LE TRIOMPHE DU SACRE-CŒUR
La grande exposition parisienne est l'occasion de nombreux congrès.
De belles réunions internationales ont eu lieu où les catholiques de toutes les nations ont décrit leurs œuvres pour s'encourager mutuellement.
La journée la plus animée, la plus vivante a été celle des œuvres de eunesse.
Mgr de Cabrières présidait. La salle des séances avait pris un air de fête. Les groupes d'étudiants français et étrangers avaient arboré leurs bannières qui flottaient auprès du drapeau du Sacré-Cœur.
C'est M. Joseph Ménard qui a salué les étudiants étrangers au nom des étudiants français.
«Nous avons le droit, dit-il, de mettre en commun tout ce que nous aimons et d'opposer à «l'Internationale révolutionnaire» qui épouvante et terrifie, la fédération des étudiants catholiques, c'est-à-dire la jeunesse du monde entier au service de l'Eglise et de toutes les grandes idées».
M. Ménard rappelle les conseils que Louis Veuillot donnait aux jeunes gens: «Vous serez les maîtres, leur disait-il, si vous affirmez résolument vos doctrines religieuses et si vous allez répétant partout que c'est jésus qui est Dieu et qui a donné la loi du salut au monde».
Et l'orateur conclut: «L'œuvre des étudiants catholiques est avant tout œuvre d'affirmation: Bataille pour la liberté, bataille pour la justice, bataille pour la vérité, bataille pour la patrie, qui ne peut pas et ne doit pas mourir».
Un tonnerre d'applaudissements accueille cet entraînant discours, qui exprime si bien les sentiments généreux et l'expansif enthousiasme de la jeunesse catholique de tous les pays, dont les drapeaux s'inclinent ensemble devant la croix et le Sacré-Cœur.
Le samedi soir les étudiants catholiques de Paris offraient, en leur cercle du Luxembourg, un champagne d'honneur à leurs camarades étrangers venus au congrès international. Là aussi les drapeaux étrangers entouraient le drapeau français marqué du signe du Sacré-Cœur.
La réception fut très belle. Il y avait beaucoup d'étudiants de Paris et tous les groupes avaient envoyé des délégués.
M. Terrat présidait. M. l'abbé Fonssagrives, le zélé aumônier du cercle, a souhaité la bienvenue aux étrangers.
Les délégués des groupes de Lyon, de Lille, de Montpellier ont aussi salué leurs camarades de Belgique, d'Italie, d'Espagne, du Canada, du japon. M. Tschoffen, président étudiant de la Générale à Liège, a remercié au nom de tous ses camarades étrangers.
M. le comte de Mattheis, président de la Fédération universitaire catholique italienne, a soulevé de frénétiques applaudissements par son toast plein de charme et de délicatesse.
Après avoir salué nos gloires françaises, le comte de Mattheis, que Sa Sainteté a délégué au Congrès, s'est écrié:
«Et avant de venir à vous, je me suis prosterné aux pieds de ce Pontife, de ce miracle vivant qui s'appelle Léon XIII. Et le cœur de Léon XIII a tressailli de joie, d'affection, d'amoureux empressement au nom de la France, au souvenir du Congrès catholique des étudiants internationaux, à l'annonce de mon voyage parmi vous.
Les plus abondantes, les plus affectueuses bénédictions vous ont été données, à vous, très chers Français, fils indomptables de la grande nation, à vous surtout, noble travailleuse, hardie et vigoureuse jeunesse catholique, et tout particulièrement à vous, étudiants catholiques des Universités françaises et étrangères, à qui je suis très heureux et très fier de porter le salut, la cordiale adhésion, les souhaits plus ardents et plus sincères de la Fédération catholique universitaire italienne.
Catholiques opprimés, mais indomptables, jeunes gens persécutés mais remplis d'ardeur, répandus depuis les glaces des Alpes jusqu'au feu du Vésuve et de l'Etna, tous mes frères d'Italie n'ont aujourd'hui qu'un seul cœur et qu'un même esprit avec vous: parce que vous et nous nous n'avons pas d'autre idéal, nous n'avons pas d'autre amour que celui de notre Père commun: le Pape!
Vive donc le Pape, et vive la France et vive la jeunesse catholique universitaire! C'est le cri que je pousse au nom de mes frères d'au delà des Alpes, c'est le cri, qu'à vous, jeunes gens français et étrangers, les jeunes gens italiens désirent avec ardeur de répéter en septembre prochain au Congrès international de Rome».
- Le dimanche, excursion des étudiants et banquet à Saint-Cloud. M. François Coppée présidait.
A la table d'honneur avaient pris place: M. Terrat, président d'honneur du cercle catholique des étudiants de Paris; MM. César Caire et Alpy, conseillers municipaux de Paris; M. Joseph Ménard; le comte Imbart de la Tour; le comte de Mattheis; Tschoffen, président de la Générale à Liège, Dubois, président à Bruxelles; Camœr, de Louvain; Dr. de Martigny, représentant le ministre du Canada; baron de Claye, abbé Glorieux, Fleuriot.
Après plusieurs toasts, François Coppée a prononcé un discours fort applaudi:
« Je les salue ces jeunes étrangers comme destinés à devenir un jour nos compatriotes. - Car nous croyons, nous chrétiens, en une patrie où règneront toujours la paix et la justice, en une patrie qui n'aura ni frontières ni limites et qui ne connaîtra pas non plus le progrès ou la décadence; car elle sera infinie et elle fera éternelle l'histoire ancienne et moderne, pleine du tumulte des batailles. - En effet, si le spectacle de toutes les nations, formidablement armées pour les guerres de l'avenir, ne nous permet pas de nous déclarer, selon l'expression de Schiller, citoyens du monde, nous espérons tous être un jour citoyens du ciel…
Laissez-moi vous rappeler, Messieurs, que, dans ces derniers temps, la France a été calomniée dans ce qu'elle a de plus cher, dans son armée, et cela aux yeux de l'univers entier et par les manœuvres scélérates d'une race orgueilleuse qui n'a pas de patrie, elle, et qui est éparse à travers le monde, et qui voudrait y établir le plus honteux de tous les cultes, celui du veau d'or.
Certes, les bons Français ont cruellement souffert de ces injures et de ces mensonges et leur patriotisme s'en est exalté. Mais il n'est devenu ni étroit ni injuste. Notre généreuse patrie n'en reste pas moins fidèle à ses habitudes d'hospitalité, à son amour de la paix, à son désir d'une entente cordiale entre les peuples, et elle en donne aujourd'hui une preuve éclatante dans cette exposition, dans cette admirable fête pour laquelle elle a demandé à toutes les nations le concours de leur travail et de leur génie.
Avec vous, Messieurs, qui êtes des hôtes d'autant mieux accueillis, des amis d'autant plus précieux que nous avons la même foi religieuse, nous admirons le pacifique spectacle de ces drapeaux divers groupés en faisceaux fraternels…».
Le dimanche aussi, réunion générale des congressistes à Montmartre.
Après l'Evangile le R. P. Coubé monte en chaire.
Dans un brillant exorde aux vives couleurs, il trace le tableau d'une halte militaire sur une montagne, à la veille d'une bataille. Les soldats, anxieux, interrogent la plaine qui s'étend à leurs pieds et où demain s'engagera l'action; que sera cette plaine; la tombe ou l'apothéose? Mais les chefs remontent les courages en rappelant les noms glorieux de bataille inscrits sur le drapeau troué.
«Le parti catholique français, ajoute le R. P. Coubé, n'est-il pas, lui aussi, dans la position de ce régiment. Votre congrès est la «halte du soir» où l'on prépare les marches en avant de demain, après un souvenir aux grands ancêtres: Montalembert, Falloux, Veuillot, Ozanam, de Melun, etc.».
L'orateur développe ensuite ces deux idées: 1° l'armée catholique doit être plus unie que jamais pour être victorieuse; 2° la nécessité d'agir s'impose à tous.
D'où la double obligation pour les catholiques d'être à la fois pacifiques et combatifs, - pacifiques entre eux et combatifs à l'égard des ennemis de l'Eglise.
Le R. P. Coubé engage les congressistes à demander ces deux vertus au Cœur Sacré de jésus, aujourd'hui à Montmartre et demain à Paray-le-Monial.
Il rappelle ensuite toutes les formes de la charité chrétienne, y compris l'incomparable héroïsme du R. P. Damien, l'apôtre des lépreux:
«Donnez-moi votre lèpre, disait Damien, je vous apporte mon Dieu». «Il y a tout autour de nous, ajoute le R. P. Coubé, un immense hôpital de douleurs morales qui n'est autre que la société moderne. Il faut nous faire les Damien de la lèpre sociale qui envoie jusqu'aux portes de nos Expositions un relent de léproserie morale et lui ouvrir le ciel!».
L'orateur revient avec insistance sur la nécessité de l'union entre catholiques.
La Pologne est morte de la désunion de ses enfants. Rappelonsnous comment l'union a rendu invincibles les Belges et le centre allemand.
