L'ACTION SOCIALE DU CLERGE
Son Eminence le cardinal Respighi, Vicaire de Sa Sainteté, nous donne une Semaine religieuse alerte et intéressante. Elle porte le sous-titre d'organe officiel du Vicariat. Elle est donc bien dans l'esprit du Saint-Père, dont le cardinal Respighi n'est que le vicaire général.
Toutes nos Semaines religieuses s'inspireraient utilement de celle-ci. Or, l'éminent cardinal a chargé un prêtre distingué, don Carlo Salotti, de donner dans la Semaine une série d'articles sur l'action sociale du clergé. Nous donnons la traduction du premier de ces articles, c'est un encouragement pour tous les prêtres qui ont déjà donné leur concours au mouvement social chrétien.
Avec les progrès rapides de la civilisation et la multiplication prodigieuse des machines, avec la disparition des petites propriétés et la centralisation des capitaux entre les mains de la bourgeoisie, on vit avec effroi augmenter les besoins et la misère du peuple dont la condition, en face du capital et de la richesse, apparut si déplorable, qu'elle mérita d'appeler l'attention des penseurs et de gagner les sympathies des divers ordres sociaux. Ainsi au milieu d'une époque florissante, dans laquelle les grands rêves de l'humanité paraissaient être réalisés, et où la liberté elle-même, conquise dans le champ politique, semblait devoir relever efficacement le sort du peuple dont la souveraineté avait été proclamée et les passions flattées de mille manières, on entendit un frémissement passer à travers les fibres de l'organisme social: c'étaient les cris de douleur, les accents désespérés de l'angoisse qui se levaient menaçants des champs et des ateliers, et étaient un avertissement pour les oppresseurs du peuple.
Les ennemis de la religion occupés à jouir des effets d'une liberté qui était toute à leur avantage, et satisfaits dans leur désir de dominer, n'écoutèrent pas ces cris. Quelquefois cependant, lorsque ceux-ci devenaient trop violents, ils essayèrent de les étouffer par des promesses qu'ils ne tinrent jamais, ou par les baïonnettes des soldats qui ne sont guère propres à calmer les tourments de la faim. Il leur manqua le courage et la bonne volonté nécessaires pour étudier et proposer cette législation sociale, qui, en pourvoyant aux besoins du peuple, chercherait en même temps à adoucir les violentes et terribles dissensions qui travaillaient les classes de la société.
En face de ce spectacle des gens sourds aux gémissements des malheureux, des hommes de cœur entendirent ces cris déchirants, et sous la conduite de Karl Marx, agitant la bannière du collectivisme, ils commencèrent à organiser les masses des prolétaires par une propagande infatigable et avec des sacrifices vraiment héroïques.
C'est ainsi que les socialistes, en développant énergiquement les connaissances du peuple et en suscitant largement l'esprit de solidarité et de fraternité ont montré, malgré tant d'erreurs et d'égarements funestes, qu'ils s'intéressaient à la condition des malheureux.
Au milieu de ce mouvement tumultueux, les catholiques interrogèrent l'Evangile pour voir si, dans ce code inépuisable, il n'y avait pas quelque passage qui éclaircît la solution de ce problème difficile: et en étudiant avec amour ces pages divines, ils remarquèrent que l'Evangile, qui avait eu déjà la puissance de régénérer l'humanité, en l'élevant aux pensées de la foi, possédait encore le secret pour résoudre la question sociale, et cela au nom de cette charité et de cette justice, qui, sanctifiées par le Christ, auraient dû guider la société dans les voies lumineuses de la civilisation. Des hommes de foi et d'enthousiasme, fortifiés par cette étude, se mirent à l'œuvre et s'efforcèrent de secourir les classes populaires.
Léon XIII, du haut du Vatican, avec la perspicacité de son génie, aperçut, dans toute sa réalité, ce moment critique: il entendit, lui aussi, les gémissements des malheureux et en fut profondément ému; il admira le courage de ces hardis champions qui, inspirés par l'Evangile, allaient aux foules, et sous cette impression, il dicta l'admirable Encyclique Rerum novarum, destinée à recueillir les forces vives des catholiques, afin que celles-ci, s'opposant aux systèmes du socialisme, protégeassent les vrais intérêts du peuple.
Cette figure du Pontife, qui prend tant à cœur la condition avilie du peuple, et qui sur sa propre bannière écrit de sa main la parole inoubliable du Christ: Misereor super turbam, apparut à ses contemporains comme un miracle d'amour et de sagesse: et les catholiques, animés par la parole vive et ardente de l'auguste vieillard, redoublèrent de courage et d'activité dans le développement de leur programme démocratique. De là, la magnanime audace, les études profondes, les préoccupations incessantes, l'abnégation généreuse de beaucoup de nos frères qui, en Belgique, en France, en Allemagne et en Autriche, développèrent avec tant de succès leur programme.
En Italie, ce mouvement chrétien populaire fut dirigé par des jeunes gens, âmes belles et généreuses qui, ouvertes à tout ce qu'il y a d'idéal dans la vie et émues à la vue des misères des prolétaires, serrèrent avec affection la main rugueuse de l'ouvrier, et se consacrèrent, avec une noble hardiesse, à la propogande de ces principes qui auraient dû faire naître le bien-être des classes ouvrières.
Malgré leur ardeur et leur enthousiasme, ces jeunes gens, impatients de cueillir les premiers lauriers dans le triomphe de la cause des prolétaires, excitèrent en Italie des craintes et des défiances chez quelques-uns qui croyaient apercevoir, dans cette nouvelle organisation, jeune et pleine d'espérance, une opposition à l'admirable et splendide organisation des forces catholiques répandue dans toutes les régions de l'Italie, par la belle Œuvre des Congrès. Ces défiances allaient toujours grandissant: la parole elle-même de démocratie chrétienne, au nom de laquelle les jeunes combattaient, parut à quelques-uns peu orthodoxe ou tout au moins équivoque et ne répondant pas à l'idéal de l'Eglise. Dans les colonnes de nos journaux, dans les brochures, dans les conférences et même dans les Congrès, les disputes et les controverses commencèrent; on se demandait si on devait oui ou non accepter la démocratie chrétienne, et, dans le premier cas, quelles devaient en être les limites, quel était son champ d'action, son programme, enfin de quelle manière et d'après quel critérium celui-ci aurait dû être appliqué.
Au moment où ces incertitudes étaient les plus grandes, la parole du Pape s'est fait entendre, et à l'aurore d'un siècle nouveau qui sera sans doute le siècle des questions sociales, le grand Pontife a salué, avec son sourire de père des ouvriers, la démocratie chrétienne, l'a bénie au nom auguste de ce Dieu qui, ayant compassion de la foule des déshérités, a pris lui-même sa défense, lui le vengeur suprême.
Après avoir bien déterminé le champ de cette action populaire, apaisé les dissensions intérieures et confié à l'Œuvre des Congrès la direction suprême de tout le mouvement religieux-social d'Italie, Léon XIII, avec sa parole pleine de jeunesse, toujours forte et toujours renaissante, nous a excités à l'action commune pour la fraternité des classes en faveur spécialement de la classe populaire.
Il a encouragé particulièrement le clergé par des paroles que tout ministre de Dieu devrait graver dans son cœur pour se les rappeler chaque matin avant de célébrer le saint Sacrifice, afin de retremper son âme au saint autel, pour les combats qu'il est appelé à soutenir au service de la cause sociale.
Léon XIII n'a fait que confirmer son ancien avertissement: Andate al popolo; allez au peuple. Et moi, dernier ministre de la Religion, placé sur le seuil du temple, je recueille cet avertissement, et, voyant sur la place les foules qui s'agitent menaçantes, je me tourne vers vous, ô frères du Sanctuaire, pour vous dire: Sortons du temple et allons sauver le peuple.
