francs par 1000 kilos.
Les jours de maladie, dûment constatée, sont payés à l'ouvrier sans retenue.
Grâce à ces divers avantages, le salaire d'une famille d'ouvrier varie de 1.700 à 2.000 francs. Aussi, les ouvriers restent longtemps à V..., et plusieurs sont lauréats du Comice agricole.
Les patrons sont en bons termes avec le presbytère. Ils donnent l'exemple de la pratique religieuse. Ils s'intéressent aux enfants, aux catéchismes, aux écoles. Ils visitent les malades.
Malgré cela, tout n'est pas parfait à V... La pratique religieuse laisse encore beaucoup à désirer. Les associations manquent. Les patrons l'ont reconnu. Ils vont les organiser et les réunir en corporation.
CHAPITRE XXI
A P..., grâce au zèle ardent de monsieur le curé, les œuvres sociales ont déjà pris un développement presque complet.
Nous avons correspondu avec monsieur le curé de P... Nous lui avons demandé l'exposé de sa méthode et de ses œuvres. Il a répondu à notre désir. Nous allons donner des extraits de ses lettres. Nos lecteurs n'y perdront pas. On sent battre, sous ce style chaud autant que simple, un cœur d'apôtre.
«J'ai commencé, nous dit-il, à Tournus, à m'occuper d'un Cercle catholique, fondé par l'appoint d'une dizaine de chanteurs, que j'avais cultivés pendant deux longs hivers.
À P…, j'ai fait de même. Pour faire un bien solide et sérieux, il faut aller progressivement. On veut souvent aller trop vite, on se presse, puis on se décourage, ou bien on accumule des masses qui, en s'écroulant, vous écrasent.
Il est si simple et si naturel pour un prêtre de faire pénétrer dans 5 à 6 cervelles les idées qu'il a lui-même, et avec ces hommes, formés lentement, d'exercer une action efficace.
Pourquoi ne prend-on pas pour modèle Notre Seigneur Jésus Christ? C'est si simple et si facile de se ménager quelques prosélytes. Il ne manque ni de maux auxquels il faut remédier, ni de moyens pour les guérir. Le tout est d'avoir „une idée” et 3 ou 4 hommes pour la faire valoir».
On voit déjà par ce préambule, que monsieur le curé de P... est un disciple de monsieur l'abbé Garnier. Il en connaît la méthode et l'applique.
Justement, il venait de faire une description de ses œuvres pour monsieur Garnier. Il nous la copia tout simplement. C'est un document fort intéressant, parce qu'il nous montre la méthode de monsieur Garnier, appliquée par un apôtre qui sait en tirer un grand parti. Monsieur le curé de P... et monsieur Garnier nous pardonneront de livrer au public la lettre qui trahit leur zèle. C'est pour le bien général. La voici:
7 juin 1893
«Monsieur l'abbé,
vous me faites l'honneur de me demander une monographie des œuvres de P…: Comité, réunions, messe mensuelle, etc.
C'est un devoir pour moi de répondre à votre désir, car c'est grâce à vos leçons que je commence à recueillir quelques-uns des fruits qui seront la consolation de tout prêtre qui suivra vos indications. Je sais que vous voudriez avoir cent voix pour rendre un peu de confiance au clergé paroissial découragé. Je souhaite à tous ceux qui vous lisent ou vous entendent de tenter sérieusement l'expérience.
Voilà dix-sept ans que j'ai été nommé curé de la paroisse où je suis encore, et qui ne compte pas 800 âmes. La situation n'était pas brillante. J'ai dû, pendant cinq mois, ne célébrer que des messes basses, faute de chantre; 8 ou 10 hommes en moyenne y assistaient avec une soixantaine de femmes. A Pâques, le curé devait se considérer comme heureux de donner la sainte communion à 6 ou 7 hommes. On ne se gênait pas pour faire des corvées publiques le dimanche; par exemple, le jour de la Pentecôte, on voyait plus de 20 voitures charriant de la terre. Enfin, le conseil municipal payait le chantre pour qu'il ne chantât pas à l'église.
Il fallait bien s'orienter. Pendant trois ans, j'ai sollicité quelques hommes pour qu'ils me prêtassent leur concours, soit pour le chant, soit pour une action sociale quelconque. Je voulais avoir des hommes de confiance, pour m'aider d'abord à supporter ma triste position et ensuite à en sortir. À mon avis, pour un prêtre qui ne veut pas prendre son parti du mal et se croiser les bras, il faut commencer par là. Notre action directe sur l'ensemble sera toujours entravée et contrebalancée par mille préjugés et sentiments de défiance. Nous ne pouvons avoir de meilleur maître que Notre Seigneur Jésus Christ, dont vous retracez exactement la méthode dans vos opuscules.
Ces hommes ont été durs à la détente. Ils me répondaient, comme cela arrive partout. „Il n'y a rien à faire; il y a longtemps que nous connaissons le pays”. Je ne me lassais pas de leur répéter: „I1 est impossible que 3 ou 4 hommes qui ont de la conviction, qui ont la vérité et le bon sens pour eux, ne réussissent pas à gagner du terrain, s'ils s'entendent”.
