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CHRONIQUE (Janvier 1896)

I. ROME

Une église ressuscitée. - C'est de la noble Eglise des Coptes que nous voulons parler. Les Coptes sont les vieux Egyptiens, les restes du grand peuple de Sésostris et de Ptolémée, du peuple qui a bâti les pyra­mides et les grands temples de la vallée du Nil. Le nom même de Coptes est leur nom primitif que les Grecs ont traduit par Aigyptos et nous par Egyptiens. Ils ne forment plus guère aujourd'hui que la dixième partie de la population de l'Egypte, les Arabes les ayant opprimés et décimés depuis douze siècles.

C'est un des premiers peuples qui aient été gagnés à la foi chrétienne. Notre-Seigneur lui-même leur avait porté les prémices de la rédemption dans sa fuite en Egypte.

Saint Marc, évangéliste et disciple préféré de saint Pierre fut leur pre­mier apôtre. Il fonda l'Eglise d'Alexandrie pendant que saint Pierre fon­dait celle de Rome.

L'Eglise d'Egypte fut longtemps florissante entre toutes. Elle avait à Alexandrie une école célèbre qui compta parmi ses maîtres saint Clé­ment et Origène. La vie érémitique y fut cultivée mieux que partout ail­leurs et ses déserts furent les témoins des vertus de saint Antoine, de saint Paul, de saint Arsène et de tant d'autres. L'illustre vierge Catheri­ne d'Alexandrie fut la plus belle fleur de ce sol privilégié.

La liturgie des Coptes est encore en substance celle de saint Marc et leur langue sacrée est la vieille langue des hiéroglyphes, modifiée un peu dans sa forme et dans son écriture.

N'est-il pas juste que l'Eglise de Rome aime et vénère l'Eglise sœur d'Alexandrie? Oui, cela devait être et Léon XIII y a pourvu. L'Eglise copte est aux trois quarts schismatique, mais elle reviendra facilement à l'unité romaine. Il n'y a pas là d'influence politique qui s'y oppose comme en Russie ou en Angleterre. Il suffit pour cela que l'Egli­se romaine témoigne quelques égards aux Coptes et c'est ce que Léon XIII vient de faire en rétablissant le patriarcat et les évêchés coptes et en préparant la construction d'une église patriarcale à Alexandrie.

Nous regardons tous ces progrès de l'union comme un fruit de la cha­rité du Sacré-Cœur qui grandit chaque jour dans l'Eglise et nous invi­tons nos chers lecteurs à demander chaque jour au Sacré-Cœur cette union de tous les disciples du Christ.

Les études. - Ce sont les idées qui mènent le monde. Léon XIII le sait bien et en donnant un très grand développement à la science chré­tienne, il prépare sûrement l'éclosion d'un grand siècle chrétien après le siècle positiviste qui s'achève. Il a rendu à la philosophie et à la théologie toute la vigueur de la méthode scolastique. Mais ce n'est pas tout, il a voulu multiplier et fortifier les universités catholiques. Il a encouragé la fondation de celles de Washington, de Fribourg, d'Amsterdam. A Rome surtout il a donné une grande impulsion aux études.

L'Universié Grégorienne regorge d'élèves: elle a dû récemment dé­doubler ses cours de théologie. Des collèges nouveaux se groupent au­tour d'elle. L'an dernier c'était celui des Espagnols, cette année c'est ce­lui des Dalmates.

Bientôt les Bénédictins vont entrer dans le superbe édifice élevé pour eux par Léon XIII sur le mont Aventin sous le patronage de leur grand Docteur saint Anselme, et Rome comptera une grande école de philoso­phie et de thèologie en plus.

Les Trappistes, qui se remettent à faire grand comme leur aïeul saint Bernard depuis qu'ils sont groupés sous la main vigoureuse du Rév. Pè­re Sébastien Wiard, vont racheter l'abbaye cistercienne de Sainte-Croix de Jérusalem, pour y établir une maison d'études, ce qui ne les empê­chera pas de relever en France leur maison-mère de Citeaux.

La théologie la plus pure a sa source dans la pensée et dans le Cœur du Verbe de Dieu. Ses progrès sont encore pour nous un don du Sacré­Cœur de Jésus.

II. FRANCE

Le centenaire du pacte de Tolbiac. - C'est au 25 décembre 496 que Clovis fut baptisé à Reims avec ses Francs. Nous saluons en l'année 1896 le quatorzième centenaire du pacte de Tolbiac.

C'est au champ de bataille de Tolbiac que s'est conclue l'alliance de la France avec le Christ. Le pacte conclu à Tolbiac a reçu sa forme définiti­ve et sa sanction à Reims. La France sauvée par le Christ est devenue par la volonté du roi et du peuple le royaume du Christ. La France a promis fidélité au Christ et le Christ a promis à la France par les lèvres inspirées de saint Remi la continuation de ses faveurs tant que la France serait fidèle.

Depuis lors tous les événements providentiels ont réalisé le pacte pro­phétique de Tolbiac. Tant que la France a été fidèle au Christ, elle a été bénie et prospère. Toutes les fois qu'elle a oublié ses promesses et sa vo­cation, elle a été vaincue, envahie et humiliée.

Nous reviendrons souvent dans le courant de cette année sur cette thè­se dont l'évidence historique est manifeste. Aujourd'hui nous voulons seulement saluer l'année du centenaire qui commence.

Mais nous voulons aussi protester contre le titre trop restreint qui est donné par plusieurs à ce grand événement. Ce n'est pas seulement le baptême de Clovis qu'il faut fêter. Les gallicans qui ont laïcisé la vie so­ciale s'en contenteraient: pour nous, nous voulons fêter le pacte de Tol­biac, ce pacte sacré par lequel Clovis a donné la France au Christ. C'est là l'origine de toutes nos gloires nationales et de toutes les faveurs accor­dées par la Providence à la France. C'est là qu'il faut revenir si nous ne voulons pas périr.

Le cri de Clovis, pour résumer ce pacte a été: Vive le Christ qui aime les Francs. Le nôtre sera dans l'avenir: Vive le Sacré-Cœur de Jésus qui aime la France.

L'action catholique. - Combien il est urgent de nous unir et d'agir! Il y a un réveil manifeste parmi les catholiques de France, mais combien il est encore insuffisant. Léon XIII a fait tout ce qu'il a pu: il a secoué notre tor­peur par son encyclique sur les devoirs des catholiques, par sa lettre aux Français, par l'encyclique Rerum Novarum, par ses discours et ses exhorta­tions en maintes circonstances. Mais nous commençons à peine à le com­prendre, et nous avons perdu bien du temps en vaines discussions.

Le petit journal La Croix nous rend un service immense. Il est agis­sant, ardent, pressant. On dit qu'il dépasse parfois un peu la mesure. Je le lui pardonne volontiers. C'est le péché des ardents et les ardents sont si rares et si précieux! Saint Jacques et saint Jean étaient trop ardents aussi le jour où Notre-Seigneur les appela les fils du tonnerre, cependant il les aimait bien.

Les catholiques du Nord viennent de tenir leur beau congrès annuel. Ils sont bien admirables, mais ils n'étaient pas assez conciliants les an­nées précédentes. Cette année, ils ont manifesté une bonne volonté réelle pour la paix et pour l'union. Il faut leur en savoir un grand gré. Leur éminent président, M. Thellier de Poncheville y a beaucoup contribué. Il a rempli sa tâche avec autant de tact que de talent et de zèle. Il a bien mérité de la cause catholique.

III. AUTRES PAYS

Belgique. - On peut maintenant se rendre un compte exact du ré­sultat des élections communales. On peut se réjouir de l'immense triom­phe des catholiques. Ils détiennent la plupart des municipalités et ils ont fait arriver des groupes nombreux dans les conseils des grandes villes où ils n'avaient pas accès auparavant, à Bruxelles, à Anvers, à Liège, à Gand. Mais il ne faudrait pas s'endormir sur ce succès. Les élections ont révélé les progrès du socialisme. Il est puissant dans les villes et dans les pays houillers.

Les catholiques doivent voir ce qu'ils auraient dû faire: dans les villes où ils s'étaient mis de bonne heure et avec ardeur à grouper les ouvriers dans des associations catholiques, les résultats sont meilleurs. Là où on a laissé prendre les devants aux syndicats socialistes, comme à Gand, les résultats sont moins favorables. Les travailleurs ont besoin de s'associer pour se soutenir et s'entr'aider. Si les catholiques ne se hâtent pas, les socialistes prendront les devants, Léon XIII nous en a bien prévenus.

Il y a un autre moyen encore d'enrayer le socialisme, c'est d'accorder aux travailleurs ce que leurs revendications ont de fondé. Les catholi­ques belges le comprennent. Ils ont d'excellents projets de loi, dont l'étu­de est avancée, sur les Unions professionnelles, sur la limitation des heu­res de travail et le repos dominical, sur les pensions ouvrières et sur les règlements d'ateliers. Qu'ils ne se laissent retarder ni par les politiciens, ni par les réactionnaires, et ils gagneront à leur cause tous les ouvriers de bonne foi.

Hollande. - Cette nation montre une grande largeur de vue, de la tolérance et même de la bienveillance pour les catholiques. Les religieux y peuvent fonder partout des maisons et ils obtiennent très facilement pour les couvents la personnalité civile.

Les communautés pour lesquelles la France et l'Allemagne se sont montrées des marâtres ont trouvé en Hollande un sympathique accueil. La province du Limbourg compte à elle seule quatre-vingts couvents étrangers. Et cependant la majorité de la population hollandaise est cal­viniste. Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser qu'il y a là un grand motif d'espérance pour la conversion de la Hollande.

On ne prie pas assez dans les pays catholiques pour cette conversion. Il y a de grandes associations de prières pour la conversion de la Russie et de l'Angleterre, il n'y en a pas qui soit bien répandue en faveur de la Hollande. Dans un de nos prochains numéros nous proposerons une as­sociation de prières au Sacré-Cœur avec l'approbation de l'autorité compétente pour la conversion de cette nation hospitalière.

Etats-Unis. -La grande république américaine à eu dernièrement son jour de prière publique. Sur l'invitation de son président, la nation entière rendait grâces à Dieu pour les bienfaits de l'année écoulée. Cela se fait là­bas avec une grande simplicité. C'est l'ordre naturel d'ailleurs et une na­tion qui ne prie pas agit contre la nature et se met au-dessous des païens. Pendant ce temps-là la France est livrée à l'athéisme officiel.

Il est interdit dans les écoles publiques de parler de Dieu aux enfants. Il est défendu à nos soldats d'entrer en corps dans nos églises.

Il est permis à tout charretier, à tout caporal de blasphémer le nom de Dieu et à tout journal franc-maçon de l'outrager.

Les innombrables employés de l'Etat n'oseraient pas se montrer croyants.

Et si le président de la république avait la hardiesse de nommer Dieu dans un de ses discours, il mettrait en fureur toutes les feuilles rouges et soulèverait une tempête qui pourrait bien le renverser.

Aussi, selon la juste expression d'un journal catholique de Paris, la ré­publique des Etats-Unis prospère, et la France officiellement athée et maçonnique… a ce qu'elle mérite.

Equateur. - La situation reste là-bas fort pénible pour l'Eglise. Malgré des tentatives de réaction, les révolutionnaires sont restés les maîtres. La plupart des religieux et religieuses ont quitté le pays. Mgr l'archevêque de Quito a vu son palais pillé et incendié. Il est gravement malade. Mgr l'évêque de Portoviejo est exilé. On prête au gouverne­ment l'intention de renvoyer ce qui reste de prêtres et de religieux étran­gers.

Que Dieu protège la patrie de Garcia Moreno, le martyr du Sacré-­Cœur!

CHRONIQUE (Février 1896)

I. ROME

Paroles de nouvel an. - Le Saint-Père, à l'occasion des souhaits de Noël, nous a ouvert son cœur. Le cœur du Pape a d'intimes communi­cations avec le Cœur de Jésus, il est donc juste que nous cherchions dans les paroles du Vicaire de Jésus-Christ les pensées et les vues du divin Maître.

Le grand et sage pontife nous rappelle ses actes pontificaux de l'année qui finit et il nous exprime ses tristesses et ses espérances.

Il a fait appel plusieurs fois à la prière. Il sent qu'elle est particulière­ment nécessaire dans les multiples épreuves que l'Eglise subit, et qui agi­tent le monde. Il a demandé les prières des fidèles à l'occasion de la Pen­tecôte, pour obtenir de Dieu la grande grâce de l'union des Eglises. Il les a demandées dans sa lettre apostolique à la noble nation anglaise. Il les demande tous les ans pour le mois du Rosaire avec une insistance qui té­moigne de sa grande confiance en Marie.

Ce premier vœu de Léon XIII doit être celui du Cœur de Jésus. C'est une direction pour nous, disciples du Sacré-Cœur. Prions, prions beaucoup; prions pour l'union des Eglises; prions pour obtenir la protec­tion divine dans les multiples épreuves que l'Eglise subit et qui agitent le monde. Prions surtout la très sainte Vierge en récitant souvent et pieuse­ment sa couronne miraculeuse.

Léon XIII reconnaît un premier fruit des prières offertes à Dieu, dans le réveil et l'ardeur croissante de sentiments et d'action catholique qui se manifestent en plusieurs nations. Le bien-aimé Pontife a en vue sans doute la France, l'Italie et l'Autriche. L'Allemagne et la Belgique nous avaient devancés dans ce réveil de l'action catholique. Courage, donc! Le Cœur de Jésus le demande. Agissons avec foi, avec ardeur, avec con­fiance. Unissons-nous pour agir, au lieu de nous diviser par des discus­sions stériles.

Le Saint-Père attend aussi les effets de la prière en faveur de la cause qu'il a si chaudement embrassée du retour des chrétientés dissidentes à l'unité catholique. C'est une œuvre difficile, il le reconnaît; mais que ne peut, nous dit-il, sur les événements d'ici-bas, le recours à Dieu avec une persévérante confiance? C'est là encore une direction pour nos prières.

Enfin le Saint-Père s'étend plus longuement sur la grande hérésie mo­derne, sur l'athéisme social. Il le déplore, il le réfute et nous demande encore de prier Dieu pour que les sociétés contemporaines soient guéries de cette folie.

«En vérité, nous dit-il, c'est un sujet de profonde tristesse que de voir le siècle orgueilleux et incroyant vilipender et tourner en dérision la foi chrétienne, et les sectes impies appliquées tout entières à étouffer les ger­mes de la piété dans les jeunes cœurs qu'ils prétendent vouloir former à la vertu civile et morale sans le secours de la religion».

Et le saint Pontife nous rappelle sommairement les preuves de la né­cessité de ce culte social que nous revendiquons dans chacune des pages de cette modeste Revue.

«Pourtant, dit-il, la dignité de l'homme n'apparaît jamais plus gran­de que lorsqu'elle s'incline avec respect devant Dieu et qu'elle épanche son âme en sa présence, soit pour lui rendre hommage de servitude et de reconnaissance, soit pour le supplier d'accorder sa clémence et sa protec­tion. Ce fut toujours un bien beau spectacle de voir les princes et les peu­ples recourir à Dieu et en implorer publiquement, aussi bien les auspices de toute entreprise d'éclat, que le secours dans les grandes infortunes. Contre la perversion que nous déplorons, non seulement l'autorité des préceptes divins crie bien haut, mais aussi les impulsions même de la rai­son et la voix du cœur, qui fut écoutée fidèlement parmi les nations les plus policées du paganisme».

Oui, hélas! nous sommes tombés au-dessous des païens, par cet athéi­sme social, qui est un péché contre nature. Il est aussi naturel à l'homme de prier que de manger et de dormir et les sociétés comme les particuliers doivent adorer Dieu leur auteur et réclamer son secours. Et en consta­tant la folie inconcevable des sociétés modernes, le saint Pontife s'écrie: «Ah! Dieu bon, combien notre époque n'a-t-elle pas besoin de vos béné­dictions! ».

Voilà notre programme tracé pour l'année par les inspirations du Cœur de Jésus à son pontife: la prière, l'action catholique et l'apostolat du règne social de Jésus-Christ, tel doit être notre but. Dieu le veut, et nous voulons répondre à son désir.

Exhortations nouvelles. - Léon XIII poursuit ses desseins avec une persévérance admirable. Il veut ramener à la vie chrétienne la na­tion française qui a si souvent bien mérité de l'Eglise dans les siècles pas­sés. Rien ne l'arrête, ni les influences d'une partie de la curie romaine, ni les folies de nos gouvernements sectaires. Il poursuit son œuvre avec une bienveillance merveilleuse. Il veut nous donner encore une lettre apostolique où il rappellera les commencements providentiels de la na­tion française et sa mission à travers les siècles, et il nous accordera des faveurs spirituelles à l'occasion du quatorzième centenaire du pacte de Tolbiac. Nous y reviendrons, mais lui offrons dès aujourd'hui l'homma­ge de notre reconnaissance filiale.

Il poursuit aussi son œuvre pour l'union des Eglises et il a rédigé une nouvelle encyclique où il montre aux orientaux comment leurs aïeux ont cru fermement à l'unité romaine avant le schisme de Photius. Ce nouvel appel fera un grand effet en Orient, si la voix du pontife n'est pas trop étouffée par le bruit des révoltes qui agitent le pauvre empire turc.

II. FRANCE

Paroles d'évêques. - Nos pontifes nous appellent, eux aussi, à la prière et à l'action.

Plusieurs ont prescrit, à l'occasion de la rentrée des Chambres, des prières publiques dans toutes les églises et les chapelles de leur diocèse, pour attirer le secours de Dieu sur la France et sur les travaux de nos re­présentants.

Mgr Fava, toujours vaillant, secoue notre indolence par l'expression des sentiments ardents de son âme qui ne vieillit pas. Il écrivait dernière­ment au directeur de la Semaine religieuse de Grenoble pour l'encourager: «Pour nous, lui disait-il, soyons de bons soldats du Christ, comme le re­commande saint Paul, que se réclamait hardiment de son titre de citoyen romain. Nous sommes, nous, citoyens français. Cela vaut encore quel­que chose, quand on le porte dignement. Exigeons qu'on en respecte les droits. Evitons cette peur et cette lâcheté qui nous empêchent d'agir et qui laissent les francs-maçons s'ériger en tyrans de la nation et du mon­de». - Et le lendemain, il disait à son clergé qui lui offrait ses vœux: «La résistance à la persécution s'impose, et il est nécessaire que tout ce qu'il y a de bon en France (et les bons sont le grand nombre) lutte coura­geusement dans l'union et l'abnégation».

L'éminent évêque d'Angers, Mgr Mathieu, nous trace les conditions de cette lutte nécessaire. «Tout ce que nous avons de plus précieux, nous dit-il, l'éducation, la fortune publique, la justice même et l'armée, les écoles, le pain de nos prêtres, les établissements de charité, tout est à la merci d'un corps de législateurs qu'il semble impossible de calomnier, tant les mauvaises passions y disputent l'empire à la médiocrité». Voilà qui est parlé sans crainte. Le courageux évêque nous indique les remè­des: l'action électorale, la presse, la décentralisation - et il ajoute: «Ce n'est pas l'affaire d'un jour de remonter un pareil courant et de changer une pareille situation: il y faut ce qui manque le plus aux Français, l'union, la suite dans l'effort, la patience et l'esprit de sacrifice… Il faut prêcher de toutes nos forces l'union aux catholiques et les grouper de plus en plus autour de la croix de Jésus-Christ, sur le seul terrain absolu­ment solide, le seul qui ne se dérobera pas sous leurs pieds: celui de la défense des intérêts religieux». - Voilà notre programme et nous le propagerons avec persévérance.

Elles ne sont pas moins vaillantes ces fières paroles de Mgr de Cabriè­res au ministre des cultes au sujet des fabriques. «Ramenez-nous donc simplement, Monsieur le ministre, à la pratique exacte du décret de 1809, qui a assuré à nos diocèses près d'un siècle de paix. L'ensemble et les détails en ont été dessinés et arrêtés par un jurisconsulte qui, je le crains, était, dans le secret de sa pensée, ce qu'on nommait alors «un philosophe». Mais sa haute intelligence le défendait contre les inspira­tions étroites et jalouses de l'esprit sectaire. Il voulait sincèrement faire vivre l'Eglise de France dans une atmosphère de sage et prudente liber­té. Ce modèle peut vous être offert, M. le ministre, et j'espère que vous serez tenté de le suivre».

Voilà des paroles dignes d'Ambroise et de Chrysostome. Mais hélas! nos ministres d'aujourd'hui nous prouvent qu'il n'y a pas chez eux «cet­te haute intelligence capable de les défendre contre les inspirations étroi­tes de l'esprit sectaire».

Les droits de Dieu. - Joseph de Maistre a dit: «La Révolution a com­mencé par la proclamation des droits de l'homme, elle se terminera par la proclamation des droits de Dieu». Cet événement se prépare manifestement.

Les droits de l'homme, sans Dieu ou contre Dieu, c'est l'athéisme so­cial. C'est la conséquence logique du gallicanisme.

Quand une erreur est ainsi arrivée à ses dernières limites, elle est pro­che de sa fin. Les hommes en touchent du doigt les conséquences désa­streuses et ils reconnaissent qu'ils se sont trompés. L'Eglise envisage en face son ennemi démasqué et elle définit clairement la vérité outragée. C'est ce qui a lieu pour le règne social du Créateur. Nous avons renié ses droits et nous en sommes punis, nous sommes tombés dans le désor­dre social le plus étrange en attendant l'anarchie qui nous menace. Le dégoût de l'erreur gagne les esprits éclairés, ils sentent le besoin de reve­nir à la religion dans la vie sociale. L'Eglise aussi se prononce. Léon XIII nous a donné son encyclique sur la Constitution chrétienne des Etats. Et nous ne doutons pas qu'une des premières définitions qui se­ront faites dans l'Eglise, ce sera celle des droits de Dieu sur les sociétés. Dans ces réactions salutaires il y a toujours des esprits timides ou fai­bles prêts à sacrifier la moitié de la vérité. Il y eut les semi-ariens et les semi-pélagiens, il y a aujourd'hui les semi-gallicans. Il y a les partisans du droit commun. Ceux-là renonceraient aux droits sociaux de Dieu si on lui accordait ses droits privés, c'est-à-dire si on permettait à Dieu de régner tranquillement dans les églises et au foyer des familles. Singuliers pléni­potentiaires, qui s'arrogent le droit de traiter pour Dieu et de renoncer pour lui à sa couronne.

Ceux-là se contenteraient pour Dieu du droit commun dans la républi­que. Celle-ci serait neutre, ou indifférente, ou athée, mais elle permet­trait aux citoyens de prier chez eux, et peut-être même de se payer des églises, des écoles et des prêtres.

On allègue volontiers l'exemple des Etats-Unis.

Tout cela est absolument contre la raison et la foi. L'Etat doit avoir sa religion et son culte. Comme Léon XIII le rappelait dans son discours de Noël, c'est là l'enseignement de la raison, c'est l'instinct même de l'homme qui est fait pour la vie sociale religieuse, comme il est fait pour boire et manger. Léon XIII nous faisait remarquer que par cette erreur nous tombions au-dessous des païens.

Les Etats-Unis ne sont pas indifférents ou athées. Ils sont socialement chrétiens. Le christianisme y est véritablement la religion nationale. La Constitution de tous les Etats s'ouvre par une affirmation de foi chré­tienne. Les lois proscrivent le blasphème et la profanation du dimanche. Le président demande chaque année et dans toutes les grandes circon­stances, des prières publiques. Les sessions du Congrès, les expositions, les fêtes s'ouvrent par la prière. Les paroisses, les associations et les con­grégations religieuses jouissent d'une large personnalité civile. Le ma­riage y est conclu devant les ministres du culte. Evidemment les Etats­Unis sont une nation chrétienne.

Ne nous contentons pas de réclamer une sorte de droit commun dans un Etat athée. C'est impie et contre nature et cela achèverait de nous mener à l'anarchie. La France sera religieuse, ou elle ne le sera pas. Et après quatorze siècles de foi, elle ne peut être que chrétienne et catholi­que, tout en accordant une large tolérance aux sectes dissidentes.

Les amis du droit commun dans l'Etat athée sont des semi-gallicans., Demandons le retour loyal au concordat de 1801 en le complétant et en le précisant sur quelques points. C'est là sûrement le désir du chef de l'Eglise et la volonté de Dieu.

III. AUTRES PAYS

Allemagne. - L'avantage, le besoin d'un arbitrage international se fait sentir partout. Le principal organe de l'arbitrage serait le Pape et ce serait là un des éléments de la forme nouvelle de la chrétienté.

Le prince de Lœwenstein, le vaillant défenseur des intérêts catholi­ques, vient de rompre au Landtag bavarois une lance en faveur de cet arbitrage international.

