1870-lc

151.01

AD B.17/6.5.1

Ms Aut. 2 p.

De l'abbé Costa de Beuregard

(8 janvier 1870)

Mon bien cher ami,

Votre lettre m'a bien consolé. J'y ai vu combien les amitiés formées au Séminaire Fçais sont profondes et fidèles. J'étais absent de Chambéry lorsque notre pauvre ami Louis (Perreau) est mort, et cette triste nouvelle m'est parvenue à Paris. Continuons à prier pour lui, nous n'y perdrons rien, car du ciel il nous renverra tout le fruit de nos prières1.

Il y a bien à dire sur la vie immaculée de notre pauvre ami; j'aurais pu vous envoyer de suite ce que j'en savais, mais j'ai pensé qu'il valait mieux encore faire causer sa pieuse mère et ses amis, afin de ne vous priver de rien de ce qu'il y a de charmant dans cette vie angélique et mortifiée de notre ami.

A bientôt donc.

Votre tout dévoué frère en N.S.

Abbé Costa

25 janvier 1870 - Chambéry.

1 Sur l'abbé Louis Perreau cf LD 80, 139; et ses lettres â Léon Dehon LC 40, 41, 53, 55.

435.27

AD B.21 /7a.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De Mr Boute

Hazebrouck 20 janvier 1870

Mon excellent abbé et ami,

Je souffre toujours, depuis bientôt six mois, de rhumatismes aigus aux bras et aux épaules. Le bras gauche, sauf la main, ne me rend aucun service. Voilà où j'en suis, mais il est vrai mes 66 ans vont sonner le mois prochain. Je me résigne et souffre tout pour le bon Dieu, comme si ces souffrances devaient durer pour tout le temps qu'il plaira au Seigneur de me laisser ici-bas. Je suis toujours très occupé malgré cela; nous sommes encore loin d'une installation définitive. Chaque année révèle et amène d'au­tres travaux indispensables. Mais je suis heureux de vous apprendre que je forme à l'économat un prêtre intelligent en cette matière, qui est sorti du ministère pour se vouer à l'instruction. Je puis déjà lui confier la gestion de certaines petites affaires, dont il s'acquitte parfaitement bien, et j'espère en faire un bon économe, chose bien précieuse, surtout pour un établissement naissant comme le nôtre.

Mr Piettre m'a dit qu'il vous avait écrit, de même qu'à Mr le Supérieur du Séminai­re français. Il se conduit toujours très bien et se plaît à venir à Saint-François pour s'entretenir avec ces messieurs1.

Vous nous avez causé une bien grande joie, en nous disant, en dehors des séances du Concile, que les neuf dixièmes des évêques sont pour la définition de l'infaillibilité et que cette question sera bientôt définie. Nous l'attendons et l'espérons de tous nos vœux. L'Univers nous annonce que 400 à 500 évêques ont déjà signé la demande fai­te à ce sujet à la commission des Postulata. Il est évident que la question est mûre, et qu'il faut en finir avec ce petit nombre de récalcitrants encore entichés des doctrines gallicanes, qu'une décision solennelle vienne leur fermer la bouche et arrêter leur plan. Ne voilà-t-il pas que le p. Gratry se met du nombre et fait cause commune avec NN. Seigneurs Dupanloup et Marez (sic, pour Maret). Nous espérons bien que le saint Concile fera raison de tout cela et qu'après la définition, il ne sera plus question de l'Eglise gallicane. Je donnerais volontiers le reste de mes jours pour arriver à cet heureux résultat.

Votre santé, me dites-vous, est bien remise. J'aime à le croire et j'en suis heureux, mais n'oubliez pas de vous ménager au milieu des nouveaux travaux qui vous incom­bent et vous honorent à la fois. Faites-le pour vous, pour le bien de l'Eglise à laquelle vous êtes appelé sans aucun doute à rendre de grands services, pour votre famille également qui (vous) porte tant d'affection, et enfin pour moi, pauvre prêtre obscur, qui vous aime tant et attends de belles choses que je n'aurai pas l'avantage de voir sans doute. Oui, mon cher Léon, suivez votre voie, c'est celle de Dieu. Suivez-la tou­jours avec cette simplicité si belle que l'on aime tant en votre personne. Oh! c'est cho­se bien belle de posséder le science et le talent, et d'ignorer devant les hommes que Dieu nous les a donnés. Je voudrais bien vous voir et vous dire toutes choses de vive voix; mais vous êtes à Rome, dans la cité de Dieu, en face du Vicaire de J. C., et je me trouve confiné à Hazebrouck, bien loin de vous, bien loin de toutes ces grandes choses que vous entendez et dont vous êtes témoin: haud equidem invideo, miror magis!

Ces demoiselles Pillon (?) sont dans la satisfaction la (plus) vive de savoir qu'elles possèdent un lambeau de linge teint du sang de Pie IX2. Je renonce à vous exprimer leur reconnaissance. Je finis avec le papier pour vous remercier de vos bons souhaits de nouvelle année. Agréez les miens en retour, vous les connaissez sans qu'il soit be­soin de les exprimer. Mr le Principal, Mr Lacroix, Debusschere et tous ces nouveaux messieurs, à qui j'ai communiqué votre lettre, vous expriment les mêmes souhaits et se disent tout à vous de cœur et d'esprit. Espérant vous revoir encore après le Conci­le, je vous embrasse dans le Seigneur.

Boute Ptre

1 Sur ce Mr Piettre cf LD 102; LC 35, 43, 44, 46, 47.

2 Sans doute la demande mystérieuse transmise en LC 59. Un témoignage de la vénération et du culte (excessif) dont était l'objet Pie IX de la part de beaucoup de fidèles (cf Aubert o.c. pp. 292-295: «Un Pape populaire»).

3 Des extraits de cette lettre en NHV I 21v° - 22r°.

151.02

AD B.17/6.5.2

Ms autogr. 2 p.

De l'abbé Costa de Beauragard

(Chambéry, 1° février 1870)

Mon bien cher ami,

L'abbé Pillet, à qui j'ai parlé de cette petite notice sur notre saint ami Perreau, me dit se charger lui-même de ce dernier devoir et témoignage envers lui. C'est donc de lui que vous recevrez ce que vous m'aviez demandé. Elle vaudra mieux, car il con­naissait bien avant moi et plus intimement, je le crois, celui que nous avons perdu. Continuez à ne point oublier votre ami savoyard. Lui, il ne vous oublie pas; il espère bien vous posséder à votre retour du Concile. Il y a dans mon presbytère une cham­bre qui vous est destinée; apportez-nous une bouffée de cet air si doux et vivifiant de Rome. Vous dites bien vrai. L'infaillibilité désole le démon; il fait ce qu'il peut au moins pour la montrer inopportune. Le nombre (de fidèles surtout) qui pensent com­me Mgr Dupanloup, est immense. Le misérable «Correspondant» a fait beaucoup de mal à une classe très nombreuse d'esprits distingués et convaincus. C'est là qu'il faut de bonnes prières.

Merci de votre recommandation du chapelet. J'en userai et en ferai user autour de moi. A Dieu; rappelez-moi au bon souvenir de tous nos amis et croyez à ma bien frater­nelle affection.

Abbé Costa

Chambéry, I° février 1870.

158.14

AD B.17/6.12.14

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De Mr Demiselle

Soissons 15 février 1870

Mon cher abbé,

Nous sommes arrivés à Soissons le 20 du mois dernier, après une heureuse traver­sée et un bon voyage de Marseille à Paris.