//Enfin, j'étais parvenu à en grouper 4 ou 5 pour des exercices de chant, et 8 à 10 pour des réunions familières à la veillée du dimanche au presby////tère, lorsque je lus dans //La Croix //de Paris (petit journal qui aura pesé gros dans les destinées de la France) l'explication détaillée de votre méthode. C'était précisément ce que je cherchais. Heureux de cette découverte, je communiquai à mes hommes, en deux soirées, dans l'intervalle des chants, cette belle théorie, en leur demandant ce qu'ils en pensaient. Un peu par complaisance, ils me répondirent qu'on pouvait essayer.//
//Nous étions en automne 1890. Il s'agissait d'opérer un premier groupement de tous les hommes qui donneraient leurs noms à une ligue de prières, où l'on demanderait un simple// Ave Maria// par jour//. //Mes novices apôtres firent l'article dans leur voisinage, et, dans la quinzaine, ils recrutèrent 30 adhérents. Il leur en avait coûté et je les félicitai du résultat. Il s'agissait ensuite de tirer parti de ce premier groupement. On organisa une conférence où tous furent invités. On craignait un échec complet. Ils vinrent à peu près tous. Le comité ou conseil fut organisé et composé de 8 hommes de bonne volonté.//
//Encouragés par ce premier succès, ils continuèrent leur propagande avec plus d'énergie. Ils ont eu à lutter beaucoup. Il fallait remonter leur courage de temps en temps. Enfin, cinq conférences furent ainsi données dans ce même hiver. Le nombre des auditeurs allait toujours croissant. À la cinquième, ils étaient 70.//
//Les sujets traités dans ces conférences furent: la décadence morale, matérielle et religieuse de la France, d'après la statistique; puis la nécessité, pour les honnêtes gens, de s'occuper des intérêts publics, une société dirigée par des sectaires impies et francs-maçons ne pouvant prospérer.//
//Nous avions annoncé, pour l'hiver suivant, la fondation d'une confrérie d'assistance mutuelle. Il y avait, nécessairement, une sélection à faire parmi le premier groupement, où l'on avait réuni, à la fin de l'hiver, 80 membres. On admettrait dans la confrérie tous les membres qui accepteraient d'assister à la messe mensuelle, et la confrérie devait servir de base à un syndicat agricole, à une banque populaire. Nous voulions former une association sans y introduire d'éléments de dissolution par la divergence des sentiments. Deux choses m'ont été d'un grand secours, votre passage à Tournus et le concours de mon châtelain, un excellent chrétien.//
//L'hiver suivant, il y eut reprise des réunions et des conférences. Je dois dire qu'à la fin du premier hiver, au sortir de la dernière conférence, un des assistants me dit:// «Monsieur le curé, on était content de se trouver réunis cet hiver, faudra-t-il attendre jusqu'à l'hiver prochain sans se voir? Si l'on fondait un cercle comme à Tournus!». //Plusieurs membres étaient du même avis. On cherche, et on trouve un local comme pour les conférences. On put se procurer quelques chaises, quelques tables, et le cercle fonction////na sans bruit. On s'instruisit des règlements des cercles catholiques d'ouvriers, qu'on suivit le mieux qu'on put, et, pour la fête de Noël, 19 membres furent reçus suivant les formes. Douze d'entre eux avaient communié à la messe// //de minuit.//
//À la dernière fête de Noël, nous avons reçu 10 nouveaux membres. Au printemps de l'année 1892, la confrérie était fondée, sous le vocable de saint Isidore, avec 32 membres; et, peu après, nous organisions la banque populaire et le syndicat, dont les membres de la confrérie peuvent seuls profiter. Ces deux institutions commencent à être appréciées sérieusement.//
//Grâce à ce mouvement, il y a un retour notable, quoique non encore général, vers les pratiques religieuses. Le cultivateur et l'ouvrier ne manquent pas de bon sens; quand ils voient un prêtre se dévouer à leurs intérêts, leurs préjugés contre la religion tombent insensiblement. Les rapports fréquents avec le prêtre font bientôt le reste et amènent des conversions sérieuses. Les membres du conseil seraient même plus sévères que moi pour l'admission// //des nouveaux membres et pour l'observation des règlements religieux.//
//Bref, voici deux années que j'ai eu la satisfaction de voir une trentaine d'hommes s'approcher de la sainte table. L'assistance à la messe a augmenté pour l'ensemble d'un bon quart, et pour les hommes elle a triplé. Tous les mois, nous avons notre messe mensuelle: 40 hommes, au moins, y assistent. Après la messe, il y a réunion du syndicat pour traiter des achats et des ventes.//
//La confrérie et, par suite, le syndicat et la banque populaire comptent actuellement une cinquantaine de membres. Chaque conseil se réunit une fois par mois.//
//Il y a cinq ou six ans, nous avions pu, grâce à quelques démarches et sollicitations personnelles, avoir, par extraordinaire, 20 hommes à la procession de la Fête-Dieu. Cette année, on en a compté plus de 60. C'est encourageant, et cela nous donne du cœur et de l'énergie. L'affaire est lancée maintenant, le plus difficile est fait.//
//Je dois ajouter que, dans le principe, j'ai eu beaucoup de peine à former les conseils de chaque association et à faire accepter leur autorité. Il semblait qu'on ne voulût pas subir la direction de ses égaux. Peu à peu, par notre organisation, on reviendra aux principes de hiérarchie et d'autorité, en acceptant une direction paternelle en vue du bien. Les pères de famille, en se concertant, seront plus forts pour faire respecter leur autorité et en remplir les devoirs en préparant une multitude de réformes. Mais il faut y mettre le temps et ne rien brusquer.//
//Ah! si tous les prêtres voulaient essayer! Il y a en France 40.000 prêtres. Comme les sectes maçonniques seraient vite écrasées!//
On s'y mettra, j'en ai la confiance. Le clergé commence à le comprendre. Vous aidez puissamment à vulgariser ces idées. Je prie Dieu qu'il bénisse vos efforts».
À cet exposé de monsieur le curé de P…, il nous paraît utile, pour l'édification de nos lecteurs, d'ajouter quelques renseignements sur la confrérie, le syndicat et la banque populaire qu'il a fondés. Donnons d'abord les règlements de la Confrérie de saint Isidore.
//«Nous, laboureurs, cultivateurs de P..., voulant imiter l'exemple que nous ont donné les siècles chrétiens, nous nous réunissons en confrérie, pour nous entraider, pour honorer l'utile et noble profession de nos pères, pour maintenir la religion catholique qui, par le malheur des temps, est menacée et attaquée de toute part dans ce pays de France et enfin pour nous conformer au désir de Notre saint père le Pape qui recommande ces associations. Nous avons adopté les règles suivantes://(( Nous abrégeons un peu.))
Article premier. - Le nombre des confrères de Saint-Isidore est illimité. Chacun peut y être admis, s'il satisfait aux conditions qui suivent.
Article 2. - Tout candidat doit offrir la garantie d'une probité reconnue et de l'estime générale.
Article 3. - Il ne sera pas admis si quelque accusation grave et justifiée pèse sur lui.
Article 4. - Si l'accusation fondée est postérieure à son admission, il sera exclu.
Article 5. - Les confrères s'engagent à vivre en bons chrétiens; à assister à la messe les dimanches et fêtes; à ne pas travailler le dimanche, sauf les cas de force majeure; à s'abstenir de tout blasphème et jurement, et à veiller à ce que leurs enfants et serviteurs observent ce précepte.