Le Dieu de la paix a dit: «Je suis venu vous apporter la guerre». La contradiction n'est qu'apparente. Paix entre nous, mais guerre au mal!
Le R. P. Coubé, après un appel au travail et au dévouement, conclut:
«En 1467, les Turcs se partagèrent les dépouilles d'un héros albanais dont ils voulurent conserver sur eux une parcelle des habits comme talisman dans la bataille.
Nous avons mieux à faire, nous autres catholiques, qui possédons le Pain des forts, l'Eucharistie!».
M. l'abbé Odelin lit l'acte de consécration du congrès international au Sacré-Cœur. Cette consécration est faite selon la formule générale donnée par le Pape.
Une scène émouvante et propre à réjouir le ciel, c'est la distribution aux congressistes français et étrangers du Pain des forts. Au chant du Panis angelicus, enveloppé par les mélodies de l'orgue, ils s'approchent presque tous de la sainte table.
Le bouquet de la séance générale du dimanche soir a été le discours du R. P. Gaudeau sur les services sociaux que les congrégations sont appelées à rendre dans une société démocratique.
Ces services sont de deux ordres: les œuvres et l'exemple. Enseignement, charité, missions, nos 35.000 religieux et nos 125.000 religieuses de France représentent, sous ses formes diverses, toutes les branches de l'apostolat catholique.
«Nous nous appelons à la fois, dit éloquemment le R. P. Gaudeau, nous nous appelons sœur Rosalie, frère joseph, Lacordaire et de Ravignan. Nous avons défriché le sol de la France et, depuis son baptême à Reims nous l'avons développée dans l'honneur» (Applaudissements).
L'orateur rappelle ces aveux de Taine émerveillé par les œuvres des congréganistes:
«Un renversement psychologique s'est fait dans ces hommes et dans ces femmes. Ce n'est plus l'amour de soi qui l'emporte en eux sur l'amour des autres; c'est l'amour des autres - phénomène étrange - qui l'emporte sur l'amour de soi».
Après un souvenir ému au R. P. Dorgère, l'orateur aborde la seconde partie de son sujet: l'utilité sociale des congrégations en raison des exemples qu'elles offrent à l'imitation de tous dans une démocratie.
D'abord, elles défendent énergiquement leurs libertés.
Dans les congrégations, les gouvernants sont élus par les gouvernés. Le chef garde toujours le caractère de simple mandataire. Sa dignité n'est pas une dispense, mais une surcharge. Il est soumis aux mêmes règles et mange le même «brouet noir» que ses frères.
«Nous sommes la liberté et le droit, conclut le R. P. Gaudeau, et voilà pourquoi notre exemple vous est une sauvegarde.
La liberté est un bloc et l'on ne peut pas atteindre une liberté sans les atteindre toutes.
Si on laisse chasser de leurs couvents ceux qui portent l'habit monacal, demain on pourrait bien voir le bourgeois qui porte une redingote, jeté à son tour hors de sa maison».
L'orateur termine par la lecture d'une belle page du P. Didon et un commentaire de Tolstoï montrant, dans Résurrection, que le moine uniquement préoccupé du royaume de Dieu et de sa justice est de plus en plus nécessaire aux sociétés plongées dans les préoccupations matérielles et d'ordre humain.
M. l'abbé Odelin a tiré les conclusions du Congrès qui a été à la fois: 1° un hommage au Rédempteur par l'exposition des œuvres du siècle; 2° le rapprochement de toutes les œuvres catholiques par la fondation d'un siège international à Paris, 42, rue de Bourgogne; 3° une consécration de tous les pays au Sacré-Cœur.
Dès l'aube du lundi matin, la plupart des congressistes français et étrangers ont pris le chemin de Paray-le-Monial, la ville privilégiée du Sacré-Cœur, pour y renouveler encore leur consécration et pour implorer la miséricorde du Sacré-Cœur dans les conjonctures difficiles que traversent l'Eglise et les nations catholiques.
Même piété et même enthousiasme à Paray-le-Monial.
Les jeunes gens chrétiens sont des fleurs vivantes, les fleurs du printemps de la vie, avec tout l'éclat de la fraicheur et la promesse des meilleurs fruits.
Grâce à ces congrès, notre Exposition ne restera pas dans un cercle tout profane. Elle a d'ailleurs plus d'un attrait religieux: ses chefs-d'œuvre d'art chrétien, son pavillon des missions et celui des œuvres sociales.
Elle a été l'occasion de ces belles démonstrations internationales de Montmartre et de Paray. C'est une grâce pour la France de se poser ainsi comme la nation du Sacré-Cœur.
Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, juillet 1900; pp. 356-363.
L'IDEAL CLERICAL
ET L'IDEAL LAIQUE
Le journal La Dépêche de Toulouse a donné, il y a quelques temps déjà, des articles plein de verve en faveur de l'idéal laïque. Ses études sur les Universités populaires et sur le dévouement des institutrices lui permettent, dit-il, d'affirmer combien l'idéal laïque est fécond, combien incontestablement supérieur à l'idéal congréganiste.
«Mécaniser des automates aveugles, ajoute l'élégant écrivain(?), c'est la règle des Congrégations; éveiller des individualités clairvoyantes, c'est le principe des Universités populaires. Les premières forment des instruments, les secondes préparent des citoyens».
Au fait, la Dépêche félicite «les jeunes maîtres de conférences, les jeunes professeurs de lycée, qui vont aux Bourses du travail et aux hôtels de ville, demander et offrir au prolétariat ouvrier une éducation sociale mutuelle, un compagnonnage idéal dans la science, dans l'art, dans l'action».
Il exalte le dévouement humanitaire de quelques institutrices. L'une d'elles, en Seine-et-Marne, a soigné ses élèves pendant une épidémie de diphtérie et en a sauvé vingt-deux de la mort. Une autre a fondé par souscription une colonie scolaire pour les vacances des bébés parisiens. Elle y a reçu cinq enfants(!) par mois de vacances en 1898 et douze par mois en 1899.
Qu'est-ce que le dévouement des cent mille religieuses de France à côté de celui de ces deux femmes admirables!!
Et puis les religieuses ne sont guère désintéressées, puisqu'elles ont en vue de gagner le Paradis!!
Et ledit journal s'écrie, plein d'enthousiasme, que «la jeune Université des trois ordres se fait grand honneur en proclamant sa foi dans une laïcité active, créatrice, bienfaisante!!!».
Il avoue bien, dans le cours de son panégyrique du laïcisme, que les jeunes professeurs propagandistes ne sont guère approuvés par leurs chefs hiérarchiques. «Je sais bien, dit-il, que maints hauts bureaucrates de la rue de Grenelle voudraient un idéal laïque qui fût neutre à leur image, afin que leur administration ne se fit jamais d'histoires».
Il avoue aussi que les gros bonnets du laïcisme ne sont guère généreux pour les œuvres humanitaires des institutrices. «Dans la liste des souscripteurs, dit-il, je trouve bien çà et là quelques dons de 100 fr. ou de 50 fr., fait par telle ou telle personne riche connue dans le monde des œuvres laïques. Que c'est peu, comparé à la munificence de la ploutocratie cléricale! Comme les grandes fortunes républicaines comprennent mal leur devoir social!».
Tout cela ne justifie guère l'enthousiasme du journal laïque. Il y a bien quelques jeunes professeurs qui s'amusent à faire des conférences. Il y a aussi quelques bonnes institutrices qui ont l'instinct de la maternité et de l'humanité, avec un certain dévouement qu'elles doivent peut-être à un reste d'éducation chrétienne.
Comme essai d'apologétique laïque, l'article de la Dépêche est faible. Mais il a une phrase heureuse que je veux retenir en l'appliquant aux catholiques «L'Université se fait grand honneur, dit-il, en proclamant sa foi dans une laïcité active, créatrice, bienfaisante».
Voilà un programme pour vous, jeunes gens catholiques. Voilà un idéal à suivre. C'est cela que l'Eglise demande de vous, une propagande active, créatrice, bienfaisante.
Le laïcisme se flatte en s'attribuant ces qualités. Il peut avoir quelques vertus naturelles, mais l'égoïsme domine toujours là où ne règne pas la charité chrétienne.
Ses vertus naturelles ont peu d'efficacité et peu de profondeur. L'activité naturelle aura le plus souvent pour mobile l'intérêt ou la haine.
C'est vous, jeunes gens catholiques, qui, avec l'aide de Dieu et de sa Grâce, devez manifester une activité créatrice et bienfaisante.
Ne laissez pas mépriser l'Eglise votre mère. Ne laissez pas sommeiller votre foi. Agissez, vous aussi. Agissez plus et mieux que ces jeunes professeurs. Faites des conférences. On ne vous prêtera pas les hôtels de ville, mais les salles et les auditoires ne vous manqueront pas. Faites des réunions, organisez des cercles d'études.
Ne doutez pas de l'efficacité de la parole publique. quand nos populations urbaines ont entendu Sébastien Faure ou quelque autre forcené leur parler des «Crimes de Dieu», elles subissent une influence satanique, on voit sur les visages un reflet des sentiments de haine et d'impiété qui ont envahi les âmes. Parlez, vous aussi, soyez apôtres du Christ, comme d'autres le sont de Satan. Votre parole, votre propagande seront les instruments du salut social.
