1865

217.15

B18/9.1.15

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Le Caire 10 janvier 65 - Misr-el-Kaherah, 13 Schaban (?) 12811

Chers parents,

Toutes nos préoccupations ont cessé: nous avons maintenant entre les mains votre première lettre de crédit et le duplicata envoyé par le banquier2. La première lettre venue par la voie d'Autriche était arrivée le 11 décembre à Alexandrie; elle était là à la poste autrichienne, car chaque nation y a sa poste particulière; nous n'étions allés qu'une fois à cette poste parce que toutes les lettres viennent par la poste française et malheureusement, on n'y avait pas trouvé notre lettre à cette première recherche. Palustre y est retourné avant-hier d'après les indications de votre lettre d'ici et de celle d'Alexandrie, et nous sommes maintenant en mesure d'aller à Jérusalem.

Quant à la dépêche que j'avais adressée à mon oncle Félix pour le prier de nous faire ouvrir par télégramme un crédit provisoire, elle s'est égarée et le consul d'Alexandrie va s'en plaindre au consul d'Angleterre, parce que la compagnie télégraphique est anglaise3.

Nous allons partir après-demain sur le Nil, en compagnie de Mr William Bochtling de St-Petersbourg et de M. le baron de Maltzan, Mechlembourgeois, deux nouvelles connaissances.

Notre bâtiment est prêt à mettre à la voile, il est très confortable: notre voyage sera aussi agréable qu'instructif.

Nous reviendrons au Caire pour aller par Suez à Jérusalem. Le Caire est une ville des plus intéressantes pour ses charmants spécimens d'architecture arabe. Huit jours ne nous ont pas suffi pour la visiter avec ses environs, en y comprenant les travaux gigantesques du barrage du Nil4.

Il ne me manque plus ici que vos lettres d'Athènes qui sont définitivement perdues: j'espère que vous m'en redirez les choses principales. Vous me répondrez au Caire, où je trouverai vos lettres à mon retour: adressez-les au consulat de France. Parlez-moi d'Émilien Thomas: je crois que je pourrai le voir5.

Il est bien entendu que vous nous enverrez la prochaine lettre de crédit au commencement de mars à Jérusalem, au consulat de France, par la poste française. Portez-la à dix mille francs, pour qu'en aucun cas nous ne soyons obligés d'en faire venir une autre.

Je vous envoie dix signatures que vous ferez parvenir par l'intermédiaire du banquier à ses divers correspondants pour la prochaine lettre de crédit, sauf à Athènes et à Alexandrie. Il faudra, je crois, en envoyer une aussi au Caire pour que nous y touchions au retour le reste de la lettre que nous possédons actuellement.

Je vous écrirai sur le Nil quand je le pourrai: les communications sont rares et il ne faut pas vous attendre à une correspondance régulière.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Embrassez Laure et Henri et maman Dehon. Je regrette beaucoup que la lettre d'Henri se soit perdue6.

1 Date du calendrier musulman: 1281 de l'hégire de Mahomet en 622.

2 Cf. LD 13.

3 Cf. LD 13.

4 Du 31 déc. 1864 au 11 janvier 1865, visite du Caire et des environs. En VO V, 15 rº - 35 rº; NHV III, 64-75.

5 Cf. LD 10, LD 14.

6 En effet, aucune lettre d'Henri en AD pour cette date, pas plus d'ailleurs que des parents, lettres pourtant reçues par Léon, mais non conservées. Seules restent les trois lettres reçues de M. Boute pendant le voyage (LC 10, 11, 12).

217.16

B18/9.1.16

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Sur le Nil 22 janvier 1865

Chers parents,

S'il m'était facile de vous écrire souvent, je ne trouverais rien à regretter sur le Nil: avec une organisation confortable, nous jouissons d'un climat délicieux. Notre bâtiment a vingt mètres sur cinq; il est bon voilier; dix hommes d'équipage le conduisent. Ajoutez à cela un drogman, un domestique et un cuisinier. Avec deux jeunes gens dont nous avons fait la connaissance au Caire, nous disposons de quatre alcôves et un salon1.

Pendant que la barque file avec le vent, nous suivons des yeux sur la rive les villages abrités sous les palmiers et les champs fertiles de maïs et de coton. Nous avons toujours à midi 25 degrés de chaleur à l'ombre, et le soir, pendant que vous vous chauffez en serrant de près le feu, nous rêvons sur notre pont sous un ciel toujours étoilé, dans ce pays où l'on chante la nuit comme chez nous le printemps.

Je n'ai pas besoin de vous parler de la sûreté du Nil: sa civilisation est trop grande déjà, car ses rives se couvrent d'usines et d'instruments aratoires à vapeur, dont la fumée fait tache sur le bleu du ciel.

Nous nous arrêtons peu en montant; cependant, nos compagnons chassent et nous rapportent tous les jours quelque oiseau nouveau, la huppe, l'ibis, la colombe, le rollier aux plumes d'un vert bleuâtre et bien d'autres.

Nous étudions tout à loisir l'antiquité égyptienne dans nos livres, et au retour nous visiterons les temples, palais et tombeaux que nous apercevons en passant.

Il ne manque sur le Nil que l'organisation de la poste, et mes lettres vous parviendront irrégulièrement par l'entremise des consuls2.

Nous serons de retour au Caire vers le 1er mars; c'est alors que nous irons à Suez et de là à Jérusalem.

Vous pouvez m'écrire encore au Caire. Puis c'est à Jérusalem que vous nous expédierez la prochaine lettre de crédit de 10.000 francs. Vous l'adresserez, comme toutes les autres en Orient, au consulat de France; il faut qu'elle parte de France vers le 1er mars.

Palustre s'excuse de l'embarras que ses commissions vous donnent et il vous prie de faire payer à l'occasion son loyer de janvier3.

Quoique je fasse tous mes efforts pour ne pas songer à l'ennui, je sens que je serai bien heureux le jour où je rentrerai près de vous avec de nombreux matériaux pour l'étude, des notes, des dessins et d'immenses souvenirs.

Il me coûte beaucoup de recevoir si peu de vos nouvelles.

Je vous souhaite une santé comme la mienne, car jamais je ne me suis si bien porté.

J'écris à mon oncle Alfred pour lui témoigner combien je compatis à ses regrets; j'ai été très émotionné à la pensée de la douleur qu'a dû ressentir ma tante4.

Je vous prie d'embrasser pour moi Laure, Henri et maman Dehon.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Pourquoi ma mère s'inquiète-t-elle? Je lui promets d'être prudent et lui garantis qu'il n'y a rien à redouter. Je la supplie en l'embrassant encore que ses lettres soient plus confiantes et moins tristes.

1 Du 12 au 22 janvier: du Caire à Maufalut sur le Nil. En VO V, 35 vº - 44 vº; NHV III, 75-84. Un «drogman» est un interprète.

2 La lettre suivante (LD 17) est du 1er mars. Léon n'est sûrement pas resté cinq semaines sans essayer d'écrire à ses parents. Mais ces lettres, peut-être jamais arrivées, n'apparaissent pas dans le dossier.

3 Cf. LD 9 et LD 10.

4 Cf. LD 14 note 5. Il s'agit sans doute de quelque deuil (enfant?) dans cette famille de l'oncle Alfred.

217.17

B18/9.1.17

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Sur le Nil, à 150 kil. du Caire - 1er Mars 1865

Chers parents,

Nous allons plus lentement que nous ne voulons; nous ne serons au Caire que dans 5 ou 6 jours1.

J'écrivis à Laure, il y a huit jours2; depuis lors nous avons visité encore bien des choses intéressantes. Les monuments de l'Égypte sont les seuls éléments de son histoire. Il n'y a pas plus d'un an que les fouilles ont mis à jour à Abydos une table généalogique des 80 premiers rois. Cette découverte est due à Mr Mariette, directeur des antiquités égyptiennes. Nous avons fait sa connaissance.

À Béni-Hassan, de belles grottes tumulaires sont ornées de peintures parfaitement conservées: ce sont les tombes des gouverneurs du pays au 17ème siècle avant l'ère chrétienne. Les peintures représentent les travaux et les plaisirs des hommes, la guerre, les luttes, les danses et jeux, les métiers, tissage, fonte des métaux, agriculture, etc. Sauf quelque raideur, le dessin en est excellent, et grâce au climat inoffensif, nous pouvons étudier après 3.500 ans toutes les mœurs du premier peuple civilisé. L'une même de ces tombes représente l'arrivée près d'un ministre d'une famille d'hébreux et il n'est pas certain que ce ne soit pas Joseph et ses frères.

Demain, nous nous écarterons du Nil pour voir les restes du fameux Labyrinthe et du lac Mœris, deux des travaux les plus célèbres de l'Antiquité.

Nous passerons au Caire quatre jours. Le cinquième nous serons à Suez. Nous parcourrons tout le Canal, puis nous nous rendrons à dromadaire, par les villes de la côte (El Arish, Gaza) et suivant la route de Bonaparte, en Palestine. Nous serons à Jérusalem à la fin du mois et nous comptons y rester jusqu'à Pâques.

De là, par Damas, Antioche, Rhodes et Smyrne, nous rentrerons en Europe à Constantinople. Aucune de ces routes n'a le moindre danger. Nous laissons de côté l'Arabie, l'Asie Mineure, le Caucase.

Le voyage du Nil nous a complètement reposés des fatigues de la Grèce: nous vivons depuis six semaines dans un bateau confortable et il y a bien des jours où nous n'allons pas à terre.

Je ne sais si je vous ai donné le menu de nos repas. Le matin: thé, œufs, confiture. À midi: trois plats et dessert. Le soir: potage, cinq plats et dessert. Café, trois fois par jour: c'est peu pour l'Orient.

Voilà notre carême.

Vous croirez facilement que nous engraissons tous.

Embrassez pour moi Laure, Henri, maman Dehon et mes autres parents.

Compliments à la famille Fiévet.

Je vous embrasse de tout mon cœur et je désire beaucoup le faire en réalité.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Du 23 janvier au 1er mars 1865: sur le Nil: - de Siout (Asyut, 23 janvier) à Assouan (9 fév.): visite du grand Temple de Denderah (27 janvier) - Temple d'Isis à Philæ (5 fév.), avec excursion en Nubie jusqu'à Kalahashad (Talmis, du 6 au 9 fév.); - et retour d'Assouan (9 fév.) jusqu'à 150 km du Caire (1er mars): visite détaillée des temples, tombeaux et monuments divers à Ombos (10 fév.), Silsilis (11 fév.), Idfou (12 fév.), Louqsor (14 fév.), Thèbes et Karnak (16-18 fév.)… Abydos (22 fév.), les grottes d'El Amarna (26 fév.) et Béni-Hassan (27 fév.). En VO V, 44 vº - 103 vº; NHV III, 84-122.