Le libéralisme italien, pendant de longues années de vaines promesses, a essayé de placer un abîme entre l'autel et le foyer, entre l'église et la chaumière, entre le prêtre et l'ouvrier; il a essayé de rendre odieuse au peuple la figure sympathique et bénie du prêtre, et en grande partie il y a réussi. Pendant longtemps, les églises restèrent abandonnées, et le son de la cloche laissait les foules indifférentes. Alors le prêtre pieux, seul devant le tabernacle du Dieu d'amour, évoquait, au milieu des larmes de l'abandon, ces temps où le peuple veillait à la défense du sanctuaire, où le tintement de la cloche était comme la voix de Dieu qui appelait tout le monde au temple, et là on priait et l'on examinait sous la sage direction du prêtre, les libertés de l'Eglise et celles de la patrie.
Heureusement aujourd'hui au milieu de cette recrudescence épouvantable de maux, de cette note douloureuse qui s'élève de la chaumière des opprimés, le peuple devenu sage à l'école du malheur, désillusionné et connaissant les fourberies du libéralisme, a reconnu l'ami d'enfance, le prêtre, et, après avoir traversé l'abîme qui le séparait de lui, il s'en approche avec confiance, pour entendre une parole d'espérance et recevoir de ce seul consolateur le remède qui sèche les larmes de l'angoisse. C'est maintenant l'heure propice pour aller à ce peuple, qui de nouveau regarde avec bienveillance la mission du prêtre: C'est le moment de se consacrer à l'action catholique populaire, en délivrant le peuple de la servitude d'un travail excessif, en défendant ses droits toutes les fois qu'ils sont violés par la grande puissance des capitalistes, en lui apprenant l'économie et l'épargne par la création de ces institutions de prévoyance économique qui, en le sauvant des griffes voraces de l'usure, l'aideront à s'assurer un bien-être effectif, et ainsi, ce relèvement de sa condition le rendra plus hardi pour affronter les luttes de la vie.
Si nous ne nous hâtons pas d'employer toute notre sollicitude à secourir le peuple, qui aujourd'hui met en nous toute son espérance, demain il se jettera complètement dans les bras du collectivisme qui, fier de ses nouveaux prosélytes, arrachera le reste de foi qui est encore en lui, et emploiera cette armée cruelle et puissante pour détruire avec l'édifice social les grandes conquêtes de l'Eglise et de la civilisation. Moi, je ne désespère pas. Une vision radieuse sourit à mon âme de jeune prêtre, c'est celle d'un avenir prochain, dans lequel, par l'action du clergé, le peuple d'Italie, rattaché à l'Eglise, deviendra le boulevard de ses droits intangibles; et d'autre part, l'Eglise, recueillant sous ses ailes maternelles le peuple d'Italie, le défendra contre le capitalisme oppresseur et le protégera contre toute injustice sociale. Le cœur réjoui par la ferme espérance de cette union indissoluble de l'Italie démocratique avec l'Eglise, j'accueille volontiers l'invitation de mes amis à développer amplement dans cette Semaine religieuse le programme de l'action sociale du clergé.
Etant né et ayant grandi au milieu du peuple, connaissant ses douleurs et ses besoins, je me consacre de grand cœur à cette œuvre sainte, content si ma pauvre parole peut être utile de quelque manière à la cause des prolétaires.
Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, mai 1901, pp. 247-252.
LES NEUTRES
J'aime le Dante avec réserve, il a été trop gibelin, trop engoué du césarisme, trop sévère pour les Papes et pour la France. Il a cependant des pages superbes, surtout celles sur les neutres.
Il appelle neutres les gens inertes, ceux qui ne sont ni bons ni mauvais, ni chair ni poisson; ceux qui n'agissent et ne luttent ni pour Dieu ni pour le diable.
Le Christ a dit dans l'Apocalypse que ceux qui ne sont ni' chauds ni froids lui répugnent et lui donnent des nausées.
Le Dante a eu une idée de génie. Il a trouvé que ces gens ne méritaient ni le ciel ni l'enfer. Ils ne sont ni assez crânes dans le mal, ni assez courageux dans le bien. Personne ne veut les reconnaître pour siens, ni Dieu ni Lucifer. Les démons les rejettent aussi bien que les anges. Il a fallu leur créer un séjour à part. Dante les place dans un parvis de l'enfer. Ils sont le rebut de toute la création.
Ils n'ont voulu se laisser aiguillonner sur la terre ni par les instances de l'Eglise ni par l'intérêt de la patrie. Ils subiront dans l'autre vie un aiguillon vengeur.
Dante les voit amoncelés en une foule confuse qui tourbillonne dans l'air obscur. Ils suivent un étendard qui ne peut se fixer nulle part. Ils sont nus et des essaims de guêpes et de frelons les piquent dans toutes les parties de leur corps.
Je voudrais vous citer les beaux vers du Dante, mais vous n'êtes peut-être pas familiarisés avec l'italien. J'emprunterai seulement quelques vers à la traduction de M. de Margerie:
«Ils terniraient le ciel et ses beautés suprêmes; Le ciel les chassa donc. Dieu des profonds enfers Les exclut; ils feraient quelque honneur aux pervers… Le monde les oublie; et le Dieu juste et doux
Ne daigne avoir pour eux ni pitié ni courroux. Pour nous, n'en parlons plus; regarde-les et passe. .
Aussitôt je compris, j'avais bien sous les eux. . Les neutres, les flottants, la secte des peureux Qui, sur la terre, à Dieu comme au démon déplurent».
Notre temps, comme celui de Dante, n'a pour ces pleutres que du mépris. Tel les a recensés dans la classe digérante, tel autre les a inscrits dans la confrérie des bras croisés.
Vous n'êtes pas de ces lâches égoïstes, vous qui composez la clientèle de la Chronique.
Le Pape, dans son Encyclique Graves de communi, vient d'essayer encore de les faire sortir de leur torpeur. Il fait appel au concours de «ceux auxquels la naissance, la fortune, le talent et l'éducation assurent dans la société une influence prépondérante». Je les prie de réfléchir «qu'ils ne sont pas libres de se préoccuper ou de se désintéresser à leur gré du sort des petits, mais qu'un rigoureux devoir les lie. - Nul, dans la société, ne vit pour lui seul; chacun doit contribuer au bien commun. L'étendue de ce devoir se mesure à la grandeur des biens reçus. Plus Dieu s'est montré libéral dans ses dons, plus il sera rigoureux dans le compte à lui rendre».
L'intérêt de cette classe est conforme à son devoir. - «Ce torrent de maux, dit le Pape, qui, s'il n'est détourné à temps, va se déchaîner sur toutes les classes de la société pour les accabler toutes, nous avertit que déserter la cause de la classe souffrante, c'est faire preuve d'imprévoyance pour soi-même et pour la patrie».
L'action sociale chrétienne est donc urgente. «Oui, ajoute le Pape, la situation la réclame à grands cris: il nous faut des cœurs entreprenants et des forces unies. Déjà s'étale à nos yeux une trop grande moisson de douleurs, et de funestes perturbations tiennent suspendues sur nos têtes leurs épouvantables menaces… ».
«Rien de grave comme tout l'accent de ce passage, observe un commentateur, le P. Vermeersch, professeur à Louvain; rien de solennel comme cet avertissement; rien de fondé comme ces craintes.
Il est manifeste que nos temps sont gros d'orages. Il est évident que ce n'est pas trop de tous nos courages et de toutes nos forces réunies pour conjurer la menace.
Il est certain que les instruments de salut sont dans les mains des classes supérieures, dans leurs vertus, dans leur généreux concours à l'œuvre de la rénovation chrétienne de la société.
Le bon emploi de la fortune est la meilleure défense de la propriété; le dévouement des maîtres et des patrons est leur meilleure apologie et la démonstration par le fait de l'utilité d'une hiérarchie sociale.
Leurs vices, leur seule inaction sont plus à craindre que les menées des socialistes: ils donnent à ceux-ci un semblant de raison.
Le Pape a conscience du danger. Des hommes! des ressources! s'écrie-t-il, ou vous périssez tous dans un cataclysme!
Puisse son appel être enfin entendu!
Mais si, faute de cœur et de courage, il nous faut sombrer dans la tempête, l'histoire, en racontant notre malheur, n'oubliera pas, qu'à une heure encore opportune, le pilote, le Pape, avait jeté le cri d'alarme…».
