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CHRONIQUE (Janvier 1895)

I. LE REGNE DE JÉSUS-CHRIST

La médaille miraculeuse. - Cela paraît peu de chose, une médaille, un scapulaire, un chapelet, mais ces petites choses ont une influence con­sidérable.

Ce n'est pas grand chose non plus qu'un ruban à la boutonnière, et cependant on n'en rit pas. Ce ruban a une portée. Il dit a celui qui l'a re­çu: «La patrie vous estime et vous honore, mais aussi elle compte sur vous; servez-la avec vaillance, comme vous l'avez fait jusqu'ici. Faites honneur à la patrie qui vous a honoré de cette distinction».

Une médaille aussi parle à celui qui la porte et à la très sainte Vierge dont elle représente l'image.

Au premier, elle dit: «Respecte-moi; tu vois en moi le portrait de ta mère, imite sa modestie et sa pureté» .

A Marie, la médaille parle aussi. Elle lui dit: «Voilà un de vos clients. Il porte la marque de vos serviteurs. Veillez sur lui, secourez-le dans le danger, aidez-le en toute circonstance».

La très sainte Vierge entend cet appel et sa puissante protection cou­vre tous ceux qui portent l'un ou l'autre de ses insignes sacrés, la médail­le, le scapulaire, le chapelet. Aussi que de merveilles opérées par ces ob­jets qui paraissent de petites choses! que d'âmes soutenues et consolées, que de guérisons et de faveurs temporelles obtenues! que de conversions! que d'âmes sauvées! Et ces petites choses ont sur le monde une action qui échappe aux observateurs superficiels.

De même que la sainte Vierge avait donné le rosaire à saint Domini­que et le scapulaire à saint Simon Stock, elle est venue en 1830 visiter une pieuse Fille de la Charité et lui dire: «Il y a une médaille qui me plaît plus que les autres, c'est celle de mon Immaculée Conception, et j'aime à voir au revers le Sacré-Cœur de mon Fils et le mien».

Les Filles de la Charité firent connaître la médaille. Elle se répandit plus qu'aucune autre au monde. Les malades dans les hôpitaux, les sol­dats au champ de bataille la voulaient. Toute notre armée la prit en s'embarquant à Marseille pour la Crimée et ceux qui avaient une foi vi­ve en obtinrent des merveilles. On sait que le maréchal Bugeaud la por­tait en Algérie et l'ayant oubliée un jour, il retarda le combat pour l'en­voyer chercher au loin par un cavalier dans sa tente. Et quand il l'eut, il s'écria: «Elle m'a toujours porté bonheur. En avant maintenant! «Et il battit une fois de plus les Kabyles, dix fois plus nombreux que sa petite troupe.

Que de personnes pieuses l'ont passée au cou de leurs pères, de leurs maris, de leurs frères, qui ne croyaient plus, et ont obtenu des miracles de conversion!

Aucune conversion n'est plus célèbre que celle du juif Alphonse Ratis­bonne. C'était en 1842. Il avait consenti, sur les instances d'un ami, à porter la sainte médaille qu'il regardait comme un hochet. Mais un jour qu'il était entré en curieux à l'église Saint-André, il fut saisi soudaine­ment par une impression surnaturelle. Il se jeta à genoux et il vit l'appa­rition de Marie, la Vierge de la médaille. Il était gagné au Christ, il re­çut bientôt après le baptême.

C'est au 27 novembre 1830 que Marie était apparue à la soeur Cathe­rine Labouré. L'église vient de donner la dernière sanction à cette appa­rition en autorisant un office et une fête qui en perpétuent le souvenir.

C'est à la rue du Bac, 140, qu'eurent lieu les apparitions. Il fait bon à y prier. La soeur Labouré repose à la rue de Reuilly, à l'hospice d'En­ghien, où elle a passé quarante-six ans de sa vie.

La médaille porte au revers le Sacré-Cœur de Jésus. Ses merveilles sont l'œuvre commune du Cœur de Jésus et du Cœur de Marie. Tous nos lecteurs portent la sainte médaille, ils liront avec plaisir la notice qu'en donne l'éditeur Paillart à Abbeville.

L'union des églises. - Dans toute société humaine, au jour du pé­ril, en face d'un ennemi puissant et redoutable, on oublie les dissenti­ments partiels, anciens ou récents, et l'on s'unit pour la défense des inté­rêts communs. Se désunir devant l'ennemi, c'est plus qu'une faute de tactique, c'est une trahison.

L'Eglise de Jésus-Christ a subi dans le cours des siècles des déchire­ments cruels. Il subsiste deux grands partis dissidents, le schisme d'Orient et le protestantisme d'Occident.

Dans la grande lutte actuelle contre l'athéisme et l'incrédulité, en face de l'armée puissante de tous les agents conscients ou dupes du satanis­me, n'est-il pas juste que tous les vrais amis du Christ oublient leurs dis­sentiments et s'unissent? Oui, c'est bien naturel, mais il fallait pour pro­voquer cette union une parole puissante, une voix écoutée. La parole est venue, et la voix continue à se faire entendre. Les chrétiens dissidents de l'Orient et de l'Occident sont émus et impressionnés. La parole du Pape leur est sympathique. L'idée de l'union gagne chaque jour du terrain, et il est vraisemblable que l'union se fera.

Nous avons eu les réunions des patriarches orientaux et la Constitu­tion pontificale sur les églises d'Orient. Nous aurons bientôt l'Encycli­que aux Américains et quelque autre appel aux Anglicans. C'est la cha­rité du Cœur de Jésus qui inspire Léon XIII.

Nous avons déjà parlé des églises d'Orient dans cette revue. Il y a là environ quatre-vingt millions de chrétiens séparés de l'Eglise romaine. Le schisme le plus important est celui des Grecs. Il date du IXe siècle. Il est dû au patriarche Photius. La Russie s'y est ralliée. A elle seule, la Russie a soixante millions de schismatiques. C'est là le groupe principal des dissidents. Il y a chez les Russes lettrés un mouvement vers l'union. Mais en Russie tout dépend de l'empereur. Quand l'empereur voudra, il raménera d'un mot soixante millions de chrétiens à l'unité, et même probablement tout l'Orient le suivrait. Ce serait la fin des schismes d'Orient.

Les autres schismes, qui groupent les Arméniens, les Syriens et les Coptes sont plus anciens. Ils datent du Ve siècle. C'est l'œuvre du pa­triarche Nestorius et du moine Eutychès.

Le schisme de Nestorius règne en Chaldée et en Perse. Celui d'Euty­chès, en Syrie, en Arménie, en Egypte, en Abyssinie.

Plusieurs essais de réunion ont eu lieu, notamment au Concile de Flo­rence au XVe siècle. Certains diocèses, certaines paroisses ont accepté l'union avec Rome, d'autres l'ont refusée. De là un mélange de rites orientaux unis à Rome et de rites non unis. Il y a des Grecs unis et des Grecs séparés, des Arméniens unis et des Arméniens séparés, etc.

Les rites unis et les rites séparés ont des patriarches différents. Le rite Grec séparé a même quatre patriarches à lui seul: un patriarche suprême à Constantinople et trois autres à Alexandrie, à Antioche et à Jérusalem.

Les rites unis ont six patriarches en Orient, celui des Grecs, celui des Arméniens, celui des Syriens, celui des Maronites et celui des Chal­déens.

Ce sont ces six patriarches unis que le Saint-Père a voulu voir et en­tendre, pour convenir avec eux des mesures que l'on prendrait pour ra­mener tout l'Orient.

En fait, deux seulement se sont trouvés aux réunions de Rome, celui des Grecs et celui des Syriens. Celui des Maronites est trop âgé, il s'est fait représenter par un délégué. Celui des Arméniens a été empêché par des motifs politiques, il a envoyé un rapport contenant l'expression de ses voeux. Le sixième siège patriarcal, celui des Chaldéens, est vacant en ce moment.

Il ne sortira pas de ces conférences une union immédiate, mais il en résultera sûrement un ébranlement profond dans tout l'Orient.

Le Saint-Siège va aider à la création en Orient de séminaires natio­naux. On formera là des prêtres orientaux lettrés et capables d'acquérir une grande influence.

La propagation de la foi portera vers l'Orient une partie de ses res­sources pour aider les prêtres schismatiques qui veulent revenir à l'union, en leur fournissant des églises et des écoles.

Les églises d'Orient auront désormais à Rome des délégués résidents. Ce sera un lien qui entretiendra l'harmonie entre toutes les églises. Léon XIII a été l'instrument providentiel pour préparer les voies à l'union. Prions le Sacré-Cœur de Jésus de bénir et de féconder ses ef­forts.

Un signe des temps. - Les pessimistes ne voient partout que la rui­ne de tout bien et l'abomination de la désolation dans les nations chré­tiennes. Il y a cependant çà et là quelques rayons d'arc-en-ciel.

Voici, par exemple, une statistique de l'Ordre bénédictin, qui nous tombe sous la main.

Il y a quinze ans, l'Ordre bénédictin semblait agoniser. Il comptait bien encore 2.700 membres, éparpillés dans le monde entier et groupés en une douzaine de branches dont la plupart manquaient absolument de vitalité. L'Ordre vivait dans ses vieux monastères, semblables à ces édi­fices séculaires, dont on respecte la vénérable antiquité.

Qui eût pensé que cet Ordre allait se rajeunir? Cependant, voici qu'en douze ans, de 1880 a 1892, le nombre des fils de saint Benoît a presque doublé. Ils ne sont plus 2.700, mais 4.300.

Il y a bien encore des branches sans sève et sans vie. Au Brésil, par exemple, il y a dix moines pour sept abbayes. L'Italie n'a qu'un ou deux moines dans la plupart de ses abbayes. La persécution a passé par là.

Mais allez dans les pays de liberté. La Congregation anglaise a quatre monastères de chacun quatre-vingts religieux. En Suisse, six abbayes comptent ensemble quatre cents moines. En Amérique, deux branches distinctes comptent ensemble plus de sept cents religieux. Quelle sève puissante, il y a dans ces branches nouvelles!

Saint Benoît a été, par ses moines, le plus grand convertisseur de peu­ples. Il revit, il relève ses cloîtres et reprend sa mission. C'est un signe des temps, c'est un gage d'espérance.

Satan ou Lucifer. - Voilà une grosse question… chez les francs­maçons. Est-ce Satan qu'il faut dire ou Lucifer? Les pontifes de la franc­maçonnerie, très peu infaillibles, ne sont pas d'accord sur ce point.

C'est Lucifer que nous adorons, disait Albert Pike, l'ancien grand maître de la maçonnerie universelle; dans son Encyclique, pardon, dans sa voûte d'instructions, adressée aux maçons des hauts grades, à la date du 14 Juillet 1889.

«Nous condamnons le satanisme», disait-il avec sa prétendue autori­té doctrinale. L'histoire de l'ange déchu, disait-il, est une imposture de prêtres. Nous ne voulons pas, ajoutait-il, offrir comme les païens d'au­trefois des sacrifices à un prétendu génie du mal pour l'apaiser. Lucifer n'est pas un ange déchu, il n'est pas le génie du mal. Il est un Dieu égal à Jéhovah. Il est le Dieu bon et Jéhovah est un Dieu tyrannique et cruel.

Ce n'est pas un culte de goétie, un culte expiatoire envers les mauvais génies que nous pratiquons. C'est un culte de théurgie, un culte d'hon­neur au dieu bon qui est Lucifer…

Tel est le résumé d'une instruction d'Albert Pike, tombée récemment entre les mains d'un père jésuite de Rome, le P. Franco, et publiée par lui.

Pike pouvait être un illusionné, un vieux sectaire, un manichéen mo­derne.

Lemmi, lui, ne s'élève pas si haut. Il trouve, lui, que Satan ou Lucifer c'est la même chose, pourvu qu'on haïsse le Christ.

Cet homme rappelle les possédés légendaires, qui avaient vendu leur âme au diable.

II. FRANCE

La multiplication des pains. - Quelle scène touchante que la messe des pauvres à Montmartre!

Deux fois déjà nous avons eu le bonheur d'y assister. Tous les diman­ches à huit heures on peut jouir à Montmartre de ce spectacle ravissant. Ils sont toujours là de 1.500 à 2.000 pauvres, des hommes, assistant à la messe et recevant en récompense chacun un demi-kilo de pain.

Le 4 novembre, c'était plus solennel que de coutume. Ils étaient bien 3.000, comme les disciples du Sauveur auprès du lac de Tibériade. On les avait préparés cette fois là par quelques instructions dans la semaine. Beaucoup s'étaient confessés. Cinq cents avaient passé la nuit dans l'adoration du Saint-Sacrement. Quinze cents firent la sainte commu­nion.

Le cardinal Richard avait voulu présider cette réunion des plus déshé­rités de ses enfants. Un religieux de Saint-François leur adressa la paro­le. Il y avait là toutes les épaves de la civilisation: des ouvriers sans tra­vail, des vieillards délaissés par leur famille et toutes les catégories de dé­classés, des brévetés, des bacheliers, des licenciés, victimes de la mauvai­se fortune ou de la mauvaise conduite, vaincus dans les combats de la vie et bien près du désespoir suprême.

Le Sacré-Cœur les réunit et saint Antoine de Padoue leur donne du pain.

Notre île de Madagascar. - C'est à ses missionnaires que la France doit ce qu'elle a d'amis dans cette île. On y compte 25.000 catholiques. La foi y a été implantée dès le XVIIe siècle par le zèle et les sacrifices de nos missionnaires. C'étaient alors les Lazaristes. Le climat les épuisait rapidement. Ils étaient remplacés par d'autres, qui étaient heureux de donner leur vie pour la propagation de l'Evangile. L'un d'eux se trouva seul un jour. Il se mourait. Après s'être communié, il confia la garde du ciboire à ses fidèles, pensant que d'autres Pères viendraient bientôt. Ils ne vinrent qu'après trois ans et trouvèrent les hosties intactes dans le ci­boire au-dessus du tombeau de leur confrère.

Aujourd'hui, le vicariat apostolique de Madagascar est desservi par quarante-huit pères jésuites et vingt frères. Ils devront se retirer provi­soirement. Quelle belle moisson il y aura ensuite, si notre gouvernement comprend l'intérêt qu'il aura à protéger les missionnaires! Madagascar a quatre millions d'âmes à gagner à Jésus-Christ.

Le Sacré-Cœur et Notre-Dame de Pellevoisin. - C'est encore un sanctuaire du Sacré-Cœur que celui de Pellevoisin, dans le Berry. C'est là que la sainte Vierge a révélé le scapulaire du Sacré-Cœur en 1876. La confrérie de Pellevoisin compte aujourd'hui 300.000 associés. Nous in­sérons aujourd'hui dans la Revue des notices sur le Bulletin de l'Archi­confrérie.

Tous nos lecteurs voudront porter ce scapulaire, qui est enrichi d'in­dulgences. On peut le demander, avec la notice, à M. le curé de Pelle­voisin (Indre),

III. AUTRES PAYS

Les beaux miracles de Trèves. - Mgr Korum, évêque de Trèves, vient de publier le récit authentique des miracles opérés pendant l'osten­sion de la sainte Robe. Il décrit onze guérisons miraculeuses absolument reconnues telles par une commission de médecins et de savants, et vingt­sept autres guérisons qui portent aussi tous les caractères de l'interven­tion surnaturelle, mais pour lesquelles cependant la commission déclare ne pas vouloir exclure la possibilité d'une cause naturelle.

Nos pauvres incroyants de ce XIXe siècle sont tout ahuris de cette abondance de miracles qui se manifeste partout. Dieu veut les éclairer et les convertir, s'ils ne résistent pas à sa grâce.

Le japon. - Le japon est à l'ordre du jour. Il entre dans le mouve­ment des nations civilisées. Il a ses chemins de fer et ses télégraphes, sa constitution et son parlement. Il sait manier les armes nouvelles et faire manœuvrer les cuirassés. Il a ses usines qui filent le coton et la laine. Il s'est même donné le luxe d'une question sociale, ce qui est très moderne. Il a de puissants syndicats de patrons. Ses ouvriers se plaignent comme les nôtres des longues journées de travail, du travail de nuit, du travail écra­sant des enfants et des femmes et de la modicité des salaires, qui s'élè­vent, paraît-il, à 50 centimes en moyenne pour les hommes et à 25 centi­mes pour les femmes.

Il faudrait là aussi une intervention puissante de la justice sociale et de la charité du Christ.

Le japon a mieux que des usines, il a des missions florissantes. Il compte 30.000 catholiques. Il a soixante prêtres missionnaires et quel­ques prêtres indigènes.

Malheureusement les missions schismatiques russes et les missions pro­testantes allemandes y sont très actives. Elles sont plus encouragées que les nôtres par leurs gouvernements. Quand donc le gouvernement de la Fran­ce comprendra-t-il qu'il a tout intérêt à favoriser les missionnaires et les re­ligieux, qui font aimer la France en propageant l'Evangile!

CHRONIQUE (Février 1895)

I. LE REGNE DE JÉSUS-CHRIST

Léon XIII et le règne social du Christ. - Ce que cette humble Re­vue répète en chacune des visites qu'elle fait à ses aimables lecteurs, c'est qu'il faut que nos sociétés, nations, corporations, familles, s'inclinent devant Dieu comme nous-mêmes. Dieu n'a pas seulement créé nos vies individuelles. Il a semé aussi les familles et les nations et il a dit à tous et à toutes: vous adorerez et vous aimerez Celui qui vous a donné la vie et qui vous aime.

Eh bien! ce refrain de notre hymne mensuel au Créateur, nous le trouvons aussi sur les lèvres de Léon XIII, dans les effusions de ses ré­ceptions de Noël.

Comme les prophètes de l'Ancienne Loi, il fait appel au bon sens des nations: Et nunc, reges, intelligite; erudimini, qui judicatis terram. - Allons, peuples et princes, comprenez enfin ce que votre Créateur attend de vous. Vous avez essayé de forger sans lui une civilisation nouvelle. Re­connaissez maintenant votre erreur. Vous courez à votre ruine. Arrêtez­vous et revenez en arrière, sinon vos sociétés impies vont s'effondrer dans la corruption et l'anarchie. Le danger presse, que tous les hommes de bonne volonté se mettent à l'œuvre! Il faut faire pénétrer la foi dans la vie publique comme dans la vie privée. Il faut faire vénérer le nom de Dieu dans les assemblées, dans les associations, dans les familles. C'est un devoir pour les gouvernements de favoriser les croyances religieuses dans les armées et les populations. C'est un devoir de favoriser l'éduca­tion chrétienne.

En deux mots, il faut que Dieu règne! Et le Sauveur Jésus nous en convaincra facilement, en nous montrant son Cœur et en nous disant: «Apprenez de moi que mon règne est doux et que mon joug est suave». Oui, Seigneur, au commencement de cette année, nous prenons à nou­veau la résolution de travailler de toutes nos forces à votre règne sur les âmes et sur les sociétés.

Le prestige de la papauté. - Léon XIII en impose à tous. Sa vie se­ra appelée une belle vie et son pontificat un grand pontificat. Le beau n'est-il pas la splendeur du vrai? Non seulement Léon XIII enseigne la vérité, mais il sait la montrer dans tout son éclat, dans toute sa splen­deur, dans toute sa beauté. Présentée par lui, elle séduit, elle gagne les plus belles intelligences.

Léon XIII et son enseignement nous apparaissent tout rayonnants de la splendeur du vrai et du bien. On a pu remplir un volume des témoi­gnages d'admiration envers Léon XIII exprimés par des hommes de tous les partis. Dans ces derniers temps encore, deux de nos meilleurs écrivains ont magnifiquement parlé de Léon XIII. Nos lecteurs nom­ment avant moi M. Brunetière et M. de Vogüé.

Les plus belles intelligences de notre époque se rapprochent de la reli­gion. M. Brunetière, Paul Bourget, Jules Lemaître et bien d'autres viennent à nous. M. Ollé-Laprune et Anatole France ont un langage tout chrétien.

M. Brunetière a su dire courageusement dans la Revue des deux Mondes tout le bien qu'il a pensé de Léon XIII. Voici comment il résume l'ac­tion de ce grand pontificat:

«Léon XIII, dit-il, en proclamant l'indépendance de l'Eglise à l'égard des formes de gouvernement, en s'occupant des questions ou­vrières avec une sollicitude particulièrement active et en travaillant à préparer dans un lointain avenir la réconciliation des diverses commu­nions chrétiennes a fait trois grandes choses».

«Résolument il a lancé la barque de Pierre sur la mer orageuse du siè­cle, et ni l'impétuosité des vents, ni le tumulte des flots, ni la clameur des passagers effrayés de sa tranquille audace, ne l'ont un seul jour détourné de son but».

C'est vrai et ce n'est pas encore là tout Léon XIII. Il a renouvelé les études théologiques et philosophiques, il a donné le coup de grâce à l'esclavagisme. Il a porté partout son action rénovatrice.

M. de Vogüé, dans un beau livre sur le Vatican, publié par M. Firmin Didot, élève son regard de Léon XIII lui-même à l'ensemble de la papauté et il envisage le passé, le présent et l'avenir de cette grande institution.

Il prête ses pensés à un historien fictif méditant à la chapelle Sixtine sur les destins de la papauté. Il se poserait les trois questions suivantes:

1° La papauté a-t-elle exercé une grande influence sur le développe­ment de notre civilisation? - Oui, dirait-il; malgré les faiblesses et les fautes auxquelles toute chair est sujette, la papauté a mis sa puissance au service des idées généreuses et justes; il faut lui rapporter une très large part de la supériorité morale qui distingue notre civilisation de la civili­sation antique.

2° La papauté continue-t-elle ce rôle dans le présent? Et avec quel succès? - En dépit d'hostilités bruyantes, de scissions opérées dans le troupeau et de l'indifférence réelle ou apparente des masses en certains pays, le rôle de la papauté n'est pas amoindri. Elle recommence sa tâche dans les pays nouveaux (comme en Amérique) avec une énergie et un succès qui nous reportent à ses plus mémorables époques. Elle participe en Europe aux plus grands et aux plus généreux mouvements d'idées.

3° L'avenir apparaît-il favorable à la continuation de ce rôle? - Pourquoi non, puisque les courants de la société contemporaine vont dans le sens de la vraie vocation des papes… Nos nations vieillies ont be­soin des directions de l'Eglise. Elles constatent chaque jour la tromperie de leurs prévisions, le désarroi de la raison livrée à ses seules forces, l'égoïsme et la sottise des prétendus entrepreneurs du bonheur public et leur impuissance à remédier à la misère du grand nombre.

Oui les nations ont besoin de la direction de l'Eglise et c'est la papauté qui les sauvera.

La banqueroute du laïcisme. - C'est M. Brunetière qui a lancé ce mot de «banqueroute de la science séparée». C'est un Tolle dans tout le clan des fanatiques du libéralisme et du laïcisme. A leurs yeux, M. Bru­netière est un traître, il a été séduit par le Pape, il pactise avec le clérica­lisme.

M. Brunetière a tout simplement dit en bons termes ce que pensent aujourd'hui tous les hommes sages et de bonne foi. Mais laissons-le par­ler:

«Les savants, de Condorcet à Renan, ont fait des promesses qu'ils n'ont pas tenues. Les sciences physiques n'ont pas supprimé le mystère, les sciences philologiques n'ont pas réussi à faire de la Bible un livre comme un autre, les sciences historiques n'ont pas réussi à formuler «la loi de l'histoire».

«On conçoit que ces faillites aient ébranlé le crédit de la science… Pour le moment et pour longtemps encore, il semble que la raison soit impuissante à se délivrer seulement de ses doutes, bien loin de pouvoir faire elle-même son salut; et s'il est vrai que depuis cent ans la science ait prétendu remplacer la religion, la science pour le moment et pour long­temps encore a perdu la partie. Incapable de nous fournir un commence­ment de réponse aux seules questions qui nous intéressent, ni la science en général, ni les sciences particulières - physiques ou naturelles, philo­logiques ou historiques - ne peuvent plus revendiquer, comme elles l'ont fait depuis cent ans, le gouvernement de la vie présente…».

M. Brunetière conclut à l'alliance nécessaire de tous les hommes de bonne volonté avec l'Eglise, dût-il y avoir pour eux un sacrifice passager à faire sur quelque thèse spéculative d'exégèse ou de géologie.

Il a raison, le sacrifice sera vraiment passager, car la vérité ne peut pas être contraire à elle-même. La raison et la foi viennent de Dieu. Si la science croit tenir quelque vérité opposée à la révélation, qu'elle attende. La science plus éclairée ou la révélation mieux interprétée rétablira bien­tôt l'accord, comme cela s'est fait cent fois.

Cette banqueroute de la science séparé, de la philosophie et de la mo­rale séparées, M. Brunetière n'est pas seul à la constater. Tous les hom­mes intelligents de ce temps y arrivent. M. de Vogüé ne reconnaît-il pas aussi «la tromperie des prévisions humaines et l'effroyable désarroi de la raison livrée à ses seules forces?».

M. Cornély, un écrivain catholique, résume bien l'impression produi­

te.

«En contemplant, dit-il, les résultats sociaux amenés par l'athéisme obligatoire et la guerre religieuse, bien des gens qui n'attachaient aucu­ne importance au rôle joué par la religion commencent à soupçonner qu'on s'est trompé quand on a cru qu'un traité de physique et de chimie remplacerait avantageusement le catéchisme, et que l'humanité serait plus heureuse sous la férule de ses savants que sous la houlette de ses pas­teurs» .