Je vois aujourd'hui dans les journaux les noms des 31 prélats français demandant que la question de l'infaillibilité ne soit pas posée devant le Concile, et parmi ces noms celui de l'Evêque de Soissons. Ces bons prélats ne s'aperçoivent pas qu'ils tom­bent dans la même faute de conduite qu'ils reprochent si bruyamment au pape Hono­rius. Que peut-on reprocher à ce pape, si ce n'est trop de ménagement pour de rusés grecs qui abusèrent indignement de sa condescendance. Que font ces évêques? Par ménagement aussi, je ne sais pour qui ni pour quoi, ils ne veulent qu'il soit parlé ni d'infaillibilité ni de non-infaillibilité, comme le pape Honorius, qui défendait de parler ni d'une ni de deux volontés, espérant par là étouffer, dans leur naissance, des disputes qui menaçaient de troubler l'Eglise. C'était bien la peine de faire tant de bruit autour du nom de ce pape pour tomber dans la même faute. «In laqueo isto quem absconderunt, comprehensus est pes eorum». J'ai envoyé un petit article au Monde dans ce sens-là. Je ne sais s'il l'insèrera1.

Je ne crois que la signature de notre Evéque au bas de ce postulatum lui fera beau­coup d'honneur dans le diocèse. Il ne m'en aurait pas fallu davantage pour lui ren­voyer son diplôme de conseiller, et je m'applaudis de ne pas avoir la solidarité d'un conseil dans ce sens.

Faites part, je vous prie, de ces réflexions à M. Desaire et à Mr Colra de Bordas (?), en leur faisant part aussi de mon bon et affectueux souvenir. J'ai vu à Marseille les parents de Mr Désaire, qui m'ont accueilli d'une façon on ne peut plus aimable. Dites aussi à Mr Colra que l'abbé Congnet (?) s'en va de jour en jour du côté de sa fin. C'est une défaillance totale de la nature. Faites part de cette situation de Mr Con­gnet â Mgr de Beauvais, en lui offrant mes hommages respectueux autant qu'affec­tueux.

Mon bon souvenir aussi à Mr Deladone (?) et à Mr Sabathier (?) qui voudra bien présenter mes respectueux hommages à Mgr de Rodez.

Vous avez sans doute connaissance des lettres de Mr Urphart à l'évêque d'Orléans. Que va-t-il répondre à ce coup d'assommoir? J'attends avec impatience. S'il reste sous ce coup, il est perdu et déshonoré aux yeux de tous. Comme la providence pré­pare admirablement le triomphe du St-Siège! Puisse la confusion de ses adversaires leur ouvrir les yeux!2.

L'Archevêque de Paris a l'air d'annoncer à son clergé son retour pour Pâques. Je crois bien qu'il n'y a encore rien de fixé à cet égard. On remarque que les évêques de France ne parlent presque plus dans les congrégations. Probablement, après les fleu­ves d'éloquence de Paris et d'Orléans, il n'y a plus rien à dire. Que les journaux libé­raux catholiques sont bêtes et impudents! Oh croirait qu'ils ont tout entendu à la fa­çon dont ils analysent et rendent compte des harangues de leurs héros. Et puis ne croirait-on pas que l'infaillibilité est le seul sujet pour lequel le Concile est réuni.

Je vais dans huit jours marier, à La Bouteille près Vervins, le nouveau pharmacien de La Capelle, le jeune Rodard, neveu de Mr Cardot, juge de paix.

Je compte toujours qu'à votre retour, vous passerez par Soissons et que vous m'amènerez Mr Désaire.

Je vous prie d'offrir mon bien affectueux respect à Mr le Supérieur.

Je suis bien à vous de cœur

Demiselle

Ma sœur ne veut pas être oubliée auprès de vous.

Un ami de Soissons avec sa femme et une autre dame, vont arriver à Rome et s'adresseront probablement au Séminaire français pour un logement. Vous pouvez dire au portier que celui que nous occupions chez Mme Mazzola est vacant. Elle me fait prier de lui procurer des locataires, cet ami est Mr Cuvillier, avocat, qui connaît beaucoup Mgr de Beauvais, qu'il a reçu plusieurs fois chez lui.

1 Le cas du pape Honorius I° fut, en effet, l'un des principaux arguments de la minorité opposée à la définition de l'infaillibilité. Le p. Dehon y fait allusion en NHV VII, 39, 100, 176. Pour n'avoir pas affirmé clairement l'existence de deux volontés (divine et humaine) dans le Christ, Honorius 1 (pape de 625 à 638) fut déclaré hérétique au VI° Concile oecuménique de Constantinople (683), confir­mé, avec quelque nuance, par le pape S. Léon II. Voici le phrase principale de sa lettre à Sophronius, patriarche de Jérusalem, à laquelle fait allusion le chanoine Demiselle: «Nous ne devons professer, définir et proclamer ni une ni deux énergies; mais au lieu de l'unique énergie dont parlent certains, il nous faut confesser un seul Christ opérant vraiment dans les deux natures». Ce qui, en somme, allait dans le sens de ce qui fut défini ensuite. Reste son hésitation à proclamer et définir clairement les deux «énergies» (ou volontés). Cf à ce sujet les articles «Honorius I» en DTC et en «Catholicisme». Les autres noms de papes avancés contre l'infaillibilité sont ceux de Libère (351-366), Anastase II (496-498), Vigile (537-555). Sur tous ces cas, le point est fait en «Catholicisme, art. «Infaillibilité».

2 Un des nombreux articles, parfois violents, publiés contre Mgr Dupanloup au cours du Concile dans les journaux «infaillibilistes». Ni le journal ni le journaliste: n'ont pu être par nous identifiés.

435.28

AD B.21 /7a.3

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De Mr Boute

Hazebrouck 5 avril 1870

Mon bien cher abbé,

Je vous écris deux mots à la hâte pour vous recommander à vos bons services, au­tant que vous le pourrez, monsieur l'abbé Reumaux, prêtre et professeur à St­-François, qui part demain pour Rome, afin de pouvoir arriver â temps pour assister aux cérémonies de la Semaine Sainte. Veuillez lui venir en aide pour les renseigne­ments dont il pourrait avoir besoin pour la visite des saints monuments de la Ville éternelle. Je regrette bien vivement que mon bras gauche, dont je souffre toujours beaucoup et m'empêche de m'habiller seul, ne me permet pas de l'accompagner; car, avant de mourir, je désire faire mon pèlerinage à Rome; que le bon Dieu daigne me donner cette consolation avant ma mort. Je vois partir ce monsieur et cher confrère avec peine parce que je me trouve dans l'impossibilité de me rendre avec lui à la ville sainte, où j'aurais eu le bonheur de vous voir et de vous serrez fraternellement la main. Je me résigne dans l'espoir que Dieu m'accordera un jour l'objet de mes désirs; en me soumettant néanmoins avant tout â sa sainte volonté.

Je vous remercie de tout cœur de votre bonne lettre qui m'a causé bien de la satis­faction et que j'ai laissée jusqu'ici sans réponse. J'espère vous voir une dernière fois à La Capelle aux grandes vacances, si mon état le permet. Rien de nouveau ici. Mr le Principal et tous ces messieurs que vous avez connus vous présentent leurs amitiés. Je me recommande à vos bonnes prières.