Mais parler n'est pas tout. Il faut des organisations, des œuvres, des associations. Les paroles n'ont qu'un effet passager. Créer des cercles d'études, des associations agricoles, des secrétariats du peuple. Pourquoi ne feriez-vous pas, vous aussi, des Universités populaires? Retenez ces trois mots qui doivent caractériser votre idéal. Votre propagande doit être active, créatrice, bienfaisante.
Agissez, Dieu est avec vous. Unissez-vous pour agir. Conférez entre vous et avec vos prêtres pour voir ce que vous pouvez faire. L'automne va venir, c'est le temps des semailles pour les âmes comme pour les champs.
Créez des œuvres, des associations, des groupements. Allez de paroisse en paroisse dans votre région. Ne passez pas dans une bourgade sans y laisser quelque création féconde.
Que votre action soit bienfaisante! Le Christ semait les miracles avec sa doctrine. Les apôtres instituaient les diaconies en même temps que les paroisses. L'Eglise a toujours joint les œuvres à l'apostolat. Avec les œuvres de propagande, comme les cercles d'études, les conférences, la presse, fondez des œuvres de bienfaisance, des œuvres qui contribuent au relèvement des faibles, comme les syndicats, les caisses rurales, les maisons d'ouvriers, les jardins d'ouvriers.
La Dépêche de Toulouse disait: «Chacun peut comparer l'idéal clérical et l'idéal laque, chacun peut choisir entre les deux».
Eh bien! oui. Chacun peut comparer et choisir. Mais si vous êtes dignes de votre beau nom de catholiques, si vous êtes les vrais enfants du Christ, nous ne redoutons pas la comparaison. C'est de votre côté que sera la propagande active, créatrice, bienfaisante.
La Chronique du Sud-Est, N. 8 et 9, août-septembre 1900; pp. 571-572.
L'IDEALISME
DANS LES ŒUVRES SOCIALES
Des gens routiniers ou animés, sans le savoir, de l'esprit gallican, opposent souvent une objection injurieuse aux prêtres et aux catholiques dévoués aux œuvres sociales: «Vous tombez dans le matérialisme, disent-ils; vous songez à procurer aux travailleurs le pain du corps et vous oubliez de leur distribuer le pain de l'âme».
Ces gens à courte vue oublient que l'Evangile n'est pas seulement un livre mystique mais aussi un livre de morale pratique. Ils semblent ignorer que le décalogue n'a pas été détruit pas le Christ, mais qu'il a été promulgué à nouveau et que par conséquent les devoirs de la justice sociale s'imposent à tous sous la loi nouvelle plus strictement encore que sous la loi ancienne.
En s'occupant d'œuvres sociales, les prêtres et les hommes d'œuvres ne sortent pas de la vie surnaturelle, ils remplissent les devoirs de charité et d'équité que l'Evangile leur impose.
Dans tous nos congrès d'œuvres on sent déborder ces sentiments de justice chrétienne qui visent à sauver les âmes de tous, celles des puissants, en leur faisant accomplir les devoirs de l'équité; celles des pauvres en les mettant à l'abri des tentations de la misère.
Au dernier congrès des caisses rurales, ce fait a été mis en évidence par un délicieux rapport de M. l'abbé Muller, président des associations agricoles de la Basse-Alsace. Il nous a fait toucher du doigt l'idéalisme qui anime ces œuvres en nous montrant les principes dirigeants et caractéristiques de la grande œuvre des Caisses rurales fondées par Raiffeisen.
Nous allons faire partager notre régal à nos lecteurs en reproduisant ici une partie de ce rapport.
Sur la fin de sa vie, Raiffeisen, le grand-maître, le père des Caisses ou Associations rurales et agricoles en Allemagne, mort à Neuwied, sur les bords du Rhin, le 11 mars 1888, s'est exprimé de la manière la plus claire possible et cela surtout dans deux circonstances plus solennelles, sur les premiers principes distinctifs et dirigeants de ses Associations.
De sa propre main, il a inscrit dans le registre des procès-verbaux des réunions générales des Associations Raiffeisenistes de la BasseAlsace les dernières paroles du discours qu'il avait prononcé à Strasbourg, le 14 juillet 1885, à l'occasion de la fondation de deux groupements régionaux de la Haute et de la Basse-Alsace.
Voici ces paroles traduites littéralement de l'allemand: «L'expérience faite jusqu'à ce jour nous apprend que ce n'est pas le manque d'argent qui empêche nos Associations de se développer et de prospérer, surtout si elles sont affiliées à la Caisse centrale. C'est un autre mal, c'est l'égoïsme des membres qui en a arrêté le développement et les empêche de devenir indépendantes.
Il n'y a qu'un remède à ce mal, c'est la Religion. Quiconque n'en a pas, quiconque ne croit pas à l'existence d'une vie future, ni à la responsabilité, et pour ce qu'il possède et pour ce qu'il fait en ce monde, celui-là cherchera toujours ses intérêts propres aux dépens des intérêts du prochain.
Le devoir qu'a tout homme de venir au secours du prochain, la charité chrétienne peut l'imposer seule, elle peut maintenir en nous cet esprit qui doit dominer dans nos Associations et les unir. L'argent n'est qu'un ciment extérieur; avec l'argent tout seul on n'arrivera à aucun résultat sérieux, dût-on même en posséder de grandes sommes. L'argent ne donnera jamais l'esprit nécessaire pour arriver à un résultat durable!».
Le ler juin 1887, quelques mois seulement avant sa mort. Raiffeisen presque aveugle, et se sentant déjà mourir, assista pour la dernière fois à une réunion générale de ses Associations rurales et agricoles à Düsseldorf.
Il termina son dernier compte rendu en nous laissant, comme consignés dans le testament le plus solennel, les principes fondamentaux et caractéristiques de ses Caisses.
Ces principes tout à fait typiques sont tous du domaine du Christianisme surnaturel le plus pur.
Raiffeisen dit: «L'esprit du monde, l'égoïsme, la fièvre du lucre, (auri sacra fames), cette lutte pour la vie présente, où l'on ne cherche qu'à s'emparer des biens de ce monde autant que possible et aussi vite que possible, sans se soucier si d'autres sont ruinés par là et tombent dans la pauvreté et la misère - cet esprit ne veut rien savoir de l'obligation que nous avons de secourir les autres sans chercher à gagner de l'argent, à plus forte raison cet esprit ne veut-il rien savoir d'une solidarité, d'un risque pour un autre. Nos Associations ont pour but de combattre cet esprit du monde.
Pour bien entrer dans ces vues et comprendre cette tâche, il faut songer à la fin de notre vie et même à l'éternité. Nous savons que notre vie ici-bas n'est qu'une préparation à rendre compte de tout ce que nous avons, et de la manière dont nous aurons fait usage de nos biens spirituels et matériels.
Il faut sans cesse se rappeler que notre devoir de chrétien est et doit rester la base fondamentale de nos Associations.
Notre-Seigneur nous a prémunis contre les tendances matérialistes de nos temps modernes: «Cherchez avant tout le règne de Dieu et sa justice et vous aurez tout ce qui sera nécessaire pour les besoins de cette vie».
Notre-Seigneur nous a aussi enseigné par quel moyen nous pouvons arriver au royaume de Dieu, à la félicité éternelle; c'est par la pratique de la foi chrétienne, en exerçant la charité à l'égard du prochain. Ne nous dit-il pas: «Ce que vous aurez fait au moindre de mes frères, vous l'aurez fait à moi-même…».
De nos jours on prétend souvent qu'à la suite de la lutte actuelle, il ne restera finalement que des millionnaires et des mendiants. Si donc par nos Associations nous parvenons d'un côté à soutenir la classe moyenne, à en augmenter le nombre et à la fortifier par le relèvement des membres tombés, nous servirons indirectement et d'une manière plus large ceux qui sans ce secours seraient dans la gêne; nous donnerons à manger à ceux qui ont faim, nous donnerons à boire à ceux qui ont soif, etc. Vous aurez fait tout cela pour moi, dit notre Sauveur. Ce n'est qu'en pensant qu'on travaille pour Lui, pour Dieu, qu'on trouvera la force et la persévérance nécessaires, pour ne pas se laisser diriger par des intentions de second ordre comme celles d'acquérir de l'honneur ou du profit; on ne se laissera rebuter ni par les déboires, ni par l'ingratitude; c'est seulement en pensant que nous travaillons pour Dieu que nous serons assurés de marcher dans la voie de la sagesse et de la vérité, et que nous arriverons à mettre le véritable esprit dans nos travaux.
Dès lors, nous aurons la conviction que par la circulation de l'argent nous avons trouvé une forme solide pour notre activité. Pour rendre cette forme vraiment profitable, il faut qu'elle soit animée par l'esprit de la foi et de la charité chrétienne. Cet esprit doit être le ressort et la force d'une activité infatigable.