«Quand donc M. Brunetière, en sortant de chez le Pape, est venu nous dire qu'on peut et qu'on doit être religieux autant que savant et que de toutes les religions le catholicisme est la plus parfaite, non seule­ment pour les besoins individuels, mais encore pour les besoins sociaux, il a trouvé un chemin tout préparé dans les esprits et un champ labouré d'avance par les événements de ces dernières années».

«En face de la démoralisation croissante inscrite à la fois sur les livres d'écrou des prisons et sur les registres rétrécis des mariages et des nais­sances; en face de la désagrégation nationale et de l'accroissement des haines sociales; en face de ces jeunes générations qui sortent de l'école laïque pour tomber dans le socialisme; devant le nombre des délits et des crimes qui, loin de diminuer, paraît s'établir en raison du nombre des instituteurs, les indifférents de jadis voient qu'on s'est trompé et soup­çonnent que pour rendre les nations grandes et fortes, la science ne rem­plit pas le même office que la religion».

Avec M. de Vogüé et M. Brunetière, concluons donc à la nécessité pour nos sociétés de chercher leur «régulateur» au Vatican.

II. FRANCE

Montmartre: le Règne du Sacré-Cœur. - L'adoration de Jésus­Eucharistie progresse dans le monde. Comme le disait un éloquent évê­que au Congrès de Turin, l'univers entier est comme revêtu, possédé et enveloppé par la sainte Eucharitie dans nos tabernacles. Jésus qui sauva le monde et le conquit au prix de son sang, y demeure pour lui commu­niquer ses expiations et ses mérites et pour le régénérer sans cesse. Jésus règne dans nos tabernacles.

Mais ce n'est pas tout. Il est souvent exposé sur nos autels et là il reçoit nos hommages de réparation et d'amour. Ce culte solennel qui était autrefois bien exceptionnel dans l'Eglise est tout à fait entré dans nos moeurs. Il ne nous suffit plus de voir le tabernacle, son voile mysté­rieux et sa lampe symbolique. Ce n'est pas assez pour notre tendre amour, nous voulons voir l'hostie elle-même exposée dans un riche ostensoir qui resplendit sous le feu des bougies.

Il n'y a plus de ville importante qui n'ait quelque sanctuaire privilégié où se fait l'exposition quotidienne. Plusieurs congrégations religieuses se sont fondées dans ce but. Tous les diocèses ont organisé l'exposition an­nuelle dans les paroisses. Ces adorations paroissiales s'affilient à l'adora­tion centrale des nations catholiques à Rome et à celle de Montmartre.

L'adoration de Montmartre surtout a maintenant son écho dans toute la France. Il faut que cela devienne absolument général. Il faut que tous nos diocèses soient présents de Cœur chaque jour à Montmartre. C'est si facile et cela sera si fécond! il faut que toutes nos églises et chapelles aient leur jour d'adoration et qu'on y lise ce jour-là les prières indiquées par l'œuvre de Montmartre.

Rien ne prépare mieux le règne social du Sacré-Cœur que cette union des cœurs dans un acte de foi, de pénitence et d'amour aux pieds de l'Eucharistie.

Aux grands jours de nos congrès eucharistiques, à Reims et à Turin, ce sentiment du règne social de Notre-Seigneur était dans tous les cœurs et il éclatait sur toutes les lèvres.

Le pieux archevêque de Verceil faisait couler les larmes émues de ses auditeurs, quand il s'écriait du haut de la chaire au congrès de Turin: «Hâtez-vous, Seigneur, d'exaucer la prière qui, jour et nuit, sort du cœur plein de foi de votre Vicaire, l'immortel pontife Léon XIII. Exaucez-nous, Seigneur Jésus, et daignez régner sur le monde entier». «Souvenez-vous des promesses que vous avez faites à l'humble vierge de Paray: Je régnerai malgré Satan et ses suppôts. Votre parole ne passera pas, mais hâtez-vous d'accomplir vos promesses».

«Jadis les chefs de nos républiques et les magistrats de nos municipes inscrivaient au fronton de leurs palais, de leurs hôtels et des portes de leurs cités, votre nom sacré avec ces mots: Adveniat regnum tuum. Nos an­cêtres reconnaissaient vos droits souverains. Ils s'obligeaient par des ser­ments solennels à les respecter, même dans les actes publics et les lois so­ciales

«Ces pactes sociaux continueront à être sacrés pour nous. Nous les re­connaissons ici solennellement. Nous nous consacrons à vous, ô Jésus, pour la vie et la mort, disposés à signer de notre sang cet acte religieux».

A Turin comme à Reims, le peuple répétait les serments d'hommage et de réparation qui tombaient de la chaire. Et quand l'orateur avait dit: «Vive Jésus, notre Seigneur et Roi dans son sacrement», il s'écriait: «Vive Jésus, notre Seigneur et Roi dans son sacrement».

C'est ainsi que le règne du Sacré-Cœur se propage par les adorations qui se multiplient.

La banqueroute des partis judéo-maçonniques. - Depuis bientôt vingt ans, les juifs et les francs-maçons ont pris en France une prépondé­rance étrange. On les trouve partout, dans l'administration, dans la ma­gistrature, dans l'enseignement et dans l'armée, dans le parlement et surtout dans les grandes entreprises financières et commerciales. Mgr l'archevêque d'Aix a eu raison de dire: «Nous ne sommes pas en répu­blique, nous sommes en franc-maçonnerie».

Mais la débacle commence. La banqueroute morale de tout ce person­nel se déclare. Drumont dirait: C'est la fin d'un monde.

Après les affaires du Panama, où l'on a vu sombrer des ingénieurs, des députés, des magistrats, des banquiers, des ministres, nous avons eu les affaires de chantage de la presse, dans lesquelles le journalisme de Pa­ris est fort entamé. Puis ce sont les fraudes de Toulouse, où l'on voit com­ment les maires, les préfets et les ministres bravent les élections. Entre temps, nous avons eu les histoires de Cempuis. De là nous retombons dans les chemins de fer du sud, où d'autres ingénieurs, maires et députés font triste figure. Voici maintenant les affaires d'espionnage et celles du Tonkin. Vraiment tout ce personnel judéo-maçonnique était de trop, et la Providen­ce vient à notre aide en dévoilant les turpitudes de tout ce monde.

Sachons profiter de la leçon.

III. AUTRES PAYS

Autriche: le réveil des catholiques. - L'empereur d'Autriche a fai­bli une fois de plus en promulguant, malgré les instances de l'épiscopat et de la nonciature, la loi sur le mariage civil. Mais les catholiques autri­chiens secouent leur apathie traditionnelle. Ils se réunissent, ils protes­tent contre les agissements du ministère libéral.

Ils étaient nombreux dernièrement au congrès de Vienne, sous la pré­sidence du cardinal Gruscha et de plusieurs évêques. Ils ont protesté contre les lois scolaires, qui laïcisent l'enseignement. Ils ont demandé à l'Etat des réformes sociales en faveur des travailleurs. Qu'ils continuent à s'affirmer courageusement et Dieu bénira leurs efforts.

Belgique: Moeurs d'autrefois. - Nous avons eu dernièrement le plaisir de visiter une petite paroisse du bon pays du Brabant. Il y a là des trésors de simplicité, de bonne foi, de vie chrétienne, que nous ne con­naissons plus dans nos pays prétendus civilisés.

La petite commune a deux cent trente âmes, mais elle n'a qu'un cœur et qu'une foi. Il n'y a pas de partis, pas de luttes, pas de divisions. Le cu­ré, le pastor est le chef aimé et obéi de la famille. Après le curé, le person­nage important de la paroisse, c'est le clerc, qui est le factotum de l'église. Dans les premiers siècles, il eût été diacre.

La paroisse a cent soixante-dix communiants, autant qu'il y a d'habi­tants en âge de communier. C'est ainsi qu'on comptait autrefois les po­pulations: les communiants et les enfants en bas âge.

Il y a des enfants dans la petite paroisse. Chaque maison, même les grosses fermes, en compte sept, huit, neuf ou dix.

Les confréries du Sacré-Cœur et de la Sainte-Vierge et la gilde de Saint-Roch sont bien vivantes. Elles ont leurs réunions, leurs conseils, leurs bannières. Chaque dimanche et le premier vendredi du mois, on compte à la petite église une trentaine de communions.

Dans les familles, on prie en commun et chaque soir on récite le cha­pelet. Le logis de la famille est un petit sanctuaire. Chaque appartement a ses images de dévotion, ses souvenirs de pèlerinages. Allez même à la grange et à l'étable, vous y trouverez l'image de quelques saints protec­teurs des moissons et des troupeaux.

Les journaux ne viennent que le dimanche et ils sont tous catholiques. Il y a cependant des estaminets au petit village. On en compte deux, dont l'un est tenu par le clerc. Mais quels estaminets! On y voit sur les murs le crucifix et la madone, et le soir quand sonne l'Angelus, hôtes et buveurs récitent ensemble le chapelet.

Il n'y a pas de pauvre à l'humble village brabançon. Il n'y a ni gueux ni mendiants. Et l'aisance n'y date pas du XIXe siècle, car les meilleures fermes sont datées par les ancres ouvragées de leurs façades, et j'y ai lu les chiffres de 1703 et 1714. Et cette prospérité ancienne n'est pas non plus restée stationnaire. Les fermes ont été agrandies, rehaussées. D'au­tres ont été rebâties.

Le curé s'intéresse aux progrès de la culture. Il étudie avec ses fer­miers les méthodes nouvelles et donne à tous de sages conseils.

La petite église est bien tenue. Elle est agréable. Il y a d'ailleurs un fonds en réserve pour la rebâtir bientôt selon les règles de l'art chrétien retrouvées par les écoles de Saint-Luc.

Heureuse paroisse! Heureux pasteur!

Nos commis voyageurs trouveraient ce village bien arriéré. Nous, nous le trouvons en avance de deux cents ans sur notre paganisme mo­derne.

Espagne: le mouvement catholique. - En Espagne, un mouve­ment de retour vers une vie catholique plus active, plus intense, se dessi­ne surtout dans les classes éclairées. Pendant que l'incrédulité et l'irréli­gion sont en baisse visible, on voit partout refleurir les institutions catho­liques. La jeunesse studieuse se groupe dans les cercles de Saint-Louis de Gonzague.

Les corps d'états, avocats, médecins, officiers, reprennent la célébra­tion religieuse de leurs fêtes patronales.

L'académie de jurisprudence de Madrid, créée autrefois par Charles III et placée sous la protection de la Vierge Immaculée, avait renié son passé et relégué la statue de la Vierge Marie à la cathédrale. Elle vient de renouer ses traditions catholiques et de célébrer pieusement la fête et l'octave de l'Immaculée-Conception.

Le corps des officiers d'artillerie a voulu célébrer sa fête patronale de sainte Barbe par de solennelles cérémonies religieuses. Les médecins de Grenade ont relevé leur confrérie de Saint-Pantaléon.

Il y a là un symptôme de régénération sociale et de restauration chré­tienne. On peut attendre de l'Espagne un avenir plus beau que le demi­siècle d'indifférence qui vient de s'écouler.

CHRONIQUE (Mars 1895)

I. LE REGNE SOCIAL DU SACRE-CŒUR

L'Encyclique aux Américains. - Elle est superbe, cette Encycli­que, comme toutes celles de Léon XIII. Elle ne contient pas seulement des conseils salutaires pour les Américains, elle constitue un véritable traité de politique et de gouvernement.

Léon XIII témoigne d'abord sa bonté paternelle. «Nous apprécions grandement, dit-il, et nous aimons vivement la nation américaine, toute florissante de jeunesse, et chez laquelle nous voyons, avec les yeux du cœur, les progrès cachés non seulement des affaires publiques, mais en­core de la religion.

Puis il rappelle les commencements de ces nations du Nouveau Mon­de. «Colomb cherchait, comme l'un des principaux fruits de ses voyages et de ses fatigues, à ouvrir à la religion catholique l'accès de nouvelles contrées; possédé sans cesse par cette pensée, quels que fussent les riva­ges auxquels il abordait, il n'avait rien plus à cœur que d'élever sur la côte l'image de la sainte Croix. (On ne connaissait pas encore au temps de Colomb la folie du laïcisme).

L'évangélisation qui était le premier souci de Christophe Colomb, a été réalisée par les missionnaires, par les enfants de Saint-François, de Saint-Dominique et de Saint-Ignace.

Quand les Etats-Unis sont nés à la liberté, leur premier président, Wa­shington a reconnu et proclamé la nécessité de la religion pour la pros­périté publique.

«La religion et la morale, disait-il, sont les soutiens indispensables de la vie sociale. Ceux-là ne sont pas de bons citoyens, qui cherchent à sa­per ces puissantes colonnes du bonheur de l'homme. Tout véritable homme d'état les honore et les aime autant que tout homme pieux. Leur importance pour le bonheur public et privé est indispensable. Si l'on ôte la religion du serment, ce dernier refuge des tribunaux, quelle sera dé­sormais la garantie de nos propriétés, de notre vie, de notre réputation? La raison et l'expérience démontrent que la morale ne peut subsister chez un peuple sans religion. Or, c'est à la morale et à la religion qu'un gouvernement populaire emprunte principalement sa force».

Hélas! ceux qui sont quelque chose chez nous sont loin de comprendre ces nobles pensées, parce qu'ils sont tous menés, sciemment ou non, par les sectes juive et maçonnique.

Ces sentiments religieux sont restés ceux de l'Amérique. C'est un peuple qui adore Dieu, qui le prie et qui lui rend grâces de ses bienfaits. Béni de Dieu, ce peuple voit s'accroître de jour en jour sa puissance. L'église catholique aussi grandit aux Etats-Unis. Le clergé séculier et régulier augmente graduellement. Les associations et les œuvres pies se multiplient.

Cela est dû au zèle des évêques, du clergé et du peuple, mais aussi à l'équité des lois qui n'entravent en rien la vie de l'Eglise et qui la défen­dent contre toute violence par le droit commun et la justice des tribu­naux.

Ici, Léon XIII donne en passant un enseignement d'une importance capitale. Il ne faudrait pas, dit-il, conclure de ces progrès de l'Eglise aux Etats-Unis, qu'elle a trouvé là les conditions les plus favorables et l'idéal de l'organisation sociale. Non. L'Eglise prospérera toujours quand elle sera vraiment libre, mais elle produirait encore des fruits plus abon­dants, si elle jouissait non seulement de la liberté, mais encore de la fa­veur des lois et de l'appui des pouvoirs publics.

Cette faveur et cet appui, l'Etat a toujours intérêt à les accorder à l'Eglise. Il en a le devoir quand une nation est en grande majorité catho­lique.

Que nous sommes loin chez nous de la liberté religieuse! On ferait de tristes litanies avec les servitudes de l'Eglise gallicane: servitude dans la nomination aux dignités ecclésiastiques, servitude dans la fondation des paroisses, servitude dans l'éducation des enfants, dans le développement des ordres religieux, dans la dotation des corporations et des œuvres, etc., etc., etc.

Pauvre Eglise de France! Tous les pouvoirs depuis François Ier ont alourdi ses chaînes. C'est merveille qu'elle puisse encore marcher et vi­vre.

Léon XIII se félicite de la fondation de l'Université de Washington. Il rappelle les avantages et la nécessité de l'indissolubilité du mariage.

Il s'étend assez longuement sur les associations ouvrières. C'est im­portant pour l'Amerique, où des sociétés puissantes se sont montrées animées de l'esprit révolutionnaire.

«Assurément, dit-il, les ouvriers ont le droit de se réunir en société pour se procurer des avantages… Mais ils doivent se réunir de préféren­ce entre catholiques, et mettre à leur tête des prêtres ou des laïques hon­nêtes et sérieux».

Léon XIII réprouve là, en passant, deux erreurs de nos catholiques anti-sociaux, qui ne veulent pas de syndicats ouvriers et qui ne trouvent pas bon que le prêtre aille au peuple.

Léon XIII rappelle aussi aux ouvriers qu'ils doivent en revendiquant leurs droits se souvenir de leurs devoirs. Ils doivent respecter les droits d'autrui et la liberté de chacun, s'abstenir de toute violence et ne pas de­mander plus que la justice ne permet de le désirer.

Il avertit aussi les journaux catholiques de ne pas se diviser et s'épui­ser en vaines querelles. On croirait ce conseil écrit pour nous, qui voyons des journaux catholiques, réfractaires aux enseignements et aux conseils du Pape, entretenir la division et faire le jeu du socialisme et de la révo­lution.

Léon XIII, toujours animé de l'esprit de charité du Sacré-Cœur de Jésus, fait encore un appel pressant aux protestants. «Combien Nous sommes préoccupé de leur salut, dit-il, et avec quelle ardeur Nous dési­rons qu'ils reviennent un jour dans le sein de l'Eglise. Et certes, ajoute-t­il, Nous ne sommes pas dépourvus de toute espérance, car il est avec nous, Celui auquel tout obéit et qui s'est proposé de rassembler en un seul troupeau les fils de Dieu qui étaient dispersés» (Jean, XI, 52).

Enfin, il recomande aussi au zèle des hommes apostoliques, les In­diens et les Nègres qui habitent les territoires américains et qui n'ont pas encore reçu les bienfaits de la foi et de la civilisation chrétienne.

A ces voeux de Léon XIII nous en ajouterons un autre, celui de voir régner longtemps encore un pontife d'un esprit si élevé et d'un si grand cœur.

Actes d'hommage au Sacré-Cœur de Jésus. - L'hommage, au sens propre, était une promesse de fidélité et d'obéissance que le vassal, au moyen-âge, faisait à son suzerain. Par l'hommage-lige, le vassal promettait à son suzerain une obéissance absolue et mettait à sa disposition sa person­ne et son bien. Le vassal se faisait ainsi l'homme de son suzerain (hominem altere, d'où hommage). Il se liait envers lui (hominem ligatum).

De suzerain en suzerain, à travers la hiérarchie féodale, l'hommage allait jusqu'au roi dans les pays monarchiques, jusqu'au chef de l'Etat dans les républiques chrétiennes; et les rois, princes et doges rendaient hommage au Christ, le Roi suprême des nations.

Les souverains se reconnaissaient vassaux du Christ à leur sacre. Ils dataient leurs actes publics du règne du Christ (regnante Christo). L'hommage au Christ était de tous les temps dans la vie sociale chré­tienne. Ce n'était pas autre chose que la reconnaissance de la royauté du Christ. Il avait commencé avec l'adoration des Mages. Mais à l'époque féodale, il avait pris le cachet du temps. Rois et empereurs se tenaient pour les vassaux du Christ, comme leurs barons et feudataires étaient leurs propres vassaux.

Au XIIe siècle, sur le tombeau de Clovis et de ses fils, qui avait été res­tauré à l'église Saint-Pierre à Paris, Clovis, comme chef de sa famille et représentant de sa dynastie, était représenté devant le Christ, un genou en terre, dans l'attitude du vassal qui rend hommage à son suzerain.

Les formes changent, mais les principes restent. Le Christ est toujours le Roi des nations. Les peuples l'oublient et ils tombent dans l'instabili­té, le désordre et la révolution. A nous, catholiques, de protester et de rendre hommage au Christ notre Roi. Nous ne recourrons pas au céré­monial de la féodalité, mais nous proclamerons la royauté sociale du Christ.

C'est une des conditions du règne du Sacré-Cœur. Notre-Seigneur a demandé pour son Cœur l'adoration, la réparation et l'hommage.

Il faut que cet acte se généralise. Il diffère de la consécration et de l'amende honorable. Il a son caractère propre. Il est la protestation di­recte contre l'hérésie du laïcisme et de l'athéisme social.

Des actes d'hommage sont proposés au Saint-Siège, qui va les approu­ver et les indulgencier. Ce sera la confirmation et la récompense de toute la pieuse activité dépensée par le Comité des Fastes du Sacré-Cœur, de Paray-le-Monial.

En attendant, l'acte d'hommage se fait déjà çà et là dans de pieuses cérémonies, avec l'approbation des évêques.

Le Bulletin de l'Œuvre du Voeu national rend compte de touchantes prestations d'hommage qui ont eu lieu à Blois, au Cercle catholique et à la Cathédrale.

Au premier dimanche de l'Avent, à la solennité de clôture de l'Adora­tion perpétuelle de la cathédrale, après une chaude allocution du prédi­cateur de l'Adoration, Mgr l'évêque de Blois est monté lui-même en chaire et a prononcé en son nom, au nom de son clergé et de son diocèse, un acte d'hommage au Sacré-Cœur, comme Roi suprême des indivi­dus, des familles, des cités et des peuples.

Citons cet acte d'hommage, que nous voudrions voir reproduit par tous les enfants de la France:

«O Christ Jésus, Fils du Dieu vivant, vrai Dieu et vrai homme, véri­tablement présent dans l'Hostie sainte, exposée sur cet autel».

«En mon nom et au nom du peuple chrétien qui se presse dans cette enceinte, au nom de tous les habitants de la ville de Blois:

je viens reconnaître solennellement vos droits souverains sur l'indivi­du, sur la famille et sur la société tout entière».

«Oui, ô Christ Jésus, ô Roi immortel des siècles, nous tous qui som­mes ici prosternés devant vous, évêque, prêtres et fidèles, nous vous re­connaissons librement pour notre Seigneur et notre Maître».

«Nous acclamons de toutes nos forces votre royauté, cette royauté dont les juifs n'ont pas voulu et que les impies, après eux, repoussent avec une rage insensée».

«Nous vous conjurons de régner sur nos cités, sur la société entière et plus particulièrement sur notre chère patrie».

«Nous mettons à vos pieds ce que nous sommes et ce que nous possé­dons, nos parents et nos amis, notre vie même, s'il vous plaisait d'en dis­poser».

«Vienne donc le jour où les enfants de la France, unis dans les mêmes sentiments de foi et d'amour, également soumis aux lois de l'Eglise, pourront s'écrier avec un indicible bonheur, comme autrefois la Rome chrétienne: C'en est fait, le Christ triomphe, il règne, il commande en souverain: Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat!!! Ainsi soit-il».

La doctrine politique et économique de l'Eglise. - C'est peu à peu, suivant les circonstances et la nécessité, que l'Eglise développe sa doctrine, contenue en germe tout entière dans la révélation.

Aux hérésies des premiers siècles, elle répond en affirmant sa foi dans la sainte Trinité, dans l'incarnation du Verbe, dans la maternité divine de Marie.

Quand viennent les schismes d'Orient et d'Occident et les prétentions de l'Empire, elle proclame son institution divine, son indépendance, ses droits et l'autorité du pontife de Rome.

Aux nouveautés de la Réforme, elle oppose l'autorité de la Tradition et la vérité des sacrements.

Des erreurs nouvelles ont surgi. De fausses notions de la politique et de l'économie sociale sont nées du protestantisme et de la philosophie ra­tionaliste; elles ont produit la révolution avec toutes ses conséquences; elles s'épanouissent aujourd'hui dans le socialisme et l'anarchie.

Dieu tire toujours le bien du mal; et le fruit de ces erreurs sera de nous donner la doctrine de l'Eglise sur la politique et sur l'économie sociale. Pie IX a commencé, dans l'Encyclique Quanta cura et le Syllabus. Il a condamné l'athéisme social et ses diminutifs, cachés sous le voile du libé­ralisme.

Léon XIII continue avec une ampleur merveilleuse, il écrit dans ses encycliques deux traités complets de la Politique et de l'Economique. Quelle joie c'est pour nous de le lire! Dans notre jeunesse, nous cher­chions avec passion la solution de toutes ces questions, et nous ne trou­vions rien qui pût nous donner satisfaction. C'était le chaos et la division chez les écrivains catholiques.

Léon XIII nous a donné ses encycliques sur la Liberté humaine, sur les Principaux devoirs des chrétiens, sur la Constitution chrétienne des Etats, sur la Condition des ouvriers. Il y développe les enseignements de l'Evangile et de la raison. Dans l'intervalle, il nous dirige par ses lettres, par ses discours, par les lettres qu'il dicte à son Secrétaire d'Etat.

La lumière est faite. Il y a bien encore quelques résistances personnel­les ou locales. Il en coûte tant de sortir des préjugés et de la routine! Quelques-uns continuent à mettre leurs préférences politiques au-dessus des intérêts de la patrie et de l'Eglise. D'autres ce battent contre des moulins, en s'attaquant à une sorte de salaire familial que personne n'a demandé.

Tout cela passera. Le Saint Père n'est pas homme à reculer, quoi qu'en pensent quelques-uns. Il sait ce qu'il dit et Dieu l'assiste. Il main­tiendra ses enseignements et les répétera autant que ce sera nécessaire.

Il vient d'avertir, par l'entremise de son Secrétaire d'Etat, un de nos journaux catholiques, qui a les meilleures intentions, mais qui n'avait pas bien compris, jusqu'aujourd'hui, le sens des directions pontificales.

Le cardinal nous rappelle que «le Saint-Père, en demandant aux ca­tholiques français de se placer sur le terrain constitutionnel et d'accepter loyalement le gouvernement constitué, a entendu que, par ce moyen, les catholiques travaillassent d'accord, à l'amélioration de ce gouvernement et, à mesure que croîtrait leur influence dans la direction de la chose pu­blique, qu'ils réussissent à empêcher de nouvelles offenses à la Religion, à corriger progressivement les lois existantes, injustes et hostiles».

Le cardinal ajoute qu'il se borne aujourd'hui à la question politique. Il sous-entend manifestement par là qu'il aurait des observations analo­gues à faire sur la question sociale et économique.