Dites cela, répétez cela partout, chers lecteurs de la Chronique. Qui sait? Jonas n'avait pas foi en son action, cependant il a crié et Ninive a été sauvée.
Criez et agissez. C'est dans les associations qu'est la force. Développez votre propagande pour la fondation des mutualités, des syndicats et des caisses rurales. Tous ces groupements, fondés dans un esprit catholique, seront une base pour toute notre action. Ils soutiendront la bonne presse, ils formeront des cadres pour la défense sociale et politique.
Le danger est grand et nous sommes peu nombreux. Soit! Les Macchabees avaient quelques centaines de soldats, ils battirent les généraux d'Antiochus, chassèrent les Syriens et relevèrent les autels du vrai Dieu.
Quelques héros valent une armée. Jeanne d'Arc n'avaient que quelques bataillons à Orléans. Ne vous semble-t-il pas que dans le camp des catholiques nous valons à peu près aujourd'hui ce que valaient la cour et l'armée de Charles VII? Que fait le Christ? Il nous renvoie Jeanne d'Arc. Il nous obsède de son souvenir. Le Pape veut la canoniser. Elle se dresse sur nos places publiques, elle inspire nos peintres et sculpteurs et remplit nos Expositions. Elle veut une fête publique. On peut dire qu'elle revit en esprit et que Dieu suscite à nouveau son action pour secouer notre torpeur.
Ah! c'est elle qui n'aimait pas les neutres! C'est elle qui les secouait et les cinglait à la cour de Charles VII. Qu'ils s'appelassent La Trémoille ou Regnault de Chartres, qu'ils fussent officiers ou princes, elle leur disait que leur inaction était une honte. Elle réussissait à les entraîner au combat.
Imitez donc Jeanne d'Arc, vous tous, associés de la jeunesse catholique, menez à l'action tous ceux qui se contentent de gémir. Soyez dévoués et pratiques, comme Jeanne d'Arc, allez de paroisse en paroisse et suscitez comme autant de bataillons de la bonne cause, les mutualités, les syndicats et les groupes agricoles qui bouteront dehors les ennemis d'aujourd'hui, les anarchistes d'en bas et les spéculateurs d'en haut.
La chronique du Sud-Est, N. 6, juin 1901, pp. 157-158.
NOS BŒRS
Nous admirons sans mesure et sans réserve cette vaillante petite nation de l'Afrique australe, qui tient tête depuis deux ans au colosse britannique. Mais avons-nous assez compris la philosophie de cette guerre? qu'est-ce donc que ce petit peuple? C'est simplement un groupe de paysans aux mœurs patriarcales.
Le mot Bœr, en hollandais et en flamand, veut dire paysan ou agriculteur. Les Allemands appellent aussi leurs paysans des Bauer. Les héros du Transvaal sont les fils des paysans hollandais qui sont allés coloniser cette vaste région au XVIIIe siècle, comme la belle et féconde race du Canada descend de nos vieux paysans normands et beaucerons.
Ah! comme la vie rurale est favorable à la conservation des races, à la vigueur des tempéraments! Le paysan respire un air plus pur que l'habitant des villes, il a une nourriture plus saine et plus frugale. Il sait maîtriser et monter le cheval, il manie le fusil à la chasse. C'est le chêne vigoureux, en regard de l'oranger délicat et frileux.
La guerre du Transvaal est une grande leçon de choses pour toutes les nations, au moment où les villes et l'industrie captivent toutes les populations, au moment où les campagnes sont partout abandonnées, la Providence nous montre ce que vaut le paysan. C'est l'agriculture qui conserve dans un peuple le meilleur de la race. C'est aux champs que le sang est le plus pur, les nerfs plus sains, les muscles plus forts et la volonté plus vigoureuse.
Donc, soignons, conservons et encourageons ce qui nous reste de paysans. Sauvons nos Bœrs français!
Les fermiers et les ouvriers de la Champagne ou de la Beauce, les vignerons de la Bourgogne, du Bordelais ou du Lyonnais, ce sont nos Bœrs à nous. Aidons-les, c'est le meilleur de notre race.
Nous avons fait déjà quelque chose pour eux par nos Caisses de crédit, nos Syndicats, nos Mutualités. La Belgique et l'Allemagne ont fait plus que nous.
Ah! comme la Belgique soigne ses paysans, ses Bœrs! Elle a dans la plupart de ses paroisses une association agricole, Bœrengilde, et ces associations locales sont reliées par une fédération nationale, le Bœrenbond.
C'est ainsi que l'Allemagne a ses Bauernvereine.
Voulez-vous apprécier la grande action de la Fédération agricole belge ou du Bœrenbond? Allez visiter le siège de la Fédération à Louvain.
Vous serez reçu là par un aimable prêtre flamand, M. l'abbé Mellaerts, en qui est pour ainsi dire incarné le Bœrenbond. Il se soustraira pour quelques instants à ses mille occupations et vous fera les honneurs de la maison.
Tenez, voici d'abord le bureau du Conseil d'administration, qui comprend deux députés, deux prêtres, trois propriétaires, un avocat, un professeur d'agriculture.
Voici ensuite les bureaux de huit sections diverses:
1re section: Comptoir d'achat et de vente. Achat en commun des matières agricoles;
2e section: Laiteries;
3e section: Caisse centrale de crédit;
4e section: Assurance contre l'incendie et les accidents du travail; 5e section: Assurance sur la vie;
6e section: Mutualités;
7e section: Renseignements juridiques;
8e section: Crédit foncier.
Voulez-vous entrer dans le détail? On vous dira que la Fédération compte déjà 172 Caisses Raiffeisen; que l'Assurance contre l'incendie a déjà en portefeuille 6.700 polices; que l'achat des engrais chimiques s'élève à quinze millions de kilos par an et celui des matières alimentaires pour le bétail à dix millions de kilos, etc., etc.
Le Bœrenbond a sa revue mensuelle, qui se publie en deux langues. Elle s'appelle le Bœr en flamand, le Paysan en français.
Il faut avoir vu cette admirable fourmilière du Bœrenbond à Louvain pour en comprendre toute l'activité.
Et nous que faisons-nous pour nos Bœrs, pour nos paysans de France? Nous avons le groupe infiniment précieux des Caisses rurales de M. Durand, et quelques unions syndicales. Ce n'est pas assez.
Sauvons nos Bœrs, c'est plus urgent que d'accorder une sympathie platonique à ceux du Transvaal.
Organisons fortement nos Unions de Caisses rurales et nos Unions de syndicats.
Jeunes apôtres du Sud-Est, il vous faut une double activité. Dans les centres, dans les villes, créez ou développez les unions de Caisses de crédit et les Unions de syndicats. Dans les campagnes, fondez les œuvres. Les curés vous aideront; dites-leurs que toutes les associations agricoles belges ont été fondées par les curés.
Au diocèse de Liège, Monseigneur l'évêque n'a eu qu'à formuler un désir et tous les curés du diocèse ont fondé leur Bœrengilde.
Nous n'avons pas cette unité d'action, il faut y suppléer par un redoublement d'initiative.
Faites une campagne de propagande. Suscitez des associations agricoles. Ces œuvres n'ont pas directement un but politique, mais au fond elles sont le meilleur moyen de ramener nos campagnes à la politique de l'ordre et du bon sens.
Sauvons donc nos Bœrs, nos paysans, c'est le meilleur du vieux sang de France. Ce sont leurs fils qui vont peupler les villes et les usines; si les agriculteurs se retrempent au sein de nos œuvres dans l'amour du Christ et de la Patrie, toute la nation en deviendra meilleure.
La Chronique du Sud-Est, N. 7, juillet 1901, pp. 197-198.
L'ACTION SOCIALE DU CLERGE
Un accord merveilleux entre les forces catholiques a succédé à l'Encyclique Graves de communi. Plus on avance et plus on comprend le besoin de cette action sociale qui, en secourant les masses du prolétariat par des moyens utiles et efficaces, réussira à adoucir ces ineffables angoisses qui se succèdent et troublent la société, et en même temps, harmonisera, dans un sentiment de concorde et de fraternité, toutes les classes sociales.