N'oublions jamais, chers coassociés, et songeons sans cesse, que si nous ne pensons pas à nos devoirs de chrétiens, que si nous ne nous efforçons pas à les remplir sérieusement, le but, la tâche que se sont imposés nos caisses de prêt et d'épargne ne sera jamais atteinte; nos Associations descendront alors au simple rôle d'affaires d'argent et ne serviront à rien. Dieu veuille que chose pareille n'arrive jamais. Que l'esprit de la vraie foi chrétienne, que l'esprit de la charité la plus cordiale envers Dieu et notre prochain nous mène à la ferme espérance qu'ainsi; et qu'ainsi seulement, nous arriverons à notre bonheur ici-bas et à la félicité éternelle. Dieu veuille que cet esprit nous pénètre, pénètre nos Associations et toute notre organisation pour notre plus grand bien et pour celui de nos descendants!».
D'après ces paroles qui sont vraiment le testament de Raiffeisen, les principes dirigeants ou les dix commandements du Raiffeisenistes sont les suivants:
1° Ton Dieu par-dessus tout et ton prochain comme toi-même par amour pour Dieu tu aimeras.
En conséquence par une intention surnaturelle de plaire à Dieu et de faire du bien à ton prochain, pour te rendre heureux ici-bas et gagner ainsi ta félicité éternelle, toute ton activité Raiffeiseniste tu élèveras et sanctifieras;
2° Les sentiments de charité et de fraternité qui ne reposent pas sur le Christianisme tu fuiras;
3° Les banques Raiffeisenistes comme de simples affaires d'argent et de spéculation aucunement tu ne considéreras;
4° Toute recherche d'un profit purement matériel et personnel, toute satisfaction d'amour propre ou plaisir personnel ainsi que tout découragement tu éviteras;
5° Le prêt par un membre demandé, t'enquérant plus de ses bonnes intentions et de son honorabilité que de sa solvabilité, tu accorderas; 6° Des termes à longues échéances et de grandes facilités de paiement tu offriras; mais aux rentrées des termes et des intérêts par charité tu tiendras;
7° Aucune rémunération (celle de caissier et les déboursés ou pertes de temps dans l'intérêt de l'organisation exceptés) jamais tu n'exigeras;
8° Le plus nécessiteux, ses petites épargnes t'apportant, un secours te demandant, avant tout autre tu entendras;
9° A l'Association une solidarité illimitée, à ton prochain dans le besoin une caution et un risque limités tu accorderas; les parts sociales et des dividendes te rapportant, soigneusement tu éviteras;
10° Un fonds social intangible et inaliénable tout à l'avantage de l'Association et pour des besoins communs et d'utilité publique, ainsi qu'un fonds de réserve pour des institutions populaires d'instruction, de moralisation et des œuvres de charité à établir et à soutenir tu créeras.
Chers lecteurs, si vous étiez tenté d'accorder créance aux détracteurs des œuvres sociales, vous voilà éclairé, et vous penserez avec nous maintenant qu'en s'adonnant à ces œuvres, on est bien dans le plus pur esprit de l'Evangile.
Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, septembre 1900; pp. 451-456.
APRES LE CONGRES DE BOURGES
Sept cents prêtres ont passé là de bonnes journées dans la prière et l'étude. C'était comme une retraite spéciale, une retraite de zèle. C'est que les prêtres de France avaient reçu, au 8 septembre 1899, une belle Encyclique du Pape, sur leurs devoirs au temps présent. Cette Encyclique, il fallait l'étudier, non pas seulement dans les paisibles méditations du presbytère, mais dans quelque chaude assemblée, où l'exemple entraîne, où la force des volontés se multiplie comme en un faisceau de courants électriques.
Cette assemblée, où la faire? - Le clergé avait autrefois ses conciles provinciaux et ses synodes diocésains. Nous avons eu une belle série de conciles, brillants et féconds, en 1849 et les années suivantes, pendant une période trop courte de vraie liberté.
Aujourd'hui, nous avons une République boiteuse, qui restreint autant qu'elle peut les libertés des catholiques. Il est vrai, que c'est la faute des catholiques, qui n'ont pas compris les courants populaires et qui ont boudé sous leur tente. Cela passera, et en entrant dans la République, nous la rendrons loyale, sincère et libérale. Mais en attendant…?
Les conciles provinciaux ne sont pas autorisés. Les synodes diocésains eux-mêmes sont contrôlés, et le gouvernement se donne la licence d'en réviser les programmes et d'en écarter tout ce qui n'est pas conforme à l'idéal gallican, comme les œuvres sociales, les œuvres de presse, etc. Ce serait comique, si ce n'était pas assez sinistre; mais le fait est là!
Que restait-il à faire? Les timides, les boudeurs prenaient leur parti. Les vaillants voulaient tout tenter pour sortir du marasme et pour ne pas laisser l'Encyclique du Pape passer à l'état de lettre morte. Ils songèrent à un congrès. On en avait bien tenu un à Reims, en 1896, sous le couvert du centenaire de Clovis. On prépara celui de Bourges.
Le gouvernement s'émut bien un peu. La chose le vexait visiblement. Il essaya bien de faire peur. Cela devait réussir. Les ecclésiastiques sont trop souvent de bons moutons bien timides. Mais ni Mgr l'archevêque de Bourges, ni M. Lemire n'étaient de ce tempérament.
Le gouvernement recula. Il n'osa pas interdire le congrès. Cela eût paru trop fort, dans un moment où tout le monde en tient, les femmes, les socialistes, les professeurs de l'enseignement d'Etat, etc.
Le congrès a donc eu lieu, et il a été nombreux, vivant, pieux et brillant, n'en déplaise à certains esprits fourchus et grincheux.
Le Pape était avec nous et nous le signifiait par une lettre du cardinal Rampolla. Cinquante-quatre archevêques et évêques nous encourageaient et nous bénissaient.
Mais, ne voyez-vous pas le péril du presbytérianisme, clament certains journaux réfractaires! Mais, que deviennent les traditions, les règles canoniques! La forme des réunions ecclésiastiques n'est-elle pas celle des synodes et conciles? Oui, nous savons tout cela; et le droit de tenir des conciles et synodes, ce n'est pas vous qui le ferez revivre avec vos jérémiades; c'est nous, avec nos initiatives confiantes et hardies. Et nous n'en sommes sans doute pas loin. Comment voulez-vous que le gouvernement maintienne son opposition aux conciles, s'il voit qu'on tient des congrès, auxquels il ne peut pas s'opposer?
Nous avons donc eu un beau congrès. Mais vous allez, chers lecteurs de la Chronique, qui, pour la plupart, n'êtes pas prêtres, me demander en quoi cela vous intéresse? Le voici.
Ce congrès a été surtout un congrès d'œuvres. On y a fait peu de théorie. Les prêtres ont surtout médité la page merveilleuse de l'Encyclique au clergé, où le Pape leur indique toutes les œuvres qui procureront la rénovation chrétienne de la Société.
Ce travail de résurrection, le Pape ne le confie pas à eux seuls. Il leur dit formellement qu'ils doivent en être les apôtres et les inspirateurs. Quels seront donc leurs auxiliaires? C'est vous, jeunes gens catholiques, à qui s'impose le devoir de les aider dans l'accomplissement de cette vaste tâche? A vous - Tu es ille air!
Ecoutez donc quelles sont ces œuvres: «Dociles aux conseils de notre Encyclique Rerum novarum, dit le Pape, vous allez au peuple, aux ouvriers, aux pauvres. Vous cherchez par tous les moyens à leur venir en aide, à les moraliser, à rendre leur sort moins dur. Dans ce but, vous provoquez des réunions et des congrès; vous fondez des patronages, des cercles, des caisses rurales, des bureaux d'assistance et de placement pour les travailleurs. Vous vous ingéniez à introduire des réformes dans l'ordre économique et social… Vous écrivez des livres, des articles de journaux et de revues…».
Voyez l'ampleur de cette action et de cette propagande, qui sollicitent votre concours?
Evidemment, l'énumération du Pape n'est pas limitative. Il cite les œuvres d'assistance et de placement, il faut y comprendre les syndicats, les secrétariats du peuple, etc.
Pour les réformes à introduire dans l'ordre politique et social, il faut recourir à la presse, à l'action électorale, à la propagrande sous toutes ses formes.
En traçant ce programme d'œuvres, le Pape n'a pas moins en vue les laïques, les jeunes gens, que les prêtres. Ce sont là, en effet, des œuvres dont le prêtre doit être plutôt l'inspirateur que le directeur.
Ces conseils du Pape s'adressent donc à vous, jeunes gens. C'est ce qu'on a dit au congrès de Bourges. Le prêtre doit faire ou susciter les œuvres indiquées par le Pape, mais il doit les faire avec votre concours.
Et si vous êtes généreux, savez-vous ce qu'il faudra faire? Formez une petite fraternité du Tiers-Ordre de Saint-François dans chaque commune, et cette fraternité sera l'âme de toutes les œuvres. Les tertiaires aideront à fonder et à soutenir toutes les œuvres: syndicats, caisses rurales, conférences, propagande de la presse, etc.