A plusieurs reprises le prince de Lœwenstein a déjà exposé les avanta­ges qui résulteraient pour l'ordre social, si les gouvernements s'enten­daient en vue d'un tel arbitrage. Le prince convient que les guerres ne seraient pas supprimées, mais il dit, avec raison, que beaucoup de con­flits pourraient être évités et que l'odieux de la guerre tomberait toujours sur celui qui aurait refusé de se soumettre à l'arbitrage. Il va sans dire que dans ce tribunal d'arbitres, le Souverain Pontife jouerait le premier rôle. On y viendra. Il est visible que l'esprit public y incline.

Angleterre. - Dans son conflit avec le Venezuela, l'Angleterre a re­fusé l'arbitrage du Pape qui lui était proposé par la république américai­ne. Dieu a permis que l'Angleterre trouvât dans cette lutte contre un Etat minuscule une humiliation profonde qui a singulièrement amoindri son prestige. Elle a dû reculer devant la menace des Etats-Unis. Et bien­tôt après l'empereur d'Allemagne encouragé par ce qu'avait fait le prési­dent Cleveland infligea à son tour une humiliation à l'Angleterre au su­jet du Transvaal.

L'Angleterre eût mieux fait de reconnaître que le Vicaire de Jésus­Christ a vraiment sur la terre une mission de pacificateur et de défenseur du droit et de la justice.

CHRONIQUE (Mars 1896)

I. ROME

L'Orient et le Sacré-Cœur. - «L'Orient a donné la lumière à l'Occident, et l'Occident lui rendra l'amour par le Sacré-Cœur». Cette pieuse pensée a inspiré le vénérable cardinal d'Autun et le chanoine Lé­marin, si compétent et si dévoué pour ce qui touche aux choses de l'Orient, dans une démarche qu'ils viennent de faire et qui aura un grand retentissement. Il leur a semblé que l'union des deux Eglises de­vrait être une grâce du Sacré-Cœur de Jésus. Mais comment attirer les faveurs du divin Cœur sur cet Orient, qui est comme gisant dans un état de paralysie et de léthargie? Il y avait un moyen, c'était d'intéresser les Eglises unies d'Orient à la canonisation de la bienheureuse Marguerite­Marie et à son culte. Notre-Seigneur leur en serait reconnaissant et les aiderait à reconquérir les Eglises séparées.

Ce projet a été adopté. M. le chanoine Lémann, après avoir fait beau­coup prier à cette intention les Visitandines de Paray et les Carmélites de la Palestine, a proposé aux patriarches catholiques d'Orient de signer et de faire signer par leurs suffragants une supplique au Saint-Père pour lui demander la canonisation de la Bienheureuse.

Un plein succès a couronné cette heureuse initiative. Les patriarches et leurs suffragants ont déjà signé la supplique au Saint-Père pour récla­mer de son autorité suprême le jugement définitif qui donnera à toutes les Eglises d'Orient, dans la personne de sainte Marguerite-Marie Ala­coque, une messagère d'espérance et une protectrice spéciale.

La supplique est superbe d'allure et de sentiment, nous la reproduisons:

«Très Saint-Père»

«Si l'amour de la patrie a toujours fait palpiter le cœur des hommes, quel n'a pas dû être ce sentiment dans le cœur de l'Homme-Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ? A ce titre, notre Orient lui est cher: c'est sa patrie! C'est la terre, qui, la première, a senti les battements de l'infi­nie charité incarnée dans le cœur de l'Enfant de Bethléem. C'est la terre qu'il a foulée, semant ses bienfaits sous chacun de ses pas et annonçant à tous le Royaume de Dieu. Jusqu'à la fin des temps, l'Evangile redira, à tous les peuples, les accents d'incomparable tendresse qui se trouvaient sur les lèvres du Sauveur, lorsque son cœur parlait à Jérusalem: Jérusa­lem! Jérusalem! Que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassem­ble ses petits sous son aile!

«Il nous semble, Très Saint-Père, entendre comme un vivant écho de cette parole divine dans la paternelle exhortation que Votre Sainteté dai­gnait adresser naguère à nos Eglises d'Orient, de cet Orient bien-aimé, Berceau du salut pour le genre humain. Lorsque nous entendons Votre Sainte­té nous dire: Notre cœur s'ouvre à vous, qui que vous soyez, de rite grec ou de tout autre rite oriental, à cette ouverture de votre cœur, quelque chose d'ineffa­blement doux se remue en nous et nous nous écrions: Surgam et ibo ad pa­trem! Oui, nous irons à notre Père le Pontife romain, et puisqu'il nous ouvre ses bras et son cœur, tombant à ses pieds, nous lui ferons cette prière:

«Très Saint-Père, daignez nous accorder une grâce».

«Comme jadis, Ismaël mourant de soif au désert, le monde entier, en Orient comme en Occident, a besoin d'une eau vive. Seule, une nouvel­le effusion de la charité du Cœur du Christ peut nous désaltérer et nous faire revivre.

«Envoyez-nous, Très Saint-Père, une messagère d'espérance. Cano­nisez la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque et donnez-la ensuite pour protectrice spéciale à nos Eglises d'Orient».

«Choisie de Dieu pour être la confidente et l'apôtre de son Cœur Sa­cré, mieux que tout autre, cette Vierge admirable saura nous faire pui­ser à longs traits, dans les sources du Sauveur, les eaux du salut. Ainsi retrempée et rajeunie dans la dévotion au Sacré-Cœur, notre terre re­fleurira et donnera cent pour un au Père de famille!».

«Tout l'univers attend de Votre suprême autorité la canonisation de la Bienheureuse. Permettez, Très Saint-Père, que, dans ce concert una­nime de supplications, sollicitant de Votre Sagesse cet acte solennel, l'Orient fasse entendre sa note à l'unisson de l'Occident».

«Que Votre Sainteté, dont les regards - selon sa propre expression» - se portent affectueusement vers l'Orient, «bénisse les pasteurs et les troupeaux de ces vastes régions!».

«Ce m'est une joie profonde de pouvoir me dire». «O magnanime Pontife et le meilleur des pères». «De Votre Sainteté».

«Le fils très obéissant et très dévoué…»

Le Pape et la Hollande. - Deux fois, depuis peu de temps, le Saint­Père s'est adressé à la Hollande. C'est qu'il y a là un peuple intéressant, un peuple laborieux, honnête et vaillant, qui a tenu tête autrefois à Louis XIV et qui occupe encore en Europe un rang d'honneur par l'im­portance de ses colonies et de son commerce. La Hollande est hospitaliè­re et libérale. Elle est agissante et entreprenante. Si elle revenait entière­ment à la foi catholique, elle prendrait une part active aux missions loin­taines et donnerait à l'Eglise un puissant concours. Le catholicisme y ga­gne du terrain, lentement mais régulièrement. Les calvinistes y sont plus tolérants que jadis et bientôt peut-être le Pape pourra s'adresser à leur loyauté et à leur bonne foi comme il a fait pour les protestants d'Angle­terre.

Avec quelle bonté émue, avec quelle tendresse Léon XIII parle de la Hollande dans sa lettre au journal catholique Le Tijd! C'est le langage d'un père en même temps que celui de l'apôtre. Nous allons en citer quelques paragraphes:

« Quant à Nous, pour vous ouvrir Notre cœur, Nous vous dirons que Nous éprouvons une affection bien vive pour votre nation si généreuse par son caractère et si illustre par ses entreprises; aussi chaque fois que Nous Nous souvenons de la Hollande, c'est avec un grand amour».

Nous Nous rappelons que saint Willibrod, cet homme apostolique qui fut consacré archevêque de la Frise, et revêtu du sacré gallium par Notre prédécesseur, Serge Ier, a soumis à la loi du Christ votre peuple qui, comme une terre fertile, a répondu aux travaux endurés pendant de lon­gues années par ce saint.

Il Nous souvient aussi de ces siècles nombreux où les mêmes nations furent très chères à l'Eglise romaine, à cause de l'intégrité de leur foi, et de leurs bonnes œuvres. Quelles tristes vicissitudes vinrent ensuite! Mais comme aussi se manifesta envers la Hollande, la bienveillance du Dieu de miséricorde.

Il est bien doux en effet de considérer combien dans ce pays, après les violentes tempêtes, la lumière de la vérité et de la grâce, cette lumière qui y brillait jadis, a été de nouveau accueillie graduellement, et comment elle croit chaque jour, grâce à l'équité des lois et des pouvoirs publics.

Vous comprenez pourtant, Nos chers Fils, que bien des progrès re­stent à souhaiter; cela, vous le sentez bien, vous dont le cœur est plein d'amour pour votre patrie et de charité chrétienne.

Courage donc; sous de nouveaux auspices, poursuivez votre œuvre, raffermis dans vos desseins, et fortifiés dans votre ardeur, afin que les fruits excellents de votre zèle soient plus abondants pour le bien de tous vos concitoyens, et surtout en faveur des dissidents.

C'est un principe capital que vos efforts doivent être dirigés vers eux, non pas tant comme contre des adversaires que l'on veut réfuter et vain­cre, que comme vers des frères, dignes de considération à plus d'un titre, pour les appeler à la vérité et pour les rendre au sein de l'Eglise, leur mè­re et la vôtre.

Nous prions de tout Notre cœur que Dieu vous continue son assistan­ce et vous soutienne toujours: ayez-en le gage dans la bénédiction apo­stolique que nous accordons à chacun de vous avec beaucoup d'effusion.

LEON XIII, PAPE

Les deux règnes. - Elles sont bien intéressantes les révélations de Miss Diana Vaughan sur la franc-maçonnerie luciférienne, dans ses ­moires d'une ex-palladiste. Mais il faut lire aussi son ouvrage précédent «Le Palladium régénéré et libre» pour comprendre la grande lutte engagée par le démon contre le règne du Christ.

Le démon voulait pousser plus loin dans le secret des Loges ses tra­vaux de mines contre l'Eglise sous le voile de la franc-maçonnerie, com­me il fit dans les premiers siècles chrétiens sous le couvert du gnosti­cisme.

Il se donnait comme le dieu bon dans les Triangles lucifériens et se di­sait persécuté par Adonaï le dieu mauvais. Bien des sectateurs le Lucifer étaient des farceurs, des niais ou des exploiteurs de la crédulité publique. Mais il y avait là aussi quelques âmes droites, quelques âmes vraiment illusionnées. Lucifer, pensaient-elles, ne fait-il pas des miracles comme Jésus-Christ, n'a-t-il pas aussi ses apparitions, ses révélations? Il est donc dieu lui aussi. Mais le Christ est un dieu tyrannique qui soumet les croyants à toutes les exigences de l'Eglise, tandis que Lucifer le dieu bon veut émanciper l'humanité.

Miss Diana Vaughan acceptait cela. C'était une croyante ardente. El­le se rangeait parmi les défenseurs enthousiastes de Lucifer.

Les Saints de l'Eglise catholique, dans cette doctrine, sont considérés comme autant d'ennemis du dieu bon. Les quelques naïfs de la secte voudraient bien faire exception pour saint Vincent de Paul. Ils se tirent d'affaire en disant que celui-là était à eux et que le Pape s'est trompé en le canonisant. Mais voici que Jeanne d'Arc aussi va être inscrite au mar­tyrologe chrétien. C'est bien dommage de la céder aux catholiques, elle est si sympathique au peuple! Elle a bien été cependant un disciple de Jésus dont elle inscrivait le nom sur ses étendards. Cela troublait bien l'âme de Diana Vaughan. On sait qu'elle a invoqué Jeanne d'Arc et que la lumière s'est faite dans son esprit. Elle a renoncé au Luciférianisme, elle a reçu le baptême, et elle nous révèle aujourd'hui dans ses Memoires toutes les horreurs de la secte diabolique.

C'est un épisode éclatant de la lutte qui s'engage entre les deux règnes. Diana Vaughan comme Margiotta était une grande force dans l'armée en­nemie. Ils l'ont quittée pour passer sous le drapeau de Jésus-Christ.

Les deux camps sont maintenant bien tranchés et la campagne est me­née vigoureusement. Depuis que le Saint Père nous a appelés à la croisa­de contre la franc-maçonnerie par l'encyclique Humanum genus, nos évê­ques ont fait écho à sa parole, et les livres, les revues et les conférences ont partout engagé le combat.

Le livre du docteur Bataille, Le diable au XIXe siècle, nous a révélé toute la religion infernale des arrièresloges1). Mgr Meurin a écrit pour les théo­logiens et pour les amateurs de science mystique son volume sur la Franc­maçonnerie, synagogue de Satan2).

Lucifer démasqué, par Jean Kostka, est un des livres les plus suggestifs de la série. Ce sont les révélations d'un converti, comme l'ouvrage du docteur Bataille3). Margiotta, un autre converti, a publié deux volumes également intéressants et qui ont pour titre Adriano Lemmi et Le culte de la nature4). Il faudrait citer encore les livres de dom Benoît, de M. De­schamps, de M. de la Rive et cinquante autres.

Nous recommandons particulièrement à nos lecteurs les Mémoires de Diana Vaughan, qui se publient par fascicules mensuels et illustrés5). Tous les amis du Sacré-Cœur doivent connaître l'armée de Satan pour la combattre.

II FRANCE

Montmartre. - L'œuvre du Vœu national poursuit ses progrès. Nous lui sommes très unis de cœur et nous allons chaque mois porter notre hommage aux pieds du Saint-Sacrement exposé là sur son trône de miséricorde et de réparation.

Pour exposer le développement qu'a pris l'œuvre depuis une année, nous ne saurions mieux faire que de reproduire une bonne lettre toute fraternelle des Pères Directeurs de Montmartre.

Mon Révérend Père,

Nous vous remercions pour l'envoi de votre pieuse et intéressante Re­vue, véritable voix du Cœur de Jésus et messager de son amour.

A vous, peut s'appliquer l'invitation: Clama, ne cesses, quasi tuba, exalta vocem.

Je pense que vous devez recevoir chaque mois, le Bulletin du Vœu national; s'il y avait oubli, je vous demanderai de vouloir bien m'en avertir.

Durant l'année qui vient de s'écouler, le Sacré-Cœur a béni manife­stement l'œuvre de Montmartre, et au milieu des cris de la haine irréli­gieuse qui arrivent de toutes les parties du monde, un rayon lumineux brille sur Montmartre. Les âmes chrétiennes continuent leurs sacrifices afin de hâter l'achèvement du monument, en sorte que cette année enco­re, le million a été dépassé. A ces aumônes matérielles beaucoup ajou­tent l'envoi d'offrandes spirituelles. Comprenant que c'est surtout par des sacrifices qu'il faut attirer la miséricorde de Dieu et apaiser sa justi­ce, les chrétiens généreux envoient, chaque mois, la liste des œuvres ac­complies en l'honneur du Sacré-Cœur pour qu'elles soient déposées sur l'autel le premier vendredi. Durant l'année 1895 le chiffre de ces offran­des spirituelles s'est élevé à 16.384.793.

Sans parler des diverses œuvres établies dans le Sanctuaire, deux fois par semaine 1500 à 2000 hommes vrais miséreux, sans pain et la plupart sans foyer, viennent chercher près du Sacré-Cœur, à la fois, le pain ma­tériel et le pain spirituel. Chaque samedi, une quarantaine d'entre eux passent la nuit en adoration.

L'œuvre qui nous donne le plus d'espoir, c'est celle de l'adoration. Vous savez qu'à Montmartre, l'exposition du très saint Sacrement est perpétuelle. 1.500 dames de Paris forment la garde d'honneur diurne ré­gulière du Saint-Sacrement, et viennent, chaque mois, passer une heure d'adoration, au jour qui leur est assigné, sans parler des adorations fai­tes librement.

Les nuits sont réservées aux hommes. En 1895, 12.000 messieurs, prêtres ou religieux, se sont partagé les nuits d'adoration.

A cette adoration locale de Montmartre est venue s'adjoindre l'adora­tion universelle des églises. Déjà 140 évêques ont approuvé cette sainte ligue et 4.567 églises, des diverses parties du monde, ont demandé à s'y affilier, et ont pris l'engagement d'exposer le très saint Sacrement en union avec Montmartre, au moins une fois par an, pour demander le rè­gne universel du Sacré-Cœur et son trimphe dans le monde. C'est assu­rément un spectacle bien consolant que ces milliers de fidèles disant, en toutes langues devant le Cœur de Jésus: Adveniat regnum tuum! Oportet il­lum regnare. Pour encourager cette sainte union le Souverain Pontife a ac­cordé à toutes les églises une indulgence plénière qui peut être gagnée quatre fois par an dans chaque église. Permettez-nous de solliciter votre concours pour l'extension de cette adoration universelle.

En vous remerciant de nouveau pour l'envoi de votre Revue mensuel­le, et en lui souhaitant ainsi qu'à vous, les plus abondantes bénédictions du Sacré-Cœur, Agréez, etc.

A. YENVEUX, prêtre

L'action sociale catholique. - C'est là encore une campagne défi­nitivement engagée. Il semblait que les catholiques eussent peur de toute action sociale. Ils avaient ajouté au décalogue un onzième commande­ment: «Tu ne feras pas de politique». Ils étaient gallicans sans le savoir.

Enfin la vérité se fait jour grâce à Léon XIII. Vingt fois il nous a dit: Sortez de votre engourdissement, agissez, allez au peuple, occupez-vous des travailleurs, revendiquez les droits de la vérité et de l'Eglise; ne faites pas de la politique de parti, mais faites de la politique chrétienne.

Et voici que peu à peu, trop lentement encore, l'action sociale s'orga­nise. La presse catholique, les conférences, les œuvres se multiplient. En plusieurs diocèses les évêques donnent à ce mouvement social de puis­sants encouragements.

Et quelle autre espérance avons-nous que celle-là? Nous voulons réta­blir le règne de Jésus-Christ. Nous voulons arriver au règne du Sacré­-Cœur. Le moyen, c'est de gagner les masses par la presse et par les asso­ciations. Une fois gagnées à Jésus-Christ, les masses proclameront faci­lement ses droits et sa royauté sociale.

Mgr l'évêque de Quimper a bien exprimé ces espérances chrétiennes, dans une belle lettre au Comité ouvrier catholique de Brest, nous lui donnons la parole:

«Comment ne vous bénirais-je pas, vous et ceux qui participent à vo­tre œuvre, vous qui dans un temps où les bonnes volontés sont si affa­dies, savez vous montrer à visage découvert comme de bons et fidèles chrétiens! Vous le voyez, il y a en ce moment une sorte de recrudescence du mal. L'ennemi ne cache plus ses odieux projets contre la religion. Il n'épargne ni la menace, ni la calomnie, ni le mensonge. Il fait en quel­que sorte parade de sa force et se prépare à porter à notre foi des coups qu'il croit devoir être mortels. Jamais l'expression de la haine antireli­gieuse n'a été aussi vive qu'aujourd'hui et plusieurs des nôtres, et des meilleurs, regardent l'avenir avec anxiété.

Faut-il donc se décourager? bien loin de là! Nous savons que Dieu a son heure et qu'il lui suffit d'un signe pour arrêter le flot. N'avons-nous pas mille motifs d'espérance? Jamais la presse catholique ne répondit dans une si large mesure aux besoins du moment. La jeunesse chrétien­ne s'est levée, elle s'est comptée, elle s'est unie, et, si elle n'est pas enco­re le nombre, il y a chez elle un tel entrain, un tel amour de la vérité, un tel attachement à la foi qu'elle pèsera d'un grand poids sur l'avenir. Les conférences, les cercles, les patronages, les œuvres de dévouement pren­nent la vie la plus intense. Il n'est pas une parole contre la foi chrétienne, pas une entreprise contre nos droits de catholiques et de citoyens qui ne soient relevées avec toute l'ardeur de cœurs dévoués.

Ce n'est donc pas le moment de perdre courage et d'aller comme cer­tains hommes de peu de foi en jetant des cris de détresse.

Nous sommes loin peut-être des jours de la victoire, mais elle viendra si nous savons en toute circonstance agir avec sagesse et modération, ne nous laissant pas entraîner par une surexcitation irréfléchie et évitant de donner à nos ennemis des armes contre nous. Il y a vingt ans nous étions bien loin d'un semblable état. Nous pouvons aujourd'hui compter nos œuvres avec fierté. Sous l'impulsion des sages conseils de Léon XIII, nous avons senti grandir nos forces en même temps que notre amour pour la religion et pour la patrie.

Soyez donc pleins d'espérance. L'avenir, je vais vous le dire. Nous aurons tous à livrer de rudes combats, c'est le sort des disciples du Christ. Nous avons affaire à d'impitoyables ennemis, parce qu'il n'y a rien d'impitoyable comme la haine de la religion. Mais vous, et ceux qui concourent à votre œuvre, vous avez trop de cœur pour que cela vous fasse reculer. La pensée de remplir un grand devoir vous soutiendra; vous serrerez vos rangs qui grossiront de plus en plus, et si l'ennemi du bien et de la foi fait des ruines autour de vous, vous serez là pour les rele­ver.

Confiance en Dieu! Que ce soit votre devise pour l'année qui com-mence».

L'Université. - L'esprit de l'Université, l'esprit de l'Ecole normale s'étalait devant nous à la réception de M. Lemaître à l'Académie. M. Lemaître et M. Gréard nous disaient leurs sentiments, ceux de leur monde, ceux de M. Duruy dont ils faisaient l'éloge. Et toutes ces âmes étaient marquées de la tristesse d'un vague et douloureux scepticisme.

«La vie de M. Duruy, dit M. Lemaitre, rappelle aux âmes inquiètes que, entre les croyances confessionnelles et le doute ou la négation, il re­ste à la conscience des refuges». Quels pauvres refuges que cette religio­sité vague «qui ne prétend pas définir dans la grande rigueur les idées entrevues par la conscience et sommées par elle d'être des vérités!».

M. Gréard décrit «l'ondoyante agitation» de l'âme du récipiendaire. C'est «l'homme d'impression, qui ne se pique de rien, ne se prononce sur rien, ne ce croit assuré de rien, sinon de l'attrait qu'il éprouve et du plaisir qu'il goûte». «Son esthétique morale n'a pas de prétentions dog­matiques». Il se contente d'un scepticisme railleur et de «l'observation exclusive des veuleries de ce monde». «Elle est si intéressante, l'âme tri­ste, insoumise et généreuse du XIXe siècle!».

Pauvre France! Et voilà bientôt cent ans que l'Université napoléo­nienne a pris à tâche de la façonner à sa manière et de lui donner une âme triste, insoumise, sans dogmes et sans principes, qui vit sous un ciel sans soleil, dans une atmosphère brumeuse et sans lumière. Et le siècle finit dans le sensualisme et la désespérance. Il est caractérisé par la mul­tiplication des crimes et des suicides!

III. AUTRES PAYS

Le mouvement social en Italie. - La question sociale s'est posée plus tardivement en Italie que dans d'autres pays: elle y est apparue par­ticulièrement sous la forme d'une crise agraire. Les causes principales de cette crise sont, d'une part, un mauvais régime de la propriété, caracté­risé par les latifundia ou grands domaines administrés par des intendants et l'absentéisme des propriétaires, d'autre part le fardeau des impôts, écra­sant pour le cultivateur.

Aux environs de Pavie, dans cette fertile plaine lombarde qui semble l'image de l'abondance, le salaire normal des ouvriers de ferme est de 0,80 centimes par jour, celui des femmes de 0,40 centimes; ils se nourri­sent presque exclusivement de polenta, boivent l'eau corrompue des fos­sés. Quant à l'impôt, il prend ordinairement 30 p. c. et parfois jusqu'à 50 p. c. du revenu net de la terre. Sans ces charges accablantes, la Haute-Lombardie, la Toscane, l'Ombrie, pays où sont généralement en vigueur soit le métayage, soit le faire valoir direct, vivraient dans une ai­sance véritable.

En présence de ces maux, l'activité sociale des catholiques s'est portée principalement sur le terrain agricole.

MM. Wollendorf et Luzzati avaient jadis propagé dans l'Italie du Nord, les Banques populaires du système de M. Schultze-Delitsch; mais les banques sont une affaire, autant , sinon plus, qu'une œuvre. De bra­ves curés de campagne, parmi lesquels il convient de citer M. l'abbé Ce­rutti, ont fondé un grand nombre de Caisses de Crédit agricole mutuel, selon le système Raiffeisen.

Leurs efforts ont été couronnés de succès et il existe aujourd'hui dans la Haute-Italie plus de deux cents de ces caisses, où elles rendent aux po­pulations rurales d'inestimables services. Dans les campagnes, le prêtre est le fondateur nécessaire, le directeur indispensable de ces institutions; elles s'établissent sous son inspiration, sur la base à la fois professionnel­le et confessionnelle; en même temps qu'elles rendent des services d'or­dre économique, elles sont grandement utiles au point de vue social et politique en groupant les catholiques dans une action commune.

Quelques tentatives ont été faites plus récemment pour venir en aide à la population ouvrière des villes, et non sans succès.

A Turin, M. le baron Ricci a fondé un secrétariat du peuple qui prend dans la classe laborieuse les plus vastes et les plus heureux développe­ments. Une institution analogue a été fondée à Milan et à Rome.