Le clergé ne doit pas rester en arrière dans cette œuvre salutaire: il est nécessaire qu'il secoue vigoureusement ces fortes énergies et ces nobles aspirations qui pendant longtemps restèrent endormies, et qu'il regagne le temps perdu par un travail intense et surtout par l'union dans l'action. Les événements politiques de la seconde moitié du XIXe siècle ne furent que trop puissants pour soustraire au prêtre cette auréole de sympathie qui, depuis plusieurs siècles, brillait sur son front pur et serein. La haine contre la religion et la Papauté enveloppa la figure du prêtre, et il fut en butte aux coups des puissants et aux injures de la place, et ainsi tombé dans l'avilissement le plus désolant, il dut restreindre sa mission dans le temple, laissant le champ libre à tous les ennemis de Dieu qui contentèrent leurs désirs à leur gré, insinuant aux masses ces principes subversifs qui devaient conduire la société sur le bord d'un abime épouvantable.
Alors les ennemis de Dieu travaillèrent sans repos, détruisant tout ce que la sagesse et la charité de nos pères avaient su édifier, pendant tant de siècles d'enthousiasmes civils et religieux; ils semèrent, en peu de temps, des ruines sans nombre et des carnages désolants. Et aujourd'hui, aveuglés par leur haine contre l'Eglise, ces mêmes ennemis ne veulent pas encore ouvrir les yeux, au contraire, ils reprennent de temps en temps leur attitude batailleuse, et, au nom de la liberté dont ils se font un triste monopole, ils assouvissent leur rancune contre l'Eglise. Les récentes tentatives dans les pays de race
latine, prouvent clairement l'activité et l'audace des sectes.
L'activité du socialisme est plus admirable encore. Ne voit-on pas ses progrès étonnants, ses ascensions vertigineuses, ses triomphes prodigieux? Dans la France, l'Allemagne et la Belgique, qui sont sans aucun doute les nations les plus civilisées et les plus avancées dans les progrès modernes, les conquêtes du socialisme sont si grandes et si rapides, qu'elles épouvantent celui qui essaye de lever le voile recouvrant l'avenir.
Et en Italie? Il semblait que le caractère, les conditions, lés tendances de notre peuple étaient bien opposées aux doctrines marxistes. Il paraissait que la terre, qui avait repoussé énergiquement les réformes luthériennes, devait rejeter aussi les théories séduisantes du collectivisme. Et au contraire, combien celui-ci ne compte-t-il pas de triomphes parmi nous? Moi qui suis jeune, je me souviens encore du temps où dans le Parlement italien il n'y avait qu'un seul socialiste; il semblait être un solitaire dont la voix, perdue dans le désert, n'aurait jamais trouvé un écho au delà des sables. Aujourd'hui c'est une masse puissante, un combattant audacieux qui affronte au Parlement les Ministères de toute couleur, et s'impose quelquefois victorieux. Et cette masse a ses bases d'action dans toutes les parties de l'Italie. Elle triomphe à Gênes avec une formidable grève; elle triomphe à Milan avec un plébiscite imposant; à Naples, elle gagne les sympathies générales; dans la province de Mantoue elle s'organise en forces épouvantables; dans tous les coins de l'Italie, elle recueille des prosélytes, rassemble des phalanges, prépare l'avenir.
Il est inutile de se faire illusion: ces effets surprenants sont le résultat de cette propagande incessante que les champions du socialisme font partout. Ils n'épargnent ni fatigues ni sacrifices: dans les ateliers, dans les boutiques et dans les campagnes éloignées, vous les trouvez partout, toujours hardis et pleins de vigueur dans le travail et la lutte.
Qui ne voit la nécessité d'opposer à l'organisation de nos adversaires cette action consciente et unie de toutes les forces catholiques? Le clergé, qui veille sur les destinées sociales, qui est le gardien très intègre du salut du peuple, pourra-t-il contempler immobile et impassible tant de ruines, que le libéralisme de hier et le socialisme d'aujourd'hui ont accumulées pour la ruine de l'Eglise et de la société? Le grand édifice social, arche lumineuse où se rassemblent les espérances de l'avenir, croule maintenant et chancelle sous les coups dévastateurs des hommes de l'école libérale, sous le pic démolisseur de Marx et de. Lasalle; c'est le devoir sacré du clergé de courir pour le soutenir vigoureusement.
Les laïques catholiques nous ont donné l'exemple éclatant d'une action sociale, car depuis plusieurs années ils se sont mis à l'œuvre avec tant de zèle, tant de constance et d'abnégation qu'ils méritent toutes nos louanges. Ces champions de la démocratie chrétienne ont donné une grande poussée au mouvement social: en Belgique ils ont vaincu et dompté l'ennemi, et avec une vigueur indomptée ils résistent aux audaces des socialistes: en Suisse ils ont si bien organisé les forces catholiques qu'ils ont conquis plusieurs sièges remarquables au Parlement, et souvent ils font triompher leur programme dans les referendum populaires: en Autriche, sous la conduite lumineuse du docteur Lueger, ils ont subjugué le sémitisme qui s'implantait à Vienne, et ils combattent courageusement à la tribune parlementaire: en France, avec Albert de Mun et Léon Harmel, ils préparent une nouvelle génération, qui restaurera un jour, sous le beau ciel de Clovis, les conditions de la société, et en Italie, dans les régions où les laïques sont plus actifs, comme dans la Lombardie et la Vénétie, on admire et l'on voit fleurir un ensemble étonnant d'institutions économiques et sociales dignes d'être prises comme modèle par les autres régions de la Péninsule.
Que l'exemple des laques catholiques soit un encouragement pour le clergé, qu'il retire de l'activité infatigable de ces illustres champions, un avertissement et un stimulant pour sa propagande sociale. L'expérience démontre que l'œuvre des laïques serait stérile, ou moins efficace, si elle n'était fortifiée par le souffle puissant de cette foi qui émane de l'âme sacerdotale. Le clergé est, et doit être la tête du mouvement social chrétien: et secondé admirablement par les phalanges laïques, il doit renouveler la société en la rétablissant complètement dans le cœur et dans les doctrines du Christ.
Le mouvement social chrétien actuel de la France ne serait pas si vigoureux, s'il lui avait manqué l'impulsion et l'appui d'un épiscopat digne des âges apostoliques, qui sous la direction des de Ségur, Dupanloup, et Freppel, jetait les bases de tout un renouvellement social. En Suisse, sans la revendication des libertés populaires, due à la noble initiative du Cardinal Mermillod, aujourd'hui peut-être on n'aurait pas un Decurtins, champion invincible du mouvement populaire chrétien. Et en Allemagne, sans l'œuvre salutaire de la grande âme apostolique de Ketteler, on n'admirerait pas maintenant cette efflorescence des œuvres sociales, qui sont le plus sûr présage de cette nouvelle transformation se préparant dans la patrie de Luther, en faveur du christianisme.
Le clergé en Italie est nombreux et puissant: qu'il se rassemble sous la bannière de cette saine démocratie, bénie naguère et sanctifiée par le Pape: et guidé par l'Evangile et au nom même du Christ, qu'il aille au peuple, qu'il l'organisme, lui porte secours, le défende, le sauve. Le Prêtre doit être l'homme de son temps: toujours appuyé sur l'Eglise, colonne et fondement de la vérité, il doit parler le langage de son temps et ne pas négliger l'étude de ces graves problèmes qui agitent sa nation. Le XXe siècle est sans doute le siècle des questions sociales: et le clergé fera une œuvre sainte si, secondant les desseins de celui qui fut appelé à bon droit le Pontife des ouvriers, il étudie avec amour les problèmes d'aujourd'hui afin d'être en état de pourvoir aux besoins toujours croissants du peuple et d'arriver bientôt à la parfaite harmonie des classes sociales.
Le règne du Cœur de Jésus dans les âmes et dans les sociétés, juillet 1901, pp. 321-325.
UNIONS PROFESSIONNELLES
Syndicats, caisses de crédit, secrétariats du peuple, tout cela c'est un acheminement, c'est un recommencement de l'union professionnelle, qui a fait la force des siècles chrétiens. Ce qu'il faut rétablir, ce qui est de droit naturel, c'est l'entente cordiale entre les travailleurs d'un même métier. C'est à cela que le Saint-Père nous conviait dans l'Encyclique Rerum novarum.