Le Pape l'a dit plusieurs fois, le Tiers-Ordre doit être l'âme de toutes les œuvres, la force de la paroisse et comme ce carquois mystique où le curé cherche toutes ses flèches choisies pour combattre tous les saints combats.
La Chronique du Sud-Est, N. 10, octobre 1900; pp. 615-616.
LA MISSION ACTUELLE
DU TIERS-ORDRE1)
Ne sommes-nous pas téméraires e parlant d'une mission actuelle de Tiers-Ordre? La grande œuvre séraphique devrait-elle donc changer son caractère séculaire? Ne serait-elle plus simplement une œuvre de prière, de pénitence, de sanctification personnelle?
Ces objections nous ont été faites un jour que nous parlions de la mission nouvelle du Tiers-Ordre. Elles subsistent peut-être dans certains esprits; nous y voulons répondre.
Eh! sans doute, nos chères fraternités sont toujours des œuvres de prière, de pénitence et de sanctification; mais elles n'étaient pas que cela dans le commencement, et elles ne doivent pas non plus se borner à cela aujourd'hui. Saint François n'a pas voulu seulement orner les âmes de vertus privées pour les offrir à Jésus-Christ, il a voulu aussi travailler au règne social du Rédempteur.
Notre bien-aimé Pontife Léon XIII nous l'a rappelé toutes les fois qu'il nous a parlé du Tiers-Ordre. Saint François avait en vue le bien des sociétés en même temps que la sanctification des âmes.
Il serait même facile de démontrer que le Tiers-Ordre franciscain est éminemment social parmi tous les ordres religieux.
Tous les fondateurs qui ont eu en vue la vie contemplative ou la vie apostolique, ont séparé leurs disciples des agitations humaines. Saint François l'a fait aussi pour ses deux premiers ordres, mais quand il s'est agi du Tiers-Ordre, il a laissé ses religieux tertiaires à leur vie de famille, à la vie corporative, communale et sociale, non seulement pour qu'ils se sanctifient dans cette vie commune, mais pour qu'ils en sanctifient toutes les relations et tout l'organisme.
Saint François d'Assise a vécu à l'époque de la grande vie sociale chrétienne; à l'époque où tout palais communal avait sa chapelle, toute corporation de métier son autel ou son oratoire.
Nous imaginer que Saint François ait voulu faire de ses tertiaires des cénobites, c'est fausser l'histoire, c'est diminuer le grand Saint, c'est lui prêter nos courtes vues. Saint François voulait que ses tertiaires fussent des citoyens chrétiens, capables de faire régner le Christ dans la commune et dans l'Etat. Ce sont ces fils spirituels, qui conduisirent les communes et les corporations aux pieds du Christ et de la Madone. Ce sont eux qui faisaient représenter par les coryphées de l'art chrétien les symboles du bon gouvernement au palais communal de Sienne et les vertus chrétiennes à la Bourse de Pérouse.
Après cela nos nations chrétiennes ont senti passer le souffle desséchant du gallicanisme et du régalisme. La religion a été d'abord domestiquée par les rois, puis exclue par la Révolution. Le sens chrétien était atrophié. Le clergé s'habituait à vivre en dehors de la vie sociale. Les fraternités du Tiers-Ordre devenaient de pieuses confréries, sans autre but que la sanctification personnelle de leurs membres. Le véritable esprit de Saint François sommeillait, aussi bien que le véritable esprit du Christ.
Mais voici que le Christ a suscité un nouveau François d'Assise. Il ne le prend pas dans un cloître, parce qu'il veut lui donner une mission plus large et plus complète. Il le place sur le trône pontifical.
je ne vois pas dans l'histoire, depuis le XIIIe siècle, un homme qui ait revêtu l'esprit de Saint François plus pleinement que Léon XIII. Leurs méditations intimes ont été identiques. Tous deux ont longuement contemplé leur siècle devant Dieu! Ils ont reconnu que le naturalisme et le sensualisme éloignaient les populations de l'Evangile et du Christ. Ils ont vu les petits et les faibles opprimés par la féodalité politique du XIIe siècle et par la féodalité financière du XIXe. Tous deux ont conçu le même remède, le Tiers-Ordre. Saint François l'a fondé; Léon XIII l'a renouvelé, recommandé et propagé avec une insistance infatigable, avec un saint acharnement.
Evêque à Pérouse, Léon XIII organise le Tiers-Ordre; Pontife suprême, il le recommande dans ses Encycliques, dans ses lettres, dans ses conversations privées. Il compare justement l'état social de notre temps à celui du mie siècle. Il déclare que le Tiers-Ordre est sa réforme sociale.
Il a vu que l'esprit franciscain de prière et de pénitence est le remède à l'indifférence et à la sensualité de notre temps. Il a reconnu aussi que l'esprit d'association guérira l'individualisme de notre siècle. Il donne le Tiers-Ordre aux prêtres pour les aider dans la rénovation sociale.
La rénovation sociale, c'est l'œuvre principale du pontificat de Léon XIII. Il a trouvé une société désemparée, une société devenue païenne, une société où ne règnent plus la justice et la charité. Et dans ce désarroi général, qui souffre le plus? la classe populaire. C'est vers elle que Léon XIII a tourné surtout ses regards compatissants.
Ecoutez Léon XIII revêtir l'esprit de Saint François:
Dans ses lettres, il rappelle aux Frères Mineurs que «leur vertu doit franchir les bornes des monastères et se répandre en dehors pour le bien public». - «Le Bienheureux François, leur dit-il, et ses disciples les plus éminents se sont consacrés tout entiers au peuple». - C'est ce qu'ont fait les Antoine de Padoue, les jean de Capistran, les Bernardin de Sienne, les Bernardin de Feltre, en apaisant les divisions sociales, en prêchant contre l'usure, en instituant les établissements de prêts populaires.
«Le temps est venu, ajoute Léon XIII, de reprendre cette ligne de conduite et d'aller au peuple. Il faut étudier les besoins des multitudes. Il faut avec amour les aider, les instruire, les consoler. Le Tiers-Ordre y doit contribuer».
- «Nous-même, dit encore Léon XIII, n'avons-nous pas écrit dans ce même but un bon nombre de nos Encycliques: celles sur la Maçonnerie, sur la Condition des ouvriers, sur les principaux devoirs des citoyens chrétiens? (Lettre au Ministre général des Frères Mineurs).
Telle est bien la grande conception de Léon XIII. Il a écrit un bon nombre de ses Encycliques dans l'intérêt du peuple. - Aider les travailleurs avec amour, les instruire, les consoler, «c'est le devoir des clercs de tout ordre». Le Pape désire vivement que la vertu des Pères du premier ordre «franchisse les bornes des monastères et se répande au dehors pour le bien public». - Il adjure les frères du Tiers-Ordre de rendre des services signalés à la Société.
C'est cela que nous appelons la mission actuelle du Tiers-Ordre. Les tertiaires doivent être comme toujours des hommes de pénitence. Ils doivent être en outre un ferment de vie chrétienne dans toutes les relations sociales.
C'est là qu'est le nouvel esprit du Tiers-Ordre, ou plutôt le renouvellement de son esprit initial.
Et pour cela, qu'y a-t-il à faire? Nous le dirons brièvement en deux mots, sans timidité et sans respect humain: il faut compléter le recrutement du Tiers-Ordre - il faut élargir son esprit.
Il faut compléter son recrutement. Nous avons eu surtout depuis un siècle des personnes pieuses qui priaient comme Moïse sur la montagne, il faut y ajouter des hommes vaillants, qui combattent dans la plaine comme Josué.
Ecoutez ce que le Pape faisait dire à son peuple de Rome, par son Cardinal Vicaire, en 1882:
«Chaque curé, disait-il, doit répandre l'encyclique sur le TiersOrdre parmi ses paroissiens, mais il doit le mettre surtout entre les mains des directeurs de collèges, des présidents de sociétés, des chefs de maisons de commerce. - Les pasteurs d'âme, tant du clergé séculier que tout ordre religieux, doivent tout tenter pour exciter les fidèles et surtout les hommes et les jeunes gens à entrer dans le Tiers-Ordre».
C'est donc bien entendu, il faut aller au peuple, à la multitude, mais il faut tout tenter pour enrôler les hommes d'action, les hommes d'influence, les jeunes gens des collèges, les membres des sociétés diverses, les chefs de maisons de commerce et d'industrie. Il faut donner au recrutement du Tiers-Ordre un caractère nouveau.
Ce n'est pas tout, il faut lui infuser un esprit nouveau. De même que la vertu des Pères du premier ordre doit sortir des bornes du monastère pour le bien public; de même la vertu des tertiaires doit sortir du cénacle de la fraternité pour le bien de la société.
Que doivent donc faire les tertiaires? Ils doivent être, comme le dit plusieurs fois le Saint-Père, les auxiliaires du clergé.
