218.34
B.18/9.2.34
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
A ses parents
Rome 7 janvier 67
Chers parents,
Voici vingt jours que je n'ai pas reçu de vos nouvelles. Je suppose que la poste a égaré une lettre, à moins que les fêtes de la noce et du jour de l'an n'aient absorbé tout votre temps. C'est pour moi une grande privation1.
Je ne veux pas attendre plus longtemps à vous écrire, pour ne pas vous inquiéter. J'espère que vous avez reçu mes lettres du 18 et du 26 décembre2.
Nos petites vacances se sont très bien passées. Je ne suis guère sorti à cause des ordinations et je me suis un peu reposé. Au 1° jour de l'an, n'ayant point à faire ni à recevoir de visites officielles, j'avais l'esprit plus libre pour prier pour vous. Nous avons fêté pieusement la Circoncision. J'ai écrit seulement à Mr Boute, à Mr Dehaene, à mon oncle Delion, et depuis à Mgr Dours. J'ai reçu une bonne lettre de Mr Demiselle3.
Le 2 janvier nous avons repris le travail, et hier nous avons fêté l'Epiphanie. Le Saint-Père nous avait envoyé des gâteaux, il en reçoit beaucoup des familles nobles et des couvents à l'occasion de la fête des Rois et il en donne à tous les séminaires.
Rome est excessivement calme comme d'ordinaire et personne ne s'inquiète. Il y a bien des motifs d'espérer que la paix la plus complète continuera à régner. Je pense que les journaux français n'ont plus la fâcheuse et ridicule idée de vous annoncer sans raison le choléra qui n'a pas du tout régné à Rome.
Palustre et Mr Poisson sont encore ici pour longtemps je crois; je les vois rarement, ils visitent Rome et Palustre écrit et prépare un ouvrage qu'il publiera plus tarde. Mr Poisson doit prêcher demain dans une des principales églises de Rome. Comme l'Epiphanie est la fête de la manifestation de la Rédemption aux nations, il y a à Rome, qui est le centre de l'Eglise, pendant l'octave de cette fête, des messes dans tous les rites catholiques et des sermons dans toutes les langues. C'est à cette occasion que Mr Poisson fera un sermon français. C'est une démonstration frappante de l'unité et de l'universalité de l'Eglise catholique.
J'ai été obligé, ces jours derniers, d'acheter un bréviaire pour commencer à apprendre à le réciter, et deux ouvrages théologiques. Cela joint à mes dépenses ordinaires m'a presque ruiné, et cependant j'aurai à la fin du mois un trimestre de pension à payer. J'espère qu'il vous sera facile de m'envoyer quelques centaines de francs. Je vous coûte beaucoup et je ne demande pas volontiers, mais je compte sur votre générosité qui ne m'a jamais fait défaut. Vous pourrez m'envoyer une lettre recommandée par la poste, avec la valeur déclarée, en mettant sur l'adresse: «Par Marseille».
8 janvier.
J'ai attendu en vain une journée de plus et je ne reçois pas encore de lettre. Je ne suis pas inquiet, mais c'est pour moi une grande privation. Je suis parfaitement heureux d'être consacré à Dieu et je travaille avec zèle. Je regrette de ne pouvoir vous faire sentir mieux mon bonheur pour que vous le partagiez.
Embrassez pour moi Henri, Laure, Marthe et maman Dehon et faites mes compliments aux personnes qui s'intéressent à moi.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Apparemment il s'agit d'un troisième mariage (outre ceux d'Aline Née et d'Alice Fiévet dont il a déjà été question et qui ont dû avoir lieu en avril-mai précédent (cf. LD 46, 47, 49, 56, 59 et LC 21).
2 En fait les lettres du 20 et 26 décembre.
3 Cf. LC 25.
4 «De Paris à Sybaris - Etudes artistiques et littéraires sur Rome et sur l'Italie méridionale», publié en 1868 - cf NHV V, 75 et VI, 64, et aussi LD 96.
218.35
B18/9.2.35
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 14 janvier 67
Chers parents,
Bien qu'il n'y ait que huit jours que je vous ai écrit, j'ai besoin de m'entretenir un peu avec vous pour consoler ma chère mère de sa maladie, qui ne sera pas longue, j'espère, et aussi pour demander pardon à mon cher père de la peine que je lui ai faite1. Je fais une neuvaine à Notre-Dame des Victoires pour que maman se guérisse promptement et j'ai bien confiance qu'elle obtiendra cette grâce.
En apprenant, cher père, que ton fils est heureux et d'un bonheur plus pur et plus parfait que celui que donnent les richesses et les honneurs du monde, tu seras heureux aussi et tu ne regretteras plus qu'il ait suivi cette voie où Dieu lui a fait la grâce de l'appeler.
La peine que tu ressens est la suite d'une erreur et quand tu l'auras reconnu, tu me béniras et tu rendras grâce à Dieu et tu me sauras gré d'avoir été contre ton désir.
Tu regrettes pour moi les honneurs et les richesses et tu crois que mon affection pour toi est diminuée. Eh bien, tu te trompes. La dignité de prêtre ne prive pas des honneurs, car elle est la plus honorable qu'on puisse avoir sur la terre. Les prêtres sont les représentants de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils ont l'empire des âmes et tous les matins, à leur appel, Notre-Seigneur descend sur l'autel au Saint Sacrifice. Il y a mille fois plus de gloire à dire une seule messe qu'à régner sur le plus grand empire du monde. Oh! si tu avais une foi bien vive, comme tu sentirais la grandeur de cette dignité, que les Pères de l'Église disent bien plus sublime et plus éminent que celle des anges eux-mêmes. Le prêtre est le ministre de Dieu lui-même à l'autel; il rougit ses lèvres tous les jours du sang de Notre-Seigneur, il a le pouvoir admirable de remettre les péchés et les princes eux-mêmes se mettent à ses genoux et lui demandent grâce, sous peine de souffrir le feu éternel, s'ils méprisent son ministère. Oh! oui, cette dignité est effrayante et si je n'y étais appelé par Dieu, je n'oserais y aspirer, car j'en suis bien indigne.
La dignité de prêtre ne prive pas non plus des vraies richesses et l'Écriture Sainte s'écrie souvent que «la part des lévites est belle et que leur héritage est grand»2. Notre héritage surpasse celui de qui que ce soit au monde, car c'est Dieu lui-même. C'est lui que nous aimons, que nous cultivons et que nous cherchons à faire naître dans les âmes. C'est un héritage que ne détruisent ni les incendies, ni les autres fléaux qui ruinent les hommes, et quant à ce qui est matériel, il veille lui-même à ce que nous n'en manquions pas. Si le monde juge autrement l'honneur et la richesse, le monde est aveugle, pourquoi l'écouterais-tu? Les honneurs et les richesses du monde sont une bonne chose sans doute quand on en use selon Dieu, avec justice et bienfaisance, comme tu as su le faire et comme on le fait dans les bonnes familles. Mais combien sont plus heureux, plus honorés et plus riches ceux que Dieu appelle à la dignité du Sacerdoce, dignité qui augmentera même leur couronne de gloire dans les cieux.
Quant à mon affection pour vous, elle est plus vive et plus vraie que jamais. Je n'aurai jamais d'autre famille et je serai plus entièrement à vous. Jamais je n'ai prié pour vous avec plus d'ardeur, ni je n'ai mieux ressenti toute la reconnaissance que je vous dois et tout l'amour filial que vous méritez. Bénissez donc Dieu avec moi et remerciez-le, et après avoir fait une petite concession au monde en vous chagrinant de ma vocation, reconnaissez que c'est une immense faveur du ciel et ne me retranchez rien de votre affection.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur et à grands bras.
Votre bien dévoué fils
L. Dehon
Envoyez-moi quelques timbres-poste, s'il vous plaît. Mr Poisson et Palustre vous présentent leurs respects.
1 La peine de son entrée dans la cléricature par la tonsure et les ordres mineurs reçus en décembre précédent.
2 Cf. le «Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei - Le Seigneur est ma part d'héritage et de mon calice», chanté à l'ordination. (Ps. 16, 6)
Rome 14 janvier 67
Chers parents,
Bien qu'il n'y ait que huit jours que je vous ai écrit, j'ai besoin de m'entretenir un peu avec vous pour consoler ma chère mère de sa maladie, qui ne sera pas longue, j'espère, et aussi pour demander pardon à mon cher père de la peine que je lui ai faite1. Je fais une neuvaine à Notre-Dame des Victoires pour que maman se guérisse promptement et j'ai bien confiance qu'elle obtiendra cette grâce.
En apprenant, cher père, que ton fils est heureux et d'un bonheur plus pur et plus parfait que celui que donnent les richesses et les honneurs du monde, tu seras heureux aussi et tu ne regretteras plus qu'il ait suivi cette voie où Dieu lui a fait la grâce de l'appeler.
La peine que tu ressens est la suite d'une erreur et quand tu l'auras reconnu, tu me béniras et tu rendras grâce à Dieu et tu me sauras gré d'avoir été contre ton désir.
Tu regrettes pour moi les honneurs et les richesses et tu crois que mon affection pour toi est diminuée. Eh bien, tu te trompes. La dignité de prêtre ne prive pas des honneurs, car elle est la plus honorable qu'on puisse avoir sur la terre. Les prêtres sont les représentants de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils ont l'empire des âmes et tous les matins, à leur appel, Notre-Seigneur descend sur l'autel au Saint Sacrifice. Il y a mille fois plus de gloire à dire une seule messe qu'à régner sur le plus grand empire du monde. Oh! si tu avais une foi bien vive, comme tu sentirais la grandeur de cette dignité, que les Pères de l'Église disent bien plus sublime et plus éminent que celle des anges eux-mêmes. Le prêtre est le ministre de Dieu lui-même à l'autel; il rougit ses lèvres tous les jours du sang de Notre-Seigneur, il a le pouvoir admirable de remettre les péchés et les princes eux-mêmes se mettent à ses genoux et lui demandent grâce, sous peine de souffrir le feu éternel, s'ils méprisent son ministère. Oh! oui, cette dignité est effrayante et si je n'y étais appelé par Dieu, je n'oserais y aspirer, car j'en suis bien indigne.
La dignité de prêtre ne prive pas non plus des vraies richesses et l'Écriture Sainte s'écrie souvent que «la part des lévites est belle et que leur héritage est grand»2. Notre héritage surpasse celui de qui que ce soit au monde, car c'est Dieu lui-même. C'est lui que nous aimons, que nous cultivons et que nous cherchons à faire naître dans les âmes. C'est un héritage que ne détruisent ni les incendies, ni les autres fléaux qui ruinent les hommes, et quant à ce qui est matériel, il veille lui-même à ce que nous n'en manquions pas. Si le monde juge autrement l'honneur et la richesse, le monde est aveugle, pourquoi l'écouterais-tu? Les honneurs et les richesses du monde sont une bonne chose sans doute quand on en use selon Dieu, avec justice et bienfaisance, comme tu as su le faire et comme on le fait dans les bonnes familles. Mais combien sont plus heureux, plus honorés et plus riches ceux que Dieu appelle à la dignité du Sacerdoce, dignité qui augmentera même leur couronne de gloire dans les cieux.
Quant à mon affection pour vous, elle est plus vive et plus vraie que jamais. Je n'aurai jamais d'autre famille et je serai plus entièrement à vous. Jamais je n'ai prié pour vous avec plus d'ardeur, ni je n'ai mieux ressenti toute la reconnaissance que je vous dois et tout l'amour filial que vous méritez. Bénissez donc Dieu avec moi et remerciez-le, et après avoir fait une petite concession au monde en vous chagrinant de ma vocation, reconnaissez que c'est une immense faveur du ciel et ne me retranchez rien de votre affection.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur et à grands bras.
Votre bien dévoué fils
L. Dehon
Envoyez-moi quelques timbres-poste, s'il vous plaît. Mr Poisson et Palustre vous présentent leurs respects.
1 La peine de son entrée dans la cléricature par la tonsure et les ordres mineurs reçus en décembre précédent.
2 Cf. le «Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei - Le Seigneur est ma part d'héritage et de mon calice», chanté à l'ordination. (Ps. 16, 6).