L'union - professionnelle suffira à tout, elle fera les opérations syndicales, elle organisera le crédit et les assurances. Les gens du métier s'entr'aideront autant qu'il est besoin et d'autant mieux qu'ils seront plus chrétiens dans leur vie privée et dans leur vie corporative.
C'est cela que cherchent à réaliser les paysans belges, les bœrs de la Belgique. Leurs gildes rurales sont des Unions professionnelles où l'on pourvoit à tout. C'est la corporation agricole qui se reconstitue et qui trouve son perfectionnement dans une organisation provinciale et nationale.
Et chez nous, à quand les unions provinciales fortement constituées, avec des bureaux vivants et agissants comme ceux de Louvain, qui sont comme le cœur d'où part toute la circulation de la sève corporative dans les mille organes de la vie rurale en Belgique?
A Rome, tout près du Pape, on conçoit les choses clairement. Ce sont les Unions professionnelles aussi qu'on veut rétablir. La grande Œuvre des Congrès s'en remet, pour l'action sociale, aux directions données par le groupe démocratique. Aussi ces jours derniers, le président du Comité régional de l'Œuvre, le comte Soderini, promulguait-il les vœux suivants de sa section démocratique:
«Il faut, écrivait-il aux comités diocésains, pourvoir à la constitution et au bon fonctionnement des Unions professionnelles.
Tout en maintenant et en développant de plus en plus les syndicats, les caisses rurales, les mutualités, les secrétariats du peuple et les œuvres similaires, il faut se préoccuper de l'organisation professionnelle. Il faut tenir d'abord des réunions préparatoires, puis susciter des conférences publiques où des propagandistes expérimentés exposeront l'objet et le but des Unions professionnelles.
Des projets de statuts sont tout préparés. On en peut demander au
Des projets de statuts sont tout préparés. On en peut demander au président du second groupe de l'Œuvre des Congrès, au compte Medolago-Allain, à Bergame.
Les Unions doivent avoir en vue tous les avantages moraux et matériels des travailleurs. Elles doivent se préoccuper du contrat de travail, de la fixation du salaire et des heures de travail, du repos des jours fériés, du travail de nuit, de celui des femmes et des enfants, en inculquant toujours et à chacun le souci de cette réciprocité des devoirs que le Souverain Pontife a souvent rappelée dans ses Encycliques…».
En Italie, ces Unions professionnelles seront franchement catholiques. La circulaire du Comité romain invite les organisateurs à demander aux évêques un délégué ecclésiastique pour aider au bon fonctionnement des Unions.
Chez nous, on ne pourra pas réaliser cela partout. Les Unions agricoles se sont bien trouvées du concours des prêtres. Dans les villes et dans les régions usinières, nous ne pourrons peut-être réaliser pour le moment que des syndicats jaunes, fort larges dans leur composition et fort incomplets dans leur action corporative.
Partout où nous le pouvons, formons des Unions professionnelles catholiques. C'est un grand exemple à donner pour préparer l'avenir. Montrons aux travailleurs toutes les ressources de l'esprit chrétien, tout ce qu'il peut produire de charité, de solidarité, de dévouement et d'harmonie.
On a dit que le peuple est «un enfant gâté qui croit d'instinct ceux qui le flattent plus que ceux qui peuvent le servir». Cela s'est réalisé trop souvent, mais l'emballement ne dure pas toujours. Le peuple a des retours de bon sens. Il se fatigue des blagueurs. Il a ses jours de réveil et de réaction. Servons-le sans nous lasser. Ce que que l'Eglise a conquis depuis dix-neuf siècles, elle le doit à tout ce qu'elle a semé de justice et de charité. Elle n'a pas besoin d'autres armes que celles-là.
L'erreur finit toujours par laisser voir son côté faible. C'est ce qui arrivera aussi pour l'illusion socialiste et pour la propagande anticléricale. Le sens populaire reviendra de son engouement et reconnaîtra son erreur.
Ce serait bientôt fait si nous étions plus actifs. C'est à vous, les jeunes, à marcher de l'avant. Bravo, jeunes gens de la Savoie, qui venez de vous organiser pour avancer de front avec ceux du Lyonnais et de tout le Sud-Est.
Ne l'oubliez pas, ce qui est l'idéal complet, le bien intégral, c'est l'Union professionnelle, où les gens du même métier, patrons et travailleurs, dans des groupes parallèles, pourvoient à tous les besoins de la corporation et suffisent à tout: opérations syndicales, assurances, mutualités et le reste.
Mais l'idéal est un terme que l'on n'atteint pas au premier effort. Il faut plus d'un coup de marteau pour polir une statue. Allez au plus pratique, suivant les besoins locaux et les dispositions des populations.
Comme le dit la circulaire romaine, il faut d'abord préparer les terrains, tenir de petites réunions, faire des conférences. Après cela, commencez l'œuvre que vous voudrez, mutualité scolaire ou mutualité ouvrière, caisse de crédit ou secrétariat, mais ne vous endormez pas sur vos lauriers; ne perdez pas de vue l'idéal à atteindre, l'Union professionnelle, où le travailleur trouvera tout le concours que réclame sa faiblesse. Semez amplement les principes de la charité et de la solidarité chrétienne, et l'Union professionnelle sortira peu à peu de ces germes féconds.
La Chronique du Sud-Est, N. 8-9, août-septembre 1901, pp. 229-230.
PLACE AUX JEUNES
ET A LA
DEMOCRATIE CHRETIENNE
Qui a dit cela? - C'est le Pape.
On tenait donc récemment à Tarente, la vieille cité du paladin Bohémond, une belle assemblée, quelque chose comme la réunion de Clermont, où le Pape Urbain entraînait toute la chevalerie l'Occident à la croisade.
A Tarente, il s'agissait d'exciter tous les catholiques d'Italie à se mettre au service des masses populaires. Le Pape Léon n'y était pas, mais il y envoyait ses messages et l'écho de sa parole y retentissait.
Le chef de cette chevalerie catholique d'Italie qui, depuis quelques années, dirige la croisade des œuvres, c'est un noble vénitien, le comte Paganuzzi.
Lui aussi, comme certains gentilshommes français, inclinait à mener la croisade en dehors de l'action populaire. Le dévouement de la classe supérieure lui paraissait suffisant. Mais le Pape Léon lui écrivit à la veille des réunions: « Aujourd'hui, comme par le passé, je loue et bénis les membres distingués du conseil de l'Œuvre des Congrès; mais je leur indique une orientation nouvelle: ils mettront à exécution mes deux Encycliques sociales. Et je leur impose une collaboration: ils feront place dans leurs rangs à ce groupe de jeunes hommes, milice énergique et vigoureuse, qui lutte pour la démocratie chrétienne».
Place aux jeunes et à la Démocratie chrétienne!
Le Pape Léon connaît tout ce qu'il y a de vie et d'ardeur dans cette phalange nouvelle.
Tout le congrès de Tarente a fait écho à la parole du Pontife. Le comte Paganuzzi est entré généreusement dans les vues du Pape: «Ce congrès, a-t-il dit, revêtira un triple caractère: il sera populaire, il sera patriotique, il sera pontifical.
Populaire, oui! Nous devons faire œuvre de démocratie chrétienne;
nous devons étudier et rechercher pratiquement tout ce qui importe au bien du peuple; nous devons chercher à bien connaître et à guérir les douleurs qui le tourmentent, - en sorte que toute notre action tourne au bénéfice du peuple. Notre programme est tout tracé: il comprend les unions professionnelles, les caisses rurales, les sociétés de secours mutuels, etc. En un mot, pour fermer les plaies du peuple, l'œuvre des congrès doit mettre en pratique les lois de la charité unies à celles de la justice».
Et monseigneur l'évêque de Bitonto, résumant les travaux du congrès, a pu dire aux applaudissements de toute l'assemblée. «Nous constatons un fait, qui répond aux désirs du Saint-Père, c'est que le congrès de Tarente est l'affirmation solennelle de la Démocratie chrétienne».