Mais sur quel terrain doivent-ils suivre le prêtre? Ecoutons le Saint Père dans la Lettre au clergé de France: «Pas une bonne œuvre, dit-il, dont vous ne soyez les inspirateurs ou les apôtres. Dociles aux conseils que nous avons donnés dans Notre Encyclique Rerum novarum, vous allez au peuple, aux ouvriers, aux pauvres. Vous cherchez par tous les moyens à leur venir en aide, à les moraliser, à rendre leur sort moins dur. Dans ce but, vous provoquez des réunions et des congrès; vous fondez des patronages, des cercles, des Caisses rurales, des bureaux d'assistance et de placements pour les travailleurs.
Vous vous ingéniez à introduire des réformes dans l'ordre économique et social. Vous n'hésitez pas à faire dans ce but des sacrifices de temps et d'argent. Vous écrivez des livres, des articles de journaux et de revues. Vous donnez en tout cela des preuves manifestes d'intelligent et de généreux dévouement aux besoins les plus pressants de la société contemporaine et des âmes…».
Voilà certes un beau programme d'action sociale: études préparatoires, réunions, œuvres d'assistance et de crédit, œuvres de presse, propagande des réformes sociales, tout y est.
C'est là le champ d'action sociale ouvert de nouveau devant le prêtre après le long sommeil du gallicanisme.
Mais pour cette campagne délicate et virile, le prêtre aura des auxiliaires de choix et comme une garde d'honneur, ce sera sa fraternité du Tiers-Ordre. C'est là qu'il trouvera, pour toutes les œuvres, des hommes de sacrifice, d'initiative et d'action.
Quel honneur c'est pour nos fraternités! Les autres associations ont un but spécial et défini. La fraternité sera le conseil et le bras du prêtre pour toutes ses œuvres.
Je ne développerai pas davantage cette esquisse. D'autres dans ce congrès vous parleront plus au long des œuvres sociales auxquelles vous devez collaborer. Je vous demande seulement une résolution généreuse et efficace de vous mettre à ces œuvres sous la conduite de vos pasteurs.
C'est cette vaste action sociale du Tiers-Ordre que Léon XIII a considérée, quand il vous a présenté le Tiers-Ordre comme l'instrument du salut pour la société contemporaine.
Oh! Combien Léon XIII doit-il être aimé de Saint François! Personne depuis six siècles n'avait compris aussi largement la pensée de François d'Assise. L'histoire dira que le second père du Tiers-Ordre est Léon XIII.
Je vous propose en terminant d'acclamer à la fois le fondateur et le restaurateur du Tiers-Ordre, Saint François et Léon XIII. Unissons les dans un même amour et travaillons sous leur lumineuse direction à la rénovation de la société chrétienne.
Nos congrès précédents ont déjà signalé cette orientation nouvelle du Tiers-Ordre dans son recrutement et dans son action. Aucun cependant ne l'a mieux fait que le congrès de Paray-le-Monial en 1894. La grâce du Sacré-Cœur a puissamment aidé ce congrès. En quelques vœux bien clairs, il traçait ce recrutement viril et cette action sociale du Tiers-Ordre. Aussi a-t-il reçu du Saint-Père une approbation toute particulière.
Six années se sont écoulées depuis lors et le Pape pourrait renouveler encore une plainte qu'il a déjà formulée:
«On n'a pas assez tenu compte de ses ordres et de ses exhortations». Humilions-nous. Renouvelons les vœux de Paray-le-Monial. Remettons-nous à la propagande du Tiers-Ordre, à son recrutement viril, à son action sociale.
Offrons ces vœux au Sacré-Cœur de jésus, offrons les à Saint François, offrons les à Léon XIII.
Le Cœur du divin Maître, celui de notre Saint-fondateur et celui de notre grand pontife battent à l'unisson. Leurs vues sur la société contemporaine sont les mêmes. Leur joie sera la même si répondons enfin à leur attente.
Vive le Sacré-Cœur de Jésus!
Vive Saint François!
Vive Léon XIII!
La Démocratie chrétienne, N. 6, octobre 1900; pp. 346-351. Ce discours a été également publié dans les revues suivantes: La Chronique du Sud-Est, N. 10, octobre 1900; pp. 620-622; Le XXe siècle, 1900; pp. 710-717; Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, janvier 1901; pp. 21-27. Il a été également publié en édition spéciale: Congrès International du Tiers-Ordre franciscain à Rome, 22-26 septembre 1900. Discours du R. P. Dehon, Rome, Imprimerie A. Befani, 1900; pp. 3-7.
LES ŒUVRES DE JEUNESSE
(Deux livraisons)
De nos jours plus que jamais, les œuvres de jeunesse doivent, avant toutes les autres, attirer l'attention de tout homme ayant à cœur le bien du peuple. En effet, on n'a que trop l'occasion de constater tous les jours les ravages que l'impiété fait dans la jeunesse. Dans tous les pays et particulièrement en France, on est épouvanté à la vue des efforts que fait l'impiété pour arracher Dieu du cœur de l'enfant et pervertir la jeunesse.
La famille n'est déjà plus ce sanctuaire privilégié où les enfants et les jeunes gens ne recevaient que des sages conseils, de bons exemples et de salutaires corrections. Aujourd'hui, ils n'y voient le plus souvent que des funestes exemples et n'y entendent que des paroles de doute ou de mépris pour les mystères de notre sainte religion. Après cela vient l'instruction obligatoire laïque, qui est certainement l'œuvre la plus néfaste accomplie dans tout le cours du dix-neuvième siècle, pourtant si fécond en lois scélérates et sectaires. Dans ces écoles laïques, où l'on fait abstraction complète de tout enseignement religieux, où l'Evangile est remplacé auprès des enfants par les principes de 89, le catéchisme par le manuel civique, l'histoire sainte par les événements mémorables de la révolution, etc., l'âme du pauvre enfant qui aurait encore eu le bonheur d'avoir des parents chrétiens, doit perdre le reste de piété et de sentiments religieux que sa première éducation avait pu lui donner.
Il est vrai, les remèdes à ces maux existent déjà; ils sont énormes les sacrifices, que les catholiques s'imposent tous les ans pour créer et pour entretenir des écoles et des patronages; mais ce n'est pas encore suffisant. Quand l'enfant sort de l'école, les dangers que ce jeune chrétien va rencontrer seront bien plus grands encore. Que d'ennemis en effet, le jeune homme va trouver sur sa route, à cet âge du premier éveil des passions! Pourra-t-il résister aux entraînements d'un monde inconnu jusque-là? Aura-t-il le courage de ses pratiques et croyances religieuses, en face des sarcasmes, des propos licencieux, des blasphèmes ou des sourires moqueurs qu'il trouvera au chantier, à l'atelier, ou au bureau? Pour ne point succomber, il aura besoin qu'une main amie le dirige, le soutienne et le protège. Tel est le but des œuvres de jeunesse.
Pour nous convaincre de la nécessité qu'il y a actuellement de créer partout de ces œuvres de jeunesse, nous n'avons qu'à regarder ce qui se passe chez nos ennemis. Par l'école sans Dieu, ils essaient de nous arracher l'enfant. Mais cela ne suffit pas, ils craignent, non sans motif, que des influences contraires ne le leur ravissent à l'époque décisive où la vie prend sa direction. Pour le fixer dans le mal, ils créent des œuvres de jeunesse fort bien organisées et largement subventionnées par les deniers publics. Ce sont leurs œuvres post-scolaires, les bataillons scolaires, sociétés de tir et de gymnastique, fanfares, orphéons, etc., qui sont leurs grands moyens de pervertir la jeunesse. Par ces institutions on s'empare de l'adolescent à peine échappé de l'école, on se l'attache et on le conduira de la sorte jusqu'à sa vingtième année, c'est-à-dire jusqu'à ce que le Christ soit irrévocablement chassé de son âme et que, parvenu à l'âge d'homme, il entre de plain-pied dans le mouvement anti-religieux et anti-social, auquel il donnera sa part de coopération.
Or à côté de ces institutions du mal et de la perversion, nous autres catholiques nous devons placer nos institutions du bien, de la religion et de la préservation, c'est-à-dire nos œuvres de jeunesse à nous, qui seront le complément et le couronnement de l'école catholique. Dans celle-ci, on forme des écoliers chrétiens, dans les patronage et autres œuvres similaires, on prépare des hommes chrétiens. Rappelons-nous à ce sujet les sages et paternelles recommandations que nous adressait naguère le pape Léon XIII: «Afin d'obtenir et de développer à l'heure actuelle les semences salutaires de la foi, nous dit-il, il faut pourvoir à faire fleurir, croître en nombre, en harmonie et en fécondité, les associations dont la fin principale est de conserver et d'exciter le zèle de la foi chrétienne et des autres vertus, telles sont les associations de jeunes gens et d'ouvriers».
Mais il y a malheureusement encore un grand nombre de catholiques français, qui n'arrivent pas à se convaincre de l'opportunité et de la nécessité de ces sortes d'œuvres. Et c'est parce qu'on néglige trop ces œuvres qu'il arrive si souvent que l'éducation des jeunes années ne donne pas tous les résultats qu'on serait en droit d'attendre. On jette de solides fondements, on élève les murs de l'édifice, mais on néglige de lui donner un couronnement.