2 Cette lettre à Laure (perdue) montre qu'il y a bien eu tentative de correspondre entre le 22 janvier et le 1er mars.

217.18

B18/9.1.18

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Le Caire 7 mars 1865

Chers parents,

Nous sommes de retour au Caire depuis deux jours1: j'y ai trouvé vos lettres du 27 et 28 janvier et 18 février. Je puis à peine croire à la mort de Mr Fiévet. C'était, après ma famille, la personne à laquelle j'étais le plus attaché à La Capelle; je pensais souvent aux longs récits que je lui ferais à mon retour, et ce sera un grand vide pour moi de ne pas le retrouver. Je désire que vous témoigniez toute ma compassion à Mme Fiévet et à ses enfants2.

J'espère que vous avez reçu régulièrement mes lettres d'Égypte. Depuis la dernière, nous avons heureusement couronné notre voyage par la visite des Pyramides3.

Les tombes royales sont de véritables montagnes bâties en pierres colossales. La hauteur des deux plus grandes surpasse celle de la flèche d'Anvers. L'une a 137 mètres et elle n'est pas complète. On leur attribue seulement deux ou trois siècles de moins qu'au déluge.

C'est après-demain que nous partons pour le Canal; quinze jours après, nous serons à Jérusalem.

Je ne compte pas voir Émilien Thomas4; il est bien éprouvé: il a perdu en peu de temps son père et son enfant.

J'ai trouvé ici une lettre bien aimable de Mr Boute5; je lui répondrai de suite; peut-être aurez-vous le bonheur de le voir à Pâques.

Je n'ai pas de nouvelles de Mr Vitet; je compte lui écrire demain6.

Je suis forcé de négliger un peu ma correspondance.

La plupart des objets que nous vous envoyons appartiennent à Palustre.

La boîte que vous avez reçue renferme du miel du mont Hymette. Palustre la destinait à sa belle-sœur. Bientôt vous recevrez une valise et deux caisses contenant nos souvenirs d'Égypte: outre quelques livres et minéraux, il y aura des antiquités parmi lesquelles de petits objets ont une grande valeur. J'espère que rien ne se perdra ni en chemin ni à La Capelle.

Je me ferai photographier à Jérusalem: d'ailleurs je n'ai pas quitté le costume européen; il est très respecté en Orient. Nous avons pris seulement la toque et le burnous. Vous ne me trouverez pas maigri.

Nous allons jusqu'à Jérusalem avec un de nos compagnons du voyage d'Égypte; nous avons toujours été bien d'accord et je suis avec Palustre comme le premier jour.

Nous séjournerons à Jérusalem jusqu'au mardi de Pâques. Nous accomplirons notre pèlerinage en règle; je prierai avec ferveur pour toute ma famille. Je reporterai pour souvenirs de nombreux objets de piété.

J'espère qu'Henri est parfaitement rétabli et que Laure continue à se bien porter.

Je voudrais persuader ma chère mère que je ne cours pas le moindre danger et qu'avec l'aide de Dieu, je lui reviendrai bientôt en bonne santé7.

Embrassez pour moi Laure, Henri, maman Dehon et particulièrement mon oncle et ma tante Vandelet qui sont si bons pour moi8 et mon oncle et ma tante Longuet9. Remerciez mon oncle et ma tante de Vervins de l'aimable lettre qu'ils m'ont écrite10.

Je vous prie encore d'assurer la famille Fiévet de mon dévouement.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Si vous croyez n'avoir pas le temps de me répondre à Jérusalem, écrivez-moi à Damas, au consulat de France (Syrie). Vous pouvez m'écrire à Jérusalem jusqu'au 27 de ce mois, par le bateau du 30.

1 Du 1er au 7 mars: excursion dans le Fayoum (2-3 mars), Memphis (4 mars), les Pyramides (5 mars); arrivée au Caire le 5 au soir et préparatifs pour Jérusalem. En VO V, 104 rº - 114 vº; NHV III, 122-128.

2 Cf. LD 11, 14, 17, 18 et aussi LC 11.

3 En fait, depuis le 22 janvier (départ sur le Nil) pas d'autre lettre au dossier que la dernière (celle du 1er mars) au retour «à 150 km du Caire».

4 Cf. LD 10, LD 14, LD 15.

5 Cf. LC 11, de Mr Boute, le 25 janvier 1865.

6 Cf. LD 9 (note 5).

7 Cf. recommandations de Mr Boute à ce sujet en LC 11.

8 Aucun oncle Vandelet (frère de la mère de Léon) dans la généalogie connue, qui ne présente que 4 filles (Sophie-Eléonore, Adèle-Stéphanie, Juliette-Mathilde et Juliette-Augustine). L'acte de mariage des parents de Léon (Dehon-Vandelet) fait état de deux oncles de l'épouse (deux frères de son père): Nicolas-Louis-Joseph (âgé de 41 ans, notaire alors à Étreux, à 20 km de La Capelle). Sans doute s'agit-il de ce dernier, alors âgé de 70 ans. Selon LC 15, ce pourrait être les Vandelet de Sommeron (?).

9 Cf. LD 14 (note 6).

10 L'oncle Félix Penant, époux de la tante maternelle Juliette-Augustine Vandelet, à Fontaines-les-Vervins (cf. LD 13 note 2).

217.19

B18/9.1.19

Ms autogr. 2 p. (21 x 27)

À ses parents

Kantara (Canal de Suez) 16 mars 1865

Chers parents,

Nous avons fêté avant-hier mon anniversaire; c'est bientôt celui de mon père et celui de Laure, je leur souhaite à tous les deux une bonne fête1.

Nous allons enfin quitter l'Égypte2: demain nous nous mettons en route pour Jérusalem; dans huit jours nous y arriverons. Nous sommes trois en caravane. Depuis Suez nous marchons avec nos huit chameaux et tous les soirs nous campons sous la tente. Nous avons trouvé chez les agents de l'Isthme beaucoup de complaisance. Les travaux faits sont considérables; le canal d'eau douce alimente les campements et transporte les ouvriers et les machines. Le grand canal est ouvert dans sa moitié septentrionale, mais il n'a pas encore ses dimensions définitives; l'autre partie est à peine commencée; à Suez on creuse seulement des bassins pour les messageries impériales. L'activité n'est pas très grande actuellement; elle a été interrompue par la cessation des corvées qui fournissaient 30.000 arabes: travaillant nuit et jour et au lieu desquels le vice-roi actuel donne une indemnité de 76 millions.

Il ne reste que 4.000 ouvriers de toute nation et en travaillant à la pioche, ils ne mettraient pas moins de 30 ans à faire le canal, mais on installe des machines à vapeur. Avec ces moyens, on espère arriver au but en quatre ans. Au centre de l'isthme est une jolie petite ville nommée Ismaïlia, où sont les bureaux de la compagnie: le désert est déjà transformé. À Suez, nous avons fait une excursion en mer jusqu'au premier campement des hébreux après le passage de la mer rouge: c'est la mer la plus intéressante par sa végétation aquatique et ses habitants nombreux et variés, coquilles, éponges, coraux, etc. La ville de Suez commence à prendre de l'importance; cependant bien des personnes désespèrent encore de l'achèvement du canal. S'il s'achève, les frais d'entretien seront très considérables, car le vent amène quelquefois en un seul jour plusieurs milliers de mètres cubes de sable dans la tranchée.

J'espère trouver plusieurs lettres à Jérusalem; je ne songe encore qu'en tremblant au malheur de la famille Fiévet3.

J'espère que vous êtes bien portants.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Embrassez pour moi Laure, Henri et maman Dehon. Mes compliments de condoléance à Mme Fiévet et à ses enfants. Répondez-moi à Damas.

1 16.03.1865 1 Léon, né le 14 mars 1843; son père Jules-Alexandre né le 27 mars 1814; Laure (Longuet-Vandelet): date précise de naissance encore inconnue (au Nouvion-en-Thiérache dans les années 1840).

2 16.03.1865 2 Du 7 au 16 mars: du Caire à El Kantara: départ le 9 au matin par le train pour Suez, puis les Fontaines de Moïse (10 mars), le canal du Pharaon (11 mars), les Lacs Amers (12 mars), Ismaïlia (13 mars), El Kantara (le 15 mars) et une excursion à Port-Saïd (le 16 mars). En VO V, 114-124; NHVIII, 128-138.

3 16.03.1865 3 Cf. LD 18.

217.20

B18/9.1.20

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Jérusalem 26 mars 1865

Chers parents,

Nous voici parvenus au but de notre pèlerinage, heureux et bien portants1; et j'ai besoin de tout l'attrait des lieux saints pour ne pas ressentir trop vivement l'ennui d'une si longue absence de notre cher pays. La vie du désert sous la tente offre bien des attraits, mais encore plus de fatigue: les chameaux qui nous secouaient sans répit sur leur bosse, ces plateaux de sable sans limites et sans eau, le repos du soir sous la maison de toile au lieu que l'on a choisi, tout cela a pour effet de faire oublier le monde et ses habitudes douces mais asservissantes: cela rapproche de Dieu et prépare à la retraite et à la prière.

Trois jours avant la ville sainte commence la Palestine, toute remplie des souvenirs de la Bible: à chaque pas les traces de la vérité frappent les yeux; là sont les villes des Philistins conquises par les Israëlites au retour d'Égypte, villes fondées par les premiers descendants de Noé et nommées aujourd'hui comme il y a quatre mille ans: Gaza et Ascalon sont les principales; ici sont les riches vallées de la Terre promise où les grappes de raisin n'atteignent plus que deux pieds de longueur; puis ce sont les lieux témoins de la vie de St Jean-Baptiste et des apôtres. Enfin, c'était hier que la ville sainte nous apparut, telle que l'ont faite les croisés: bâtie sur trois collines, le mont Sion, la colline du Temple et le Calvaire, elle est entourée de murailles grises crénelées et flanquées de tours. De profonds ravins verts et pittoresques la séparent des montagnes environnantes: à l'est, c'est la vallée de Josaphat et le mont des Oliviers, partout ce sont des noms célèbres vénérés depuis 1.800 ans.