Oh! combien cette pieuse docilité aux directions pontificales fait contraste avec l'attitude de quelques bons abbés de la presse française, de quelques vénérables écrivains qui font campagne dans certains journaux et dans certaines Semaines religieuses! Ah! c'est que ces bons messieurs sont bien vieux! Ils ont cinquante ans de plus que Léon XIII.
Ne voilà-t-il pas qu'ils s'en vont en guerre contre les pieuses associations des séminaristes qui étudient les œuvres sociales! Mais quelles œuvres voulez-vous donc qu'ils étudient, mes bons messieurs? Il y a cinquante ans, on ne s'occupait que des conférences de Saint-Vincent-de-Paul; il y a trente ans, on y a ajouté l'œuvre des Cercles catholiques d'ouvriers, et depuis dix ans on commence à s'initier à cette action sociale et populaire que le Pape nous recommande tous les jours.
Mais ces séminaristes ont des petites feuilles périodiques où ils résument leurs travaux! Voilez-vous la face, chers lecteurs. C'est l'abomination de la désolation dans le sanctuaire. Weishaupt l'avait bien prédit: ces abbés sont des instruments de la franc-maçonnerie, du carbonarisme, de l'illuminisme1) et du diable en personne!!!
Ces bons vieux Cassandre ont fait un mauvais rêve et ils nous racontent leur cauchemar.
Ignorez-vous donc, mes bons messieurs, que tous les séminaires ont ces réunions d'œuvres, auxquelles prennent part les élèves les plus zélés, et que ces petits bulletins qui vous effraient circulent sous l'œil bienveillant des directeurs, sauf peut-être dans deux ou trois séminaires où vous avez encore trop de crédit?
On dit cependant que l'un de vous, dans sa jeunesse cléricale, était le plus fécond rédacteur d'un de ces bulletins et qu'il eût voulu lui garder un caractère mystérieux que n'ont pas les bulletins d'aujourd'hui.
Ah! ces chers séminaristes! ce n'est pas ainsi qu'on les traitait au congrès de Tarente. Ecoutez ce qu'en disait monseigneur l'évêque de Bitonto, le fondateur d'un de ces bulletins exécrés: «Aux séminaristes, disait-il, je conseille de s'unir, eux aussi, en fédération dans l'œuvre des congrès… J'exprime ma sympathie aux jeunes de la démocratie chrétienne et aux jeunes clercs: les uns et les autres, s'ils sont fidèles aux conseils que je leur donne, de garder toujours la mesure et d'observer toujours la discipline, justifieront le vers latin composé par Léon XIII:
Gratior ardescit juvenili in pectore virtus.
«La vertu a plus de charme et d'ardeur dans un cœur de jeune homme».
Ne vous laissez donc pas troubler, chers séminaristes, par les cauchemars de ces deux ou trois vieux abbés ou chanoines. Ils sont en retard de trois quarts de siècle et parfois ils radotent comme de bonnes mamans.
Vous avez le Pape avec vous et cela vous suffit. C'est à juste titre que le congrès de Tarente l'a acclamé comme le plus jeune des Papes. Place aux jeunes et à la Démocratie chrétienne!
Le Pape les aime bien ces jeunes, et eux aussi aiment bien le Pape. Dans l'adresse du congrès de Tarente au Saint-Père, on avait oublié de parler d'eux. M. Toniolo, le pieux docteur de la Démocratie, a réclamé en leur nom et l'un d'eux, M. Rocca d'Adria, s'est écrié: «L'adresse devrait affirmer au Saint-Père que les jeunes de la Démocratie chrétienne lui sont obéissants et dévoués jusqu'à la mort».
L'adresse fut complétée dans ce sens. Après avoir remercié le Saint-Père de ses bénédictions et de ses encouragements, elle ajoutait: «Grâces vous soient rendues également, très Sainte-Père, pour les paroles bienveillantes que vous avez adressées également à ces jeunes hommes qui combattent sous la bannière de la Démocratie chrétienne… Merci enfin pour vos énergiques directions, données avec l'autorité d'un capitaine qui conduit infailliblement ses troupes à la victoire».
Il me semble que ces encouragements de votre capitaine doivent vous aller au cœur, vaillante milice des jeunes gens du Sud-Est et jeunes abbés des séminaires. Il savait, votre Père bien-aimé, que vous étiez méprisés et outragés par quelques très vieux écrivains. Il en souffrait. - Il vous console, il vous bénit. Vous l'aimerez doublement, n'est-ce pas, et vous le servirez toujours plus vaillamment.
La Chronique du Sud-Est, N. 10, octobre 1901, pp. 269-271; repris dans La justice sociale du 9 novembre 1901, p. 2.
UN EFFORT NATIONAL
C'est vraiment un effort national que la parole du Pape a provoqué chez les catholiques d'Italie en faveur de l'action sociale populaire. Depuis le mois de février dernier, après la publication de l'Encyclique Graves de communi, on peut dire que c'est une fièvre d'action démocratique et populaire qui agite toute l'Italie. « Les associations de propagande, nettement démocratiques chrétiennes, disait la Cultura Sociale du 16 novembre, sont déjà au nombre de cent cinquante, presque toutes fondées depuis le mois de février, et elles s'accroissent dans la mesure de trois à cinq par semaine en moyenne».
L'ancienne Œuvre des Congrès et Comités a docilement accepté, sur les conseils du Pape, l'alliance avec les jeunes Comités d'action populaire. C'est un mariage de raison qui rajeunitl'action catholique.
Mais l'œuvre d'action populaire ou démocratique garde son autonomie, tout en prêtant son concours aux œuvres anciennes. Ainsi l'a voulu le Pape. Elle a son Comité central à Rome où Don Murri a su s'entourer dejeunes gens admirables de foi et de dévouement.
C'est vraiment un Comité de propagande centrale, qui inspire et dirige huit grands comités régionaux pour les provinces de Sicile, Italie inférieure, Abruzzes, Latium, Marches, Romagne, Toscane et Gênes, avec cent cinquante comités locaux déjà constitués. Voilà ce que la Chronique doit arriver à fonder à Paris ou à Lyon.
Le Comité de Rome a des conférenciers infatigables qui parcourent l'Italie; il a une revue bi-mensuelle, la Cultura Sociale, un journal populaire, le Domani d'Italia, qui est hebdomadaire avec un tirage de 15.000 et qui va bientôt devenir quotidien; il a aussi tout un ensemble de publications spéciales, brochures et tracts.
Le Comité de Rome, outre ses 150 comités locaux, qui vont se multipliant, est aussi en rapports et en communauté de sentiments avec 150 autres associations, cercles de jeunes gens, sociétés économiques, etc.
L'action épiscopale répond admirablement aux intentions du Pape. A Milan, c'est au palais archiépiscopal que se tiennent les réunions d'études sociales. Les séminaristes y assistent avec la jeunesse catholique de la ville. (Oh! sainte franc-maçonnerie!).
Son Em. le cardinal Ferrari, qui pourvoit avec un zèle si prévoyant à la formation apostolique de son clergé, vient d'établir dans son diocèse une fondation nouvelle, bien adaptée aux nécessités du temps présent. - Quatre ecclésiastiques, déchargés de toute autre fonction, ont reçu la mission spéciale de promouvoir les œuvres sociales dans le diocèse.
Le supérieur de ces missionnaires du peuple a autorité de vicairegénéral. Il est facile de se représenter quelle vive impulsion va être donnée à l'action populaire catholique dans toute la contrée.
La nouvelle création de Son Em. le cardinal Ferrari n'a point pour but de dispenser le clergé paroissial de l'apostolat social. Elle a été amenée au contraire par l'intensité qu'a prise cet apostolat dans un grand nombre de localités. Cette institution spéciale correspond à un effort d'ensemble que son Em. le Cardinal se propose de provoquer pour introduire les œuvres sociales dans toutes les paroisses de son diocèse.
On sait avec quelle vaillance l'Osservatore cattolico de Milan, l'Univers de l'Italie, concourt à tout ce mouvement populaire dans l'Italie du Nord.
Bergame rivalise avec Milan. Elle a aussi une admirable organisation catholique populaire, avec des œuvres sans nombre et un journal sans peur et sans reproche, l'Eco di Bergamo.