Ne marchandons plus les enseignements pontificaux. Discuter les en­seignements du Pape, cela sent toujours plus ou moins le fagot. Laissons à Luther et à ses émules l'honneur d'en appeler du Pape mal informé au Pape mieux informé.

II. FRANCE

Pour la paix. - Il est grand temps que les catholiques s'unissent et cessent de se quereller sur la question sociale aussi bien que sur la ques­tion politique. Léon XIII ne cesse de nous inviter à l'union, et sa clair­voyance est sans égale.

Pour lutter efficacement contre le socialisme et l'anarchie, nous avons besoin de toutes nos forces. Il faut que nous présentions un parti com­pact, qui puisse faire alliance avec tous les hommes d'ordre. Il faut que nous réunissions tous nos efforts et toutes nos ressources pour une action sociale capable de nous gagner les sympathies du peuple.

Pourquoi tant de querelles, dignes des Byzantins, sur le salaire fami­lial, sur la part de la justice et de la charité , sur les associations ouvriè­res?

Essayons de faire la lumière sur ces questions, pour l'amour de la paix.

Le juste salaire. - Ne parlons plus du salaire familial. Léon XIII n'en a pas parlé. C'est un terme équivoque, qui a causé toute la brouille. Mais Léon XIII nous rappelle le devoir de donner au travailleur le jus­te salaire. Ce n'est pas une nouveauté, on n'innove pas en morale. C'est la règle donnée par les vieux moralistes. Seulement Léon XIII explique plus complètement cette règle et en analyse les éléments.

Sur quelle base les moralistes déterminent-ils le juste salaire? C'est bien simple: il faut, disent-ils, s'en rapporter à l'estimation commune. Cela veut dire que le juste salaire s'établit par un cours. Mais quels sont les éléments de ce cours? Les économistes modernes, qui ne voient dans le travail qu'une marchandise comme une autre, disent que la base de ce cours, c'est l'abondance des bras, c'est le rapport de l'offre et de la de­mande.

Les moralistes anciens ne se trouvant pas en face de cette erreur toute moderne n'ont pas développé leur pensée sur cette question. Ils donnent cependant suffisamment les éléments de la solution. «Le travail, dit saint Thomas, le chef de l'Ecole, a pour but principal de donner à vivre au travailleur». - Labor manualis ordinatur principaliter ad victum quaeren­dum - (2a 2me, q. 187, art. 3). Il cite à l'appui de sa thèse la Genèse: In sudore vultus tui vesceris pane, et le psaume 127.

Le travail n'a donc pas pour but principal d'enrichir l'employeur. C'est cela même que fait remarquer Léon XIII. L'ouvrier, dit-il, en louant son travail ne doit pas oublier le but divin du travail, qui est de lui donner à vivre.

Mais voici le point délicat: Léon XIII n'a pas dit que l'ouvrier devait tenir compte de sa famille et demander un salaire qui fasse vivre aussi sa femme et ses enfants.

Saint Thomas non plus ne l'a pas dit, et le bon Dieu non plus, car il a dit: «Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front», et il n'a pas ajouté: «Ta sueur, c'est-à-dire ton labeur, suffira même à donner du pain à ta femme et à tes enfants. «Qu'est-ce donc? Est-ce que Dieu a voulu exclu­re la femme et les enfants de la participation aux fruits du travail hu­main? Personne ne le soutiendra. Pourquoi donc Dieu n'en a-t-il pas parlé? C'est parce que cela va de soi et que la vie de famille est naturelle à l'homme.

Léon XIII a fait comme le bon Dieu. Il a omis ce qui va de soi, et il donne cette explication à qui veut l'entendre.

Patience! cette explication rationnelle du juste salaire passera dans tous les traités de morale, et la paix se fera. Lisez la Théologie morale de Lehmkuhl, «Le juste salaire, dit-il, en soi, et quand les profits de l'en­treprise le permettent, doit suffire pour que l'ouvrier valide puisse vivre commodément, selon son état, lui et les siens et même faire quelque épar­gne» (7e éd. p. 174).

Cette règle est acquise désormais à la théologie morale. Et si on nous objecte les célibataires et les familles nombreuses, nous répondrons qu'en toutes choses les cours s'établissent sur les conditions moyennes et non sur les exceptions. Le célibataire gagnera plus que pour ses besoins. Il épargnera pour se marier ou pour user de ses ressources comme il vou­dra. Le père d'une famille nombreuse ne gagnera pas assez. Il s'aidera de ses épargnes antérieures ou de la charité. Et dans ce concours de la charité, le premier rôle appartiendra à son patron.

Justice et charité. - De très braves gens prétendent qu'il ne faut pas parler de justice violée dans le régime actuel du travail; que c'est là faire cause commune avec les socialistes; que la justice est observée, puisque les employeurs paient aux ouvriers le salaire convenu; que les ouvriers malheureux le sont par leur faute, à cause de leur paresse ou de leurs ex­cès; que s'il y a quelques cas de misère imméritée, par suite de maladie ou de causes accidentelles, la charité privée y remédiera suffisamment.

C'est là une illusion étrange. Ces braves gens n'ont vu que les men­diants de la rue, ils n'ont pas fait une enquête sérieuse dans les quartiers ouvriers.

On prend donc pour rien la crise industrielle et agricole qui affame nos ouvriers?

Il y a des causes générales, telles que la concurrence étrangère, le mo­nométallisme, les tarifs douaniers, les tarifs de pénétration, qui deman­dent déjà d'autres remèdes que l'aumône. De bonnes lois et des conven­tions internationales pourront seules y remédier.

Mais l'équité n'est-elle pas lésée par le travail excessif, par le salaire insuffisant, par les spéculations qui jettent le trouble sur les marchés, par les accaparements et les monopoles?

Réservez donc vos charités pour les misères exceptionnelles, elles y suffiront à peine, et demandez à la justice sociale de prévenir par le con­cours des lois, des moeurs et des corporations, cette détresse générale, qui forme un milieu si favorable à la germination des idées subversives.

III. AUTRES PAYS

Alsace: l'art chrétien. - Il y a quelques mois, le Saint-Père indi­quait ses préférences pour l'art chrétien du XIIIe siècle. Dans le même ordre d'idées, Mgr l'évêque de Strasbourg vient de donner à son clergé des prescriptions pleines de sagesse pour la construction des églises. Il re­commande de choisir pour les nouvelles constructions les styles des di­verses écoles du moyen-âge dans toute leur sévérité.

Il insiste pour qu'on donne la préférence aux modèles des anciennes églises d'Alsace, si nombreuses et si belles. Il veut qu'on prenne soin de se tenir strictement au style une fois choisi, et qu'on évite tout ce qui pourrait nuire à l'unité de la construction. Il demande aussi qu'on n'em­ploie que de bons matériaux. Il ne veut pas qu'on remplace la pierre par le gypse, spécialement pour les voûtes.

C'est bien là l'esprit des siècles chrétiens: faire du beau et le faire soli­de et durable.

Nous sommes bien riches, nous aussi, aux environs de Paris, en égli­ses ravissantes des XIIe et XIIIe siècles. Cherchons là nos modèles et nous aurons des sanctuaires qui élèveront nos âmes et les porteront à la prière.

Belgique: les écoles. - La question scolaire est capitale, les francs­maçons le savent bien. Aussi, ils clament sans trêve que les écoles doi­vent être neutres. Les catholiques belges demandent, comme c'est leur droit, la liberté et l'égalité dans l'enseignement.

Sommes-nous vraiment libres, quand les pères de famille n'ont pas le droit de faire de leur école communale une école chrétienne? Avons­nous l'égalité devant la loi, quand les libres-penseurs détiennent toutes les écoles officielles et les soutiennent avec notre argent, pendant que nous sommes obligés de payer une seconde fois pour avoir des écoles qui nous conviennent?

Les catholiques belges demandent la vraie liberté d'enseignement et la véritable égalité devant la loi. Ils l'obtiendront bientôt.

Tout en gémissant de notre état de servitude, nous devons les remer­cier de nous donner l'exemple d'un régime sincèrement libéral.

CHRONIQUE (Avril 1895)

I. LE REGNE DE JÉSUS CHRIST

Les étapes du XIXe siècle. - Ce siècle a eu ses phases diverses, as­sez semblables à celles d'une vie humaine. On peut y compter quatre étapes, qu'on peut comparer à l'enfance, à la jeunesse, à l'âge mûr et à la vieillesse.

Ces phases ont marqué leur empreinte dans la littérature.

On ne peut pas les déterminer avec une précision mathématique. Ce n'est pas ainsi que les idées se succèdent. Les idées dominantes d'une époque ont des précurseurs dans la période qui précède, elles ont des re­présentants attardés dans la période qui suit.

Mais en tenant compte de l'ensemble des choses, on peut dire que ce siècle a commencé chrétiennement.

Châteaubriand a publié son Génie du christianisme en 1802. Ce fut comme le baptême du siècle. Il remit en honneur toutes les saintes cho­ses que la fin du XVIIIe siècle avait foulées aux pieds.

Châteaubriand fut un initiateur, un apôtre. Il orienta les esprits vers la Bible, vers l'histoire de l'Eglise, l'art chrétien, le moyen âge, la poésie de Dante et de Milton. Il fut comme le précepteur du siècle.

Joseph de Maistre et de Bonald furent ses professeurs de philosophie. Elevé par de tels maîtres, ce siècle en 1820 s'appelait Lamartine et Hugo; en 1830, il s'appelait Lamennais, Berryer, Montalembert, Gui­zot, Vitet, Lacordaire. Son premier âge si chrétien se prolongeait par Ozanam et Veuillot.

Dans sa seconde phase, le siècle n'est plus religieux. Il réagit contre son éducation chrétienne. Il est rationaliste. Il subit l'influence d'Hegel et des Allemands. Il est engoué de ses progrès scientifiques et industriels. Il n'a plus que faire de la foi et de la révélation. Il est optimiste, il croit au progrès indéfini de la nature. Il en arrive au positivisme et à tous les rêves d'un bonheur social sans mélange.

En ce temps-là, Michelet et Quinet écrivent l'histoire; Jules Simon et Lit­tré font de la philosophie; Auguste Comte, Saint-Simon et Proudhon prépa­rent la réforme de la société; Balzac, Stendhal, Dumas, Eugène Sue, About publient des romans. Taine cherche les lois déterminantes de l'histoire.

Cependant l'abandon de la religion a laissé un vide immense. Les âmes souffrent, ne trouvant rien de fixe en dehors de la foi, rien qui sa­tisfasse leurs attraits les plus élevés. Elles ont le mal du pays, la faim et la soif de Dieu et du surnaturel. Elles ne se rendent pas compte d'abord des causes de leur souffrance et trouvent que tout est triste et sans issue au­tour d'elles, elles tombent dans le pessimisme.

L'influence de la philosophie d'Outre-Rhin, caractérisée alors par Schopenhauer augmente ce marasme.

Déjà, dans la période précédente, ceux qui n'avaient pas suivi le cou­rant religieux, Musset, de Vigny et Mérimée avaient préludé à cette phi­losophie morose. La littérature de ces vingt dernières années est tout em­preinte de ce ton d'élégie, de désillusion et de découragement.

C'est le cachet de Leconte de l'Isle, Sully-Prudhomme, Baudelaire, Becque, Jean Lahor et Loti.

Mais voici que le siècle vieilli revient de ses longs égarements. Il re­grette la foi de ses premières années. Il voit que son apostasie a produit une société sans boussole, sans frein, sans moeurs. Il veut remonter le courant et se tourne vers l'Eglise. Le Saint-Siège, du reste, rayonne ac­tuellement d'un éclat qui dissipe les ténèbres.

Quelques-uns voudraient, il est vrai, se contenter d'un demi­christianisme, d'une morale sans dogmes et sans mystères, mais ils se­ront entraînés par le courant. Brunetière, Bourget, Rod, de Vogué et bien d'autres sont sur le chemin.

L'Eglise est-elle prête? Est-elle en mesure de donner aux âmes et aux sociétés la direction qu'elles ont soif de recevoir? Oui, elle peut présenter fièrement les hommes que Dieu lui a donnés depuis vingt ans, soit qu'ils vivent encore, soit qu'ils parlent dans leurs œuvres: Lèon XIII, Man­ning, Gibbons, Ketteler, Windthorst, Vogelsang, de Mun, Decurtins. Qui se refusera à suivre de tels guides?

Sous leur conduite, la voie est ouverte à tous les progrès et à toutes les ascensions vers l'idéal.

La liquidation du siècle. - Chaque siècle a eu son esprit propre, son courant d'idées, on pourrait dire son idéal ou sa marotte, suivant que le but à atteindre était noble ou vulgaire.

Sans remonter jusqu'au déluge, voyez au XIe siècle: c'est le renou­veau religieux, la reconstruction des églises, la réforme monastique. Au XIIe siècle, ce sont les croisades et la chevalerie. Toute l'Europe a son attention portée vers le tombeau de Jésus-Christ.

Au XIIIe siècle, ce sont les universités catholiques, c'est la science chrétienne qui captive la jeunesse, c'est l'art chrétien qui occupe les esprits et sollicite des sacrifices. C'est la sainteté chrétienne qui fait l'en­jeu des plus nobles rivalités. Saint Louis règne à Paris, saint Ferdinand à Burgos, sainte Elisabeth en Thuringe.

Au XIVe siècle, la science sacrée s'élève jusqu'à la mystique dans les monastères de Germanie, avec Tauler et Suso; mais l'engouement des légistes pour le droit romain prépare le réveil du paganisme.

Le XVe siècle est fier de ses progrès, de ses inventions et découvertes. Il a l'imprimerie, la boussole, la poudre à canon, le grand commerce à l'Orient et les découvertes des navigateurs.

Le XVIe siècle est en travail de rénovation sociale: rénovation de l'art par la renaissance païenne; rénovation religieuse par la vraie réforme du Concile de Trente et par la pseudo-réforme du protestantisme.

Le XVIIe siècle a un noble idéal. Il veut faire grand, comme ont fait les siècles de Périclès et d'Auguste. Il a Louis XIV, Corneille, Racine, Bossuet, Lebrun, Condé et cent autres.

Le XVIIIe siècle est étrange. Il mène la vie d'Héliogabale et rêve aux vertus de Brutus. L'étude de Plutarque, de Platon et de Tite-Live lui font désirer une organisation idéale de l'Etat. On sait ce qu'il a produit.

Le XIXe siècle a été sollicité par divers attraits, mais son idéal, sa ma­rotte a été le laïcisme: indépendance de la science, indépendance de l'Etat, indépendance de l'enseignement, infaillibilité du suffrage univer­sel et du parlementarisme, tel fut son credo. Il devait trouver dans ces conquêtes la pleine lumière, le progrès indéfini, la prospérité sans limi­tes, sans compter la paix sociale, le règne de la vertu, l'harmonie des esprits et des cœurs.

Aujourd'hui, le siècle touche à sa fin, il établit son bilan, il suppute ses profits et il constate… une banqueroute générale.

Une sorte d'enquête spontanée se fait dans les journaux, dans les re­vues, dans les livres récents.

«La science positiviste, disent les uns, nous avait promis qu'elle expli­querait la vie et réglerait la morale. Elle n'a pu ni créer la vie, ni l'expli­quer, ni la définir. Impuissante à nous révéler le mystère de notre origi­ne, comment prétend-elle nous servir de guide entre notre commence­ment qu'elle ignore et notre fin qu'elle ignore de même!».

«On espérait, dit un autre, faire l'âme de la nation par l'enseigne­ment laïc. On a augmenté jusqu'à la pléthore le budget du laïcisme et l'on n'a réalisé aucun des rêves chimériques qui hantaient l'imagination des réformateurs. On espérait ruiner les établissements d'instruction li­bre, on n'a réussi qu'à accroître leur prestige et leur prospérité. On espérait transformer l'instituteur en agent électoral fidèle, on en a fait un mécontent dangereux. On espérait élever le niveau des études, voyez les résultats! «.

Sur le même thème de l'enseignement laïc, un journal ordinairement irréligieux écrit: «Il a été interdit de parler aux enfants de Dieu, ce qui ne s'était vu à aucune époque, chez aucun peuple. C'était supprimer d'un seul trait de plume le caractère absolu de la morale. Les écoliers, depuis 1882, ont appris à ne croire à rien, sinon à eux-mêmes et à la sa­tisfaction de leurs appétits. L'exemple fut à la hauteur de l'enseigne­ment. Ils ont vu leurs aînés dans la vie politique attachés uniquement au culte du veau d'or, à leurs intérêts personnels et à la religion du plaisir. On a fabriqué de la sorte une génération de décadence. Maintenant, la peur s'empare des rares personnes qui s'avisent encore de réfléchir. On commence à reconnaître que tout craque et si les enfants continuent à être façonnés de cette manière, nous sommes voués à la plus effroyable dégringolade» (L'Écho de Paris).

Un autre fait le procès du parlementarisme actuel. «Le parlement, dit-il, est loin de refléter le pays. Les professions usuelles, les plus nom­breuses dans le corps de la nation, agriculture, industrie, commerce, voient leurs représentants réduits à une infime minorité. Le pouvoir lé­gislatif est accaparé par les professions libérales, par ceux qui, sans lien réel avec les intérêts vitaux du pays, sont prédisposés au pur métier de politiciens. De là, un contraste étrange entre la représentation légale du pays et la nation. Il n'y a rien de commun entre le génie clair et riant, expansif, généreux et fraternel de notre race et l'esprit de secte étroit, égoïste, haineux, morose qui est toute l'âme des majorités parlementai­res…».

Il faut entendre enfin un littérateur très goûté, M. Paul Bourget. Dans ses belles études sur l'Amérique, il montre comment nous mar­chons depuis un siècle à l'inverse de la puissante et féconde démocratie américaine. Elle favorise et protège toutes les initiatives privées, toutes les énergies individuelles, tandis que chez nous l'État a brisé toutes les forces vives du pays et tari les sources de la vitalité française. Et il con­clut qu'il faut remonter tout un siècle, retrouver l'unité provinciale sous le département artificiel et morcelé, l'autonomie municipale sous la cen­tralisation administrative, les universités locales et fécondes sous notre Université officielle et morte, reconstituer la famille terrienne par la li­berté de tester, protéger le travail par le rétablissement des corporations, rendre à la vie religieuse sa vigueur et sa dignité par la suppression du budget des cultes et le droit de posséder librement assuré aux associa­tions religieuses, en un mot défaire systématiquement l'œuvre meurtriè­re de la Révolution».

Vraiment les témoins de la banqueroute deviennent innombrables. Le siècle finit par une confession. Remercions Dieu. C'est le présage d'un siècle meilleur après celui-ci.

II. FRANCE

La bannière du Sacré-Cœur et ses chevaliers. - Ce n'est pas un pieux symbole quelconque que la bannière de Patay. C'est un palladium, c'est un signe sacré qui a pris une réelle importance historique et provi­dentielle. C'est l'oriflamme de l'avenir.

Notre-Seigneur a demandé a Marguerite-Marie que le Sacré-Cœur fût peint sur nos étendards. De Sonis et Charette ont arboré à Patay cet étendard de la promesse. Il a été arrosé par le sang de chevaliers aussi pieux que braves. Il attend maintenant, gardé au fond de la Bretagne par les modernes Machabées, que la France soit redevenue chrétienne, pour prendre sa place auprès du maître-autel de Montmartre, comme jadis l'oriflamme de Saint-Denis.

Tous les ans les vaillants chevaliers du Sacré-Cœur, les anciens zoua­ves pontificaux et volontaires de l'Ouest se réunissent à Nantes pour re­nouveler leurs serments. Cette réunion a eu lieu récemment. Le brave général de Charette, le gardien de l'étendard sacré, n'y était pas. La ma­ladie le retenait chez lui. Il vieillit, mais son cœur ne vieillit pas, et il écrivit à ses anciens compagnons d'armes ces nobles paroles:

«Après nous, vous aurez la garde du drapeau arrosé par le sang de vos pères, de ce drapeau qui nous a été remis dans des circonstances si étranges et si merveilleuses».

«Enfants, souvenez-vous de notre légende, si Dieu nous rappelle avant le triomphe, (un peuple ne vit que par la légende de ses morts). Le triomphe viendra certainement, Marguerite-Marie l'a écrit à Louis XIV».

«Vous irez en notre nom placer notre drapeau à Montmartre, dans cette basilique du Voeu National, sur le fronton de laquelle sont inscrits ces mots: Gallia poenitens et devota».

Avec un des vétérans de Castelfidardo, qui se trouvaient à la réunion de Nantes, avec M. de la Salmonière, nous voulons faire écho aux no­bles paroles de Charette et redire nos indomptables espérances.

«Oui, nous espérons qu'après les épreuves actuelles, il plaira à l'infi­nie miséricorde de Dieu de rendre à son Eglise l'éclat et le triomphe dont il lui a plu de l'environner pendant tant de siècles».

«Alors, il sera beau de voir la jeunesse française, les fils des vieux zouaves, les élèves de nos établissements religieux et de nos universités catholiques, tenir haut et ferme le drapeau de la France régénérée, l'étendard du Sacré-Cœur».

«Nous espérons que ce drapeau flottant en même temps sur les murs de la Rome des Papes redevenue libre et indépendante et sur la colline de Montmartre, au sein même de Paris devenu la capitale de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, sauvegardera notre chère patrie et l'Eglise contre les nouveaux assauts de la Révolution».

III. AUTRES PAYS

Rome. - Le Saint-Père fait donner pendant ce carême une mission générale dans toutes les paroisses de Rome. Il a fait appel à tous les or­dres religieux. Léon XIII, tout en s'occupant de donner une direction puissante aux catholiques du monde entier, n'oublie pas qu'il est spécia­lement l'évêque de Rome. Il veille au salut de ses ouailles.

Il poursuit en même temps son plan grandiose de résurrection des étu­des. Il veut montrer que l'Eglise n'a rien à craindre de la science. Il fait hâter la construction de la nouvelle université bénédictine sur le mont Aventin. Toute la construction extérieure en est déjà terminée, à l'ex­ception de l'église. La maison d'études pourra être inaugurée l'an pro­chain.

Pays-Bas. - Par la même influence de Léon XIII, une université ca­tholique va surgir en Hollande. Après celle de Washington et celle de Fribourg, voici celle d'Amsterdam.

Non l'Eglise ne craint pas la science. La raison et la foi sont deux filles de Dieu, qui ne doivent jamais être en désaccord.

CHRONIQUE (Mai 1895)

I. LE REGNE DE JÉSUS-CHRIST

Paroles épiscopales. - Parmi les lettres pastorales de ce printemps, plusieurs ont traité directement du règne de Jésus-Christ. Mgr l'évêque de Montauban a pris pour titre: la royauté de Jésus-Christ. Mgr l'évêque d'Autun a traité de la question sociale; Mgr l'évêque de Tulle, de l'ordre so­cial; Mgr l'archevêque d'Auch de la solution sociale. Il est bien juste que nous citions ici quelques-uns de ces enseignements qui concordent avec notre thème ordinaire: le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Cœur miséricordieux. Résumons brièvement ces paroles épisco­pales.

La royauté de Jésus-Christ. - Les temps où nous sommes, nous dit Mgr l'évêque de Montauban, semblent être ceux prédits par l'apôtre saint Paul à son disciple Timothée. Ne sommes-nous pas au milieu d'une génération où règnent l'égoïsme, l'ambition, la cupidité, le blas­phème, le mépris de l'autorité et la recherche de toutes les voluptés? Mais Dieu a fait les nations guérissables.

Les apôtres ont trouvé le monde païen dans un état plus misérable en­core. Ils l'ont relevé en établissant le règne de Jésus-Christ.

La restauration de ce règne dans les âmes est encore le seul remède aux maux qui désolent la société actuelle.

Aussi est-ce à cette œuvre de restauration chrétienne que doivent tra­vailler les ministres de Jésus-Christ et toutes les âmes qui désirent voir renaître des jours meilleurs pour la société.

La lettre pastorale nous rappelle ensuite les titres sur lesquels cette di­vine royauté est établie et les devoirs qu'elle nous impose.

Ces titres, ce sont d'abord les promesses divines. Dieu a révélé à Da­vid qu'il donnerait à son Fils les nations en héritage et qu'il en serait le roi glorieux.

C'est le témoignage du ciel. L'ange Gabriel annonce à Marie que le Fils de ses entrailles sera le Fils du Très-Haut et qu'il règnera sur la mai­son de Jacob éternellement.

C'est le témoignage de Notre-Seigneur lui-même et dans les circons­tances les plus sollennelles. En face du représentant de l'autorité impé­riale, le Sauveur répond à Pilate: tu l'as dit, c'est vrai; je suis roi.

Nous devons au Verbe de Dieu notre création et notre rédemption. Il est deux fois notre roi et il a sur nous les droits les plus absolus. Quels de­voirs nous impose cette royauté? Si nous voulons servir Jésus-Christ comme il doit être servi, il faut que nous lui soumettions en même temps notre intelligence, notre volonté et notre cœur.

Nous lui soumettrons notre esprit par une foi docile et confiante. Ce­lui qui n'a pas l'esprit de Jésus-Christ, dit saint Paul, ne peut pas appar­tenir à son royaume (Rom 8).

Nous lui soumettrons notre volonté en prenant les préceptes de son Evangile pour règle de notre conduite.

Enfin nous lui donnerons notre cœur. Il veut notre affection. Ce se­rait beaucoup déjà qu'il nous permît de la lui donner. Mais il y a plus. Il la sollicite, il la désire, il l'exige. Il demande nos cœurs, il nous fait une loi de la charité.