Ils feront, au moins le soir, la prière en commun en famille.
Article 6. - //Les confrères se rendront service en toute occasion. Ils se visiteront dans leurs maladies. Si l'un d'eux a ses animaux de culture malades, un confrère lui prêtera un attelage, si c'est possible. Aucun salaire ne sera payé pour ce concours fraternel//.
//Article 7. - Au décès d'un confrère, tous assisteront à ses funérailles, sous peine de 0 francs 50 d'amende, à moins d'excuse valable. Il sera dit dans l'année deux messes pour lui, aux frais de la confrérie.//
Article 8. - La confrérie se réunira en assemblée générale tous les ans, le dimanche qui précède la fête de saint Isidore.
À cette réunion, après la prière et l'appel des noms, on entendra les comptes du trésorier et les observations du président, et on votera, au bulletin secret, pour l'admission des nouveaux candidats.
Le droit fixe d'entrée est de 3 franc 50, la cotisation annuelle de 1 franc 20.
Les confrères jouissent d'une remise de 2/5 sur leurs notes de médecin et de pharmacien: à savoir 1/5 concédé par les médecins et pharmaciens eux-mêmes et 1/5 payé par la confrérie.
//L'assemblée annuelle réélit le bureau qui comprend un président, un secrétaire et un trésorier. Ils sont rééligibles.//
Le président est chargé de maintenir le règlement. Il reçoit les réclamations et en fait part à l'assemblée générale.
Le secrétaire convoque aux réunions, aux enterrements, à la messe de la fête patronale et au banquet, qu'il devra faire préparer.
Le trésorier reçoit les cotisations, pourvoit aux dépenses et remet ses comptes à l'assemblée. L'encaisse est prêtée pour un an et aux enchères à un confrère qui fournit une caution agréée par l'assemblée.
//Article. - Tous les ans, le jour de saint Isidore, il sera célébré une messe solennelle avec pain bénit, et tous les confrères y assisteront sous peine d'une amende de 0 franc 50.//
//Article. 10. - Un banquet commun les réunira tous ce jour-là.//
Article. 11. - À la confrérie est jointe une assurance mutuelle sur la mortalité du bétail.
Article. 12. - On y joindra aussi une caisse de crédit et un syndicat, et toutes autres institutions qu'on jugera à propos».
Il a été fondé en octobre 1892, après plusieurs mois de négociation avec la préfecture. (Cet inconvénient peut être évité avec des statuts bien faits).
Un syndicat, essayé précédemment à P..., sans base chrétienne,
avait échoué.
Le syndicat a fait, en dix-huit mois, pour 5.350 francs d'affaires, dont 3.000 francs dans les six derniers mois. Les achats en commun ont consisté en marrons, coton d'Egypte, tourteaux, charbon, engrais, maïs, pétrole, riz, graisse et savon. De plus, pour les farines, le son et le vin, les membres du syndicat se sont adressés directement à des fournisseurs qui avaient consenti une réduction en leur faveur.
La banque de P... n'a pas adopté le règlement des banques Durand- Raiffeisen, parce que la solidarité effrayait ses membres. Elle reçoit des dépôts ou actions de 50 francs à 3 francs 50%; et elle fait ses prêts par fractions de 50 francs à 4%. Elle a prêté 1.000 francs en deux ans.
Il faut signaler encore le rayonnement de ces œuvres de P... Elles deviennent un modèle, un encouragement, un stimulant pour les pays environnants.
Cette paroisse devient un centre d'action. Au mois de novembre dernier, une conférence y réunissait 80 représentants des paroisses voisines. On leur exposait les avantages des syndicats chrétiens et leur différence d'avec les autres, qui ont un assez mauvais renom. Les syndicats, animés de l'esprit socialiste, sont un groupement de forces brutales: ils poussent les ouvriers à la révolte, à l'insubordination, à la grève. On a aussi constitué des syndicats d'affaires. Ils ont langui par défaut de dévouement et parce qu'ils n'avaient pas pour base un principe puissant comme celui de la fraternité chrétienne.
Nous voulons des syndicats chrétiens qui soient les corporations d'aujourd'hui et qui fassent comme une seule famille morale de toute une population, par la similitude des intérêts, par le dévouement des plus intelligents et des plus fortunés, et par les bons procédés, la déférence de la part des plus modestes.
Le progrès comme nombre sera plus lent dans ces conditions, avec un règlement empreint de l'idée chrétienne, mais le syndicat sera plus stable, et après une période de formation plus longue et plus pénible, le progrès deviendra plus rapide.
Chaque groupe paroissial présent à la conférence de P... s'est engagé à se réunir une ou deux fois par mois, à se mettre au courant de l'organisation des œuvres, à recruter des adhérents.
Une seconde conférence achèvera de déterminer les habitants et bientôt le syndicat de P... sera le père de dix autres.
CHAPITRE XXII
Monsieur le curé d'A... est chargé de deux paroisses rurales, qui comptent ensemble 260 habitants et d'un hameau de 80 habitants éloigné de 1.500 mètres.
Les débuts de son ministère furent bien pénibles. Prévenus contre son activité, qu'ils redoutaient, les maires des deux communes, ayant appris sa nomination, avaient fait des démarches pour l'écarter; les femmes l'auraient reçu plus volontiers avec des bâtons qu'avec des fleurs.
Il s'installa néanmoins, mais le vide se fit autour de lui. Les quelques personnes de la localité qui passaient pour catholiques, au lieu de lui venir en aide, lui causèrent des désagréments, parce qu'il ne voulait pas subir leur direction. Quant aux instituteurs, au médecin, au vétérinaire, au juge de paix, ils lui étaient ouvertement hostiles.
Ne pouvant aborder directement la population, il se servit du journal //La Croix, //auquel il joignit le //Laboureur, //la //Vie des Saints //et quelques //Pèlerins. //Il// //parvint ainsi à apaiser un peu à la fois les sentiments d'hostilité et on se rapprocha de lui.
Les catéchismes étaient peu suivis. Cela venait de ce qu'ils avaient lieu à des heures peu favorables. Il y remédia, il les fit le matin avant la classe et il excita les enfants par l'appât des récompenses; maintenant il n'a plus à déplorer aucune absence.