Depuis le jardin des Oliviers jusqu'au Calvaire, chacun des lieux de la passion est authentiquement connu: ici ce sont les ruines du palais de Pilate, là c'est l'arc où eut lieu l'ecce homo. Enfin, sur le Calvaire, les sanctuaires principaux contiennent le Saint Sépulcre, le lieu du crucifiement, de la résurrection et des divers épisodes de la mort du Christ. Malheureusement les schismatiques grecs et les arméniens ont leur part des lieux saints et ce partage amenait souvent, il y a quelques années, des querelles scandaleuses. Les Turcs sont maîtres et leurs troupes maintiennent l'ordre à la grande humiliation des pays chrétiens.

Le nombre des pèlerins d'Europe est déjà de quatre mille: il s'accroît de jour en jour. Avant Pâques, nous visiterons Bethléem et le Jourdain. Immédiatement après, nous partirons pour Nazareth, le Carmel, Damas et de là directement pour Constantinople et le Danube. Nous quitterons Damas le 15 mai, vous pouvez m'y écrire encore (Syrie).

Nous avons trouvé ici votre lettre de crédit2; j'attendais d'autres correspondances, j'espère qu'elles arriveront plus tard. S'il ne vous est pas possible d'écrire à Damas, écrivez à Smyrne (Turquie d'Asie) où nous toucherons en allant à Constantinople.

Je vous embrasse de tout cœur et vous prie d'embrasser pour moi Laure, Henri et maman Dehon.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Du 16 au 26 mars: 17-21, sortie d'Égypte par le désert et El Arish, Khan-Jounés (Khan Yunis), le 22; à Gaza, le 23 et arrivée à Jérusalem le 25 au soir. En VO V, 124 rº - 133 vº; NHV III, 139-148.

2 Cf. LD 15.

217.21

B18/9.1.21

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Jérusalem 10 avril 1865

Chers parents,

Si je n'étais pas si loin et s'il était facile de revenir ici, je laisserais pour une autre fois ce qui me reste à voir, tant j'ai hâte de retourner près de vous. Je suis à Jérusalem, au milieu des souvenirs les plus saisissants, et je regrette La Capelle, la vie de famille, l'air pur, les jardins, les promenades1.

Mais je suis un écolier et le jour des vacances n'est pas arrivé. Je vais achever de visiter sérieusement la Syrie: Nazareth et Tibériade, lieux témoins de la vie de Notre-Seigneur, puis le Carmel, St Jean d'Acre, Tyr, Sidon, Damas, les Cèdres et Beyrout. Nous partons d'ici lundi prochain, 17 courant, en même temps que la caravane française: elle suit le même itinéraire. Nous comptons nous embarquer le 11 mai à Beyrout pour Smyrne. Nous irons aux ruines de Troye (Troie), et vers le 1er juin, nous serons à Constantinople.

Nous visiterons cette ville comme une des plus importantes de notre voyage, puis nous retournerons directement en France par le Danube. Nous laisserons la Russie à distance2. Nous sommes seuls à présent: nos compagnons d'Égypte ont pris une autre direction. Notre séjour ici est un repos: nous logeons au couvent. Nous assistons aux cérémonies près du chancelier du consulat de France: hier, fête des rameaux, nous avons reçu une palme de la main de Mgr le patriarche. Nous vous enverrons d'ici une caisse contenant beaucoup de souvenirs précieux. Je distribuerai ces objets à mon retour.

J'espère que vous avez reçu les trois colis envoyés du Caire il y a un mois. En Palestine, tous les lieux sont remplis de saints souvenirs: à Bethléem, c'est l'étable où est né Notre-Seigneur, sa crèche, le lieu de l'adoration, le village où l'ange apparut aux bergers. À St-Jean, c'est la maison de St Zacharie et le désert où St Jean prêchait. Au Jourdain, c'est le lieu où fut baptisé Notre-Seigneur: nous nous y plongeâmes pieusement: je vous envoie plusieurs flacons de cette eau bénie; près de là est la Mer Morte, dont les eaux goudronneuses couvrent l'emplacement des villes maudites, Sodome et Gomorrhe. À Hébron sont les tombeaux des patriarches Abraham, Isaac, Jacob, avec un monument bâti par Salomon. Ici, chaque pas foule une terre maudite ou bénie.

C'est le mont des Oliviers avec le jardin de l'agonie, dont les oliviers séculaires ont été arrosés par la sueur du Christ. En ville, c'est la voie douloureuse, le Calvaire, le Saint Sépulcre. Les cérémonies représentent toute la passion du Christ. Du temple de Salomon il ne reste pas pierre sur pierre comme l'évangile l'a prédit; mais il en reste l'enceinte et toutes les semaines les juifs vont y pleurer leur honte. Je laisse d'autres souvenirs dont je vous parlerai bientôt à La Capelle.

La température est assez agréable; cependant il fait plus froid qu'en Égypte.

Je vous écris régulièrement et je crains que plusieurs de mes lettres ne se perdent; mais ne vous inquiétez pas, j'espère vous arriver bientôt en bonne santé. J'ai reçu à temps la lettre de crédit; je n'en ai pas trouvé de mon oncle Dehon3. Siméon m'a écrit: il m'annonce la révolution au collège d'Hazebrouck; je tâcherai d'écrire à Mr Boute pour le féliciter de sa résolution4. J'ai bien écrit à Mr Demiselle d'Athènes5, ma lettre se sera perdue. J'ai trouvé aujourd'hui votre lettre et celle de Laure: cela m'a rendu ma gaieté que j'avais perdue depuis quelques jours.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Dites à madame Fiévet que je ne l'oublie pas au St Sépulcre. Je prierai aussi pour madame Borgnon et les autres malades de la famille.

À Constantinople (Turquie) poste restante.

1 Du 26 mars au 10 avril, visite détaillée de Jérusalem et des environs: la Mer Morte et le Jourdain, Jéricho, Béthanie… Bethléem, Hébron, la vallée de Mambré, St Jean-du-Désert. En VO V, 133 vº - VI, 9 rº (67 pages); NHV III, 148-187.

2 Avec cependant pour Léon un petit détour et séjour de 10 jours à Rome cf. LD 28.

3 Cf. LD 9 (note 5).

4 Sur Siméon cf. LD 4 (note 3). La «révolution» au collège d'Hazebrouck est la révocation par le gouvernement impérial (ministre V. Duruy), en mars 1865, de Mr Dehaene comme Principal, et la fondation par celui-ci d'un nouveau collège libre - l'Institut S. François d'Assise - bientôt florissant (cf. NHV I, 14 vº). Mr Boute s'était résolu, avec tous les prêtres professeurs, à suivre Mr Dehaene (NHV I, 19 vº). À ce sujet cf. de l'abbé Lemire (élève du collège comme Léon Dehon): «L'abbé Dehaene et la Flandre». Léon Dehon écrivit, en effet, de Jérusalem à l'abbé Boute qui lui répond longuement le 5 (?) mai à ce sujet (cf. LC 12).

5 Sur M. Demiselle cf. LD 4 (note 3).

217.22

B18/9.1.22

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Jérusalem 16 avril 1865, jour de Pâques

Chers parents,

C'est demain que commence notre retour: le 11 mai, nous partirons de Beyrout et au commencement de juin de Constantinople. Je compte passer huit jours à Rome à la fin de juin: je tâcherai de voir le Saint-Père; pour cela il faut que vous m'envoyiez à Rome un costume de cérémonie, habit, pantalon et gilet noir ou blanc, cravate blanche et chemise. Voici l'adresse que vous mettrez à la caisse:

- pour Mr Palustre

à Mr Pizzocheri

Corso - nº 391, primo piano

Roma

Il suffit de l'expédier vers le 15 mai.

Nous vous avons envoyé d'ici deux caisses: la petite contient de l'eau du Jourdain et de la Mer Morte, pour Palustre et pour moi: n'en disposez pas avant mon arrivée; l'autre contient des livres et divers objets; dans le plus gros volume, il y a plusieurs de mes portraits que vous pourrez prendre: j'espère qu'ils vous rassureront en vous montrant que je suis en bonne santé. Dites-moi si vous avez reçu les trois colis du Caire.

Les fêtes sont finies1: les cérémonies se font dans l'église du Saint-Sépulcre, sur le lieu où fut plantée la croix et sur le tombeau de Notre-Seigneur. L'église est commune aux catholiques, aux grecs, aux arméniens et aux coptes schismatiques. Les cérémonies des latins sont assez édifiantes, les autres sont tumultueuses et scandaleuses: les pèlerins déguenillés des sectes grecques et arméniennes passent les nuits dans l'église et le Samedi Saint, quand leurs patriarches bénissent le feu, ils font une cohue diabolique en prétendant que le feu allumé par leurs prêtres descend du ciel; on se bat avec les cierges, on crie, on danse, on hurle, on se brûle, c'est un spectacle infernal. Les catholiques n'y assistent que de loin dans les galeries. Ce sont ces sectes qui font mépriser le christianisme par les turcs.

Nos offices furent calmes et solennels: le jeudi, le patriarche donna la communion à tous les pèlerins, le consul en tête: le soir il lava humblement les pieds à douze pèlerins de toutes nations. Le vendredi, la passion est prêchée dans les principales langues d'Europe et en arabe. Tout cela se passe sous la coupole à demi détruite du St Sépulcre, et les puissances européennes ne peuvent pas s'entendre pour la reconstruire. Il n'y a d'espoir pour la réorganisation de ce pays et la dignité des saints lieux que dans l'occupation par une puissance catholique. Il ne nous reste plus qu'un sanctuaire à visiter, c'est celui de Nazareth.

J'attends une lettre à Constantinople en réponse aux miennes. Remerciez Aline Née de sa bonne lettre, en attendant que je lui réponde2. J'ai écrit d'ici à mon oncle Longuet3, à Mr Boute4 et à plusieurs autres personnes.

Embrassez pour moi Laure et Henri et remerciez-les de leur aimable lettre qui cette fois ne s'est pas égarée5.

Embrassez aussi maman Dehon et dites-lui bien que je m'efforce de rouler non comme la pierre du torrent, mais comme la boule de neige qui amasse et grossit. Je ne recueille pas la fortune, mais des souvenirs et de l'expérience.

Je vous embrasse de tout mon cœur et désire vous revoir bientôt.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Du 10 au 16 avril, la Semaine Sainte: le 11 (Mardi-Saint) au Mont des Oliviers; le 12 (Mercredi-Saint) au Saint-Sépulcre et au Patriarcat; le 13 (Jeudi-Saint): cérémonies au Saint-Sépulcre; le 14 (Vendredi-Saint): office au Saint-Sépulcre et chemin de Croix à la via dolorosa; le 15 (Samedi-Saint): cérémonie du «feu sacré» des grecs; le 16 (Pâques), cérémonie, et visite à la Vallée de Josaphat. En VO VI, 10 vº - 23 rº; NHV III, 187 - IV, 5.