Parmi les écrivains et les penseurs qui, en Italie, font honneur à l'école démocratique chrétienne, il faut citer en première ligne M. le comte S. Medolago-Albani, arrière-petit-fils du comte de Maistre, président du conseil provincial de Bergame, homme de persévérance, de dévouement et de résolution, que rien ne décourage, et M. le docteur Toniolo, pro­fesseur à l'université de Pise, économiste érudit, à la science de qui tous rendent hommage.

Les congrès catholiques, qui se rassemblent périodiquement dans une des principales villes d'Italie, comprennent toujours une section d'œuvres sociales. Il a été formé une Union des études sociales, composée de pu­blicistes, d'économistes, d'hommes d'œuvres, qui, avec l'encourage­ment explicite du Pape, publie une revue, la Revista delle scienze sociali, qui est, à l'heure présente, l'une des revues sociales les plus sûres au point de vue des principes, les plus richement documentées au point de vue des faits du monde entier.

Allemagne: Renégat et confesseur de la foi. - En Allemagne, la tombe vient de se fermer sur deux hommes qui ont été, pendant leur vie, comme une personnification de la vérité et de l'erreur.

L'un est l'illustre cardinal Paul Melchers, ancien archevêque de Colo­gne, confesseur et martyr des droits du Saint-Siège et de la liberté de l'Eglise. Il avait assisté au Concile du Vatican, où, dans un élan de foi et d'amour, il avait proclamé avec ses frères dans l'Episcopat, le dogme de l'infaillibilité pontificale. Quand vint la crise du Kulturkampf, il opposa une résistence héroïque aux sacrilèges prétentions du Chancelier de fer, et sut lui montrer que, si la force peut quelquefois écraser le droit sous son pied brutal, elle ne saurait jamais le vaincre d'une victoire vraie et durable. Traîné d'abord en prison, avec des traitements indignes, il dut bientôt prendre le chemin de l'exil. Il se réfugia en Hollande où il passa quelques années, et de là à Rome, où le Saint-Siège, dont il s'était mon­tré l'invincible champion, le revêtit de la pourpre comme d'un manteau triomphal. Il est mort au mois de décembre de l'année qui vient de finir. Sur son lit d'agonie, il a pu prononcer les généreuses paroles d'un autre martyr de la liberté de l'Eglise, saint Grégoire VII: J'ai aimé la] ustice et haï l'iniquité, c'est pourquoi je meurs en exil. Mais cet exil n'a point été sans consolation, puisque Rome est pour tout catholique une seconde terre natale; et maintenant l'illustre proscrit est entré pour toujours dans la grande Patrie des fidèles enfants de Dieu et de la sainte Eglise.

Ses souffrances ont été doublement fécondes: elles lui ont acquis à lui-même une gloire pure et durable ici-bas, et là-haut une couronne immortel­le; et de plus, elles ont pesé d'un grand poids dans la balance divine en fa­veur du retour de l'Allemagne à l'unité, et de l'abrogation des lois iniques et sacrilèges. De son vivant déjà il a pu voir des jours meilleurs luire pour l'Allemagne catholique et du haut du ciel, il continuera de la protéger, de prier pour elle, et sa prière assidue aura certainement une puissante action sur la divine miséricorde: Multum valet deprecatio Justi assidua.

Ses funérailles ont été un véritable trimphe. Les princes de l'Eglise en­vironnaient son cercueil; une foule immense de fidèles l'accompagnaient à sa dernière demeure, en bénissant sa mémoire. L'opinion publique n'a eu pour lui que des éloges ou tout au moins de l'estime et du respect.

En face de cette mort précieuse, digne couronnement d'une noble et sainte vie, le trépas tout récent du renégat Reinkens forme un contraste frappant et instructif.

C'était un disciple de ce fameux Dœllinger, qui, après avoir servi la cause catholique par des écrits célèbres, fut précipité par l'orgueil dans l'hérésie et dans le schisme. Reinkens suivit son maître dans son aposta­sie et devint après lui le chef de la secte des Vieux Catholiques. Comme son maître, il nia l'infaillibilité pontificale, soutien de la vérité et lien de l'unité; comme lui, il prêcha et pratiqua l'abolition du célibat ecclésiasti­que, découronnant ainsi le sacerdoce chrétien de sa plus radieuse auréo­le. Après avoir passé sa vie dans l'erreur et le sacrilège, il est mort dans l'impénitence. Et tandis que son âme, après avoir subi le juste jugement de Dieu, commençait son éternité, son corps était porté au tombeau, au milieu de l'indifférence générale, escorté d'une vingtaine de ses prêtres, vraies figures d'hérétiques et d'apostats; et pour lui, le jugement de l'opinion s'est résumé dans l'indignation ou le mépris. Sa secte décapi­tée va s'enfoncer dans le protestantisme ou plutôt dans le rationalisme, à moins que, par une insigne miséricorde de Dieu, elle ne se retourne, comme le Prodigue, vers la vérité méconnue en s'écriant: Ibo ad Patrem.

Et tel est en effet le double caractère de la vérité et de l'erreur: la véri­té, qui est immortelle, peut être quelquefois persécutée, opprimée, écra­sée par la force victorieuse, mais bientôt elle se relève plus belle, plus vi­goureuse et comme rajeunie par l'épreuve et la souffrance; l'erreur, au contraire, après un court triomphe apparent, s'affaiblit, se dissout et s'évanouit, par l'action incessante du poison mortel qu'elle porte dans son sein. Si parfois elle dure quelque temps, c'est uniquement grâce aux lambeaux de vérité qu'elle a gardés en se séparant: on peut encore la comparer à une branche d'arbre, qui, violemment arrachée du tronc, continue quelque temps à verdoyer et à fleurir, par la vertu d'un reste de sève qu'elle a gardé, mais qui bientôt se flétrit, se dépouille, se dessèche et finalement tombe en poussière.

CHRONIQUE (Avril 1896)

I. ROME

Le Pape et l'Italie. - Le Pape aime la pauvre Italie. C'est sa patrie, d'abord, et l'amour de la patrie est sacré; c'est une terre privilégiée, où règnent, avec le soleil et la fertilité, le génie et les arts; mais c'est surtout la terre des Saints, la terre où reposent les Apôtres, où des millions de martyrs donnèrent leur sang pour la for; où vécurent tant de saints con­fesseurs, qui ont rempli le monde de la renommée de leurs vertus et des fruits de leurs œuvres. Le Pape aime la véritable Italie, celle de saint Pierre, de saint Léon le Grand, de saint Grégoire le Grand, du Dante et de Raphaël. Il ne peut pas aimer celle de Mazzini et de Cavour, de Vic­tor Emmanuel et de Garibaldi, d'Humbert et de Crispi.

L'Italie est humiliée et le Pape pleure, comme Notre-Seigneur pleurait à la vue de Jérusalem. Il pleure sur ces pauvres jeunes gens qui sont allés mourir là-bas par milliers, victimes d'une guerre injuste. Il pleure sur leurs pauvres mères. Il assistera les familles qui ont perdu leurs soutiens.

Mais que va faire cette Italie, si ingrate envers la Papauté? La leçon sera-t-elle suffisante, ou faudra-t-il attendre de nouveaux châtiments providentiels? L'Italie sectaire a semé le blasphème, l'irréligion, la per­sécution, elle récolte l'humiliation et la ruine.

C'est le moment pour cette nation, qui dans sa grande masse est encore chrétienne, de reconnaître ses torts et ses erreurs, de revenir au Pape, de se rappeler ses conseils, de répondre à ses avances, de chercher dans une ré­conciliation avec le chef de l'Eglise les conditions de relèvement et de pro­spérité qu'elle ne trouvera pas ailleurs. Si elle ne le fait pas, Dieu est pa­tient, il attendra, mais en attendant il humiliera et il châtiera davantage.

Le Pape et l'Orient. - Le Pape éprouve quelque consolation du cô­té de l'Egypte. Cette antique Eglise, fondée par saint Marc, disciple de saint Pierre, va revenir à l'unité romaine, dont elle est séparée depuis le Ve siècle. Ces pauvres Coptes, qui sont les anciens Egyptiens, sont op­primés par les Arabes musulmans. Ils ne forment guère qu'un dixième de la population de l'Egypte. Ils ont gardé la foi et la pratique chrétien­nes à travers toutes les persécutions. Ils sont censés partisans de l'hérésie d'Eutychès, qui n'admettait en Jésus-Christ que la nature divine. En réalité, ils sont surtout ignorants. Rome les délaissait un peu. Léon XIII va leur rendre la vie.

Les Coptes unis n'avaient plus qu'un vicaire apostolique de leur rite. Léon -XIII leur donne un patriarche à Alexandrie, un évêque à Hermo­polis ou Syout, et un autre à Thèbes. La Propagation de la foi les mettra à même de bâtir des cathédrales. Ils sont ravis de ces avances et revien­nent à l'unité.

Léon XIII en est encouragé dans ses efforts auprès des autres commu­nautés d'Orient. C'est une des œuvres qui lui sont chères. Il étudie les tentatives de ses illustres prédécesseurs: Innocent III, Eugène IV, Gré­goire XIII, Urbain VIII. Il est animé de la charité du Cœur de Jésus pour ces portions séparées du troupeau du Christ. Il sent que sa mission se bornera à semer les germes de l'union, mais il cultive ces premiers germes avec amour.

Le Pape et les Bulgares. - A plusieurs reprises, la nation Bulgare, qui est une des plus vivantes de l'Orient, a laissé espérer son retour à l'unité romaine. Mais la politique a toujours entravé l'action de la grâce.

L'obstacle vient de la rivalité d'influence de l'Autriche et de la Russie dans les Balkans. La Russie pense qu'une Bulgarie catholique s'éloigne­rait d'elle et chercherait ses alliances en Occident.

Il y a quelques années, comme un évêque uni s'employait à ramener sa nation à l'unité catholique, la Russie le fit enlever et le fit disparaître en Sibérie.

Un nouvel élément d'union s'offrait dans la dynastie du prince Ferdi­nand. La Russie a tant fait qu'elle a lassé ce prince dans sa résistance et l'a amené à l'apostasie. C'est une grande tristesse pour le Pape, mais il ne se décourage pas, il prie pour la conversion du Czar lui-même, qui se­rait le signal du retour de tout l'Orient schismatique.

Aidons-le de nos humbles prières.

Le Pape et les études. - Le Saint-Père a toujours aimé les œuvres d'études. Il y en a une qui lui est particulièrement chère. Il l'aime comme Jacob aimait son Benjamin. C'est l'Université bénédictine de Saint­Anselme, qui s'élève à Rome sur le mont Aventin. Quand un visiteur lui en parle, en audience, il s'anime, il relève la tête, ses yeux s'illuminent, et il parle de son œuvre ex abundantia cordis.

Tout dernièrement, un prêtre lui parlait de ces magnifiques construc­tions qui s'achèvent. «J'y ai déjà dépensé deux millions, dit le Pape. Les Bénédictins ont rendu à la science et à l'Église d'immenses services dans le passé. Je veux qu'ils lui en rendent encore d'éminents. Je vais réunir là des bénédictins de toutes les Congrégations et faire appel aux plus sa­vants dans toutes les branches. Ils y viendront de tout l'univers. Il y en aura de français, de belges, d'italiens, d'anglais, d'espagnols, d'alle­mands, d'américains, de toutes les nations…». Et le Saint-Père énumé­rait ces peuples avec complaisance en comptant sur ses doigts. Il a en vue le progrès des sciences, mais il a de plus une arrière-pensée, c'est que les bénédictins de toutes les branches, en se rencontrant là, reviendront peu à peu à l'unité et referont une grande famille sous une même règle et un même chef. C'est ce qui a lieu déjà pour les Franciscains. Leur belle maison d'études à Rome leur a suggéré la réunion de plusieurs branches de l'ordre, et déjà à leur dernier chapitre général cette union a été étu­diée. Elle se fera. Léon XIII réorganise les corps d'élite de l'armée du Christ, comme il rallie les masses égarées par le schisme en Orient et en Occident.

II. FRANCE

Le règne de la secte maçonnique. - Notre gouvernement d'au­jourd'hui rappelle celui de julien l'apostat. Ce sont les ennemis avoués du Christ qui nous gouvernent. La franc-maçonnerie a une influence plus ou moins intense sur toutes les cours et tous les ministères de l'Europe; mais, en France, elle a jeté le masque, elle est en fait la religion d'État, elle a conquis la France pour la vendre à Satan. Le grand Orient exsulie. La maçonnerie avait eu bien. des désertions depuis que son but satanique était clairement connu. Malgré cela, elle triomphe. Elle occupe le ministè-re, elle mène le président comme un pantin c t l'affuble en public de ses ta­bliers; elle déclare qu'elle ouvrira quand elle voudra une loge à l'Élysée. Elle remplit les administration publiques de ses adeptes. Elle songe même à organiser un parlement maçonnique à la rue Cadet, pour diriger celui du palais Bourbon. Ce serait un Comité de salut public.

Il y a un mois, la maçonnerie triomphait aussi en Italie. Lemmi et Crispi croyaient leur règne affermi. Dieu a remué le doigt et ils sont hu­miliés. Il en sera de même en France. Mais il ne faut pas nous contenter d'attendre, les bras croisés, l'heure de la Providence. Il faut prier et agir, prier beaucoup et agir beaucoup. Ce sont les vertus sociales qui sauvent les sociétés. Pratiquons les vertus sociales en nous dévouant à toutes les œuvres sociales: œuvres ouvrières, presse catholique, action électorale et le reste.

Le centenaire de la France à Reims. - La célébration du centenai­re de la France a une grande importance religieuse et sociale. Le cardinal-archevêque de Reims a bien caractérisé ces solennités dans une conversation qui a été reproduite. Cette fête n'a rien qui divise. Elle nous rappelle les quatorze siècles de civilisation chrétienne de la nation française. Le souvenir de ce passé lointain doit unir tous les hommes de bonne volonté, aussi bien ceux qui n'ont que de vagues sentiments chré­tiens, que les catholiques pratiquants. Le patriotisme, autant que la pié­té doit inviter les Français à fêter cette aurore de la civilisation.

Cette fête porte ombrage au ministère actuel, qui est absolument sec­taire, mais le bon sens populaire fera justice de cette opposition absurde. Le christianisme nous a donné quatorze siècles de progrès social. Il nous a donné l'action des évêques, qui ont organisé la France sous nos premières dynasties; l'action des moines bénédictins, les grands initia­teurs, en Occident, du travail de la terre et du travail de la pensée; l'ac­tion de François Xavier et des missionnaires qui ont porté partout l'in­fluence de la religion et de la civilisation européenne; l'action de Vincent de Paul, dont le nom béni résume trois siècles d'œuvres de charité.

Quand les Français auront fait cette revue historique, l'Eglise pourra leur dire comme Notre-Seigneur disait à ses disciples: «Et maintenant voulez-vous me délaisser?». Et ils répondront: «Non, vous avez les pa­roles de vie».

L'échéance du 1er avril. - Au jour où cette Revue paraîtra, la date fatale pour les congrégations sera venue. Elles devront payer l'inique impôt d'abonement ou s'exposer à toutes les persécutions légales. Les monastères sont les forteresses avancées de l'Eglise. Après eux on atta­quera le reste. Notre grand moyen de défense est la prière, mais elle ne sera pas exaucée, si nous n'y joignons pas l'action. «Aide-toi, le Ciel t'aidera. «L'action, ce sont les œuvres de presse, les œuvres sociales, les conférences. Ce sont les électeurs, qu'il faut arracher à l'indifférence et à l'illusion. Quand le comprendrons-nous?

III. AUTRES PAYS

Autriche: les Juifs. - Nulle part la question juive n'est aussi grave qu'en Autriche. Ils sont là absolument les maîtres. Ils commandent au ministère, ils occupent la presse, les tribunaux, le barreau. Ils possèdent la moitié du sol en Hongrie. Ils ont près de la moitié des grandes proprié­tés et des châteaux en Autriche. Ce qui n'est pas à eux est hypothéqué par eux. Ce qui est plus invraisemblable encore, c'est qu'à titre de châte­lains, ils nomment aux paroisses en vertu des anciens privilèges féodaux dont ils ont hérité. La ville de Vienne essaie de secouer le joug israélite en nommant une municipalité catholique. Mais le mal est bien grand et il faut prévoir que la Hongrie prendra le dessus dans la fédération autri­chienne, elle proclamera la république et nommera un président juif. Et le saint Empire, qui a tant abusé des dons de Dieu et failli à sa mission, fournira une des premières armées de l'Antéchrist.

Angleterre: le retour à l'unité. - Le mouvement est réel. La que­stion a fait un pas immense depuis dix ans. Toutes les préventions s'effa­cent. Toutes les antipathies s'adoucissent. Toutes les rengaines de la presse contre le papisme et contre l'adoration de la Vierge sont suspen­dues. La brouille, la bouderie sont finies, les esprits sont gagnés, encore un pas et les volontés et les cœurs le seront aussi.

Mais comment se fera le retour? Est-ce par unités? Est-ce par masses? De catholiques anglais, et même des prélats pensent, que les conversions continueront à se faire une à une comme cela s'est fait depuis trente ans. Nous espérons un peu mieux. Certaines individualités ne reviendront pas seules. Le jour, peut-être prochain, où lord Halifax, le sympathique, président de la ligue d'union, s'avouera vaincu, il sera suivi par une par­tie de son groupe. Et ci certains évêques et certains pasteurs influents re­viennent, on pourra voir aussi des paroisses entières demander l'union.

La prière des catholiques ne doit pas se lasser. Le retour de l'Angleter­re à l'union aura un retentissement immense non seulement dans ses va­stes colonies, mais aussi aux Etats-Unis et dans les pays protestants du Nord de l'Europe. Léon XIII a des vues élevées et profondes. Il sait l'importance du but où il vise, quand il traville à cette union.

Abyssinie. - Qu'est-ce donc que ce royaume africain, à peine con­nu hier encore et aujourd'hui capable de faire reculer une nation euro­péenne de trente millions d'âmes? C'est un royaume chrétien, qui a rési­sté depuis un millier d'années à tous les assauts des musulmans. Il a été évangélisé par l'apôtre Matthieu et il était entièrement chrétien dès le IVe siècle.

Les Abyssins ou Ethiopiens ne sont pas de race nègre. Ce sont des petits-fils de Cham, comme les Egyptiens. Ils ont le teint noir, mais ils gardent les caractères physiques des blancs. C'est une fédération, plutôt qu'un royaume. Le Choa et le Tigré sont des pays vassaux de l'Abyssi­nie proprement dite, appelée Amhara.

Les Abyssins ont embrassé au Ve siècle le schisme égyptien d'Euty­chès, qui nie la dualité des natures divine et humaine en Notre­Seigneur. Plusieurs fois, depuis le XVe siècle, le retour des Abyssins à l'unité romaine fut sur le point d'aboutir. Une bonne partie de la nation même a renoncé à l'erreur d'Eutychès. Le roi Ménélik est favorable au catholicisme. Il s'est toujours montré gracieux pour l'ancien vicaire apo­stolique, devenu le cardinal Massaja. Il a été favorable aussi à Mgr Teu­rin. Lorsque le Souverain Pontife célébra ses noces d'or, il lui adressa ses hommages.

La guerre injuste provoquée par l'Italie retardera sans doute les pro­grès de l'union. Espérons que Ménélik vainqueur se souviendra de ses anciennes sympathies pour les missionnaires et leur rendra le libre accès dans ses Etats et dans toute la confédération abyssine, dont la population doit compter de 15 à 18 millions d'habitants.

CHRONIQUE (Mai 1896)

I. ROME ET L’EGLISE

Les études supérieures. - Le Saint-Père manifeste souvent sa soli­citude pour les études et pour la science chrétienne. On se rappelle ses magnifiques encycliques sur la philosophie chrétienne, sur les études hi­storiques, sur l'étude de l'Ecriture Sainte. Dans ses encycliques spéciales aux diverses nations chrétiennes, il rappelle les soins à donner à l'ensei­gnement des séminaires et à la formation des clercs. En s'adressant à la France, il exprimait le désir que le clergé s'enrichisse de plus en plus d'hommes doctes et capables.

Tout récemment encore il insistait auprès des évêques de Belgique pour le développement à donner à l'école des hautes études de philoso­phie de Louvain. Il recommande l'usage de la langue latine pour la phi­losophie proprement dite, en permettant l'emploi de la langue vulgaire pour les sciences naturelles et l'histoire. Les grands scolastiques ont écrit et pensé en latin, c'est en latin qu'il faut converser avec eux. «Bientôt il se formera, dit le Saint-Père, parmi les élèves qui auront fréquenté régu­lièrement les cours de l'école Saint-Thomas, une élite d'hommes profon­dément versés dans toutes les connaissances philosophiques, capables de se rendre utiles aux évêques dans leur diocèse, et de leur prêter, par les temps mauvais que nous traversons, un secours très efficace pour affron­ter et combattre victorieusement, avec les armes mêmes de la science, les ennemis sans nombre de la vérité et de la foi».

Le Saint-Père voit de haut et de loin. Il prépare un magnifique épa­nouissement du règne de Notre-Seigneur en donnant tous ses soins aux études supérieures et en favorisant partout les universités catholiques. Ce sont les idées qui mènent le monde. Le mal dont souffre l'Eglise est venu par l'affadissement de la scolastique et le progrès des études païennes. L'Eglise se relèvera par la science sacrée.

L'eglise et l'Arménie. - Ces malheureuses provinces d'Arménie sont là-bas comme une Irlande et une Pologne. Elles subissent le] oug of­ficiel des Turcs et les attaques incessantes des Kurdes dont les tribus in­dépendantes vivent de pillages et de rapines.

C'est en vain que le Pape est intervenu en leur faveur. Les puissances de l'Europe sont entravées par leurs divisions. Elles auraient pu si facile­ment imposer leur autorité à la Turquie qu'elles tiennent en tutelle, pour empêcher de telles hécatombes! Mais la Russie et l'Angleterre ont des prétentions rivales en Asie. Les Turcs en profitent. Le fanatisme musulman se ranime dans l'empire turc. Cela n'empêchera pas la disso­lution prochaine de cet empire vermoulu, mais en attendant bien des victimes seront sacrifiées. On estime à cent mille le nombre des Armé­niens qui ont péri dans ces luttes sauvages. Dieu veuille agréer leur mar­tyre en faveur de l'union des Eglises.

Abyssinie et Soudan. - Dans ce moment où les Coptes d'Egypte re­viennent en assez grand nombre à l'union catholique, on aurait pu ga­gner facilement les Abyssins, si l'Italie ne leur avait pas fait une guerre injuste et insensée. Les Lazaristes français avaient acquis en Abyssinie une grande influence. Mgr Coulbeau était traité par l'empereur avec beaucoup d'égards. Le symbole des Abyssins contient d'ailleurs la re­connaissance de la primauté de saint Pierre et de ses successeurs.

Le Souverain Pontife a dû, pour satisfaire le patriotisme italien, rap­peler les Lazaristes français et confier la mission d'Abyssinie à des capu­cins italiens qui sont allés mourir là-bas avec les soldats de Baratieri. C'est une grande œuvre interrompue.

Au Soudan, on peut regretter politiquement la campagne anglaise, mais au point de vue de la civilisation et de la foi, ce serait un progrès très considérable, si le Soudan échappait à la domination des musulmans fanatiques qu'on appelle les Mahdistes.

La secte des Mahdistes et celle des Senoussyas au Soudan sont actuel­lement les ennemies les plus redoutables du christianisme en Afrique. Le Soudan avait de belles missions, il y a vingt ans, quand un préten­du prophète, le Mahdi se leva et se donna comme messager de Dieu pour relever l'empire de Mahomet. Il gagna des millions d'adeptes et conquit le Soudan égyptien. Abdoullah, son successeur, se donne aussi comme un prophète. Il s'appuie sur une tribu puissante, mais grossière et barbare, les Baggara. Il se prépare à une guerre de conquêtes. Om­durman, sa capitale, est un vaste camp.

L'empire mahdiste sera toujours un péril pour les colonies chrétiennes du Nord et de l'Est de l'Afrique. Toute autre domination au Soudan vaudrait mieux que la leur pour l'expansion de l'Evangile.

II. FRANCE

Les fêtes de Reims. - Nous étions à Reims pour l'ouverture du ju­bilé national. C'était fort beau en soi ces solennités. Il y avait office pon­tifical à la cathédrale le matin et le soir à Saint-Remy. Des deux côtés le cadre est si beau! Le chœur de la cathédrale est vraiment fait pour de semblables cérémonies. L'office pontifical avait une grande splendeur. Les officiants étaient revêtus de magnifiques ornements. Douze diacres et sous-diacres portaient des tuniques d'une grande richesse. Les chanoi­nes de Reims et de Soissons occupaient les stalles. Au milieu du chœur quelques invités représentaient la France lettrée et la France des bonnes­œuvres. Un chœur et un orchestre nombreux exécutaient la belle messe du Sacré-Cœur de Gounod. Dix mille fidèles remplissaient les nefs.