Monsieur le curé d'A... insiste sur la nécessité d'une salle d'œuvres. Il devrait y en avoir partout, c'est une condition presque indispensable du bien que l'on peut réaliser. Pour se la procurer, il appropria un hangar du presbytère, avec la permission du maire. Il le transforma, en mettant lui-même la main à l'œuvre, car il manie alternativement le rabot et la //Somme théologique //de saint Thomas.
Il lui donna le nom modeste de salle de catéchisme, pour ne pas porter ombrage à l'administration.
Il y réunit les enfants le jeudi, et il les occupe par des leçons d'Histoire sainte, de chant, de cérémonies, de lecture du latin, en alternant avec des jeux. On y prépare aussi de petites séances dramatiques.
L'ascendant qu'il exerçait sur les enfants lui valut bientôt la confiance des personnes plus âgées. Il crut pouvoir entreprendre les jeunes domestiques de fermes. Ces malheureux jeunes gens passaient souvent la nuit à faire du tapage dans les rues; les patrons trouvaient que leur place était à l'écurie et non au cabaret. Il en attira quelques-uns, qu'il réunit trois fois, puis quatre fois par semaine. Il les empêcha ainsi de dépenser inutilement leur argent.
La salle d'œuvres était le local naturellement désigné pour les recevoir. Elle est chauffée, éclairée, elle contient une bibliothèque et des jeux.
Pendant quelque temps, ces jeunes gens furent l'objet de certaines tracasseries, mais, peu à peu, le calme se rétablit. Chaque soirée se terminait par une courte prière pour les âmes du Purgatoire. Plusieurs fois dans l'année on jouait des pièces de théâtre qui avaient le plus grand succès.
À plusieurs reprises, des hommes, attirés par la curiosité, vinrent s'égarer dans les réunions. Monsieur le curé en profita pour risquer la fondation d'un syndicat. Il annonça une conférence qui serait donnée par un prêtre, très au courant. On vint en assez grand nombre. Tout l'auditoire fut saisi et captivé et le syndicat fut fondé.
L'année dernière, après le Congrès du Val-des-Bois, il créa un cercle d'études sociales. L'annonce en fut faite à l'église le jour de la Toussaint. Dans la semaine qui suivit, huit hommes vinrent s'inscrire. Depuis, leur nombre s'est accru.
Monsieur le curé préparait lui-même les questions ou invitait des conférenciers de la ville. Le programme de ces modestes économistes de village pourrait servir de modèle à de plus doctes réunions.
Voici les sujets qui ont été traités:
De la propriété: sa vraie notion.
Propriété privée et socialisme.
Du droit d'hérédité.
Le Homestead et la stabilité du petit domaine rural.
Les Papes et les paysans.
La rente foncière et les rapports du propriétaire et du fermier.
Le salaire et les questions qui s'y rapportent.
Les relations des maîtres et des domestiques.
L'état présent de l'agriculture, ses souffrances.
Étude de l'aménagement d'une maison de laboureur: plans et devis.
Notions de chimie agricole.
Les impôts qui pèsent sur l'agriculture: impôts directs, droits de mutation.
L'absentéisme.
De la représentation de l'agriculture.
Du commerce et des privilèges dont il jouit: les tarifs de pénétration.
L'agiotage, la spéculation sur les produits agricoles.
Le Judaïsme.
Les lois électorales, les lois scolaires.
L'enseignement professionnel: écoles ménagères, écoles d'agriculture, etc..
Malgré le syndicat, malgré le cercle d'études, monsieur le curé n'avait pas encore conquis pleinement la confiance de ses paroissiens. L'établissement d'une caisse rurale fit tomber les dernières barrières. Monsieur le curé leur avait prouvé qu'il connaissait leurs affaires, qu'il devinait leurs dettes. Il leur fit comprendre qu'il ne pouvait pas sérieusement les aider s'ils ne lui fournissaient les renseignements dont il avait besoin, pour leur apprendre à bien tenir leurs comptes. Il leur donna le canevas d'un tableau de recettes et dépenses, qu'il leur laissa le soin de remplir. La semaine suivante, on les lui soumit sans la moindre hésitation.
Le fonctionnement de la caisse rurale devenait facile. Elle donne de bons résultats. Ceux qui la gèrent prennent une influence marquée dans la paroisse dont ils deviennent les apôtres.
Une confrérie de Notre Dame des Champs cimente les associations. Elle a 100 adhérents dans la petite paroisse.
Le syndicat a organisé une coopérative et il a fait déjà depuis un an 120.000 francs d'affaires.
Quels magnifiques résultats! Ne sont-ils pas bien encourageants pour les hommes de bonne volonté?
Pour être loyal, il faut ajouter que les œuvres n'ont pas encore converti toute la petite paroisse. On y compte toutefois quelques hommes de plus qu'auparavant à la communion pascale.
Sur 250 habitants, la moitié des hommes, soit environ 80, vont à la messe; 45 font leurs Pâques. Une douzaine communient à Noël; quelques-uns à l'adoration perpétuelle, à l'Assomption et à la Toussaint.
En nous donnant ces chiffres, monsieur le curé ajoutait: //«Je bénis Dieu de ce résultat, si incomplet qu'il soit. Je ne crois pas me tromper en pensant que, sans les œuvres, j'aurais perdu depuis dix ans un tiers de mes habitués de la messe et des Pâques. C'est ce qui est arrivé en maintes paroisses de la région. Les pratiques chrétiennes ont// //baissé. Une opposition sourde et hypocrite s'est organisée. L'influence maçonnique se fait sentir par la politique et par la presse jusque dans les campagnes. Le respect religieux dont on entourait le prêtre a fait place à un sourire de pitié. Ma situation, grâce aux œuvres, est bien meilleure. Il ne me reste pas seulement ////quelques ouailles timides, quelques// //vieillards inactifs. J'ai un groupe// //d'//"hommes"// dans toute la force du terme et je travaille à les mettre à même de former une commune chrétienne.//
J'étudie avec eux les questions d'agriculture et d'administration communale. Je mets à leur disposition des manuels du maire, du secrétaire de mairie, du vétérinaire, du laboureur, du jardinier, etc. Il faut qu'ils puissent se suffire autant que possible et qu'ils soient aptes à tout ce que la divine Providence peut demander d'eux.