218.36
B18/9.2.36
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 22 janvier 67
Chers parents,
Bien que j'aie écrit hier à Henri, je vous accuse immédiatement réception, pour vous tranquilliser, des cinq cents francs qui me sont arrivés aujourd'hui très exactement. Il est très rare que la poste perde des lettres chargées, cependant pour plus de sûreté nous emploierons une autre fois un autre moyen. Je pourrai, comme l'an dernier, faire traite sur vous ou sur une maison de Paris. Ces cinq cents francs me conduiront facilement jusqu'au mois de mai. Je les ménagerai.
Je vous engage à ne pas remettre le voyage de Paris, il faut prendre la maladie à ses commencements et ne pas la laisser s'aggraver. Si vous attendez le temps de l'exposition, ce ne sera plus un voyage de santé et maman se fatiguera plutôt que de se soigner. D'ailleurs j'espère que nous visiterons ensemble l'exposition au mois de juillet. Mon séjour à Paris ne serait pas pour moi une partie de mes vacances si je ne vous avais pas avec moi. Ce double voyage n'augmentera pas beaucoup vos dépenses: vous ferez cette fois un séjour un peu moins long et les frais d'aller et retour ne sont pas considérables.
Il paraît qu'il fait en France un bien rude hiver. Ici il pleut souvent cette année, mais il ne fait pas froid. Je ne fais jamais de feu dans ma chambre et je n'en sens pas le besoin. L'état politique de la ville est parfaitement calme et le gouvernement a déjà établi des ateliers pour préparer les grandes fêtes du mois de juin1. Toutes les inquiétudes ont disparu.
Je n'ai encore reçu cette année de nouvelles de Siméon. Je lui ai écrit une lettre qui ne lui est peut-être pas parvenue. Si vous le voyez à Paris, dites-lui de penser à moi.
Henri et Laure ne m'ont pas donné l'adresse d'Aline; ne manquez pas de me l'envoyer pour que je puisse répondre à son aimable lettre. Lavisse ne m'a pas annoncé son mariage; il serait bien aimable de m'écrire à titre d'ami et de cousin2.
Je déplore le malheur de Mme Antoine et je la plains surtout de n'avoir pas pu donner à ses fils des principes religieux. Le premier est mort sans recevoir les sacrements, et cependant sa mort était prévue et attendue. Le regret de la mort ne dure que quelques années, mais celui de la damnation durera toute l'éternité3.
Donnez-moi des nouvelles de la santé de ma tante Vandelet et de Gaston4.
Si vous avez encore quelques moments de peine et de contrariétés, au lieu de remettre à m'écrire, écrivez-moi plus souvent: une peine partagée est à moitié consolée. Et puis n'oubliez jamais que personne au monde ne vous aime plus que moi.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
Léon
1 La célébration du centenaire du martyre des apôtres Pierre et Paul en 67.
2 Cf. la parenté de Léon Dehon: Aline, Lavisse.
3 Mme Antoine: pas autrement identifiée, sans doute de La Capelle.
4 La tante Vandelet, Juliette-Mathilde, épouse Longuet, du Nouvion, mère de Laure et d'Aline: Gaston est l'enfant d'Aline, de son premier mariage avec Gaston Née.
218.37
B18/9.2.37
Ms autogr. 2 p. (21 x 13)
À son père
(Sans date1)
Cher père,
J'espère que tu m'as déjà pardonné et que tu reconnais maintenant que j'ai agi dans ton propre intérêt et en vue de ton bonheur futur. Mon amour pour toi ne fait que s'accroître et comme je ne puis rien t'offrir que des prières, je n'y manque pas, si indignes qu'elles soient devant Dieu. Je suppose que tu es à Paris et je profite de l'occasion pour te rappeler quelle consolation tu as éprouvée il y a trois ans quand tu as mis ordre à ta conscience chez les P. Dominicains, et quand tu as reçu la sainte communion. Tu pourrais profiter encore de ton séjour à Paris pour rentrer en grâce avec Dieu. Je t'engage à t'adresser au curé de Notre-Dame des Victoires. C'est un saint et vénérable vieillard. Tu pourras le demander à son église. Cela ne demande pas de toi un grand sacrifice, puisque tu ne manques guère qu'à l'observation du dimanche. Il suffit que tu prennes la bonne résolution d'assister à la messe tous les dimanches à moins d'empêchement sérieux. Le bon Dieu n'est vraiment pas exigeant et nous ne sommes vraiment pas raisonnables de risquer pour si peu notre salut éternel.
Médite ces paroles qu'écrivait naguère un saint prêtre de Corée quelques jours avant son martyre: «J'ai vu des personnes de 70 ans passés faire 60 lieues et plus pour avoir le bonheur de recevoir la sainte communion une seconde fois dans l'année. Pauvres âmes qui ne voient le missionnaire qu'un seul jour par an et qui ont si grande soif de la parole de Dieu! Que cela afflige le cœur du missionnaire de voir l'impossibilité absolue d'aller leur rompre plus souvent ce pain sacré, et de leur donner quelques-unes de ces consolations dont nos fidèles d'Europe abondent en les méconnaissant. Que se passera-t-il au Jugement dernier, quand sera faite la comparaison des grâces accordées et des mérites acquis?…»
J'espère que maman se guérira bientôt; embrasse-la pour moi.
Je t'embrasse de tout cœur.
Ton dévoué fils
L. Dehon
1 L'allusion au séjour à Paris montre que ce billet spécial que Léon adresse à son père, était joint à la lettre du 3 février; ce qui évidemment dispensait de la dater.
218.38
B18/9.2.38
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 3 février 67
Chers parents,
J'attends de vos nouvelles prochainement. Je suppose que vous êtes à Paris en ce moment. Siméon vient de m'écrire qu'il était prévenu de votre arrivée. J'espère que ce voyage vous sera en même temps utile et agréable1.
Siméon paraît très affairé. Il m'annonce que Mr Évrard, un de nos anciens professeurs, vient d'être nommé curé de La Gorgue. Il était vicaire à Roubaix où il a montré un grand zèle pendant le choléra. Henri apprendra cela avec plaisir. J'ai reçu aussi, il y a quelques jours, une bonne lettre de Mr Dehaene: il me dit que les élèves surabondent à Hazebrouck, et il espère venir à Rome pour les fêtes du mois de juin2.
On commence déjà les préparatifs pour ces fêtes et il n'y a plus la moindre inquiétude sur la tranquillité de la ville. L'hiver est presque terminé. Déjà les amandiers sont en fleurs.
Nous avons eu hier à Saint-Pierre une très belle cérémonie, pour la Purification de la Sainte Vierge. Cette fête est une des plus imposantes à Rome. Les ambassadeurs de toutes les nations catholiques vont s'agenouiller aux pieds du Saint-Père pour recevoir un cierge béni, qu'ils portent ensuite en procession dans la basilique. C'est un hommage rendu à Celui qui est la vraie lumière et dont on célèbre la manifestation dans sa Présentation au temple.
Cette fête nous offre bien des enseignements et notamment vous pouvez prendre pour modèle Marie offrant au temple son divin Fils, dont la passion lui est prédite par le vieillard Siméon. Marie accepta d'avance dans son cœur le sacrifice sanglant de Notre-Seigneur. Il ne s'agit pas pour vous de sacrifice, à moins que nous ne parlions le faux langage du monde. Vous n'avez qu'à louer Dieu d'une vocation si belle et si heureuse. Même selon la nature il n'y a point pour vous de sacrifice à faire, car à ce point de vue aussi ma vocation me donnera la paix et le bonheur.
Je me trouve toujours très heureux et bien portant et je ne puis assez me féliciter d'être à Rome où nous recevons un enseignement si solide et si savant. Mes études marchent bien. La philosophie m'a été une bonne préparation et je n'éprouve pas maintenant de grandes difficultés.
Dimanche prochain nous aurons une belle fête à Saint-Pierre, qui nous donnera déjà un avant-goût des fêtes du mois de juin. C'est une béatification, c'est-à-dire la proclamation solennelle du décret qui permet d'honorer comme bienheureux un saint religieux mort il y a quelques siècles. Il se nomme Benoît d'Urbin. Il sera canonisé avec plusieurs autres au mois de juin. Ces décrets ne sont portés qu'après de longs procès et quand on a des preuves très évidentes et sévèrement examinées de plusieurs miracles. Pour vous donner une idée de la sévérité de ces preuves, je vais vous conter une anecdote authentique. Un célèbre protestant anglais était venu à Rome; un prélat lui fit voir une liste de miracles avec leurs preuves, présentés pour la canonisation de St François Régis. «Si tous ceux que l'on reçoit dans l'Église romaine, répondit-il, étaient établis sur des preuves aussi évidentes, nous n'aurions aucune peine à y souscrire.» Eh bien, reprit le prélat, ces miracles qui vous paraissent si avérés et si bien appuyés, sont ceux qui n'ont pas été admis par la Congrégation des Rites, parce qu'ils n'ont pas paru suffisamment prouvés. Je vous conterai un peu cette fête dans ma prochaine lettre.
Écrivez-moi toujours régulièrement.
Dites-moi si Carrière ne se sent plus de sa maladie3.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
Envoyez-moi, s'il vous plaît, quelques timbres-poste français, parce que je n'en trouve pas facilement à Rome.
1 03.02.1867a1 1 Le voyage à Paris évoqué en LD 64 et prévu notamment pour une consultation médicale sur la santé de madame Dehon.
2 03.02.1867a1 2 Sur M. Évrard cf. LC 3 et 10. La lettre de Mr Dehaene est LC 26. Il s'agit toujours des fêtes du centenaire des Apôtres en juin 1867.
3 03.02.1867a1 3 Personnage pas autrement identifié.
216.01
B.18/8.1
Ms autogr. 3 p. (21 x 13)
Du P. Freyd à Mr Dehon
Rome, ce 8 février 1867
Monsieur,
Le vif et très affectueux intérêt que,le porte à votre excellent fils, notre élève, m'autorise à vous adresser ces quelques lignes qui, je l'espère, ne vous déplairont pas. Je tiens à vous remercier de la bonne lettre que vous venez d'écrire à votre bon Léon. Il est venu me la communiquer et j'ai partagé avec lui la joie que lui cause la certitude que son digne père a surmonté le chagrin occasionné par l'ordination de Noël.
Cette ordination, mon digne Mr Dehon, a été pour votre fils si pleine de grâces et de bonheur qu'il me serait impossible de vous en donner une idée juste. Son âme surabondait de consolation, heureuse au-delà de toute expression de s'être donnée à Dieu. Ce bonheur cependant était troublé ensuite par la lecture de la lettre que vous lui aviez adressée à cette époque. Il me vint les larmes aux yeux et me lut votre missive. je suis si heureux, me dit-il, et mon pauvre père souffre! et c'est ce qui fait mon bonheur qui fait sa peine! Oh! - s'il savait combien je suis heureux de m'être donné à Dieu, lui qui ne veut que mon bonheur, il ne s'attristerait plus!
J'ai consolé ce pauvre enfant, qui dans ses prières pour vous a cherché et trouvé le calme. Je pensais un instant vous écrire pour vous faire part de l'effet de votre lettre et vous suggérer la pensée de lui en envoyer une autre. J'en fus empêché et je vois maintenant que vous avez, par le seul mouvement de votre coeur paternel, fait ce dont je voulais vous prier.
Vous pouvez être sans crainte aucune pour l'avenir de notre bon abbé Léon. Il y a longtemps que je suis directeur de séminaire et je puis dire que je n'ai jamais rencontré une vocation plus solidement établie. Elle m'avait paru telle dès son entrée chez nous et à la fin de l'année scolaire 1866, j'aurais voulu pouvoir récompenser la grande piété, l'amour du travail et de la plus édifiante régularité de notre cher élève, en lui faisant donner la tonsure que recevaient ses autres confrères. Sachant cependant que votre désir était que Mr Léon revint en vacances avec l'habit laïque, j'ai différé son ordination, jugeant bien convenable qu'il fit en faveur de la volonté de son digne père le sacrifice demandé. Je dis sacrifïce, car c'en fut un véritable, mais qui a été fait généreusement par le fils en vue de la satisfaction qu'en éprouverait le père.
Sans doute, Monsieur, que rien ne pressait et que nous aurions pu attendre encore avec les ordinations. Néanmoins la vocation de ce cher ami étant on ne peut plus certaine et les condisciples ayant pris la première ordination depuis l'année dernière, puis aussi ne voulant priver plus longtemps cet élève, qui est un de nos meilleurs, des grâces vraies que confèrent les ordres, je l'ai fait avancer. La crainte de vous déplaire ne m'a point arrêté. Je me suis dit et j'ai dit à Mr Léon: «Si votre excellent père, qui n'agit que par affection pour vous, savait ce que je sais, il me dirait tout le premier: Faites avec mon fils ce que vous croyez bon devant Dieu».