L'après-midi, c'était à Saint-Remy. Même pompe, même affluence, et de plus un beau discours patriotique et bien senti de Mgr Péchenard. Je le répète, tout cela était beau en soi. Mais ce n'était pas la France. C'étaient des Français sans mandat et sans autorité. Au fond, c'était profondément triste et douloureux. Les chants de Jérémie auraient mieux répondu aux impressions de mon âme qu'une messe joyeuse. C'est la nation que le Christ a bénie au baptême de Clovis et ce n'est pas la nation qui vient le remercier. Comme au temps de Néhémie, comme au temps des Macchabées la nation est captive et opprimée. Dieu est banni et Satan règne par les loges. Il reste des fidèles qui prient. Il faudra des Macchabées qui combattront vaillamment non par les armes, mais par toutes les œuvres sociales, et alors on pourra revoir la régénération de la France.

Le culte de Jeanne d'Arc est un signe d'espérance. Elle a dû tressaillir dans le ciel, la vaillante Vierge, en voyant de pieuses foules venir à Reims comme au temps de Charles VII. Elle a dû dire au Christ une bel­le prière pour nous. Sa prière portera des fruits.

Au pouvoir. - En attendant, la franc-maçonnerie nous gouverne. Elle a toutes les audaces. Les délégués au ministère osent traiter nos dog­mes d'absurdes et revendiquer pour les loges le monopole de la morale.

Et la France est assez aveuglée, il faudrait dire assez aveulie pour enten­dre tout cela sans sourciller. Elle se relèvera cependant, nous en avons la confiance; mais il faudra de longs et courageux efforts et peut-être quel­que châtiment providentiel.

Les mœurs. - Les statistiques sont de plus en plus effrayantes. La criminalité se multiplie. L'alcoolisme se développe. La race s'étiole et devient stérile.

La France comptait 1 débit de boisson par 113 habitants, il y a 40 ans; elle en a maintenant 1 par 71 habitants.

Les exemptés du service militaire pour inaptitude physique étaient au nombre de 63.000 en 1831; ils sont 108.000 en 1893, et cependant on est moins difficile.

On comptait, en 1840, 11.500 aliénés, on en compte aujourd'hui 60.000.

Les suicides ont augmenté dans la même proportion.

Les théâtres, disent couramment les gens du monde qui se respectent, ne sont plus abordables, tant les mœurs y sont outragées.

La criminalité précoce des enfants étonne les magistrats.

Nos campagnes se dépeuplent. Beaucoup de nos villages ont diminué de moitié depuis 40 ans. Des régions autrefois cultivées retournent à l'état de landes. Dans la Champagne on plante des sapins au lieu de cé­réales.

L'excès du mal ouvrira les yeux à plusieurs. Ils se rappelleront la pro­messe du Sauveur: Cherchez avant tout le règne de Dieu et le reste vous sera donné par surcroît.

Madagascar. - Les aumôniers n'ont pas été trop nombreux dans cette expédition, et cependant voici le septième qui vient de succomber aux fatigues de sa mission. Quel concours notre monde officiel trouve­rait dans le clergé, particulièrement aux colonies, s'il savait en user! Mais il tarit la source des vocations. Il s'efforce d'amoindrir sinon d'anéantir les congrégations religieuses. Les Anglais, gens pratiques, fa­vorisent, aux Indes et ailleurs, les missionnaires catholiques plus que nous ne le faisons dans nos colonies. Ils s'en trouvent bien. Quand nous abandonnons la foi, Dieu nous ôte aussi la raison.

III. AUTRES PAYS

Belgique. - Les catholiques font de grands sacrifices pour conserver l'union entre eux. L'accord consenti à Malines est maintenant promul­gué dans les diocèses. Les œuvres vont se développer. Ce n'est pas enco­re le dernier mot du progrès démocratique, mais c'est l'union dans l'ac­tion. Le reste viendra peu à peu.

Le programme de Malines, développé par les lettres épiscopales, est assez large. Il recommande les Cercles d'ouvriers, c'est une œuvre an­cienne; mais on y formera le noyau des unions professionnelles, et c'est bien là un acheminement à la réorganisation sociale.

Les écoles ménagères et professionnelles seront multipliées, c'est vrai­ment là une œuvre sociale.

Les conférences, les tracts, les travaux des Cercles d'études tendront à faire comprendre les avantages des unions professionnelles.

Les logements d'ouvriers, les caisses de secours, les conseils d'usine seront l'objet de la sollicitude des catholiques.

Les régions agricoles développeront les caisses de crédit et les syndi­cats.

C'est bien. 'foutes ces œuvres sont nécessaires, avec une action légi­slative correspondante, pour tirer la Belgique du péril socialiste.

Allemagne. - Le Centre catholique allemand vient de célébrer son ju­bilé de vingt-cinq ans par des fêtes, des réunions et de vaillants discours. De fait les catholiques allemands ont le droit de se réjouir et de se féli­citer quand ils jettent un regard sur l'œuvre accomplie. Ils ont bien mé­rité de la patrie et de l'Eglise. Ils ont donné un grand exemple aux catho­liques des autres nations.

En 1871, en Allemagne, le mot d'ordre était: «Sus aux catholiques». Les religieux furent expulsés. L'Etat prétendit avoir la main haute sur l'éducation du clergé et décider en dernier ressort des nominations ecclé­siastiques. Des évêques et des prêtres en grand nombre furent poursui­vis, destitués, condamnés à l'amende et à la prison en vertu des fameu­ses lois de mai.

Si les catholiques avaient faibli, c'en était fait du catholicisme dans le nouvel empire. Une Eglise nationale aurait été instituée sur les ruines de l'Eglise catholique.

Après vingt-cinq ans de lutte vaillante et chevaleresque, l'Eglise est en Allemagne plus vivante que jamais. Les noms des plus fameux lutteurs seront honorés dans l'histoire. On se souviendra des Melchers, des Ket­teler, des Ledochowski pour le clergé, des Mallinkrodt, des Franken­stein, des Reichensperger, des Windthorst pour les assemblées politi­ques. Le parti catholique est aujourd'hui le plus influent au Reichstag.

Et nous, où en sommes-nous? Nous avons fait aussi des sacrifices. Nous nous sommes saignés aux quatre veines pour les œuvres, et cepen­dant nous reculons sans cesse. C'est d'abord parce que nous ne savons pas nous unir. Nous formons d'étroites chapelles et nous ne savons pas sacrifier quelques sentiments personnels. Mais c'est aussi et surtout par­ce que nos œuvres n'ont pas eu jusqu'à présent un but social. Nous commençons seulement à comprendre la nécessité d'une action sociale proprement dite. Nous nous mettons aux œuvres de presse, aux confé­rences, aux unions ouvrières. C'est tard, mais tout n'est pas perdu. J'espère que nous commencerons bientôt à remonter.

Bulgarie. - Les provinces bulgares promettaient une belle moisson. Il y a là une pieuse princesse qui déploie un grand zèle. Elle est jetée dans un grand deuil par l'acte impie de son mari qui a sacrifié l'âme de son enfant à la politique. Le Saint-Père va récompenser sa constance en lui envoyant la Rose d'or qu'il destine chaque année à quelque pieuse princesse.

L'acte du prince a provoqué chez les schismatiques un mouvement de vive hostilité contre les catholiques. Déjà ils ont chassé les Pères Passion­nistes d'une de leurs missions. Le Saint-Père continue à encourager la mission catholique bulgare. Il vient de déterminer l'évêque de Nicopolis et les Pères Passonnistes à fonder un séminaire à Roustchouk sur les ri­ves du Danube pour la formation d'un clergé indigène. L'œuvre est commencée. Un pieux Passionniste, très dévoué au Sacré-Cœur, le P. Richard Hofman nous écrit pour nous recommander cette œuvre. Nous transmettons cette recommandation à nos lecteurs. Ils voudront prier pour cette nation intéressante, pour cet enfant de deux ans conduit in­consciemment à l'apostasie et pour sa pauvre mère désolée.

CHRONIQUE (Juin 1896)

I. ROME ET L’EGLISE

Une prospective de restauration pontificale. - Nous avons plu­sieurs fois entendu dire à Rome par les hommes politiques les plus avisés de la prélature que la restauration du pouvoir civil des Papes se ferait par la chute de la monarchie piémontaise et l'établissement d'une confédéra­tion d'Etats italiens. Il semble que l'Italie s'achemine vers cette solution. Dans ses régions les plus agissantes et les plus éclairées, elle a des goupes démocratiques assez puissants qui ne sont pas hostiles à l'Eglise. La fu­sion des deux partis, démocratique et catholique, s'opérerait facilement.

Les catholiques du Nord, ceux de la Lombardie surtout, se distin­guent entre tous par leur zèle et leur activité. Ils ont couvert le pays d'un réseau d'associations économiques et sociales, caisses rurales, sociétés de prévoyance, sociétés coopératives, etc., qui leur ont acquis une véritable influence sur les populations. Ils ont donné en cela un grand exemple à nos catholiques. Ils ont gagné les sympathies du peuple. Les amis de l'idée républicaine, assez nombreaux dans le Nord, se rapprochent des catholiques. Au dernier Congrès des catholiques de la Lombardie, ces tendances se sont manifestées. Plusieurs orateurs ont très nettement sé­paré la cause des catholiques de celle du régime actuel. «Ne nous obsti­nons pas, a dit l'un d'eux, à conserver ce qu'il est impossible de sauver». Et il a été applaudi. C'est là un indice assez frappant. La Pro­vidence nous réserve là quelque surprise.

La maison de la sainte Vierge Marie à Ephèse. - La tradition du long séjour de la sainte Vierge à Ephèse auprès de saint Jean, était con­tredite jusqu'à présent par quelques écrivains qui prétendaient que la sainte Vierge était demeurée après la Pentecôte dans la maison de saint Jean à Jérusalem. Les révélations si étonnantes de Catherine Emmerich décrivaient dans le détail la maison de Marie près d'Ephèse. L'an der­nier, le R. P. Paulin, Lazariste de Smyrne, frappé des indications si for­melles de Catherine Emmerich, voulut les vérifier sur place. Il se rendit à l'endroit indiqué, aux environs d'Ephèse. Il put contrôler la parfaite correspondance des renseignements donnés par la sainte voyante avec les ruines d'une maison qui a conservé le nom populaire de Porte de la Vierge, Panaghia Capouli. Plus récemment, le R. P. Eschbach, supérieur du séminaire français de Rome, fit la même constatation. Il voulut célé­brer la sainte messe dans la pauvre maison qui devient pour les chrétiens d'Orient un lieu de pèlerinage. Le beau pèleriange national, conduit par les Pères de l'Assomption, ira aussi prier à Panaghia Capouli.

Nous aimons à nous représenter ce long séjour de la Mère de Jésus et de son disciple dans ce nouveau Nazareth. Saint Jean avait adopté pour sa mère la Mère désolée du Sauveur. Elle le suivit dans son apostolat en Asie et retourna plus tard mourir à Jérusalem. La récente découverte de la maison privilégiée nous aidera à méditer cette période de la vie de Marie où ses vertus se sont élevées au degré le plus sublime sous les ap­parences d'une vie toute modeste et toute simple.

Un nouvel échec de Lucifer. - Le luciférianisme est en baisse. Il n'a pas conservé longtemps le secret de ses mystères. Ceux de ses adeptes qui gardaient au cœur un fond d'honnêteté naturelle ont bien vite éprouvé un dégoût invincible pour les sottises et les infamies qu'on leur proposait. Ils se retirent un à un du guépier. Après le Dr. Bataille, Mar­giotta et Diana Vaughan, voici le grand maître des loges égyptiennes, M. Solutore Zola, qui abjure ses erreurs et revient à l'Eglise catholique. Sa déclaration est un document historique.

«Je déclare, dit-il, avoir appartenu trente ans à la secte maçonnique; et pendant les douze années durant lesquelles j'ai dirigé l'Ordre comme Souverain absolu, j'ai eu la facilité d'étudier son origine et le but qu'il se propose. J'affirme, en vérité, que la Maçonnerie est une institution reli­gieuse, qui a pour but d'abattre et de détruire toutes les religions exi­stantes, en commençant par la religion catholique, afin de les remplacer ensuite elle-même et de faire retourner le genre humain au paganisme… Je demande pardon à Dieu du scandale que j'ai donné durant tout le temps que j'ai appartenu à la secte; je demande également pardon à l'auguste Pontife, Notre Saint-Père le Pape Léon XIII, et à tous ceux que j'ai pu scandaliser».

II. FRANCE

Paris. - La grande ville est bien gangrenée. Non pas qu'elle soit toute, comme pourraient le croire les touristes qui ne visitent que les boulevards, livrée aux plaisirs et à la débauche. Il y a, à côté de ces foyers d'amusements malsains, une grande ville laborieuse, active, assez honnête même et préoccupée de conquérir l'aisance ou la fortune. Allez vers les quartiers du Nord et de l'Est le matin ou le soir, et vous verrez une foule pressée qui se rend au travail et aux affaires, comme à Londres aux abords de la cité. Mais, hélas! quelle faible place la religion tient dans toutes ces âmes! Qu'est-elle pour eux? une chose vague, qu'ils af­fectent d'ignorer ou de mépriser, et qu'ils sont capables de comprendre et d'aimer soudain quand les circonstances les y poussent. Ce n'est pas que ce peuple ait une mauvaise nature. Il est intelligent et capable de dé­vouement, de générosité et de courage.

Son temple, hélas! c'est le théâtre, son Evangile la feuilleton; mais il laisse au Paris cosmopolite du Centre et de l'Ouest, le goût des pièces frelatées où l'adultère est honoré, où l'actrice quitte ses vêtements sur la scène. Ce qu'il aime avec persévérance, c'est le mélodrame où se mani­feste quelque dévouement généreux, quelque sacrifice offert à une noble cause. Il applaudit les sentiments honnêtes et les vieilles maximes des so­ciétés chrétiennes. Il vit sur un reste d'habitudes morales. Une étincelle de foi demeure en lui, toujours prête à jaillir.

Ce peuple est-il bien responsable de cette situation? N'est-ce pas notre stupide régime social qui en est cause? C'est encore une des jolies consé­quences du concordat interprêté pendant un siècle par des gouverne­ments sans foi. Tout ce peuple parisien est laissé sans pasteurs. Paris a 60 paroisses, il en faudrait 400. Une paroisse ne devrait pas excéder 6.000 âmes pour que le pasteur pût connaître un peu son troupeau. Or, Paris a deux millions et demi d'habitants. Mais pour fonder des parois­ses, il faut l'assentiment de l'Etat et de la municipalité. On sait ce que nous pouvons attendre de ce côté-là actuellement. Aussi Paris s'enfonce de plus en plus dans le paganisme. On y compte aujourd'hui cinq cent mille païens. Un cinquième des enfants y échappent au baptême.

Faut-il s'étonner après cela des élections parisiennes? Les catholiques et conservateurs y ont obtenu 37.000 voix sur 370.000 votants. C'est un dixième. Les socialistes en obtiennent 145.000, c'est près de 40%.

N'y a-t-il pas dans cette erreur socialiste elle-même quelque chose de généreux, un rêve de société meilleure? Il manque à ce peuple des apôtres; et les apôtres ne manqueraient pas, si nous avions la liberté de l'apostolat, la liberté d'ouvrir des sanctuaires pour tous les besoins des âmes et de doter ces sanctuaires des ressources dont ils ont besoin.

A côté de cet immense déficit moral et dans ces ténèbres épaisses, il y a quelques points lumineux. Montmartre et Notre-Dame des Victoires en particulier sont des sanctuaires privilégiés. Nous étions à Paris, il y a quelques jours, et nous avons vu avec bonheur des pèlerins pleins de foi parcourir ces rues païennes. Trois cents Bretons avec leurs prêtres et au­tant de Bavarois, sont venus prier à Montmartre et à Notre-Dame des Victoires en se rendant à Lourdes. Ces fervents catholiques auront trou­vé là quelque consolation, mais j'estime que le plus grand profit est pour les Parisiens qui ont besoin de ces exemples de foi et qui peuvent profiter des prières faites au milieu d'eux.

Une guérison à Paray-le-Monial. - Le Pèlerin de Paray rapporte une belle guérison, tout en réservant à l'Eglise le soin de dire s'il y a mi­racle. Il s'agit d'un jeune homme de vingt ans, habitant du Charolais, qui a fait lui-même au chroniqueur le récit suivant.

Frappé par la foudre, il y a dix ans, il était demeuré atteint d'une pa­ralysie presque complète de tout le côté gauche, ainsi que le constate un certificat de M. le docteur Gauthier, de Charolles. Il marchait très péni­blement, à l'aide d'une béquille. Il tombait en outre du mal caduc trois ou quatre fois par jour. On le conduisit à l'Hôtel-Dieu de Lyon. Il y fut soigné pendant cinq ans. Quand il avait essayé d'en sortir à plusieurs re­prises, il avait dû après quelques jours reprendre sa place à l'hôpital.

Différents médecins très connus dans la contrée ont eu à s'occuper de lui. Cette année, il fut admis à l'hôpital de Charolles. Il en sortit dans le même état le 28 février dernier. C'est alors que la pensée lui vint de se rendre à Paray, où «l'on disait que sainte Marguerite guérissait». Le 19 mars, il était dans la chapelle de la Visitation et se confessait. Le lende­main, il communia et demanda à s'approcher des reliques. Une sœur tourière le conduisit près de la châsse de 1a Bienheureuse, qui était sous l autel. On lui fit placer la main sur la châsse. Le seul résultat apparent fut une augmentation de souffrances. Il ne se découragea pas et continua à prier, demandant sa guérison ou la mort.

Il voulut communier de nouveau le dimanche de la Passion, 22 mars. Or, un peu après le commencement de la messe, «il sentit au cœur, dit­il, comme un coup de lance et se dit: c'est la mort; mais cinq minutes avant la communion, il allait mieux. «Au retour de la Sainte Table, il alla se placer sur sa chaise, tout absorbé», tout perdu», pendant cinq minutes, dans une sorte de sommeil.

Quand il revint à lui, il était guéri. La main et la jambe fonctionnaient bien et elles retrouvèrent rapidement leur complète liberté d'action, au grand étonnement du public, qui avait observé l'infirme depuis son arri­vée. Aujourd'hui, après un mois écoulé, la guérison s'est parfaitement maintenue.

Puisse cette belle guérison hâter la canonisation de notre chère Bien­heureuse!

Une grâce de saint Expédit. - On nous écrit: Mon Révérend Père. J'ai obtenu par l'intercession évidente de saint Expédit, près de la très sainte Vierge, une faveur signalée que je vous demande de bien vouloir publier dans votre revue du Règne du Cœur de Jésus. Je désire faire connaître la puissance de ce glorieux chef romain, m'y étant engagée s'il m'exauçait dans ma demande.

Par suite de circonstances que je ne puis faire connaître ici, je me trou­vais dans une situation des plus embarrassée pour l'établissement de mes enfants. Je me suis adressée avec confiance à saint Expédit et j'ai établi ma fille dans des conditions parfaites et complètement inespérées.

Grâces soient rendues à Dieu dans la personne de son serviteur saint Expédit.

M. PH.

III. AUTRES PAYS

Belgique: Les aumôniers du travail. - Nous avons eu la joie de vi­siter, il y a quelques jours, la maison des Aumôniers du travail à Se­raing, près de Liège. Les âges de foi ont élevé des hôtelleries pour les malades et les vieillards, et il les ont appelés des Hôtels-Dieu, parce qu'ils voulaient servir Dieu en servant les pauvres. Les Aumôniers du travail ont fondé à Seraing l'Hôtel des travailleurs.

C'est vraiment un hôtel que ce grand palais du travail, et l'hospitalité s'y exerce de la plus chrétienne façon. Les ouvriers sans famille, ceux qui viennent travailler à la ville industrielle et retournent seulement le same­di au foyer rustique d'où le besoin les éloigne, trouvent là des chambret­tes propres et gaies, un restaurant populaire, un cercle, et des amis et conseillers qui sont les excellents aumôniers.

L'hôtellerie est confortable, elle a son calorifère, ses lavabos perfec­tionnés, ses salles de bains même où le houilleur peut se débarrasser plu­sieurs fois la semaine de la poussière des mines. Et tout cela coûte, vous ne le croiriez pas, 1 fr. 50 par quinzaine.

Les repas sont excellents, j'y ai goûté. A midi, on a un bon potage, un plat de viande, un plat de légumes et du pain à discrétion… pour 45 cen­times.

Soixante lits sont occupés à l'hôtellerie, il en faudra bientôt d'autres. Une gracieuse chapelle réunit l'aumônerie à l'hôtellerie du travail. On y dit la prière le soir. Les ouvriers quittent un moment le cercle pour aller prier, s'ils le jugent à propos. Leur liberté est pleinement respectée.

L'hôtellerie est éclairée à l'électricité grâce à un moteur au pétrole. El­le a une imprimerie bien installée qui fait quelques travaux de ville et qui édite une petite Revue mensuelle.

Sept aumôniers se dévouent à cette œuvre populaire. Ils espèrent bien fonder des œuvres analogues dans d'autres villes industrielles. N'est-ce pas le meilleur moyen de remettre le prêtre en contact avec l'ouvrier et de remédier au socialisme? Déjà 1500 ouvriers de Seraing sont inscrits au Cercle de l'aumônerie. D'autres y viennent en passant et tous se montrent respectueux et sympathiques. Les aumôniers ne rejettent pas les socialistes. Ils disent comme Notre-Seigneur: «Le médecin ne vient pas pour les gens bien portants, mais pour les malades».

Voilà l'œuvre qu'il faut fonder dans nos villes industrielles, à Lille, à Roubaix, à Tourcoing, à Reims, à Amiens, à Saint-Quentin, à Rouen, à Lyon, à Saint-Etienne, à Marseille. Que les jeunes prêtres désireux de concourir au sauvetage de la Société en péril viennent à nous et nos Prê­tres du Sacré-Cœur essaieront de faire en France ce que font en Belgi­que les excellents Aumôniers du travail!

Belgique: La démocratie chrétienne. - Dans une excellente lettre au Bien Public de Gand, M. Arthur Verhaegen, un des défenseurs les plus compétents de la cause populaire en Belgique, s'est appliqué à justifier les catholiques démocrates et leurs œuvres. Il y a là une question délicate, dont nous voulons dire avec prudence et charité ce que nous pensons.

En face des progrès et de l'agitation des socialistes, il y a chez les ca­tholiques deux écoles. L'une, dont le vrai nom nous paraît être celui de Conservateurs catholiques, voudrait condamner en bloc toute cette agi­tation, s'en tenir aux institutions et aux œuvres actuelles et compter sur… la police et la loi pour maintenir l'ordre.

L'autre école, celle des Démocrates chrétiens, objecte que les revendi­cations du peuple ont peut-être quelque fond de justice, que les œuvres anciennes n'empêchent pas les progrès rapides et inquiétants du sociali­sme et que la police… ne suffira pas toujours. Ils proposent des œuvres nouvelles, des coopératives, des associations professionnelles; et ils de­mandent quelques réformes législatives.

On leur oppose deux objections principales. La première est qu'en ac­cordant quelque considération aux revendications des travailleurs, ils vont encourager leurs agitations; la seconde est qu'ils ne sont plus des catholiques tout courts, mais des catholiques démocrates.

Ils répondent que la compression n'est pas toujours conforme à la ju­stice et qu'elle ne retarde l'agitation que pour la rendre plus violente; qu'il vaut mieux écouter ceux qui s'agitent, les éclairer et reconnaître ce qu'ont de juste leurs revendications.

Quant au titre de Démocrates chrétiens, ne peut-on pas le justifier? L'Evangile contient des lois et des conseils. Il impose ses lois à tous, il propose ses conseils à la liberté de chacun. Il y a des chrétiens qui em­brassent le conseil de la pénitence, d'autres celui de la chasteté, d'autres celui de la pauvreté, celui de l'obéissance volontaire. Les pieux confé­renciers de Saint-Vincent de Paul se dévouent à une forme spéciale de la charité, qui osera le leur reprocher?

Les Démocrates chrétiens forment une école qui veut se dévouer à la recherche et à l'application de tous les moyens propres au relèvement du peuple. Ils étudient tous les secrets de la justice, de l'équité et de la chari­té, toutes les formes possibles de l'organisation sociale. Ils se font les avo­cats du peuple.

Notre-Seigneur n'a-t-il pas fait ainsi? Il n'a pas rebuté les grands. Il a été l'ami de Lazare, le châtelain de Béthanie, l'hôte de Simon, le confi­dent de Joseph d'Arimathie et de Nicodème. Il a fait du riche Mathieu un apôtre et de Zachée un disciple. Mais sa préférence pour les petits et les humbles a été son caractère propre, comme Isaïe et les psaumes l'avaient prédit: Evangelizare pauperibus misit me… Judicabît populos in justi­tia et arguet in aequitate pro mansuetis terrae. Il a été l'avocat des pauvres et des humbles. Il a donc été, dans le sens où nous l'expliquons, un démo­crate.