2 Cf. LD 9 (note 8).

3 Cf. LD 14 (note 6).

4 À cette lettre Mr Boute répondra le 5 (?) mai (cf. LC 12).

5 Lettre non conservée.

217.23

B18/9.1.23

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

À ses parents

Sidon 27 avril 1865

Chers parents,

Depuis que je vous écrivis de Jérusalem, nous avons parcouru bien des lieux célèbres1: les anciennes villes samaritaines, Sichem et Samarie, puis Nazareth où nous avons reçu Notre-Seigneur dans la grotte devant laquelle s'appliquait la maison qui est à Lorette. Le lendemain, nous étions au Carmel, là où la Sainte Vierge a donné aux hommes le scapulaire comme un vêtement protecteur. Un autre jour, nous campions au sommet du Thabor, où Notre-Seigneur se transfigura, puis au lac de Tibériade dont la température permit de nous baigner. Nous passâmes sur l'emplacement des villes maudites et disparues de Capharnaum et Bethsaïde, puis aux lieux de la multiplication des pains et du sermon sur la montagne. Depuis, nous sommes allés de St Jean d'Acre à Tyr et de Tyr à Sidon. Les anciennes reines de la mer ne sont plus que des bourgades. Leur nom seul est resté comme l'a dit l'Écriture.

Demain nous serons à Beyrout: nous irons voir Damas et Balbek pour attendre le bateau qui doit nous mener à Constantinople. Notre voyage est donc presque fini: nous aurons désormais la vapeur, les hôtels, la civilisation et j'aurai la satisfaction de vous croire rassurés complètement.

J'ai écrit de Nazareth à Aline Née2. Je vous donne peu de détails parce que j'ai peu de temps.

Je vous ai prié de m'envoyer à Rome un costume de cérémonie pour le cas où je verrais le Pape. Je vous ai donné cette adresse:

pour Mr Palustre

à Mr Pizzocheri

Corso nº 391 - secondo piano - Roma3.

Je compte y être au 15 juin et y voir avant de quitter les belles fêtes de la Saint-Pierre.

Écrivez-moi à Constantinople, poste restante. Embrassez pour moi Henri, Laure et maman Dehon.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Du 16 au 27 avril: de Jérusalem à Sidon: Bethel (17 avril), Silo et Naplouse, Sichem, le puits de la Samaritaine et le mont Garizim (18 av.); Samarie, Béthulie (19 av.); Jezraël, Endor, Naïm, le Thabor (20 av.); Tibériade (21 av.); Capharnaum, Génésareth, Bethsaïde, Cana (22 av.); Nazareth (23 av.); Sephoris et le Carmel (24 av.); St-Jean d'Acre (24 av.); Tyr (26 av.). En VO VI, 23 rº - 73 rº; NHV IV, 5-31.

2 Cf. LD 9 (note 8). Réponse annoncée en LD 22; lettre non conservée.

3 Cf. LD 22 (où cependant est indiqué: «primo piano»).

217.24

B18/9.1.24

Ms. autogr. 3 p. (21 x 13)

À ses parents

En mer - près l'île de Cos. 17 mai 1865

Chers parents,

Je vous ai écrit de Damas en réponse à votre lettre du 10 avril1: j'ai confié la mienne à la poste turque et je crains qu'elle ne se perde. Je suis étonné que vous n'ayez pas répondu à celles de Jérusalem: j'en attends plusieurs à Constantinople. Nous y arriverons dans huit jours, après avoir fait une excursion de trois jours aux ruines de Troye (Troie). Dès lors, nous serons en Europe et notre voyage serait fini si je n'avais besoin de passer par Rome.

Demain matin, j'expédierai cette lettre de Smyrne: c'est presque la fin de nos traversées.

J'attends des renseignements des trois caisses envoyées du Caire, de deux de Jérusalem et de deux de Beyrout2.

Écrivez-moi à Rome jusqu'à la fin de juin.

Depuis ma dernière lettre j'ai visité les lieux témoins des massacres de 1860 au Liban, puis Chypre et Rhodes3.

Je ne puis vous écrire longuement à cause du mouvement du bateau. Vous recevrez de Constantinople plus de détails.

Embrassez pour moi Laure, Henri et maman Dehon.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Recevez les compliments respectueux de Palustre.

19 mai.

Nous sommes arrivés à bon port à Smyrne et nous avons déjà eu le temps de faire une excursion aux ruines d'Éphèse (en chemin de fer). Demain nous partons pour les Dardanelles.

J'ai oublié de vous dire que j'avais fait une partie de mon voyage de Syrie avec le fils de Mr Renouard de la Société Sellière4.

1 Peut-être la lettre datée de Sidon 27 avril (LD 23) et postée à Damas? ou alors lettre perdue.

2 Cf. LD 18 et LD 22 pour Le Caire et Jérusalem.

3 Du 27 avril au 14 mai, de Beyrout à Damas et retour: Beyrout (28 av.), Byblos (29 av.), le Liban et ses Cèdres (30 av. - 2 mai), Balbek (2-3 mai), l'Anti-Liban (4 mai); vers Damas (5-6 mai); à Damas (7-9 mai); retour à Beyrout (10 mai), excursion et visites (11-13 mai). Du 14 au 19 mai, de Beyrout à Smyrne par mer: Chypre (15 mai), Rhodes (16 mai), Cnide, Halicarnasse, Cos (17 mai), Smyrne et excursion à Éphèse (18-19 mai). En VO VI, 73 rº - 121 vº et VII, 1-31; NHV IV, 31-61. Allusion à la sanglante guerre civile entre musulmans druses et chrétiens maronites et au massacre des seconds par les premiers. Sur mandat des grandes puissances, intervention des troupes françaises.

4 Pas autrement identifié. Avec cette «Société Sellière» la famille Dehon, qui faisait l'élevage de chevaux, devait être au moins en relation d'affaires.

217.25

B18/9.1.25

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

À ses parents

Constantinople 30 mai 1865

Chers parents,

Non seulement je suis arrivé à Constantinople en bonne santé mais je suis déjà sur le point d'en partir, dans deux jours; et la semaine prochaine je vous écrirai de Vienne en Autriche: Henri vous dira combien c'est une ville inoffensive et vous bannirez toute inquiétude1.

J'ai trouvé ici vos deux lettres et d'autres de Mr Boute, de Mr Poisson et de ce cher Siméon à qui j'ai répondu immédiatement2. Votre lettre adressée à Smyrne s'est perdue; je voudrais que vous m'en répétiez le résumé à Rome. Nous séjournerons à Rome du 20 au 30 juin et le 6 ou le 7 juillet, je vous serrerai dans mes bras: ce sera le plus beau jour de mon voyage.

Je suis enthousiaste de Constantinople: c'est la ville la plus magnifique du monde, quoiqu'elle manque de monuments. Elle est à cheval sur l'entrée de ce superbe canal du Bosphore dont les hautes rives sont couvertes de villas et de beaux arbres. Les maisons de bois, rouges et jaunes, sont étagées sur les collines au milieu des arbres et dominées par les mosquées massives d'où s'élancent les minarets; des forêts de cyprès ombragent les cimetières. Toutes ces vues qui embrassent les unes le Bosphore, les autres la Corne d'Or remplie de bâtiments, d'autres la mer de Marmara et ses îles, tout cela sous un beau ciel a quelque chose de magique. Ce sont les panoramas les plus variés, les plus colorés, les plus charmants du monde.

Aujourd'hui, nous visiterons Ste-Sophie et les principales mosquées. Après-demain, nous partirons pour le Danube. Je vous ai écrit de Smyrne par Trieste: nous avons passé depuis la Troade où se retrouvent les sites mentionnés par Homère et les tombes des héros grecs et troyens3; puis nous avons franchi le célèbre passage des Dardanelles tout rempli de souvenirs depuis Xerxès et Alexandre jusqu'à nos jours.

C'est ici que finit notre voyage; si nous allons à Rome, c'est plutôt pour affaires que pour visiter. Je m'arrêterai sans doute une journée à Orléans à mon retour4.

Je compte sur des lettres à Vienne et à Rome.

Embrassez pour moi Laure et Henri que j'espère trouver en bonne santé. Donnez-moi des nouvelles de nos envois de Jérusalem et de Beyrout.

Embrassez aussi maman Dehon et Adèle d'Étréaupont5.

Mes compliments respectueux à Mme Fiévet6. Recevez ceux de Palustre.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Du 20 mai au 1er juin: de Smyrne à Constantinople: Tenedos et les Dardanelles (21 mai), la Troade (22-23 mai, excursion que ne fit pas L. Dehon alors grippé), visite de Constantinople et environs (25 mai - 1er juin). En VO VII, 35-83; NHV IV, 61-83.

2 Mr Boute: cf. LD 3 (note 2); il s'agit de LC 12 (du 5 mai?). L'abbé Poisson, membre du Cercle Catholique fréquenté par Léon Dehon, étudiant à Paris (cf. NHV I, 41 vº); personnage sympathique et pittoresque décrit en NHV I, 61 vº - 62 rº). C'est lui qui fit connaître Léon Palustre à Léon Dehon et il fut leur compagnon du second voyage en Angleterre-Écosse-Irlande en 1862 (cf. NHV I, 64 rº, 65 rº, 79 vº, 83 rº). L'abbé Poisson adressa à Léon Dehon son poème «Olva» sur leur voyage en Angleterre (1863): cf. AD B17/1.c, Inv. 135.00; poésie dont une strophe est transcrite en NHV I, 84: «un petit poème un peu lourd qu'il me dédia» note le P. Dehon; et sur le manuscrit (10 pages autographes), il note: «Fantaisie de l'abbé Poisson, dont je ne goûtais pas l'extrême libéralisme». Siméon Vandewalle cf. LD 4 (note 3).

3 En fait, selon VO et NHV, pris de fièvre, il n'a pu visiter la Troade où excursionna Palustre seul.

4 À Orléans où il comptait voir Mgr Dupanloup, lequel lui avait écrit à propos de son entrée à Saint-Sulpice: «Je serai charmé de vous revoir à votre retour. Et je goûte beaucoup d'ailleurs votre projet d'entrer à Saint-Sulpice et pour les motifs que vous m'en donnez. Mais du reste, nous causerons de cela à fond à votre retour… (Et en P.S.) Quand vous viendrez me voir, je compte bien que vous descendrez sous mon toit, à l'évêché d'Orléans» (AD B17/6.18.3: Inv. 164.03). Sur Mgr Dupanloup cf. LD 4 (note 3).