Votre tout dévoué ami

Boute, Ptre

437.06

AD B.21 /7a.5.6

Ms 4 p. (21 x 13)

De Thellier de Poncheville

Valenciennes 9 avril 1870

Mon cher ami,

Je ne chercherai même pas à m'excuser: je suis inexcusable. Jamais ma paresse, trop connue de tous ceux qui n'ont pas renoncé à m'écrire, jamais ma paresse n'a été poussée aussi loin. Et cependant ici elle ressemblait fort à de l'ingratitude. J'avais tant à vous remercier de tout ce que vous avez bien voulu faire pour moi pendant mon séjour à Rome, et pour les yeux et pour l'âme. Aussi votre lettre, arrivant ici avant le départ de celle que chaque matin je vous écrivais en esprit, m'a-t-elle couvert d'une véritable confusion.

Je connaissais la nouvelle - je ne dis pas la triste nouvelle - que vous m'appre­niez. Le jour même, et peut-être à l'heure où notre Perreau a quitté la terre, je lui écri­vais pour lui demander des nouvelles de sa santé! Ma lettre est arrivée à Chambéry quelques heures avant son enterrement; et elle m'est revenue avec quelques lignes du pauvre frère de notre ami. Le coup a été tout à fait imprévu pour moi; j'étais depuis longtemps sans nouvelles de Chambéry; et d'un autre côté, lors du petit séjour que nous y avons fait en rentrant de Rome, nous avions trouvé tout le monde rassuré ou presque rassuré. Pour moi, je m'étais fait complément illusion: l'abbé avait fait avec nous deux de longues promenades sans fatigue apparente, et il m'avait paru beau­coup moins faible qu'au Tréport. J'ai eu par son frère quelques détails de sa sainte mort; je ne saurais assez vous remercier de ceux que vous voulez bien me donner. Que je voudrais l'avoir vu mourir! Il me semble que ceux qui l'entouraient devaient oublier leur douleur et ne songer qu'à glorifier Dieu. J'imagine quelquefois que, dans ces dernières heures, il a dû penser aux amis qu'il laissait sur la terre, bien loin du ter­me où il était si heureusement arrivé; et qu'entre tous, il a eu une prière pour celui qu'il avait voulu réchauffer au feu de son zèle, et qu'il avait trouvé si froid et si faible. C'est aujourd'hui surtout que je compte sur ses prières, aujourd'hui qu'elles sont cel­les d'un saint dans le ciel. Il avait souhaité pour moi une grande grâce; je ne pense pas qu'elle me soit jamais accordée; mais du moins, il m'aidera à sortir de mon inutilité et de ma paresse, dans quelque situation qu'il plaise à Dieu de me placer ou de me laisser1.

Vous parlerai-je du Concile, à vous, l'un des rares privilégiés qui voient le Concile face à face et dégagé des brouillards malsains qu'amassent autour de lui les tristes in­gérences du journalisme. Si je vous avais écrit plus tôt, peut-être n'aurais-je pas pu le faire sans laisser percer un peu de tristesse. Mais il me semble que peu à peu le calme se fait, et que la confiance, qu'on ne peut perdre sans perdre la foi, reprend son em­prise légitime sur les âmes catholiques. Il y a eu, dans ces derniers temps, une telle confusion de choses divines et des choses humaines, un tel renversement de tous les rôles, de toutes les idées et de toutes les hiérarchies que l'oeil de l'âme a pu se troubler un peu. Mais ce n'est que le trouble d'un moment. Pour celui qui croit, la paix et la lumière ne tardent pas à se faire. Et pour ne parler que du dogme de l'infaillibilité, qui bien que non défini, était admis par tout le monde, les catholiques compren­dront, après les premières confusions dissipées, qu'il ne justifie pas les effarements inattendus de quelques-uns, mais que d'un autre côté, il n'a rien de commun avec la bruyante exploitation que prétendent en faire certains autres.

Et quant à la recrudescence que l'école d'aveuglement que dirige l'Univers semble avoir reprise à la faveur des défaillances de certains de ses adversaires, je ne m'en ef­fraie pas trop. Cette école sera ce qu'elle était avant, ni plus ni moins: une difficulté pour la bonne volonté des uns, une pierre d'achoppement pour l'orgueil des autres.. Si le péril est là, il ne sera pas ailleurs; Dieu sait toujours le mesurer à la dose que com­portent nos forces. Au surplus, qu'est-ce que tout cela? Des grains de poussière sur la route triomphale de l'Eglise et de la Papauté2.

Vous voyez donc, mon cher ami, que je ne suis pas de ceux qui ont peur. Je crois néanmoins, comme vous, que le devoir de tous, même du plus humble, est de prier. Mon père vous remercie de votre bon souvenir et me charge de ses amitiés pour vous. Il s'occupe activement et presque exclusivement de nos œuvres de charité.

Tout â vous

Thellier de Poncheville

Je me rappelle bien respectueusement au souvenir du R. P. Freyd, à qui je conserve la plus grande reconnaissance. Dites-lui que je continue à plaider, comme si c'était une occupation tres sérieuse. Je suis, avec quelques cahots, son petit règlement, et je ne saurais assez l'en remercier.

1 Thellier de Poncheville, ancien co-étudiant en droit de Louis Perreau et Léon Dehon à Paris (cf NHC I, 42v'), était au Tréport avec ses deux amis en août 1869. La grâce à laquelle il fait allusion est celle de la vocation sacerdotale, à laquelle «un instant il pensa se vouer» (cf NHV VI, 152-153).

2 Le P. Dehon cite longuement cette lettre de Thellier de Poncheville en NHV VII, 149-151. C'est, en effet, un bon témoignage équilibré sur l'opinion des «gens du monde» en France sur la campagne journalistique à laquelle le Concile a donné occasion.

184.02

AD B.17/6.37.2

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Poiblanc

Semur le 25 mai 1870

Fête de S. Grégoire VII

Mon cher Secrétaire et Ami,

Je m'estime heureux qu'une circonstance me force en quelque sorte à ne pas remet­tre plus longtemps à vous écrire.

Ci-inclus huit francs en timbres-poste pour les coupons de rente de janvier et d'avril; j'ai encore entre (les) mains le coupon de juillet prochain. Mr Pineau, qui, je pense, est toujours trésorier et à qui vous voudrez bien présenter mes meilleurs senti­ments, aura la bonté de vérifier si, avant de partir, j'avais laissé, comme il me semble, les 4 frs pour le coupon du 1 ° octobre dernier.

En réponse à votre appel de fonds, je vous envoie aussi ci-inclus 5 fr. Si c'est un ca­pital que vous voulez former afin de pouvoir constituer un revenu de 100 fr par an, et que les offrandes ne suffisent (pas), vous n'aurez qu'à me le faire savoir j'augmenterai la mienne1.

Votre circulaire m'a fait grand plaisir parce que je constate que nous sommes en voie de progrès: j'espère que vos désirs et vos efforts aboutiront. Que disent les cor­respondants du projet de réunions? Le pensent-ils possible et voient-ils quel pourrait en être l'objet? Je n'ai pas besoin de vous dire combien toutes ces questions m'intéres­sent; cependant, je n'ose espérer de réponse, car je ne doute pas que vous ne soyez surchargé de travail, quoique je pense pourtant que vous remettez votre Doctorat à l'année prochaine. J'espère que vous vous souviendrez que vous m'avez promis que vous vous arrêteriez en Bourgogne. Vous savez quel plaisir ce sera pour l'abbé de Bretenières et pour moi.

Puisque vous avez encore le bon P. Dorveau (?), rappelez-moi, je vous prie à son excellent souvenir et à ses prieres2.

Et notre chère Œuvre de Ste Catherine, est-elle toujours bien fervente? Vos petites réunions du bureau sont-elles toujours aussi bonnes, aussi pieuses; elles sont pour moi un des plus doux souvenirs du Séminaire Français3.