La cause de l'école démocratique est donc juste, pourvu qu'elle se tienne dans ses vraies limites; qu'elle donne ses préférences aux travail­leurs sans mépriser les autres classes de la Société et sans blesser leurs ju­stes droits. Nous pensons même que, si elle est aussi prudente que dé­vouée, le salut de la Societé est entre ses mains, parce que les œuvres nouvelles seules et les institutions démocratiques gagneront les ouvriers et les arracheront au socialisme.

Prenons pour exemple la Lombardie. Les catholiques y ont largement développé les œuvres économiques et ils s'y montrent dévoués à toutes les institutions démocratiques. Eh bien! le progrès du socialisme est arrê­té dans cette province, les travailleurs se retournent vers les catholiques et leur donnent la victoire dans les élections communales, même dans la grande ville de Milan.

Imitons ces catholiques intelligents et nous obtiendrons les mêmes ré­sultats.

Russie, Monténégro: liberté religieuse. - La Russie nous laisse espérer que la liberté religieuse serait proclamée aux fêtes du sacre. Nous le saurons dans quelques jours. Si c'est réellement le désir de l'em­pereur, l'opposition du synode de Saint-Pétersbourg ne l'arrêtera pas toujours dans ses généreuses résolutions.

Au Monténégro, c'est chose faite. Le Prince a fait convoquer les ca­tholiques de sa capitale le jour de Pâques. Il leur a annoncé qu'il leur permettait la construction d'une église et que lui-même voulait y contri­buer. C'est encore là un résultat de la grande autorité morale dont jouit Léon XIII.

Espagne et Cuba. - L'Espagne lutte toujours pour conserver sa co­lonie de Cuba. L'issue de la guerre est douteuse. L'Espagne a bien abu­sé de sa suprématie. Nous ne pensons pas cependant que la grande île soit mûre pour la liberté. Le mieux pour elle serait d'obtenir une auto­nomie relative, comme le Canada l'a obtenue de l'Angleterre. De pieux espagnols ont fait bénir à Paray un drapeau du Sacré-Cœur et l'ont en­voyé à la reine-régente comme un labarum pour l'armée nationale.

CHRONIQUE (Juillet 1896)

I. ROME ET L’EGLISE

Le Pape et la Russie. - C'est à la longue que la Russie se rappro­chera de l'Eglise romaine, comme fait en ce moment l'Angleterre. Il fau­dra de la part du Saint-Siège beaucoup de bonté, beaucoup de conde­scendance et beaucoup de savoir-faire. Léon XIII sait ce qu'il faut faire et il le fait. Il a avec l'empereur de Russie des rapports non pas seule­ment officiels, mais gracieux et amicaux. Il s'est fait représenter à son sacre et lui a envoyé une lettre autographe. L'empereur n'y sera pas in­sensible.

Le peuple russe est vraiment pieux, il est dans la bonne foi. Il est ca­tholique de cœur. D'ailleurs sa liturgie est catholique et les prérogatives de saint Pierre y sont souvent formulées. Il y a là quatre-vingt millions de chrétiens dont le retour à l'union dépend de la seule volonté de l'Em­pereur.

L'esprit de foi de tout ce peuple s'est admirablement manifesté à l'oc­casion du couronnement de l'Empereur. Comme tout se passe religieu­sement dans ces cérémonies! L'Empereur s'y prépare par la retraite, il se confesse, il communie, il visite les pieux sanctuaires de Moscou. Avant le sacre, l'empereur dit à haute voix le symbole des apôtres. Les évêques de Pétersbourg et de Kiew le revêtent du manteau impérial en le bénissant.

Tant de foi à la fin de ce siècle positiviste et railleur, c'est bien méritoi­re, et le bon Dieu voudra peut-être la récompenser en ouvrant les yeux à l'empereur et à son peuple. Prions avec Léon XIII pour obtenir cette grande grâce de la Providence.

Le Pape et l'Angleterre. - Les symptômes de rapprochement entre l'Eglise anglicane et l'Eglise romaine s'accentuent. Le mur de défiance et d'hostilité qui les séparait depuis trois siècles est tombé. On se rencon­tre sur le même terrain, on s'explique, on négocie la paix. Le Saint-Père a nommé une commission pour étudier la validité des ordinations angli­canes. Plusieurs anglicans de marque ont été admis à formuler leur opi­nion. M. Gladstone lui-même, l'illustre chef du parti libéral anglais a écrit son sentiment en vrai théologien. Le tribunal du Saint Office don­nera bientôt sa décision. Que sera-t-elle? Dieu le sait. Nous inclinons à penser qu'elle laissera planer quelque doute sur la validité des ordina­tions. Il semble acquis maintenant qu'il n'y a pas eu interruption dans la transmission des ordres. Les premiers évêques anglicans ont été sacrés validement. Il n'y a pas grand doute non plus sur la forme de l'ordina­tion: l'imposition des mains en est la cérémonie essentielle et elle a tou­jours eu lieu. Mais ce qui est le plus douteux, c'est la correction de l'in­tention. Les évêques anglicans n'entendaient pas généralement faire des prêtres comme ceux de l'Eglise romaine, des prêtres qui consacrent le corps et le sang du Sauveur. Or, le saint sacrifice est l'acte essentiel du sacerdoce. Il restera quelques doutes sur la validité des ordinations pas­sées et probablement l'Eglise continuera à réitérer l'ordination des prê­tres anglicans qui se convertiront. Aussi, nous ne pensons pas qu'il y ait un retour en masse de l'Eglise anglicane, mais les relations entamées se continueront et les conversions privées se continueront jusqu'à ce que l'Eglise anglicane se désagrège totalement.

Le Pape et l'Italie. - Un mouvement profond d'opinion s'opère en Italie. Le Pape gagne en sympathie ce que perdent la dynastie de Savoie et le parti mazzinien. Le Pape aime sa patrie italienne. Il a eu l'extrême charité d'envoyer un messager à Ménélik pour obtenir la libération des prisonniers italiens.

C'est bien là l'esprit de Notre-Seigneur, qui pleurait sur Jérusalem et s'efforçait de la sauver. Cela prépare, de loin peut-être, mais très effica­cement un changement politique en Italie. Le peuple commence à voir clair. L'unité italienne l'écrase de charges et d'impôts. Ils sont réduits à souffrir de la faim en plusieurs provinces, en Sicile, en Sardaigne et mê­me en Toscane. Ils émigrent en masse. La charité catholique les soutient autant qu'elle peut. Les catholiques éclairés organisent des œuvres so­ciales et spécialement des caisses de crédit qui les délivrent de la pieuvre israélite. Ils voient où sont leurs vrais amis et peu à peu ils reviennent des rêves de grandeur qui leur avaient fait acclamer la monarchie ita­lienne.

La grandeur de la lutte aurait fait reculer une âme moins forte que cel­le de Léon XIII, mais il a soutenu la campagne avec la ténacité romaine et sa cause a certainement fait un immense progrès moral qui prépare les autres.

Le mouvement de conversions chez les Israélites. - Nous ne som­mes pas encore certainement au temps de la conversion des juifs prédite par les prophètes pour le dernier âge du monde, et peut-être notre mon­de terrestre a-t-il encore bien des siècles à vivre. Mais de temps en temps des israélites ouvrent les yeux à la foi et rendent hommage au Christ. Quelques conversions dans ce siècle ont été particulièrement remar­quées:

Celle des deux frères Ratisbonne, qui fondèrent la double communau­té des Prêtres de Sion et des Dames de Sion et diverses œuvres de propa­gande en terre sainte;

Celle du Vén. P. Libermann, le saint fondateur de la Congrégation du Saint-Esprit et du saint Cœur de Marie; il était frère du grand rabbin Libermann de Nancy et oncle du général Libermann;

Celle du rabbin Drach, qui avait dirigé les écoles consistoriales de Pa­ris et qui a publié de précieux travaux sur la Bible;

Celle des deux frères Lémann, dont l'un est surtout orateur, et l'autre écrivain distingué;

A ces noms, il faut ajouter ceux de M. Olmer, curé de Saint-Laurent à Paris; des peintres Lehmann et Hirsch; des deux filles du baron de Rothschild de Francfort, mariées, l'une au prince de Wagram, l'autre au duc de Grammont; et plusieurs membres des familles Fould, Pereire, Heine, Veil-Picard, etc.

Il s'en faut que cette liste soit complète, mais elle montre que le Christ ne cesse pas de rechercher les brebis égarées du royaume d'Israël.

II. FRANCE

Canonisations. - Malgré ses erreurs et ses égarements, la France est encore féconde en saints. Ce sont les causes françaises qui dominent dans les procès de canonisation commencés à Rome.

Parmi ces causes, plusieurs intéressent la dévotion au Sacré-Cœur. Celle de M.me Barat, la vénérable fondatrice des dames du Sacré­-Cœur, et celle du R. P. Garicoïts, fondateur des Prêtres du Sacré-Cœur de Bétharam sont en bonne voie. La Congrégation des Rites vient de ré­viser leurs écrits. C'est là une des procédures préliminaires les plus im­portantes.

Le saint curé d'Ars, Jean-Baptiste Vianney, a été aussi un grand ami du Sacré-Cœur. Il en parlait souvent et de la manière la plus touchante. Sa cause vient de faire un grand pas. La Congrégation des Rites a statué sur l'héroïcité de ses vertus, il ne reste plus à faire que l'examen des mi­racles pour arriver à la béatification.

La cause de Jeanne d'Arc avance aussi. La Congrégation des Rites a reconnu que les règles de l'Eglise ont été observées sur le culte public, qui ne doit pas être rendu aux Saints avant leur béatification.

La France a bien besoin de la protection de ses plus saints enfants au ciel. Puissent-ils l'arracher aux mains de la secte maçonnique qui la tient sous sa domination tyrannique!

Montmartre et les religieux. - C'était bien beau, cette grande sup­plication des communautés religieuses au Sacré-Cœur dans le sanctuai­re de Montmartre, le 22 mai dernier. Ils étaient là près de 2000 religieux et religieuses, priant Dieu humblement de protéger les congrégations re­ligieuses de France contre les persécutions d'un gouvernement inspiré par la franc-maçonnerie.

Cette union dans la prière est plus consolante que les discussions trop vives qui ont eu lieu dans la presse sur la question de soumission ou de résistance aux lois oppressives. Le Sacré-Cœur voudra récompenser cet acte de confiance en sa bonté. Il faut agir virilement et résister, s'il y a lieu, aux persécutions illégales, mais il faut surtout prier et faire amende honorable à Notre-Seigneur pour qu'il nous pardonne les défaillances qui peuvent nous avoir attiré ces châtiments providentiels.

Les congrès. - Congrès de la jeunesse catholique, des ouvriers chré­tiens, des Cercles d'ouvriers, toutes ces réunions montrent la vitalité persistante de l'action catholique en France.

Le congrès des jeunes gens surtout avait, sous une apparence toute en­fiévrée de rire et de saillies juvéniles, un fond de sérieux et de véritable enthousiasme. C'est une effloraison de printemps qui promet une riche et féconde moisson, si rien n'en vient contrarier la maturité.

Le congrès des ouvriers chrétiens a pris une résolution qui a eu un grand retentissement. Il a fondé un grand parti démocratique chrétien, C'est là, je crois, un grand fait historique, et nos ennemis l'ont compris de suite. Le journal «La Petite République» a signalé ce nouveau péril noir. Si ce parti reste sage et prudent autant que zélé et courageux, si les petites personnalités n'y priment pas les grands intérêts de l'Eglise et du peuple, il sera bientôt le principal contrepoids que la société en péril pourra opposer au socialisme. Les ouvriers français comprendront que la démocratie chrétienne est le seul moyen d'améliorer leur sort tout en gardant la liberté de leur vie et les saintes espérances de la religion. Le socialisme sait bien décrire le malaise social actuel, mais quand on lui demande sa panacée, il n'a à nous offrir que le collectivisme. Et le collec­tivisme, comme le disait un homme qui n'est pas suspect de réation, Ledru-Rollin, c'est l'Etat se substituant à la liberté individuelle et deve­nant le plus affreux des tyrans (Discours à la Chambre, 12 sept. 1848).

Nos amis feront bien de prier pour que ce mouvement démocratique chrétien ne dégénère pas et réalise tout ce qu'on peut attendre de lui pour le règne social du Christ.

III. AUTRES PAYS

Belgique et Mongolie. - Ce n'est pas seulement au Congo que les Pères du Cœur immaculé de Marie, de Scheut, ont de belles missions. Depuis quelques années déjà ils exercent leur zèle en Mongolie, où ils ont succédé aux Lazaristes. La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus leur est très chère. En ce moment même, dans la Mongolie orientale, Mgr Rutjes, vicaire apostolique, fait élever une belle église au Sacré-Cœur. Nos amis voudront prier pour les œuvres de ces excellents missionnai­res, qui répandent notre chère dévotion au Sacré-Cœur.

Orient. - Après les massacres d'Arménie, voici ceux de Crète. La Crète est en grande partie chrétienne, elle n'a pas plus de 30.000 musul­mans sur 200.000 âmes, et l'Europe laisse opprimer et décimer ces vail­lants chrétiens, qui ont conservé notre foi malgré des persécutions sécu­laires. La pauvre France ne sait plus exercer sa mission de protectrice des chrétientés d'Orient.

En Chaldée, les retours à l'unité romaine sont nombreux. Tout ré­cemment c'était un évêque qui renonçait au schisme. Ce sont là les fruits du zèle éclairé de Léon XIII.

CHRONIQUE (Août 1896)

I. ROME

L'Encyclique sur l'unité de l'Eglise. - Comme elle est belle cette encyclique! Il faut la lire avec calme et la lire jusqu'au bout. Son intérêt va grandissant. Jamais aucun enseignement n'avait mieux montré ce qu'est l'Eglise et combien doivent s'estimer heureux les fils privilégiés de cette épouse du Christ. Sa lecture est tout à la fois un sujet d'étude et de méditation, elle parle à l'esprit et au cœur.

Quelle logique et quelle suite dans les idées! Le Christ a fondé une so­ciété religieuse, une société visible, unie sous un même chef. Elle est un corps vivant, une cité sainte, un royaume. Elle doit avoir l'unité de foi et l'unité de gouvernement. Ce sont là les enseignements du Christ lui-même, de qui seul nous pouvons apprendre quelle sorte de société reli­gieuse il a voulu fonder.

C'est le corps mystique du Christ, c'est son épouse. Tous ses enfants ne doivent avoir qu'une seule foi, comme ils n'ont qu'un seul Maître su­prême et un seul baptême.

Cette Eglise, le Christ en a laissé la direction à ses apôtres et à leurs successeurs: «Allez et prêchez toutes les nations, leur enseignant à ob­server tout ce que je vous ai ordonné».

Les apôtres ont autorité: «Toute puissance m'a été donnée… Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie».

L'Eglise ne s'égarera pas dans ses croyances: «Je vous enverrai mon Esprit, il vous enseignera toute vérité et il demeurera avec vous». L'Eglise conservera les Ecritures et les Traditions et les interprétera. Le Christ n'a pas voulu toutefois établir une oligarchie. L'Eglise est un bercail, il lui faut un pasteur. C'est un corps mystique et visible à la fois, il lui faut une tête. C'est une cité, un royaume, il lui faut un chef. Assurément le Christ est le roi éternel et souverain de l'Eglise, mais il a voulu lui donner aussi un chef visible dans la personne de saint Pierre et de ses successeurs. Et pour mieux marquer son intention, il a voulu, comme le remarque saint Léon le Grand, partager avec Pierre certains noms, qui désignent de très grandes choses et qui appartiennent en pro­pre au Christ et à Pierre par participation, afin que la communauté des titres manifestât la communauté du pouvoir. Ainsi, lui qui est la pierre angulaire sur laquelle s'élève tout l'édifice sacré, il a voulu que Simon Pierre fût aussi la pierre sur laquelle devait être appuyée son Eglise.

Il est encore le roi de l'Eglise, qui possède la clef de David, symbole du pouvoir. Or, en donnant les clefs à Pierre, il le déclare le chef de la socié­té chrétienne. Il est le Pasteur suprême et il a établi Pierre comme le pa­steur de ses agneaux et de ses brebis. Pierre est donc le pasteur des pa­steurs et ses successeurs ont le pouvoir suprême dans l'Eglise.

Sans doute les apôtres ont reçu aussi du Christ un pouvoir propre et ordinaire, mais ils l'ont reçu conjointement avec Pierre. Ils n'ont rien reçu en dehors de lui. Saint Pierre a reçu seul beaucoup de choses, com­me le remarque saint Léon le Grand, mais rien n'a été accordé à qui que ce soit sans sa participation. Aussi les évêques, successeurs des apôtres, perdraient le droit et le pouvoir de gouverner s'ils se séparaient sciem­ment de Pierre ou de ses successeurs.

Léon XIII complète ce magnifique développement du dessein de Dieu dans la constitution de l'Eglise par les témoignages les mieux choisis des Saints Pères. Puis il convie les peuples séparés à l'union avec cette Eglise dont le Christ a fait son épouse. S'ils veulent être les enfants de Dieu, il faut aussi qu'ils soient les enfants de l'Eglise que Dieu leur a donnée pour mère.

Cette encyclique restera comme le plus magnifique enseignement sur l'unité de l'Eglise. Elle fera une impression profonde sur les hérétiques et les schismatiques qui sont dans la bonne foi, et elle restera comme une lumière qui empêchera dans l'avenir bien des âmes de verser dans le schisme et l'hérésie.

L'Instruction apostolique au clergé de Hongrie. - Rien n'échap­pe à la sollicitude du Saint Père. Dans ses vingt années de pontificat, il aura, autant qu'il dépend de lui, appliqué un remède salutaire à toutes les blessures dont souffre l'Eglise du Christ. Il s'est occupé successive­ment de toutes les nations. Il sait qu'une partie du clergé de la Hongrie s'est laissée aller peu à peu à une vie d'allures trop séculières, et que par suite, le sel de la piété et du zèle s'est affadi chez ces ministres du Christ.

Comme Notre-Seigneur avertissait les évêques de l'Asie par son apô­tre saint Jean, ainsi Léon XIII avertit, exhorte, encourage le clergé hon­grois par une lettre pressante adressée aux évêques.

A notre époque où la religion catholique se heurte à tant d'obstacles et compte de si nombreux ennemis, est-il dit dans cette Instruction pontifi­cale, il y a heureusement beaucoup d'ecclésiastiques, évêques et prêtres, fidèles ministres de Jésus-Christ, pleins de zèle pour la cause de Dieu et de son Eglise ainsi que pour le bien de leurs ouailles, vaillants soldats et ouvriers laborieux.

Mais il en est aussi, hélas! un certain nombre qui reculent devant la peine et ont peur de la lutte. La raison en est que ces ecclésiastiques se sont peu à peu dépouillés de l'esprit divin qui leur a été communiqué par l'imposition des mains et qu'ils se sont misérablement attachés à la pour­suite des choses de ce monde. Ils ont cessé d'être du nombre de ces hom­mes par qui doit être opéré le salut d'Israël.

De là ressort l'évidente nécessité de relever et de fortifier la discipline ecclésiastique, de veiller avec le plus grand soin à ce que les prêtres de­viennent de dignes ministres du Christ, de fidèles dispensateurs des my­stères divins, qu'ils guident par la parole et par l'exemple les peuples qui leur sont confiés dans la voie de la vérité et de la sainteté, qu'ils soient prêts à combattre le bon combat avec les armes de la justice…

Voilà pourquoi l'Instruction aux évêques hongrois trace de sages re­gles et indique des moyens pratiques pour remédier au mal. Elle rappelle aux prélats l'obligation d'exiger de leurs prêtres la stricte observation des lois canoniques dans leur vie de chaque jour, de former à la vie sa­cerdotale, aux mœurs vraiment cléricales, les jeunes gens qui se desti­nent à la prêtrise, de leur donner des maîtres capables, pieux et zélés; de veiller tout particulièrement à exclure du sanctuaire des hommes sans vocation qui considéreraient l'état ecclésiastique comme un moyen de satisfaire leur cupidité ou leur ambition et ne deviendraient que de vils mercenaires.

L'Instruction recommande aux prêtres d'approcher fréquemment du tribunal de la pénitence, de consacrer chaque année quelques jours aux exercices de la retraite; de se livrer à l'étude, notamment de la théologie; de remplir soigneusement le devoir pastoral en visitant les malades, en administrant les moribonds, en catéchisant les enfants, en expliquant l'Evangile, en créant des associations et des confréries, en se tenant le plus souvent possible à la disposition des fidèles au confessionnal, en me­nant une vie édifiante, exemplaire.

L'Instruction recommande ensuite la fondation de cercles catholi­ques, la bonne organisation des collèges et des écoles, la création même d'une université catholique. Elle recommande la diffusion des jornaux catholiques et les conférences et publications appropriées aux besoins des hommes du monde.

Tous ces conseils doivent faire l'objet de la méditation des prêtres de toutes les nations, car tous les peuples chrétiens souffrent plus ou moins aujourd'hui des mêmes maux qui désolent l'Eglise de Hongrie.

II. FRANCE

Montmartre: Le règne du Sacré-Cœur. - Le mois du Sacré-Cœur et la fête elle-même ont eu cette année plus de solennité encore que les années précédentes. Les puissantes vibrations de la Savoyarde ont parlé du Sacré-Cœur à tout Paris.

Le cardinal Richard dans une allocution pleine d'à-propos a montré les rapports de l'œuvre de Montmartre avec les souvenirs de Tolbiac et de Reims. Le baptême de Clovis a fondé le royaume du Christ en Fran­ce, l'œuvre du Sacré-Cœur en prépare la restauration. L'accomplisse­ment du Vœu national, est depuis les grandes perturbations de la Révo­lution, l'attestation la plus significative de la fidélité de la France à Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Tout l'espoir d'une restauration du règne de Jésus-Christ est là. Notre-Seigneur a demandé cette œuvre de réparation et d'amour. La contemplation du Sacré-Cœur de Jésus aimant et blessé peut seule nous inspirer la pénitence et l'amour qui nous sauveront.

«Il faut, à notre époque, que chaque chrétien ne cesse de garder en son âme le sentiment de la pénitence pour réparer les outrages faits au divin Cœur, en même temps que le sentiment du dévouement et de la tendresse. Gallia paenitens et devota».

C'est par l'action grandissante de l'œuvre du Sacré-Cœur que se re­fera la France chrétienne.

Les parias de la liberté. - La France reconquerra la liberté des pro­cessions, mais il faut pour cela du courage et de la persévérance. Il ne faut pas s'incliner devant la volonté des loges maçonniques.

Elle était vaillante la lettre du vénérable archevêque de Cambrai aux catholiques Roubaisiens. «Je vous envoie, disait-il, félicitations et re­merciments. Voilà comment il faut que nous procédions, nous catholi­ques du XIXe siècle, les Parias de la liberté civique… Il faut que la liberté chrétienne contemporaine répète énergiquement ce mot: Je vis et je marche».

Elles étaient vaillantes aussi les lettres de Mgr l'évêque de Séez et de Mgr l'évêque de Tulle.

Il est superbe, l'arrêté du maire de Fossé (Loir-et-Cher), rétablissant les processions:

Le Maire, etc… Considérant,

Qu'il est puéril et dérisoire d'entrer en lutte avec le Souverain dispen­sateur de toutes choses et de prétendre le consigner dans le tabernacle ou dans la sacristie;

Que la France a toujours été et reste quand même la fille aînée de l'Eglise, qu'elle n'a jamais été entravée dans l'expansion de sa foi que par des gouvernements d'aventure, en des temps de trouble et de perse­cution;

Que le mot de liberté est inscrit en tête de ses constitutions et sur le fronton de ses monuments en caractères indiscutables;

Que le Concordat garantit au culte catholique l'exercice de cette liberté; Par ces motifs, décide:

Art. Ier. L'arrêté de M. le Maire de Fossé, interdisant les processions est rapporté.

Art. II. Au nom de la liberté, l'exercice du culte catholique est rétabli, sur toutes ses frontières, dans la commune de Fossé.

Avec un peu plus d'énergie, nous aurions bientôt fait disparaître sous le ridicule la tyrannie maçonnique.

Le Centenaire de Reims. - Ce sera vraiment une grande grâce pour la nation française que ce jubilé du XIVe centenaire de sa fonda­tion.

Les pèlerinages se succèdent à Reims presque quotidiennement. Tan­tôt ce sont des paroisses, des communautés, des pensionnats qui vien­nent prier et méditer sur nos origines chrétiennes, tantôt ce sont des groupements divers: jeunes gens des Universités, commerçants de l'Union fraternelle, ouvriers des Cercles catholiques. Parfois un diocèse entier est représenté par une magnifique délégation.