C'est cette royauté salutaire du Christ qui a relevé le monde païen de l'abîme où il était tombé. C'est elle qui lui a rendu la vérité dans la doc­trine, la pureté dans les mœurs, la justice dans les relations sociales.

C'est la restauration de cette royauté, par un retour complet aux en­seignements de Jésus-Christ et par la pratique de l'Evangile, qui est le seul remède aux maux de la société actuelle.

La question sociale. - Mgr l'évêque d'Autun nous donne cette an­née sa troisième instruction pastorale sur la question sociale. Il attache une telle importance à l'Encyclique de Léon XIII sur la condition des ouvriers, qu'il veut en faire le thème de ses instructions pendant plu­sieurs années. Il réfute cette année le socialisme, en nous donnant les vraies notions de la société, de la propriété et du travail.

«Plus que jamais, nous dit Mgr l'évêque d'Autun, c'est pour les ca­tholiques une obligation impérieuse de s'appliquer à l'étude de ces ques­tions, et d'y porter, avec la lumière de l'Evangile, toutes les ardeurs du zèle et de la charité».

Il nous rappelle d'abord ses enseignements de l'an passé sur la vraie notion de la société et sa constitution divine.

«Expliquer la formation de la société humaine sans Dieu, c'est-à-dire sans un législateur et un régulateur suprême ayant posé lui-même les as­sises d'un certain ordre qu'il ne serait pas loisible à ses créatures de rem­placer à leur gré par des combinaisons de leur choix: tel a été le principe néfaste d'où sont sortis depuis un siècle tant de systèmes divers et de si nombreuses tentatives de bouleversements sociaux».

C'est le paradoxe de Rousseau, qui n'est pas resté le simple jeu d'esprit d'un littérateur fantaisiste, mais qui est devenu la source des passions anarchistes qui mettent la société en péril.

Après avoir combattu ceux qui, dans leur conception de la société, mettent de côté toute intervention de Dieu, toute institution primordiale émanée de sa providentielle sagesse, Mgr l'évêque d'Autun répond à ceux qui s'attaquent au droit de propriété, et le dénoncent comme une injustice flagrante.

Le droit de propriété individuelle et héréditaire, dit-il, est une consé­quence de l'ordre établi de Dieu. Il découle de la nature. Il est comme une extension de la personnalité humaine et la conséquence directe de sa souve­raineté sur le monde matériel. Enfin, il se rattache par des liens très logi­ques à la loi du travail dont on ne peut nier que Dieu ne soit l'auteur.

L'humanité a pour mission d'occuper la terre, de la maîtriser, de la faire servir à l'accomplissement du plan divin qui est le développement de la famille humaine.

Pour accomplir cette mission, l'homme devra mettre en œuvre les ap­titudes naturelles dont il a été doué. Mais la propriété individuelle n'est-­elle pas l'attrait le plus puissant pour l'exercice de ces aptitudes et la ré­compense légitime en même temps que la condition nécessaire de leur bon emploi?

L'indivision des propriétés eût facilement amené une des trois consé­quences suivantes: ou la paresse coupable d'un certain nombre de mem­bres de la collectivité, se résolvant en surcroît de peine pour les autres ou en privations pour la communauté; ou une guerre de tous les instants, provoquée par les exigences injustes des plus forts parmi les coparta­geants, qui opprimeraient les plus faibles; ou enfin l'intervention perpé­tuelle de la puissance publique obligée de régir le domaine commun et d'assigner à chacun sa part proportionnellement à ses mérites et à ses be­soins.

Se représente-t-on l'Etat français chargé d'exploiter en régie par des fonctionnaires ses 528.000 kilomètres carrés et ses 38 millions d'habi­tants? Dans quels cerveaux a pu germer une pareille utopie?

Enfin la lettre pastorale insiste sur les relations du capital et du travail. L'un et l'autre ont leur place et leur fonctionnement légitime dans l'or­ganisation sociale. Ils doivent être des alliés et non des ennemis. L'un et l'autre ont des devoirs comme ils ont des droits. Leur entente basée sur la pratique de la justice et de la charité est la condition nécessaire de la paix sociale.

Ce sont les enseignements même du Souverain Pontife présentés avec une grande clarté et mis à la portée de tous les fidèles.

La vraie base de l'ordre social. - Sous ce titre, Mgr l'évêque de Tulle nous donne encore un écho de la grande voix de Léon XIII, com­me il a fait déjà l'an dernier.

La base de l'ordre social, c'est la religion. Toute l'antiquité l'a recon­nu: rois, peuples, philosophes et législateurs. Ils ont mêlé aux croyances primitives des erreurs religieuses, mais le principe général n'a pas même été mis en question. Tous les peuples ont rendu à Dieu un culte public d'adoration, d'action de grâces, d'expiation et de prière.

Ce sont là des rapports nécessaires entre le Père de la grande famille humaine et ses enfants. Les actes religieux des créatures sont la condi­tion des bénédictions célestes.

De plus l'accomplissement des préceptes divins, c'est-à-dire la prati­que de la vertu possède en soi une admirable puissance pour assurer le bien public. Et si cette religion a la perfection du catholicisme, elle pro­duit la civilisation chrétienne avec ses admirables développements.

La foi chrétienne nous offre les espérances consolantes et fortifiantes de la vie future.

Elle nous montre le Christ, notre divin modèle, prêchant aux grands l'humilité, la modération et la douceur et témoignant aux petits et aux humbles une tendre compassion et une prédilection marquée.

Elle atteint jusqu'aux sources de la vie morale. Elle ne se contente pas de sévir contre les délits extérieurs, comme font les lois humaines; elle purifie jusqu'à nos pensées et nos désirs.

Son culte et ses imposantes solennités entretiennent le patriotisme et la concorde. Ses prières, son divin sacrifice et ses sacrements agissent puis­samment sur les âmes pour les préserver du mal et les porter au bien. L'admirable ensemble de ses institutions charitables va au devant de tous les besoins et de toutes les misères.

Aussi tous les assauts livrès dans ce siècle à l'Eglise et à ses œuvres par l'impiété et les sectes maçonniques sont des crimes de lèse-patrie.

Après ces préliminaires, cette belle lettre pastorale se continue par une charge à fond contre la franc-maçonnerie et le judaïsme dont nous re­grettons d'amoindrir l'effet par une sèche analyse.

Comment expliquer l'explosion et les succès de la guerre à la religion dans notre France loyale et généreuse, qui est parfois légère ou indiffé­rente, mais qui répugne à toutes les intolérances, qui se passionne pour toutes les libertés et qui n'a certes point le tempérament sectaire? Il a fal­lu qu'un souffle étranger, mystérieux et puissant, vint envahir notre malheureuse patrie. Il a fallu qu'une société cosmopolite vint la prendre pour son champ d'expériences et lui imposer toutes ses volontés. Person­ne ne peut désormais s'y méprendre, c'est la franç-maçonnerie qui a créé de toutes pièces ce vaste mouvement d'hostilité contre notre foi chrétienne.

A Dieu ne plaise que nous ayons une animosité personnelle contre les francs-maçons, ni même contre les juifs leurs frères aînés, leurs soutiens et leurs maîtres ou coopérateurs dans ce qu'on peut appeler une conti­nuation du déicide. Les premiers nous sont chers à titre de compatriotes et de baptisés. Les autres ont été les dépositaires de la foi en Dieu et au Messie et les gardiens de la sainte Ecriture. Nous désirons leur conver­sion et leur salut aux uns et aux autres. Mais ils s'attaquent â notre foi et aux conditions vitales de la société civile elle-même, aussi nous faut-il, sous peine de périr, les démasquer et nous défendre contre eux.

La franc-maçonnerie a pu mettre la main sur l'autorité, l'influence et les fonctions publiques. Elle a pu demander aux candidats leur concours en leur promettant des situations avantageuses. C'est la tentation propo­sée à Notre-Seigneur par le démon: «Je te donnerai tout cela, si tu t'in­clines devant moi».

Maîtresse du pouvoir, elle a traqué l'Eglise dans toutes ses institutions et toutes ses œuvres. Bien des hommes publics seraient volontiers justes et honnêtes, mais la franc-maçonnerie ne désarme pas et les tient dans ses filets.

Quand cela finira-t-il? La France est divisée en deux camps. C'est une cause de faiblesse et de ruine.

La guerre faite à la religion a son contrecoup dans la vie sociale. Quand la justice et la charité s'affaiblissent, l'égoïsme et l'envie pren­nent le dessus. Les abus d'un côté engendrent la révolte de l'autre. Le flot du socialisme et de l'anarchie menace de submerger la patrie.

Toutes les institutions fondamentales sont ébranlées. La famille et l'éducation ont été sapées dans leur base. La presse est un instrument puissant de corruption. Les scandales se multiplient dans les grandes af­faires et dans la vie publique.

Quelques esprits plus loyaux et plus droits le comprennent et le pro­clament, il faut revenir à la religion si nous ne voulons pas périr. Mais ceux qui gouvernent ne le voient pas encore et on pourrait dire hélas! à ces aveugles, à cette France officielle, ce que le prophète disait au peuple de Dieu: «Voulez-vous donc absolument périr, ô maison d'Israël?» (Ezech. XVIII, 31).

La solution sociale. - Mgr l'archevêque d'Auch résume en quel­ques pages les données de la solution sociale.

Seul Notre-Seigneur Jésus-Christ peut offrir cette solution aux hom­mes de bonne volonté.

L'humanité a besoin de vérité, de justice, de paix, de charité, de pa­tience. Le Christ seul lui offre ces biens précieux.

La vérité! Nous entendons tous les jours l'aveu d'hommes loyaux qui avaient cru que la philosophie et la science nous donneraient une doctri­ne formelle et sûre capable de nous guider dans la vie pratique. Ils sont déçus et ils reconnaissent que l'Eglise seule a un corps de doctrines sur lequel on puisse baser la direction d'un peuple.

La justice! c'est un des principaux éléments de la paix et de la prospé­rité sociale. L'injustice torture la conscience de ceux qui la pratiquent et ruine ceux qui en sont victimes. Or, la religion chrétienne enseigne la justice dans ses moindres détails et donne la force de la pratiquer.

La paix! Elle résulte de la pureté de conscience, de l'union, du sup­port mutuel, de la charité. Ce sont là des biens que l'Eglise favorise par­dessus tout.

La charité qui secourt toutes les misères, la patience qui supporte tou­tes les épreuves, on sait que ce sont là les vertus chères aux chrétiens. Il est donc vrai que l'Evangile du Christ contient toutes les données de la solution sociale.

C'est un fait nouveau que le choix de ces sujets dans les lettres pasto­rales. C'est une préparation providentielle au règne du Sacré-Cœur.

II. FRANCE

Les peintres du Sacré-Cœur. - Voici une petite œuvre qui réveille de grandes pensées. C'est une modeste école des Beaux-Arts, qui s'élève à Montricoux (Tarn et Garonne) et qui reçoit les encouragements du Saint-Père par l'entremise du cardinal Rampolla. «Cette œuvre, dit l'éminent prélat, est destinée à exercer une salutaire influence. Elle con­courra à conserver à la peinture et aux arts qui s'y rattachent la dignité qui leur convient. Elle en fera des instruments propres à entretenir la piété et toutes les saintes dispositions de l'âme».

Nous en sommes donc là en France! Il faut aller à Montricoux pour trouver un embryon d'école d'art chrétien!

Pauvre Eglise de France! Qui donc prendra à cœur de décrire tes chaînes et ton esclavage?

Silvio Pellico a soulevé l'Europe en faveur de sa patrie et préparé sa li­bération.

O' Connel a préparé la résurrection de l'Irlande en décrivant ses souf­frances.

Miss Beecher-Stowe a su attendrir ses compatriotes sur le sort des esclaves noirs en écrivant son beau livre: La Case de l'oncle Tom.

Qui dira les servitudes de l'Eglise de France? On lui reproche de man­quer de vertu et de science et de n'être pas à la hauteur du progrès social. On a commencé par l'enchaîner, puis on lui demande de montrer sa va­leur et sa force.

Les Anglais aussi reprochent aux Irlandais de manquer de science et de savoir-faire.

O' Connel leur répondait: Comment voulez-vous que l'Irlande oppri­mée, pauvre, asservie, sans écoles, sans liberté, sans ressources ait pu montrer sa mesure?

L'Eglise de France aussi peut dire: Vous me reprochez d'être en des­sous de ma tâche. Mais voilà trois cents ans que ma source même est vi­ciée et que vous présidez à mon recrutement par suite des concordats im­posés par François ler à Léon X et par Napoléon à Pie VII. C'est vous qui nommez mes dignitaires.

Vous m'avez imposé en 1682 les servitudes gallicanes qui relâchaient mes liens avec Rome, la source de la vie.

Et depuis, cent ans, quelle liberté m'avez-vous laissée? Vous avez dé­truit mes fondations séculaires, volé mes bibliothèques, fermé mes mai­sons d'études. Vous m'avez empêché de reconstituer mon patrimoine et mes instruments de travail, vous avez entravé mon recrutement.

Vous avez pris toutes les ressources, toutes les chaires, tous les livres, toutes les écoles. Et vous avez dit, comme l'Anglais qui avait le pied sur le cou de l'Irlande: Voyez comme ils sont peu doctes et comme ils sont arriérés!

Vous avez pris aussi la maîtrise des beaux-arts. Vous n'avez pas mê­me donné une chaire à l'art chrétien dans votre école officielle. Qu'avez-vous donc produit sans nous? Où est le style de votre XIXe siècle! Il est à naître encore et comme vos œuvres sont chétives à côté de celles des siècles chrétiens.

Nous sommes encore sous le joug de toutes les servitudes. Cependant nous faisons des œuvres malgré vos droits d'accroissement. Nous ou­vrons des universités catholiques qui ne peuvent pas donner de grades et nous fondons une école des beaux-arts à Montricoux, en attendant mieux.

Donnez-nous donc la liberté et l'égalité et nous nous mesurerons avec vous et vous verrez alors ce que nous pouvons produire.

Vous avez manifestement peur de nous, puisque vous nous tenez en­chaînés. Cependant la vogue de vos mesures tyranniques est en baisse et nous espérons revoir des temps de liberté pour travailler à la gloire du Christ et à vos propres intérêts.

III. AUTRES PAYS

Angleterre. - Il y a tout une fermentation religieuse en Angleterre. Le progrès accompli lentement depuis soixante ans a été considérable. Il y avait en 1830, 500 prêtres catholiques en Angleterre, il y en a mainte­nant 3000. Il n'y avait plus de monastères, il y a maintenant 250 monas­tères d'hommes et 500 couvents de femmes. Il n'y avait plus de collèges, il y en a 40. Il y a 6 catholiques au Conseil privé de la reine, 34 à la Chambre des lords, 74 à la Chambre des communes. Un catholique est lord-maire; un autre est professeur à l'université de Cambridge et l'on n'avait pas vu cela depuis Jacques II.

Mais l'on peut espérer mieux encore. Les anglicans instruits et sincè­res pensent sérieusement à l'union avec l'Eglise romaine. Ils étudient les sources de leurs ordinations et de leur liturgie. La lumière se fera et les prières aidant nous verrons l'Eglise catholique faire prochainement de grands progrès dans l'ancienne île des Saints.

Chine et japon. - Une moisson se prépare en Asie pour l'Eglise ca­tholique. Déjà le japon nous est ouvert. Plusieurs églises y ont été cons­truites en ces derniers temps. En entrant à Yokahama, son port le plus fréquenté, on admire la belle église dédiée au Sacré-Cœur. L'église de Notre-Dame du japon domine la ville de Nangasaki. La foi fait au ja­pon des progrès rapides.

Le japon va nous ouvrir la Chine, où les missions étaient toujours su­jettes à une persécution tantôt sourde et tantôt sanglante.

Rendons grâce à la Providence qui prépare le règne du Christ sur les nations.

CHRONIQUE (Juin 1895)

C'est de Rome, que nous écrivons cette chronique.

Nous avons le bonheur de passer encore quelques jours en Italie, et c'est toujours avec une jouissance plus profonde. Revoir, même en pas­sant et rapidement, les lacs gracieux de l'Italie du Nord et le panorama si imposant des Alpes, Milan et sa cathédrale, Gênes et ses richesses artis­tiques, Florence et l'Ombrie, le désert de l'Alverne, Rome, son Pontife et ses sanctuaires, n'est-ce pas là une fête incomparable et une des meil­leures joies que puisse offrir le désert de cette pauvre vie où les oasis sont si rares?

Nous réservons quelques notes de ce voyage pour les lecteurs de la Re­vue. Aujourd'hui, nous leur parlerons du Saint-Père, de ses œuvres et de ses conseils et du mouvement social chrétien à Rome. Nous y ajoute­rons quelques vues rétrospectives sur les corporations et sur le règne so­cial du Christ.

Le Saint-Père. - C'est le 24 avril que nous avons eu le bonheur de le voir, à la suite de l'audience qu'il avait accordée à Mgr l'évêque de Soissons. Tous ceux qui ont eu la faveur de se trouver ainsi à ses genoux savent quelle impression profonde et surnaturelle on y éprouve. C'est le vicaire de Jésus-Christ, c'est le représentant de Dieu sur la terre. C'est le pontife suprême. C'est aussi le prisonnier du Vatican. Dans le cœur du chrétien qui est à ses pieds, les sentiments se heurtent avec une confusion qui augmente l'impression. C'est le respect, c'est l'amour, c'est la tris­tesse compatissante. Telle doit être l'émotion des saints dans leurs vi­sions, impression rapide, un peu vague et cependant si pleine qu'elle laisse aux réflexions de l'âme un aliment pour de longs jours.

Léon XIII porte vaillamment ses quatre-vingt-quatre ans. Voilà six fois que nous le voyons à divers intervalles depuis quinze ans, il n'a pas sensiblement changé. Le corps s'est un peu voûté, l'oreille est devenue moins délicate, mais l'intelligence est toujours aussi vive, la volonté aus­si ferme et le cœur aussi tendre. Ceux qui le disent affaibli sont les or­gueilleux qui ne veulent pas accepter sa direction. Ils ont intérêt à faire croire que Léon XIII n'a plus une entière indépendance de jugement. Ils ne tromperont pas ceux qui l'ont vu.

Ses vues et ses conseils. - Il poursuit toujours les grandes pensées qui ont dominé tout son pontificat. Cela éclate à chaque instant dans sa conversation. Il se préoccupe sans cesse du développement de la science chrétienne, de l'union de tous les peuples sous le sceptre du Christ et du règne de la justice et de la charité dans le monde du travail.

L'éducation chrétienne, la science chrétienne, avec quelle instance il les encourage et les favorise! Il voulut bien prendre intérêt à nos maisons d'éducation et nous recommander d'y faire régner la piété en même temps que le travail. Quelques jours après, il recevait Mgr d'Hulst et il s'informait des progrès et du développement de l'Université catholique de Paris, heureux de voir la science chrétienne tenir honorablement son rang à côté de la science indifférente ou impie. Ce sera la gloire des deux pontificats de Pie IX et de Léon XIII d'avoir relevé les hautes études. A Rome, sous l'impulsion de Léon XIII, les études supérieures se dévelop­pent chaque année. L'esprit de saint Anselme, de saint Thomas, de saint Bonaventure, de Suarez revit dans les grandes universités dirigées par les bénédictins, les dominicains, les franciscains, les jésuites. Le Saint­Père aide de ses deniers à la construction de la grande université béné­dictine qui s'achève sur le mont Aventin. Dans son zèle inépuisable pour les études, il envoie même sa souscription à notre chère Université de Lille. Ce sont là des œuvres qui n'ont pas un effet immédiat, mais elles préparent le renouvellement de la vie chrétienne dans les sociétés. Ne sont-ce pas les idées qui mènent le monde?

Pour ce qui est de l'union des peuples sous le sceptre du Christ, le zèle du Pape est aussi vaste que le monde. Il est toujours à se demander à quelle nation il va faire un nouvel appel pour la gagner à Jésus-Christ et à l'Eglise. Il exprimait à Mgr de Soissons sa joie de l'heureux effet pro­duit par sa lettre aux Anglais, qui est accueillie avec estime et sympathie par la presse protestante elle-même. Il nous révélait son projet de s'adresser encore bientôt à la France, à l'occasion du 15e centenaire de Tolbiac. Il s'occupe de créer au plus vite quelques missions nouvelles chez les japonais, qui deviennent prépondérants dans l'extrême Asie. Il prépare encore une encyclique aux Orientaux pour leur rappeler qu'avant le schisme de Photius ils étaient unanimes dans la foi aux pré­rogatives du siège de saint Pierre. Il n'a donc pas seulement de grandes et nobles pensées, mais il en poursuit l'accomplissement avec une perse­vérance infatigable, en profitant de toutes les circonstances que la divine Providence lui ménage.

Mais une pensée qui n'est pas moins vivante en son cœur, c'est celle du relèvement des travailleurs. Il accueille avec une affection toute spé­ciale tous ceux qui s'appliquent à réaliser le programme de son encycli­que sur la condition des ouvriers. M. Harmel lui est tout particulière­ment cher. C'est évidemment à ses yeux le type du dévouement aux ou­vriers. Il l'avait reçu quelques jours avant Pâques avec une véritable ten­dresse. Et comme nous lui rappelions que nos religieux étaient les aumô­niers de M. Harmel, il s'écria: «Oh! le bon Harmel! Nous l'avons vu, il y a quelque temps. Il est bien dévoué aux ouvriers. Ah! si toutes les usi­nes étaient comme la sienne! Il nous a fait de bonnes conférences à Ro­me. Il voudrait voir ici un journal catholique populaire. Nous y pensons aussi, nous le ferons». Comme un de nos religieux assistait à l'audience de M. Harmel, il lui avait dit: «Dites bien à votre père supérieur de faire beaucoup pour les ouvriers en France. Les autres œuvres sont bonnes aussi, mais celle-là est urgente, les ouvriers sont si malheureux! ». Peu de jours après nous, il recevait M. l'abbé Lemire, un grand ami des ou­vriers, comme M. Harmel. Il l'entretenait particulièrement de la ques­tion sociale, il lui témoignait une grande sympathie et l'encourageait à faire tout ce qu'il pouvait à la Chambre française pour les travailleurs.

Les vues et les désirs du Saint-Père sont donc bien manifestes. Son cœur d'apôtre s'inspire des désirs enflammés du Cœur de Jésus pour le règne de la vérité, de l'union et de la justice sociale.

Le mouvement social à Rome et en Italie. - Rome et l'Italie sont avides d'entrer dans le courant social chrétien. L'Italie du Nord surtout a des sociologues chrétiens qui ne le cèdent à ceux d'aucune autre na­tion. Le Milanais compte déjà deux cents banques de crédit populaire.

Rome a fondé quelques cercles et patronages. On sent à Rome dans le clergé un désir général de s'initier à ce qui se fait ailleurs. M. Harmel y a donné des conférences. On est allé l'entendre avec une avidité mêlée d'une profonde sympathie. M. Lemire aussi a parlé deux fois, il a eu sal­le comble et il a soulevé l'enthousiasme. Il est vrai qu'il s'est montré fort éloquent et qu'il exprime avec une grâce charmante et une bonté toute sacerdotale les sentiments les plus élevés et les plus généreux. Un extrait d'un journal romain, Il tempo, nous dira exactement l'impression pro­duite par ces conférences.

«Dans l'intervalle de quelques semaines, dit ce journal, nous avons entendu à Rome la voix autorisée de deux hommes qui, sur la grande question du jour, ont à juste titre la plus haute renommée de compéten­ce: M. Léon Harmel, le fondateur de l'admirable usine du Val-des-Bois, et M. l'abbé Lemire, le député qui se fait écouter à la Chambre française par les plus récalcitrants, surtout quand il parle de la question sociale, où il se montre si éclairé dans la théorie et si zélé dans la pratique».

«Il ne sera pas inutile pour nous, Romains, de nous sentir secoués par ces voix si vibrantes sous l'inspiration de la pensée et du cœur, nous qui passons pour des gens accommodants qui n'aiment pas la lutte et qui vo­lontiers se contentent de regarder passer les événements».

«Nous nous sentions humiliés pendant ces conférences en pensant aux nations où l'on combat. N'est-ce pas en effet notre faute à nous, ca­tholiques et prêtres italiens, si nous restons ainsi en arrière et renfermés dans nos sacristies, selon le vœu de nos ennemis? Pourquoi ne pas imiter nos frères de France, d'Amérique, d'Angleterre, d'Allemagne? Pour­quoi ne pas nous aguerrir et nous lancer dans la mêlée, nous aussi, au nom du Christ et sous sa bannière qui ne défaille pas?».

«Les paroles de l'abbé Lemire nous ont fait du bien, et nous vou­drions que sa voix ait été entendue jusque dans tous les presbytères d'Italie, pour rappeler aux prêtres qu'une mission divine et urgente les attend, dans ces temps nouveaux, non seulement à l'église, mais dehors, dans la vie sociale, dans le mouvement des cités, dans les ateliers des campagnes, partout où un homme vit et travaille. Elle aurait rappelé aux catholiques qu'ils doivent se montrer tels aussi comme citoyens et réclamer pour eux et pour tous, les droits civiques, qu'on ne peut refuser à personne dans ces temps où la liberté est reine».

Voilà de bonnes paroles. Nous assistons vraiment à la fin d'une héré­sie latente, l'athéisme social, qui régnait un peu partout depuis la renais­sance césarienne du XVIe siècle.