Permettez-moi, bien cher Monsieur, d'ajouter à ces explications que nous regardons
votre fils comme l'enfant de la maison. Il a et il mérite toute notre affection. Pour moi, ma grande satisfaction est de penser qu'en lui votre diocèse aura un des prêtres les plus pieux et les plus capables, et sa famille un membre ecclésiastique qui lui fera le plus grand honneur.
Veuillez agréer et faire agréer à Mme Dehon le sentiments bien respectueux de votre
tout humble serviteur
M. Freyd - Supérieur
218.39
B18/9.2.39
Ms autogr. 2 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 12 Février 67
Chers parents,
Je vous envoie une lettre que mon vénéré supérieur m'a remise pour vous. Je lui ai dit confidentiellement que j'étais désolé de vous savoir tristes et chagrins. Je suppose qu'il vous explique que j'ai agi suivant la volonté de Dieu et que l'amour des enfants pour leurs parents ne fait que s'accroître quand ils suivent cette voie1.
Je rends grâce à Dieu de ce que ma chère mère ne souffre plus et j'espère qu'au mois de juillet nous pourrons être tout au bonheur d'être ensemble, sans avoir beaucoup besoin d'aller voir le médecin.
Votre dernière lettre m'a fait bien plaisir parce qu'elle n'était plus empreinte de cette fâcheuse inquiétude qu'exprimaient les précédentes. J'ai reçu aussi une bonne lettre de ce cher Mr Boute qui nous aime tous beaucoup2.
Nous avons eu dimanche une belle fête, la béatification du bienheureux Benoît d'Urbin. C'est un saint capucin qui vivait au commencement du 17ème siècle. Saint-Pierre était orné de tentures de soie et le chœur splendidement illuminé. Quatre grands tableaux représentaient les principaux miracles opérés par le bienheureux, authentiquement constatés par les autorités, les médecins et de nombreux témoins. Au fond du chœur, au centre d'une gloire rayonnante d'or et de lumières, était le portrait du saint. Après la lecture du décret devant le Sacré-Collège, on découvrit le portrait en entonnant le Te Deum; et le canon du fort Saint-Ange annonçait la fête à la ville. Il y eut ensuite messe solennelle et le soir le Saint-Père alla avec les cardinaux vénérer les reliques du bienheureux. Une telle fête marque combien Rome est peu inquiète et se préoccupe peu de la révolution.
Écrivez-moi bientôt. Dites-moi si Jules Lerouge a pu recevoir les sacrements avant de mourir3. Embrassez pour moi Henri, Laure et maman Dehon et la chère petite Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Cette belle lettre du P. Freyd à Mr Dehon mérite d'être reproduite (LV 1) comme intéressant la vie du P. Dehon à cette époque, même si elle ne lui est pas directement adressée et ne trouverait pas normalement place parmi les lettres de correspondants (LC).
2 Cf. LC 27.
3 Personnage pas autrement identifié.
218.40
B18/9.2.40
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 28 février 67
Chers parents,
J'attendais depuis quelques jours pour vous écrire parce que j'espérais recevoir de vos nouvelles de jour en jour. Voici trois semaines que je n'en ai pas reçu. C'est bien long. Il est probable que la poste aura égaré une lettre. Tâchez de ne pas attendre plus de 15 jours. J'espère que papa répondra aussi au supérieur du séminaire qui a eu l'amabilité de lui écrire1.
Je n'ai rien de bien important à vous apprendre, si ce n'est que je suis heureux et bien portant. Mon travail marche bien et je suis très content de cette première partie de l'année et je n'ai qu'à remercier Dieu du bonheur qu'il m'accorde.
Je serais heureux d'être auprès de vous comme Henri, mais ce n'est pas la volonté de Dieu. Je compense cela en priant souvent pour vous plusieurs fois par jour. C'est la meilleure manière dont je puisse vous témoigner mon affection.
Nous avons eu quelques jours de repos pour le carnaval. Ce matin j'ai fait une petite excursion avec Mr Poisson et Palustre et j'en ferai une autre après-demain pour toute la journée. Palustre va partir dans une dizaine de jours pour faire un voyage dans le sud de l'Italie, avec Mr de Laurière dont il a fait la connaissance à Paris; c'est un homme très aimable et très sérieux, veuf et déjà assez âgé. Je ne sais si Mr Poisson restera encore longtemps. Je les vois rarement. Je pourrais être plus souvent avec eux, mais je ne le veux pas, parce que mon travail en souffrirait et je serais trop distrait.
J'espère que vous avez reçu la lettre que je vous ai envoyée il y a quinze jours, avec une lettre du supérieur de la maison. J'ai écrit aussi récemment à l'abbé Palant2. Je n'ai reçu de nouvelles de personne sauf une carte de visite de Mr Dubois, receveur de l'enregistrement. Je lui ai renvoyé la mienne, quoique ce soit un peu tard, par politesse.
Rome est toujours aussi calme et même assez prospère. On y fait pas mal de travaux d'utilité publique. Le carnaval est très gai comme tous les ans et l'on peut constater que la révolution n'y a aucune force. Ils sont quelques centaines sur 200.000 habitants. Le Saint-Père est très rassuré sur l'avenir. Il est venu deux fois au Collège romain depuis quelque temps.
Une fois pour voir un instrument d'astronomie qui doit être envoyé à l'exposition, et une autre fois pour assister à la lecture d'un décret relatif à la béatification de 250 martyrs japonais, qui aura lieu au mois de juillet après les grandes fêtes.
Écrivez-moi régulièrement. Dites-moi si la santé de maman continue à s'améliorer. Donnez-moi l'adresse de Mme Lavisse3.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe et aussi mes parents du Nouvion, de Vervins et de Dorengt quand vous les verrez.
Mes respects à Mme Fiévet et au cousin Foucamprez4.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre fils qui vous chérit
L. Dehon
1 Mr Dehon répondra le 22 mars (cf. LV 2).
2 L'abbé Palant qualifié ailleurs de cousin (cf. LD 37, 41).
3 Madame Lavisse: Aline Longuet, sa cousine (cf. LD 9 note 8)
4 Le cousin Foucamprez: sans doute un fils d'Édouard Foucamprez, époux de Julie-Erminie-Clémence Dehon (décédée en 1863), lui-même mort en 1864.
218.41
B18/9.2.41
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 11 mars 1867
Chers parents,
Votre lettre a été bienvenue ce matin. C'était bien long d'être sans nouvelles du 6 février au 11 mars. Je n'ai pas reçu votre lettre du 18 février et cela tient probablement à l'excès de zèle de la poste française. J'ai prévenu le p. Supérieur pour qu'il ne s'étonne pas de ne pas recevoir de réponse1.
Du reste, tout va ici pour le mieux: nous travaillons tranquillement et avec beaucoup de zèle et nous avons une saison magnifique. Les supérieurs, qui ont un soin tout paternel de notre santé, m'ont dispensé d'une petite partie de l'abstinence prescrite, pour que le carême ne me fatigue pas. Les petites vacances des jours gras se sont passées fort tranquillement: je suis sorti deux fois avec Palustre et Mr Poisson. Le carnaval a été très animé comme les autres années.
Palustre part demain pour un voyage de 40 jours dans le midi de l'Italie. Mr Poisson ira bientôt passer quelques jours à Naples. J'avais d'abord projeté d'y aller avec lui aux vacances de Pâques, mais j'y ai renoncé pour cette année. Ce sera pour une autre occasion.
Je suis heureux que vous soyez tous en bonne santé. Ma chère mère continue à bien aller. Sa guérison est probablement une grâce que Dieu lui a accordée comme marque de sa volonté à mon égard. Il faut en tenir compte et rendre grâces à Dieu. J'espère que l'indisposition de maman Dehon n'aura pas de suites. Donnez-moi des nouvelles dans votre prochaine lettre. Rappelez-moi les choses les plus importantes que contenait la lettre perdue. Avez-vous fait quelqu'une des acquisitions de propriétés que vous aviez en vue au commencement de l'année, et les affaires de Mme Tilorier sont-elles terminées? La commune a-t-elle enfin pris possession de la maison de Dépernay pour agrandir les écoles? Avez-vous un pensionnat de jeunes filles convenable?
J'ai reçu dernièrement une lettre de l'abbé Palant. Elle s'est croisée avec celle que je lui ai écrite. Il doit s'embarquer à Marseille à la fin du mois et il reviendra par Rome au mois de juin. Je verrai alors très probablement plusieurs personnes de connaissance, Mr Dehaene, Mr Demiselle peut-être avec Mgr Dours, et sans doute d'autres encore.
Je serai très heureux de recevoir une lettre d'Henri et de Laure et une de Lavisse. J'aurais déjà répondu à Aline si j'avais eu son adresse.
Le temps passe, comme vous voyez, très rapidement, l'année est déjà plus d'à moitié et voilà que j'ai 24 ans. Le mois de juillet viendra bien vite, et nous aurons encore le bonheur d'être ensemble pour trois mois. Ces vacances seront meilleures encore que celles de l'année dernière et des années précédentes, parce que nous serons tous satisfaits d'avoir suivi la volonté de Dieu et il n'y aura plus entre nous aucun motif d'inquiétude, de doute, de divergence d'opinion, mais un plus grand épanchement et une plus grande liberté. Remercions bien Dieu de ce bonheur et reconnaissons que le vrai moyen d'être heureux, c'est de marcher selon ses voies. Nous allons avoir deux belles fêtes, St Joseph et l'Annonciation, prions beaucoup ces jours-là les uns pour les autres. St Joseph est le patron des familles chrétiennes. Et si papa désire me faire plaisir, qu'il m'écrive qu'il va à la messe tous les dimanches quand il le peut. Je deviens sermonneur, n'est-ce pas, mais en somme, la meilleure marque d'affection que je puisse vous donner, c'est de m'intéresser beaucoup à votre salut éternel. Nous nous affligeons d'être séparés pour quelques mois, comment n'aurions-nous pas à cœur de faire ce qui est nécessaire pour être réunis pendant toute l'éternité2?
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, puis Marthe.
Je vous embrasse bien tendrement.
Votre dévoué fils
L. Dehon
Nous aurons plus rarement l'occasion de profiter de la poste française, parce que la légion française vient d'être privée de ce privilège.
1 La réponse à sa lettre du 8 février (LV 1), réponse qui sera envoyée le 22 mars (LV 2).
2 Ce sera la grande préoccupation de Léon en cette période de carême et du temps pascal, cf. LD 69 et 71.
626.01
B.36/2a.1
Copie dactyl authentifiée Ms aux Arch. Santé Chiara
De Mr Dehon au P. Freyd
La Capelle le 22 mars 1867
Monsieur le Directeur,
Aussitôt que j'eus reçu la lettre que vous me fîtes l'honneur de m'écrire, je m'empressai d'y répondre et aujourd'hui mon fils m'apprend qu'elle ne lui est pas parvenue. Permettez-moi, Monsieur, de venir vous remercier de votre bonne lettre, merci aussi de tout l'attachement que vous prodiguez à mon bon Léon.
Vous avez su la grande douleur que j'ai éprouvée en apprenant son ordination; je voulais attendre encore, dans la crainte que mon fils ne vînt à avoir des regrets. Cette seule pensée trouble mon repos, espérons avec vous, Monsieur, qu'il n'en sera pas ainsi. Je désire que Léon ne prenne les ordres supérieurs que le plus tard possible et après une décision prise en famille. Vous comprendrez toutes nos appréhensions et vous engagerez Léon, j'en ai la certitude, à ne pas se trop presser.
Nous avons quelque inquiétude sur sa santé, nous craignons que son ardeur au travail ne l'entraîne un peu loin, nous vous prions, sa mère et moi, de le forcer à prendre une nourriture confortable.
Recevez, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma bien haute considération.
Monsieur le Directeur du Séminaire.