Quand une âme se reporte au souvenir des meilleures grâces de sa vie, elle en est consolée et elle redevient meilleure. Revoir le sanctuaire de notre baptême, de notre première communion, c'est pour nous une joie. Reliquiae cogitationis diem festum agent tibi (Ps. 75). Mais si nous méditons sur ces souvenirs, la grâce en sera renouvelée. Saint Paul invitait son di­sciple Timothée à renouveler souvent par une pieuse méditation la grâce qu'il avait reçue par l'imposition des mains: Admoneo te ut resuscites gra­tiam, quae est in te per impositionem manuum mearum.

La nation française retrouvera bien des grâces aussi en visitant le bap­tistère de Reims qui lui rappelle son entrée dans la vie chrétienne. Elle reconnaîtra qu'elle doit son existence à ses évêques et son cœur géné­reux en sera nécessairement ému.

Ces fêtes auront leur part bien sensible d'action dans la rénovation chrétienne que nous espérons.

Il faut le redire souvent, la France est l'enfant de l'Eglise.

Au Ve siècle, le colosse romain s'écroulait. L'Eglise était en Gaule la seule force organisée. Elle couvrait les provinces du réseau de son admi­nistration, elle avait ses métropolitains, ses évêques, ses pasteurs. Ses conciles étaient comme des Etats provinciaux.

Les évêques, comme saint Martin ou saint Loup, apportaient du fond d'un monastère le prestige d'une vertu surhumaine. D'autres, comme saint Hilaire ou Sidoine Apollinaire, empruntaient à l'illustration de leur famille un éclat aristocratique qui n'était pas sans action sur le peu­ple. Ils sont devenus les gardiens des cités. Les libéralités des fidèles leur fournissent d'abondantes ressources. Ils vont au-devant des barbares et les arrêtent souvent par le prestige surnaturel que Dieu leur prête, com­me saint Loup à Troyes, ou même en organisant la défense, comme fait saint Aignan à Orléans. Tout le peuple est à leur dévotion.

Or, la Gaule d'alors était partagée entre les tribus envahissantes. Les Burgondes occupaient la vallée du Rhône et les Wisigoths le bassin de la Garonne. Les Francs s'avançaient au Nord. Les Burgondes et les Wisi­goths étaient chrétiens, mais ils appartenaient à l'hérésie d'Arius, qui niait la divinité du Christ. Les Francs étaient encore païens. Les évêques pensèrent qu'ils gagneraient plutôt à la vérité ces païens simples et droits que des tribus déjà atteintes par les sophismes de l'Orient. Le mot d'or­dre fut bientôt donné.

On amena Clovis à épouser l'unique princesse catholique des Gaules. Le saint évêque de Reims l'entoura de sa sollicitude, et après la victoire de Tolbiac, il put lui donner le baptême. Ce fut une joie immense chez tous les catholiques de la Gaule et dès lors la France était faite. Clovis, soutenu par les évêques et par les populations conquit facilement tout le territoire de la vieille Gaule et lui donna son unité définitive. Tous ses pro­grès étaient préparés et encouragés par les évêques. Les royaumes des Bur­gondes et des Wisigoths étaient minés à l'avance par l'action épiscopale. Saint Avitus, évêque de Vienne, écrivait à Clovis: «Quand vous combat­tez, nous vainquons». Les évêques d'Arles et de Langres l'appelaient con­tre le roi hérétique de leur région. Ceux de Rodez et de Tours, contre Ala­ric. L'évêque du Béarn soulevait les montagnards de son diocèse sur les derrières de l'armée Wisigothe et mourait les armes à la main. Celui de Toulouse ouvrait aux Francs les portes de sa ville épiscopale.

C'est donc bien comme chef du parti catholique que Clovis, avec quelques milliers de soldats, a pu fonder ce royaume des Francs et que d'une nation partagée entre quatre peuples il a fait une nation unie et forte.

III. AUTRES PAYS

L'action catholique d'Italie. - Les catholiques se resaisissent en Italie et ils envisagent l'hypothèse d'une réorganisation possible de la nation, en dehors de la dynastie félone de Savoie.

«Dieu merci, disait dernièrement la Civiltà cattolica, un souffle puis­sant passe à travers les rangs des catholiques italiens sous l'influence des sublimes leçons du Vatican. Les catholiques envisagent le sublime idéal de liberté et de patriotisme et ne confondent pas ces saintes choses avec une dynastie régnante, pas plus qu'avec un parlementarisme corrumpu. Ils sont convaincus qu'on peut abandonner tout cela à sa destinée sans s'en émouvoir aucunement. L'âme italienne survivrait à tout cela et re­trouverait sa grandeur morale, civile et politique dans l'union intime avec la papauté, qui est le premier et le plus solide rempart de l'Italie».

Les catholiques belges. - Ils ont été superbes les catholiques de la Belgique dans les luttes électorales de ce mois. Les socialistes avaient un plan de campagne hypocrite et habile. Pour gagner les électeurs ils dissi­mulaient leurs véritables doctrines et présentaient un socialisme à l'eau de rose. Ils ne parlaient plus d'expropriation générale, ni de renverse­ment de la religion, ni de collectivisme. Ils réduisaient leur programme à la suppression des grandes exploitations capitalistes.

Il fallait les démasquer. Toute la presse catholique a fait son devoir. Elle a établi le Bilan rouge, le bilan des doctrines professées invariable­ment par tous les chefs et tous les meneurs du socialisme.

Ce qu'ils pensent vraiment de la religion, le voici: «C'est un des plus grand devoirs du socialisme d'anéantir cette pieuvre séculaire, le chri­stianisme, dont les avatars successifs ont été si funestes à l'humanité» (Le Peuple, 7 août 1891).

«Les chrétiens ou les croyants de n'importe quelle espèce ne peuvent plus exister. Les églises, les couvents, les chapelles doivent être démolis et réduits en poussière» (Vooruit, 3 juil. 1893).

Voici ce qu'ils pensent de la famille:

«L'homme ne diffère pas essentiellement de la bête» (Karl Marx). «L'union conjugale doit cesser dès que le plaisir a cessé» (Jean Volders, conférences aux femmes de Bruxelles). «Les enfants seront enlevés aux parents et élevés aux frais de l'Etat, dans des hospices publics où ils rece­vront tous la même instruction et éducation, sans le moindre enseigne­ment religieux» (Bebel. La femme).

Voici leur sentiment sur la patrie: «Tous en avant au cri de: A bas le préjugé patriotard». (Le travail, nov. 1894 art. de M. Smeets, député). «Votre patrie à vous est un territoire fermé… Cette patrie-là, nous ne l'aimons pas, nous la foulons aux pieds» (Vandervelde, à la Chambre, 7 déc. 1894).

Et sur les moyens à prendre pour réaliser leur idéal, que pensent-ils: «Tous, dans le groupe socialiste, depuis les hommes d'action jusqu'aux savants qui envisagent les choses avec plus de sang-froid, tous ont poussé le cri: Oui, la démocratie belge est solidaire de la Commune de Paris, et je me prosterne devant elle, comme un enfant baisant les plaies sanglan­tes de sa mère!» (Furnémont, dise. au 25e anniv. de la Commune. Charleroi, 31 mars 1896).

«Donnons du plomb aux patrons. Nous ne saurions blâmer la dyna­mite et notre main qui sème la dynamite intellectuelle est dans celle de nos amis qui jettent la dynamite qui a fait sauter les palais» (Dr Ferroul, dans l'Emancipation sociale). «Ce sera une joie pour nous d'assister à l'agonie des prêtres, des bourgeois, des capitalistes. Abattus dans les égoûts des rues, ils mourront de faim, lentement et effroyablement, de­vant nos yeux; ce sera notre vengeance» (Reulig, au Congrès soc. de Gand. 1877).

Nous pourrions continuer indéfiniment ces citations suggestives. Secouons notre torpeur, agissons et éclairons nos populations enfié­vrées par ces déclamations révolutionnaires.

CHRONIQUE (Septembre 1896)

I. ROME

Rome, l'Italie et la république. - M. Lavisse nous donnait derniè­rement dans la Revue de Paris sur ce sujet, un article fort intéressant et qui montre un véritable esprit politique.

La dynastie de Savoie était une dynastie de soldats. On l'a vue à tou­tes les périodes de l'histoire se mêler aux guerres européennes. Elle était bien faite pour accomplir le rêve des patriotes italiens et pour réaliser l'unité nationale.

Mais cet instinct guerrier qui l'a si bien servie est devenu sa pierre d'achoppement. Elle n'a pas su se tenir à Florence pour organiser pacifi­quement sa conquête. Il lui a fallu Rome, mais Rome est une grande tentatrice. Rome a de grands souvenirs et les princes de Savoie y sont hantés par l'idée de refaire un grand empire.

C'est un anachronisme. L'Italie n'est plus un peuple de soldats. Sa race primitive a été trop mêlée. Elle n'a plus la fortune qui est plus que jamais le nerf de la guerre. Et puis la Providence l'a appelée à d'autres destinées. Elle en a fait un peuple religieux et pacifique, un peuple ami des lettres et des arts. Et ce peuple habillé en piémontais n'est pas heu­reux. Il n'aime ni la conscription ni les lourds impôts. Il se contenterait de l'illusion de la grandeur dans une confédération péninsulaire. Et ne serait-ce pas le bonheur: une Italie semblable à la Suisse, avec ses can­tons confédérés, sans charges militaires et sans impôts trop lourds? Le peuple ne gémirait pas comme aujourd'hui dans la misère, et les enfants de l'Italie ne songeraient pas à s'en aller chaque année au nombre de deux ou trois cent mille pour chercher en Amérique une terre plus hospi­talière.

Le peuple italien réfléchit et peu à peu le divorce avec la dynastie pie­montaise se prépare.

Léon XIII n'est pas pour y mettre obstacle. Qu'a-t-il à attendre de cette dynastie sacrilège? Dans le partage des provinces, il retrouverait sans doute ses états, et les populations encore chrétiennes d'Italie l'ap­pelleraient facilement à la présidence de la confédération.

Ce serait le salut de ce peuple. Son rêve d'un nouvel empire romain est la plus étrange utopie. Sa vraie grandeur serait de se ranger autour du Pontife suprême dont l'empire est vraiment universel.

La canonisation de Marguerite-Marie. - Nous avons déjà parlé de la belle supplique des abbés Lehman au Souverain Pontife, pour deman­der la canonisation de la bienheureuse Marguerite-Marie, comme moyen de hâter la conversion d'Israël et le retour de l'Orient à l'unité chrétienne.

La supplique a été soumise à la signature d'un grand nombre d'évê­ques. Deux cent soixante-dix membres de l'épiscopat catholique y ont adhéré, parmi lesquels 18 cardinaux, 6 patriarches, 43 archevêques et 203 évêques. Parmi les signataires des suppliques se trouvent tout l'épi­scopat français, tout celui d'Angleterre et d'Irlande, 18 archevêques et 23 évêques des Eglises orientales. Plusieurs princes et princesses, abbés mitrés et autres personnages éminents y ont également adhéré.

Les suppliques ont été remises au Saint-Père dans un gracieux coffret par le cardinal Perraud, évêque d'Autun.

Le Saint-Père voudrait bien hâter cette canonisation, mais il manque encore, parait-il, un ou deux beaux miracles indubitables et indiscuta­bles. Et les pieuses visitandines ajoutent que leur bienheureuse sœur at­tend sans doute par déférence, pour faire ces miracles, que son saint di­recteur, le P. de la Colombière, soit au moins déclaré bienheureux.

II. FRANCE

Paray. - Nous étions là tout récemment, et par une insigne faveur de son Eminence le cardinal nous avons pu visiter les lieux saints de la Visitation. Il y a là trois stations sacrées. Il fait bon s'y agenouiller quel­ques moments, et cela aide à comprendre les révélations du Sacré­-Cœur.

Il y a d'abord le bouquet de noisetiers. L'humble vierge, au milieu de ses travaux, s'agenouillait là quelques instants, cherchant la solitude et le recueillement et se tournant vers l'église de la paroisse pour saluer de loin son bien-aimé et lui dire son amour. Et le bon Maître, touché de cet­te persévérante assiduité et de cette tendre affection, se manifesta à sa fi­dèle servante et lui fit le grand don de la révélation de son Cœur: «Voici le Cœur qui a tant aimé les hommes!».

Pendant sa vie mortelle, dans la gracieuse cité de Naim, le Sauveur avait dit à des disciples aimants: «Apprenez de moi que mon Cœur est doux et humble». C'est la même pensée qu'il répète pour nous à la ser­vante de son divin Cœur: «Apprenez de moi combien mon Cœur est aimant». Des deux côtés Notre-Seigneur nous révèle sa bonté si douce, avec l'humilité et la générosité de son sacrifice. Des deux côtés, il de­mande notre amour, notre reconnaissance et notre fidélité.

Un autre souvenir des mystérieux jardins, c'est le premier sanctuaire élevé au Sacré-Cœur. La bienheureuse contemplait là l'image bénie et recevait les grâces du bon Maître dans de longues extases dont elle ne nous a pas révélé le secret. Là Notre-Seigneur lui parlait cœur à cœur et pour elle-même, il ne l'entretenait pas de sa mission publique.

Enfin, auprès du monastère et derrière la chapelle se trouve la petite cour des séraphins. La bienheureuse venait là, attirée par les parfums du Bien-aimé. Elle s'agenouillait sur les marches de la sacristie, tournée vers le tabernacle, et les séraphins chantaient leurs chants du ciel:

L'amour trimphe,

L'amour jouit,

L'amour du Sacré-Cœur réjouit.

Ce sera notre chant au ciel. L'amour du bon Maître y triomphera éternellement. Le Cœur de Jésus jouira du triomphe de son amour et il fera la joie de tous les bienheureux.

On voudrait s'attarder là et méditer longuement, mais il ne faut pas abuser de l'hospitalité des pieuses épouses du Sacré-Cœur et on quitte ces lieux saints en enviant le sort de ces saintes âmes qui vivent si près de ces souvenirs comparables aux grands mystères de la Terre Sainte.

Une vieille chanson. - Les socialistes aiment à plaisanter de la vieil­le chanson avec laquelle les catholiques endorment les souffrances du pauvre peuple.

C'est vrai, il y a quelque six mille ans que tous les disciples de la Révé­lation, soit primitive, soit mosaïque, soit chrétienne, adoucissent leurs douleurs par la pensée que le travail et la souffrance sont une expiation méritée, une source de mérites, un titre aux récompenses du ciel.

C'est là en effet une sage philosophie et une douce chanson qui ont calmé bien des douleurs.

Les socialistes croient avoir trouvé une chanson nouvelle. «L'homme, disait M. Guesde à la Chambre il y a quelques jours, est en train de de­venir dieu». Cela aussi se disait au paradis terrestre. «Vous serez com­me des dieux. «C'était la promesse du tentateur. C'est la vieille chanson qui berce, comme l'a remarqué Donoso Cortès, non pas la misère, mais la bêtise humaine. L'envie et l'orgueil sont les germes de toutes les révol­tes.

Vous serez comme les riches, c'est la formule des révolutions sociali­stes.

Vous serez comme les nobles, c'est la formule des révolutions bour­geoises.

Vous serez comme les rois, c'est la formule de toutes les révolutions de l'aristocratie.

Vous serez comme des dieux, c'est la formule générale de toute impie­té et de tout esprit de révolte.

L'esprit de Dieu et l'esprit de Satan chantent toujours leur vieille chanson. La première console véritablement et adoucit nos souffrances; la seconde aigrit les âmes et les rend plus souffrantes encore en excitant des convoitises qui peuvent avoir une satisfaction passagère sans y trou­ver le bonheur.

Fonctionnaires. - Ils sont en France 410.000 au service de l'Etat. Ils sont censés nous servir et vivent sur les impôts. Ceux qui travaillent nourrissent cette armée qui rend, il est vrai, quelques services et qui compte beaucoup de parasites.

Quand viendront les temps heureux du socialisme, l'Etat aura trois ou quatre fois plus de fonctionnaires, parce qu'il devra gouverner par lui-même toute l'industrie, tout le commerce et toute l'agriculture. Mais vraiment qui nourrira tout ce monde? Il faudra que les travailleurs tra­vaillent beaucoup et que les fonctionnaires mangent peu pour qu'on y arrive. Alors, est-ce bien la peine de changer d'organisation sociale? Et ne vaut-il pas mieux garder celle que nous avons en supprimant même bien des fonctionnaires inutiles et en diminuant nos impôts?

A étudier. - On dit qu'il y a encore dans les villages lorrains des biens communaux qui ont survécu à la Révolution. Leur administration varie d'une commune à l'autre. Tantôt ils procurent à chaque famille le bois de sa consommation et une petite rente. Tantôt les familles se parta­gent les terres arables. Ici on tire les lots au sort à date fixe. Là on exige des conditions d'âge et de résidence. Ailleurs, c'est l'aîné de chaque fa­mille qui hérite du droit de culture, et notre code égalitaire a respecté ce privilège.

En ces communes, il n'y a pas de mendiants. La population est plus stable et plus heureuse qu'ailleurs.

Voilà bien un élément de solution de la question sociale. Quelques biens communaux dans nos campagnes y retiendraient les populations et les rendraient plus stables. Il y faut songer. Une loi devrait les favoriser et bien des propriétaires sans héritiers auraient bientôt reconstitué ce pa­trimoine des humbles laboureurs.

L'enfant prodigue. - Celui dont nous voulons parler, c'est la socié­té contemporaine. Elle s'est éloignée de son père et de sa mère, de Dieu et de l'Eglise. Elle commence à se frapper la poitrine. Elle a faim de paix sociale, d'ordre public et de vertu. Elle se souvient qu'elle a été plus heu­reuse. Elle n'est pas éloignée de se lever et de se jeter au pied de son pè­re, qui est Dieu. Elle parle par ses magistrats et ses lettrés.

C'est M. Brunetière qui nous dit que la société contemporaine a soif de Dieu et d'idéal. C'est M. Lavisse qui écrit que ces quinze ans d'écoles sans Dieu nous ont façonné «des épaves pour la dérive». C'est Henri Fouquier qui nous dit: «La jeune génération a connu les bienfaits de l'éducation laïque et obligatoire. Cette génération m'épouvante. Je sens venir comme un déchaînement de barbarie».

C'est M. Guillot, juge au tribunal de la Seine, qui dit dans un rapport officiel: «Avec la religion qui s'en va, c'est souvent l'abandon de tout idéal. La patrie, la famille, le devoir ne sont plus que des mots qui font sourire autant que le mot religion. Le cynisme, la férocité des jeunes n'étaient jamais montés à un tel diapason…». Bien d'autres parlent de même. Ce n'est pas encore la société officielle, mais elle y viendra. Elle reconnaîtra qu'elle va à la dérive. Elle s'abandonnera à un esprit nouveau, et elle reviendra à l'Eglise. Et l'Eglise toujours dévouée et miséricordieu­se comme une mère, essaiera de panser les plaies de l'enfant prodigue, et de le rendre à la vie et à la santé.

III. AUTRES PAYS

Allemagne. - Le catholicisme gagne du terrain dans les villes d'Al­lemagne. Le Conseil supérieur de l'Eglise luthérienne s'en inquiète. Le principal motif qui ramène à l'Eglise catholique les chrétiens de bonne foi en Allemagne, c'est l'action puissante de l'Eglise catholique dans la question sociale. Un professeur protestant de Berlin, M. Eltester en faisait dernièrement l'aveu. «L'attitude que le catholicisme allemand a prise vis-à-vis de la question ouvrière, disait-il, est décidément impo­sante; elle est telle qu'à mon avis l'avenir lui est assuré».

«Le parti du Centre, ajoutait-il, a une grande influence sociale. Par la sollicitude dont il entoure la classe ouvrière, il gagne les voix de la basse classe de la population. C'est aux prêtres qu'ils doivent cela, car le prê­tre est le seul qui parle cœur è cœur à l'ouvrier, qui le conseille, le relève dans le malheur et lui donne la consolation et l'aumône.

«Pour le prêtre il n'y a pas de chambre trop étroite, ni d'ouvrier trop pauvre. Ce n'est pas par le froid enseignement dogmatique que le peuple sera maintenu dans la foi, mais par la charité active. Les jeunes prêtres ca­tholiques sont instruits des questions sociales et économiques, ils connais­sent bien les désirs et les nécessités de l'ouvrier dont ils sont les amis».

Ce témoignage d'un protestant est bien frappant.

Le protestantisme est d'ailleurs expirant en Allemagne, du moins dans les villes. C'est l'indifférence qui prend le dessus. Les protestants de bonne foi doivent reconnaître que l'Eglise catholique seule a de la vi­talité. Les statistiques de 1880 accusaient à Berlin et dans les grandes vil­les le triomphe complet de l'irréligion. 26/100 des enfants restaient sans baptême, d'après les statistiques. 59/100 des mariages, 80/100 des enter­rements étaient civils. Sur 100 membres de l'Eglise évangélique, on comptait par an 15 communions.

Sur la réclamation des pasteurs, on a élevé 22 églises nouvelles à Ber­lin et 8 autres sont en construction. L'empereur aime la religion et la fa­vorise. Les chiffres des baptêmes et des communions se sont un peu rele­vés, mais c'est un progrès bien superficiel. La classe bourgeoise a quel­ques pratiques religieuses, fruit de la coutume plutôt que de la convic­tion. Le peuple est gagné par le socialisme et déteste l'Eglise établie dans laquelle il veut voir la gardienne des coffres-forts.

Le protestantisme allemand se dissoudra peu à peu comme le libérali­sme belge, et dans un demi-siècle, il n'y aura plus guère en Europe que deux partis, les catholiques et les socialistes.

Etats-Unis: conversions au catholicisme. - A la suite des travaux des Pères Paulistes, qui ont donné des missions aux non-catholiques dans les différentes parties de la République, de nombreuses conversions ont eu lieu.

Le Missionary, organe officiel de la Congrégation des Pères Paulistes cite quelques convertis de marque dans les trois derniers mois aux Etats­Unis;

Robert James, frère d'un professeur de l'Université; Henri James, le romancier; Melle Alice English, fille du poète Thomas English; le Rév. Coleman, ministre de l'église épiscopalienne et fils de l'évêque prote­stant de Delaware; le Rév. Pelley, recteur de l'église épiscopalienne de Norwich; M. Willam Low, ancien consul d'Angleterre à Menton; Mme Carrol, de Yonkers; M. et Mme George de Mackay; le Rév. Fréderic Sherman, aumônier de la marine des Etats-Unis.

Le Catholic News de Chicago cite quelques autres conversions qui ont eu lieu en Angleterre; la comtesse Nelson; Constance Fletcher, nièce du D' Pusey; Melle Bayliss et deux autres membres d'une communauté an­glicane à Exeter.

Le mouvement pour l'union s'accentue d'ailleurs en Angleterre et il semble qu'on peut espérer dans un avenir assez prochain non plus seule­ment des conversions individuelles, mais des conversions par groupes nombreaux.

Prions le Sacré-Cœur de donner à Léon XIII la grâce de voir au moins le commencement de ce retour des communautés anglicanes à l'Eglise catholique.

CHRONIQUE (Octobre 1896)

I. ROME ET L’ÉGLISE

Orient: le Christ et Mahomet. - Serait-elle venue l'heure de la dis­solution pour cet empire anti-chrétien prédit par Daniel (Chap. VII) et l'Apocalypse (Chap. XI et XII), qui devait succéder à l'empire romain, occuper la Ville Sainte et envahir les royaumes chrétiens? Daniel et saint Jean lui attribuent la durée de trois ans et demi ou douze cent soixante jours. Mais ce sont des jours qui sont des années, comme dans les soixante-douze semaines qui ont précédé la venue du Messie.

C'est en 636 que le calife Omar s'est emparé de Jérusalem. Si on y ajoute douze cent soixante ans, cela ferait bien 1896. Nous n'avons pas de prétentions prophétiques, nous donnons cela en passant et sans insi­ster. Toujours est-il que l'empire musulman est à l'agonie. Il a dû resti­tuer déjà au Christ l'Espagne, l'Algérie, la Tunisie, la Grèce, les princi­pautés danubiennes, l'Epypte même. Bientôt ce sera le reste. Les na­tions européennes seront poussées à bout et ne pourront pas laisser égor­ger plus longtemps les chrétiens de la Crète, de l'Arménie et de Constan­tinople. Ah! si les peuples de l'Europe avaient encore quelque chose de la sainte ardeur des croisés, ce serait bientôt fait. Mais nous avons versé dans le positivisme, et ce qui fut la chrétienté n'est plus qu'un syndicat de politiciens où les intérêts dominent tout sentiment.

Mais Dieu nous mène pendant que nous nous agitons vainement et il prépare sûrement quelque coup de sa providence.