«En France, disait déjà le Pape Pie IX, vous préparez bien les enfants à la première communion, mais après cela, vous les abandonnez trop vite; on ne fait pas assez pour la persévérance». Ces paroles ne sont malheureusement que trop vraies, surtout de nos jours: en ne sont malheureusement que trop vraies, surtout de nos jours: en France les œuvres de jeunesse sont trop peu nombreuses.
Nous recevons d'Allemagne une statistique sur les œuvres de jeunesse au-delà du Rhin, nous allons la reproduire ici. Ce sera un stimulant pour les catholiques de France. Ils verront combien ils sont devancés par un épanouissement merveilleux d'œuvres, dont le résultat se fait sentir par la cohésion des catholiques en Allemagne et par leur puissance politique.
I. Les œuvres de jeunesse pour les apprentis et jeunes ouvriers. Déjà en 1877 le centre allemand a proposé une loi protectrice du métier, pour régler les rapports mutuels entre apprentis, compagnons et maîtres. Pas à pas, les catholiques ont arraché au gouvernement des améliorations; et enfin la loi du 26 juillet 1897 est venue régler définitivement l'organisation du travail.
Comme la valeur technique et l'éducation morale de l'ouvrier dépendent du temps de son apprentissage, la loi a déterminé:
1° les conditions de l'apprentissage de la part du maître-patron; 2° le contrat d'apprentissage;
3° la sûreté de ce contrat;
4° la durée de ce contrat et l'examen de l'apprenti.
Les articles les plus importants de cette loi sont les suivants:
§ 126-126a. - Les personnes qui se sont permis de graves négligences à l'égard de leurs apprentis ou qui n'ont pas l'aptitude morale, ne peuvent pas avoir un apprenti.
§ 127. - Le patron est obligé d'instruire l'apprenti, de lui laisser le temps de suivre des écoles. Il doit l'exhorter au travail, aux bonnes mœurs; lui donner le temps d'accomplir ses devoirs religieux et veiller à ce que l'apprenti les accomplisse.
§ 127a. - L'apprenti est soumis à la discipline paternelle du patron et obligé de lui obéir et de se comporter convenablement à son égard. La loi règle la limitation du nombre des apprentis, afin qu'une bonne éducation soit possible. Cette loi s'applique non seulement aux apprentis du métier, mais aussi aux ouvriers apprentis dans les fabriques.
Les catholiques sont satisfaits de ces résultats législatifs (à l'exception de quelques articles qui ne sont pas encore assez précis), et ils basent leurs corporations et leurs associations sur cette loi.
Le dernier congrès général des catholiques allemands à Weisse (1899), à la suite de cette loi, a reconnu qu'une de leurs obligations les plus importantes, est de travailler au recrutement d'une bonne jeunesse, qui puisse plus tard travailler à la solution de la question sociale. Cette obligation sera remplie d'abord par le recrutement des œuvres de la jeunesse. Les statistiques que nous allons donner sont celles de l'année 1899, mais à la suite de la nouvelle loi et de l'activité des catholiques, ces chiffres grandiront très vite.
Il y a d'abord les associations catholiques pour les jeunes apprentis et ouvriers mineurs.
Leur nombre est de 738 en Allemagne, dont:
Archidiocèse de Cologne | 125 | associations | |
Diocèse de Trèves | 20 | ||
de Paderborn | 140 | ||
de Münster | 210 | ||
de Limbourg | 16 | ||
de Hildesheim | 9 | ||
de Osnabrück | 35 | ||
de Breslau | 1 | ||
de Brandebourg | 17 | ||
soit | 573 | pour la Prusse | |
Le royaume de Bavière | 48 | associations | |
Le royaume de Würtenberg | 20 | ||
Le Duché de Bade | 22 | ||
Le Duché de Hesse | 26 | ||
L'Alsace- Lorraine | 49 |
Dans plusieurs diocèses ces associations locales se sont unies sous un président général. Les présidents de ces associations sont unis entre eux par un organe mensuel: Das Korrespondenzblatt für die Prasides der christlichen Jugendvereinigungen.
Ces associations ont en partie un caractère religieux (sodalités, congrégations); mais elles ont aussi un caractère profane qui se manifeste dans leurs réunions hebdomadaires ou mensuelles. Elles ont souvent des maisons ou hospices comme propriété.
Ces associations préparent les jeunes gens au rôle social, qu'ils auront à remplir plus tard.
L'association «Arbeiterwohl» (bien de l'ouvrier), qui publie également la revue importante «Arbeiterwohl» rédigé par le Dr. Hitze, a grandement contribué à l'extension des associations catholiques des ouvriers mineurs et apprentis.
II. Les jeunes artisans, qui ont fini leur apprentissage sont réunis en grande partie dans le Gesellenverein (association des compagnons).
Cette œuvre compte aujourd'hui 1059 associations locales et possède en propre 329 maisons ou hospices.
La Prusse | 436 | associations | - | 153 | maisons |
La Bavière | 196 | - | 37 | « | |
Royaume de Saxe | 13 | - | 5 | « | |
Würtemberg | 33 | - | 5 | « | |
Duché de Bade | 49 | « | - | 9 | « |
En dehors de l'Allemagne, l'œuvre compte des associations dans d'autres pays, et souvent comme en Autriche, Suisse, ce sont des Allemands qui en sont membres.
Ainsi:
l'Autriche | compte | 193 | associations et | 67 | maisons |
la Hongrie | 64 | 20 | « | ||
la Suisse | 30 | 6 | « | ||
la Hollande | 8 | 8 | « | ||
G-D. de Luxembourg | 2 | 2 | « | ||
la Belgique | 2 | 2 | « |
La France possède depuis 1889 une association à Paris. Londres, Kopenhague, Stockholm, Rome ont leurs associations. L'Amérique du Nord en compte 4; l'Egypte 1, à Alexandrie. Les Antilles hollandaises en ont 1, à Curaçao.
Cette œuvre est née en Allemagne. Elle compte environ 80.000 membres.
En sortant de ces associations les jeunes artisans entrent dans les associations ouvrières, qui n'appartiennent plus aux œuvres de jeunesse.
III. Pour les jeunes filles ouvrières travaillent les associations d'ouvrières catholiques (Katholische Arbeiterinnenvereine), qui comptent 40 associations locales avec environ 60.000 membres. En dehors de ces associations il y a dans presque chaque paroisse des associations religieuses de jeunes filles.
IV. L'œuvre des maisons de servantes procure des places aux jeunes filles et servantes qui sont étrangères dans une ville et les protège ainsi contre beaucoup de dangers. Ces associations possèdent des hospices où les jeunes filles recoivent l'hospitalité jusqu'à ce qu'elles soient placées, et où de pauvres filles du peuple peuvent apprendre la couture, la cuisine. etc.
Cette œuvre compte en Allemagne 70 associations et hospices. L'œuvre protège les jeunes filles, servantes, ouvrières qui vont à l'étranger; en Belgique, en Angleterre, en France, en Italie, en Hollande, en Autriche-Hongrie et en Suisse elle compte un grand nombre d'hospices.
V. Pour les commis et employés de commerce. La jeunesse catholique non ouvrière se réunit dans les «associations catholiques commerciales» (Katholische Kaufmannische Vereinigungen), Cette œuvre compte environ 100 associations et congrégations avec 11.000 membres. Ces associations ont pour but de réunir les jeunes gens des diverses carrières, qui ne sont ni artisans, ni ouvriers, pour leur donner une éducation religieuse convenable et compléter leur instruction générale et aussi leur instruction technique. A côté de celà elles ont pour but de propager les idées chrétiennes, les vrais principes catholiques dans la question sociale. Elles ont un organe hebdomadaire: Merkuria.
A cette œuvre sont jointes «les associations commerciales des apprentis» (Kaufmânnische Lehrlingsvereine) dont le nombre est encore assez restreint.
VI. Pour les jeunes filles employées dans le commerce, il y a 15 associations «des aides de commerce» (Gehülfinnevereine) fondées depuis que la loi a prescrit le repos du Dimanche. Pour le bien social, ces associations ont, comme les associations ouvrières, une action qui n'est pas uniquement restreinte aux seuls membres. L'association de ces filles, aides de commerce, à Cologne a su établir plusieurs institutions remarquables (bureaux de placement, protection judiciaire, salle de lecture, caisse d'épargne).
VII. Etudes. Les associations des étudiants catholiques (Katholische Studentenverbindungen) sont d'une grande importance; elles écartent les principes antichrétiens que des professeurs souvent athées impriment aux étudiants des universités allemandes. Par leurs statuts et institutions (éviter surtout le duel) elles servent grandement à la conservation et à la consolidation des principes chrétiens dans ces étudiants, appelés plus tard aux charges les plus hautes de l'Eglise et de l'Etat. Nous comptons aujourd'hui 20 à 25 associations (quelques-unes n'ont que des membres honoraires) qui ont à peu près 3.000 membres. En outre il y a un grand nombre d'étudiants catholiques allemands aux universités étrangères, telles que Vienne, Prague… Ces corporations ont un organe mensuel: «Academia».