Choses de France. - L'immense majorité des catholiques de France a de suite compris la nécessité de résister par une attitude noble et digne aux injustices de nos lois maçonniques. Ne devons-nous pas comme saint Paul donner l'exemple des vertus civiques en réclamant fièrement nos droits de citoyens et en exigeant l'égalité devant l'impôt que nous promet la Constitution? Ne devons-nous pas comme saint Laurent refu­ser de donner au fisc les ressources qui appartiennent aux pauvres?

Nous le pensions, mais quelques-uns redoutaient que la diplomatie pontificale nous invitât à céder. Ceux-là n'avaient pas bien compris les directions de Rome. Le Saint-Père ne veut pas que nous unissions indis­solublement la religion aux formes contingentes du gouvernement. Ce serait affaiblir l'Eglise et la compromettre. C'est précisément pour nous permettre de lutter plus librement sur le terrain de nos libertés religieu­ses qu'il nous a engagés à ne pas nous solidariser avec des choses contin­gentes. Le faux départ de Mgr l'évêque de Beauvais n'a pas rencontré une seule approbation à Rome.

La ligne de conduite goûtée par le Saint-Siège, c'est celle qui a été tra­cée si magistralement par son Eminence le cardinal Langemeux. Nous ne payons pas, parce que nous avons pour nous la Constitution. Nous ne payons pas parce que nous ne pouvons pas, parce que ce serait le suici­de, parce que ce serait trahir l'intention de nos bienfaiteurs, qui nous ont donné ces ressources pour nos œuvres.

Ce n'est là d'ailleurs qu'un début. Nous devrons lutter souvent et longtemps encore pour reconquérir les libertés sociales que nous nous sommes laissés arracher une à une par la franc-maçonnerie régnante.

Les corporations d'autrefois. - Elles étaient nombreuses et puis­santes à Rome. Rome avait ses corps de marchands et ses communautés d'arts et métiers. Celles-ci prenaient le nom d'Universités. Elles avaient toutes leurs églises, leurs chapelains, leurs caisses de secours et de retrai­te. Elles formaient les principaux éléments de la vie communale, et leurs baillis ou jurés avaient tous un bureau au capitole pour y exercer la juri­diction réglée par les statuts. Les corporations et leurs jurés ont disparu, mais le souvenir de leur long règne est resté au Capitole, où on peut lire encore sur chacune des portes des noms comme ceux-ci: Université des maçons, des charpentiers, des forgerons, corporation des hôteliers, des marchands du marché Saint-Michel, etc.

Ce ne sont plus, hélas! que des souvenirs. Que de misères ces corpora­tions et confréries ont soulagées ou prévenues! que d'orphelins elles ont élevés! que de veuves et de vieillards elles ont soutenus! quelle impulsion puissante elles ont donné aux arts et métiers qui ont couvert l'Italie de chefs-d'œuvre!

Mais l'esprit d'association se réveille et les corporations renaîtront.

Témoignages historiques du règne social de Jésus-Christ. - Cette pensée me poursuivait pendant mon séjour à Rome. Au point de départ, je vois le règne de l'égoïsme humain, la force ou l'habileté divinisée par la faveur populaire. Autour du Forum s'étalent les ruines des temples de Jules César, d'Auguste, de Vespasien, de Trajan, d'Antonin et Fausti­ne. Rome asservie idolâtrait et divinisait ses tyrans.

Mais Auguste, inspiré par la Sibylle, avait pressenti la religion nou­velle et élevé sur le Capitole un autel à la Vierge qui devait enfanter. Titus, sans s'en douter, rendait témoignage à la prophétie du Christ en attestant sur son arc de triomphe la destruction de Jérusalem et de son temple.

Pierre est venu et il a fait du siège de Pudens, où s'épanouissait en brillantes ciselures l'histoire des divinités de l'Olympe, le siège pontifical du Vicaire de Jésus-Christ.

La noblesse romaine se convertit. La foi gagne le palais des Césars. Le Pape Alexandre, sous Adrien, gagne à la religion du Christ, disent ses Actes, une grande partie de l'aristocratie romaine: magnam parem nobiti­tatis romanae convertit (Brev. rom.). Les martyres Domitille, Euphémie et Cyrille sont filles ou nièces des empereurs Domitien, Dèce et Vespasien.

Avec Constantin, l'Eglise du Christ sort des catacombes. La croix est glorifiée. L'empereur fonde lui-même à Rome un grand nombre de ba­siliques, celles de Saint-Pierre, Saint-Paul, Saint Jean, Saint-Marc, Saint-Laurent, Sainte-Agnès, Saint-Clément, Sainte-Croix, etc.

Léon le Grand arrête Attila et le flot des barbares. Il consacre à saint Pierre le bronze de la statue de Jupiter.

Grégoire le Grand élève la statue de saint Michel au sommet du mau­solée d'Adrien et dédie au Christ plusieurs temples.

Pépin le Bref passe et adopte pour la patronne de la France, Pétronil­le, fille de saint Pierre.

Charlemagne vient visiter le successeur de saint Pierre. Il reçoit l'hos­pitalité au Latran. Il monte à genoux l'Escalier Saint. Il est couronné à Saint-Pierre. Il enrichit les basiliques et promet protection au Pape. Léon IV arrête les Sarrazins à Ostie.

La grande comtesse Mathilde lègue ses états au successeur de saint Pierre.

Dans la suite des temps, les colonnes de Trajan et de Marc-Aurèle re­çoivent les statues de saint Pierre et de saint Paul. Des obélisques autre­fois voués aux idoles portent vers le ciel la croix triomphante.

Le saint Empire Romain fondé par les Papes eux-mêmes réalisait l'empire du Christ sur tout le monde civilisé d'alors. Avec Henri IV d'Allemagne en 1077, avec Frédéric Barberousse en 1176, la puissance impériale un moment révoltée contre ses fondateurs venait demander son pardon à Canossa et à Venise.

Philippe IV d'Espagne et Henri IV de France méritaient par leurs gé­nérosités d'avoir leurs statues sous les portiques des basiliques de Sainte­Marie-Majeure et de Saint Jean de Latran, comme Constantin et Char­lemagne les ont à Saint-Pierre. Ce sont là de fidèles sergents du Christ et de la papauté.

Aujourd'hui encore la présence des ambassadeurs de toutes les puis­sances auprès du Pape affirme la royauté surnaturelle du Christ et de son Vicaire.

Je salue dans toutes ses manifestations la royauté du Christ et je lui rends l'hommage du plus humble de ses sujets.

CHRONIQUE (Juillet 1895)

I. LE REGNE SOCIAL DU SACRE-CŒUR

L'arme la plus puissante: la prière. - Le R. P. Monsabré le disait à Clermont: «La prière, c'est l'arme que redoute le plus l'ange révolté; c'est l'arme qui triomphera sûrement».

Nous pouvons dire avec vérité: Le Sacré-Cœur est de plus en plus ho­noré et prié. Nos légitimes espérances grandissent donc, malgré tous les obstacles et toutes les déceptions que nous rencontrons.

Montmartre est le centre de cette prière toujours croissante au Sacré­Cœur. Les pèlerinages de ce mois de juin ont été plus nombreux encore que les années précédentes. Et comme tous ces groupes prient avec fer­veur: pieux tertiaires, conférenciers de saint Vincent de Paul, mères chrétiennes, enfants de Marie, premiers communiants, tous rivalisent d'ardeur. C'est l'âme de la France qui parle au Cœur du bon Maître.

Ce n'est pas tout. Ce foyer envoie ses chauds rayons jusqu'aux extré­mités de la terre. Un grand nombre d'églises, nous voudrions dire toutes les églises du monde, s'unissent aux adorations de Montmartre. On en compte plus de 4.000 déjà, avec 115 approbations épiscopales pour cette union de prières.

Les adhésions les plus touchantes viennent des missions. Mgr le Vi­caire apostolique d'Athabaska (Amérique du Nord) écrit à ses prêtres: «Je vous envoie un acte de consécration que vous devrez réciter publi­quement dans la langue de vos chrétiens, devant le très saint Sacrement exposé, chaque année le jour de Noël. Nous entrerons ainsi pour notre humble part dans ce concert universel de réparations et de supplications au Sacré-Cœur de Jésus, qui a son centre à Montmartre».

Mgr Meurin, évêque de Port-Louis à l'île Maurice, Mgr l'évêque de Popayan en Colombie, les Vicaires apostoliques de Tahiti et du Zangue­bar, le Préfet apostolique du Ragputana aux Indes expriment les mêmes sentiments dans leurs adhésions publiées par le Bulletin de Montmartre.

Mgr le Vicaire apostolique de Tahïti se résume ainsi: «Faites beau­coup prier pour la mission de Tahïti, afin qu'elle reçoive un plus grand nombre d'ouvriers apostoliques et plus de ressources pour étendre le rè­gne de Dieu dans mes archipels. De notre côté, nous prierons pour la France afin que le Sacré-Cœur finisse par y établir son règne sur la so­ciété aussi bien que sur les familles».

Tant et de si bonnes prières pour le règne du Sacré-Cœur pourraient­elles être inefficaces?

Les ennemis: Lucifer. - Il y a encore d'innombrables naïfs, même chez les vrais catholiques, qui ne croient pas à l'alliance intime du sata­nisme et de la haute Maçonnerie. Les deux complices viennent cepen­dant d'être pris sur le fait. Les journaux nous l'ont appris. Les manda­taires du prince Borghèse visitant le palais loué à Lemmi, le pontife de la Maçonnerie universelle à Rome, ont pénétré, non sans frémir, dans le temple palladique ou satanique. Au fond de cette salle, tendue de soie noire et rouge, s'élève l'horrible image du Baphomet ou de Lucifer. De­vant elle une sorte d'autel ou de bûcher est destiné à la profanation sacri­lège des saintes hosties. Un trône où se manifeste l'infernal ennemi du Christ est entouré de sièges dorés destinés aux conseillers de son pontife Lemmi.

Grâce à Dieu, le palais Borghèse sera bientôt délivré de ces horreurs, mais la secte se propose de poser au 20 septembre la première pierre au temple central de la Franc-Maçonnerie. Nous doutons fort que l'argent soit assez abondant pour construire un monument qui puisse rivaliser avec les basiliques chrétiennes.

Les juifs et l'usure. - La question juive a été portée à la tribune. El­le est donc posée pratiquement. La bonne cause a obtenu deux cents voix, c'est énorme pour cette Chambre dont tant de membres sont les clients des juifs.

Les discours prononcés à la Chambre confirment et complètent les renseignements que nous avons donnés sur l'invasion juive. Nous avons neuf préfets et vingt sous-préfets israélites. Ils sont dix conseillers à la Cour d'Appel de Paris, huit inspecteurs généraux des ponts et chaus­sées, neuf conseillers d'Etat. Ils remplissent les ministères. Ils sont 11 au ministère de l'agriculture parmi les hauts fonctionnaires, 21 à la direc­tion des Postes et télégraphes, 27 au ministère des finances, 30 aux tra­vaux publics, 35 à l'instruction publique.

Dans la banque et le haut commerce, on reconnaît en eux ces disciples de Mammon que stigmatisait à Clermont le R. P. Monsabré:

«Les pontifes de Mammon, disait-il, ce sont les spéculateurs aux des­seins hardis, à la conscience cautérisée, aux entrailles impitoyables, qui dévorent par le mensonge et l'injustice l'épargne des petites gens et se taillent dans l'avoir de tous, par des vols gigantesques qu'on appelle des affaires, des fortunes scandaleuses; avec lesquelles ils achètent, à leur profit les consciences et les votes des hommes d'Etat et deviennent maî­tres des destinées d'un pays.

Les complices de ces pontifes ou les adorateurs de Mammon, ce sont les misérables qui se vendent sans vergogne et savent organiser la cons­piration du silence autour de leurs lâchetés et de leurs trahisons; ce sont les cupides qui veulent avoir vite, beaucoup et par tous les moyens, pour jouir à outrance; ce sont les prétendus honnêtes gens qui, perdant à la longue la sainte horreur de l'iniquité, fréquentent les pontifes de l'ar­gent, se glissent dans leur intimité, recherchent l'union de leurs enfants sans se demander d'où vient leur prospérité.

- Et l'éloquent orateur ajoutait: «Les victimes de Mammon, ce sont ces légions d'hommes, de femmes et d'enfants dont on exploite les forces et le travail, sans souci de leur âme, de leur éternel avenir: gens de peine et de misère qui, pouvant à peine suffire aux besoins de l'heure présente sont incapables de songer au lendemain et de se garantir des ressources contre la vieillesse, les maladies et les infirmités.

«Destinés à être mis un jour au rebut comme des instruments inutiles, sans savoir ce qu'il adviendra d'eux et de leurs familles, ils vivent dans la compagnie de femmes qui, partageant leur labeur n'ont ni le temps ni la force d'être épouses et mères comme elles devraient l'être. Ils voient leur maison se peupler d'enfants rachitiques et mal soignés de corps et d'âme, et ils ne peuvent jouir d'aucune intimité familiale qui les repose et les console. Ils oublient, dans l'écrasement d'une fatigue sans relâche, leurs plus saints et plus chers intérêts. Les malheureux! ils sont sans dé­fense contre l'oppression, sans avenir, sans foyer et sans Dieu».

Le socialisme et l'anarchie. - Le socialisme grandit toujours. Ses progrès sont rapides, étonnants, effrayants: il paraît être à la veille du triomphe.

Les journaux ont donné la statistique de son accroissement en Allema­gne, d'après le nombre des voix obtenues par ses candidats aux élec­tions. En voici le tableau, c'est à retenir:

1871124.655
1874351.952
1877493.288
1884549.990
18901.427.298
18931.786.738

La progression est la même en France, en Angleterre, en Italie, en Belgique. L'Eglise seule avec sa force morale et sa puissante organisa­tion peut tenir tête à un pareil orage.

L'anarchie était assoupie depuis les lois sévères votées l'année derniè­re. Tous ses journaux incendiaires avaient cessé de paraître. Ils jugent le moment opportun pour entamer une nouvelle campagne sous le faible ministère qui nous gouverne. La Révolte et le P. Peinard, les journaux de Reclus, de Jean Grave, de Kropotkine et de Pouget reparaissent sous des noms nouveaux. Les actes ne tarderont pas à manifester l'effet de cette nouvelle propagande.

II. FRANCE

Les lois fiscales et la résistance. - L'unanimité se fait dans l'épis­copat. Les religieux se tiendront sur le terrain constitutionnel. Ils récla­meront l'égalité devant l'impôt. Ce ne sont pas eux qui seront les révolu­tionnaires, ce sont les auteurs des lois de persécution. L'adresse envoyée au Saint-Père par les deux cardinaux, les six archevêques et les trente­quatre évêques réunis naguère à Clermont donne le véritable écho des sentiments de la France catholique. Les religieux opposeront aux persé­cuteurs une attitude noble et digne.

La criminalité. - Nous avons déjà signalé ici et dans notre Manuel social l'accroissement de la criminalité, comme conséquence de l'éduca­tion sans Dieu. La statistique continue à justifier nos prévisions. Le nombre des prévenus déférés aux tribunaux correctionnels est en cons­tante progression. De 199.000 en 1880, il est monté à 248.000 en 1892.

Un phénomène non moins inquiétant, c'est l'augmentation du chiffre des prévenus mineurs de seize à vingt et un ans. Leur nombre s'est élevé de 26.200 à 32.400.

Cet accroissement va de pair avec l'augmentation des suicides chez les jeunes gens du même âge. Leur nombre s'est élevé de 267 à 475 dans le même espace de 12 ans.

Les populations agricoles sont moins atteintes par cette épidémie du crime. Les départements qui ont le plus d'industrie sont aussi ceux qui ont le plus de criminels. Il importe donc de prendre des mesures pour ar­rêter la dépopulation des campagnes et pour remédier à la mauvaise or­ganisation du travail industriel, comme nous l'avons indiqué dans notre Manuel social.

III. AUTRES PAYS

Belgique. - Une église du Sacré-Cœur: mouvement social. - Une nouvelle paroisse dédiée au Sacré-Cœur: va se fonder à Bruxelles dans le quartier de Schaerbeek. La plupart des paroisses qui se fondent de notre temps prennent ce vocable si plein de promesses. Les bienfai­teurs ne manqueront pas. Bruxelles voudra avoir une église du Sacré­Cœur digne d'une grande ville catholique.

La Belgique nous devance beaucoup pour les œuvres sociales. Toutes les provinces se couvrent de syndicats, de caisses de crédit et d'associa­tions diverses.

M. Beernaert est venu récemment nous donner sous la forme gracieu­se d'un toast une véritable profession de foi sur la question sociale à la réunion de la société d'économie sociale de Paris.

Il nous a rappelé les temps si prospères de la vie communale en Belgi­que et l'époque de sa splendeur commerciale et artistique au XIVe et au XVe siècles: Les fondations du moyen-âge avaient persévéré en grande partie jusqu'à la Révolution.

«Mirabeau, dit M. Beernaert, en passant par Liège sous le règne du dernier prince-évêque, était surpris de ces institutions si libérales, et c'est lui qui le premier a prononcé cette vérité, depuis plus d'une fois répétée, que pour faire le tour du monde, la liberté n'avait pas besoin de passer par la Belgique. Nous avions une bonne justice; nous avions une bonne aristo­cratie sans morgue. Nous nous gouvernions nous-mêmes et à bon marché. Nous avions d'excellentes institutions professionnelles, et les services de la bienfaisance se trouvaient largement assurés grâce aux trésors accumulés par la charité des siècles… Tout cela a disparu. La lourde centralisation s'empara de toutes choses et même de toutes les caisses…».

Et M. Beernaert constate, comme nous l'avons fait souvent, qu'il faut retourner en arrière, jusqu'aux siècles chrétiens, pour retrouver la voie du progrès.

- Il y a une division fâcheuse et pénible en Belgique entre conserva­teurs et démocrates chrétiens. Le Saint-Père recommande l'union sur la base de l'Encyclique, et la courtoisie dans les discussions.

M. Arthur Verhaegen, de Gand, soutient l'organisation démocrati­que, mais il le fait avec sagesse et prudence. «Le mouvement d'émanci­pation ouvrière, dit-il avec raison, ne peut pas être arrêté. Il jaillit des entrailles mêmes de la situation. Il résulte de l'évolution industrielle qui s'est accomplie. Il se fera contre nous, si nous ne savons pas en prendre la tête. Reconnaissons ce que ce mouvement a de juste, si nous voulons avoir le droit de nous faire écouter quand nous dénoncerons ce qu'il a de périlleux.

«Est-on fondé à craindre qu'il ne sortira rien de raisonnable de l'orga­nisation ouvrière? Non, les ouvriers chrétiens ont fait preuve dans leurs réunions de tact et de mesure, là surtout où ils s'appuient sur des œuvres et des institutions solidement chrétiennes».

Allemagne: paganisme et criminalité. - Le neopaganisme fait à Berlin de désolants progrès. En 1894, 4.000 enfants sont morts sans bap­tême dans les paroisses protestantes. Ces paroisses ont compté seulement 10.000 enterrements religieux sur 25.000 décès, c'est seulement 40%. Les communions ont été seulement au nombre de 200.000 sur un mil­lion et demi d'habitants.

La criminalité augmente avec la diminution de la foi chrétienne. La criminalité de la jeunesse en particulier a pris des proportions effrayan­tes.

En 1882, on comptait 330.000 personnes condamnées devant les tri­bunaux de l'empire. En 1892, il y en eut 422.000. Dans ces chiffres figu­rent 30.000 personnes âgées de moins de dix-huit ans en 1882, et 46.000 en 1892. Il y avait en 1882, 10.000 criminels au-dessous de quinze ans; ils étaient 16.000 en 1892. La progression est surtout saillante au duché de Bade où le Kulturkampf a sévi rigoureusement. Les condamnés au­dessous de dix-huit ans étaient au nombre de 1.053 en 1882; 1273 en 1887; et 1483 en 1892. - Que Dieu nous délivre de l'éducation sans Dieu!

CHRONIQUE (Août 1895)

I. LE REGNE SOCIAL DU SACRE-CŒUR

Le Sacré-Cœur et Gethsémani. - Quelle belle pensée d'élever un sanctuaire international au Sacré-Cœur de Jésus là où Notre-Seigneur a prié pour nous, là où son cœur a été tellement brisé par le souvenir de nos péchés qu'il a répandu son sang à flots dans une longue agonie!

Une revue a été fondée et des comités s'organisent pour propager cet­te idée. La souscription s'ouvrira plus tard.

Les encouragements les plus bienveillants ont été envoyés par le saint Père aux promoteurs de l'œuvre.

Le cardinal Rampolla leur écrit: «Il m'est doux de vous assurer que cette idée a été extrêmement agréable au cœur du saint Père, non seule­ment pour l'honneur qu'on veut rendre à l'un des principaux lieux con­sacrés par les souffrances du Sauveur, mais aussi par la destination qu'aurait la nouvelle église en devenant un centre de prière universelle et perpétuelle offerte, en union avec la prière de Jésus-Christ agonisant, par des représentants de toutes les contrées du monde.

«A cela vient s'ajouter que le temple à élever devrait être commun tant aux catholiques du rite latin qu'à ceux des rites orientaux, et former de cette manière un nouveau lien entre les deux Eglises. Sa Sainteté ne peut pas voir sans complaisance ce nouveau moyen utile à un si grand dessein. C'est pourquoi l'auguste Pontife loue et encourage hautement votre zèle et excite les fidèles à concourir à une œuvre aussi noble».

Le Sacré-Cœur de Jésus a déjà bien des sanctuaires. Ceux de Mont­martre, de Rome, d'Anvers sont des temples votifs et nationaux. Celui de Jérusalem réunira dans la prière des représentants du monde entier auprès des vénérables oliviers sous lesquels Notre-Seigneur a prié pour nous et a exprimé dans le Fiat de son agonie le suprême effort de son amour.

Montmartre. - La prière est maintenant bien assidue à Montmar­tre. Les pèlerinages du mois de juin ont été incessants. Mais le plus beau jour du mois a été le jour de clôture, le 30 juin. Il y avait là 4.000 hom­mes représentant l'industrie et le commerce. La plupart ont fait la sainte communion.

C'est un réveil. L'industrie et le commerce ont assez longtemps adoré le veau d'or et pris pour unique règle l'égoisme et l'intérêt. Ils viennent aujourd'hui faire amende honorable au Sacré-Cœur et entendre exposer les prescriptions de la justice et de la charité. C'est ainsi que le Sacré­Cœur de Jésus gagne peu a peu les âmes et en forme des bataillons sa­crés qui contribueront à établir son règne.

Réparation. - Les sacrilèges publics ne se comptent plus. Partout les tabernacles sont violés, les saintes hosties sont profanées. Nos évê­ques sont obligés d'ordonner que la sainte Réserve soit conservée dans des coffres-forts.

Ce n'est pas tout, il n'y pas à redouter pour l'Hostie du tabernacle que les voleurs de grand chemin. Une des dignitaires de la haute maçonnerie luciférienne, Diana Vaughan, revenue à des sentiments meilleurs, nous révèle les pratiques horribles de ce culte infernal qu'on appelle le Palladisme.

En France seulement, nous dit-elle, le recensement officiel de 1893 re­latait 162 triangles ou loges palladiques. L'effectif des Sœurs du Palla­dium varie de 20 à 50 par triangle. Il y a 6000 Sœurs palladiques, en comptant les deux degrés de la secte. Les Chevalières Elues et les Maîtresses Templières sont plus de 300. «Voyez, ajoute Diana Vau­ghan, l'abominable moisson d'hosties, récoltées par 300 femmes allant communier chacune dans deux ou trois paroisses aux jours de fêtes de l'Eglise!».

Jadis, pour un seul sacrilège, tout le monde chrétien était en émoi. On élevait une église réparatrice, comme on fit à Paris pour le sacrilège de la rue des Billettes. Souvent toute la chrétienté y contribuait, comme il arriva à Bruxelles où tous les princes d'Europe concoururent à élever une splendi­de chapelle du Saint-Sacrement après le scandale de la rue des Sols.

Aujourd'hui, on ne peut plus attendre cela de nos gouvernements ni le demander à nos populations indifferentes. Mais le Sacré-Cœur de Jésus suscite des réparations intimes. De pieux sanctuaires se multiplient dans lesquels le Saint-Sacrement de l'autel est toujours entouré d'une garde d'honneur.

Donnons notre nom à la Communion réparatrice et soyons assidus aux pieuses pratiques du mois de juin et du 1er vendredi du mois. Le Sacré-Cœur de Jésus cherche des consolateurs et des cœurs compatis­sants.

II. FRANCE

Réveil religieux: les processions. - C'est un événement. Les ca­tholiques de France se ressaisissent, ils commencent à réclamer leurs droits et leur place au soleil. Cela paraît peu de chose, quelques proces­sions qui sont sorties au mépris des arrêtés municipaux. Mais c'est con­sidérable si l'on songe qu'il n'y a que le premier pas qui coûte, si l'on considère combien le respect humain est puissant en France et combien nous avons perdu toute habitude de liberté politique et d'action sociale.

D'ailleurs ces actes de caractère sont une résultante. C'est le fruit de la propagande sociale chrétienne qui est commencée depuis quelques an­nées. C'est le fruit des enseignements du Pape qui nous a dit: Acceptez le gouvernement établi, mais réclamez vos droits. C'est aussi le résultat de l'exemple. Nous avons vu à l'œuvre les catholiques allemands et bel­ges; nous avons entendu des évêques américains nous rappeler qu'on a les libertés qu'on mérite. Ce qui est commencé se développera et nous reconquerrons nos libertés.