C'était vraiment ecclésiastique! Que charme de pouvoir, dans une petite réunion intime, parler et agir en prêtre. Oh! si on pouvait avoir cela dans le ministère, comme on se ferait du bien, comme les forces se retremperaient; mais, hélas! il faut bien l'avouer, 1 es réunions des ecclésiastiques sont bien peu sacerdotales. On n'est pas prêtre vis-à-vis les uns des autres. On passe toute une demi-journée dans un presbytère auprès de l'église, à deux pas du tabernacle, à deux pas du Maître, et des prêtres, d'ailleurs bons, pieux même, ne pensent (pas) à aller se prosterner devant lui un mo­ment. C'est bien triste; et cependant, au milieu de nos pauvres populations, comment arrêter le courant de l'impiété, si on ne redouble pas d'union avec N. S. Dans votre prochaine réunion, recommandez-moi instamment aux prières de mes chers confrè­res (je dis confrères, car je me considère toujours comme de l'Association), afin que le peu que j'ai pu amasser au Séminaire ne soit pas trop tôt dispersé. Assurez-les que je ne les oublie pas. Veuillez dire à Mr Roserot que je lui répondrai sous peu, au P. Le Tallec que j'attends sa visite avec impatience; je n'ose en dire autant à Mr Dugas.

La bibliothèque fait-elle de bonnes affaires. Mr de Quincy doit avoir quelque er­reur dans l'ancien compte. Qu'il veuille bien me la faire connaître, et je tâcherai de la faire disparaître. Faites-lui bien mes amitiés ainsi qu'à tous nos anciens condisciples. Votre bien affectionné dans les Cœurs Sacrés de Jésus et de Marie.

F. E. Poiblanc

P. S. Ne m'oubliez pas auprès des bons Frères. Je garde toujours d'eux un bien bon souvenir.

1 Apparemment, il s'agit de la trésorerie d'une association des anciens de Santa-Chiara.

2 Peut-être le P. Dorvan, de Poitiers, ancien du Séminaire français (cf NHV IV, 147), qui accompa­gnait son évêque Mgr Pie (cf NHV VIII, 49, 61, 92).

3 Sur cette «œuvre Ste Catherine» cf NHV V 107-108 et St. Deh. L'expérience spirituelle du P. Dehon - Les années de formation, chap. V § 1: «une pieuse association».

181.05

AD B.17/6.34.5

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De Mme Perreau

Chambéry le 31 mai 1870

Monsieur l'Abbé,

Je vous prie de bien vouloir m'excuser de ne vous avoir pas envoyé les cahiers que vous avez eu l'obligeance de prêter à mon cher fils. Vraiment, j'espérais que vous passeriez ici, et que j'aurais l'honneur de vous remercier en vous les remettant.

C'est une si grande satisfaction pour moi de voir les personnes que mon cher Louis a tant aimées.

J'ai vu hier Monsier l'Abbé Mareschal qui m'a réclamé de votre part dix cahiers de théologie morale. J'avais en effet séparé ces cahiers, mais non pas au nombre de dix, seulement de sept. J'ai fait une revue très soignée dans tous les livres et cahiers de mon pauvre Louis, mais sans résultat. J'espère donc que Mr Mareschal ne se sera pas souvenu exactement du nombre, ou que peut-être vous, Monsieur, auriez prêté à quelqu'un les trois autres. Réellement il n'est pas possible que mon fils les ait égarés, car il n'a jamais été dans le cas de s'en servir, il souffrait trop.

J'ai donc mis aujourd'hui au roulage, pour être expédié par grande vitesse un paquet à votre adresse et pour vous être remis à destination, franc de port, et avec l'as­surance qu'il vous serait remis dans le terme de quatre jours.

Veuillez, Monsieur l'Abbé, agréer mes remerciements de tout ce que vous avez fait pour mon fils. Vous lui avez rendu le séjour du Tréport agréable et là, comme et plus encore qu'à Rome, il était heureux par vous. Soyez persuadé, Monsieur, que je n'ou­blierai jamais la dette de reconnaissance que mon cher fils a contractée auprès de vous.

Recevez, Monsieur l'Abbé, l'assurance de la parfaite considération de votre très humble servante.


Veuve Perreau

P. S. Seriez-vous assez bon, Monsieur l'Abbé, de vouloir présenter mes respec­tueux hommages au Révérend Père Freyd, en le remerciant du bon souvenir qu'il me garde. Je le prie, ainsi que vous, Monsieur, de ne pas oublier mon cher fils dans vos prières; ce sera me faire un bien immense!

158.15

AD B.17/6.12.15

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De Mr Demiselle

Soissons 9 juin 1870

Mon cher abbé et ami,

La conduite de la minorité dans le Concile me parait de plus en plus inqualifiable; non pas que je voie avec déplaisir qu'ils fassent valoir leurs raisons, mais crier à l'op­pression, quand ils prennent à tâche d'accabler leurs collègues par d'interminables discussions, des redites sans fin sur une question débattue à satiété dans de gros livres et dans des brochures; se poser en victimes quand eux-mêmes font subir aux autres les tortures de leurs violences, de leur acrimonie, de leurs récriminations plus qu'in­convenantes, en vérité, c'est trop abuser de la liberté qui leur est laissée dans une si large mesure. Il n'est aucun corps délibérant qui pousserait si loin la condescendance pour une minorité.

Dieu a ses desseins. Il était nécessaire que l'on connût le fond de certaine âmes. «Erit in signum cui contradicetur, ut revelentur ex multis cordibus cogitationes»1. Espérons que l'Eglise sera purgée pour toujours de ce levain de gallicanisme qui la déparait depuis trop longtemps. Serait-ce au prix de défections partielles qui vien­draient affliger l'Eglise? Peut-être. «Oportet haereses esse, ut qui probati sunt, mani­festi fiant in vobis»2. Pauvres gens qui transportent dans le gouvernement de l'Eglise les idées qu'ils se sont faites touchant les gouvernements civils. Ils sont ce qu'ils ap­pellent libéraux en politique, ils veulent l'être en religion: et ils s'aheurtent à cette malheureuse idée avec une opiniâtreté qui, jointe à l'aigreur avec laquelle il la défen­dent, fait songer, malgré qu'on en ait, aux hérésiarques, tels que nous les dépeints l'histoire…

Et ces âmes faibles, légères de caractère et de doctrine, qui se laissent fasciner par ceux qu'ils regardent comme des génies supérieurs, comme si le génie (quand génie il y aurait) pesait quelque chose quand il est question de dogme et de révélation; gens qui compteraient volontiers les voix dans un Concile d'après le nombre d'âmes que chaque évêque peut compter dans sa circonscription.

Le spectacle que présente cette minorité me fait mal. Que serait-ce si je pouvais voir toutes les ficelles qu'ils remuent derrière la toile, et en particulier ces Matriarches qui voudraient transformer certains salons en autant de Conciles au petit pied3.

J'espère toujours que le gouvernement français aura le bon esprit et le bon sens de ne se mêler en rien de ce qui regarde le Concile, malgré l'appel au bras séculier, qui a scandalisé même les impies. Où peut conduire l'orgueil de faire prévaloir son opinion et de se poser en chef d'école ou de parti, pour ne pas dire chef de secte4.

Vous voudrez bien être l'interprète de mes sentiments aussi affectueux que respec­tueux auprès de Mr le Supérieur. A l'occasion, offrez mes hommages â MMgr de Beauvais et de Rodez. Un bon souvenir â MM. Deladone et Sabathier.