Florence, naguère si endormie, a ses comités et son vaillant journal populaire, La Bandiera del Popolo, qui tire à 7.000 exemplaires, et qui contient chaque semaine une riche et suggestive chronique du mouvement social catholique.
Bénévent avait tout récemment son congrès régional sacerdotal, présidé par le Cardinal-Archevêque. Toutes les œuvres sociales y étaient exposées: caisses rurales, coopératives de consommation, unions professionnelles, mutualités, etc. Le vénéré cardinal exhortait les prêtres à entrer en contact immédiat avec le peuple et à commencer par l'une ou l'autre de ces œuvres, suivant les opportunités locales.
A Savone, autre congrès sacerdotal, avec 170 prêtres des diocèses de Savone et de Noli: organisation d'un Bureau diocésain du travail, création d'un journal populaire Il Savoro, sous la direction d'un prêtre, étude des œuvres et résolutions pratiques.
Congrès régional à Viterbe, où Mgr l'Evêque avait appelé les propagandistes de Rome.
Assemblée régionale à Livourne.
Conférence de Don Murri au théâtre d'Imola et constitution du Comité régional.
Congrès des Marches à Fabriano, sous la présidence du Cardinal Archevêque d'Ancône. Les Marches ont, comme la Lombardie, un organe ardent d'action catholique et sociale, le journal La Patria.
La Sicile a ses comités et son mouvement d'œuvres aussi. A Girgenti (Agrigente), Don Sclofani, un prêtre ardent, propagateur de la démocratie chrétienne, vient d'être élu au Conseil communal à une grande majorité.
C'est donc bien un effort national, qui s'étend de Tarente à Savone et de Palerme à Venise.
Quel bel exemple de docilité au Pape! et quels fruits n'en peut-on pas attendre pour l'Italie!
L'action sociale réunira les catholiques et leur refera un tempérament social, qui préparera la solution du problème italien pour le temps où la Providence voudra intervenir.
En France aussi, il nous faudrait vraiment un effort national, ou plutôt il en faudrait deux, comme en Belgique, un effort social et un effort politique.
Il faut un effort social pour réaliser toutes les œuvres de justice et de charité chrétiennes que l'on comprend sous les noms génériques d'action populaire ou de démocratie chrétienne. Il faut aussi un effort politique pour conquérir la majorité au Parlement.
En Italie, les catholiques n'ont pas d'action politique à exercer, parce que le Pape ne les juge pas mûrs pour engager la lutte sur ce terrain difficile. Ils ont l'action sociale, et comme c'est là une pure application de l'Evangile, tout l'épiscopat et le clergé en prennent l'initiative.
En Belgique et en France, il y a l'action politique et l'action sociale. Dans ces deux pays, le clergé ne doit prendre qu'une part fort restreinte à l'action politique proprement dite; non pas que le prêtre soit moins apte à faire de la politique sensée que l'avocat, le médecin ou le vétérinaire, mais parce que l'opinion actuelle est opposée à cette action légitime du clergé. Les laïques catholiques y suffiront d'ailleurs. Ils y réussissent en Belgique et ils doivent y réussir en France s'ils veulent se mettre à l'œuvre avec ardeur.
Qu'ils s'organisent! il est plus que temps. Qu'ils s'allient avec les demi-catholiques, si nombreux en France, et qu'ils luttent comme des lions contre le parti hébraïsant et antinational!
Mais pour l'action sociale, le clergé ne saurait rester en arrière. Il a le premier rôle à jouer dans l'application pratique des principes évangéliques de justice et de charité, tout en s'aidant des bataillons laïques et surtout de la jeunesse.
Il faut qu'il marche sur les traces du clergé d'Italie et celui de Belgique; qu'il ait ses réunions, ses comités de propagande et d'action, ses chaires de justice sociale dans les séminaires, son action intense par la presse et par toutes les œuvres.
Tel est manifestement le devoir actuel. Puissons-nous le comprendre! Sinon, préparons-nous à enregistrer la fin de la France catholique.
La Chronique du Sud-Est, N. 11, novembre 1901, pp. 309-311.
DAVID ET GOLIATH
L'année dans laquelle nous entrons sera une année de grande bataille.
Nous sommes, nous, les petits, les faibles, la minorité; ceux que nous avons à combattre sont les forts, les puissants, la majorité. Dans cette situation, qui ne songerait à David et à Goliath?
David était faible, mais il ne perdit pas confiance, parce qu'il combattait pour Dieu.
Quel personnage sympathique est David! C'est un enfant, un adolescent aimable et gracieux, un page de Saül, quand il rencontre le géant.
Celui-ci était de naissance ignominieuse (spurius), il était tout bardé de fer. Sa cuirasse pesait cinq mille sicles ou cent livres. Le bois de sa lance était gros comme le cylindre des tisserands.
Une vallée les séparait et ce mécréant insultait l'armée d'Israël. Les Israëlites fuyaient, mais David alla l'écouter crânement, et il disait au retour: «N'y aura-t-il donc personne pour aller combattre ce Philistin?». On parla à Saül de cet adolescent à l'attitude vaillante. Saül l'appela. David lui dit: «Qu'on ne craigne donc pas tant! j'irai moi me battre contre cet infidèle. Le Dieu qui m'a tiré de la griffe des lions et des ours au désert, me délivrera bien de la main de ce Philistin». Saül lui répondit: «Va et que le Seigneur soit avec toi!». Il alla avec sa fronde et son bâton et il tua le Philistin.
David, c'était le Christ, le Pasteur aimable et doux.
Goliath représentait tous les ennemis du peuple de Dieu, les ennemis du Christ et les ennemis de l'Eglise. Ils sont impurs et grossiers tous ces Philistins, mais ils sont puissants et redoutables.
Le Christ est aujourd'hui comme il était hier. Il était hier à lutter contre Goliath et les Philistins, dans la personne de David qui le représentait; il était hier encore à lutter contre les Philistins au prétoire et au calvaire; il est aujourd'hui dans son Eglise à lutter contre les Philistins de notre temps, contre les sectes qui ont juré la destruction de l'Eglise.
Dans la grande lutte qui va s'engager cette année, il y aura des éléments très divers. Tous les adversaires que nous rencontrerons devant nous, ne seront pas des sectaires conscients et résolus. Nous ne voulons pas comme Don Quichotte voir des ennemis acharnés jusque dans les outres de vin et les moulins à vent. Nous nous heurterons à des candidats qui sont des utopistes de bonne foi et à d'autres qui n'ont qu'un grain d'ambition. Ces luttes particulières sont de simples épisodes; mais la grande bataille, celle qui se continue sans cesse, c'est la lutte entre le Christ et ses ennemis. Et, parmi ceux-ci, ceux qui ont une hostilité plus enracinée, plus indélébile, une hostilité de race, de tempérament, de tradition, ce sont les mêmes qu'au Calvaire, ce sont les juifs.
Dites-le bien, dites-le souvent aux électeurs. Tous les ennemis des institutions chrétiennes: Francs-Maçons, Socialistes, Radicaux, sont des instruments souvent inconscients mais non moins réels du parti israélite.
La preuve en est manifeste, elle saute aux yeux: toute la haute maçonnerie, toutes les personnalités les plus influentes du socialisme sont juives ou dépendantes des juifs. Pour la maçonnerie, c'est un fait public: le grand-maître, Nathan, est Juif; son prédécesseur, Lemmi, s'était fait circoncire; le Conseil central à Paris a une proportion énorme de juifs.
Ce n'est pas moins évident pour le socialisme. Ses docteurs Marx et Lassalle étaient juifs; ses chefs, en Allemagne surtout, Singer, Aron et Friedbender sont juifs. En France, les trois quarts des actions des journaux socialistes appartiennent aux juifs et presque toute la rédaction est entre leurs mains. De cette façon, ils éviteront que la presse socialiste s'attaque à leurs richesses, souvent usuraires, et ils tourneront toute l'ardeur des socialistes contre le catholicisme.
Le fait est indubitable: l'alliance radicale, maçonnique et socialiste, c'est le parti juif: et ce parti, dans l'ensemble n'aime ni le catholicisme ni la France, la grande nation catholique.