5 Parente ou connaissance non autrement identifiée; Étréaupont est une petite ville à 8 km au sud de La Capelle.

6 Mme Fiévet, éprouvée par la mort de son mari (cf. LD 18 et LC 11).

217.26

B18/9.1.26

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

À ses parents

Vienne 9 juin 1865

Chers parents,

Depuis deux jours je suis à Vienne1, toujours bien portant, mais ennuyé de ne pas trouver la lettre que vous avez dû m'écrire. Le temps ne vous a pas manqué, car Vienne n'est qu'à cinquante heures de La Capelle (36 heures de Paris).

Je pars demain matin: je m'arrêterai à Florence du 15 au 18, et le 20 je serai à Rome pour dix jours. Je vous écrirai de Florence; écrivez-moi encore à Rome (3 jours de La Capelle), à la poste restante.

Je descendrai à l'hôtel de la Minerve. J'aurai des recommandations de Mgr Dupanloup: je lui ai écrit ainsi qu'à M. Demiselle2.

Palustre me quitte ici: il vient d'apprendre la mort de sa petite nièce, il retourne immédiatement près de son frère; il sera lundi à Paris où il s'arrête quelques jours; il désire que vous lui envoyiez (par la poste ou le chemin de fer) une chopine en verre blanc d'eau du Jourdain qui est dans une caisse que vous avez reçue de Jérusalem.

Depuis Constantinople, nous avons navigué sur la Mer Noire, puis sur le Danube entre la Turquie et les principautés jusqu'à Pesth (Hongrie) où nous avons assisté à une fête des régates offertes par la ville à l'empereur d'Autriche.

Mr Schneider, fils du vice-président de la Chambre, faisait route avec nous.

À bientôt. Embrassez pour moi Laure, Henri et toute la famille.

Je vous serre dans mes bras.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Du 30 mai au 9 juin, de Constantinople à Vienne: navigation: le Bosphore (1er juin), la Mer Noire (2 juin), le Danube (3-5 juin); par train: Budapest (6 juin), Vienne (7-9 juin), Salzbourg (10 juin). En VO VII, 83-112; NHV IV, 84-96.

2 Cf. LD 25 (note 4). Mr Demiselle, doyen de La Capelle (cf. LD 4 note 3). Les AD (B17/6.12.1; Inv. 158.01) conservent de lui une lettre à Léon Dehon du 12.06.1865, sur Rome dont il a admiré l'enseignement théologique: «Nous sommes des pygmées en comparaison des hommes qui enseignent à Rome: quel enseignement, quelle ampleur et quelle profondeur… Je vous adresse en toute confiance pour vous introduire aux cours du Collège Romain à un étudiant des Ardennes… Mr l'abbé Lecomte» (LC 13).

217.27

B18/9.1.27

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

À ses parents

Florence 17 juin 1865

Chers parents,

Il y a quelques jours seulement, je vous écrivais de Vienne, et déjà me voici sur le point de quitter Florence que je visite depuis trois jours1. Je me suis arrêté à Salzbourg, à Innsbrück, les villes les plus pittoresques d'Allemagne; j'ai franchi les Alpes Tyroliennes et consacré quelques heures à Vérone et Mantoue, les deux têtes du quadrilatère autrichien. Je m'arrache à regret à Florence où je n'ai pu que jeter un coup d'œil sur les innombrables chefs-d'œuvre que les Médicis ont accumulés dans cette moderne Athènes.

Demain, je verrai Lucques et Pise, et après-demain soir ou mardi matin je serai à Rome où j'espère trouver une lettre de vous, la première depuis Constantinople.

Palustre m'a écrit aujourd'hui, il m'annonce la malheureuse issue de notre eau du Jourdain; au moins en aurons-nous chacun pour notre prochain neveu. Dégagez-moi de mes promesses à ma tante Juliette2.

Adieu: je vous embrasse de tout mon cœur et j'embrasse aussi Laure, Henri et maman Dehon.

Écrivez-moi à Rome (poste restante).

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Au 10 juin s'arrête le VO, sur cette note (sûrement postérieure) de L. Dehon: «Vers onze heures (du soir), je fis mes adieux à mon ami qui partait à 1 h du matin pour la France, et le lendemain, je me dirigeai vers Rome, trop rapidement pour avoir le temps de noter mes impressions» (VII, 112). Rien non plus dans les NHV, avant le séjour à Rome même.

2 La tante maternelle Juliette-Augustine (épouse Penant et marraine de Léon). Sans doute la promesse aussi d'un peu d'eau du Jourdain.

217.28

B18/9.1.28

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 25 juin 1865

Chers parents,

De Florence à Rome je ne me suis arrêté que quelques heures à Lucques et à Pise, pour visiter quelques monuments célèbres, tels que la tour penchée, le Campo santo, les deux cathédrales. Mardi matin j'entrais ici tremblant d'une émotion involontaire entre ces collines qui réunirent les accroissements successifs de la ville. Ces cirques où des millions de martyrs furent la proie des bêtes fauves, ces basiliques qu'élevèrent les empereurs convertis, ce forum où parla Cicéron et où se discutaient les affaires du monde, tout cela ne se trouve qu'à Rome: chaque pas y évoque un souvenir et tout le sol en est vénérable. On veut lui donner des manufactures et un roi et la Rome noble et sainte deviendrait une ville roturière comme Birmingham ou Liverpool. Il suffit de voir Rome pour déclarer cela impossible1.

Le Saint-Père assistait hier à la messe solennelle à St-Jean de Latran. Jeudi prochain, il officiera à St-Pierre. Je partirai après les fêtes, probablement le 1er juillet, mais je ne sais pas encore par quelle voie.

J'espère obtenir une audience du Saint-Père; j'en ai fait la demande2. J'ai pris déjà bien des informations sur le but de mon voyage et la conclusion générale est qu'il faut commencer par St-Sulpice pour un an ou trois ans suivant les circonstances, et finir à Rome pour compléter cinq années3.

J'ai trouvé mon vêtement en très bon état, avec votre lettre du 7 juin et aujourd'hui j'ai reçu celle du 16. En réponse à celle-ci vous m'écrirez à Paris. J'ai le plus grand désir de mettre fin à notre longue séparation, cependant je ne pourrai arriver à Lyon que le 6 ou 7; c'est-à-dire que je serai à Paris au plus tard le 10 et à La Capelle le 11 ou le 12. Je ne compte que quelques heures d'arrêt à Gênes, à Turin et à Orléans.

J'écrirai sous peu à ma tante Dehon et à Marie pour les engager à m'accompagner à La Capelle4. J'ignore pourquoi ils n'ont pas eu l'amabilité de répondre à ma première lettre. La poste a sans doute encore retenu cette réponse.

D'Orléans seulement je vous indiquerai le jour précis de mon retour; écrivez-moi à Paris pour me dire quel train ou quelle diligence il faut que je prenne. J'espère vous trouver au Nouvion, mais je ne veux pas vous imposer la fatigue d'aller jusqu'à Landrecies.

Embrassez pour moi Laure et Henri; ils ont sans doute plus de temps que moi. Ils seraient bien aimables de ne pas compter mes lettres et de m'écrire plus souvent.

Embrassez aussi pour moi maman Dehon et ne m'oubliez pas près de Mme Fiévet: j'ai prié pour elle aujourd'hui dans le sanctuaire qu'habita Ste Cécile, sa patronne5.

Je vous serre dans mes bras.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Calendrier probable: de Vienne à Florence avec arrêt à Salzbourg et Innsbrück (10-14 juin); visite de Florence (14-17 juin); de Florence à Rome avec arrêt à Lucques et Pise (18-19 juin); séjour à Rome du 20 au 30 juin. Sur ce premier séjour à Rome cf. NHV IV, 96-100. On note dans cette lettre l'expression spontanée d'une émotion juvénile que confirmera et développera l'expérience ultérieure: «Mardi dernier j'entrais ici en tremblant d'une émotion involontaire…», celle de l'humaniste et celle du croyant.

2 Cette audience extraordinaire, il l'a obtenue grâce à la lettre de recommandation de Mgr Dupanloup (cf. LD 11 (note 1) et NHV IV, 97, 98). C'est aussi sur la recommandation de Mgr Dupanloup qu'il fut introduit auprès des personnalités citées en NHV: des relations qu'il saura cultiver pendant son séminaire.

3 À ce premier projet répondait sans doute la phrase de la troisième petite lettre (non datée mais au plus tard de 1865 pendant le voyage d'Orient) de Mgr Dupanloup: «Je goûte beaucoup d'ailleurs votre pensée d'entrer à St-Sulpice et pour les graves motifs que vous m'en donnez. Mais du reste, nous causerons de cela à fond à votre retour» (AD B17/6.18.3; Inv. 164.03). En fait, la conclusion finale fut de tout faire à Rome, sur le conseil de Mr d'Hulst, alors étudiant et futur recteur de l'Institut Catholique de Paris, et surtout de Pie IX lui-même: «Sa décision était conforme à mes attraits» (NHV IV, 98). Sera-t-il encore passé ensuite à Orléans, chez Mgr Dupanloup qui conseillait Saint-Sulpice (cf. LD 25 note 4)? Aucune trace n'est restée de cette visite.

4 Des deux tantes Dehon - Sophie-Éléonore (Vandelet, épouse de Joseph-Hippolyte Dehon) et Dorothée Dehon épouse d'Édouard-Gustave Dehon - sans doute s'agit-il de la première qui, selon la généalogie, avait une fille Marie et habitait Paris.

5 Mme Fiévet cf. LD 18.

629.02

B36/2.d.2

Photocopie autogr. 2 p. (21 x 13)

Au P. Freuyd

(22 septembre 18652)

Révérend Père1,

Je regrette de n'avoir pas eu le temps de vous remercier personnellement avant mon départ de Rome, pour l'obligeance avec laquelle vous m'avez aidé à obtenir une audience du Saint-Père. Ce fut pour moi l'heureux complément de mon voyage et la confirmation de ma vocation.

Ma décision n'a pas varié depuis lors et je me dispose à aller recevoir avec vos sages conseils l'enseignement profond du Collège romain. Je vous arriverai vers le 24 octobre, en véritable novice, sans costume ni connaissance du règlement. J'espère me mettre au courant en peu de jours. Je compte que la maison me fournira, moyennant un prix de location, le linge de lit, pour m'éviter un transport gênant et coûteux. Je me fournirai des autres parties du trousseau, que je compléterai à Rome.

Dans le cas où l'épidémie régnante serait assez grave pour motiver un retard à la rentrée des cours, je compte sur votre sollicitude pour m'en prévenir à temps. Je ne quitterai ma famille que le 15 octobre3.