Je prends acte de la promesse de M. Desaire et je compte sur vous deux aussitôt que vous serez libres, et je désire que ce soit bientôt. Il est temps du venir respirer la fraîcheur sous notre climat du nord.

On nous annonce le retour de Mgr de Soissons pour faire l'ordination du 10 juillet.

Je suis bien à vous en N. S.

Demiselle

1 «Il sera un signe contesté pour que soient dévoilés les pensées de bien des cœurs» (Lc 2, 34-35).

2 «Il faut qu'il y ait des divisions… afin qu'on voient ceux d'entre vous qui résistent à cette épreuve» (1 Cor 11,19).

3 On désignait ainsi, ironiquement, les dames de la haute société (romaine ou parisienne) qui tenaient salon où l'on discutait, souvent âprement, pour ou contre l'infaillibilité.

4 Plusieurs gouvernements européens essayaient, en effet, de faire pression diplomatique pour inflé­chir les discussions et décisions du Concile, notamment à propos des chapitres sur les pouvoirs de l'Eglise en matière civile, sur la souveraineté temporelle du Pape, et sur les rapports de l'Eglise et de l'Etat. Ainsi l'Autriche et la France. Plusieurs évêques français de la minorité désiraient que le gou­vernement impérial intervienne pour engager le Pape et le Concile à plus de modération. Le ministre français Daru envoya une note et un memorandum, qui provoqua remous et agitation en plusieurs pays. Mais Pie IX n'admit aucune intervention et tout se calma peu à peu. En France, Emile Ollivier remplaça Daru»: «Daru se retire, Ollivier remplace, concile libre» annonçait une dépêche le 18 avril (cf Aubert o. c. pp. 347-348).

* Longue citation de cette lettre en NHV VII, 147-149.

157.01

AD B.17/6.11.1

Ms autogr. 4 p. (16 x 18)

De l'abbé Adhémar de La Ferrière

Coëthuan ce samedi 3 j. (juillet 70)

Monsieur et cher ami,

Depuis bien longtemps je vous aurais envoyé un mot particulier de souvenir et de remerciement pour toutes les bontés que vous m'avez témoignées cette année à moi, vilain enfant, qui avait, il est vrai, tout ce qu'il faut pour éloigner, mais, en revanche, rien de ce qui serait propre à attirer. Et pourtant, que d'excellents amis j'ai trouvés sur ma route: ce corps sténographique, si digne d'être au Concile et où tous me rece­vaient avec tant de bienveillance; puis MM. de Vareilles, Lequerre, Bourgeat, Billot et d'autres encore, que ma mémoire oublie peut-être maintenant, mais que mon coeur n'oublie pas devant N.S. Jusqu'à présent, le manque de temps m'a toujours empêché de mettre à exécution ce projet. D'ailleurs, que pourrais-je vous dire qui ne vous assomme? Mr Dugas me dit qu'il y avait des doutes sur vos vacances à tous comme demi-pères du Concile. Il faudra bien cependant que vous particulièrement, Monsieur, vous reveniez pour quelques semaines en France. Je vous en prie, soignez­-vous: vous n'avez pas le droit d'enlever à l'Eglise, à la société et à vos amis un homme de coeur, de talent et de vertus. Pardonnez-moi si je vous dis si crûment les choses. Je garde, malgré cela, pour mes conversations intimes, où le séminaire et ceux que j'y ai connus et appréciés reviennent si souvent, une expression plus juste de ce que je sens, mais qui blesserait une de vos plus belles vertus,. la modestie.

La date de la première communion de ma nièce ne m'a pas permis, à mon très grand regret, d'aller à Amiens. Et maintenant, selon toute probabilité, je ne ferai pas ce voyage avant l'année prochaine. Quand donc vous reverrai-je, Monsieur, je l'igno­re; mais je compte que vous penserez quelquefois dans vos saintes prières à celui qui vous a tant assommé parfois. Je compte écrire à un Père de la Providence, quand j'au­rai écrit quelques autres lettres. J'espère le pouvoir ces jours-ci. Je mettrai l'image de votre petit cousin dans une enveloppe et lui enverrai dans une lettre à ce Pèrel.

Je suis plus fatigué et plus affaibli que je ne l'eusse cru moi-même. Comme nous sommes à une lieue de la paroisse et qu'à cette époque-ci de l'année, les messes se di­sent de tres bonne heure, j'ai bien de la peine à en attraper une par-ci par-là. Je tâche pourtant de ne pas devenir plus mauvais que je ne suis. Tout mon entourage est bien malade et souffre cruellement; ma présence leur fait du bien, malgré quelques regrets arrachés par la nature corrompue. Priez aussi pour ces chères martyres, bien cher ami; votre nom est venu bien souvent sur mes lèvres depuis que je suis ici, moins sou­vent pourtant que dans ma prière.

Votre ami bien affectueusement et bien humblement reconnaissant et dévoué

Adh. de la Ferrière

Je vous en supplie, brûlez ou déchirez mes lettres dès que vous les avez lues. Je de­mande la même faveur à tous mes correspondants. Mes meilleurs souvenirs à MM. Bougouin, de Vareilles, Dubois (plusieurs noms rayés). Pardon du griffonnage: je vous avais chargé de commissions pour des gens auxquels j'écris.

1 La Providence: collège des Jésuites â Amiens, où sans doute était alors un petit cousin de Léon De­hon.

150.01

AD B.17/6.4.1

Ms autogr. 1 p. (21 x 13)

De l'abbé Bourgeat

Rempart Serpenois 21 Metz (Moselle)
(5 juillet 1870)

Bien cher ami,

Je ne veux pas dès le commencement de mes vacances encourir votre malédiction. J'ai presque promis de vous envoyer un petit billet dans la lettre que j'écrirais à Mr Dugas. Je m'acquitte de ma promesse. Franchement, je ne vois pas ce que je puis vous dire de nouveau: il y a cinq jours à peine que je vous ai quitté et ma vie depuis s'est passée presque tout entière en bateau et en chemin de fer. Je suis bien arrivé hier à Metz, à bon port sans trop de fatigue, et je vais travailler de suite à me remettre, afin de ne pas vous effrayer par ma maigreur quand j'irai vous rendre visite à La Ca­pelle, si toutefois on me donne des vacances.

Je vous recommande une fois encore (…) pour mardi prochain 12. J'espère que si, avant votre départ, vous sentiez en vous la moindre inclination à m'écrire quelques li­gnes, vous ne résisterez pas à la tentation.

Tout à vous in

Xsto Bourgeat

Metz ce 5 juillet 1870.

161.04

AD B.17/6.15.4

Ms autogr. 5 p. (21 x 13)

De l'abbé Désaire

Nîmes 29 juillet 1870

Mon très cher,

Me voici donc à Nîmes depuis plus de 24 heures! Que de questions vous devez m'adresser, n'est-ce pas! et que votre curiosité doit être excitée! Je vais tâcher de vous satisfaire pleinement, mais auparavant, revenons un peu sur le passé!

Il m'est impossible de vous féliciter sur la manière dont vous vous y êtes pris pour éviter la corvée d'une première visite ici: de toutes vos raisons, celle de votre santé et la seule valable à mes yeux, et c'est la seule qui me pousse pour vous à l'indulgence et au pardon. Ne me jouez plus de ces tours, mon bon ami: bien qu'ils n'aient aucune portée sérieuse, ils ne manquent point cependant de causer de l'ennui, principale­ment sur certains caractères impressionnables, comme vous en connaissez.