//Ce n'est pas là faire une œuvre étrangère à notre ministère, c'est préparer le règne social de Jésus Christ et c'est la mission du prêtre».//
Voilà bien le ministère comme l'entend Léon XIII et comme l'a toujours entendu l'Église avant le gallicanisme. C'est ainsi qu'il faut faire partout.
Que Dieu nous vienne en aide! Avec le concours des associations et la pratique de la vraie pastorale chrétienne, nous aurons bientôt rétabli le règne de Jésus Christ dans notre chère patrie.
APPENDICE I er
___________________
Lorsque le maire donne le récépissé du dépôt des deux exemplaires des statuts, il peut le faire dans la forme suivante:
Je soussigné, maire de la commune de.............................. déclare avoir reçu le dépôt des deux exemplaires des statuts du syndicat.............................. de.............................. ayant son siège dans ma commune.
En foi de ce, ai délivré le présent récépissé.
Fait à……………le………du mois de…………… 189…
(Sceau de la mairie) LE MAIRE
Signature:
Puis, conformément à la circulaire du ministre de l'Intérieur du 25 août 1884, le maire est obligé d'avoir à la mairie un registre spécial où sera mentionné, à sa date, le dépôt des statuts du syndicat, les noms des administrateurs, la délivrance du récépissé. Ce registre fera foi de l'accomplissement des formalités; il permettra de remédier à la perte possible du récépissé du dépôt.
Ensuite le maire (//Loi du 21 mars 1884,// article 4, //Circulaire ministérielle du 25 août 1884//) doit envoyer un exemplaire des statuts au procureur de la République de son arrondissement et l'autre au préfet ou au sous-préfet. Dans le cas de changement dans les statuts ou dans l'administration du syndicat, un nouveau dépôt des statuts est obligatoire. (//Loi du 21 mars 1884,// article 4).
APPENDICE II
Bien que les statuts donnés à la** **page 189 puissent être adoptés, soit pour un syndicat agricole et horticole simple, soit pour un syndicat auquel serait annexée une caisse rurale ou une institution pour l'achat en commun et la location aux sociétaires de machines agricoles, nous croyons utile de donner ici le modèle de statuts d'un syndicat d'industrie agricole que nous trouvons dans l'intéressante brochure: //Les machines agricoles à la portée de tous, //de monsieur l'abbé Fontan.
En effet, pour qu'un syndicat professionnel soit vraiment utile, il faut que les associés y trouvent toutes les facilités possibles.
À quoi servirait la sécurité dans la qualité et le bon marché des engrais, outils, matières premières, etc., si le syndiqué ne peut trouver un moyen économique de se procurer l'argent nécessaire? C'est le rôle que remplit la caisse rurale et ouvrière.
De plus, certains instruments sont coûteux, ne sont pas d'un usage continuel et peuvent servir à plusieurs cultivateurs. L'association, pour être complète et efficace, doit donc se les procurer pour les louer à ses membres. C'est alors qu'intervient utilement cette association annexée au syndicat.
Dans certaines localités, on préférera d'abord fonder une caisse rurale pour arriver au syndicat; ailleurs, le syndicat, au contraire, amènera la fondation de la caisse rurale. L'un ne va guère sans l'autre; mais il importe peu de commencer par l'un plutôt que par l'autre, pourvu que le bien en résulte. Chacun, appréciant la situation et l'esprit local, agira selon les circonstances et au mieux des intérêts et des besoins immédiats. Toutefois, les fondateurs de syndicats qui voudraient annexer à leur syndicat communal une caisse rurale feront bien de compléter l'un par l'autre les deux modèles de statuts que nous donnons et dans lesquels on s'est efforcé de prévoir toutes les difficultés qui pourraient se présenter.
Article premier. - Il est formé, entre les soussignés et ceux qui adhéreront aux présents statuts, une association professionnelle agricole ou syndicat, qui sera régie par la //Loi du 21 mars 1884// et par les dispositions suivantes:
Article 2. - L'association prend le nom de //Syndicat d'industrie agricole, //son siège est établi à.................., sa durée est illimitée, ainsi que le nombre de ses membres. Elle commencera le jour du dépôt légal des statuts.
Article 3. - Le syndicat a pour but l'achat des machines agricoles pour l'usage exclusif de ses membres.
Article 4. - Peuvent seuls faire partie du syndicat de la commune de.............................. les personnes majeures jouissant de leurs droits civils, qui peuvent justifier de leur qualité de membre du Syndicat agricole pyrénéen dont le siège est à Tarbes, place Marcadieu, n 19 et 21.(( Cette dernière condition est particulière au syndicat dont parle monsieur Fontan. L’important est que le sociétaire se trouve bien dans les conditions professionnelles voulues par la loi.))
Article 5. - Les nouveaux membres doivent être agréés par le conseil d'administration et accepter toutes les obligations résultant des présents statuts.
Article 6. - On perd la qualité de syndiqué par décès, démission, exclusion et par la cessation des conditions requises pour être syndiqué. Le conseil d'administration peut, pour des raisons graves dont il est seul juge, prononcer l'exclusion d'un membre.
Article 7. - Les capitaux nécessaires à l'achat des machines sont empruntés par le syndicat à la caisse rurale de..............., dont il doit être membre. Le conseil d'administration est, en conséquence, autorisé à demander l'admission du syndicat dans la caisse rurale de ladite commune.
Article 8. - Les syndiqués s'engagent à donner à la caisse rurale leur cautionnement solidaire, garantissant le remboursement des sommes que le syndicat emprunterait à la caisse rurale dans les limites établies par l'assemblée générale.
Article 9. - Chaque syndiqué qui louera les machines payera au syndicat une somme représentant les frais de location d'après un tarif qui sera établi chaque année par le conseil d'administration.
Article 10. - Les recettes brutes du syndicat seront employées:
1. Au payement de la prime d'assurance contre les incendies et les accidents, s'il y a lieu.
2. Au payement des réparations et frais d'entretien des machines.
3. Au payement des employés et ouvriers du syndicat.
4. Au payement des intérêts, des emprunts et à l'amortissement de ces emprunts.
Article 11. - Les surplus de recettes, quand les emprunts auront été amortis, sera employé à constituer un fonds de réserve qui permettra au syndicat d'augmenter le nombre de ses machines et de les remplacer lorsqu'elles seront hors d'usage. Ce fonds de réserve sera déposé dans la caisse rurale au fur et à mesure qu'il sera réalisé.