En attendant que des rapports fréquents m'attachent à vous par des liens étroits, je vous prie d'agréer l'assurance de mon respectueux dévouement.

Léon Dehon
Docteur en droit

La Capelle (Aisne) - 22 octobre 65.

1 Avec le P. Freyd, supérieur du Séminaire français à Rome, Léon Dehon avait fait connaissance à la fin de son voyage d'Orient, lors de son séjour à Rome (cf. NHV IV, 99). Il devait le garder comme directeur spirituel jusqu'à sa mort en 1875 (cf. NHV IV, 138-139). Les AD conservent de leur correspondance 19 lettres de Léon Dehon, du 22 septembre 1865 au 29 janvier 1875 (AD B36/2D. 2-20; Inv. 629.02-20) et 23 lettres du P. Freyd, du 3 octobre 1865 au 19 décembre 1874 (AD B21/7a.4; Inv. 436.01-23).

2 La date indiquée à la fin de la lettre (22 octobre) est évidemment une erreur. Léon devait quitter La Capelle le 14 octobre et le 22 octobre, il sera à Turin (cf. LD 31). Le P. Freyd a d'ailleurs mentionné sur la lettre «répondu le 3 octobre», et c'est la LC 16. C'est évidemment 22 septembre qu'il faut lire.

3 Une épidémie de choléra, semble-t-il; cf. LC 16.

218.01

B18/9.2.1

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

À ses parents

1865 - Paris 16 octobre - Hôtel de l'Europe

Chers parents,

Je vous ai quitté moins triste à St-Erme qu'à La Capelle parce que vous m'avez paru plus résignés à la volonté de Dieu1.

À Reims, je n'ai pas rencontré Mgr Gousset qui venait de partir pour les Ardennes. J'ai causé longuement avec le grand vicaire et le père Gaulthier de la congrégation qui dirige le séminaire français de Rome. Mgr Gousset leur avait dit qu'il approuverait fortement ma résolution d'aller à Rome2.

Je suis arrivé à Soissons pour dîner. On m'y a reçu avec beaucoup d'amabilité.

Hier, après la messe, j'ai vu Mgr Dours: il a été très gracieux et m'a fort encouragé, en me donnant une lettre pour Rome3. J'ai fait visite à Mr Gordien et parcouru les curiosités de Soissons, et j'en suis parti le soir à 6 h 20 pour arriver ici à 8 h 30. J'ai vu Palustre le soir; ma malle était déjà arrivée chez lui. J'en ai payé le port. Aujourd'hui lundi je déjeunerai chez lui avec Siméon qui est ici, et je ferai toutes mes courses4.

Le choléra est à Paris, mais seulement dans la Cité, à Batignolles et à Montmartre. Dans les autres quartiers on n'a pas l'air d'y penser.

Je vous écrirai dans huit jours, je ne sais de quelle ville.

Embrassez pour moi Laure, Henri et maman Dehon.

Mr Demiselle et Melle Menus vous font mille compliments.

Je vous embrasse de tout cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Il s'agit de son départ pour Rome où Léon va commencer ses études ecclésiastiques au Séminaire français. Sur ce départ et les scènes qui l'ont précédé, on relira l'évocation qu'en fait le P. Dehon en NHV IV, 101-103.

2 Mgr Gousset, archevêque de Reims (et donc métropolite du diocèse de Soissons) depuis 1840. Promu cardinal en 1850, il mourut en 1866. Léon Dehon passe à Reims et Soissons pour se faire connaître et recommander des autorités ecclésiastiques. La congrégation qui dirige le séminaire français de Rome est celle du Saint-Esprit, avec laquelle avait fusionné la Société du S. Cœur de Marie fondée par le P. Libermann en 1840. Le supérieur du séminaire était alors le P. Freyd; Léon Dehon avait fait sa connaissance lors de son passage à Rome en juin (cf. NHV IV, 99). Le P. Gaulthier était bibliothécaire à l'archevêché.

3 La brève lettre de recommandation de Mgr Dours, évêque de Soissons de 1863 à 1876, autorise «M. Léon Gustave Dehon à suivre les cours de philosophie et théologie à Rome et le recommande avec confiance aux diverses autorités ecclésiastiques dont, nous en sommes assurés, il saura s'attirer la bienveillance» (AD B36/2D.39; Inv. 629.39). Mgr Dours, ancien directeur de séminaire, s'intéressait fort à la formation du clergé et aux études ecclésiastiques (cf. NHV IV, 104-105).

4 Sur Palustre et Siméon cf. LD 1 (note 5) et LD 4 (note 3).

5 Sur M. Demiselle cf. LD 4 (note 3) et LC 13 et 15. Mlle Menus est sans doute la personne de service de Mr Demiselle à La Capelle puis à Soissons. Chez Mr Demiselle à Soissons, Léon reçut «une aimable hospitalité» (NHV IV, 104).

218.02

B18/9.2.2

Ms autogr. 3 p. (21 x 13)

À ses parents

Le 20 octobre 1865 était en fait un vendredi (cf. lettre précédente, du 16 octobre: «aujourd'hui lundi»); Léon Dehon était alors à Chambéry (ci-dessous paragraphe 2). La lettre est donc du dimanche 22 octobre. L'erreur est de Léon Dehon.

1865. Dimanche 20 octobre - Turin

Chers parents,

Je vous envoie deux mots pour vous dire où j'en suis. Lundi dernier à Paris, j'ai fait toutes mes visites, où je n'ai pour ainsi dire rencontré personne. Je n'ai pas vu Gustave Fiévet parce que je ne pouvais y être à son heure1, et je n'ai pas songé au photographe parce qu'il plut toute la journée. J'ai dîné chez mon oncle: il était très affairé et même d'une exaltation étonnante. Ma tante a une mine chétive. Le choléra n'est pas chez eux, mais seulement de l'autre côté des buttes. Cependant elles parlent encore vaguement de retourner. Mon oncle me reconduisit assez loin le soir; il était très ému2.

Siméon était à Paris et il s'est décidé à m'accompagner avec Palustre jusqu'en Bourgogne pour y faire un petit voyage de quelques jours. Le mardi nous vîmes Dijon, le mercredi Dôle et Besançon, le jeudi Salins et quelques sites ravissants du Jura, puis je les quittai. Le vendredi je m'arrêtai à Bourg et couchai à Chambéry. Hier j'ai passé le Mont Cenis. Il y avait beaucoup de neige et il y faisait bien froid.

Aujourd'hui je serai à Florence, et le 25 à Rome. J'ai passé en Bourgogne la journée que j'ai épargnée à Soissons3.

Je vais gaiement à Rome parce que je crois y être appelé par la providence; j'espère que vous n'en êtes pas plus attristés que moi.

Je vous embrasse tous, Henri, Laure, maman Dehon et surtout vous deux.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Mes bagages sont avec moi, en bon état. Donnez-moi des nouvelles de la santé de Laure4, à Rome Via Sta Chiara, 475.

1 Gustave Fiévet, fils de Mme Fiévet de La Capelle. Cf. LD 11 (note 5) et LD 18; LC 11 et 15 (note 4).

2 Il s'agit de l'oncle Joseph-Hippolyte Dehon, qui avait épousé Sophie-Éléonore Vandelet, sœur de Mme Dehon, et donc oncle de Léon au double titre paternel et maternel. Brasseur à Vervins, il s'était installé à Paris pour tenter sa chance dans les affaires, malgré les recommandations du reste de la famille et notamment du père de Léon. Il semble avoir été assez émotif et exalté. La tante Sophie-Éléonore, de santé fragile, devait mourir prématurément quelques années plus tard. Elle et sa fille Marie parlaient de retourner en Picardie (cf. LD 9 note 5).

3 Tout le voyage est évoqué longuement en NHV IV, 105-122.

4 Sa belle-sœur Laure avait accouché le 17.08.1865 de son premier enfant, Marthe Marie-Louise, dont Léon était parrain.

5 En passant à Liesse avec ses parents le 14 octobre, Léon s'était fait inscrire à la Confrérie de N.D. de Liesse (cf. AD B17/2C.24; Inv. 140.24). Outre la recommandation de Mgr Dours, il avait aussi tenté de voir à Trélon (Nord) Mr W. de Mérode pour solliciter une lettre de recommandation pour son frère, Mgr de Mérode, qu'il avait déjà visité à Rome en juin (cf. NHV IV, 97). Cette lettre lui fut adressée le 07.10.1865, l'invitant à venir déjeuner ou dîner à Trélon ou à Paris lors de son passage (AD B17/6.13; Inv. 159.00). Mgr de Mérode, prélat belge, membre de la Curie romaine, fut pro-ministre des armes de Pie IX (1860-1865), puis chargé de l'urbanisme. Léon Dehon ne négligeait certes pas ses relations, on le verra tout au long de sa correspondance.

218.03

B18/9.2.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 26 octobre 1865

Chers parents,

Je suis arrivé à bon port, mais j'ai eu beaucoup de peine à éviter la quarantaine parce que mon passeport venait d'être renouvelé à Paris et que les parisiens sont suspects. Il n'y a pas eu ici un seul cas de choléra: du reste on prend toutes les précautions possibles. J'ai dû subir à plusieurs reprises, moi et mes effets, des fumigations désinfectantes1. Je vous ai écrit de Turin où j'ai passé quelques heures. De là je suis venu directement par Plaisance, Florence, Livourne et Civita-Vecchia. Je n'ai pas eu le temps de passer par Sienne comme je l'avais projeté.

Je suis installé ici depuis hier et je pense que je m'y trouverai bien. J'ai reçu un bon accueil du directeur et j'ai trouvé cinq jeunes gens du Cercle, dont deux avec lesquels j'étais en connaissance à Paris2.

Ma chambre est modeste, mais très propre et bien saine. Elle est haute et bien aérée, exposée au couchant. J'ai un lit, une table, deux chaises, une armoire et un porte-manteau. C'est au cinquième. Il y a sur la maison de vastes terrasses pour la récréation avec une vue étendue sur Rome. L'église est monumentale et la bibliothèque considérable. Une immense salle très élégamment ornée et pavée en mosaïque sert de lieu de récréation quand le temps est mauvais ou trop chaud. On y joue au billard.

Hier, j'ai mis ma chambre en ordre et je me suis fait photographier. Aujourd'hui, nous sommes encore en liberté et ce soir la retraite va commencer pour cinq jours. Mercredi ce sera grande fête à St-Pierre. Les cours commenceront vendredi3.