L. Dehon
218.42
B18/9.2.42
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À son père
Rome 6 avril 67
Cher père,
C'est à toi que j'écris aujourd'hui pour te souhaiter une bonne fête et t'engager à te mettre sous la protection de Saint Jules. Nos patrons nous obtiennent de Dieu de grandes grâces quand nous les invoquons, et le tien sera d'autant plus généreux que tu ne l'importunes pas souvent. Ce saint pontife vivait au 4ème siècle: il triompha par son énergie et par sa sainteté de l'hérésie arienne, protégée par l'empereur d'Orient. Je lui adresse une neuvaine de prières pour qu'il t'obtienne les faveurs de Dieu.
J'ai appris avec beaucoup de peine la mort de mon oncle Vandelet que j'aimais beaucoup. Un grand motif de consolation, c'est qu'il est mort chrétiennement. Nous pouvons prier avec confiance pour lui obtenir la diminution des peines sans doute fort longues qu'il aura à subir au purgatoire, parce qu'il a négligé longtemps la pratique de ses devoirs religieux. Il était assez excusable parce qu'il avait reçu une éducation peu chrétienne à l'époque de la révolution, et Dieu lui a accordé la grâce de se convertir au dernier moment. Ceux qui connaissant bien leurs devoirs les négligeraient seulement par faiblesse ne pourraient pas espérer la même miséricorde1.
Je compte que tu te mettras en règle cette année pour la communion pascale. Tu peux la faire à Vervins avec ton beau-frère2.
Le supérieur du séminaire me charge de te remercier de ta bonne lettre qui lui a fait bien plaisir. Je lui ai demandé quelle était son intention relativement aux ordres qui me restent à recevoir. Il m'a répondu qu'il ne pouvait suivre pour cette détermination les convenances humaines, il décidera la chose devant Dieu et pour le plus grand bien de mon âme3.
Maintenant du reste que vous avez accepté ma vocation et que la réalisation en est commencée, il n'y a plus qu'à suivre la marche que le bon Dieu nous indique par nos sages directeurs. Selon les règles ordinaires, je devrais recevoir le sous-diaconat à la Trinité prochaine, le diaconat l'année suivante et une autre année suivante la prêtrise. Quand le père supérieur jugera à propos de m'appeler au sous-diaconat, je me conformerai à sa décision, et je vous préviendrai au moins quelques semaines à l'avance, pour que vous puissiez prier plus spécialement pour moi en cette circonstance. Ce sera pour moi une bien plus grande dignité que si j'étais fait sous-lieutenant dans l'armée ou sous-préfet dans l'administration, et vous en serez très heureux et très honorés.
J'aurai besoin d'argent à la fin du mois pour payer le dernier trimestre. Il me faudra au moins 700 francs pour le reste de l'année, à savoir 240 francs pour le trimestre, 250 environ pour le voyage d'ici à Paris et une centaine pour des vêtements neufs dont j'ai grand besoin et une centaine pour les menues dépenses. Vous pourriez m'envoyer seulement 500 francs à la fin de ce mois et 200 dans trois mois. Adressez la somme au P. Peureux, rue des Postes, 30, à Paris, et je la ferai venir par occasion ou par une traite.
Mr Poisson est encore ici, il vous présente ses respects. Palustre est dans le royaume de Naples, il reviendra à Rome pour Pâques. J'ai écrit il y a quelques jours à Mme Lavisse.
Embrasse pour moi ma chère mère et dis-lui que je pense toute la journée à elle comme à toi. Embrasse aussi pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je t'embrasse de tout cœur.
Ton dévoué fils
L. Dehon
1 Il doit s'agir de Jean-Baptiste Vandelet, grand-oncle maternel de Léon, né en 1795, notaire à Étreux, qui signe au mariage des parents de Léon.
2 Le beau-frère Félix Penant, époux de Juliette-Augustine Vandelet, habitait Fontaines-les-Vervins; cf. LD 13, 14, 43.
3 Cf. la réponse de Mr Dehon au P. Freyd (LV 2).
218.43
B18/9.2.43
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 22 avril 67
Chers parents,
Bien que j'attende une lettre de vous très prochainement, je ne veux pas tarder davantage à vous écrire de peur que l'intervalle ne vous paraisse trop long. Je n'ai du reste que de bonnes nouvelles à vous donner. Après les belles fêtes de la Semaine sainte, qui ont été cette année plus solennelles que jamais, nous avons une semaine de vacances pour nous reposer avant d'entreprendre le dernier trimestre. Je ne ferai qu'une petite excursion aux environs de Rome. Du reste, il n'y a pas à Naples les dangers que vous pensez. Palustre en arrive il y a deux jours et Mr Poisson va y aller cette semaine. Ils ne sont plus pour longtemps ici. Palustre partira pour Paris dans huit jours et Mr Poisson au commencement du mois prochain.
Il y a en ce moment 80.000 étrangers à Rome. Que sera-ce pour les fêtes du mois de juin! Presque tous les évêques français s'y trouveront. Il y en a 7 qui ont retenu une chambre au séminaire français. Je pense que Mgr Dours viendra. J'ai reçu aujourd'hui de ses nouvelles par Mr Demiselle qui m'a écrit une charmante lettre. Il me dit qu'il ira probablement au mois de juillet à La Capelle1.
Les desseins de la providence sont merveilleux. Il y a quelques mois, le sort paraissait désespéré. Maintenant au contraire, Rome se prépare en paix à des fêtes splendides et la France de son côté craint la guerre.
Prions pour qu'elle puisse l'éviter, et espérons que notre pays n'aura pas à souffrir2. Notre travail se continuera en paix sauf les quelques jours de fête du mois de juin et je serai à vous au mois de juillet. Je tâcherai de quitter Rome un peu plus tôt que l'année dernière, et j'espère que nous passerons ensemble de bien bonnes vacances.
Je ne vous décris pas les fêtes de Pâques. Je vous en ai donné une idée l'an dernier et peut-être pourrez-vous y assister l'an prochain ou dans deux ans. La cérémonie la plus solennelle est cette bénédiction que donne le Saint-Père avec une voix si sonore et un accent si pieux à la foule des pèlerins recueillis et émus. Tous ceux y assistent en sont profondément impressionnés, même les gens irréligieux.
Nous avons un printemps superbe et je me porte à merveille. Je compte voir quelques personnes de connaissance au mois de juin. J'ai écrit il y a une douzaine de jours à ma tante Vandelet du Nouvion une lettre de condoléances bien sincère et bien cordiale3. Présentez mes respects à Mme Fiévet.
Embrassez pour moi nos parents que vous voyez le plus souvent et tout particulièrement Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Écrivez-moi souvent.
Je vous embrasse bien tendrement comme je vous aime.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Cf. LC 28.
2 Grande tension internationale depuis 1866: alliance italo-prussienne (avril 1866); convention franco-autrichienne sur la Vénétie (juin 1866); bataille de Sadowa (juillet 1866); préliminaires austro-prussiens (en juillet), puis les États d'Allemagne du sud (août); conférence de Londres (mai 1867)… Cf. lettre de Mr Demiselle LC 28.
3 Pour la mort de son mari (cf. LD 69).
218.44
B18/9.2.44
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À son père
Rome 2 mai 1867
Mon cher père,
Ta lettre exprime de bons sentiments religieux, et elle m'a fait bien plaisir. Tu reconnais la nécessité de bien prier et tu remets à faire tes pâques seulement parce que tu t'en crois indigne. Que ce ne soit pas cela qui t'arrête. Le sacrement de pénitence est un remède, comme l'a dit Notre-Seigneur, il est donc fait pour ceux qui sont malades plutôt que pour ceux qui sont bien portants. Tu désires vivement que j'attende encore pour recevoir le sous-diaconat. Mon directeur avait décidé que je le recevrais à la Trinité, et c'est aussi l'avis de Mgr Dours. Cependant mon supérieur me permet de retarder jusqu'à Noël pour te faire plaisir. Tu comprends quel immense sacrifice c'est pour moi, de quelle dignité, de quelle abondance de grâce, de quelle force je me prive. Mais je désire avant tout voir disparaître cette tristesse à laquelle tu te laisses aller sans motif.
J'aurais bien le droit de demander que tu fasses aussi un petit sacrifice, non pas tant dans mon intérêt que dans le tien, pour que tu retrouves cette paix de la conscience, qui est la source de toute joie et de tout bonheur, comme tu l'as ressenti toi-même. Mais je ne veux pas t'imposer cela comme condition. J'aime mieux que tu le fasses de bien bon cœur, en donnant bien généreusement à Dieu le peu qu'il demande de toi. La loi de Dieu n'est pas bien lourde: «Goûtez et voyez, dit l'Écriture, combien le Seigneur est doux»; et Notre-Seigneur a dit: «Mon joug est doux et mon fardeau léger.» Tu sais et tu as senti toi-même quelle joie intérieure et quelle tranquillité on trouve quand on a sa conscience en règle. Fais cela dans ton propre intérêt, c'est facile et tu seras bien heureux après.
Je ne puis pas encore fixer l'époque de mon retour. Il faut attendre que les cours soient à peu près finis. J'espère que n'aurons pas à Paris de trop grandes chaleurs. Je pourrai du reste retourner par terre. C'est maintenant aussi rapide que par mer, grâce à l'ouverture de nouveaux chemins de fer.
Palustre est parti hier pour Paris; il va aller passer un ou deux mois dans sa famille; il sera à Paris pendant le mois de juillet, et il ira passer quelques jours à La Capelle pendant les vacances. Mr Poisson est maintenant à Naples. Il partira dans huit jours pour Paris, par Florence et Venise.
Le jour même où j'ai reçu votre lettre, l'économe de la maison m'a remis ici 500 francs, sans aucun frais. Je lui ai laissé 240 francs pour le dernier trimestre.
Notre travail est repris depuis trois jours. Les vacances de Pâques se sont bien passées. J'ai fait deux charmantes excursions de deux jours chacune avec Palustre. Cela fait une utile diversion aux études. Je n'ai pas, comme les collégiens, le bonheur de vous voir à Pâques, mais en revanche j'aurai de plus longues vacances qu'eux.
Embrasse pour moi ma chère mère et remercie Dieu avec elle de ce qu'il donne à vos enfants le bonheur et la santé.
Embrasse aussi pour moi maman Dehon. Je t'embrasse de tout cœur et j'attends de toi prochainement une lettre bien bonne et bien gaie.
Ton dévoué fils
L. Dehon
218.45
B18/9.2.45
Ms autogr. 2 p. (21 x 13)
À son frère Henri
(Sans date1)
Mon cher Henri,
Puisque tu es souffrant, c'est une raison pour moi de t'écrire au moins une petite lettre. J'espère que l'abcès qui te tourmentait n'aura pas survécu à son ouverture. Si j'avais été là, je t'aurais tenu compagnie pendant que tu gardais la chambre. Fort heureusement Marthe était guérie et elle pouvait te distraire en jouant près de toi.
J'ai reçu hier une lettre de ta belle-sœur. Elle m'a écrit du Nouvion. Elle m'invite à aller la voir à Versailles où elle est, je crois, très heureuse. Elle a dû laisser un grand vide au Nouvion en emmenant Gaston. Tu seras obligé d'y laisser Marthe de temps en temps pour distraire mon oncle et ma tante qui aiment beaucoup les enfants1.
J'espère que pour ta convalescence tu auras une magnifique saison comme nous l'avons ici. La chaleur est déjà bien lourde dans les petites excursions que j'ai faites la semaine dernière avec Palustre. Nous avons contourné les petits lacs frais et délicieux que forment les anciens cratères des monts Albains et nous sommes allés avec une immense foule de pèlerins à la fête séculaire de la Madone du Bon Conseil. C'était très touchant de voir arriver et partir les groupes des villages de tout le centre de l'Italie qui venaient recevoir les sacrements, et chantaient pieusement les litanies en gravissant les montagnes de cette pittoresque province. La foi est bien plus vive ici que dans notre pays.
Embrasse pour moi Laure et Marthe, et écris-moi quelquefois.
Je t'embrasse de tout cœur.
Ton dévoué frère
L. Dehon
1 Cette lettre non datée adressée à son frère Henri, à La Capelle, était certainement jointe à la lettre du 2 mai à son père. C'est ce que l'on doit déduire de l'allusion aux deux petites excursions faites alors avec Palustre pendant les vacances de Pâques (cf. LD 71) «la semaine dernière» (LD 72). En mai, la chaleur peut déjà être un peu «lourde».
2 La belle-sœur d'Henri: Aline Longuet (épouse de Lavisse en secondes noces). Gaston est l'enfant de son premier mariage avec Gaston Née.