J'ai pris jusqu'ici d'excellentes vacances et plus que jamais, je me crois maintenant capable de toute fatigue; comme vous le pensez bien, je demande instamment à Dieu que votre santé ressemble maintenant à la mienne. Hier soir, après souper, le P. d'Al­zon m'a lu votre lettre: je vois que mes espérances à cet égard ne seront point déçues.

Que vous dire maintenant de cette Assomption? Je ne le sais trop, car il n'est pas facile, en 24 h., de porter un jugement bien sérieux sur une communauté. Je ne vou­drais donc pas que mes impressions premières servissent de base à vos détermina­tions nia des jugements définitifs de votre part: agir ainsi serait à la fois une sottise et une injustice.

Pouvons-nous donc, pour la réalisation de nos projets, compter sur cette commu­nauté? Je répondrais oui et non en même temps, et que, par conséquent, la chose dépend entièrement de la tournure que prendront les choses. Il me paraît certain que si l'esprit de l'Institut continue à tendre vers un développement des petites œuvres qui l'occupent, il lui sera impossible de travailler à autre chose. Les quelques religieux qui sont ici me paraissent accablés de travail et perdus dans mille détails qui les ren­dent inaptes à des études longues et approfondies. Tous prennent un certain cachet du P. d'Alzon et apparaissent sans cesse affairés ou lancés au pas de course. Les Pères qui dirigent le Collège paraissent très bien et fort instruits. Le P. Emmanuel, supé­rieur à 28 ans, semble poser un peu et par trop sentir sa dignité ainsi que la confiance qui lui est donnée par le P. d'Alzon. Le p. Laurent est, à coup sûr, un de ces maîtres hommes qui connaissent leur métier; et je ne m'explique pas qu'il doive obéissance et soumission à son ancien élève. Le P. Alexis, qui deviendra votre compagnon de l'an prochain, ne saurait, pour le caractère, être mieux comparé qu'à M. Daubichon, avec quelques qualités en plus. Maigre, sec, tout nerf, avec une tête de la grosseur d'un verre, des yeux fatigués et une légère tendance à se courber, il est sans contredit fort intelligent, et apte à réussir parfaitement pour l'argumentation. Un peu fatigué de la vie coupée et décousue qu'il a menée jusqu'ici, il aspire après le séjour de Rome comme après le paradis terrestre. Les jeunes scholastiques que je vois, avec leurs ca­puchons, dirigeant chaque division, paraissent très pieux et très bons. Je ne les ai pas vus de près et ne puis rien vous en dire.

Le local est assez beau, bien que le luxe et une grande commodité n'y apparaissent point. Il y a parmi les élèves une tenue parfaite et, autant qu'il me semble, une mâle et vraie piété. Le P. d'Alzon veut d'ailleurs avant tout des chrétiens agissants. Croiriez­vous qu'avant-hier, pour préparer ces jeunes cœurs à recevoir saintement l'auguste Eucharistie pour le Pape, il leur fit un long discours où il leur dit qu'il ne comprenait pas ces hommes dont l'oraison durait tout le jour et qui ensuite votaient par «non placet» ou restaient dans une béate attitude en face des entreprises contre le St-Siège?

Nîmes semble une ville bien morte intellectuellement pour qu'un centre d'activité puisse s'y établir. Montpellier ou Toulouse, où la jeunesse sera toujours plus nom­breuse, assureraient peut-être plus de succès. Cependant, Mgr Plantier ne recule pas devant la pensée d'une Université, et déjà le P. d'Alzon lui a fait mordre vaillamment à la pomme. Quant aux rapports entre l'Assomption et le Grand et le Petit séminaire, je n'en vois aucun, et par conséquent, s'y introduire sera un travail tout nouveau.

Donc et en résumé, je vois un personnel intelligent et pieux: plusieurs Pères sont déjà licenciés es-lettres et es-sciences; un collège où pourront se recruter plus tard d'excellents jeunes gens pour notre œuvre, et des ressources matérielles qui ne feront pas défaut: voilà les motifs de confiance que m'a inspirés la journée passée ici.

Par contre, je découvre de nombreux éléments d'insuccès. Les Pères ne sont que peu ou point du tout au courant des desseins du P. d'Alzon; ceux que j'ai vus sont unanimes à reconnaître qu'il sera bien difficile pour le moment de dépeupler le Collège pour envoyer des sujets à Rome et pour faire ici des élèves sérieux. Je vois avec pei­ne que des 5 ou 6 qui feraient de la philosophie, chacun devrait avoir une surveillan­ce pénible, voire même une classe, et que par conséquent les études continueront à être aussi incomplètes que possible.

Puis, la règle a peut-être plus d'une incompatibilité avec notre but: on y singe plus d'une pratique des grands ordres, - le réfectoire n'a que des assiettes en terre et des fourchettes en fer - le capuchon se met sur la tête pour aller du réfectoire à la cha­pelle - le religieux qui sort vient plier le genoux devant le supérieur de la maison pour recevoir sa bénédiction, bref, il y a là mille pratiques qui m'iraient à peine, sur­tout les premiers jours.

A la sacristie et dans les différentes parties de la maison, il n'y a peut-être pas tout l'ordre désirable, mais ceci tient sans doute à ce que les dérangements de la distribu­tion des prix sont nombreux.

Toutes ces remarques un peu défavorables s'évanouiront si nous obtenons les re­formes que nous demandons au P. d'Alzon. Mais les obtiendrons-nous? Je vous avoue que j'en doute un peu: jeunes et nouvellement arrivés, nous pèserons peut-être bien peu sur les déterminations, et à en juger par l'attention qu'on a pour moi en ce moment, il pourrait bien advenir que nous ne fussions pas trés écoutés et, à un mo­ment, pris dans une souricière! Ces bons religieux tiennent à leurs œuvres comme à la prunelle de leurs yeux, et Dieu sait s'ils voudront prêter l'oreille à nos projets.

Je viens de causer longuement avec le P. Laurent. Sa conversation m'a beaucoup plu et m'a rendu tout le courage que j'aurais pu perdre en face des réalités: ce digne

homme est pleinement acquis à notre cause, mais il avoue ce que j'avais déjà remar­qué, c.a.d. que pour une année environ, les consolations ne seront pas abondantes pour moi, car ce sera le temps de la formation de cette œuvre qu'il réclamait depuis si longtemps, les études des jeunes scholastiques.

Quoi qu'il en soit, mon bon ami, à la garde de Dieu et en avant! Mon courage est le même: je reviendrai vers le 1 ° octobre et je commencerai tout ce qu'on voudra. Continuez à écrire souvent au P. d'Alzon, surtout vers les commencements de sep­tembre, époque à laquelle se tiendra le chapitre au Vigan. Faites-lui comprendre de quelle importance il est de tout sacrifier pour avoir, au plus vite, des sujets, et de bons sujets. Continuons à beaucoup prier et à nous tenir en garde contre la possibili­té de ne mener plus tard qu'une vie à demi utile, perdue dans des détails insignifiants, et inapte à notre but.

Demain après la distribution des prix, je partirai pour Lyon, où je m'arrêterai fort peu, si tant est que je m'y rende. Ecrivez-moi à Albertville (Savoie).

Adieu, bien cher ami, ne m'oubliez pas auprès de vos bons parents: renouvelez­-leur l'expression de mes sentiments affectueux, et croyez-moi.

Tout vôtre en Jésus

Charles Désaire

J'oubliais de vous féliciter au sujet de votre licence; je suis tout heureux que vous en ayez enfin fini.

* Quelques phrases de cette lettre sont citées par le p. Dehon à propos de ses relations avec l'Assomp­tion de Nîmes (NHV IX, 4-5).