J'attendrai quelques jours pour voir Mgr de Mérode: il n'est plus ministre, mais cependant il est probable qu'il restera à Rome4.

Le règlement de la maison me paraît très favorable à la santé et à l'étude. Le lever est à 5 heures et le coucher à 9. À 7 heures on déjeune. On dîne à midi et demi: potage, deux plats de viande, légumes et fruits. Le souper est à huit heures: potage, un plat de viande et dessert. On boit du vin et le pain est très bon.

J'espère que vous m'écrirez souvent et avec de longs détails. Cela vous coûte peu et c'est pour moi une grande jouissance. J'attends une lettre aujourd'hui ou demain. Je compte bien que la santé et la joie règnent à La Capelle comme ici. Je suis bien désolé que ma malle vous ait donné tant d'inquiétude à Vervins. Toutes mes affaires sont arrivées ici en bon état et j'ai acheté quelques petits objets qui me manquaient, notamment une bonne lampe pour ne pas me fatiguer la vue en travaillant à la lumière des bougies. Du reste, on travaille peu le soir, sauf en hiver.

Je vous embrasse tous les deux bien tendrement et vous prie d'embrasser pour moi Henri, Laure, maman Dehon et ma chère petite Marthe.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Rome - États Pontificaux - Via Santa Chiara, 47.

1 26.10.1865 1 Sur le choléra à Paris cf. LD 30 et 31 ainsi que NHV IV, 122. Dans sa réponse du 3 octobre, le P. Freyd conseillait la voie de terre pour éviter la quarantaine à Civita-Vecchia (LC 16). Léon Dehon fut cependant retenu quelque peu à Montalto di Castro.

2 26.10.1865 2 Selon NHV IV, 143, il s'agit de M. Perreau de Chambéry et de M. Rivoyre de Roanne. Un troisième était M. Gilbert de Troyes (cf. NHV I, 42 rº et IV, 147). Sur ses condisciples à Santa Chiara cf. NHV IV, 143-148. La correspondance (LC) comporte un certain nombre de lettres de plusieurs d'entre eux.

3 26.10.1865 3 Le 26 octobre était un jeudi, jour de la rentrée et commencement de la retraite de cinq jours (cf. LD 33), et le mercredi suivant était le 1er novembre (Toussaint, fête chômée; cf. LD 32: «Mercredi ce sera grande fête à St-Pierre»). Selon LD 33, la messe du Saint-Esprit et l'ouverture des cours au Collège romain ont eu lieu le 3 novembre (vendredi).

4 26.10.1865 4 Cf. LD 31 (note 5) et LD 33. Mgr de Mérode, en désaccord avec le cardinal Antonelli, Secrétaire d'État, cessa d'être ministre en 1855.

218.04

B18/9.2.4

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 3 novembre 1865

Chers parents,

Je vous écris à tous deux parce que je suppose que papa est déjà de retour de son voyage en Champagne. J'ai reçu exactement votre lettre datée du 25, et moi-même je vous ai écrit le 26, jour de la rentrée. Nous avons commencé l'année par une retraite de cinq jours: c'était le P. Rubillon, assistant du Général des Jésuites, qui nous prêchait. Depuis deux jours nous sommes en congé. Avant-hier, le Saint-Père officiait à la chapelle Sixtine. Nous y avons assisté et mon nouveau vêtement a été ainsi béni par le Saint-Père le premier jour où je le portais1.

Hier nous avons eu sortie libre toute la journée; j'en ai profité pour faire quelques visites. J'ai vu notamment Mgr de Mérode. Il m'a reçu avec beaucoup de bienveillance, très simplement et très amicalement, et il m'a engagé à le voir de temps en temps. Il m'a parlé de notre pays et de son activité industrielle; il se souvient du nom de mon grand-père qu'il a vu sur les grandes messageries de Valenciennes. C'est bien un grand blond, comme on me l'avait dit; il a les yeux de travers2.

J'ai vu aussi Mr Schnets, directeur de l'académie de France, avec la recommandation de Mr de Caffarelli3. Il est très âgé et fort aimable. Nous avons surtout causé de l'Orient.

Je vous ai raconté mon installation dans ma dernière lettre; elle est aujourd'hui complète. Cette vie paisible et réglée, bien qu'active, est précisément ce qu'il me fallait. J'y suis heureux et joyeux de m'y préparer par l'étude et la prière à rendre quelques services à l'Église. Ne croyez pas que je vous le dise pour vous satisfaire; c'est du plus profond de mon cœur. Dieu m'a appelé ici pour m'y donner le bonheur.

C'est aujourd'hui la messe du St-Esprit et l'ouverture des cours au Collège romain. Tous les élèves sont rentrés et beaucoup ont fait huit jours de quarantaine. J'ai trouvé ici cinq jeunes avocats du cercle, qui sont nouveaux comme moi et que j'avais connus à Paris. Nous sommes 70 de toutes les parties de la France. La vie est très bien réglée: nous faisons trois repas et de plus un goûter après la promenade, qui est d'une heure tous les jours et de trois heures les jeudis, les dimanches et les fêtes. Pendant ces courses nous visitons Rome et les environs. Vous voyez que nous sommes loin d'être enfermés; nous allons en outre deux fois par jour au Collège romain. Je crois que ma santé se fortifiera encore avec ce régime réglé qui me convient très bien. Nos supérieurs sont pour nous de bons pères. Enfin je n'ai à regretter ici que vous, que j'aime de plus en plus en reconnaissant les immenses sacrifices que vous faites pour moi et que je vous impose, les uns pour mon bien-être et les autres pour suivre la volonté de Dieu.

Je vous embrasse de tout cœur et vous prie d'embrasser pour moi Laure, Henri, Marthe et maman Dehon. Mes compliments à Mme Fiévet. Je prierai et communierai pour madame Borgnon4.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Il est probable que je verrai Mgr Dupanloup ici dans le courant de l'année, pour les grandes fêtes du mois de juin5. Je vous envoie la photographie de mes favoris que j'ai coupés depuis. Je vous écrirai dans dix jours.

1 De cette retraite les NHV reproduisent le résumé qu'en a fait Léon Dehon (NHV IV, 124-138), avec cette conclusion: «Je m'étais donné de tout cœur à cette retraite…; jamais je ne devais éprouver des impressions plus profondes. Ce fut là la base de ma vie de séminariste.» Le jour de la Toussaint donc, Léon revêt la soutane (cf. NHV IV, 138). Son père, on le verra, mettra quelque temps à consentir à le voir ainsi revêtu pendant les vacances à La Capelle.

2 Le grand-père, Hippolyte-Louis Dehon était maître de poste à La Capelle. Il était mort en 1862. Sa femme, Henriette-Esther Gricourt, «maman Dehon», habitait chez les parents Dehon, son fils Jules-Alexandre, père de Léon… Sur Mgr de Mérode cf. LD 31 (note 5) et LD 32 (note 4).

3 Le comte de Caffarelli (Eugène-Auguste, 1806-1878), conseiller général de l'Aisne pour le canton de La Capelle, fut l'un des «bons amis et vrais mentors qui approuvèrent le voyage d'Orient» (cf. NHV II, 70 vº). Il participera au Congrès diocésain de Saint-Quentin (octobre 1875; NHV XII, 48) et sera l'un des bienfaiteurs du patronage fondé par l'abbé Dehon (NHV XII, 105).

4 Mme Fiévet et Mme Borgnon, des connaissances de La Capelle; la seconde selon LD 21 était malade. Pour la famille Fiévet cf. LD 11, LD 18 et LC 11 et 15.

5 Sur les relations de Léon Dehon avec Mgr Dupanloup cf. LD 4, 11, 26, 28 (notes 2 et 3); LC 9 et 11.

218.05

B18/9.2.5

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome, 12 novembre 1865

Chers parents,

Je vous écrivis il y a huit jours en vous envoyant mon portrait. Cette lettre s'est croisée avec la vôtre qui m'est arrivée hier. Je compte qu'elle vous aura rassurés, en vous annonçant que j'étais en bonne santé!

Je ne sais vraiment pour quel motif les journaux ont fait courir le bruit que le choléra était ici. Il n'y en a pas eu un seul cas et l'on prend les précautions les plus sévères: on fait 7 jours de quarantaine en venant de France et 9 jours en venant de Naples. Je souhaite à La Capelle de n'être pas plus frappée que Rome. Du reste vous pouvez être persuadés que si le danger vient, je quitterai prudemment Rome.

Cette semaine j'ai été tout à mes études, qui sont heureusement commencées. J'ai trois cours de philosophie par jour; ils sont bien faits et faciles à suivre. Nous les revoyons et nous nous formons à l'argumentation par des répétitions qui se font au Collège romain et à la maison. Notre temps est parfaitement réglé pour atteindre deux buts, la piété et la science. Comme je vous le disais dans ma dernière lettre, le régime de la maison est très salutaire. Les jours de travail nous faisons une promenade d'une heure en ville, et le jeudi, le dimanche et les jours de fêtes nous avons trois heures pour aller à la campagne. Je trouve ici tous les avantages de la vie de collège et aucun de ses ennuis.

Je n'ai vu personne en ville cette semaine. Dans quelques jours je ferai visite à l'abbé Nunzi pour lequel vous m'avez envoyé une lettre.

Je suis loin d'être isolé ici: j'ai retrouvé quelques anciennes connaissances, au séminaire, et hier encore il est arrivé un jeune prêtre du Nord, élève de théologie et qui a passé quelques années à Marcq où il a connu Édouard Foucamprez. C'est M. Cognard, neveu du maire de Cartigny près d'Avesnes1.

Ma chambre est un peu haute sans doute, mais elle est neuve et par suite inconnue aux insectes; elle est plus agréable que celles des étages inférieurs. Et du reste je n'ai jamais habité moins haut à Paris.

Je trouve ici ce bonheur qu'on attribue généralement à la vie de collège. Je suis sans inquiétude, tout à ma besogne et dans la paix la plus parfaite. C'était bien la vie qui me convenait et je voudrais que vous en fussiez persuadés comme moi, pour que vous cessiez de vous préoccuper péniblement de mon avenir.

L'esprit de la maison est excellent, il y règne beaucoup de régularité en même temps qu'une agréable aménité.

Nos promenades ont chaque jour un intérêt particulier. Rome a toujours quelque fête plus ou moins solennelle dans ses nombreuses églises: les chants y sont admirables, et souvent il y a quelque précieuse relique à vénérer.

Je n'ai pas encore reçu d'autres lettres que les vôtres, mais j'en attends plusieurs et je ne désespère pas de recevoir quelques visites de France au printemps.