218.46
B.18/9.2.46
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
A ses parents
Rome 20 mai 1867
Chers parents,
Bien que j'attende de vous une lettre de jour en jour, je ne puis remettre d'avantage à vous écrire. je n'ai du reste rien de bien saillant à vous dire. je n'ai reçu aucune lettre depuis quinze jours et j'ai été occupé uniquement de mon travail. Le temps passe rapidement et nous aurons bientôt le bonheur de nous retrouver ensemble. Je ne pourrai pas avancer mon retour autant que je le désirerais, parce que, si je ne suis pas fatigué, je prendrai part probablement à quelques-uns des concours du mois de juillet.
je n'ai plus maintenant de connaissance à Rome en dehors du séminaire. Palustre est déjà à Paris et Mr Poisson est parti il y a quelques jours pour visiter le nord de l'Italie.
On continue à préparer les fêtes du mois de juin. On couvre Saint-Pierre de tentures et de décorations. Ce sera pour nous bien imposant et bien solennel d'assister à cette réunion de plusieurs centaines d'évêques; mais ce ne sera pas pour les étrangers un moment favorable pour voir Rome. La foule sera trop grande, et les chaleurs trop fatigantes. Il règne une très grande activité dans la ville pour les préparatifs. Le peuple espère profiter de ces fêtes comme à Paris on profite de l'exposition. La municipalité fait ouvrir et réparer plusieurs rues et construire un pont supplémentaire, sur le Tibre. Les évêques commencent à arriver.
Ces fêtes et notre projet de réunion à Paris auraient pu être entravés par la guerre. Grâce à Dieu elle n'aura pas lieu1. On a fait ici des prières ferventes pour la paix, il y a aussi en ce moment des prières publiques pour demander à Dieu les lumières dont l'Eglise à besoin pour prononcer avec infaillibilité les canonisations qui auront lieu le mois prochain. Parmi les bienheureux qui seront élevés au nombre des saints, il y aura la bienheureuse Germaine Cousin, simple bergère du diocèse de Toulouse. Le dernier français qui a été béatifié était Benoît Labre, un pauvre mendiant. Parce qu'ils ont méprisé les grandeurs humaines, Dieu les glorifie d'un façon bien plus sublime2.
Je reçois à l'instant une lettre de Mr Dehaene qui m'annonce qu'il arrivera à Rome vers le milieu du mois prochain avec MM. Masselis et du Villiers; l'un aumônier des Ursulines de Gravelines et l'autre, doyen de St. Jean-Baptiste à Dunkerque. Je tâcherai de leur être aussi utile que possible3.
Mr Boute va bien et promet d'aller nous voir aux vacances à La Capelle.
Je suppose que c'est une grande photographie et non pas un simple portrait-carte que désire ma tante Juliette. Dites-le-moi prochainement.
Ecrivez-moi sans retard.
Je vous embrasse bien tendrement et vous prie d'embrasser pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe. Je serai bien heureux de les revoir tous.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 F LD 70 (note 2). La guerre, comme on sait, devait avoir lieu en 1870.
2 Germaine Cousin, de Pibrac (1579-1601), née infirme. Simple bergère, méprisée pendant sa vie, elle fut vénérée dès sa mort, béatifiée en 1854 et canonisée le 29 juin 1867. Benoît Joseph Labre (1748-1783): après plusieurs tentatives de vie monastique, se fit «vagabond de Dieu», dans la pauvreté et vivant d'aumônes. Sa mort à Rome fut suivie de nombreux miracles. Il fut béatifié en 1861 et canonisé en 1881.
3 Lettre non conservée.
218.47
B18/9.2.47
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 6 juin 1867
Chers parents,
Nous continuons tranquillement nos travaux pendant que les étrangers arrivent pour les fêtes. Il y a déjà plus de soixante évêques et on en attend environ cinq cents. Nous n'avons encore au séminaire français que Mgr Plantier de Nîmes. Mgr Dupanloup est souvent à la campagne dans une villa du prince Borghèse, et je n'ai pas encore pu le voir. J'attends Mgr Dours prochainement.
J'ai reçu hier la visite d'un prêtre qui arrive de Palestine, chargé par Mr Palant de me dire qu'il ne passerait pas par Rome. Il est très fatigué et va rentrer directement par Marseille. Il a été assez gravement malade à Jérusalem.
Nous avons ici un été très chaud. Il n'a presque pas plu depuis trois mois. Le climat sera fatigant pour les étrangers qui viendront aux fêtes.
Si vous croyez que le moment le plus favorable pour aller à Paris soit le mois de juin, vous pourriez y aller sans moi, bien que cela retarderait de quelques jours notre réunion. Mes travaux et les concours ne me laisseront libre qu'à la fin de juillet. Il me sera donc absolument impossible d'être au commencement de juillet à Paris. Quant au logement, je ne puis guère m'en occuper d'ici, et je n'en vois pas d'autre que l'hôtel. Cependant Palustre pourra, je crois, m'offrir un petit lit comme il l'a fait à mon passage au mois d'octobre.
J'ai reçu il y a quelques jours une lettre de Mr Clavel. Il m'annonce qu'Henri et Laure sont allés à Paris. J'espère qu'à leur retour ils m'écriront leurs impressions sur l'exposition.
Ma tante Dehon et Marie promettront sans doute encore d'aller dans la famille, mais on ne peut guère compter sur leurs promesses.
Siméon ne m'a pas écrit depuis longtemps. Palustre est maintenant chez son frère, il rentrera à Paris vers la fin de juillet.
Je suis fort occupé ces jours-ci, j'ai à préparer une argumentation publique en théologie pour le 12. Les fêtes nous donneront un peu de repos. Du reste je me porte fort bien. Je voudrais concilier la régularité de mes études avec le désir que j'ai de vous voir bientôt. Mais ce n'est pas possible. Il faut se résigner à attendre la fin de juillet. Du reste je ferai le trajet aussi rapidement que possible. On pourrait à la rigueur ne mettre que 60 heures par le chemin de fer, mais c'est un peu effrayant d'avoir à passer deux jours et trois nuits sans descendre de chemin de fer. Je m'arrêterai donc probablement une nuit à Turin pour me reposer.
Écrivez-moi régulièrement.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon, et faites mes compliments à Mme Fiévet et au cousin Foucamprez, remerciez Mr Clavel de son aimable lettre.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
218.48
B18/9.2.48
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 20 juin 67
Chers parents,
C'est aujourd'hui qu'a commencé la série des belles fêtes que nous allons avoir pendant trois semaines. Nous avons eu ce matin la belle procession du Saint-Sacrement sur la place Saint-Pierre décorée de tentures et remplie d'étrangers. Après tous les ordres religieux et le clergé des basiliques venaient trois cents évêques de toutes les parties du monde pour escorter le Saint-Sacrement. Les évêques et les patriarches des rites orientaux avec leurs riches costumes sont une marque frappante de l'unité de l'Église et nous font espérer le retour de ceux de ces peuples qui sont encore schismatiques. Le Saint-Père portait le Saint-Sacrement sur sa Sedia. Il était sublime de piété et de dignité1.
Les étrangers affluent à Rome. Le clergé français y est le plus nombreux. Mgr Dours n'est pas encore arrivé. Dans quelques jours nous aurons la reine d'Espagne. Grâce à Dieu, depuis huit jours nous avons eu quelques pluies et le temps est très frais pour la saison. C'est très heureux pour les étrangers. Il n'est pas du tout question de maladies et j'espère que les journaux vous ont déjà rassurés sur ce point. Le projet de voyage de Pie IX à Paris me paraît être une pure invention des journaux de Paris. Il sera trop fatigué pour voyager et il a des occupations plus sérieuses. Du reste, bien qu'il approuve l'exposition en elle-même en tant qu'elle a pour but le progrès des arts et de l'industrie, il reconnaît qu'en fait elle aura surtout pour résultat d'exciter dans les esprits la passion du luxe et de la richesse et d'éblouir les hommes de notre temps déjà trop portés au matérialisme.
Les fêtes dureront jusqu'au 6 juillet. Les concours du Collège romain auront lieu du 10 au 30. Je compte prendre part à deux ou trois concours, aussi je ne puis encore vous fixer l'époque de mon retour2. Ce sera pour vous un petit sacrifice de ne pas voir les souverains étrangers qui sont maintenant à Paris. Mais nous aurons le bonheur d'être ensemble et en somme on paie bien cher le plaisir d'apercevoir un souverain par l'ennui des cohues qu'occasionne leur passage. Il faudra faire en sorte de nous loger ensemble. Je ne suis pas fatigué des chaleurs et je me porte encore mieux cette année que l'année dernière. Mon argumentation de théologie s'est bien passée. Ce n'était pas du reste très important.
Je tâcherai de m'acquitter de la commission de ma tante Juliette, bien qu'elle ne soit pas facile. Je crains que les prix ne soient un peu plus chers cette année à cause de l'affluence des étrangers.
Mr Dehaene est à Rome depuis plusieurs jours et je n'ai pas encore pu le rencontrer, bien que nous ayons fait plusieurs démarches pour nous voir.
Demain c'est la fête de St Louis de Gonzague, le patron du Collège romain. Il étudiait sur les mêmes bancs que nous et son glorieux tombeau est dans l'église du Collège, richement orné par les dons des familles qui l'invoquent pour leurs enfants. Les quinze cents élèves du Collège romain recevront la communion de la main d'un cardinal.
Je ne tarderai pas beaucoup à vous écrire.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe. Mes compliments au cousin Foucamprez.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Les fêtes ont commencé le jour de la Fête-Dieu (Corpus Christi) cf. NHV V, 109-110.
2 Sur ces concours cf. NHV V, 111.
218.49
B18/9.2.49
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 30 juin 67
Chers parents,
Nous sommes au milieu des fêtes les plus brillantes et les plus imposantes. Chaque jour a quelque solennité nouvelle, ce sont des consistoires, des allocutions du St-Père, des séances littéraires dans les universités, des illuminations de Saint-Pierre, du Colysée aux feux de bengale, etc. etc.
Mais c'était hier un jour exceptionnel. On fêtait principalement l'anniversaire séculaire du martyre de saint Pierre. Cinq cents évêques de toutes les parties du monde représentant le clergé et les fidèles de leurs diocèses sont venus se jeter aux pieds du successeur de saint Pierre. Quelle admirable unité de foi et de charité! Quelle belle protestation contre les impies qui reprochent à l'Église de n'avoir plus de vie! En même temps, 25 nouveaux saints étaient canonisés. Leurs bannières furent portées en procession sur la place St-Pierre, puis après la lecture du décret de canonisation, le Saint-Père entonna le Te Deum dans la basilique de Saint-Pierre splendidement ornée et illuminée, au milieu d'une foule incalculable. Le Saint-Père officia ensuite et à l'offertoire, 400 voix divisées en trois chœurs se répondaient dans la basilique, sur le portique, dans la coupole et près de l'autel, en chantant le Tu es Petrus, «tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle…». Ces fêtes parlent au cœur et ont un cachet religieux qu'on ne trouve qu'à Rome. Il s'est dit hier, à Saint-Pierre même, plusieurs centaines de messes. Quelle puissance n'auront pas auprès de Dieu tant de prières pour le triomphe de l'Église!
Aujourd'hui, c'était à Saint-Paul qu'était la solennité, dans cette basilique toute brillante de marbres précieux, d'albâtre d'Égypte et de malachite de Russie. Les fêtes vont se succéder encore pendant huit jours, puis Rome retrouvera son calme qui lui sied si bien. Je compte rester au travail jusque vers le 29, pour prendre part à plusieurs concours. J'aurai besoin pour mon retour de 500 francs environ et il me faudra en outre cent francs pour le camée que je dois acheter1. Je vous indiquerai dans ma prochaine lettre le moyen le plus commode de m'envoyer cela.
J'ai vu plusieurs fois Mgr Dours. Aujourd'hui même j'ai causé assez longtemps avec lui et je l'ai trouvé fort aimable. Il va partir très prochainement. J'ai vu aussi plusieurs fois Mr Dehaene et j'ai fait une promenade avec lui aux catacombes2. Il m'assure que Mr Boute nous donnera quelques jours ces vacances. Je n'ai pas vu d'autres personnes de connaissance.
J'ai reçu des nouvelles de Palustre qui est aux eaux de Vals en Auvergne. Il sera à Paris du 1er au quinze juillet, puis il ira dans sa famille jusqu'au mois de septembre.