L'impôt d'abonnement. - Les communautés religieuses paient dé­jà, outre le droit de main-morte, un impôt sur des revenus présumés et fictifs. On leur ajoute un impôt d'abonnement. C'est une confiscation déguisée et une manœuvre maçonnique pour conduire rapidement les communautés à leur ruine. Là encore il faudra montrer du caractère. Les religieux doivent aux séculiers l'exemple du devoir civique. Il faut qu'ils sachent dire comme saint Paul: Nous sommes citoyens et nous re­vendiquons l'égalité devant la loi. Si saint Paul n'avait pas réclamé son droit, il ne serait pas venu à Rome développer la fondation de saint Pier­re, il n'aurait pas été martyr et il n'aurait pas pour attribut l'épée qui symbolise sa vaillance.

Saint Paul, parmi les apôtres, représente la vie religieuse comme saint Pierre représente la hiérarchie séculière. Les religieux imiteront saint Paul et sa vaillance. Ils donneront l'exemple qu'ils doivent donner et ils ne capituleront pas.

Les œuvres sociales. - Ces œuvres se développent et il est grand temps. Si les catholiques s'endorment, ils seront débordés par le socialis­me. Les syndicats agricoles et les caisses rurales de crédit s'organisent par l'initiative des curés. Dans certains diocèses le progrès est rapide.

L'œuvre des Cercles, qui a eu tant de part dans le développement du mouvement social chrétien, élargit ses cadres. Au dernier congrès, elle a adopté comme siennes les œuvres nouvelles, les syndicats, les cercles d'études, les congrès ouvriers. Elle fait de notre Manuel social son guide classique. Elle trouvera dans ces œuvres une nouvelle vie et une nouvel­le fécondité.

Les congrès de propagande de la Croix se multiplient partout. Le plus souvent aussi on y traite des œuvres sociales. Décidément l'esprit corpo­ratif chrétien renaît en France. Ce sera le salut.

Réunions d'études. - C'est là que se préparent les chefs et les états­majors.

Une réunion se tient en ce moment à Paray-le-Monial au Musée ou Palais Eucharistique. Elle a pour objet l'étude des fastes eucharistiques et du règne du Sacré-Cœur. Elle est encouragée et bénie par Mgr l'évê­que d'Autun. Nous en rendrons compte en notre prochain numéro.

Une autre réunion importante va se tenir à Saint-Quentin au mois de septembre. Nous publions le programme dans ce numéro.

Puissent ces réunions former de nombreux et vaillants chevaliers du règne du Sacré-Cœur de Jésus!

III. AUTRES PAYS

Les missions. - Malgré ses défaillances, le XIXe siècle a été un des plus féconds pour le développement de l'apostolat chrétien et pour l'ex­tension du règne de Jésus-Christ.

En Europe d'abord: au lieu de six millions de fidèles qu'elle avait au commencement du siècle, l'Allemagne du Nord en compte aujourd'hui treize.

En Suisse, les catholiques, qui formaient à peine le tiers de la popula­tion en 1850 en constituent maintenant les deux cinquièmes.

En Danemark, les catholiques ne comptaient que 300 fidèles en 1850, ils en ont aujord'hui 4000.

En Hollande, le chiffre de la communauté catholique s'est élevé dans ce siècle de 350.000 à 1.500.000.

L'Angleterre et l'Ecosse n'avaient que 120.000 catholiques, elles en ont aujourd'hui 1.700.000.

Dans les Balkans, les Bulgares unis sont montés de 250.000 à 650.000. En Amérique: toutes les missions réunies ne comptaient pas plus de 400.000 catholiques au commencement du siècle, aujourd'hui, le Cana­da en a deux millions. Les Etats-Unis n'avaient, il y a cent ans, qu'un évêque et 40.000 catholiques. Ils montrent aujourd'hui avec orgueil leurs 83 évêques, leurs 7000 prêtres et leurs 8 millions de catholiques. En Asie: l'Indie en 1830 ne comptait que 475.000 fidèles sous la garde des prêtres portugais de Goa; aujourd'hui, elle compte 26 évêques rési­dents, 645 missionnaires, 1400 prêtres indigènes, 3000 Frères et Sœurs, européens et indigènes et 1.700.000 catholiques.

L'Indo-Chine compte 650.000 fidèles au lieu de 200.000 qu'elle pos­sédait. La Chine avait 200.000 chrétiens, elle en a 600. 000. Le japon en compte 50.000.

L'Afrique n'a pas donné à l'Eglise de moins riches moissons que l'Asie. L'Eglise ne possédait là que quelques milliers de captifs dans les bagnes d'Alger, de Tunis et du Maroc. La province d'Alger compte au­jourd'hui 500 prêtres et 400.000 fidèles. L'archevêché de Carthage en compte 287.000. L'Egypte a 80.000 catholiques. Les missions du Séné­gal, de la Guinée et du Congo en ont 40.000; la colonie du Cap, 25.000, et Madagascar, 100.000.

En Océanie l'Australie a maintenant deux provinces ecclésiastiques et 600.000 fidèles. Les autres missions d'Océanie en comptent 100.000. Nous le répétons, il n'y a guère dans l'histoire d'époque où l'esprit apostolique se soit montré plus ardent et plus conquérant. C'est le Sacré­Cœur de Jésus qui allume et entretient ce feu sacré.

L'Eglise Copte. - Il y a un mouvement marqué de retour vers l'unité dans l'Eglise Copte. Les Coptes chrétiens sont seulement quel­ques centaines de mille en Egypte et quatre millions en Abyssinie. Les premiers siècles de cette Eglise d'Egypte ont été bien glorieux. Elle a été fondée par saint Marc. Elle a donné au monde entier et par les ascètes de la Thébaïde et du désert. Elle a eu des patriarches comme saint Athanase et saint Cyrille, des martyrs comme sainte Catherine. Puis le schisme est venu et après lui l'oppression musulmane.

Léon XIII vient d'adresser un appel touchant à ces frères séparés et cet appel est bien accueilli par les Coptes d'Egypte. Nos lecteurs prieront à cette intention.

Londres. - La première pierre de la nouvelle cathédrale de West­minster a été posée solennellement le 29 juin par le cardinal Vaughan devant une assistance nombreuse et profondément émue.

Les ressources viendront. Le duc de Norfolk a souscrit pour 250.000 francs; un autre pour 300.000. Vingt sept bienfaiteurs insignes ont don­né chacun 25.000 frs.

L'édifice sera de style byzantin. L'architecte s'est inspiré des églises de saint Marc de Venise, de saint Ambroise de Milan et de saint Vital de Ravenne.

La nef aura trente mètres de hauteur. Le monument sera digne de la noble église d'Angleterre. On espère qu'il sera achevé dans deux ans pour les fêtes du treizième centenaire de l'arrivée de saint Augustin en Angleterre.

Berlin. - Il n'y avait en 1889 que cinq paroisses catholiques à Ber­lin. Dans ces cinq dernières années, on a pu en créer huit nouvelles. Il y a de plus deux chapelles de secours et deux autres églises vont encore être construites. Dans un an, Berlin comptera dix-sept paroisses catholi­ques.

Les catholiques allemands ont depuis quelques années un entrain ad­mirable. Ils savent vouloir et agir. Faisons en sorte de mériter les mêmes éloges. C'est au centre de la France que le Sacré-Cœur de Jésus est venu allumer le feu de son amour. Ne nous laissons pas devancer dans la fer­veur et le zèle que doit inspirer le Sacré-Cœur du bon Maître.

CHRONIQUE (Septembre 1895)

LE REGNE SOCIAL DU SACRE-CŒUR

Paray-le-Monial: Conférences annuelles de l'Institut des fastes eucharistiques. - C'est du 10 au 12 juillet que se tiennent chaque an­née ces conférences, dans le palais que M. le baron de Sarachaga a con­sacré au Musée eucharistique.

Ces réunions furent brillantes cette année. Mgr l'évêque d'Autun a bien voulu les encourager et les bénir. Le clergé et la société la plus choi­sie de la ville et d'assez nombreux pèlerins y assistaient.

La réunion exprima ses regrets de la perte de son ancien président, le R. P. Delaporte, un vaillant champion du règne du Sacré-Cœur, puis elle installe son nouveau président.

Parmi les travaux intéressants qui ont été lus pendant ces trois jours, nous en signalerons quatre en particulier: une étude historique sur les temples-palais de l'antiquité par M. le comte d'Alcantara; une thèse philosophique et théologique du R. P. Ray, sur les sacrifices offerts à Dieu au nom des peuples et des cités; un travail de M. le baron de Mari­court sur Paray à l'époque préhistorique et celtique; un compte-rendu de M. le baron de Sarachaga sur les progrès de l'hommage social au Sacré-Cœur.

Les deux études si remarquables de M. le comte d'Alcantara et du R. P. Ray avaient toutes deux pour but de prouver par la raison et par l'his­toire la nécessité d'un culte social.

Les nations sont des personnes morales, des êtres collectifs voulus par Dieu. Elles doivent reconnaître le domaine et la royauté suprême de Dieu. Elles doivent l'invoquer dans leurs besoins, l'apaiser après leurs fautes.

Le culte doit être public. Sa forme la plus simple est la prière, mais la des­truction d'un objet qui appartienne à l'homme et qui lui soit substitué expri­me mieux la toute-puissance de Dieu et la culpabilité des hommes.

Le sacrifice est le droit naturel. Sa forme a été déterminée, au moins dans ses grandes lignes, par la tradition primitive. Adam en enseigne les rites à Caïn et Abel.

La règle des sacrifices se transmit à toute la terre par Noé et ses fils. Les chefs de familles et les chefs des tribus et des états exerçaient d'abord le sacerdoce. Ainsi faisaient Melchisédec et Abraham en Orient, Numa en Occident. Dieu institua un sacerdoce spécial pour son peuple et par la suite tous les peuples firent de même. Mais le sacerdoce et le pouvoir so­cial pouvaient être réunis de nouveau. Les Machabées étaient prêtres et princes du peuple. Les empereurs romains se firent souverains pontifes.

Nous voyons partout dans l'histoire des sacrifices offerts pour le peu­ple et en son nom.

Chez les Israélites, il y a les sacrifices quotidiens; il y a aussi des sacri­fices exceptionnels dans les circonstances les plus graves et notamment en cas de guerre.

Homère et Virgile nous montrent leurs peuples priant sans cesse et re­courant sans cesse aux sacrifices.

Ouvrez l'Iliade au chant IX. Quelle étonnante analogie avec les sacri­fices de l'Ancienne loi!

Ulysse et Ajax vont prier Achille de reprendre les armes. «Les héros suivent le rivage de la mer et prient ardemment Neptune». Achille, en les accueillant, offre un sacrifice aux dieux pour que leurs négociantions soient bénies. «Achille dresse à la lueur du foyer un large billot, où il étend le dos d'une brebis et celui d'une chèvre grasse… Il les découpe, il répand sur les chairs le sel sacré… Quand les chairs sont rôties, Achille ordonne à son jeune ami Patrocle de sacrifier aux dieux. Celui-ci jette dans le foyer les prémices…».

Dans l'Odyssée, Télémaque invoque tour à tour Jupiter et Minerve. Quand il a levé l'ancre, les rameurs, debout, levant leurs coupes, offrent des libations aux dieux.

A Pylos (au chant III), Télémaque trouve Nestor et son peuple occu­pés à offrir un sacrifice public à Neptune sur le rivage. Le peuple est ran­gé sur neuf gradins, à cinq cents hommes par gradin. Chacun de ces groupes immole neuf taureaux sans tache. Ils brûlent sur l'autel la part du dieu et communient aux victimes.

Plus loin, Homère décrit tous les rites d'un sacrifice offert par Télé­maque à Minerve.

Nestor est là avec ses fils et ses filles. Des serviteurs présentent l'ai­guière du lavabo, le vase à recueillir le sang, la corbeille d'orge sacrée.

L'orfevre orne avec art les cornes de la victime. Nestor prie longuement, pendant que la part de la déesse est consumée par les flammes.

Le pieux Virgile fait aussi prier sans cesse ses héros. Il nous décrit le sacrifice qu'Enée offre devant le temple d'Apollon à Cumes.

C'était de même chez tous les peuples. Nos druides immolaient leurs génisses sur ces grands autels de pierre qu'on retrouve encore çà et là1). Une rigole, tracée sur la pierre, recueillait le sang qui était offert à Dieu.

Partout les sacrifices étaient offerts au nom du peuple et pour le peu­ple. Le droit naturel et le droit des gens l'exigeaient aussi bien que la re­ligion révélée.

Et après cet exposé, le P. Ray concluait avec raison que les nations chrétiennes doivent prier comme nations et offrir à Dieu, par le sacerdo­ce nouveau, le sacrifice eucharistique. La France l'oublie, et le Sacré-­Cœur de Jésus veut l'y ramener pour lui rendre ses bénédictions tradi­tionnelles et en ajouter de nouvelles.

M. le comte d'Alcantara confirmait les traditions et la nécessité du culte social en nous parlant des temples-palais de l'antiquité. L'expression de temple-palais n'est pas de nous, elle est classique2). C'étaient de grands sanctuaires où un dieu exerçait vraiment la suprême autorité nationale, car pour être obéis, les chefs de la nation avaient be­soin d'être d'accord avec le dieu représenté par ses prêtres et ses oracles. Chez les païens, d'autres dieux faisaient cortège au dieu suzerain et trouvaient l'hospitalité pour leurs temples ou leurs statues dans le parvis sacré (hiéron ou téménos), où s'élevait le temple majeur du dieu souve­rain avec de somptueux édifices remplis d'offrandes précieuses.

Il en était ainsi à l'acropole d'Athènes pour le culte de Minerve; à Del­phes, à Délos, à Amyclée, à Cumes pour celui d'Apollon; à Olympie, à Pergame, au capitole de Rome pour celui de Jupiter; à Epidaure et à Carthage pour celui d'Esculape.

Le temple de Jérusalem n'était-il pas un temple-palais, d'où le Dieu du ciel régnait sur son peuple?

Saint-Pierre de Rome, Sainte-Sophie de Constantinople sous le bas­empire, Saint-Marc à Venise et d'autres sanctuaires nationaux ont rem­placé pour les peuples chrétiens les anciens temples palais. Notre­Seigneur exerce son règne social dans ces temples nationaux. Il a une double souveraineté: la royauté spirituelle qu'il exerce par son action spirituelle dans les âmes, par l'Eucharistie et les autres sacrements et par le ministère de l'Eglise; la royauté temporelle qu'il exerce sur les princes et les peuples chrétiens par les lois évangéliques, par la direction de l'Eglise, mais aussi par l'Eucharistie et spécialement dans ces temples nationaux, où les princes et les peuples doivent adorer Notre-Seigneur, le consulter et le prier. Ce règne social du Christ n'est pas douteux. Bien des fois l'Ecriture sainte nous dit que Dieu a donné à son Christ les na­tions en héritage et qu'il lui a confié la royauté suprême: Principatus super humerum ejus.

M. le comte d'Alcantara nous faisait remarquer avec raison que ce rè­gne social et universel de la divinité pouvait être appelé avec raison le rè­gne de l'Agneau.

Ce nom d'Agneau est devenu le nom principal du Christ, depuis qu'il a voulu se faire victime pour nous. Saint Jean, dans l'apocalypse nous fait adorer et servir l'Agneau immolé dans tous les siècles. Le Christ était figuré par l'innocente victime offerte par Abel, par les agneaux du sacrifice d'Abraham, des sacrifices quotidiens du temple et du sacrifice pascal, et même par les agneaux qu'offraient aux dieux les peuples païens dans leur culte déformé, où ils rendaient involontairement hom­mage au Christ.

L'Agneau victime se perpétue dans l'Eucharistie, mais depuis le sacri­fice du calvaire, l'Agneau n'est plus seulement victime, il est le roi, par­ce que son Père lui a donné, pour récompense de son sacrifice, la royauté suprême spirituelle et temporelle sur le monde: Pater dedit mihi omnia in manus.

Voilà pourquoi les peuples chrétiens doivent rendre hommage à l'Agneau, à Jésus-Eucharistie, au Sauveur qui a acheté la royauté par son sacrifice.

Ces thèses confirment admirablement la demande d'hommages so­ciaux que le Sacré-Cœur de Jésus nous a faite par sa servante Margue­rite-Marie.

M. le baron de Sarachaga, avec beaucoup d'esprit et un grand talent de lecture, nous a entretenus des progrès de l'idée du règne social du Sacré-Cœur, et c'est à son instigation que la réunion a voté et acclamé les motions suivantes:

La Réunion, heureuse de constater les progrès de l'idée si capitale de l'hommage au Sacré-Cœur de Jésus, offre ses félicitations et ses remer­ciements:

l° Au R. P. Monsabré, qui nous a fait acclamer à Clermont le règne de Jésus-Christ et nous a donné pour devise le cri de guerre: Il faut qu'il règne, oportet illum regnare.

2° A M. l'abbé Garnier, qui prêche et recommande avec tant de zèle la consécration au Sacré-Cœur de Jésus comme une préparation à l'hommage national.

3° A M. Léon Harmel, qui a si bien revendiqué les droits royaux de l'Hostie à la réunion des Patrons chrétiens à Montmartre et qui nous convie à renouveler, autant qu'il dépend de nous, le pacte de Clovis à Reims l'an prochain aux fêtes du centenaire.

4° Aux Chevaliers de la Croix et en particulier au vaillant rédacteur de la Croix du Jura, M. Lorain, qui ont juré l'hommage au Sacré-Cœur et se sont dévoués au règne social de Jésus-Christ.

5° Aux membres de la Ligue du Sacré-Cœur à Saint-Donat (Drôme), qui ont prononcé l'acte d'hommage social et si vaillamment arboré l'étendard du Sacré-Cœur.

M. le baron de Maricourt nous a entretenus à son tour des études pré­historiques qui sont poursuivies à Paray par les membres zélés de l'Asso­ciation Parodienne.

Elles sont bien intéressantes ces pierres qui nous révèlent la vie publi­que et privée des premiers habitants de la Gaule, ces armes de silex, ces outils de bronze et de jade. Mais, direz-vous, quel rapport cela a-t-il avec le Sacré-Cœur? Le voici: Paray et le pays des Eduens étaient le centre du vieux monde celtique. C'est là qu'était la principale école des druides. C'est là que se conservaient les traditions primitives les plus pu­res, les notions les plus exactes sur Dieu, sur l'âme humaine, sur l'atten­te d'un rédempteur qui naîtrait d'une Vierge. L'antiquité grecque sa­vait que le pays des Eduens avait ce privilège et que les traditions primi­tives se conservaient là chez les descendants de Gomer fils de Japhet.

Pythagore vint là pour s'éclairer, comme il alla aux autres sources des traditions chez les Thraces, en Syrie et en Egypte.

Il n'y a pas seulement un intérêt de curiosité à rechercher dans le sol et dans les tombeaux les traces de nos aïeux, il y a aussi une grande utilité pour la justification de l'histoire sacrée et pour l'intelligence des desseins de la Providence.

Indiquons seulement ici un aperçu des horizons ouverts par ces étu­des. Cette longue fidélité des fils de Japhet au culte du vrai Dieu n'a-t­elle pas mérité à ce pays une bénédiction particulière? N'est-ce pas pour cela que Dieu en a fait le centre de l'apostolat et de la civilisation chré­tienne au moyen âge par la grande action des moines de Cluny qui prési­daient à des milliers de fondations bénédictines? N'est-ce pour cela enco­re que Notre-Seigneur est venu ouvrir là les sources sacrées et les trésors de son cœur?

Félicitons la jeune société parodienne de ses travaux. Elle devancera par ses études consciencieuses les travaux de nos archéologues de profes­sion qui sont souvent aveuglés par le désir de contredire les traditions bi­bliques.

Le musée parodien aura une section des objets relatifs au culte primi­tif, ce qui manque encore à Saint-Germain et dans les grands musées d'Europe. Elle a aussi une collection unique de figures d'hommes et d'animaux et d'autres signes conventionnels qui la mettront peut-être sur la trace d'un alphabet figuratif comme celui des Egyptiens.

Les réunions de Paray, après ces études intéressantes se terminèrent par quelques vœux qui furent acclamés unanimement.

Comme préparation à l'hommage national demandé par Notre­Seigneur, la réunion de Paray a pris la résolution de propager l'acte d'hommage qui a été approuvé et indulgencié par le Saint-Siège par un bref du 25 février dernier.

Elle a fomulé le vœu de voir le drapeau national marqué d'un Sacré­Cœur arboré par les fidèles dans les fêtes religieuses.

La réunion prenant un intérêt tout particulier au centenaire du baptê­me de Clovis et du pacte de Tolbiac a aussi exprimé le vœu que la Fran­ce célébrât ce centenaire par des missions qui seraient données dans tou­tes les paroisses et qui se termineraient par l'acte d'hommage social à l'Eucharistie.

Enfin, pour populariser ce souvenir du centenaire et rappeler à la France ses nobles et saintes origines, les membres de l'Institut des Fastes voudraient qu'un de nos poètes français préparât pour le théâtre un dra­me chrétien qui ferait revivre les grands souvenirs de Tolbiac et de Reims.

II. FRANCE

Les lois fiscales. - La franc-maçonnerie poursuit son œuvre avec une malice infernale. Après vingt autres lois de persécution contre l'Eglise, voici qu'elle a obtenu de nos députés le vote de la fameuse loi d'abonnement. Les religieux paient déjà, outre les impôts communs à tour, un impôt de main-morte et un impôt très lourd sur le revenu. On leur demande un impôt nouveau. Doivent-ils le payer? Il semble qu'il y ait un devoir civique de protester pratiquement contre l'injustice en at­tendant patiemment les rigueurs du fisc. Beaucoup de congrégations pensent ainsi.

D'autres pensent qu'elles ne doivent pas compromettre leurs œuvres dans une lutte inégale. Demandons à Dieu d'éclairer les évêques et les supérieurs afin qu'on s'entende pacifiquement pour prendre les mesures les plus favorables à la religion.

III. AUTRES PAYS

Belgique: les lois scolaires. - Voilà une loi de salut. Il est certain que les écoles sans Dieu sont des nids où s'élève une génération de socia­listes. La Belgique admet ses écoles libres aux faveurs du budget et elle rétablit l'enseignement religieux dans les écoles de l'Etat. Elle nous don­ne là un grand exemple. Félicitons les catholiques belges qui ont su gar­der leur union et seconder le ministère dans une question où des bonnes volontés mal réglées auraient pu provoquer une division désastreuse.

Rome: l'union des églises. - Le Saint-Père va subir un grand ou­trage, ce sont les fêtes maconniques que prépare le jeune royaume italien pour célébrer le 25e anniversaire de son entrée sacrilège à Rome. Nous nous unissons à toutes les protestations de dévoûment et d'amour qui sont adressées au Saint-Père à cette occasion.

Léon XIII trouve heureusement quelque consolation dans le mouve­ment de retour qui s'accentue chez les Anglicans et chez les Coptes. Plusieurs paroisses des Coptes d'Egypte demandent en masse à reve­nir à l'union. Notre devoir à nous qui sommes les amis du Sacré-Cœur est d'offrir chaque jour des prières et des sacrifices pour obtenir des grâ­ces toujours plus abondantes sur ces peuples qui se montrent animés d'une bonne foi réelle et du sincère désir de faire la volonté de Dieu.

CHRONIQUE (Octobre 1895)

I. LE REGNE SOCIAL DU SACRE-CŒUR

Au congrès de Saint-Quentin. - Nous avons revendiqué la part qui revient à l'apostolat du Sacré-Cœur dans la rénovation sociale chrétienne. Tout le dessein de la Providence dans le monde est de faire régner Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Il faut qu'il règne! Oportet illum regnare. C'est le cri de saint Paul. Saint Pierre, au lendemain de la résurrection proclamait ce droit sou­verain de Notre-Seigneur. «Maison d'Israel, disait-il, sachez que ce Jésus, que vous avez crucifié, Dieu l'a fait votre maître et lui a donné une onction royale. Dominum et Christum fecit Deus hunc Jesum quem vos crucifixis­tis» (Act. II).

Depuis ce jour-là, le combat est engagé entre le Sauveur Jésus, qui marche à la conquête de son empire et Satan, son ennemi acharné. Cette lutte, qui est la grande épopée des siècles, était magnifiquement décrite récemment par le P. Monsabré à Clermont. Il nous a montré l'œuvre de Satan à travers les siècles.

Satan a suscité les premières hérésies et les persécutions. Il a suscité Mahomet.

Voyant la grande armée de son lieutenent refoulée en Asie par les croi­sades, il veut corrompre l'Occident chrétien. Il soulève, pour ébranler l'autorité doctrinale de l'Eglise, le libre examen des protestants, l'obs­tination du jansénisme,. l'impiété du rationalisme et des sectes maçonni­ques.

Il faut une nouvelle croisade. Dieu le veut!

«Levez-vous donc, s'écriait le P. Monsabré, levez-vous, soldats du roi Jésus et poussez votre cri de guerre; ce cri que faisait entendre l'apô­tre, à l'heure où le Christ ressuscité prenait possession du monde, ce cri qui retentit il y a huit cents ans à Clermont et qui fut répercuté par tous les échos de l'Europe chrétienne: Oportet illum regnare. Il faut qu'il règne! Dieu le veut! Dieu le veut!»