Je vous embrasse de tout cœur comme je vous aime, et je vous prie d'embrasser pour moi Laure, Henri, ma petite Marthe et maman Dehon. Ne m'oubliez pas à l'occasion près de nos parents du Nouvion, de Vervins, de Dorengt et près de Mme Fiévet et d'Adèle2.

Votre dévoué fils

L. Dehon

Donnez-moi des nouvelles de Montmartre. Annoncez à Mr Clavel mon heureuse installation et présentez-lui mes respects3.

1 Édouard Foucamprez, oncle par alliance de Léon, ayant épousé Julie-Erminie-Clémence Dehon, sœur de son père, en 1844.

2 Adèle Jouniaux, la domestique de la maison Dehon à La Capelle (cf. NHV I, 13 rº); sans doute l'Adeline évoquée par Mr Boute en LC 14. À moins qu'il ne s'agisse d'Adèle d'Étréaupont de LD 25.

3 Montmartre où habitait l'oncle Joseph-Hippolyte Dehon (cf. LD 31). Mr Clavel pas autrement identifié; son nom revient dans les lettres suivantes.

218.06

B18/9.2.6

Ms autogr. 2 p. (21 x 17)

À ses parents

Rome 23 novembre 1865

Chers parents,

Voici presque un mois que je suis à Rome, et il me semble qu'il n'y a que huit jours: notre temps est si bien divisé, si bien occupé que nous le trouvons toujours trop court. Le travail en occupe la meilleure partie. Nos cours sont très sérieux et faits selon l'ancienne méthode de l'université de Paris. Le professeur en dicte le fond et le développe. Nous le discutons en latin au séminaire sous la direction d'un répétiteur, puis au Collège romain avec les élèves de toutes les nations, tous les jours. Il est impossible qu'un étudiant sérieux ne possède pas à la fin de l'année les principes de la science qu'il étudie. Comparez cette méthode avec celle que l'on suit à présent pour les cours publics de Paris.

Notre règle pourvoit à la santé comme à l'étude et grâce à mes promenades quotidiennes je me porte fort bien. Si vous le voulez, je me ferai photographier de nouveau pour vous faire voir que j'ai bonne mine.

Dites à Mme Fiévet que je suis heureux du succès de Gustave et que je lui enverrai mon portrait dans ma prochaine lettre1.

J'écrirai à Mr de Caffarelli quand j'aurai vu toutes les personnes à qui il m'a adressé2.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

L. Dehon

Je ne me souviens pas exactement de ce que j'ai payé pour Aline à Paris; ma tante Dehon vous le dira3. Je n'affranchis pas cette lettre: elle me coûterait ici 21 sous; le nouveau tarif (60 c.) n'est pas encore appliqué.

Embrassez pour moi maman Dehon et mes parents de Vervins, du Nouvion et de Dorengt.

1 Mme Fiévet et son fils Gustave cf. LD 11, 18, 31 et LC 11, 15.

2 Mr de Caffarelli cf. LD 33 (note 3).

3 Aline Longuet, sœur de Laure et cousine germaine de Léon (cf. LD 9 note 8). La tante Dehon est celle de Montmartre (cf. LD 31 note 2).

218.07

B.18/9.2.7

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

A ses parents

Rome 6 décembre 1865

Chers parents,

je voudrais aller avec ma lettre passer quelques instants avec vous pour dissiper les inquiétudes qui percent dans vos lettres et pour vous rassurer entièrement. Je sais que la source de vos soucis n'est que l'atta­chement que vous me portez: eh bien, n'avez-vous pas lieu d'être sa­tisfaits de me savoir ici heureux et content, et plein de santé. Vous savez comme moi que le bonheur ne résulte pas des honneurs et des jouissan­ces du monde. Je trouve le mien dans le service de Dieu. Je ne m'inquiè­te que de la journée présente et je suis satisfait quand j'ai bien prié et que j'ai profité de mon travail.

On comprend à Rome plus qu'ailleurs que la perfection ne réside pas dans l'agitation et le tumulte. Sauf quelques exceptions, les Romains ont une vie admirablement réglée. Après le travail, à la fin de la journée, ils se promènent à heure fixe, et souvent, dans leur promenade, ils visitent l'église où se célèbre la fête du jour: on a ainsi tous les jours sous les yeux l'exemple et l'histoire des saints. Rome donne une idée de ce que devrait être un pays vraiment chrétien. Les Romains s'inquiètent peu de la poli­tique et ils espèrent rester en paix, bien que l'occupation française soit un peu diminuée. Il est certain du reste que même après l'évacuation de Rome, l'an prochain, les français resteront à Civita-Vecchia, et cela suffira1.

J'ai tardé un peu à vous écrire: c'est qu'il y a peu de variété dans mes occupations et que j'ai peu de choses à vous dire; ou plutôt j'ai beaucoup de choses affectueuses qui ne se transmettent pas bien par lettre. Ecrivez-moi plus souvent si vous le pouvez; je trouve toujours l'interval­le trop long. Si vous avez quelque chose à m'envoyer, attendez une occa­sion, je crois que par la poste ce serait très difficile et très coûteux.

Je vous adresse encore un portrait. Embrassez bien tendrement pour moi Laure et Henri et ma petite Marthe. Dites à maman Dehon qu'elle avait bien raison quand elle disait: «Il sera heureux si c'est sa vocation». Bien des choses aux personnes que j'affectionne particulière­ment, à Mme Fiévet, à Adèle: dites-lui que je ne voyage plus et ne cours aucun danger et que je suis très heureux et bien soigné.

Mes compliments à Mr Clavel. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre dévoué fils

L. Dehon

1 Les troupes françaises occupaient Rome depuis 1849: l'expédition Oudinot pour le retour de Pie IX réfugié à Gaète et le rétablissement du pouvoir pontifical contre la République romaine proclamée en 1848). Depuis le congrès de Paris (1856) et sur­tout l'entrevue de Plombières avec Cavour (1858, Napoléon III modifiait se politi­que romaine et le 15 septembre, un accord était intervenu pour l'évacuation de Rome dans un délai de deux ans, par retrait des troupes françaises à Civita­Vecchia, d'où elles continueraient à veiller sur les Etats Pontificaux contre les «piémontais» et Garibaldi. Cependant, sous la pression de l'opinion catholique française, un corps expéditionnaire fut envoyé en 1867, en renfort des troupes pontificales, contre Garibaldi, qui fut battu à Mentana (nov. 1867). La guerre de 1870 amena le retrait définitif de la brigade française et le 20 septembre 1870, le général Cadorna entra dans Rome.

A «Rome et ses fêtes», le P. Dehon consacrera un long chapitre de ses NHV (V, 11-34). Ce sera le thème de quelques-unes de ses causeries du dimanche au Patro­nage S. Joseph (NHV X, 9-19: 5 janvier, 1 et 23 fev. 1873).

218.08

B18/9.2.8

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

À ses parents

Rome 27 décembre 1865

Chers parents,

Le temps passe très vite même loin de ceux qu'on aime, et voici déjà un trimestre écoulé.

Je suis satisfait de l'emploi de mon temps, mais j'espère que le reste de l'année me sera plus profitable encore, maintenant que les premières difficultés sont vaincues.

Les cours sont suspendus au Collège romain depuis la veille de Noël jusqu'au 2 janvier. Nous en profitons pour nous mettre au courant de nos études, pour faire quelques visites et parcourir Rome et les environs.

Nous aurons de même quelques jours au carnaval, à Pâques et à la Pentecôte. Le temps est ainsi bien coupé et le repos vient à point. Nous prenons du reste chaque jour beaucoup d'exercice, aussi ma santé se trouve très bien du séjour à Rome. Pour comble de précautions, je suis dispensé du jeûne quand il y en a. Je suis tous les jours plus heureux d'être à Rome: tout ici parle à l'intelligence et au cœur. Les solennités, les monuments, les reliques précieuses, la grande piété, tout cela ne se trouve réuni qu'à Rome.

J'ai fait visite de nouveau à toutes les personnes à qui je suis recommandé, et j'ai trouvé partout un bienveillant accueil. Mgr de Mérode surtout est très aimable. Son frère de Trélon est actuellement à Rome, j'aurai peut-être l'occasion de le voir1.

Je reçois quelquefois des nouvelles de France par d'autres lettres que les vôtres: Mr Boute m'écrit que l'établissement d'Hazebrouck est en très bonne voie; il me dit qu'il est à la fois économe et professeur et qu'il y a 120 pensionnaires et 70 externes2.

Palustre est sur le point de se marier. Siméon ne m'a pas encore donné de ses nouvelles.

Bientôt Pâques approchera et j'aurai peut-être quelques visites de France. Papa a souvent parlé de venir; j'espère qu'il se décidera: il pourrait accompagner l'abbé Palant3. Il serait heureux de passer quelque temps à Rome.

Je voudrais vous envoyer par ce même courrier des lettres pour maman Dehon, Henri, Laure et mon oncle, mais je n'en ai pas le temps et j'espère qu'ils ne m'en sauront pas mauvais gré. Je porte souvent ma pensée vers chacun de mes parents, surtout dans ces jours de fêtes et je prie pour leur bonheur temporel et éternel. C'est le meilleur souhait que je puisse leur faire.

Je n'oublie pas non plus les morts. Je ne saurais vous dire quelle privation il y a pour moi de ne pas être avec vous dans ces jours où l'esprit de famille est dans toute sa vigueur; mais il faut que la volonté de Dieu se fasse.

Témoignez ma respectueuse affection à Mme Fiévet et à Mr Clavel.

Je vous embrasse tendrement.

Votre Léon

1 Sur Mgr de Mérode cf. LD 31 (note 5), 32, 33. Son frère W. de Mérode (de Trélon) annonçait sa visite à Léon (cf. LC 17).

2 Cf. LC 18 (du 11 décembre 1865). Il s'agit du nouveau collège libre S. François d'Assise ouvert par Mr Dehaene après sa révocation de Principal du Collège municipal (cf. LC 12 et 14).

3 L'abbé Palant, prêtre diocésain de Soissons. Son nom apparaît en NHV XI, 24 dans une citation de lettre de Mr Demiselle. Il participa activement à l'Assemblée de Liesse, sur les œuvres catholiques du diocèse de Soissons, organisée par l'abbé Dehon en 1875 (cf. NHV XI, 101). Curé de Cilly, cet abbé Palant était, à un degré que nous ignorons, cousin du P. Dehon qui, dans ses «Notes Quotidiennes» (16 juin 1895), en fait un portrait pittoresque et savoureux. Son nom revient plusieurs fois dans la correspondance familiale (cf. LD 41, 67, 68, 91).

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