Grâce à Dieu nous avons ici une chaleur bien tempérée et je suis très bien portant. Aussi j'espère compléter sans peine mon année de travail. Dans un mois environ, nous aurons le bonheur d'être ensemble. Je ferai le voyage en quatre jours pour ne passer qu'une nuit en chemin de fer.
Peut-être pourrons-nous profiter de l'appartement de Palustre. J'espère qu'il aura la pensée de me l'offrir dans sa prochaine lettre.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
Je prie souvent pour vous et pour nos parents qui sont au purgatoire pendant ces jours de fêtes où nous sommes comblés de grâces et d'indulgences.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Sans doute la commission de tante Juliette dont il est question en LD 75.
2 Sur ce voyage de Mr Dehaene à Rome, cf. Lemire: «L'abbé Dehaene et la Flandre» (pp. 165-172). Léon Dehon l'accompagna aussi dans ses visites aux professeurs du Collège romain. À propos du P. Franzelin, Mr Dehaene note: «M. Dehon qui m'accompagne le regarde comme le plus savant de tous» (p. 169).
218.50
B18/9.2.50
Ms autogr. 2 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 20 juillet 67
Chers parents,
Je suis encore très occupé. Nous avons eu déjà trois concours et il n'y en a plus que deux à faire, l'un le 23 et l'autre le 29. Je compte partir dans la soirée du 29 avec l'abbé Bernard de Lille. Nous ferons la route rapidement. J'espère être à Paris le 1er ou au plus tard le 2. Vous pouvez donc y aller dès le 29 ou le 30. Vous descendrez chez Palustre. Il m'a écrit qu'il mettait son appartement à ma disposition. Vous pouvez écrire d'avance au portier de le tenir prêt. Vous ferez monter pour moi le petit lit de fer qui est dans l'alcôve, soit dans l'alcôve même, en écartant les habits qui y sont pendus, pour quelques jours, soit dans un autre coin.
Faites en sorte de ne pas arriver beaucoup avant moi, parce que j'aurai aussi pas mal de courses et de visites à faire.
J'attends prochainement une lettre chargée. Encore quelques jours et nous aurons le bonheur d'être ensemble. Je le désire bien vivement et cependant, comme je suis fort occupé, le temps ne me paraît pas très long. Je me porte bien, bien qu'il fasse très chaud depuis quelques jours.
À bientôt, embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
629.03
B36/2.d.3
Photocopie Ms Santa Chiara
Le P. Freyd annote: répondu ce 8 sept. 671.
Au P. Fryed
(La Capelle, Aisne) 21 août
Très révérend père,
J'apprends par les journaux que le choléra sévit à Rome. J'espère que le bon Dieu préservera le séminaire de Sainte-Claire, et que la rentrée prochaine ne sera pas entravée par les craintes des familles. Depuis que je vous ai quitté, ma pensée est partagée entre la joie d'avoir retrouvé le repos, la famille, la patrie et la tristesse d'être séparé de vous, de la règle, de la direction, de la solitude, du travail. Vivre un peu au milieu du monde est bien pénible pour une âme qui a goûté la douceur du recueillement, mais on en peut tirer une utile leçon en voyant ce qu'est le monde. Que de faiblesse, d'ignorance, de corruption!
J'ai fait la route de Rome à Paris en trois jours avec Mr Bernard, sans incident notable. J'ai commencé dès lors à dire le bréviaire et je n'ai pas manqué depuis à le réciter tant bien que mal. Mes parents avaient été retardés par une indisposition de ma mère et au lieu de me devancer, ils n'arrivèrent à Paris que vingt-quatre heures après moi. Je les attendais à la gare. Mon père fut un peu ému, mais le laissa à peine voir et dès le lendemain il en avait pris son parti, demandant seulement que ma tenue ecclésiastique soit soignée.
J'ai visité avec lui l'exposition pendant une douzaine de jours. Les tendances de notre temps y sont bien représentées: le luxe et bien-être matériel absorbent la meilleure part de l'intelligence et du travail. Pendant mon séjour à Paris, j'avais toute liberté le matin de remplir assez exactement mes exercices de piété. J'ai passé une charmante journée avec le p. Eschbach et Mr Roserot à Chevilly. Quelle délicieuse solitude et comme la paix et la joie y règnent! J'ai revu avec bonheur Mr Meillorat, Mr Cognard et Mr Brunetti2.
Depuis que je suis à la campagne, j'ai habitué ma famille et le pays à me voir en ecclésiastique. J'assiste aux offices en surplis. Mon père ne s'opposera plus à rien, il est déjà presque heureux de me voir suivre cette carrière, non pas qu'il la comprenne, mais son amour-propre est flatté de ce que les badauds du pays, qui ne conçoivent pas le désintéressement, lui prédisent pour son fils de brillants honneurs et tout au moins une mitre. Le monde me répugne de plus en plus quand j'entends ces ridicules compliments. Je suis assez tranquille pour mes exercices de piété. Cependant je suis nécessairement plus distrait que dans notre cher séminaire et je suis privé de la douceur qu'offre la dévotion dans le calme et la régularité, mais c'est la volonté de Dieu que je sois en vacances et j'espère, avec le secours de Dieu et l'aide de vos prières les passer sans fautes graves.
Veuillez offrir mes affectueux respects au R.P. Brichet et au R.P. Daum et me rappeler au souvenir de mes chers condisciples M. Le Tallec, M. Humbrecht et M. Duponchel3.
Mes parents vous présentent leurs respects. Permettez-moi de vous embrasser en fils dévoué et reconnaissant.
L. Dehon
La Capelle (Aisne) 21 août.
1 Réponse du P. Freyd LC 29.
2 Chevilly-la-Rue: maison des PP. du Saint-Esprit aux environs de Paris. Le P. Eschbach était directeur et répétiteur au séminaire. Il succéda au P. Freyd après sa mort en 1875 (cf. NHV IV, 140). Le P. Dehon le consulta en 1876 sur sa vocation (NHV XII, 156-157), puis en 1879 sur le 4ème vœu de victime (NHV XIV, 105) et en 1887, pour l'approbation de l'Institut (NHV XV, 66). MM. Roserot, Cognard devaient entrer chez les PP. du Saint-Esprit (NHV IV, 147-148); M. Brunetti, de la Savoie, devint plus tard économe du séminaire (NHV IV, 123).
3 Le P. Brichet, économe du séminaire (NHV IV, 139; VI, 137). Le P. Daum: directeur et répétiteur (NHV IV, 140; XI, 17). Le P. Dehon le consulta en 1883 au moment des difficultés à Rome (NHV XIV, 103; XV, 18). MM. Le Tallec et Duponchel devenus plus tard jésuites (NHV IX, 164). Le Tallec fut un des premiers membres de l'œuvre Sainte-Catherine fondée en 1867 au séminaire (NHV V, 108, cf. aussi NHV IV, 143-144; IX, 164). Deux lettres de Le Tallec LC 39 et 51.
629.04
B36/2.d.4
Photocopie Ms Santa Chiara
Le P. Freyd annote: répondu ce 26 7bre 67.
Au P. Fryed
(La Capelle, Aisne, 20 sept. 67)
Très révérend père,
Je vous ai écrit il y a un mois et je crains que ma lettre ne vous soit pas parvenue1. Nous voici déjà aux deux tiers des vacances, et je les vois s'écouler sans regret. J'avais besoin de repos et je me fortifie sensiblement, mais je sens combien il est difficile de mener au milieu du monde une vie recueillie en Dieu. Je ne manque jamais à l'oraison, à l'office, à la lecture spirituelle et je suis assez exact aux autres exercices de piété, mais les distractions, la froideur, l'inquiétude ont bien plus de prise que dans la vie calme et réglée du séminaire.
Mes parents ont accepté sans beaucoup d'émotion mon nouveau costume. Mon père considère la chose au point de vue du monde. Il désire me voir rapporter de Rome plusieurs diplômes et espère pour moi bien des honneurs. L'atmosphère d'indifférence au milieu duquel il faut vivre me glace le cœur. Je me ranime un peu chaque jour à la lecture du Traité de l'Amour de Dieu de St François de Sales. Je ne suis pas heureux dans ce milieu. Si Dieu m'appelle à y vivre, ce sera pour moi une mortification continuelle.
J'ai reçu le palmarès du Collège romain2. J'ai été très heureux et j'en rends grâce à Dieu autant pour le séminaire que pour moi. Je m'ennuie de n'avoir pas d'autres nouvelles de vous.
Je compte bien que l'épidémie vous a tous épargnés. Malheureusement, elle nuira sans doute à la rentrée du séminaire. Nous n'en avons par les journaux que des nouvelles très vagues et très incertaines. J'aimerais savoir ce qu'il en est, ne serait-ce que pour rassurer mes parents avant de partir. Ils s'inquiètent aussi des projets de Garibaldi3. Rome est bien éprouvée et la crise qu'elle subit n'est pas encore terminée. Je reprendrai avec bonheur mon travail à la rentrée si rien ne s'y oppose. Je travaille un peu ici, mais jusqu'à présent je ne me suis pas livré à une étude bien sérieuse. Il me restait à copier de longues notes de voyage4. C'est heureusement fini et je pourrai consacrer un peu du temps qui me reste et les vacances des années prochaines à la théologie.
Je n'ai vu personne des nôtres depuis mon passage à Paris et je n'en ai pas eu de nouvelles.
Veuillez offrir mes affectueux respects au P. Brichet et au P. Daum et me rappeler au bon souvenir de M. Le Tallec, M. Duponchel et M. Humbrecht.
Je vous embrasse de tout cœur en fils dévoué et reconnaissant et me recommande à vos prières ainsi que mes parents qui vous présentent leurs respects.
L. Dehon
La Capelle (Aisne) 20 sept. 67.
1 Le P. Freyd a répondu le 8 septembre cf. LC 29. À cette lettre du 20 septembre, il répondra le 26 (LC 30).
2 Pour les résultats de ces concours cf. NHV V, 111 et LC 29.
3 Depuis la retraite des français, fin 1866, Garibaldi tournoyait dans les États pontificaux et menaçait Rome où ses émissaires avaient préparé une insurrection. Ce qui amena Napoléon III à envoyer un corps expéditionnaire le 27 octobre. Et ce fut la bataille de Mentana, les 3 et 4 novembre, où Garibaldi fut battu.
4 Les notes du voyage d'Orient: 7 cahiers (cf. AD B13/2A-F).
629.05
B36/2.d.5
Photocopie Ms Santa Chiara
Au P. Fryed
La Capelle 28 7bre 67
Très révérend père,
Je vous écris de nouveau pour vous rassurer sur le sort de votre bonne lettre qui nous est arrivée le jour même où je vous avais adressé la mienne. Elle n'a été mise à la poste à Marseille que le 19 bien que vous l'ayez écrite le 8. Il vaut mieux tard que jamais.
Mon père a été touché de votre aimable attention et me recommande avec ma mère de vous présenter leurs respects1.
Vos bons avis me rappellent la voie à suivre et me donnent courage pour y persévérer, comme les heureux entretiens que vous m'accordez quelquefois à Rome. Mes vacances se passent rapidement et me seront une utile leçon d'expérience. Le monde est bien tel que vous nous le dépeignez quelquefois. J'espère ne pas faire de chute grave avec la grâce de Dieu et le secours de vos prières. Le démon sait qu'il a en moi une place mal défendue et il revient souvent à l'assaut. Je connais le moyen de le repousser; «vigilate et orate», et j'espère que le bon Dieu me pardonnera les négligences et les faiblesses qui sont pour une âme si peu exercée à la vertu assez fréquentes dans le monde.
Je trouve beaucoup de consolation dans la lecture de St François de Sales. Sa religion toute d'amour va bien à mon cœur et il m'aide puissamment à me tenir dans la douceur et la sainte joie que recommande St Paul et à laquelle mon tempérament ne me porte pas naturellement.
Votre bonne lettre et les nouvelles des journaux ont complètement rassuré mes parents sur l'état de Rome. Il n'y a rien à craindre du choléra et la providence de Dieu nous délivrera de Garibaldi et de ses bandes.
J'espère être exact et arriver pour la retraite. Ce sera le repos du cœur après celui du corps et de l'esprit.
J'espère aussi que nous serons nombreux et tranquilles et que Rome préparera en paix la grande œuvre du concile2.