Italie: prisonnier et geôlier. - Léon XIII vit en paix au Vatican. Ses nuits ne sont pas troublées par les cauchemars d'une mauvaise con­science. Le roi Humbert, de son côté, traîne une vie inquiète et tour­mentée. Il essaie de se faire illusion par des fêtes et de s'appuyer sur la force des canons allemands, à défaut du secours de Dieu qui n'est donné qu'aux princes loyaux et justes. Ses trésors sont vides, ses peuples sont dans une misère profonde.

A l'étranger, une tâche indélébile marque ce peuple qui a violé les droits les plus sacrés. Son nom rappelle ceux de judas et de Gannelon. Je parle, bien entendu, des amis du régime piémontais, car l'Italie a de braves enfants qui protestent contre la félonie des princes savoyards. Les Italiens excitent à l'étranger une répulsion semblable à celle qu'on éprouve pour les juifs qui ont trahi le Christ. Ils se heurtent partout aux nationalités diverses, qui méprisent ce royaume de félons. Humiliés en Abyssinie, ils subissent des avanies diverses et plus ou moins cruelles à Zurich, à Marseille, à la Nouvelle-Orléans, au Brésil.

C'est le châtiment. Ils veulent relever par des fêtes les noces du prince de Naples, mais s'ils veulent les célébrer à Rome, ils n'auront ni une ba­silique ni un prince de l'Eglise. Et pendant ce temps-là les catholiques se réveillent en Italie. L'idée républicaine et fédérative gagne du terrain. C'est le jugement de Dieu qui se prépare.

Pour et contre les juifs. - C'est le titre d'un volume intéressant que vient de publier un bon curé de campagne, M. l'abbé Cellier, qui occu­pe ses loisirs à des études d'histoire et de philosophie chrétienne dans son modeste presbytère de Normandie6).

Eh! oui, il y a à dire pour et contre les juifs. Sans doute, ils portent sur eux la malédiction de judas. Ils nous envahissent, ils nous dominent, ils nous grugent. Ils inspirent nos sociétés secrètes. Ils n'ont aucun scrupule de s'en prendre aux catholiques, de les gêner dans leur culte, de faire laï­ciser nos écoles, nos hôpitaux, nos cimetières, d'expulser les aumôniers de nos armées, les religieux de nos couvents et d'envoyer nos séminari­stes à la caserne. Tout cela est pour eux une douce jouissance. Ils se sont emparés chez nous du haut commerce et de la haute banque, ils spécu­lent sur les émissions d'emprunts et de valeurs.

Tout cela est vrai, mais ce n'est pas moins un peuple providentiel. Dieu ne l'a pas abandonné définitivement. Il le conserve comme un té­moin de l'histoire et des saintes Ecritures. Il le réserve pour lui donner encore une grande mission dans les derniers temps du monde. Le génie des juifs convertis, la puissance de leurs traditions et leur or lui-même contribueront à la conquête du monde à Jésus-Christ.

La prophétie de saint Paul dans l'épître aux Romains (Chap. XI, vers. 12 et suiv.) est manifeste. Il a suffi, dit l'apôtre, d'une poignée de juifs pour transformer le monde. Les autres sont-ils tombés pour ne plus se relever? Non. Leur chute a été une occasion de salut aux gentils, mais combien plus leur relèvement sera la richesse du monde! Si leur réproba­tion est devenue l'occasion de la réconciliation du monde, combien plus leur retour sera une résurrection à la vie! Vous avez été entés à leur pla­ce, vous autres gentils qui étiez des oliviers sauvages, mais Dieu est tout­puissant pour les enter de nouveau, et ils y seront plus aptes étant de la nature du tronc primitif. Une partie des juifs est tombée dans l'aveugle­ment; mais ils restent chers à Dieu à cause de leurs pères. A leur tour, ils recevront miséricorde, quand la plénitude des nations entrera dans l'Eglise…

Il faut lire les commentaires émus de M. l'abbé Lehman sur ce passa­ge de saint Paul dans ses beaux livres sur la question juive.

Cette conversion définitive d'Israël s'annonce par quelques préludes. Les Libermann d'Alsace sont revenus au Christ et l'un d'eux honoré bientôt par l'Eglise du titre de Bienheureux sera au ciel un des protec­teurs de sa race. On se rappelle la conversion du P. Ratisbonne, celles de Mgr Lewel, de M. Goschler et tant d'autres.

Tout en blâmant les agissements des juifs et en luttant contre leur ac­tion politique et économique si funeste à l'Eglise et à la société, prions pour leur conversion et si nous avons quelques rapports avec eux, donnons-leur des publications comme celles de l'abbé Lehman et de l'abbé Cellier. Dieu bénira notre apostolat.

Démocratie. - Le mot est en voie de s'acclimater. Jadis il faisait peur, aujourd'hui on l'explique et on l'accepte. De quoi s'agit-il en résu­mé? - Dans l'ordre politique, d'une part équitable d'action laissée au peuple dans la nation organisée; - dans l'ordre économique, d'institu­tions qui protègent le travailleur contre tous les abus d'une société capi­taliste; - dans l'ordre moral, d'un tempérament nouveau où le courage civique et l'action politique et sociale s'allient aux vertus privées et do­mestiques.

C'est à peu près ainsi que M. l'abbé Lemire nous dépeignait la démo­cratie dans son beau discours de Lyon.

C'est l'esprit qui anime les catholiques de Belgique, d'Allemagne, d'Autriche et d'Italie.

En Belgique, ils multiplient les œuvres sociales et se préparent à édic­ter des lois populaires concernant la personalité civile des syndicats, l'organisation des caisses de retraite, la direction pratique à donner à l'ensi­gnement, la détermination du minimum des salaires dans les adjudica­tions publiques.

En Autriche, au beau congrès qui se tient à Salzbourg, la première place au programme est donnée à la question ouvrière. Un ancien socia­liste, Otto Dis dépeint les maux dont souffre la classe ouvrière et spécia­lement la ruine de la vie familiale, le travail du dimanche, le travail des femmes et des enfants. Il réclame le développement des associations et le concours moral et matériel de toutes les classes de la société.

Les catholiques de l'Allemagne du Nord, réunis dans un splendide congrès à Dortmund sont plus avancés que leurs frères du midi. Ils con­statent l'épanouissement de toutes les œuvres sociales dans leurs belles provinces catholiques: œuvres d'apostolat et d'enseignement, œuvres de préservation, œuvres sociales proprement dites: caisses de prêt, cer­cles, associations, hôtelleries du travail, groupements d'apprentis, etc…. tout fonctionne et se développe.

Les Italiens ne sont pas les moins hardis dans leurs programmes. Dans leur récent congrès de Padoue pour les études sociales, ils ont patronné notamment la répression légale de l'usure, l'organisation des syndicats agricoles et des chambres d'agriculture; la reconstitution du patrimoine complémentaire des agriculteurs et des pauvres, moyennant les proprié­tés collectives, communales et corporatives; la diffusion d'une solide in­struction agricole; l'adoption de mesures d'ordre public pour assurer aux paysans des habitations et une nourriture plus salubres. C'est bien l'esprit de saint Antoine de Padoue, le grand ami du peuple, qui les in­spirait.

Et nous, que faisons-nous? L'esprit démocratique, dans son vrai sens chrétien, enfle aussi nos voiles. On sentait son souffle puissant dans les récents congrès de Reims.

Au congrès franciscain, toute parole en faveur du peuple était accla­mée. On sentait revivre l'esprit de saint François, de saint Antoine de Padoue, de saint Bernardin de Sienne, ces grands amis et libérateurs du peuple. Ces, grands Saints ont combattu toutes les oppressions, celle du banquier d'alors comme celle du seigneur féodal. En libérant les travail­leurs du service seigneurial, des tailles et de l'usure, ils ont préparé l'or­ganisation des corporations et le splendide épanouissement des arts et des métiers au moyen âge. Aux franciscains d'aujourd'hui de reprendre ces traditions et de contribuer par l'action du Tiers-Ordre à libérer de toute servitude sociale et économique les esclaves de l'usine.

Et les congrès des prêtres? quelle assemblée de nobles cœurs! Je ne dirai pas que tous les vaillants étaient venus, mais tous ceux qui étaient venus étaient des hommes ardents, généreux, pénétrés du désir de faire quelque chose pour ranimer la vie sociale chrétienne. L'enthousiasme était facile dans cette élite. En les voyant on se disait: ce seront les humbles curés de nos paroisses qui relèveront la France, Laissant de côté la rhétorique sonore et vive, les congressistes ont pris la résolution d'agir, d'étudier les besoins du peuple, de faire chez eux des associations, d'allier les méthodes nouvel­les d'apostolat aux méthodes d'autrefois reconnues insuffisantes. Bientôt un compte rendu officiel racontera ce qui s'est dit là de meilleur et ce sera le meilleur manuel de pastorale que nous ayons encore.

II. FRANCE

Reims. - Les pèlerinages du centenaire ne cessent pas. Chaque jour amène à Reims de nouveaux groupes. Notre-Seigneur veut que toute la France dans son élite passe là, qu'elle se rappelle toutes les faveurs qu'el­le a reçues de la Providence et notamment les victoires de 496 et de 1429 et qu'elle s'écrie de nouveau comme au temps de Clovis: Vive le Christ qui aime les Francs. Le centenaire de Reims est un prélude. La France regagnée au Christ par les souvenirs de Tolbiac, d'Orléans et de Reims, rougira de sa félonie et ira se frapper la poitrine à Montmartre et se con­sacrer au Cœur de Jésus.

Le vrai drapeau national. - Notre-Seigneur a demandé à la France de mettre le Sacré-Cœur sur ses étendards comme signe d'une nouvelle alliance. Nous en sommes bien loin sous notre gouvernement maçonni­que. Mais les catholiques font bien d'y préparer les esprits en arborant souvent le drapeau tricolore orné de l'image du Sacré-Cœur.

C'est ce qu'ont fait bravement les ouvriers catholiques de Brest en al­lant saluer. M. Félix Faure. Un arrêt de la Cour de cassation maintient la qualité de drapeau national au drapeau tricolore orné de cet emblème religieux. Profitons-en.

Ceux qui avaient la garde du drapeau blanc n'ont point voulu accor­der à Notre-Seigneur ce qu'il réclamait de leur zèle et de leur foi et le drapeau blanc fut emporté par les révolutions. Le drapeau tricolore, à son tour, est menacé par le drapeau rouge. Il sera vaincu par l'étendard révolutionnaire s'il n'est pas protégé par le signe divin du Sacré-Cœur.

Fourvières. - La France aime toujours la sainte Vierge. Que de té­moignages d'amour et de confiance elle lui a donnés en ce siècle et spé­cialement depuis les grandes épreuves de 1870. Elle a construit une foule de sanctuaires en son honneur: Lourdes surtout, et La Salette, et Pont­main, et Notre-Dame d'Afrique, et Notre-Dame de la Garde, et Notre­Dame de la Treille, et Notre-Dame de Brébières et d'autres encore. Et ces jours-ci elle inaugurait le beau sanctuaire de Fourvières. Ce monu­ment a coûté vingt-cinq années de travail et sept ou huit millions de dé­penses. Il est particulièrement riche et beau. En ce siècle de décadence, nous ne savons pas faire grand, nous sommes loin de la majesté des ca­thédrales ogivales et de la pureté de ligne des temples grecs, mais nous excellons dans la décoration comme les bysantins. Nous couvrons nos monuments de mosaïques, de marbres, de bronzes, de peintures. C'est ce qu'on a fait particulièrement à Fourvières et à Albert. Et on l'a fait avec un goût délicat. La sainte Vierge nous en saura gré, elle aura pitié de son royaume.

III. AUTRES PAYS

L'Espagne et l'action maçonnique. - L'Espagne n'est plus ce qu'elle a été. Elle a eu comme nous ses expulsions. Elle a persécuté les religieux et renoncé à son unité de croyance. Mais elle est encore trop ca­tholique au gré de la secte maçonnique. C'est là que la franc-maçonnerie porte ses efforts aujourd'hui. Son mot d'ordre est la destruction de l'Espagne catholique. De là les insurrections de la métropole et des colo­nies. Aux Philippines surtout les sectes sont puissantes. On le reconnaît aujourd'hui, et cela justifie le Dr Bataille qui nous signalait l'organisa­tion satanique des sectes de l'Extrême-Orient. A Cuba, l'Espagne expie ses fautes passées. Elle a renvoyé les communautés religieuses de ses co­lonies, c'était détruire leur meilleur rempart.

L'Espagne aime le Sacré-Cœur, le Saint-Sacrement et la sainte Vier­ge, prions Notre-Seigneur de venir à son secours.

La Suisse et la vraie démocratie. - M. Decurtins, le grand orateur catholique, exposait dernièrement dans un discours aux étudiants à Al­torf, les vraies conditions de la démocratie.

«C'est la commune, disait-il, qui est la véritable école de la vie publi­que, et c'est en faisant les affaires de la commune que le citoyen se pré­pare à faire celles de tout le pays… En supprimant l'organisme provin­cial, la France a coupé toutes les racines de la vie nationale et aujourd'hui elle démarre à l'aventure comme un vaisseau qui a perdu ses ancres… Elle n'a pas tenu compte du passé, des affinités qui naissent à l'ombre des mêmes montagnes, dans la plaine, dans la vallée, sur les rivages de la mer… Pour être un vrai démocrate, il faut passer par l'éco­le de la tradition et par celle de l'expérience».

Et c'est bien pour cela que les catholiques français demandent la dé­centralisation, l'accroissement de la vie communale et provinciale et la réorganisation de la vie corporative, pour retrouver là l'expérience de la vie sociale et politique.

L'Autriche et le Sacré-Cœur. - L'Autriche est bien malade. Les juifs la tiennent dans leurs serres comme le faucon tient sa proie, mais les catholiques s'y réveillent, et ils tournent leurs regards vers le Sacré-­Cœur: c'est bon signe.

Au congrès de Salzbourg, à la messe solennelle, après l'Evangile, tou­te l'assistance a lu à haute voix une consécration solennelle du congrès au Sacré-Cœur de Jésus. Le congrès a aussi exprimé le désir que toutes les paroisses et tous les diocèses d'Autriche soient consacrés au Sacré­Cœur. C'est bon signe, l'Autriche verra encore de beaux jours.

CHRONIQUE (Novembre 1896)

I. ROME

L'arbitrage des Papes. - Le congrès général que les catholiques d'Italie ont tenu à Fiesole s'est occupé de cette grande question. Que de fois dans l'histoire de la chrétienté les Papes ont exercé leur ministère de paix en apaisant les conflits soulevés entre les princes chrétiens! Que de millions de vies humaines ont été épargnées par là! que de deuils évités! que de ruines empêchées!

Est-il donc si difficile de revenir à cet usage chrétien? Non certes, c'est le désir intime de tous les peuples. N'avons-nous pas vu l'Allemagne et l'Espagne y recourir dans ces dernières années? Les républiques du Chili et de la Bolivie, de Saint-Domingue et d'Haïti ont demandé également l'intervention pacifique du Pape, et des conflits redoutables ont été évités.

Sans doute le remède ne serait pas toujours efficace. Les passions sont parfois trop surexcitées pour laisser parler la raison, mais quelques guer­res de moins dans chaque siècle, ne serait-ce pas déjà pour l'humanité un bienfait infini?

Le congrès de Fiesole a fort bien résumé les motifs de cette institution de droit chrétien. «La médiation, a-t-il dit, ou l'arbitrage international des Papes est une nécessité sociale pour conjurer autant que possible le fléau de la guerre et celui de la paix armée. Il est à désirer que l'arbitrage des Papes devienne une institution sociale permanente, acceptée par les pouvoirs publics et par les peuples, afin de résoudre les différends inter­nationaux sans recourir à l'épreuve des armes qui procure souvent la do­mination de la force plutôt que la victoire du droit et de la justice».

Pour ces motifs, les congressistes ont pris les résolutions suivantes, qui doivent être celles de tous les catholiques:

«Propager dans tous les pays de la chrétienté l'idée de l'arbitrage pon­tifical, et la rendre populaire, par des articles de journaux et de revues, par des conférences et des brochures populaires, en invitant les profes­seurs et les écrivains de droit politique à traiter ce sujet, à combattre les préjugés contraires et à montrer la possibilité et la nécessité de cet arbi­trage; - Engager les représentants catholiques dans les assemblées poli­tiques des divers pays à faire adopter, là où c'est possible, par les gouver­nements respectifs la réalisation de cette médiation du Pape; - Confier au comité permanent de l'œuvre des congrès catholiques le mandat de se mettre d'accord avec les chefs des grandes associations catholiques, afin qu'ils coopèrent à l'adoption de cette intervention pontificale».

Dieu veuille que cette propagande ait des résultats pratiques! L'arbi­trage du Pape en faveur de la paix sera sûrement un des fruits de ce rè­gne du Sacré-Cœur que nous attendons.

L'action du Pape. - Le Souverain Pontife est vraiment comme le re­présentant et l'image de la Providence sur la terre. Il est le vice-roi du grand royaume du Christ. Il veille sur toutes les Eglises, sur tous les grou­pes de chrétiens. Il envoie partout les conseils, les directions, les ordres né­cessaires pour guider sa grande armée. Il reçoit les évêques, les missionnai­res, les catholiques influents de toutes les régions. Il s'informe de ce qui se passe dans leur pays et leur rappelle les œuvres qu'il y faut faire.

Il intervient auprès de Ménélik pour la libération des prisonniers ita­liens, auprès du Sultan pour la protection des Arméniens catholiques. Il envoie ses encouragements à tous les congrès. Il suit de près une contro­verse bien grave, celle de la validité des ordinations anglicanes et il la tranche avec autorité.

Quel rôle magnifique! N'est-ce pas là ce que faisait Notre-Seigneur en envoyant ses apôtres et ses disciples porter partout la paix et le salut? N'est-ce pas là ce qu'il ferait, s'il vivait au milieu de nous sur la terre?

La mission de Mgr Macaire a été bien accueillie en Abyssinie. Il y a là des millions de chrétiens qui sont catholiques de cœur, s'ils ne le sont pas entièrement par une union formelle avec Rome.

Le Saint-Père aurait bien voulu intervenir énergiquement auprès du Sultan pour empêcher le massacre des Arméniens, mais il a vu qu'il ne serait pas suivi par les grandes puissances. Il s'est contenté de recom­mander au Sultan les Arméniens catholiques qui se sont tenus en dehors des rebellions de Constantinople.

Il envoie ses félicitations au congrès de Dortmund. Il recommande au congrès de Fiesole d'adopter un programme d'union et d'instituer un bureau permanent pour en poursuivre l'application. Il loue les prêtres du congrès de Reims de leur intention d'aller de plus en plus au peuple. Il se réjouit de voir le congrès des catholiques à Reims déterminé à sui­vre toutes ses directions et tous ses conseils.

Entre-temps, il tranche définitivement la controverse séculaire des or­dinations anglicanes. Il fallait y arriver. Aucune question ecclésiastique contemporaine ne pouvait avoir la même importance. Tous ces évêques anglicans, tous ces pasteurs qui administrent l'Eglise d'Angleterre sont­ils prêtres oui ou non? Ils croient l'être. Ils reprennent nos usages catho­liques. Ils offrent le sacrifice de la messe et administrent les sacrements. Plusieurs fois déjà l'Eglise a déclaré leurs ordinations invalides. Mais l'étude de l'histoire ayant mis au jour de nouveaux documents, Léon XIII a bien voulu remettre l'affaire en question. Il l'a fait avec une gran­de largeur d'esprit en admettant des protestants eux-mêmes à présenter leurs arguments. Maintenant le jugement est définitif. Les pasteurs an­glicans ne sont pas prêtres. Il n'y a pas, à proprement parler, d'Eglise anglicane, puisqu'il n'y a pas de sacerdoce anglican. Toutes ces ordina­tions péchent par la forme et par l'intention. Depuis la Réforme les évê­ques consécrateurs en Agleterre n'ont pas eu l'intention de faire des prê­tres véritables, des prêtres qui offrent le sacrifice. Ils ont employé une forme de sacrement qui est insuffisante. Ils imposent les mains à l'ordi­nand et lui disent: «Recevez le Saint-Esprit. «Cela n'indique nullement le sacerdoce. C'est une forme indéterminée qui s'adapterait aussi bien à la confirmation.

Le peuple anglais a reçu ce décret avec émotion. Certains feront sem­blant de le mépriser. Tous y réfléchiront et ce sera le commencement d'une évolution des anglicans de bonne foi vers l'Eglise romaine.

II. FRANCE

La honte de l'athéisme social. - La secte franc-maçonnique qui nous gouverne nous impose cette honte. Le peuple de France n'est pas irréligieux, il se tournerait bien vite vers Dieu, s'il n'était pas trompé et entraîné par une organisation satanique de la presse et du pouvoir so­cial.

Tous les peuples prient, tous les peuples adorent Dieu et lui rendent quelque culte dans la mesure où ils le connaissent. C'est la loi de la natu­re et c'est un fait historique constant. Monarchies ou républiques, toutes les sociétés reconnaissent l'autorité divine, et toutes les sociétés contem­poraines s'étonnent de voir en France cette situation anormale et mon­strueuse d'un peuple qui ne prie pas.

Les Etats-Unis ont leurs jours de prières nationales. La Suisse égale­ment a son jour de jeûne fédéral où les autorités cantonales assistent à l'office religieux soit à l'église catholique soit au temple protestant sui­vant les cantons.

Les souverains russes ne conçoivent pas que leur première visite à Pa­ris puisse être pour un autre que pour le Dieu de l'Eucharistie. Ils s'étonnent qu'on leur propose de poser la première pierre d'un monu­ment sans appeler l'archevêque pour la bénir. Les musulmans de notre Algérie disent couramment: «les Français ont moins d'esprit que nos ânes; si nos ânes savaient parler, ils loueraient Dieu».

C'est vrai, la France officielle en est là, parce qu'elle s'est laissée as­servir par quelques milliers de francs-maçons. Mais la vraie France prie et combat pour rétablir le règne du Christ et elle y arrivera par le secours du Sacré-Cœur de Jésus.

Un assaut redoutable du protestantisme. - Nous pensions que le calvinisme était mort en France, il ne l'est point. Il est le bienvenu des loges maçonniques, et il travaille avec leur appui à conquérir la France. Les ministères, la magistrature, l'enseignement se remplissent de prote­stants. Ils sont à la préfecture de la Seine avec M. de Selves, à la direc­tion de l'enseignement supérieur et de l'enseignement moyen avec M. Liart et M. Rabier. Ils détiennent plusieurs de nos écoles normales. Un général protestant commande l'Ecole polytechnique. M. Laroche gou­verne Madagascar. Les méthodistes anglais couvrent l'Algérie de leurs fondations sous l'œil bienveillant de l'administration. L'éternel ennemi du Christ qui dirige l'action maçonnique emploie tout ce que la nation lui offre de ressources pour parvenir à son but. Protestants, juifs, athées et socialistes, tout lui est bon pour détrôner le Christ. Prions et agissons, le Christ régnera, mais il veut régner par les attraits de son Cœur que nous devons faire connaître et faire goûter.

L'alcoolisme. - Ses ravages grandissent sans cesse. Il est une des causes de la dépopulation de la France, car il paraît qu'un des effets de l'alcool est la stérilité de ceux qui en abusent.

Le mal est général en Europe, on peut même dire dans le monde en­tier. Il y a cependant des nations qui réagissent. La Suisse remonte le courant. La Norvège et la Suède surtout ont obtenu des résultats mer­veilleux par une sage législation.

La consommation annuelle en France est de 250 millions de litres d'al­cool, 38 millions de rhum et de liqueurs, 32 millions de litres d'absinthe et de boissons similaires. Cela fait en moyenne environ six litres par per­sonne. Mais quelques provinces sont spécialement affectées de ce phylo­xera moral. La Normandie surpasse toutes les autres régions. Rouen, avec ses 115.000 habitants, consomme 46.000 hectolitres tous les ans, cela fait 40 litres par tête!

Les femmes, dit-on, rivalisent avec leurs maris. L'ouvrière simplifie le repas en fabricant une soupe composée de tranches de pain et d'alcool. Certaines femmes, sous prétexte de fortifier leurs nourrissons, mêlent l'alcool au lait. Les instituteurs estiment que 50 à 60% des enfants de 6 à 9 ans boivent de l'alcool tous les jours en Normandie.

Notre gouvernement dépensier ne fera rien contre la consommation de l'alcool qui lui rapporte 200 millions de droits par an. Un pouvoir chrétien pourra seul être vraiment réparateur.

Saint François d'Assise a su mettre dans la règle de son Tiers-Ordre le remède à toutes les plaies sociales de ce temps-là: que l'Ordre franciscain ajoute à cette règle le conseil de s'abstenir d'alcool, et le Tiers-Ordre qui grandit contribuera grandement par là au salut social.