Article 12. - Les membres exclus ou démissionnaires ne peuvent intervenir d'aucune manière dans l'administration du syndicat, faire apposer les scellés, ni procéder à aucune autre mesure de quelque nature qu'elle soit. Ils ont perdu tout droit sur le patrimoine du syndicat, et ils ne peuvent réclamer aucune part des réserves ou du matériel des machines appartenant à l'association syndicale.
Article 13. - Le syndicat est administré par un conseil d'administration de.................. membres élus par l'assemblée générale pour neuf ans. Il est renouvelable par tiers tous les trois ans. Les membres sont toujours rééligibles et leurs fonctions sont entièrement gratuites.
(Ici se place la liste des administrateurs du syndicat).
Les administrateurs sont tous Français et jouissent de leurs droits civils.
Article 14. - Le conseil d'administration élit dans son sein un président, un secrétaire et un comptable. Tout acte engageant le syndicat doit porter la signature du président et d'un autre membre du conseil d'administration. Le conseil d'administration peut nommer sous sa responsabilité un gérant, même non syndiqué.
Article 15 - Le conseil d'administration a tous les pouvoirs qui ne sont pas réservés à l'assemblée générale par les statuts: il peut emprunter pour le compte du syndicat, dans les limites fixées par l'assemblée générale. Il passe les contrats d'assurance, établit le règlement intérieur du syndicat, nomme et révoque les employés, détermine leurs salaires, fixe le prix de location des machines, achète le matériel, surveille l'entretien et les réparations, détermine l'ordre dans lequel seront servis les syndiqués, reçoit leurs réclamations, peut transiger, allouer des indemnités, compromettre, etc., etc.
Article 16. - Le conseil d'administration dresse le bilan et arrête les comptes du syndicat au 31 décembre de chaque année. Bilan et comptes doivent être à la disposition de tout syndiqué au siège du syndicat à dater du premier février.
Article 17. - L'assemblée générale ordinaire du syndicat se tiendra le deuxième dimanche de février de chaque année. Elle examinera les comptes de l'année écoulée et fixera le maximum des emprunts que le conseil d'administration sera autorisé à contracter pendant l'exercice suivant. L'assemblée générale est convoquée par........................ (mettre ici la manière dont sera donné cet avis), au moins huit jours avant la réunion.
Une assemblée générale extraordinaire peut être réunie toutes les fois que le conseil d'administration le juge nécessaire.
Article 18. - L'assemblée générale délibère valablement, quel que soit le nombre des membres présents, sauf le cas où elle a à délibérer sur une modification aux statuts ou sa dissolution. Dans ce cas-là, elle ne peut délibérer qu'autant que la majorité de ses membres sont présents, sinon il y a lieu de convoquer une seconde assemblée générale, qui délibère valablement, quel que soit le nombre de membres présents.
En aucun cas, l'assemblée générale ne pourra modifier les articles 19, 20 et 21 des présents statuts.
Article 19. - En cas de dissolution du syndicat, le matériel en est vendu, et le prix en est versé, ainsi que le fonds de réserve, à la caisse rurale de la commune de.................., qui en formera une réserve spéciale dont les revenus seront acquis à la dite caisse, et qui sera employé à la fondation d'un syndicat analogue, dès que le besoin s'en fera sentir. En aucun cas, ces fonds ne peuvent être répartis entre les syndiqués.
Article 20. - En cas de dissolution de la caisse rurale, avant la reconstitution d'un nouveau syndicat, l'assemblée générale qui prononcera la dissolution de la caisse décidera valablement de l'attribution de cette réserve spéciale à une œuvre d'utilité générale comme de sa réserve propre.
Article 21. - Quelle que soit la majorité qui se prononce pour la dissolution du syndicat, un groupe de syndiqués au nombre de quatre au moins aura toujours le droit de déclarer qu'il entend continuer le syndicat à ses risques et périls: dans ce cas, le fonds de réserve et le matériel seraient abandonnés à ce groupe qui continuerait le syndicat conformément aux présents statuts, les autres syndiqués ayant seulement le droit de donner leur démission conformément aux dispositions des présents statuts.
Vu et certifié à............................. le.................... //(en toutes lettres)//
Le Président syndical Le Secrétaire
NOTA. - On trouvera divers modèles de «règlement intérieur», ainsi que l'indication des formalités à remplir pour l'inscription du syndicat comme membre de la caisse rurale dans la brochure de monsieur Fontan: Les machines agricoles à la portée de tous.