L'éloquent orateur ajoutait: «Oui, Dieu le veut! et si vous le voulez avec lui, recevez de mes mains vos armes de combat. «Et il énumérait et décrivait ces armes: la foi des vrais chrétiens, la science, l'action des ca­tholiques, la presse, l'éducation chrétienne, les œuvres sociales. Il ajou­tait: la prière humble et fervente, la prière par les Cœurs sacrés de Jésus et de Marie. Puis il offrait à la vaillante légion des pontifes, des prêtres et des catholiques ardents qui l'entouraient, le drapeau de la Croix, pour marcher au salut.

Il me semble que l'excellent Père a laissé dans le carquois une de nos meilleures flèches. Je viens vous la présenter: c'est l'apostolat du Sacré­Cœur.

Le Christ tient tout particulièrement à la royauté que la France lui a conférée. Nous pouvons le dire sans présomption. Toute l'histoire l'at­teste.

L'Eglise a voulu nous le rappeler récemment, pour nous rendre cou­rage. Dans le décret d'introduction de la cause de Jeanne d'Arc, on lit: «Jeanne déclara qu'elle était envoyée de Dieu pour faire lever le siège d'Orléans et pour conduire le prince à Reims où, Jésus-Christ étant déclaré suprême roi de France, Charles recevrait en son lieu et place la consécration et les insignes de la royauté».

Ce n'est pas à la légère que le Saint-Siège reconnaît cette mission di­vine.

Cette pensée domine toute l'action de Jeanne d'Arc. Nous la voyons à Chinon dire au Dauphin: «Vous serez lieutenant du Roi des cieux, qui est roi de France».

Saint Louis se proclamait le sergent du Christ.

C'est le fait dominant de l'histoire de France, depuis le pacte de Tol­biac qui a donné au Christ le royaume de France.

Mais le Christ, voyant au XVIIe siècle ses ennemis, le protestantisme, le jansénisme, la philosophie et les sectes occupés avec une audace infer­nale à saper par la base son trône divin, a voulu le consolider par un ci­ment nouveau, par l'amour du Sacré-Cœur; et il a promis que ce moyen serait efficace. «Jésus-Christ règnera malgré ses ennemis, dit Margue­rite-Marie, mais il règnera par son Sacré-Cœur.

Sans doute Notre-Seigneur veut se servir de cette dévotion pour ré­gner dans les âmes par son amour; mais, dans le plan divin, cette dévo­tion a une portée plus étendue. Notre-Seigneur veut s'en servir pour rétablir son règne social parmi les nations et particulièrement en France. C'est bien comme un étendard public et comme un nouveau labarum qu'il nous a donné l'image de son Cœur adorable, pour symboliser son règne et sauver la société.

Comme le père dans une famille communique ses desseins à l'aîné de ses fils et en fait son auxiliaire, Notre-Seigneur a confié à la France, la fille aînée de son Eglise, la charte divine du règne social de son Cœur adorable, formulée par lui dans le message adressé à Louis XIV en 1689. Il donne à ce roi le nom de fils aîné du Sacré-Cœur, pour indiquer que toutes les nations sont appelées à se ranger après la France sous l'étendard divin.

La B.se Marguerite-Marie expose sa grande mission dans ses lettres à la Mère de Saumaise et au P. Croiset.

«Notre adorable Sauveur, dit-elle, m'a fait voir la dévotion à son di­vin Cœur comme un bel arbre destiné à étendre ses branches partout. Mais cet aimable Cœur a encore de plus grands desseins qui ne peuvent être exécutés que par sa toute-puissance. Je me sens fort pressée par le grand désir qu'en a le Sacré-Cœur, comme il me l'a fait connaître» (Lettre 98).

Et ce grand désir du divin Cœur, c'est son règne social parmi les na­tions et particulièrement en France.

«Voici, continue la Bienheureuse, les paroles que j'entendis sur ce su­jet: Fais savoir au Fils aîné de mon Sacré-Cœur que le Père éternel, voulant réparer les amertumes et angoisses que l'adorable Cœur de son divin Fils a reçues dans la maison des princes de la terre, a choisi notre grand monarque, comme son fidèle ami, pour l'exécution d'un grand dessein. «Et voici comment le Sacré-Cœur désire voir ce dessein s'accomplir:

1° Il veut établir son empire dans le cœur du prince.

2° Il veut régner dans son palais.

3° Il attend de lui qu'il lui rende honneur publiquement, et qu'il de­mande au Saint-Siège la messe du Sacré-Cœur et d'autres privilèges.

4° Il demande un sanctuaire où sera honorée l'image du Sacré­Cœur.

5° Il désire recevoir dans ce sanctuaire la consécration et les homma­ges du roi et de toute la cour.

6° Il veut être peint dans les étendards du roi et gravé dans ses armoi­ries.

A ces conditions, il promet à la France le pardon du passé et sa puis­sante protection.

Le programme du bon maître était précis. Il voulait régner en France et commencer par la cour.

Le message divin a bien été transmis à la cour du roi de France par l'entremise des princesses royales retirées à la Visitation de Chaillot. Notre-Seigneur a attendu la réponse pendant un siècle et demi. Il y a bien eu à la cour quelques actes de piété envers le Sacré-Cœur. La reine Marie-Thérèse s'est fait inscrire de la confrérie du Sacré-Cœur à Chail­lot. La reine Marie Leckzinska avec le concours de ses enfants, le dau­phin et la vénérable Louise de France a fait ériger dans le palais de Ver­sailles une chapelle du Sacré-Cœur.

Mais Louis XIV et Louis XV sont restés sourds à l'appel de Notre­Seigneur. Louis XVI y a répondu trop tard, quand il n'était plus qu'un prisonnier. Louis XVIII n'a rien voulu entendre.

Notre-Seigneur a-t-il abandonné ses dessins de miséricorde? Non. Il a renouvelé ses plaintes et ses promesses et nous a rappelé son message par l'entremise de la sœur Marie de Jésus au couvent des Oiseaux à Paris en 1823. Après lui avoir rappelé le demande d'une fête universelle et d'une église nationale en l'honneur de son Cœur sacré et après avoir spéciale­ment réclamé la consécration de la France à son adorable Cœur, Notre­Seigneur, le 21 juin 1823, ajoutait ces mémorables paroles: «La France est toujours bien chère à mon Cœur. Je prépare toutes choses pour qu'elle lui soit consacrée; après quoi, je lui réserve un déluge de grâces. La France sera consacrée à mon divin Cœur et toute la terre se ressenti­ra des bénédictions que je répandrai sur elle. La foi et la dévotion refleu­riront en France par la bénédiction de mon divin Cœur».

Notre-Seigneur attendit encore cinquante ans; mais, voyant que le sou­venir de sa demande de 1689 commençait à s'effacer, il frappa un coup ter­rible. La France atterrée, se tourna enfin vers le Sacré-Cœur et fit à Poi­tiers, en 1870, le vœu d'élever à Montmartre une église en l'honneur du Cœur de Jésus. Le monument s'élève dans son imposante majésté. La B.se Marguerite-Marie en avait entrevu la splendeur, le 2 juillet 1689: «Il me fut représenté un lieu fort éminent, spacieux et admirable en sa beauté, écrit-elle; au centre, il y avait un trône de flammes. Sur ce trône était des rayons si ardents et si lumineux, que tout ce lieu était éclairé».

Le temple, c'est une partie des desseins de Notre-Seigneur. Il nous en a arraché la promesse au milieu des angoisses d'une guerre épouvantable. Mais l'hommage? mais le drapeau? N'est-il pas plus qu'évident qu'il faut y penser sans cesse, qu'il faut y tendre tous les jours, en occuper l'opinion, s'y essayer fréquemment?

Le roi, aujourd'hui, n'est plus Louis XIV, c'est le peuple, ce sont les électeurs. C'est pour nous un devoir civique, un devoir social et royal de répondre à la demande de Notre-Seigneur. Préparons l'hommage natio­nal par des hommages privés, par des hommages de corporations, des groupements.

Arborons aussi le drapeau du Sacré-Cœur dans nos solennités reli­gieuses, dans nos processions. Il ne nous en coûtera qu'un peu de bonne volonté. Nous n'aurons pas même le souci des vexations administrati­ves, car les tribunaux eux-mêmes ont bien voulu n'y pas voir un emblè­me séditieux.

C'est là, pensons-nous, plus qu'un acte de dévotion, c'est le devoir, et avec les autres œuvres d'apostolat social, ce sera le salut3).

II. FRANCE

Les congrès. - Ils se succèdent sans interruption. Nous avons eu le congrès régional des œuvres catholiques et le congrès des œuvres de jeu­nesse à Bordeaux, le congrès franciscain à Limoges, le congrès de l'Union des œuvres à Clermont, le congrès de la Croix à Paris. Partout la revendication des droits sociaux du Christ et l'apostolat du Sacré­Cœur ont eu leur place.

Il faut travailler au règne du Christ par toutes les œuvres, par la bon­ne presse, par l'enseignement, par les œuvres économiques, mais il faut aussi rappeler sans cesse les droits du Christ.

Le congrès franciscain de Limoges a tenu à le proclamer avant toute autre résolution: «Considérant que l'ignorance, l'oubli et le mépris des droits sacrés de Dieu sont la vraie cause des malheurs publics dans l'or­dre social, les Tertiaires déclarent vouloir, de toutes leurs forces, con­courir à ramener la France et la société à la sainteté du droit public chré­tien».

Au congrès de la Croix, M. Boissard, l'éminent magistrat catholique, nous a rappelé tout ce que le Sacré-Cœur attend de la France: le temple votif, l'hommage et l'étendard. Le temple votif s'achève, les hommages privés et collectifs doivent préparer l'hommage national. Le drapeau du Sacré-Cœur ne doit pas être oublié. Il faut y accoutumer les esprits et les yeux. Il faut l'arborer dans les œuvres et dans les églises. Le journal «La Croix» doit chercher le moyen de combiner la vignette du drapeau avec celle du crucifix.

Le vœu de M. Boissard a été accueilli avec l'enthousiasme que savent mettre les amis de «La Croix» à tout ce qui peut contribuer au règne du Christ.

III. AUTRES PAYS

Italie. - Pauvre Italie! elle est bien malade, elle aussi!

Elle aime toujours bien le Christ, cependant. Elle aime l'Eucharistie et elle aime la papauté.

Toute l'Italie du Nord est à Milan pour rendre hommage au Christ dans les fêtes eucharistiques les plus merveilleuses. Ce siècle n'a guère vu de fêtes religieuses et populaires plus éblouissantes et plus enivrantes. Quatre-vingts évêques sont là. L'art religieux, l'éloquence, la musique prodiguent leurs hommages au Roi des rois. Toutes les églises de Milan et de la région exhibent tout ce qu'elles ont de richesses.

Le Congrès se termine par un acte d'hommage social au Christ, roi suprême des peuples chrétiens.

La cause de la papauté n'est pas en Italie ce qu'elle est chez nous. Il y a là une grosse tentation pour les catholiques. L'unité italienne flatte l'amour-propre national, et l'on est bien tenté de voir dans la grande Rome la capitale historique et naturelle de la péninsule.

Les catholiques italiens cherchent à combiner les droits du Saint-Siège avec la grandeur nationale. Ils songent à une fédération, avec l'indépen­dance civile du Saint-Siège et une garnison fédérale à Rome.

Malgré leurs réticences, ils montrent de la bonne volonté dans les cir­constances présentes. Ils envoient au Saint-Père des hommages et des souscriptions qui le consoleront un peu au milieu des fêtes sacrilèges de la Rome piémontaise.

Allemagne. - Le grand Congrès annuel des catholiques d'Allema­gne vient d'avoir lieu à Munich. Il a été splendide.

Ces Congrès catholiques allemands ont un caractère particulier. On pourrait les appeler une revue générale des œuvres. Le programme est trop vaste pour qu'on puisse étudier et discuter les questions. Mais tou­tes les œuvres viennent dire tour à tour leurs travaux, leurs luttes et leurs progrès et elles sont encouragées par les applaudissements de l'as­semblée.

C'est comme une exposition universelle des œuvres et les fruits d'édi­fication y sont plus abondants que dans nos grandes foires internationa­les.

Autriche-Hongrie. - Qu'est-ce que l'avenir prépare à ce grand em­pire catholique? Il s'est défendu héroïquement pendant des siècles contre l'invasion musulmane et le voici sur le point d'être complètement domi­né par l'influence juive. Les juifs détiennent tout à Vienne, l'influence politique, la fortune, la presse.

Voici une statistique qui montre la grandeur du mal:

Dans les huit journaux principaux qui paraissent à Vienne, il y a 107 rédacteurs juifs, ainsi répartis:

Le Fremdenblatt, organe du gouvernement, 14 rédacteurs juifs. La Neue Freie Presse, 18. Le Neuer Wiener Tageblatt, 20. La Presse, 15. Le Wiener Ta­geblatt, 12. L'Illustrirtes Extrablatt, 20. La Vorstadtzeitung, 6. La Deutsche Zeitung, 6.

A Buda-Pest, la situation est la même; dans tout l'empire apostolique, dans le royaume de Saint-Etienne, le juif est maître, le juif est roi! Aussi, avec quels accents de tristesse le noble comte Zichy a-t-il parlé au Congrès de Munich de la situation de la Hongrie! «Le royaume de saint Etienne, disait-il, est maintenant gouverné par un parlement aux tendances maçonniques». Il ajoutait: «Malgré tout, nous avons bon espoir, la vérité ne peut périr, avec Dieu, nous finirons par vaincre». Les catholiques allemands ont promis d'aider la Hongrie par leurs prières, faisons comme eux.

CHRONIQUE (Novembre 1895)

I. LE REGNE DE JÉSUS CHRIST

Les grandes vues du Pape: la chrétienté. - Pierre, toujours vivant dans ses successeurs, est le vicaire ou le représentant du Christ; mais le Christ est le roi des nations, Pierre, aujourd'hui vivant dans Léon XIII, en est donc le vice-roi.

La royauté de Pierre est toute paternelle, il n'étend pas son empire par les armes. C'est un roi de paix, comme Salomon et comme le Christ. Léon XIII a les grandes vues et le large cœur d'un roi. Toute la chré­tienté est son empire. Les schismatiques et les hérétiques sont des en­fants capricieux et désobéissants, mais ce sont des enfants.

Léon XIII voudrait voir tout ce grand empire uni et pacifié. Il vou­drait refaire la chrétienté.

Beaucoup de nobles esprits se demandent si dans des temps meilleurs nous reverrons un saint Empire, une nation chargée par l'Eglise de maintenir l'ordre dans la chrétienté. Nous ne le pensons pas. L'Eglise a essayé cela pendant quelques siècles et le résultat a rarement répondu à son attente. Ce n'était pas d'institution divine. C'était une combination de la politique chrétienne, on en peut trouver d'autres.

Léon XIII exposait récemment ses grandes vues à un interlocuteur russe. Il parlait d'abord de l'union des Eglises. «Il n'y a pas, disait-il, entre les deux Eglises de différence importante. Et qu'on ne craigne pas que je veuille ôter à chaque Eglise son cachet national. La Russie garde­rait son épiscopat russe; et je ne songe pas à lui envoyer des prêtres étrangers».

Après ce préambule, le Saint-Père entrevoyait l'union générale des peuples chrétiens et il en décrivait avec l'élan de son cœur les merveil­leuses conséquences.

«Dans tous les pays, disait-il, en Angleterre, en Amérique, l'Eglise catholique gagne du terrain. Si l'Eglise russe revenait à l'union, la chré­tienté se referait et cet événement aurait des conséquences énormes».

«Aujourd'hui, les nations souffrent du militarisme et de la crise éco­nomique, et elles sont menacées par le socialisme. Avec la chrétienté, grâce à une entente entre les souverains et le Pape, toutes les questions internationales recevraient leur solution».

«Nous n'avons pas de paix réelle au moment actuel; toute se tient à l'aide des baïonnettes. Quel événement grandiose que celui qui amène­rait une véritable ère de paix, qui ferait jeter les fusils, les canons!».

«La situation économique n'est pas moins déplorable. Les arts, les sciences, l'industrie ne peuvent pas se développer librement; l'esprit hu­main ne peut pas atteindre à toute sa vigueur. Le monde aspire après la paix et l'entente».

«Une intervention de l'Eglise ferait disparaître aussi le socialisme ou le modifierait. Déjà une amélioration se fait sentir là où l'Eglise a pu in­tervenir efficacement. L'Eglise, en éclairant les masses amènerait la dis­parition de ces plaies sociales, le socialisme et le militarisme4)».

Voilà donc les vues de Léon XIII sur la chrétienté: ce serait une en­tente entre les souverains et le Pape, une confédération avec un tribunal arbitral présidé par le Pape.

Ce sera là, nous l'espérons, le règne du Sacré-Cœur. La charité du Sacré-Cœur triomphera de toutes les désunions.

Le plébiscite du 20 septembre. - Il y eut à Rome en 1870, après l'occupation piémontaise un semblant de plébiscite, une comédie, une gaminerie indigne d'un gouvernement sérieux: les Piémontais portèrent quelques paquets de bulletins aux urnes et ils déclarèrent que le nouveau régime était acclamé par la population. C'était une sinistre plaisanterie.

Aujourd'hui, après vingt cinq ans, un plébiscite loyal a eu lieu, non seulement en Italie, mais dans tout l'univers chrétien dont Rome est la légitime capitale, et le résultat est écrasant pour le pauvre gouvernement piémontais.

Toutes les nations représentées à Rome, sauf la protestante Angleter­re se sont abstenues de prendre part aux fêtes officielles. Les princes mê­me de la famille de Savoie se sont tenus à l'écart.

L'élite des catholiques italiens réunie à Milan avec quatre-vingts évê­ques, à l'occasion du congrès eucharistique a revendiqué et acclamé les droits du saint Siège sur la ville de Rome.

Un nombre incalculable d'adresses et de dépêches sont parvenues au Vatican de tous les pays d'Europe et d'Amérique, de tous les rangs et de toutes les classes de la société chrétienne, d'éminents personnages et d'humbles fidèles, de particuliers et d'associations. C'est un vrai plébi­scite d'attachement au Chef de l'Eglise pour revendiquer avec lui ses droits imprescriptibles. C'est la digne réponse que les sectaires italiens méritaient de recevoir et le meilleur dédommagement qui pût être offert au Souverain Pontife au milieu de ses amertumes.

Le royaume italien avait cru trouver dans ses fêtes sacrilèges sa conso­lidation. Il n'a réussi qu'à réveiller toutes les protestations et à manifes­ter au monde entier la fausseté et l'instabilité de cette situation qui ap­pellera tôt ou tard une solution efficace.

II. FRANCE

La persécution fiscale: une noble protestation. - La pauvre Fran­ce chrétienne s'agite sous le carcan et les chaînes où la franc-maçonnerie veut l'enserrer. Cependant elle reprend conscience d'elle-même, et elle regarde en face son ennemie qui se dévoile. Les situations se dessinent, les deux armées se reconnaissent. C'est un gage de victoire pour les ca­tholiques, car la franc-maçonnerie ne supporte pas le soleil et le grand jour l'éblouit.

Quel chemin nous avons fait pour déterminer le champ de bataille et circonscrire la lutte!

Aujourd'hui notre épiscopat, par l'organe de son Eminence le cardi­nal archevêque de Paris engage ouvertement la lutte avec les loges en s'adressant même à un de leurs affiliés, à M. Félix Faure. Sa protesta­tion est celle de toute la France chrétienne, il faut en redire ici la conclu­sion:

«La France est chrétienne et veut rester chrétienne; les sectes maçonniques voudraient la déchristianiser en la sumettant à des lois contraires à ses véritables intérêts. Pour tout esprit clairvoyant, la loi du 16 avril se rattache à un ensemble de dispositions législatives destinées à enchaîner la liberté religieuse. Nous avons vu ces dispositions se succé­der, dans le cours des dernières années, suivant un programme que l'on ne se donne plus la peine de dissimuler. Il semblerait même, aux yeux de nos adversaires, qu'il n'y ait qu'un seul péril à redouter pour la France: le christianisme, comme si le pays n'était pas couvert des institutions bienfaisantes que l'Eglise a créées et que la charité entretient avec un dé­vouement qui ne se lasse pas! Mais pendant qu'on fait la guerre à l'Egli­se, on paraît oublier qu'il y a autour de nous des périls autremont redou­tables: les passions subversives qui fermentent dans les masses et dont plus d'un indice nous annonce parfois le réveil toujours menaçant».

«Evêque et Français, nous ne pouvons demeurer indifférent à l'avenir du pays. Et si, d'une part, en réclamant pour les congrégations religieu­ses la liberté et l'égalité devant la loi, nous sommes persuadé que bien loin de compromettre l'apaisement des esprits désiré par tous les bons ci­toyens, nous indiquons au contraire les véritables conditions d'une paix durable; c'est de plus pour nous un devoir d'avertir le pays des dangers que lui préparent l'athéisme légal et la négation des vérités religieuses qui sont la base de toute société civilisée; et de lui signaler en même temps les périls qui attendent les peuples quand les passions déchaînées ne trouvent plus devant elles aucune barrière morale».

Voilà de nobles paroles.

C'est avec des flambeaux qu'on chasse ces chauves-souris. C'est en démasquant les francs-maçons et en montrant au peuple l'iniquité de leurs doctrines qu'on les fera reculer.

La plupart de nos Congrégations vont remplir leur devoir civique et un devoir de solidarieté et de charité mutuelle en refusant de payer l'im­pôt inique. Si le pouvoir se donne l'ignominie de s'attaquer aux amis et aux protecteurs des pauvres, il encourra la malédiction et le mépris de tout ce que la nation contient d'âmes honnêtes et loyales.

La science et la foi: M. Pasteur. - Ce préjugé, que la science est ennemie de la foi, est chaque jour battu en brèche.

Nous le disions un jour, dans un discours sur l'éducation: «La grande objection nouvelle, ou plutôt l'erreur qui est au fond de toutes les hostili­tés récemment soulevées contre la religion, c'est l'indépendance de la science. La science prétend se suffire à elle-même. Enflée par ses décou­vertes récentes, elle veut régner sans partage sur l'esprit humain. Elle prétend en être la seule lumière.

«Elle veut reléguer la foi parmi les fictions dont le temps a fait justice. Elle se donne comme ayant seule une puissance et une autorité positives. Tel un parvenu éclabousse la noblesse héréditaire, tel un serviteur arro­gant s'attribue toute l'autorité dans la maison de son maître. Cette ré­volte de la science enivrée d'elle-même et parée du nom prétentieux et faux de positivisme est l'agent le plus actif de toutes les luttes engagées contre la religion…».

Et nous montrions le vrai rôle de la science, qui est de travailler sous le regard de la foi, comme une sœur respectueuse, et d'aider la révélation, dont elle reçoit elle-même un puissant concours. Et nous contemplions, à travers l'histoire, les vrais savants, qui rendaient témoignage à la reli­gion et qui reconnaissaient l'autorité de ses lumières et de sa direction. Nous citions Newton et Képler, Pascal et Buffon, Ampère et Cauchy, Récamier et Claude Bernard.

A ces noms illustres, il faut ajouter celui de Pasteur. C'était un grand savant lui aussi et en même temps un grand chrétien. Il servit Dieu pieu­sement toute sa vie et mourut en prédestiné, après avoir purifié son âme auprès de son confesseur habituel, un Père Dominicain.

Non seulement il croyait, mais il savait affirmer sa foi et revendiquer les droits de Dieu. Reçu à l'Académie française par Renan et succédant à Littré, il a tenu à proclamer dans son discours que la science ne suffi­sait pas pour apaiser, dans le cœur de l'homme raisonnable ce «besoin de l'Infini» qui fait sa grandeur. Et avec un vigueur de pensée et une fermeté de style qui rappellent les plus belles pages de Pascal, il opposait les fortes convictions de son esprit à l'étroitesse de vue des positivistes qui nient ce qui est au delà de la science.

De même qu'il se survivra dans la science, par ses belles découvertes, il se survivra comme apôtre par le souvenir de sa vie chrétienne.

III. AUTRES PAYS

Les progrès de la foi au Danemark. - D'après le dernier dénom­brement, la population du Danemark est de 2.500.000 habitants. Copenhague, avec ses faubourgs, compte environ 410.000 âmes. En 1860, il n'y avait pas plus de 800 catholiques, avec 5 prêtres et 2 églises dans tout le royaume; aujourd'hui, leur nombre s'élève à 6000, chiffre rond, et les écoles catholiques sont fréquentées par plus de 1000 enfants; le nombre des églises et des chapelles s'est élevé à 18, et l'on commencera sous peu la construction de nouvelles églises.

Les prêtres sont au nombre de 30, dont 15 Jésuites, et il y a 170 reli­gieuses qui s'occupent de l'enseignement ou des soins à donner aux ma­lades.

En moyenne, 200 protestants danois se convertissent annuellement à l'Eglise catholique.

Le retour de l'Angleterre à l'unité catholique. - Le mouvement qui se produit dans les esprits en Angleterre est considérable. On en arri­ve à se poser une question dont la gravité n'échappera à personne: Si l'Eglise anglicane officielle revenait à l'union, qu'adviendrait-il de la hiérarchie nouvelle qui a été juxtaposée à l'ancienne?

L'Eminent archevêque de Westminster a lui-même posé cette ques­tion et quoiqu'il incline à penser que les conversions continueront à se faire individuellement plutôt qu'en masse, il disait avec une grande gé­nérosité: Nous autres, les évêques nouveaux venus, nous sommes prêts à laisser nos sièges et nous donnerions nos vies, s'il le fallait, pour cette grande œuvre de l'union.