432.02

AD B.21 /7a.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

Du P. d'Alzon

Nimes le 1° août 1870

Mon cher ami,

Je ne vous écrirai que deux mots. A l'instant, deux de nos religieux partent pour l'armée comme aumôniers, parmi eux celui qui conduira l'an prochain notre escoua­de à Rome, si l'on peut aller à Rome l'an prochain. Le Père Vincent de Paul Bailly, que vous connaissez, et un autre l'ont précédé; un ou deux autres les suivront.

Je partage tout à fait votre manière de voir sur le sérieux (?) des Etudes. Seulement, je crois que vous n'avez pas fait suffisamment l'expérience de la nécessité d'une sou­pape d'échappement pour certaines natures capables d'enseigner quelque temps, mais pas toujours. En ce moment, on me fait des ouvertures pour recevoir une con­grégation, qui a une certaine réputation, mais qui n'ayant que l'enseignement ressent l'indispensable nécessité d'avoir autre chose.

J'ai l'espoir de donner huit élèves à l'abbé Desaire. Je lui en aurais donné 10 à 11 si la guerre ne les eût pris. Il faut renoncer aux bacheliers, pour lui c'est trop mécanique (?). Vous ai-je dit que l'Evêque de Nîmes vient de m'autoriser à préparer une maison de hautes études dans son diocèse?

Nous n'avons pas eu, à proprement parler, de chapitre, mais nous avons décidé la maison de Rome avec enthousiasme et tous les sacrifices possibles pour cela. On y enverra quatre sujets cette année, si l'argent ne manque pas, et si vous saviez où l'on en est! Mais cela ne durera pas indéfiniment. On a décidé un second noviciat à Paris, qui se bâtirait depuis un mois sans la guerre, afin de pouvoir plus aïsément recruter des jeunes gens instruits. J'ai décidé que la maison du Vigan servirait plus particulièrement aux études élémentaires de nos jeunes gens. On a fait quelques épurations. On a pris les mesures pour donner du temps aux futurs élèves de l'abbé Desaire, mais pour cela il faut des élèves un peu moins jeunes, et la guerre paralyse tout. Ce n'est qu'un temps d'arrêt, mais c'est un arrêt.

Ce que vous n'avez pas compris dans mon discours, le voici1: l'état n'ayant pas de doctrines ne peut enseigner que les sciences qui ont le moins de rapport avec la doc­trine, et encore ai-je fait des réserves. Je suis si fort d'avis que la religion doit primer tout que j'ai scandalisé des évêques en demandant que la théologie fût le noyau des universités libres.

Adieu. Ecrivez-moi très souvent.

Totus tibi in Xst

E. d'Alzon

Un excellent paysan, qui a prédit tout ce qui se passe, annonce la fuite du Pape, la chute de l'empereur, la république et une grande victoire des français.

Le P. Vincent, le P……. et le P. Pernet (sont) transportés pour Metz.

1 Cf LD 156

433.01

AD B.21 /7a.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

Du P. d'Alzon

Nîmes le 7 août 1870

Mon bien cher ami,

J'avais différé de vous écrire parce que j'étais trop fatigué d'un dérangement d'estomac qui ne veut pas céder au bismuth, à la limonade, etc… etc… Puis j'avais compté depuis longtemps partir pour le Vigan et de là vous répondre tout à loisir, mais les évènements si tristes qui se sont accomplis me décident à rester à Nîmes qui est mon véritable poste. Nous allons y bâcler en deux jours une réunion de religieux qui aurait dû en durer huit au Vigan. Mais la volonté de Dieu est si claire qu'il n'y a qu'à y céder1.

Savez-vous que quatre ou cinq de nos religieux se sont offerts pour les ambulances militaires? mais les ambulanciers de combat! Les acceptera-t-on? Nous saurons cela mercredi ou lundi prochain. Je viens de faire mon travail avec le maître des novices. J'espère pouvoir lui donner (à l'abbé Desaire) sept à huit élèves pour l'an prochain, sans parler de trois ou quatre que je compte bien envoyer à Rome.

Vous douteriez-vous qu'à Nîmes nous avons des prussiens? Ce sont les 2.000 con­damnés de la Maison Centrale, et les protestants. Les protestants surtout sont enra­gés, cela prouve que la France et l'Eglise sont créées pour être unies. Pourquoi veuton les séparer. C'est un double crime.

Je vous attendrai donc au mois d'octobre à votre retour au Concile. Mais il y aura­t-il un Concile? Peut-être Dieu fait-il le trouble dans l'intervalle afin de procurer en­suite la paix. Je maintiens que ce que nous voyons depuis un an tient tellement du mi­racle que cinq ou six prodiges de plus ou de moins, à mon humble avis, ne feraient plus rien à l'affaire, et ma disposition la plus habituelle est une surabondance de con­fiance en Dieu.

Le Père Picard, arrivé hier de Paris, nous dit que le mouvement religieux dont la guerre a été l'occasion, est tout à fait admirable. Dieu se sert de tout, de tous et quel­quefois surtout des coquins pour faire son œuvre2.

Je suis tout à fait de votre avis pour ce pauvre Paris, c'est pour cela que nous tâche­rons de pouvoir un jour, et ce jour serait sur-le-champ, y avoir une maison de 15 à 16 religieux.

Adieu, mon cher ami; au revoir avant deux mois. Laissez-moi vous dire mon scru­pule de vous aimer déjà beaucoup. Croyez (moi) mille fois vôtre en N. S.

E. d'Alzon

Pensez-vous à dire la messe pour les pauvres soldats tués pour lesquels personne ne prie?

1 Le Vigan, propriété familiale du P. d'Alzon, où devait commencer et s'organiser. la nouvelle œuvre d'étude.

2 Allusion au mouvement de retour religieux suscité par les angoisses de la guerre, ramenant «au pied des autels de nombreux français que leurs plaisirs ou leurs affaires en avaient éloignés» (Aubert o.c. p. 373).

Cela devait se prolonger dans les années suivantes, par delà les troubles de la Commune, avec une Assemblée nationale constituée d'une majorité de catholiques pratiquants et le mouvement de l'Or­dre moral: réveil religieux temporaire (construction de la Basilique de Montmartre, pèlerinages di­vers… ) non sans une montée d'anticléricalisme républicain et l'avènement en 1879 de la «République des Républicains».

150.02

AD B.17/6.4.2

Ms autogr. 1 p. (21 x 13)

De l'abbé Bourgeat

Metz ce 10 août 70

Bien cher ami,

Un mot seulement pour vous faire savoir que le n'ai pas encore été atteint par les balles prussiennes. Mon plan de campagne était fait, je comptais partir immédiate­ment après l'Assomption pour Hirson, mais vous comprenez qu'on ne peut pas fuir devant l'ennemi quand il est presque à nos portes. Je resterai donc à Metz tant que les affaires n'auront pas pris une autre tournure. Nos vacances menacent de ne pas être très gaies, et notre retour à Rome sera peut-être impossible. Enfin, il faut se résigner, le bon Dieu saura tirer le bien du mal et dans deux mois, les choses iront peut-être mieux. Vous savez mon adresse, donnez-moi de vos nouvelles; je vous écrirai de temps en temps pour vous tranquilliser à mon sujet.

Pensez à moi dans vos prières1.

Tout à vous in Xsto

Bourgeat

1 Après les premiers engagements en Alsace et la défaite de Forbach commence l'investissement de Metz (12-18 août: batailles de Borny, Gravelotte, Saint-Privat, Bezonville). Le siège de Metz, défen­due par Bazaine, devait s'achever le 27 octobre par la reddition et 150.000 prisonniers.