TABLES DES MATIÈRS
INTRODUCTION. - LA QUESTION SOCIALE XI
PREMIÈRE PARTIE
ÉCONOMIE SOCIALE
CHAPITRE PREMIER. - PRINCIPES GÉNÉRAUX 1
§ 1. - La personne humaine
§ 2. - La famille
§ 3. - La société. - L'État
§ 4. La religion
§ 5. - L'association
§ 6. - La propriété
§ 7. - Le travail
§ 8. - La rémunération du travail. - Le salaire
§ 9. - Le capital
§ 10. - La rente
§ 11. - Le profit, l'intérêt, l'usure
§ 12. - Bibliographie
CHAPITRE II. - L'ÉTAT LAMENTABLE DE LA SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE
—- § 1. - La dépopulation
§ 2. - Le divorce
§ 3. - Les naissances illégitimes
§ 4. - Les infanticides
§ 5. - Les enfants abandonnés
§ 6. - La criminalité dans l'enfance
§ 7. - Les suicides d'enfants
—- § 8. - Licence de la presse, crimes et scandales
§ 9. - La licence dans les rues
§ 10. - L'alcoolisme
—- § 11. - Le paupérisme
§ 12. - La capitalisme
§ 13. - Le malaise dans l'industrie
§ 14. - L'écrasement du petit commerce et de la petite industrie
§ 15. - La décadence de la petite propriété
§ 16.- La crise agricole
§ 17 - La spéculation et l'agiotage
§ 18. - La crise des changes
§ 19. - Les budgets ouvriers
§ 20. - Les ouvrières de l'aiguille
CHAPITRE III. - LA GENÈSE DU MALAISE SOCIAL: FAUSSE NOTION DE LA SOCIÉTÉ, DU TRAVAIL ET DE LA PROPRIÉTÉ
§ 1. - Le malaise social provient d'un fausse conception de la société, qui en a relâché les liens
§ 2. - Cette conception antisociale s'appelle l'individualisme ou le libéralisme
§ 3. - Elle a été introduite par la Franc-Maçonnerie dans les lois, dans les institutions et dans les mœurs
§ 4. - Comment le libéralisme économique a concouru, avec l'individualisme impie et révolutionnaire à désorganiser la société en introduisant une fausse notion du travail
§ 5. - Comme quoi, les principes de la société moderne ne peuvent produire que l'arbitraire dans les lois, l'instabilité dans les institutions, l'égoïsme dans les mœurs
§ 6. - Comme quoi sous l'influence de l'individualisme, la lutte a remplacé l'entente entre les hommes
§ 7. - La fausse notion de la société a engendré un fausse notion de la propriété
§ 8.- La fausse notion de la propriété a faussé la répartition des biens
§ 9. - La fausse notion de la propriété a engendré l'usure
§ 10. - L'usure a produit la prolétarisation des classes inférieures
§ 11.- L'usure amène la disparition des familles, gardiennes des traditions , au profit de quelques spéculateurs
§ 12. - La démocratie socialiste devient forcément l'idéal du peuple
§ 13. - L'anarchie parait au peuple le moyen le plus sûr pour réaliser cet idéal
§ 14. - Comment cela doit finir
§ 15. - Comment l'abandon du Décalogue et de l'Évangile résume toute la cause du mal social
CHAPITRE IV. - DE DEUX AGENTS PUISSANTS DU MALAISE SOCIALE: LA FRANC-MAÇONNERIE ET LE JUDAISME
—- § 1. - D'où vient la Franc-Maçonnerie?
§ 2. - Quel est sont but?
§ 3. - Quelle est son organisation?
§ 4. - Ses hauts faits
§ 5. - Quel remèdes y a-t-il à cet immense péril social?
§ 6. - Ouvrages à consulter
—- § 1. - Leurs aveux
§ 2. - Leur puissance
§ 3. - Leurs principes et leurs doctrines
4. - Les digues renversées
§ 5. - Le remède
—- CHAPITRE V. - LES FAUX REMÈDES: LE SOCIALISME ET L'ANARCHIE
§ 1. - Histoire du socialisme
§ 2. - Ce qu'il n'est pas
§ 3. - Ce qu'il est
§ 4. - Ses variétés
§ 5. - Du socialisme à l'anarchie
§ 6 - Réfutation rationnelle du socialisme
§ 7. - Réfutation par l'absurde
§ 8. - Aveux cyniques
§ 9. - Un mot aux modérés
§ 10. - Les essais
§ 11. - Autres exemples aussi concluants
§ 12. - Conclusion: Pourquoi je ne suis pas socialiste
§ 13. - Bibliographie
CHAPITRE VI. - LES VRAIS REMÈDES: I. L'ACTION DE L'ÉGLISE
§ 1. - Principe général
§ 2. - Le fait historique
§ 3. - L'enseignement et l'action de l'Église c'est le salut
§ 4. - Un appel suprême
§ 5. - Les sources
§ 6. - Les œuvres. - Leur nécessité
§ 7. - Conclusion. - Ce que le prêtre doit être
CHAPITRE VII. - LES VRAIS REMÈDES: II. L'ACTION DE L'ÉTAT
§ 1. - Repos du dimanche
§ 2. - Liberté d'enseignement
§ 3. - Diminution des charges militaires
§ 4. - Respect des immunités ecclésiastiques
§ 5. - Réforme de l'impôt
§ 6. - L'agiotage et l'usure
§ 7. - Les petits domaines ruraux
§ 8. - La liberté de tester
§ 9. - Diminution des frais de justice
§ 10. - Saisie et cession de salaire
§ 11. - La représentation du travail
§ 12. - Des commissions mixtes de patrons et d'ouvriers et des conseils d'usine
§ 13. - Le maximum de la journée de travail
§ 14. - Révision des lois sur le travail de nuit, sur le travail des femmes et des enfants
§ 15. - La personnalité civile des syndicats
§ 16. - Le minimum des salaires
§ 17. - Le contrat de travail
§ 18. - Les retraites et assurances
§ 19. - Conventions internationales
CHAPITRE VIII. - LES VRAIS REMÈDES: III. L'ACTION DES INTÉRESSÉS, PATRONS ET OUVRIERS
§ 1. - Devoirs des patrons relativement à la vie physique de l'ouvrier
§ 2. - Devoirs des patrons relativement à la vie morale de l'ouvrier
§ 3. - Devoirs des patrons relativement aux intérêts temporels de l'ouvrier
§ 4. - Devoirs des patrons à l'extérieur de l'exploitation
§ 5. - Les moyen d'action
CHAPITRE IX. - LES VRAIS REMÈDES: IV. L'ACTION DES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES
§ 1. - Notions historiques
§ 2. - Principes généraux
§ 3. - La corporation dans la grande industrie
§ 4. - La corporation dans les arts et métiers
§ 5. - La corporation dans l'agriculture
§ 6. - La corporation dans les professions libérales
§ 7. - Le patrimoine corporatif
§ 8. - Conclusion
APPENDICE: PROGRAMME SOCIAL DE L'ŒUVRE DES CERCLES CATHOLIQUES D'OUVRIERS
_________________________
DEUXIÈME PARTIE
ŒUVRES SOCIALES
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE. - IL FAUT ALLER AU PEUPLE