Je n'ai pas de nouvelles de mes condisciples. J'ai écrit à Mr Perreau, un vrai disciple de S. François de Sales son compatriote, pour savoir si sa santé était rétablie. Il ne m'a pas encore répondu3.
Je vous prie d'offrir mes respects affectueux au R. Père Brichet et au R. Père Daum et mes amitiés à MM. Humbrecht, Le Tallec, Duponchel et Baron.
Croyez à la sincère et respectueuse affection de votre enfant reconnaissant et dévoué en N.S.
L. Dehon
1 À sa lettre du 8 septembre le P. Freyd avait joint une petite lettre pour Mr Dehon, père: LV 3 (jointe à LC 29).
2 Le Concile du Vatican (I) avait été annoncé officiellement au cours des fêtes de juin 1867 et devait s'ouvrir le 8 décembre 1869.
3 M. Perreau, savoyard, devint un ami très intime de Léon Dehon. Il devait mourir prématurément: cf. NHV I, 35 vº, 42 rº, 62 rº; IV, 143, 146; V, 34, 38, 108; VI, 138, 150, 152, 166, 169; VII, 160, 161 et LC 49, 53 et 68… Ils s'étaient connus à Paris, tous deux membres du Cercle catholique.
629.06
B36/2.d.6
Photocopie Ms Santa Chiara
Au P. Fryed
La Capelle 12 octobre 67
Très révérend père,
Que me conseillez-vous? Je comptais partir dans deux jours pour avoir le temps de séjourner à Soissons, à Paris et à Orléans, mais m'en aller à Rome en ce moment ce serait laisser mes parents dans une pénible inquiétude. J'aurais été heureux d'arriver pour commencer la retraite avec vous. Je crois plus prudent d'attendre une solution à cette malheureuse situation.
Si vous me dites que cela est possible et sage, j'arriverai pour l'ouverture des cours. Je m'afflige plus pour la religion, pour Rome, pour le St-Père que pour moi-même. Mais je sens aussi que les cours de Rome et la bonne direction que nous y recevons ne se retrouvent nulle part ailleurs. J'attendrai quelque temps pour prendre une décision. Faut-il partir? Avez-vous des élèves? Où faut-il aller1?
Ma santé est excellente et je suis plein de force et de zèle pour commencer une bonne année de théologie.
J'ai reçu votre seconde lettre. Vos bons avis me donnent de la force et du courage pour marcher dans la bonne voie de la piété et de l'union avec Dieu. La retraite m'aurait été bien utile et je suis désolé de la manquer. Vous ne m'en saurez pas mauvais gré.
Je suis tout à vous et attends vos bons conseils. Mes parents vous présentent leurs respects.
Votre tout dévoué et reconnaissant fils en N.S.
L. Dehon
1 Toujours les inquiétudes suscitées par les menées et projets de Garibaldi (cf. LD 79 note 3). À ces inquiétudes et questions répond le P. Freyd dans sa lettre du 17 octobre 1867 (LC 31). Cf. aussi NHV V, 113-114.
218.51
B18/9.2.51
Ms autogr. 2 p. (21 x 13)
À ses parents
Paris - dimanche 10 nov. 67
Chers parents,
Je suis arrivé tard à Paris. J'aurais pu gagner deux heures en prenant à Laon l'express pour Tergnier, mais je l'ai su trop tard. J'ai dîné hier à Montmartre. Mon oncle est encore souffrant. Il n'a pas payé Siméon qui lui a écrit une lettre sévère et va le pousser sans répit. Ma tante doit vous écrire. Elle dit que pour Mr Berquet, outre les 40 fr. de vin, il y a un compte de bière sur un autre registre. Marie avait la migraine. J'ai déjeuné chez Palustre avec Siméon et Mr de Laurière. J'ai vu aussi Mr Poisson. Il va bien1.
Après plusieurs projets et hésitations, je pars décidément ce matin à 11 h. Je coucherai à Mâcon et il est probable que je passerai par terre en costume italien2. C'est le plus commode et le plus rapide. Par mer, je n'aurais un bateau que mercredi et il faudrait toucher à Gênes et à Livourne.
Palustre a eu la complaisance de chercher les deux adresses que je lui ai demandées: pour les échelles et ponts articulés, c'est à Paris, rue du Faubourg du Temple nº 67 - pour les pompes, rue de la Paix, 24. Demandez des prospectus.
Je suis pressé et n'ai que le temps de vous embrasser tous bien tendrement.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Des personnes dont le nom revient souvent dans ces lettres (oncle, tante et Marie Dehon de Paris, Siméon, Palustre, Mr Poisson). Mr de Laurière a déjà été cité en LD 67: une connaissance de Palustre.
2 Le costume ecclésiastique italien légèrement différent du costume français (forme de la soutane, rabat…): sans doute pour ne pas être reconnu comme français dans les régions occupées par les garibaldiens et les piémontais. Cf. lettre de Mr Demiselle LC 28.
218.52
B18/9.2.52
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 14 novembre 67
Chers parents,
Je suis arrivé hier soir à Rome à bon port et après un voyage très heureux. J'ai quitté Paris dimanche à 11 heures. Je couchai le soir à Mâcon. Le lundi j'arrivai à Turin par le mont Cenis. Le passage se fait encore par les voitures. Le chemin de fer du mont Cenis est fini, mais il n'est pas encore ouvert aux voyageurs. Le mardi matin, j'ai rencontré à Plaisance les élèves de Beauvais qui se rendaient à Rome par le Simplon. Nous avons fait route ensemble. Le soir nous avons couché à Florence et hier soir mercredi, nous arrivions à Rome par le chemin de fer de Livourne et Civita qui est rouvert depuis le huit. L'autre ligne qui relie Florence à Rome ne sera rétablie que dans deux ou trois jours. Nous avons trouvé l'Italie parfaitement calme et l'on a été partout très poli à notre égard. Par mer, je me serais embarqué hier et je ne serais arrivé ici que samedi.
Il y avait déjà avant nous 26 élèves d'arrivés. Nous serons environ 45 comme l'année dernière. Les cours sont commencés depuis trois jours. J'aurai peu de retard. Le séminaire a toujours joui du plus grand calme. On n'y a pas même entendu l'écho d'un seul coup de fusil. La retraite a eu lieu comme d'ordinaire. Rome n'a été agitée que dans la soirée du 22. En dehors de ces quelques heures de troubles, il y a toujours eu le plus grand calme. Je m'installe aujourd'hui et je vais faire quelques courses. Demain je me remettrai au travail.
J'aurai quelques détails intéressants à vous donner sur les événements de Rome, mais j'ai hâte de faire partir cette lettre pour vous rassurer au plus tôt sur l'issue de mon voyage. Le père supérieur m'approuve d'avoir retardé mon départ pour ne pas vous mettre dans l'inquiétude.
Je suis installé dans la même chambre qu'auparavant et j'en suis très content. Je ne suis pas du tout fatigué du voyage. J'ai eu du beau temps et n'ai pas eu froid au passage des Alpes.
Malgré la tristesse que j'éprouve d'être séparé de vous, je suis heureux de reprendre mon travail.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
Séminaire français 47 via Santa Chiara. Écrivez-moi souvent.
218.53
B18/9.2.53
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 19 novembre 67
Chers parents,
J'espère que vous avez reçu la lettre que je vous écrivis jeudi dernier. Comme je vous le disais, mon voyage a été très heureux, et j'ai gagné du temps en évitant la traversée. Rome est calme et l'a toujours été, car la petite émeute dont on a fait tant de bruit a eu lieu la nuit, et les habitants n'ont jamais cessé de vaquer tranquillement à leurs affaires. Les cours du Collège romain étaient ouverts depuis deux jours, et pour les cours supérieurs seulement, parce que les salles ordinaires servaient à loger des troupes françaises. Depuis hier, le Collège romain est rendu tout entier aux élèves. Je me suis mis facilement au courant et j'ai repris mes habitudes de l'an passé. Nos supérieurs ont toujours pour nous une bonté vraiment paternelle, et plusieurs de mes condisciples sont pour moi d'excellents amis. Nous sommes déjà 40 et dans peu de jours nous serons 48. Notre nombre a augmenté malgré l'état des affaires politiques. Nous ignorons à Rome, et vous aussi probablement, quels seront les résultats et la durée de l'expédition française. Nos soldats ont été reçus ici comme des libérateurs, surtout après la victoire de Mentana. La conduite de l'armée pontificale dans toutes ces affaires a été admirable. Elles ont partout été victorieuses. Les 350 soldats qui se sont rendus aux 5.000 garibaldiens à Monte Rotondo après 27 heures de résistance, ne l'ont fait qu'après avoir brûlé jusqu'à leur dernière cartouche et brisé leurs armes. Ils n'ont pas perdu un seul homme et ils ont tué dans cette seule affaire 600 garibaldiens, le même nombre que les autrichiens ont tués dans la grande bataille de Custoza. À Mentana, les pontificaux n'étaient que 5.000 contre 10.000, au lieu d'être deux fois plus nombreux comme on l'écrivait de Florence. Les zouaves ont perdu une centaine des leurs. Ce sont de vrais martyrs. Ils mouraient en offrant leur vie pour l'Église. Guilmin avait été déjà blessé à Castelfidardo et il pleurait alors de n'avoir pas été digne de mourir. Le capitaine Du Fournel venait de voir mourir son frère. Il alla prier à Saint-Pierre pour mourir aussi pour l'Église et peu de jours après il était blessé mortellement. Je suis allé voir ces jours derniers un sous-lieutenant blessé, charmant et excellent jeune homme. Il enviait le sort de Guilmin et me disait: «Ce sont les meilleurs qui sont morts; nous, nous n'en étions pas dignes.» Ce sont des cœurs généreux qui aiment l'Église et qui comprennent quelle récompense aura au ciel leur dévouement1.
Aujourd'hui, j'ai rencontré le Saint-Père qui sortait de visiter des malades dans un hôpital. Il est toujours souriant et plein de santé!
Je suis allé voir le légionnaire Gaufrin (?). Il est à peu près guéri. J'écrirai quelques mots à sa mère.
Je suis heureux que vous n'ayez aucune inquiétude à avoir sur l'état de Rome.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et Marthe. Dites à Marthe que je lui rapporterai un livre d'images pour l'amuser. Je vous embrasse de tout cœur.
L. Dehon
1 Suite des événements évoqués dans cette lettre: À Castelfidardo (sept. 1860), Lamoricière, commandant des troupes pontificales, avait été battu par les Italiens. Réorganisation de ces troupes (constitution de corps de zouaves et de légionnaires) par Mgr de Mérode et le cardinal Antonelli. Après le retrait des troupes françaises de Rome (décembre 1866), tentative d'un coup de main sur Rome par Garibaldi (23 octobre). Le 26 départ d'un corps expéditionnaire français pour Rome. Le 27, affaire de Monte Rotondo à l'avantage des troupes pontificales (NB: la bataille de Custozza avait eu lieu le 24 juin 1866 entre Autrichiens et Prussiens). Le 3 novembre, bataille de Mentana, victoire pontificale. Une garnison française devait rester à Civitavecchia jusqu'en 1870 (guerre franco-prussienne, août-septembre). Le 20 septembre, entrée des Italiens à Rome (Porta Pia). Cf. NHV V, 115 (à noter la graphie - plus probable? - Guillemin, différente de celle de la lettre: Guilmin).
218.54
B18/9.5.54
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 29 novembre 67
Chers parents,
Je plains beaucoup maman d'être obligée de tenir la chambre. Il faut cependant qu'elle se conforme exactement aux prescriptions du médecin pour se guérir radicalement. C'est un exercice de patience qui ne sera pas perdu pour le ciel. Je suis souvent avec vous par la pensée, et je me réjouis de ce que vous avez Henri, Laure et Marthe pour faire diversion à la tristesse à laquelle vous êtes un peu enclins. Je prends part à la joie d'Edmond Legrand et de sa famille. La mort de Mr Lenain que maman m'annonce est encore une leçon que Dieu donne dans sa miséricorde à ceux qui comptent sur la vieillesse pour revenir à lui1. En frappant les uns Dieu prévient les autres. Il n'y a qu'un moyen d'avoir le cœur libre de toute crainte et d'attendre en paix, c'est de demander à un ministre de Dieu le pardon de ses fautes mortelles et de suivre exactement la loi de l'Église qui n'est pas rigoureuse. Je prie papa de dire seulement tous les soirs humblement ces quelques mots: «Mon Dieu, donnez-moi la force de me réconcilier entièrement avec vous.»