Nous ne prétendons pas que tous les juifs agissent en cela par passion religieuse. Nous savons bien que les millionnaires juifs sont souvent indifférents et demi-rationnalistes, mais il leur reste un mépris instinctif des chrétiens, et leur intérêt les pousse à pêcher en eau trouble dans les nations catholiques. Les naïfs croient que les grands juifs ne se prêteront pas au collectivisme, ils se trompent. Les banquiers juifs commenceront par mettre leur avoir en sûreté chez les nations qui ne seront pas troublées et chez celles qui auront nationalisé la terre, les industries, les moyens de transport, ils seront les arbitres du pouvoir et de la richesse, car les affaires gérées par l'État collectiviste n'iront pas longtemps, bien; et pour subsister, l'Etat leur empruntera et devra leur donner en gage tout ce qu'il aura accaparé, chemins de fer, mines, etc.
Il n'y a plus qu'un pas à faire pour qu'ils règnent sur toute l'Europe.
J'ai lu sur un mur de Paris, tracée par un homme du peuple, cette inscription: «A bas les Juifs!» un Israélite avait ajouté au-dessous: «Il est trop tard!». C'est presque vrai.
Ils détiennent la richesse, la presse est à leur service; il est presque trop tard de lutter. Ils auront des millions pour influencer les élections, outre le concours du pouvoir et des journaux.
Ils ont la taille, la cuirasse et la lance de Goliath, et nous n'avons que les cailloux de David. David a triomphé cependant, et nous nous pouvons triompher aussi, mais il faut prendre les mêmes moyens. Avec ses pierres, David avait sa confiance en Dieu et son courage intrépide. Il nous faut aussi la prière et l'action: la prière assidue, qui engendre la confiance, et l'action suivie persévérante, intelligente. David disait: «C'est pour le peuple de Dieu!». Disons, nous: «C'est pour le peuple de France, qui est cher au Christ!».
Prions et travaillons.
La Chronique du Sud-Est, N. 12, décembre 1901, pp. 351-352.
UN CAS DE CONSCIENCE
Ces bonnes réunions de nos prêtres qu'on appelle les Conférences, les Italiens les connaissent aussi. Chez eux on les appelle les réunions du cas de conscience (il caso morale), Elles ont lieu tous les mois, les évêques en donnent le programme; et comme le clergé d'Italie se tient aussi près du Saint-Siège par le cœur et par la docilité qu'il en est rapproché par la distance, on ne manque pas, dans le programme des cas de conscience, de suivre pas à pas les directions pontificales. Aussi voyons-nous, dans les programmes de ces derniers mois des questions relatives à l'action sociale, au développement de la démocratie chrétienne, aux œuvres de jeunesse, à la propagande des œuvres corporatives.
Le cas de conscience prend toujours la forme archaïque et originale des vieux traités de casuistique. On met en scène des personnages désignés par des noms imaginaires; on suppose parfois deux antagonistes très férus de leurs opinions.
Voici un exemple tiré du programme de janvier pour un diocèse du centre de l'Italie:
«l° Horatius, encore jeune prêtre, s'appuyant sur les Encycliques Rerum novarum et Graves de communi du Souverain-Pontife Léon XIII, défend de toutes ses forces la Démocratie chrétienne. Il donne son nom aux associations démocratiques, il en fonde dans sa paroisse. Virgilius, au contraire, un vieux curé, rejette et méprise la Démocratie comme une nouveauté pleine de périls (calamitosam). On demande sur quelles raisons s'appuie la Démocratie chrétienne et quelle est la vraie?
2° Est-il permis et expédient de fonder des associations sous le nom de Démocratie chrétienne et quelle est la vraie démocratie de ce nom?
3° Dans toutes ces querelles entre catholiques, qui a raison des partisans d'Horatius ou de ceux de Virgilius?».
Il est superbe, ce cas de conscience dans les circonstances présentes. Tous ces bons prêtres sont de bonne foi. Ils ont tous lu les Encycliques. Les Jeunes ont apporté à cette lecture un esprit neuf, ardent et libre. Les Vieux ont lu à travers quelques préjugés, à travers la fatigue, le découragement et quelque tendance au pessimisme que donne souvent l'âge mûr.
Nous ne voulons pas ici, bien entendu, blesser les vétérans du clergé. On peut être jeune ou vieux moralement à tout âge. Il est tel vicaire de 25 ans qui est bien vieux et tel curé de 60 ans qui est bien jeune. Léon XIII a 92 ans et il est toujours jeune.
Tous ces bons prêtres vont donc se réunir. Ils prieront ensemble, puis ils causeront courtoisement. On s'animera sans doute un peu, mais sans manquer à la charité. Les Jeunes apporteront les Encycliques et tous les commentaires que le Pape leur a donnés, par ses discours, ses lettres, ses télégrammes, notamment par la lettre au congrès de Tarente et par le discours de Noël.
Eh! sans doute, le Pape demande et veut toute cette action sociale, qu'il permet d'appeler la Démocratie chrétienne. Il demande et il veut ce nouveau catholicisme, ces nouveaux catholiques. Non pas qu'il y ait rien à changer à la doctrine catholique. Elle ne change pas, elle se développe, elle s'applique aux divers besoins des âmes et des sociétés. Non nova sed nove, disait saint Augustin: nous n'apportons pas des principes nouveaux, mais nous présentons les principes anciens dans une langue nouvelle et nous en tirons les déductions que réclame le temps présent.
Il s'agit bien moins du reste, dans l'action sociale catholique contemporaine, de nouveautés que de rénovation. Les beaux siècles chrétiens du Moyen-Age ont été témoins d'une action sociale chrétienne intense, il faut revenir aux principes sociaux de ce temps-là et les appliquer aux besoins nouveaux de nos populations, notamment en ce qui concerne la vie corporative, les mutualités et la législation sociale.
Certainement, il faut des associations de jeunes gens. Le maître, je veux dire le Pape, l'a dit cent fois. - «I1 faut, disait-il dans son allocution de Noël, que les jeunes gens viennent à nous et qu'ils s'empressent de mettre en commun l'énergique et ardente activité qui est le propre de leur âge». - Et ces jeunes gens, qui les aidera, qui les réunira, si ce n'est les pasteurs, les prêtres, jeunes de cœur, de foi et de zèle? «Comment les âmes seront-elles gagnées, dit Saint-Paul, si personne ne leur parle et ne les appelle?».
Horatius et ses amis auront donc une victoire facile aux réunions des cas de conscience; mais ils seront courtois, ils n'abuseront pas de la victoire et ils accorderont à tous les bons Virgilius une retraite honorable, en leur concédant qu'il faudra, dans l'action, apporter la pondération et le sens pratique que recommande aussi Léon XIII.
Il y a ordinairement, dans la solution des questions, un excès à éviter, un excès qui est dangereux et qui prête à la critique. Saint Thomas d'Aquin range ces solutions excessives sous la rubrique sed contrà. Les vieux d'aujourd'hui, les Cassandre, les pessimistes vivent du sed contra. «L'action peut avoir des inconvénients et des excès, donc tenons-nous tranquilles!».
Eh! sans doute, chers messieurs, en allant au feu, quand la maison paternelle brûle, on peut se mouiller, se brûler, ou même s'exposer à recevoir une poutre sur la tête, faut-il pour cela laisser tout brûler? Le développement du socialisme, de l'anarchisme et des préjugés contre l'Eglise, c'est la maison qui brûle. Allons au feu.
Venez à nous, chers jeunes gens. Apportez-nous l'énergique et ardente activité qui est le propre de votre âge.
Vous trouverez partout des Horatius qui vous aideront. Les Virgilius finiront par se rendre et ils vous béniront et vous loueront à leur tour. «Mettez votre activité en commun», dit le Pape. C'est-à-dire: réunissez-vous, groupez-vous. Multipliez vos groupes d'études et d'action, sous toutes les formes les plus vivantes et les plus agissantes. A l'œuvre! C'est un devoir, c'est un cas de conscience.
La Chronique du Sud-Est, N. 1, janvier 1902, pp. 2-3.