CHAPITRE PREMIER. - LA CORPORATION ET L'ŒUVRE DES CERCLES
CAPITRE II. - LA VISITE ANNUELLE DE LA PAROISSE PAR SON PASTEUR
CAPITRE III. - PAR OU FAUT-IL COMMENCER ET COMMENT PROCÉDER
CAPITRE IV. - LES SYNDICATS AGRICOLES
I. Qu'est-ce qu'un syndicat agricole?
—-
II. Comment peut-on le fonder
—-
III. Administration et statuts
—-
IV. Quelle circonscription convient-il de lui assigner?
—-
V. Qui peut en faire partie?
—-
VI. Quel genre d'opération peut-il faire?
—-
VII. Patrimoine des syndicats
—-
VIII. Les syndicats et la représentation de l'agriculture
—-
IX. L'union des syndicats
—-
X. Conclusion
—- APPENDICE I. Loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels
APPENDICE II. Projets de statuts
APPENDICE III. Projet de règlement intérieur
PUBBLICATIONS À CONSULTER
CHAPITRE V. - LA BONNE PRESSE
I. Son importance
—-
II. Objections
—-
III. Publications diverses
—-
IV. Méthode
—-
V. L'œuvre à la campagne
—-
VI. Comités et propagande
—-
VII. Abonnements
—-
VIII. Colportage et vente sur la voie publique
—-
IX. Les résultats
—- CHAPITRE VI. - LES CAISSES RURALES DE CRÉDIT
I. Ce que c'est
—-
II. Leur succès
—-
III. Leur utilité
—-
IV. Leur constitution
—-
V. Responsabilités des sociétaires
—-
VI. Fonctionnement
—-
VII. Administration
—-
VIII. Côtés morales de l'œuvre
—-
CHAPITRE VII. - LES CERCLES RURAUX
I. Le cercle au point de vue administratif
—-
II. Le cercle au point de vue social
—-
CHAPITRE VIII. - LES ÉCONOMATS ET COOPÉRATIVES
CHAPITRE IX. - LES CAISSES DE FAMILLE
I. Constitution
—-
II. Administration
—-
III. Cotisations
—-
IV. Participation
—-
V. Formalité à remplir en cas de maladie
—-
VI. Secrétariat
—-
VII. Fêtes et cérémonies religieuses
—-
CHAPITRE X. - LE SÉCRETARIAT DU PEUPLE
CHAPITRE XI. - CERCLES CHRÉTIENS D'ÉTUDES SOCIALES ET CNGÉS OUVRIERS
I. Origine
—-
II. But
—-
III. Organisation
—-
IV. Préparation des séances
—-
V. Ordre des séances
—-
VI. Conditions d'admission
—-
VII. Rôle du prêtre directeur
—-
VIII. Fonctions des dignitaires
—-
IX. Les Congrès d'études sociales
—-
X. Cercles d'études sociales d'agriculteurs
—-
XI. Cercles d'études sociales de prêtres
—-
CHAPITRE XII. - LE TIERS-ORDRE DE SAINT FRANÇOIS
CHAPITRE XIII. - LES PATRONAGES ET CERCLES DES JEUNES GENS
I. Fondation
—-
II. Organisations
—-
III. Conditions légales
—-
IV. La congrégation
—-
V. Résultats
—- Ouvrages utiles aux directeurs des patronages
CHAPITRE XIV. - ARCHICONFRÉRIE DES MÈRES CHRÉTIENNES
I. Nécessité et avantages
—-
II. Fondation
—-
III. Réunions mensuelles
—-
IV. Ouvroir de charité
—-
V. Rôle du conseil
—-
VI. Secours mutuels
—-
CHAPITRE XV. - LES CONFRÉRIES ET CONGRÉGATIONS DE LA SAINTE VIERGE
I. But et avantages
—-
II. Formation
—-
III. Composition de la congrégation
—-
IV. Fonction du conseil
—-
V. Esprit de l'association
—-
VI. Réunions
—-
VII. Récréations
—-
VIII. Caisse de famille ou d'épargne
—-
IX Mariages
—-
X. maladies et décès
—-
CHAPITRE XVI. - RAPPELS DE QUELQUES ŒUVRES ANCIENNES, QUI NE SONT PAS ÉTUDIÉS SPECIALEMENT DAN CE MANUEL
—-
1. L'Union des œuvres ouvrières
2. l'Union nationale et l'action sociale catholique
3. L'Association catholique de la jeunesse française
4. L'Office central des institutions charitables
5. L'œuvre de saint François de Sales
6. L'œuvre des campagnes
7. L'Association de Notre Dame de Salut
—-
1. Œuvres d'apostolat général
2. Les Tiers-Ordres
3. La Confrérie du saint rosaire
4. Les confréries du saint sacrement
5. L'Apostolat de la prière et de la communion réparatrice
6. Les confrérie de Notre Dame de l'Usine et de Notre Dame des Champs
—-
1. Les Conférences de saint Vincent de Paul
2. Les orphelinats
3. La Société de saint François Regis pour la revalidation des unions illégitimes
4. Les œuvres des soldats
CHAPITRE XVII. - LES ÉCOLES CHRÉTIENNES LIBRES
§ 1. Établissement des écoles chrétiennes
§ 2. Inspection
§ 3. Écoles mixtes et classes enfantines
§ 4. Formalités exigées pour l'ouverture des écoles privées
§ 5. De l'opposition à l'ouverture d'une école privées
§ 6. Fermeture des écoles privées et interdictions des instituteurs
§ 7. Autres sanctions légales
§ 8. Bibliographie
CHAPITRE XVIII. - EXEMPLE D'ACTION PATRONALE CHRÉTIENNE DANS L'USINE À LA VILLE. - FILATURE DE M. VRAU À LILLE
CHAPITRE XVIV. - EXEMPLE D'ACTION PATRONALE DANS L'USINE À LA CAMPAGNE. - FILATURE DE MM.HARMEL AU VAL-DES-BOIS
I. Historique
—-
II. Personnel
—-
III. Associations fondamentales
—-
IV. Hygiène et travail
—-
V. Salaires
—-
VI. Les adjuvants du salaire
—-
VII. Fructification du salaire par la société coopérative
—-
VIII. Salaire familial, caisse de famille
—-
IX. Épargne
—-
X. Organisation ouvrière
—-
CHAPITRE XX. - EXEMPLE D'ACTION PATRONALE DANS UNE EXPLOITATION AGRICOLE
CHAPITRE XXI. - MONOGRAPHIE. CONFRÉRIE, SYNDICAT, CAISSE DE CRÉDIT DANS UNE PAROISSE RURALE DE SAONE-ET-LOIRE
CHAPITRE XXII. - MONOGRAPHIE. CONFRÉRIE, SYNDICAT ET ŒUVRES CONNEXES DANS UNE PAROISSE RURALE DE LA HAUTE -MARNE
APPENDICE I. - Des formalités administratives concernant les syndicats
APPENDICE II. - Des syndicats d'industrie agricole