Tout ce qu'il y a de plus élevé en Allemagne dans le clergé et dans l'Etat se recrute parmi ces étudiants. 5.000 philistins (c'est-à-dire ceux qui autrefois ont fait partie de ces associations d'étudiants catholiques) restent en relation avec ces associations: des cardinaux, des évêques, des professeurs, ministres d'Etat, médecins, juristes, prêtres; et quand l'occasion s'en présente, ces hommes prennent part aux réunions des étudiants. Des évêques même ne craignent pas de prendre part à leurs «kommerse» (grande réunion) où la bière contribue à activer «l'humeur de la jeunesse».
Les réunions ordinaires ont lieu dans une «Kneipe» expressions propre aux étudiants, qu'il faut se garder de traduire par cabaret, mais qui désigne plutôt un hôtel ou un restaurant bien tenu, plus spécialement affecté à ces réunions. Mais cela ne les empêche pas d'être de vaillants catholiques, qui à chaque occasion protestent de leur amour pour l'Eglise. A l'occasion ils envoient leurs télégrammes à Rome ou même leurs députations, pour témoigner de leur soumission au Saint-Père. Partout où il y a une manifestation en faveur de l'Eglise catholique, ces étudiants catholiques y sont. (Congrès catholiques). En somme ces associations catholiques des étudiants sont une force pour les catholiques allemands, et nos grands députés catholi1 ues (surtout le Dr Porsch de Breslau) travaillent ardemment à l'extension de ces associations.
Il y aurait encore à remarquer que le nombre des étudiants catholiques allemands est en général proportionnellement bien inférieur à celui des Protestants et des juifs.
Sur 100 hommes de la population prussienne il y a 61,24% de protestants, - 34,15% de catholiques, - 1,29% de juifs.
Sur 100 étudiants allemands des Universités prussiennes 71,69% de protestants, - 18,76% de catholiques, 9,19% de juifs.
On le voit, les étudiants juifs sont relativement les plus nombreux et cela s'explique facilement, quand on considère leurs richesses. Mais on voit que le nombre des étudiants catholiques reste en dessous de celui des étudiants protestants de 19%. Les causes en sont:
1. Surtout dans les provinces de l'Est, et plus ou moins dans toutes les provinces, la population catholique est plus pauvre que la population protestante.
2. Bien que la Prusse ait proclamé la parité des confessions, l'expérience montre que les emplois élevés de l'administration et du gouvernement sont difficilement accessibles, pour ne pas dire inaccessibles aux bons catholiques. Ce n'est pas un stimulant pour les étudiants catholiques.
VIII. Enfin l'Union de Windthorst (Windthorstbund) réunit tous les jeunes catholiques de toutes les conditions pour leur donner une éducation politique. Elle date seulement d'il y a quelques années, et compte déjà des associations en 32 villes allemandes. Un organe demi-mensuel: «Organ des Windthorstbundes» est à son usage.
Je ne dis rien des congrégations purement religieuses, telles que Congrégations de la sainte Vierge, de sainte Cécile, etc. Chaque paroisse en a une ou plusieurs. Il y a en outre encore des associations, dont le caractère est plutôt récréatif, mais qui propagent les intérêts religieux quand l'occasion s'en présente, par exemple au moment des élections. Il y a encore des œuvres catholiques, qui comptent beaucoup de jeunes gens, mais ce ne sont pas des œuvres de jeunesse.
Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, octobre 1900; pp. 513-515; novembre 1900; pp. 543-549.
PETITS VICAIRES EN TETE
C'est en Belgique que se passent ces choses-là. Le Clergé est tout dévoué à l'action sociale, il sait que le salut du pays est à ce prix. Dans ces dernières années, il a couvert la Belgique d'associations agricoles, de mutualités, de syndicats et de coopératives.
Ce qu'on appelle là-bas la presse libérale, lisez la presse voltairienne, rend involontairement hommage au zèle déployé par les Catholiques et par le Clergé dans les œuvres sociales. Il est en effet notoire que dans ce domaine et plus particulièrement dans le mouvement mutualiste, les Catholiques tiennent la tête et de beaucoup.
C'est ce qui faisait dire récemment au journal de Gand. (Les Cléricaux, petits vicaires en tête, se démènent très fort…» et le pauvre journal, fort alarmé, ajoutait en s'adressant à ses amis: «Si vous ne voulez pas être submergés, garde à vous!».
Allons, jeunes Catholiques de France, et vous, petits Vicaires et petits Curés, que craignez-vous et pourquoi hésitez-vous? Le Pape a parlé, ses évêques lui ont fait écho, ils vous ont dit que le péril était urgent, qu'il fallait aller aux hommes, et spécialement aux hommes du travail pour les grouper en association, qu'attendez-vous donc? En avant!
Ne voyez-vous pas que l'association est un besoin de la nature, qui a été comprimé pendant un siècle et qui se réveille violemment! Les hommes du travail surtout ont besoin d'être unis et ils s'uniront. Ils ont trop souffert de l'isolement et de la faiblesse qui en est la suite. Mais comment s'uniront-ils? Il n'y a que deux forces qui puissent les unir, le socialisme et le catholicisme: le socialisme avec le lien de la violence, le catholicisme avec le lien de la charité.
Ne voyez-vous pas qu'ils vont en masse au socialisme? N'avez-vous pas observé la progression des suffrages socialistes à toutes les élections depuis vingt ans! Bientôt il sera trop tard. Si vous ne sortez pas en masse de l'hésitation traditionnelle, dans deux ans les socialistes auront trente représentants de plus au Parlement et, dans six ans, ils en seront les maîtres.
Il semble cependant que la victoire serait facile, si vous vouliez.
Aussi, dès que vous remuez seulement le doigt, les ennemis ont peur. Quand la démocratie chrétienne paraissait vouloir s'organiser, il y a cinq ans, la presse socialiste s'écriait: «Voilà le plus grand péril que notre parti ait couru».
Eh bien, après le Congrès de Bourges, où quelques centaines de prêtres ont pris la résolution d'aller au peuple en acceptant sincèrement l'organisation politique qu'il désire, en le groupant dans des associations utilitaires et en méritant l'affection et la reconnaissance des masses par une énergique revendication de la justice sociale et des réformes démocratiques, les sectaires ont tremblé de nouveau. Le protestant et franc-maçon Buisson, manifeste les craintes du parti dans le Siècle:
«Il se fait, dit-il, au sein du catholicisme un travail intérieur qui pourrait bien avoir des suites imprévues. Tout au moins, ce mouvement nous commande-t-il un redoublement de vigilance… Ce qui caractérise ce Congrès, dit-il, c'est la passion nouvelle des œuvres sociales… On dirait la prédication d'une croisade moderne…
«Pensez ce que vous voudrez de ce langage nouveau et même de cet «esprit nouveau», dit en terminant M. Buisson, mais tenez pour certain que nous allons avoir à compter désormais avec un Catholicisme tout autre, en apparence au moins, que celui qui s'est aliéné, à si bon droit, la confiance nationale…».
Ils ont donc peur, et en effet la victoire nous serait facile, la victoire du Christ et de l'Eglise par la justice et par la charité, par le bien du peuple! Mais nous sommes divisés!!! Et cela nous vaudra peut-être un retard de vingt ans et des catastrophes sociales!
En tout cas, ceux qui auront agi et combattu le bon combat, auront toujours sauvé leur âme et préparé la victoire de demain.
A l'œuvre donc, jeunes Catholiques, petits Vicaires et petits Curés. Vous êtes bien en train dans le Sud-Est. Vos œuvres de jeunesse et vos mutualités sont fécondes et prospères, votre Société populaire d'économie sociale a fait une brillante rentrée. Doublez et triplez votre action pendant cet hiver. C'est pour Dieu et c'est pour la chère France!
Je vous parlais tout à l'heure de l'activité des catholiques belges. En Allemagne aussi, on agit. L'épiscopat allemand tout entier vient de donner un bon coup de rame, par un mandement collectif, pour pousser en avant les Cercles ouvriers, qui enrôlent déjà là-bas une bonne partie des travailleurs catholiques. Et les Cercles ouvriers allemands ne sont pas, comme il arrive trop souvent chez nous, de simples réunions récréatives, ce sont des sociétés complètes, avec mutualités, assurances et syndicats; ce sont vraiment des groupes sociaux, et c'est le plus puissant antidote du socialisme.
La France catholique va-t-elle être vaincue sur ce terrain? Elle est encore la première sur plus d'une arène: elle est la première pour donner aux missions de l'argent et des apôtres, la première pour aider le Pape en participant au denier de Saint-Pierre, la première aussi pour donner au Christ et à Marie, en ce siècle, des sanctuaires comme ceux de Montmartre, de Lourdes et de Fourvière. Sera-t-elle la dernière pour l'action sociale chrétienne? C'est à craindre.
Il y a cependant des efforts généreux dans le Sud-Est, dans le Nord et dans quelques autres régions encore. A l'œuvre, donc! N'ayons pas moins de zèle pour servir le Christ et la Patrie, que les autres n'en ont, pour servir leurs intérêts et pour exploiter la France.
La Chronique du Sud-Est, N. 11, novembre 1900, pp. 655-656.