Je me suis remis sans peine au travail et je n'ai pas tardé à être au courant. Je prépare en ce moment un examen pour le sous-diaconat. J'aurai le bonheur d'être ordonné sous-diacre le 21 décembre, jour de la fête de St Thomas.
Le sous-diacre commence à prendre part au sacrifice de la messe dans les messes solennelles. En retour il s'oblige à la récitation du bréviaire et à la chasteté perpétuelle. C'est une alliance indissoluble avec l'Église. C'est une action aussi solennelle et définitive que celle du mariage. Mais comme ma décision est prise depuis longtemps, je m'en approche sans émotion, avec la seule pensée d'obtenir de Dieu des grâces abondantes pour moi et pour les miens. Prévenez ceux de nos parents et de nos amis qui voudront bien prier tout spécialement pour moi ce jour-là. Je demande seulement à papa qu'il aille exactement à la messe, s'il le peut, les dimanches qui précèdent. Si Henri pouvait communier ce jour-là, il me ferait un bien grand plaisir. Je me préparerai à ce grand acte par dix jours de pieuse retraite.
Rome a toujours le même aspect calme et religieux. J'y suis moins au courant des affaires politiques que je ne l'étais à La Capelle. J'ai de bonnes nouvelles de Palustre et j'espère que vous m'en donnerez bientôt de Mr Demiselle. J'écrirai un de ces jours à Mgr Dours. Nos cours sont aussi nombreux que l'an dernier et il n'y a rien de changé pour nos études.
Embrassez pour moi Henri, Laure, maman Dehon et la petite Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Selon la généalogie, une cousine de Léon, Hélène-Fanny, fille de Édouard-Gustave Dehon et de Dorothée Dehon, épousa en 1869 Louis-René Lenain. Sans doute s'agit-il du père. Léon Dehon, jeune prêtre, bénit le mariage le 4 septembre 1869. Dans la famille d'Edmond Legrand, la joie de la naissance d'un poupon (cf. LD 96).
218.55
B18/9.2.55
Ms autogr. 4 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 11 décembre 67
Chers parents,
Je vais entrer demain en retraite pour me préparer au sous-diaconat. C'est une consécration définitive au service de Dieu. Ces quelques jours de recueillement sont nécessaires pour purifier son cœur, afin qu'il soit plus apte à recevoir de Dieu des grâces abondantes et aussi pour peser et considérer la sainteté de vie à laquelle doivent tendre ceux que Dieu appelle à une si sublime vocation. Aucun homme n'en est digne, pas même ceux qui ont conservé l'innocence baptismale, et j'en suis plus indigne que tout autre, mais la miséricorde de Dieu est grande et consolante et il a su élever au plus haut degré de sainteté ceux même qui, comme St Paul et St Augustin avaient été d'abord de grands pécheurs et des persécuteurs de l'Église. La grâce s'obtient par la prière. Je compte tout particulièrement sur les vôtres1.
J'avais pensé à proposer à maman de venir passer l'hiver à Rome. Mais la saison est déjà avancée et il sera plus facile de combiner cela pour l'an prochain. Il fait moins froid ici qu'il ne faisait en octobre à La Capelle. Nous avons eu cependant quelques gelées blanches. La ville est toujours aussi calme. Les troupes françaises l'ont quittée depuis 15 jours. Il en reste à Civita et à Viterbe. Je ne crois pas que le gouvernement français veuille satisfaire les aspirations révolutionnaires des meneurs italiens2. Nos études marchent très régulièrement. Ce sont les mêmes professeurs, dont j'apprécie de plus en plus le mérite et la science. Nous rencontrons de temps en temps le St-Père, il est très bien portant.
Vous ne me dites pas si vous avez vu Mr Demiselle. Je lui ai écrit dernièrement ainsi qu'à Mr Boute.
J'espère que maman n'a pas oublié de faire demander à Mr le doyen les numéros du journal «La foi picarde», où se trouvent les lettres écrites d'Orient par l'abbé Palant, pour les prêter à ma tante Félicie qui désire les lire3.
J'ai employé les rouleaux de coton que j'ai apportés pour obvier aux courants d'air que me donnait ma fenêtre et je m'en trouve très bien. Je vais y faire mettre des rideaux.
Écrivez-moi souvent, surtout toi, chère mère, qui as des loisirs, puisque tu es obligée de garder la chambre.
Embrassez pour Henri, Laure, maman Dehon et Marthe.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 De cette retraite les «Notes Quotidiennes» nous conservent des notes sur les divers thèmes médités à partir du 16 décembre jusqu'au 20. Le premier cahier de ces NQT commence au 13 décembre. Selon l'indication de LD 85, qui parle de «dix jours de pieuse retraite», le 13 devait être le premier jour de cette retraite, commencée sans doute le 12 au soir pour s'achever le 21 au matin. Voir aussi NHV V, 127-131.
2 Le ministre Rouher avait bien lancé au Parlement, le 5 décembre, son mot célèbre: «Nous le déclarons au nom du gouvernement français: l'Italie ne s'emparera pas de Rome. Jamais la France ne supportera cette violence faite à son honneur et à la catholicité!» Sous la pression de l'opinion publique et parlementaire catholique, la politique romaine de Napoléon III redevenait ce qu'elle avait été au début du Second Empire. Les événements de 1870 devaient en révéler la fragilité.
3 Cette tante Félicie n'a pu encore être identifiée.
218.56
B18/9.2.56
Ms autogr. 8 p. (21 x 13)
À ses parents
Rome 21 décembre 1867
Chers parents,
Mon cœur déborde de joie et je voudrais vous faire partager mon bonheur. C'est aujourd'hui le plus beau jour de ma vie. Me voici consacré à Dieu. Le monde peut regarder cela comme un sacrifice et un engagement, mais le monde est insensé. Que pourrions-nous donner à Dieu? Lui donner, c'est recevoir; «le servir c'est régner» dit S. Paul1. Toute la religion est pleine de cette vérité. Celui qui donne à Dieu reçoit au centuple. Renoncer à quelque chose pour Dieu, c'est une grâce et un bienfait de Dieu. Se détacher du monde, c'est rompre les chaînes de la servitude et s'élever vers le ciel.
Vous n'étiez pas à cette belle cérémonie, mais j'y ai beaucoup pensé à vous et prié pour vous. L'amour de Dieu n'amoindrit pas celui des parents, mais le fortifie. Je pleure quelquefois en pensant à vous et ce ne sont pas des larmes égoïstes causées par l'ennui, mais des larmes généreuses versées devant Dieu en le suppliant de vous bénir, de vous sanctifier, de vous conserver la paix du cœur et de nous réunir dans le bonheur des élus pour l'éternité. N'est-ce pas là du véritable amour?
Je me suis préparé à ma consécration par la retraite, la prière, l'union à Dieu. Je n'ai pas répondu à votre dernière lettre parce que je vous avais écrit deux jours avant de la recevoir. J'avais écrit aussi à mes meilleurs amis pour demander leurs prières. J'ai reçu aujourd'hui une bonne lettre de Mr Demiselle, qui n'a pas pu aller à La Capelle parce qu'il était souffrant2.
J'essaierai de vous donner l'idée d'une ordination. Nous étions une centaine, de toutes les parties du monde, pour les différents ordres. Le cardinal vicaire officiait. Après la collation de la tonsure et des ordres mineurs, on appelle les sous-diacres au pied de l'autel, dans le chœur de la basilique de Saint-Jean de Latran, où les papes et leurs vicaires font toutes les ordinations de Rome depuis le cinquième et même le quatrième siècle.
Le cardinal nous adresse d'abord cette monition: «Mes enfants bien-aimés, au moment d'être promus à l'ordre sacré du sous-diaconat, vous devez considérer mûrement le fardeau dont vous désirez de votre plein gré être chargés aujourd'hui. Car vous être libres jusqu'à présent; vous pouvez à votre gré prendre des engagements dans le monde; mais si vous recevez cet ordre, vous ne pourrez plus vous dégager du lien qui vous attachera pour jamais à Dieu, à qui servir c'est régner. Vous devez garder avec le secours de sa grâce une chasteté perpétuelle, et demeurer irrévocablement attachés au service de l'Église. Réfléchissez donc pendant qu'il en est temps encore; et si vous persistez dans votre pieux dessein, au nom du Seigneur, approchez.»
Alors ceux qui sont appelés au sous-diaconat, au diaconat et à la prêtrise se prosternent tous la face contre terre et restent étendus sur le sol consacré par l'ordination de tant de saints prêtres et lévites, pendant tout le temps que l'assemblée chante à genoux les litanies des saints. Le pontife y ajoute ces trois invocations solennelles et émouvantes: «Seigneur, daignez bénir ces élus, nous vous en supplions, exaucez-nous. Seigneur, daignez bénir et sanctifier ces élus, nous vous en supplions, exaucez-nous. Seigneur, daignez bénir, sanctifier et consacrer ces élus, nous vous en supplions, exaucez-nous.»
On se relève alors et le pontife fait une seconde exhortation: «Au moment de recevoir l'ordre sacré du sous-diaconat, considérez attentivement, mes chers enfants, la grandeur du ministère qui vous est confié.» Puis il énumère nos fonctions et ajoute: «Appliquez-vous donc à remplir ces fonctions visibles avec tout le soin et la vigilance dont vous serez capables, et à accomplir par vos exemples ce qu'elles représentent…» Après cela commence la collation proprement dite de l'ordre. Le pontife nous donne à toucher le calice et la patène, puis nous bénit et prie sur nous, et il nous revêt successivement des ornements sacrés en nous indiquant leur signification mystique. Il adresse à Dieu avec l'assistance ces oraisons:
«Prions Dieu et Notre-Seigneur, mes très chers frères, de répandre sa bénédiction et sa grâce sur ces serviteurs qu'il a daigné appeler à l'office de sous-diacres, afin que par leur fidélité à remplir saintement en sa présence le ministère qui leur est confié, ils méritent les récompenses destinées aux élus. - Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, daignez bénir vos serviteurs ici présents, que vous avez choisis pour les élever à l'ordre du sous-diaconat; établissez-les dans votre Église comme de courageuses et vigilantes sentinelles de la milice céleste, comme de fidèles ministres de vos saints autels; que l'esprit de sagesse et d'intelligence, de conseil et de force, de science et de piété repose sur eux; remplissez-les de l'esprit de votre crainte; confirmez-les dans le divin ministère que vous leur confiez, afin que dociles et soumis en tout, dans leurs paroles et dans leurs actions, ils obtiennent votre grâce, par Notre Seigneur Jésus-Christ.»
Après cela vient l'ordination des diacres et des prêtres, puis la sainte messe que les nouveaux prêtres disent avec le pontife. Tous les ordinands communient de la main du cardinal.
Cette après-midi même, j'avais déjà le bonheur d'exercer mes nouvelles fonctions au salut du Saint-Sacrement.
Nous allons avoir les fêtes touchantes de Noël et quelques jours de repos.
Quant aux publications pour mon ordination, elles ont été faites ici selon l'usage de Rome. Il n'était pas nécessaire qu'elles soient faites à La Capelle. Du reste elles ont moins d'importance que pour le mariage.
Ma lettre vous arrivera deux ou trois jours avant le 1er janvier. Qu'elle soit donc l'interprète de mes souhaits de jour de l'an. Croyez bien que ce n'est pas de ma part une vaine formule. Je prierai tout spécialement ce jour-là pour que Dieu vous comble de ses grâces dans cette vie et dans l'autre.
Je voudrais écrire aussi à Henri et Laure et à maman Dehon, mais puisque vous habitez ensemble, mes lettres s'adressent vraiment à tous et je vous charge de les embrasser bien tendrement à cette occasion.
Donnez à Marthe un bonbon de ma part pour qu'elle ne m'oublie pas.
Je vous embrasse de tout cœur.
Votre dévoué fils
L. Dehon
1 Même citation en NQT I/1867, 21 décembre 1867, reprise d'ailleurs du texte du pontifical cité plus loin; la référence à S. Paul est au moins ad sensum. Comme on le verra, la plus grande partie de cette longue lettre, écrite le soir même de l'ordination, reproduit des textes du Pontifical, rituel des ordinations, alors en usage (jusqu'au Concile de Vatican II).
2 Cf. LC 32.