Il faut prier beaucoup pour l'union comme nous le demande Léon XIII. Une association de prières est établie. Elle a son bulletin mensuel, qui se publie à Paris, 95, rue de Sèvres. C'est le R. Père Portal, des mis­sionnaires Lazaristes qui le publie. Il répond au désir du Saint-Père qui l'a invité a se consacrer tout entier à cette œuvre et qui lui disait un jour dans une audience: «Ah! s'il m'était donné de voir seulement l'aurore du beau jour qui amènera le grand peuple anglais à l'unité de la Foi, comme volontiers je chanterais mon Nunc dimittis. C'est un peuple si puissant, et les anglais sont si bons, si naturellement religieux!». Et le Saint-Père ajoutait: «Bon courage! On est venu ici même, dans cet ap­partement, me dire, à propos de l'Orient, que l'union entre les églises était une utopie. Eh bien, non! ce ne peut pas être une utopie, parce que, au milieu de cette société bouleversée par les révolutions, l'idée religieu­se seule reste debout».

CHRONIQUE (Décembre 1895)

I. LE REGNE DE JÉSUS-CHRIST

Magnifique développement de l'Eglise. - Nous étions au concile du Vatican. Il comptait un millier de prélats. Pie IX avait augmenté de plus de cent le nombre des titres épiscopaux, il avait rétabli la hiérarchie en Angleterre et en Hollande, multiplié les évêchés en Amérique et créé de nombreuses missions.

Mais ces circonscriptions diocésaines, qui dépassaient à peine le mil­lier en 1870, sont maintenant au nombre de 1268. C'est l'Annuaire pontifical, récemment paru, qui nous le révèle. Léon XIII a donc fondé envi­ron 200 titres nouveaux. Il a créé 30 archevêchés, 85 évêchés et 83 vica­riats ou préfectures apostoliques. C'est surtout aux Indes, aux Etats­-Unis et en Afrique que sont les nouvelles circonscriptions.

Malgré les tristesses de l'Eglise dans nos vieilles nations d'Europe, ne peut-on pas dire qu'elle prend un magnifique développement. Le règne du Christ s'étend à tous les continents. La croix est plantée sur toutes les plages. Si Dieu accorde à nos prières le retour de la Russie, de l'Orient et de l'Angleterre à l'unité, ce n'est plus 1200 sièges épiscopaux que l'Eglise comptera, c'est 2000.

Hérode et Pierre. - La papauté sort agrandie des nouveaux outra­ges dont le jeune royaume italien a voulu l'accabler.

Les fêtes du jubilé sacrilège ont été manquées. Aucune des nations étrangères, sauf la pauvre Angleterre de Henri VIII, n'a félicité le triste roi Humbert. Le Turc lui-même s'est abstenu. L'empereur d'Allema­gne, l'allié de l'Italie, a résisté à toutes les sollicitations.

Et depuis, la situation de l'Italie apparaît plus instable que jamais et les droits sacrés de la papauté paraissent toujours plus intangibles. Le roi Humbert a voulu fêter au Quirinal son neveu le roi de Portugal, mais celui-ci n'a pas osé faire cet affront au Pape. Les protestations son ve­nues de partout. Les évêques, les fidèles, la presse ont parlé tour à tour. La nécessité du pouvoir temporel du Pape apparaît toujours plus écla­tante. On en a rappelé tous les titres: l'histoire, la foi et la politique sont venues témoigner en sa faveur.

L'Eglise a besoin d'être indépendante des pouvoirs temporels. Cons­tantin, Pépin et Charlemagne l'avaient compris, quand ils ont doté le Saint-Siège de diverses possessions.

La politique l'a reconnu par l'organe de M. Thiers: «L'unité catholi­que, disait-il en 1849, serait inacceptable, si le Pontife qui en est déposi­taire, n'était complètement indépendant, et si, au milieu du territoire que les siècles lui ont maintenu, un autre souverain s'élevait pour lui dicter des lois; pour lie pontificat suprême, il n'y a d'indépendance que la souveraineté même. C'est là un intérêt de premier ordre qui doit faire taire les intérêts particuliers, comme dans un Etat l'intérêt public fait taire les intérêts individuels».

Pour que le Pape soit indépendant de toute sujétion, il faut qu'il soit maître chez lui, et qu'il ait le pouvoir de se servir pour le gouvernement de l'Eglise d'instruments libres de toute sujétion particulière. Les mem­bres du Sacré Collège et des tribunaux romains ne doivent pas être des sujets de l'Italie, de la France ou de l'Espagne. Leur impartialité ne se­rait plus assurée. L'autorité du Pape est supranationale. Pour se maintenir dans cette indépendance et apparaître tel à tous les regards, sans donner lieu à la jalousie et aux soupçons de tel ou tel peuple, le Pape doit effecti­vement être en dehors de tout Etat particulier. Pour cela, il faut que le Pape ait un Etat à lui et qu'il soit lui-même prince temporel.

Parmi les protestantions indignées qui se sont élevées de tous les points du monde catholique contre les fêtes sacrilèges du 20 septembre, aucune peut-être n'a été plus éloquente que celle de la Hollande. Son grand orateur, le Dr. Schaepman, membre de la seconde Chambre des Etats-Généraux, s'adressant aux catholiques et aux anciens zouaves pontificaux, réunis dans la splendide cathédrale de Bois-le-Duc, à jugé et flétri, avec une grande hauteur de vues, le moderne Hérode qui ose rete­nir Pierre dans les fers.

Nous voudrions reproduire ici tout ce beau discours, mais nous écri­vons une chronique, nous en donnerons seulement quelques fragments. «Aux premiers temps de l'Eglise, il y eut un homme qui pensa affer­mir son trône, fortifier son autorité et gagner l'amour du peuple en met­tant la main sur l'apôtre qu'on nommait le Vicaire de Jésus-Christ. Si Pierre était prisonnier, pensait-il, l'Eglise tombait».

«Vous connaissez cet homme, c'est Hérode». «Connaissez-vous l'Hérode moderne?».

«Il ne porte pas les traits d'un seul homme, mais d'un grand nombre. Il est l'esprit de tout un siècle, de toute une génération, renfermant en soi l'esprit de siècles et de générations écoulées. Il est l'esprit de la Révo­lution arrivé à son complet développement. Il porte en soi l'esprit des vieux Césars menaçant l'Eglise dans son berceau; l'esprit des tyrans qui veulent mettre leur volonté au-dessus du droit, leurs passions au-dessus de l'Evangile; l'esprit des philosophes qui souillent de leur raillerie la foi naïve de l'enfance et qui, dans leur orgueil, grincent de dents contre le mystère de la Croix…».

«Ce moderne Hérode a de nouveau mis la main sur Pierre, il l'a saisi et l'a enfermé dans un cachot. Car Pierre vit toujours. Il vit, immortel comme le Christ dont il tient la place, immuable comme le Père dont il représente le Fils, vivant comme l'Esprit dont il annonce la parole.».

«Le 20 septembre de l'an 1870 après la Rédemption, la Révolution s'est emparée de Rome et a fait le Pape prisonnier. Cet acte a été com­mis en plein paix, avec une brutalité sauvage. Cet acte a été accompagné de toutes sortes de brutalités et d'outrages… Aujourd'hui, il se complète par une fête triomphale pour provoquer le juge éternel à un arrêt ven­geur comme celui qui frappa autrefois le roi Balthazar».

«Venez, Seigneur et vengeur, venez!». «Quel nom cet acte mérite-t-il?»

«Un homme d'Etat néerlandais, qui n'appartenait pas à l'Eglise visi­ble, Van Prinsterer, a stigmatisé cet acte (Dieu veuille lui en tenir comp­te, dans son infinie miséricorde), d'un mot énergique: Brigandage politi­que ».

«Brigandage politique, cela signifie une prise de possession d'un Etat souverain indépendant; une prise de possession sans raison, sans guerre; une prise de possession qui se fait en pleine paix, par violence…». «Mais il y a plus ici, il y autre chose qu'un brigandage».

«La souveraineté temporelle porte un caractère propre et sacré; c'est donc un attentat à une chose sacrée. La souveraineté temporelle est un acte de la Providence de Dieu, de sa Sagesse; c'est donc un attentat con­tre le gouvernement divin. La Souveraineté temporelle liée à la plus haute autorité spirituelle proclame Dieu comme la source de toute auto­rité; la rejeter, c'est rejeter Dieu du droit public des peuples. La Souve­raineté temporelle est le signe nécessaire et visible de la liberté et de l'in­dépendance du Pape et de la sainte Eglise catholique et apostolique; ce­lui qui l'attaque porte la main sur l'Eglise de Dieu, sur l'Epouse de notre Seigneur et Roi, Jésus-Christ».

«C'est un acte sacrilège…».

«Mais laissons Hérode et tournons-nous vers Pierre».

«Il est prisonnier, mais il est Roi dans sa captivité». Quel calme, quelle fierté, quelle noblesse! Quelle fidélité inébranlable à son serment, à son droit! On l'accable de mépris et d'outrages… Lui reste debout, do­minant le monde, au-dessus du flot montant des tempêtes qui renversè­rent sa Cité, droit et ferme, fort et inébranlable dans sa foi et dans sa confiance en Dieu. Il combat pour la justice, pour la liberté de l'Eglise…

«Et nous, tournés vers l'autel où le Dieu invisible réside en vérité; en présence de la sainte Mère de Dieu; en présence de l'archange saint Mi­chel et du patron de l'Eglise saint Joseph; en présence de saint Jean­Baptiste, décapité par Hérode; en présence du Prince des Apôtres et des Prophètes, Patriarches et Confesseurs, Martyrs et Vierges; en présence aussi des saints Innocents, premières fleurs moissonnées par le glaive d'Hérode; en présence des saints Willibrod, Boniface et Servais; des saints Martyrs de Gorcum; et en communion avec tous les Saints». «Nous protestons ici au nom de la liberté et du droit»;

«Nous protestons contre le brigandage politique accompli le 20 sep­tembre 1870»;

«Nous protestons contre le sacrilège commis envers l'indépendance de l'Eglise et la majesté du Saint-Siège, et l'attentat commis contre la Providence de Dieu»;

«Nous protestons après vingt-cinq ans comme le premier jour: les droits de Dieu sont imprescriptibles».

Voilà certes de belles et vaillantes paroles. Elles font du bien à l'âme et elles soulagent les consciences attristées.

La liberté de l'épiscopat. - Combien cette liberté nous manque! Nos évêques ne peuvent pas se concerter, ils ne pouvent pas se réunir li­brement. Le concordat est là qui s'y oppose, et encore plus l'esprit ty­rannique de nos gouvernements libéraux. Et combien leur action per­sonnelle elle-même est surveillée, guettée, contrôlée et en définitive en­travée par nos ministres, tantôt francs-maçons et tantôt gallicans!

La pénible constatation de ce fait douloureux met dans l'angoisse tous les chrétiens agissants, toutes les âmes zélées et apostoliques. Souvent même l'expression de cette tristesse se manifeste dans la presse.

Quand il surgit une difficulté doctrinale, quand il y a de graves diver­gences d'opinion, une réunion des évêques pourrait nous tracer une li­gne de conduite. On fait ainsi en Belgique, en Irlande, en Espagne. Mais en France un gouvernement soupçonneux et tyrannique ne per­mettrait ni conciles provinciaux ni assemblées du clergé.

Dans les siècles chrétiens, quand un désordre social se manifestait, les évêques parlaient et provoquaient une réforme. Aujourd'hui des abus énormes règnent dans le monde de la Bourse et de l'industrie et compro­mettent l'ordre social. Nos évêques ne peuvent pas se réunir et s'enten­dre pour stigmatiser des agissements qui sont absolument immoraux. Une action isolée de leur part aurait peu d'effet et les signalerait aux ri­gueurs des hommes du gouvernement, qui sont souvent les protecteurs des plus graves abus.

C'est un état lamentable pour l'Eglise de France. Tout le monde voit le mal, mais il faut attendre le remède d'une intervention de la Provi­dence.

De là ces regrets pénibles qui échappent souvent à la presse. L'excellente Revue de Coutances avait dernièrement un article im­portant sur ce sujet. M. l'abbé Mustel déplorait que l'hégémonie de l'Eglise de France semblât passée aux mains des journalistes. «Chaque jour, disait-il, la presse nous fait connaître les réunions te­nues à l'étranger par les évêques des différentes nations qui, après avoir délibéré en pleine liberté, publient non moins librement les instructions et les ordonnances sur lesquelles ils se sont entendus. Ces actes collectifs sont reçus par tous les catholiques avec une respectueuse et entière sou­mission et créent immédiatement l'unité de pensée et d'action. C'est ainsi qu'en Allemagne, en Belgique, en Hollande, en Angleterre, en Espagne, en Suisse, en Autriche, en Hongrie et même en Italie, où les évêques de différentes régions se réunissent de temps en temps, les ca­tholiques marchent d'accord sous la direction de l'épiscopat. En Belgi­que, récemment un débat très vif s'était engagé entre catholiques, à pro­pos des questions ouvrières; l'union, si nécessaire, était menacée, et déjà l'on pouvait craindre une dislocation du parti catholique au pouvoir. Les évêques ont tout de suite conjuré le péril, en arrêtant les polémiques de presse, et tout en laissant aux écoles la liberté dans les choses douteu­ses, en dégageant les vérites nécessaires et fondamentales sur lesquelles l'accord doit être unanime».

«En Hongrie, la situation n'était pas moins troublée ni moins tendue. L'épiscopat hongrois vient de l'examiner, dans une réunion générale à laquelle un seul évêque a manqué, et désormais les règles à suivre sont tracées et seront suivies par tous les fidèles, sans hésitation ni anxieté de conscience, et surtout sans ces divisions profondément regrettables qui sèment la zizanie entre catholiques et les rendent à la fois impuissants, mécontents et découragés».

«Sans doute chaque évêque a grâce et pouvoir suffisant pour gouver­ner son diocèse, sous l'autorité du Souverain Pontife. Mais quand une question qui intéresse la vie même, les droits essentiels, l'organisme et l'action de l'Eglise dans une nation vient à se poser, c'est aux évêques, disons mieux , c'est à l'épiscopat de cette nation, réuni et prenant ses dé­cisions sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, qu'il appartient de la résou­dre. Posuit episcopos Deus regere Ecclesiam Dei ».

«Telle a été, de tout temps et chez tous les peuples chrétiens, la coutu­me et la règle de l'Eglise, qui n'a cessé de réclamer la liberté et la tenue fréquente des conciles, soit provinciaux, soit nationaux, surtout quand des difficultés spéciales se présentaient, qu'elles intéressassent la foi ou la discipline ou les droits ecclésiastiques et les rapports entre l'Eglise et l'Etat».

«En France où ces réunions sont prohibées au mépris de la Constitu­tion même de l'Eglise comme de la liberté des évêques, la direction épis­copale manque. Chaque évêque, isolé, gémit de son impuissance… Rien ne se tient ni ne se peut soutenir; tout va en ruines et s'écroule lamenta­blement».

Hélas! nous ne pouvons que prier Dieu de nous rendre, par l'action de sa Providence, cette liberté sacrée de l'Eglise, qui est indispensable au règne de Jésus-Christ. Cette prière fécondera nos efforts, qui ne doivent pas non plus manquer pour reconquérir cette liberté par tous les moyens que le zèle et la prudence suggéreront.

II. FRANCE

Le règne de la Franc-maçonnerie. - Ce règne s'accentue chez nous. On peut dire que le masque est jété et que la maçonnerie se pose carrément comme triomphante. Le Convent ou réunion annuelle de la Franc-maçonnerie, en septembre dernier, s'est demandé qui il fallait pousser à la tête des affaires pour mettre plus pleinement la main sur la France. Son choix s'est arrêté sur M. Bourgeois. Dès lors, aussitôt la rentrée de la Chambre, les adeptes de la secte ont lâché M. Ribot qui ne leur suffisait plus. Les présidents de la Chambre et du Sénat, qui sont des Francs-maçons de marque, ont conseillé à M. Félix Faure d'appeler M. Bourgeois pour lui confier le soin de former le nouveau ministère. Le Président de la Republique, qui est Franc-maçon lui-même, a exécuté la dé­cision du Convent. M. Bourgeois a pris pour ses collaborateurs les Francs­maçons les plus accentués et les plus violents. Voilà où nous en sommes.

Le temps n'est plus où les catholiques fermaient les yeux sur l'action de la Franc-maçonnerie et la regardaient comme inoffensive. Le péril est grand et la lutte demande tous nos efforts. Il y a un essai d'organisation qu'il faut louer et encourager. Un comité antimaçonnique international s'est constitué à Rome. Chaque nation est appelée à former à son tour un comité national. Des congrès se préparent. Que Dieu bénisse ces ef­forts, d'autant plus nécessaires qu'ils sont tardifs.

L'initiative et l'action. - Il est bien clair que les catholiques de France ont le devoir d'agir comme tels dans la vie publique, de s'enten­dre et d'organiser leur action. Depuis vingt-cinq ans divers comités ont tenté tour à tour de grouper les bonnes volontés. Les Comités catholi­ques, l'Union des œuvres ouvrières, l'Œuvre des Cercles ont eu de bril­lantes périodes. Aujourd'hui, les Comités catholiques sommeillent; l'union des œuvres et l'Œuvre des Cercles font encore beaucoup de bien et sont encore appelées à en faire beaucoup, mais leur popularité a diminué. Quel en est le motif? C'est que peut-être dans le personnel diri­geant de ces œuvres et parmi les meilleurs de leurs membres, il y avait des arrière-pensées politiques, qui les mettent en suspicion maintenant que le courant républicain a pris le dessus dans l'opinion. Et puis ces œuvres manquaient d'un organe populaire, la seule arme aujourd'hui capable de faire une trouée dans les masses.

Qui va maintenant nous grouper et nous mener à l'assaut contre la Franc-maçonnerie? La Providence nous indique La Croix, ce petit jour­nal qui est aujourd'hui la plus grande force sociale chrétienne en France. La Croix quotidienne va chaque jour porter sa chaude parole dans 150.000 foyers. La Croix du dimanche en évangélise 400.000. Les sup­pléments locaux ont le même nombre de lecteurs.

Ajoutons que les lecteurs de La Croix sont les vaillantes parmi les ca­tholiques de France. Ce sont ceux qui ont gardé quelque chose du tem­pérament des croisés et des ligueurs. Et puis les abonnés de La Croix for­ment comme une grande famille, un groupement prêt à l'action, une li­gue. La Croix sait électriser ses lecteurs. On l'aime, on l'attend le matin avec impatience. On est prêt à faire à son appel les sacrifices qu'elle de­mande: toutes ses souscriptions le prouvent bien.

Et puis La Croix a déjà ses comités, ses congrès régionaux, ses chevaliers-apôtres, ses groupements de jeunes gens.

Décidément. La Croix est marquée par la Providence pour prendre la tête du mouvement d'initiative et d'action qui s'impose aux catholiques de France.

Aussi, depuis qu'elle a mis le doigt sur cette note «l'offensive, l'initia­tive, l'action», les cœurs de tous ses lecteurs vibrent à l'unisson et beau­coup écrivent à La Croix: « Oui, oui, c'est cela, réveillons-nous, agissons, groupez-nous et dirigez-nous». L'heure était donc venue pour la croisa­de, il manquait un apôtre pour la prêcher: l'apôtre ce sera La Croix.

Nous avouons que c'est à la fois pour les bons Pères de l'Assomption une grande grâce et une grande responsabilité.

Mais quelle sera donc cette action? Déjà les détails se font jour. Le premier moyen c'est la diffusion de La Croix, qui est l'organe même de la ligue. Puis, voici les conférences données par des groupes de conféren­ciers recrutés dans toutes les grandes villes. Voici les tracts, qui peuvent atteindre là où ne va pas le journal. Puis il y a les affiches, qui ont actuel­lement tant de succès; il y a les comités électoraux qui sont si nécessaires, les congrès de La Croix, les comités antimaçonniques, la caisse électorale, la propagande des œuvres sociales populaires, syndicats paroissiaux et caisses rurales. Il y a encore les cercles ouvriers d'études, les congrès ou­vriers, les réunions de jeunes gens, les réunions ecclésiastiques d'études sociales.

Voilà certes un champ d'action assez vaste. Il n'y a là rien de platoni­que, rien de vague, rien qui demeure dans les régions de la théorie: tout y est pratique, agissant et pressant. Il y a là un beau thème pour quinze questions à traiter dans tous les congrès que La Croix devrait semer dans chacun des arrondissements de la France.

Qu'il y ait pour cela à Paris un comité central, aussi peu personnel que possible: quelques vaillants chrétiens, jeunes de cœur et dévoués. Qu'il y ait ensuite des comités régionaux de La Croix qui fonctionnent auprès des divers suppléments du journal et la croisade aura bientôt une force immense. Allons, il semble bien que Dieu le veuille. Qu'il vienne à notre aide et que la Vierge Marie nous secoure!

Montmartre. - Il faut bien que nous saluions à son arrivée la belle cloche qui prêchera bientôt aux parisiens l'amour du Sacré-Cœur. Nous l'avons vue, elle est gracieuse dans son galbe, resplendissante dans son vêtement de ciselures et de reliefs. Elle porte un beau nom: Françoise­-Marguerite. Françoise à cause du grand ami du Sacré-Cœur saint Fran­çois de Sales, l'apôtre de la Savoie; Marguerite, parce qu'elle est desti­née comme la Bienheureuse à chanter la gloire du Sacré-Cœur. De son inscription magistrale nous avons retenu ces derniers mots: Urbi, genti, orbi universo ingeminatura per saecula. Vivat Jésus. Ce qui veut dire qu'elle est destinée à répéter toujours à la ville, à la nation et au monde ce cri: Vive Jésus.

Le centenaire de l'Institut. - Le monde lettré s'apprivoise avec la pensée religieuse. Mgr d'Hulst le faisait remarquer dernièrement dans un beau discours sur les espérances chrétiennes aux jeunes gens des fa­cultés catholiques. L'Ecole polytechnique, l'Ecole normale et l'Institut ont célébré leur centenaire, et dans chacune de ces circonstances il y a eu une cérémonie religieuse. L'Institut a voulu assister à une messe célé­brée pour ses défunts à l'église Saint-Germain-des-Prés et Mgr Perraud a prononcé une allocution toute épiscopale sur les grandes leçons de la mort. L'esprit de Voltaire est en baisse dans le monde des lettres, Dieu merci! Il y a là une éclaircie dans le ciel gros de nuages et de tempêtes qui pèse sur nos têtes.

III. AUTRES PAYS

Le japon. - Cette nation a un grand avenir, c'est manifeste. Elle emprunte notre civilisation, notre industrie, nos armes, nos moyens de circulation. Tout cela, ce sont des moyens qui peuvent servir au bien comme au mal. Le japon dominera la Chine moralement, s'il ne la do­mine pas politiquement. Il sera dans l'Extrême-Orient ce qu'est l'Angle­terre en Occident. Ah! s'il pouvait donner à la Chine la foi chrétienne! Quel immense accroissement l'Eglise recevrait en Asie! Comme les mis­sions du japon sont importantes en ce moment! Prions Dieu qu'il les bé­nisse et les féconde.

La Norvège. - Le réveil du catholicisme en Norvège est manifeste. Il faut lire les lettres intéressantes du vaillant vicaire apostolique de Chris­tiania dans la revue Les Missions catholiques. Les descriptions pittores­ques s'y unissent au récit des plus touchantes conversions.

Citons un trait entre cent:

«Au mois de février dernier avait lieu l'inauguration de l'église et de l'hôpital catholique de Christiansand. Des milliers de personnes, pres­que toutes protestantes, assistaient avec recueillement à la cérémonie. Au banc d'honneur se trouvaient le gouverneur de la province, le maire, le préfet de police, le président du collège médical et d'autres autorités… Quel revirement! Il n'y a pas cinquante ans, le prêtre catholique était encore banni de la Norvège sous peine de mort, les catholiques étaient punissables de la prison et le nom même de catholique était voué au mé­pris et à l'insulte. Aujourd'hui ce nom est honoré et respecté».

«Lors de l'inauguration de l'église de Christiansand, Mgr Fallize pro­nonça un sermon au cours duquel il conjura les protestants de s'unir aux catholiques pour prier en faveur du rétablissement de l'union avec Ro­me, union rompue il y a trois siècles par la violence. L'office terminé, le gouverneur de la province s'approcha de l'évêque et lui adressa ces pa­roles significatives: Monseigneur, nous prierons avec vous, pour que la prière de Notre-Seigneur s'accomplisse, ut unum sint; si je ne me trompe, il ne passera pas un siècle avant que ce vœu soit réalisé».

«Le soir il y eut un dîner au presbytère. Toutes les autorités protes­tantes de la ville y assistaient. Des toasts furent portés à l'évêque, et les plus vifs éloges furent adressés aux admirables religieuses qui par leur abnégation font tout autant pour la conversion des Norvégiens que bien des sermons et des tournées de missionnaires».

Et nous aussi, n'est-ce pas, cher lecteur, nous voulons prier pour la conversion de ce bon peuple.

1)
A Ziegenburg en Alsace, à Suin en Charolais, etc.
2)
Voir par ex,: M. Feugères, La vie publique et privée des Grecs et des Romains.
3)
M. Monréal, 39, rue Thomassin à Lyon, vend de beaux drapeaux tricolores du Sacré-Cœur en soie pour 75 fr.
4)
Conversation rapportée par les journaux russes.