III. AUTRES PAYS

Russie. - L'Eglise russe n'est guère séparée de l'Eglise romaine que par l'intention du chef de l'Etat. Toute la liturgie russe atteste la foi de ce peuple à la primauté de Saint Pierre et de ses successeurs. Tout le peuple sait bien que le Pontife de Rome a le premier rang dans l'Eglise. Bien des prêtres et des évêques désirent l'union effective, mais ils ne peuvent pas le dire. L'empereur choisit des évêques dévoués pour en for­mer le Saint-Synode qui gouverne l'Eglise russe et ce synode n'est pas indépendant.

L'Eglise russe, à cause de la foi du peuple, n'est pas stérile en grâces et même en miracles. Sa liturgie est restée longtemps atrophiée et station­naire, cependant poussé par l'opinion populaire l'empereur vient d'y ajouter un nouveau saint. Il s'agit de saint Théodosius, évêque de Tchernikov. L'empereur a ordonné, il y a quelques jours, l'ouverture de tombeau et la reconnaissance des reliques du saint évêque.

Au moment de l'exposition des reliques (d'ailleurs trouvées complète­ment intactes et conservées) un villageois du district de Sievsk ayant re­couru aux prières de ce Saint a obtenu la guérison immédiate d'une pa­ralysie dont il souffrait depuis 15 ans. Il se leva sans aucun aide de son brancard devant la foule émerveillée. Les journaux russes signalent plu­sieurs autres miracles et entre autres la guérison d'un enfant aveugle.

Ce saint croyait ardemment à l'union avec Rome. Puisse son interces­sion rendre cette union effective!

Turquie: les Vêpres de Constantinople. - L'histoire qualifiera sé­vèrement les massacres d'Arméniens en Turquie. La lumière se fait sur ces tristes événements. Il s'agit bien d'une intrigue gouvernementale et d'attentats provoqués et voulus par la police. Les Vêpres siciliennes et la Saint-Barthélemy ne sont rien à côté de ces massacres en masse. On ne saura jamais le nombre des victimes de cette lutte sanglante commencée en Arménie, il y a quelques mois, et continuée récemment à Constanti­nople. Il a peut-être atteint le chiffre de cent mille. Et le grandes puissan­ces restent les bras croisés!

La politique et l'envie compriment tout l'élan chevaleresque des peu­ples chrétiens. Ce sera la honte de notre époque dans l'histoire.

La Russie convoite l'Arménie, mais elle ne juge pas le moment oppor­tun de la prendre, de peur que l'Angleterre n'en prenne occasion pour s'affermir en Egypte et pour réclamer encore quelque autre province. Prions et laissons faire la Providence. Elle dirige mystérieusement les événements.

Belgique: le socialisme en mauvaise posture. - Les socialistes avaient beau jeu jusqu'à présent, à Gand. Ils ont établi une coopérative, le Vooruit, qui fait de beaux bénéfices et qui en emploie la meilleure part pour la propagande du parti. C'est un vrai succès, mais la roche tar­péienne est proche du capitole. Les catholiques ont observé de près les agissements du Vooruit, et ils ont découverts que les directeurs de cette organisation socialiste surpassent en exigence et en dureté les plus intrai­tables capitalistes. Ils prolongent les journées de travail; ils imposent le travail à façon qui produit toujours le surmenage.

Leurs ouvrières se plaignent qu'on retienne sur leur maigre salaire de 0,23 cent, par chemise confectionnée, 5 centimes pour le matériel et la caisse des grèves.

C'est avec le fruit des sueurs plébéiennes que les socialistes de Gand organisent leur propagande, leurs meetings et toute leur action électo­rale.

Certains de leurs ouvriers ne se gênent pas pour dire que leur atelier est un enfer. Avec l'organisation communiste, ce serait aux ouvriers à nommer leurs directeurs, à déterminer les salaires et à fixer les heures de travail. Ce serait un beau gâchis, mais le premier résultat serait l'expul­sion des directeurs actuels du Vooruit. Ceux-ci le savent bien, aussi ne sont-ils communistes que par politique, comme les neuf-dixièmes d'ail­leurs des prétendus communistes et socialistes.

L'Allemagne: Dortmund et Trente. - Il a été superbe ce congrès de Dortmund. Ces congrès généraux sont comme la grande revue an­nuelle des œuvres catholiques. On a compté à Dortmund 2800 congres­sistes et 8000 auditeurs. Les cartes d'entrée ont produit 58.000 francs dont une bonne partie a été offerte à l'œuvre des Missions de Saint­-Boniface. On a compté au congrès 548 prêtres séculiers ou réguliers, 435 étudiants, 427 négociants, 133 chefs d'ateliers, 37 députés, etc. Toutes les œuvres catholiques ont été acclamées: œuvres de propagande et d'apostolat, œuvres de préservation, œuvres de relèvement, œuvres so­ciales. C'est bien: toutes ces œuvres vont prendre un nouvel essort. Les catholiques allemands nous donnent là un grand exemple d'union et d'organisation.

Le congrès de Trente a été moins uni et moins pacifique. Nous pen­sons cependant qu'il aura d'excellents résultats. Il avait pour but d'orga­niser l'action antimaçonnique et il a commencé par la division. Soit, l'union se fera ensuite. La pomme de discorde, ce sont les révélations sensationnelles du D` Bataille, de Margiotta et de Diana Vaughan. Les délégués français avaient l'esprit rempli de ces lectures et y croyaient gé­néralement avec simplicité. Ces livres nouveaux racontent des choses étranges: des apparitions et manifestations du diable dans les loges se­crètes des lucifériens et une action mystique intense du diable dans le monde.

Ces publications commencent à se traduire en allemand. Elles soulè­vent en Allemagne des critiques et des doutes. On ne veut pas croire sans preuves. On redoute des supercheries. On va jusqu'à mettre en doute l'existence de Diana Vaughan.

La critique est utile. La vérité se fera jour. Je pense qu'on reconnaîtra qu'au fond les révélations du Dr Bataille et de Diana Vauhan sont exactes. Mais dans leurs récits, ces auteurs tentés par le succès, ont sans doute allon­gé à plaisir leurs narrations et donné quelque part à leur imagination.

Il restera toujours vrai premièrement, que le diable imite dans le mon­de l'action mystique du Christ; secondement, que le diable copie l'orga­nisation de l'Eglise par des sociétés secrètes reliées à un centre d'action; troisièmement, que le diable animé d'une haine ardente contre le Christ doit chercher à l'assouvir en poussant ses adeptes à la profanation de l'Eucharistie.

Si donc le Dr Bataille et Diana Vaughan ne nous avaient pas dit tout ce qui se passe dans l'église du diable, nous pourrions le supposer et nous devrions quand même offrir à l'Eucharistie des hommages répara­teurs et travailler au règne du Christ.

Appel aux amis de saint Antoine de Padoue. - Les Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus viennent d'accepter à Bruxelles le desservice d'une chapelle de secours dans un quartier neuf dénué de ressources au point de vue religieux. La chapelle est dédiée à saint Antoine de Padoue, mais le cher saint n'y a pas même un autel. Ses amis voudront lui procurer cet honneur. Tout manque là pour son culte, l'autel et toutes ses annexes, calice, missel, garniture, etc. Saint Antoine bénira ceux qui favoriseront son culte.

Pour contribuer à cette œuvre, s'adresser au R. P. Recteur de la cha­pelle de saint Antoine de Padoue, rue Beckers, 31, à Etterbeck­Bruxelles.

CHRONIQUE (Décembre 1896)

I. ROME

Le royaume d'Italie et sa capitale. - Il règne en Italie un profond désenchantement des institutions actuelles. L'idée de la grande Italie unifiée sous le sceptre des rois de Piémont perd chaque jour de son pre­stige. C'est que le pauvre royaume sacrilège n'est pas dans une heureuse veine, rien ne lui réussit. Le mariage du prince de Naples avec une jeune princesse de Monténégro n'est guère populaire. Les insuccès en Abyssi­nie sont bien humiliants. Les affaires vont mal, les faillites se multiplient et le désordre des mœurs s'accroît chaque jour.

La presse italienne a longtemps respecté l'engouement populaire pour l'unité nationale et pour Rome capitale, aujourd'hui, elle s'exprime plus librement.

Un journal italien, très libéral, la Gazetta di Torino, vient de publier un article intitulé: Assez de Rome capitale d'Italie. Cet article exprime la pensée de beaucoup d'Italiens. Sa conclusion est que Rome serait beaucoup plus heureuse si elle était rendue au Pape, et que l'Italie elle-même ne reprendrait qu'à ce prix une situation normale. On lit entre autres cho­ses dans cet article:

«Rome est un monument, Rome est un sanctuaire. Ni sous l'un ni sous l'autre aspect, elle ne pouvait devenir le centre, le foyer et la direc­trice de la vie civile, politique et sociale d'une nation nouvellement éclo­se, et qui a besoin d'être dirigée par des éléments nouveaux, dans un mi­lieu également nouveau, comme elle». Cette idée fera son chemin.

Un journal révolutionnaire, la Tribuna de Rome, reconnaît que le ré­gime actuel s'effondre dans la boue. A propos de la condamnation récen­te d'un homme politique en vue pour faits de concussion, la Tribuna di­sait: «Hélas! toutes les gloires de l'Italie finissent dans la banqueroute et la prison! Il n'est pas un homme, pas un institut, pas une société quelconque qui, depuis 1870, ait rêvé ou tenté d'organiser la richesse et la prépondérance, et qui ne se soit brisé sans pitié contre les écueils de la réalité. - L'histoire politique et financière de l'Italie commence a être une histoire lugubre et misérable, avec l'épilogue obligatoire du tribunal ou de la Cour d'assises. Et nous autres, nouveaux venus, nous nous de­mandons avec une tristesse chaque jour croissante, avec un effroi chaque jour plus vif, si les racines de ce vieux sol italique ne sont pas toutes des­séchées, alors que nous voyons en cet automne moral d'un gris sombre, toutes les fleurs tombées, toutes les feuilles emportées par le vent au mi­lieu de l'indifférence du public et de la tardive intervention de la loi!».

Il n'y a pas loin de ces aveux au mea culpa d'un peuple qui s'est four­voyé en se heurtant à la pierre angulaire contre laquelle tant d'assaillants étaient venus avant lui se briser.

II. FRANCE

Jubilé national. - Déjà on a fait en beaucoup de paroisses de Fran­ce les exercices du Jubilé, et pendant les deux mois prochains il va se produire partout un mouvement pieux qui amènera les foules aux pieds de la chaire et au confessionnal.

Nous publions, L'ACTE DE CONSÉCRATION que le Cardinal-Archevêque de Reims a composé à cette occasion et qui a été particulièrement béni par le Saint-Père.

Il serait bon qu'on le récitât dans toutes les églises, le jour de clôture du Jubilé, en union avec la France entière, comme une affirmation de notre foi chrétienne et une protestation contre toutes les négations de l'impiété.

C'est surtout le jour de Noël qu'on devra le réciter, à l'occasion de la rénovation des promesses baptismales de la France qui doit être faite pu­bliquement ce jour-là dans toutes les églises de France.

Notre Saint-Père le Pape a attaché une indulgence plénière à cette ré­novation des promesses le jour de Noël.

Acte de rénovation des promesses baptismales

de la France chrétienne7)

Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

L'année que nous venons de célébrer dans un sentiment de religieux patriotisme rappelle, ô mon Dieu, à notre pays, avec le souvenir chrétien de ses origines, les bienfaits sans nombre dont vous l'avez comblé; car le Baptistère de Reims est devenu véritablement, par la conversion de Clo­vis, le Berceau de la Nation française et la source de toutes ses gran­deurs.

Vous avez fait de la France, ô mon Dieu, par le ministère de saint Ré­mi, la Fille première née de votre Eglise; vous l'avez consacrée au milieu des peuples pour qu'elle serve vos desseins apostoliques et pour qu'elle accomplisse dans le monde les œuvres de votre miséricorde.

Pendant de longs siècles, nous avons eu conscience de cette vocation; nous en avons vécu; nous l'avons portée dans nos destinées comme un privilège manifeste, et elle a été la base fondamentale de notre constitu­tion sociale, la loi de notre Histoire, à tel point qu'on a pu donner à nos annales cette fière et chrétienne devise: Gesta Dei per Francos!

Nous le confessons, ô mon Dieu, le peuple que vous aviez choisi et dont vous aviez fait la glaive et le bouclier de votre Eglise, a cédé plus d'une fois à de déplorables entraînements et oublié sa mission. Le siècle précédent a légué à celui-ci, avec la honte de crimes sans nom, des prin­cipes insensés de révolte et d'impiété dont la génération présente consta­te trop tard les funestes effets; il y a eu des fautes, des fautes nationales qui ont été pour nous un désastre et pour la chrétienté un scandale, irri­tum fecerunt pactum meum quod pepigi cum patribus eorum8).

Mais ô mon Dieu, quand il dit ne plus vouloir que vous régniez sur lui, le peuple, qui en est la victime, n'a pas conscience de son péché; il ignore ce qu'il blasphème; il est moins coupable que ceux qui l'ont dé­tourné de vous pour le livrer aux sectes que l'enfer inspire; et si, dans ses actes officiels, la France ne paraît plus se souvenir de sa vocation, si elle est sortie violemment de ses voies traditionnelles où elle avait rencontré une gloire si pure et si féconde, ses égarements pourtant ne sont point al­lés jusqu'à renier dans son cœur la foi de son Baptême, et sa charité n'a fait que grandir au milieu des contradictions et des épreuves.

Attentive aux desseins de votre providence, ô mon Dieu, et docile à la voix du Pontife suprême, elle s'est recueillie durant cette année jubilaire, 14° centenaire de son Baptême, pour méditer dans la prière toutes les le­çons du passé.

Elle a relu, au pied du tombeau de saint Rémi, le pacte sacré qui la lie à Jésus-Christ, et elle a constaté, dans la vérité et la splendeur de son hi­stoire, que les intérêts de sa propre politique se sont toujours confondus dans le monde avec ceux de la Religion, et, qu'à l'exemple du peuple élu des temps bibliques, autant il lui fut salutaire de répondre fidèlement à sa mission, autant il lui en a coûté d'y faillir, car l'irréligion n'a laissé que des ruines, sans tenir aucune de ses promesses.

Aussi, à mesure que, sous le coup des déceptions inévitables, la lumiè­re se fait à ses yeux, elle tourne ses regards et ses aspirations vers l'anti­que Baptistère de Reims, où la Pucelle victorieuse l'avait ramenée déjà, en des jours mauvais, pour qu'elle pût renaître là même où elle avait commencé de vivre.

Au nom des saints Evêques et des saints Moines qui ont pétri, dans la justice et dans la vérité, dans l'amour du beau et du bien, l'âme de notre patrie; au nom de ces Anges visibles de la France qui s'appelèrent Clotil­de, Geneviève, Jeanne d'Arc: souvenez-vous de vos miséricordes, ô mon Dieu, et refaites avec notre pays, régénéré en ses formes sociales moder­nes, l'alliance que votre serviteur Rémi a signée jadis avec nos pères, les Francs du cinquième siècle, innova dies nostros sicut a Principio!9). Souvenez­vous des temps anciens, de notre fidélité séculaire aux serments des pre­miers jours, memento dierum antiquorum!10). Car la France qui vous implore aujourd'hui, c'est la France de Clovis qui fit triompher la foi de Nicée de l'hérésie arienne; - la France de Charles Martel, qui ferma à l'Islam les portes de l'Occident; - la France de Pépin et de Charlemagne, qui dé­fendit contre les Barbares le patrimoine de saint Pierre et assura pour mille ans, par son épée, l'indépendance du Siège apostolique; - la France d'Urbain II, qui provoqua et soutint avec ses chevaliers l'héroï­que mouvement des Croisades; - la France de saint Louis, qui réalisa au milieu des nations le type idéal du gouvernement chrétien; - la France religieuse et dévote, à qui sa piété envers la Vierge Mère de Dieu a valu le titre glorieux de Royaume de Marie; - la France des mis­sions catholiques, dont le sang n'a cessé de couler sur les plages lointai­nes pour rendre témoignage au Christ Jésus; - la France ardente et gé­néreuse, qui a multiplié, comme aucun autre peuple ne l'a fait, les sacri­fices pour toutes les saintes causes, et dont le nom est resté synonyme d'apostolat, de dévouement et de charité.

Pourquoi donc, ô mon Dieu, le Pontife suprême la convierait-il à Reims en ces jours solennels, sinon pour que «le baptême de Clovis et de son peuple se renouvelle en esprit et reproduise, à quatorze siècles de distance, les fruits merveilleux d'autrefois?11)». Pourquoi ces avances pa­ternelles de Léon XIII, ces conseils de sagesse, cette sollicitude, ces fa­veurs extraordinaires du jubilé, sinon pour que la Fille aînée de l'Eglise, brûlant enfin ce qu'elle adore, revienne à ses traditions chrétiennes, s'in­cline, dans un acte de foi vraiment national, devant le Christ qu'accla­maient nos pères, et poursuive, avec les ressources nouvelles que les évé­nements lui ont apportées, sa mission providentielle.

Nous le voulons, ô mon Dieu! Et, tout en acceptant loyalement ce qu'il y a de généreux et de fécond dans les aspirations de ce siècle, sans rien abandonner des conquêtes politiques qui peuvent servir les vrais in­térêts du peuple, nous voulons que la France rejette ces doctrines de mensonge et qu'elle réprouve l'œuvre d'athéisme qui la divise et qui l'épuise! Nous voulons qu'elle se retrempe dans la grâce première de son baptême et qu'elle fasse revivre dans ses institutions et dans ses lois la foi pleine, active et militante des âges passés! Nous voulons que, rendue à elle-même et fidèle à son génie, elle mette sa gloire à seconder l'action apostolique et civilisatrice de notre Mère la sainte Eglise, fière toujours de faire par le monde les gestes de votre justice et de votre Amour.

O Christ Rédempteur, qui êtes la Lumière du monde, la Voie, la Vé­rité et la Vie, à qui tout pouvoir appartient sur la terre comme dans les cieux, nous reconnaissons votre souverain domaine sur nous, sur nos fa­milles, sur la nation tout entière:

Que votre nom soit glorifié par le peuple français! Que votre règne social s'établisse parmi nous!

Que votre divine volonté inspire et dirige tous ceux qui nous gouver­nent!

O Christ Jésus, qui seul avez les paroles de la vie éternelle, nous aussi, fils de la France chrétienne, héritiers de ses promesses et solidaires de ses fautes, nous revenons à vous pour renouveler, dans une protestation de fi­délité et d'amour, les saints engagements de notre baptême. Nous avons transgressé vos lois, et nos péchés se sont multipliés: Pardon, Seigneur, pour nos offenses personnelles! Oubliez nos iniquités et entendez notre prière! Car nous sommes résolus désormais à affirmer sans faiblesses, par des paroles et par des actes, notre foi de catholiques et de français.

Nous croyons fermement tout ce que l'Eglise, interprète infaillible de la vérité, nous enseigne! Nous répudions les doctrines qu'elle réprouve! Nous tenons pour suspectes et mauvaises les œuvres et les sociétés qu'el­le condamne. Votre Evangile sera la règle de notre conduite, et nous consacrons à votre divin Cœur, ô Jésus, nos personnes et nos biens, nos foyers, notre patrie, la France qui se repent, qui souffre et qui espère. Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

III. AUTRES PAYS

Italie: la décadence. - Depuis 1890, il y a une progression constan­te dans la crime. Les statistiques fixent les chiffres suivants:

1890671.616
1891727.428
1892729.837
1893733.267

et enfin

1894780.576

Les banqueroutes augmentent continuellement: 1531 en 1887; 3259 en 1891.

Les délits contre les bonnes mœurs suivent également une progres­sion continue:

1901, en 1880; 2664 en 1887; et 2931, en 1894.

La moyenne annuelle des crimes et délits déférés aux tribunaux a été: En 1884 de 352.703;

En 1894 de 449.406, soit une augmentation de 27 pour cent. Or, la population n'augmente pas dans cette proportion, à beaucoup près. Donc, c'est bien le nombre des criminels qui augmente d'année en an­née.

En considérant spécialement l'année 1894, on voit que le total des cri­mes et délits de toutes sortes est augmenté d'environ 20.000, soit 55 par 100.000 habitants, en comparaison de l'année précédente.

Les crimes et délits prévus par le Code pénal ont augmenté de 46 par 100.000 habitants.

L'Italie progresse on le voit. La Révolution porte ses fruits.

Angleterre: la loi scolaire. - Toute la presse s'est occupée, dans ces derniers temps, du projet de loi scolaire présenté à la Chambre des Com­munes, par le ministère anglais, projet qui, dans ses dispositions comme dans ses motifs, forme un si frappant contraste avec la législation fran­çaise - nous devrions dire maçonnique - sur la même matière. Con­trairement à la fameuse théorie de «L'Etat éducateur national», si chère à nos jacobins modernes et si oppressive des communes, le gouverne­ment anglais ne croit pas que l'Etat ait pour mission d'enseigner, d'éle­ver et de former la jeunesse. Il pense que ce rôle convient mieux aux ci-. toyens, libres de construire des écoles, d'en ouvrir les portes à tout ve­nant, et au père de famille libre de choisir entre les écoles, les program­mes et les instituteurs qui sollicitent sa confiance. L'Etat ne doit être qu'un Mécène, répartiteur intelligent et impartial des recettes qu'il a opérées, subsidiant les écoles d'après le crédit dont elles jouissent.

L'école nationale dans ce pays, c'est l'école libre et non l'école publi­que. Celle-ci ne cherche pas à supplanter celle-là. Elle se contente de la remplacer là où manque l'école libre. L'école officielle, l'école du comité scolaire, n'a qu'un but: suppléer l'initiative privée en défaut. Les pou­voirs publics n'ont jamais nourri d'hostilité contre les écoles libres. Ils ne les ont jamais ni méprisées, ni insultées. Ils n'ont pas davantage complo­té contre elles. Ils considèrent au contraire qu'elles rendent d'inappré­ciables services et qu'elles méritent des encouragements et non des criti­ques.

Le public pense de même. Aussi, sur sept élèves des écoles, la liberté en élève quatre! 2.445.000 contre 1.890.000.

Dans son projet de loi, le ministre dit: «Je crois que les écoles libres sont un avantage pour l'éducation, parce qu'elles s'efforcent d'infuser de l'indépendance, de l'originalité et de la variété dans notre système d'éducation, et ainsi de contrebalancer, le plus possible, cette tendance à l'uniformité, qui est la caractéristique de l'enseignement de l'Etat».

Ce n'est pas là le seul motif qui dicte la politique scolaire du gouverne­ment anglais. Le ministre ajoute: «Les écoles libres existent, et vraisem­blablement elles existeront encore longtemps; dès lors, comme les catho­liques et beaucoup de membres de l'Eglise d'Angleterre considèrent comme un devoir de conscience d'élever leurs enfants dans leurs idées religieuses, il serait impossible d'obliger ces enfants à fréquenter les éco­les officielles, sans se rendre coupable d'un acte d'intolérance auquel le peuple anglais ne voudra jamais consentir».

Voilà, certes, une bonne parole. Le ministre nous donne mieux, il nous donne un acte. L'organe du gouvernement continue: «Les inspec­teurs ont fait remarquer que la plupart des écoles libres dans les quar­tiers pauvres des grandes villes se trouvaient dans des difficultés finan­cières. Elles sont soutenues, les unes par des ordres religieux, les autres par des appels fréquents à la charité, d'autres par des souscriptions ve­nues de plus braves gens».

Le gouvernement a proposé, en conséquence, d'exempter les écoles li­bres de toute taxe locale, et d'augmenter d'une somme de 12.500.000 francs la subvention qui leur est accordée. C'est maintenant chose faite. Le Parlement a, dans l'une de ses dernières séances, accordé la subven­tion et a fait là œuvre de sagesse et de haute équité. Voilà l'exemple donné par le gouvernement protestant d'Angleterre à celui de France qui, sous le menteur prétexte de la liberté de conscience, fait peser un joug si odieux sur l'immense majorité catholique du pays.

1)
2 vol. 24 fr. chez Delhomme et Briquet, rue de Rennes, à Paris.
2)
Chez Retaux, rue Bonaparte.
3)
Chez Delhomme et Briquet.
4)
Chez les mêmes éditeurs
5)
Chez Pierret, 37, rue Etienne-Marcel, Paris.
6)
Le volume se vend 3 fr. à la librairie Saint-Joseph, à Saint-Amand (Cher). Remises aux acheteurs par douzaines.
7)
Cette Rénovation de promesses baptismales de la France chrétienne a été faite solennellement à Reims, le dimanche 4 octobre 1896, par S. E. le Cardinal Langénieux, en présence des EEmes Cardi­naux et de NN. SS. les Archevêques et Evêques assemblés pour la clôture du Triduum.
8)
Jer. XI, 10.
9)
Lam. V.
10)
Dem, XXXII, 7.
11)
Lettre de Sa Sainteté, du 6 janvier 1896.