149.01

AD B.17/6.3.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Bougouin

Castel Gandolfo, Couvent des Réformés (24 août 70)1

Bien cher ami,

Quelle bonne surprise votre lettre nous a causée! Vous savez combien l'air est vif des hauteurs de notre plateau; eh bien! je l'ai savourée avec tout l'appétit que le vent de mer aiguise, quand le soir il vient rafraîchir la terrasse ombragée de la villa Barberi­ni. Pardonnez à cette avidité, qui passe en vacances à la campagne: après trois semai­nes de séparation, je commençais à crier famine et à désirer de vos nouvelles. C'est vous dire que ma pensée ne vous a pas quitté depuis le 19 au soir où vous nous disiez adieu avec Mr Dugas. La pensée de vous écrire m'est venue plusieurs fois; mais vous l'avouerai-je, je ne l'ai pas fait, ignorant encore si nous pourrions fixer notre tente à Castel. Bien que les nouvelles ne soient pas meilleures, nous maintenons notre provi­soire, attendant les événements.

25 août - J'avais écrit ces quelques lignes quand Mr Vantroys est venu nous lire, à Mr Le Tallec et à moi, la lettre que vous avez reçue, charmant échantillon de style épistolaire, n'est-ce pas?…

Des bruits sinistres circulaient à Rome et arrivant jusqu'à Castel troubler le repos de notre villégiature. On disait: à tel jour, les Piémontais seront au Capitole. Comme ces bruits semblaient avoir quelque fondement et venir de source autorisée, nous avons cru devoir attendre pour vous dire le résultat. L'intention était bonne, mais nous avons été mal inspirés: nous y avons gagné de vous faire attendre, ce qui est un bien mince avantage, et de vous laisser penser peut-être qu'au loin, nous oublions nos meilleurs amis; ce qui est tout à fait faux.

Quant à l'occupation de Rome par les subalpins, il n'en est rien, bien que la date assignée soit passée depuis plusieurs jours. Espérons qu'ils ne fouleront jamais ce cher sol sacré de notre Rome chrétienne. Le St-Père est plein de confiance, il oublie son propre danger pour pleurer les malheurs de la France. Par quelles cruelles épreu­ves nous passons! et comme le bras de Dieu nous visite! J'aime beaucoup l'article de Veuillot du 22; malheureusement, il n'y a que les bons qui lisent et comprennent ces dures vérités1.

Voyons, me voilà sorti de ma province: j'ai manqué à nos conventions: M. Le Tal­lec est chargé de vous livrer nos impressions sur la guerre; mon rôle est de rester à la maison, pour vous dire ce que sont devenus nos amis. Laissez-moi pourtant aupara­vant vous demander si vous avez des nouvelles de M. de Dartein. Je voulais lui écrire à l'occasion du 28, mais qui sait où il célébrera la fête de son saint Patron? Peut-être sur un champ de bataille comme Wissembourg ou Forbach. J'ai lu son nom parmi ceux des aumôniers de l'armée (6° corps, cavalerie, M. Dartein, de Strasbourg). Pau­vre confrère, comme il a du coeur et du courage! Mais pourquoi la cavalerie? Je gage que vous dites intérieurement: c'est pour être à temps sur les lieux du sinistre et ne pas arriver quand la besogne sera faite. Allons! vous avez une mauvaise pensée; j'ai­me mieux croire qu'il y a plus de dévouement à déployer parmi les cuirassiers que parmi les fantassins et que, selon son habitude, il laisse aux autres la tâche la moins pénible. Félicitez bien sincèrement pour moi ce généreux volontaire, dites-lui toute mon admiration, nos prières le suivront partout. Si vous pouvez avoir de ses nouvel­les, nous vous serions tous reconnaissants de nous les faire parvenir. Et M. Dugas, il fait le mort depuis son départ; on dit que ses mitrailleuses et celles de M. de Lerre (?) ne décimeront même pas les gallicans lyonnais!

Ici, nous menons une petite vie, bien honnête; en face du théâtre d'action qui vous est ouvert en France, nous devenons bien prosaïques. Haletants de nouvelles, nous dévorons les journaux qui viennent de France; notre coeur, notre pensée, nos conver­sations ne sont plus à Rome, mais à la suite de notre vaillante armée. Comme elle mérite d'être victorieuse! Le reste du temps, on travaille, mais qu'on fait peu de beso­gne, même avec la meilleure envie d'en abattre beaucoup! on se promène; l'air est doux et la campagne délicieuse. M. Quentin nous a quittés pour aller s'établir à Castel. Il est allé avec M. Vantroys dans les appartements épiscopaux du couvent; il a dû plier bagages à l'arrivée de Mgr Gianelli. M. Vantroys se contente d'un modeste oratoire, toujours le même! J'oubliais de vous dire que M. Quentin fait avec les Pères sa retraite du sous-diaconat; elle finira sans doute dimanche avec la fête du T. S. Coeur de Marie. M. Pineau est héroïque; il a été très fatigué ces derniers temps; le mieux revient, même avec la popotte si modeste du couvent. Lui et M. Lequerré ont passé leur doctorat, quelques jours seulement avant l'Assomption, par privilège. La date régulière était le 17, mais M. Lequerré avait juré que le 17 ne le verrait pas à Ro­me, attendu que des raisons graves hâtaient son retour. L'examen passé, les motifs n'existent plus, M. Lequerré revient à Castel, attendant une victoire des Français pour partir; il a dû cependant quitter Rome le 18, mais Besançon est en état de siège!…

M. Bernard est resté au poste jusqu'au 31 juillet, il a heureusement terminé la liste des licenciés au Collège Romain. M. Mourao, lauréat, est parti pour la Suisse, où il passe ses vacances avec Mgr de Macedo. M. Daubichon et M. Dubois sont docteurs; les trois candidats du Séminaire français ont passé de bons examens. M. Daubichon occupe une chaire du Grand Séminaire de Seez à la rentrée prochaine; M. Dubois re­vient à Noyon. Croiriez-vous que je n'ai pu passer que le 5 août, avec M. Quentin, ce pauvre petit examen de licence? Que vous avez été bien inspiré! M. Santi m'a fait les gros yeux et nous en a voulu de notre absence de son cours à la fin de l'année. Le re­proche portait aussi sur les élèves du Séminaire français en général qui vont à l'Apol­linaire; gli Francesi vengono qui al suo comodo! Qu'en paix donc il repose désor­mais…

Que devient M. Desaire à Nimes? J'ai lu avec intérêt le discours du P. d'Alzon; c'est bien tard pour l'en féliciter, veuillez cependant me rappeler à son souvenir quand vous lui écrirez. Mes amitiés aussi à votre cher collaborateur.

Je vous embrasse bien affectueusement.

Tout vôtre en N. S.

H. Bougouin, pr.

Le Concile a repris ses séances à St-Pierre le 13. On discute le schéma «De Missio­nibus». Je me suis permis de l'ajouter à votre collection. J'ai aussi pour vous les pho­tographies de Tonti et de Leva et une autre du bon évêque anglais qui prenait ses re­pas au Séminaire. Mgr Gianelli compte que les séances ne seront plus interrompues et que ce cher Concile s'achèvera heureusement. C'est dans ce sens qu'il vient d'en écrire à plusieurs évêques et à Mgr Landrieux en particulier. Le St-Père, parait-il, a fait conduire à la frontière ou même incarcéré ce pauvre démoniaque de Vecchiotti, qui faisait le théologien fanfaron, le 19 à votre départ. Mgr de Blois et le p. Ferrand (?) sont partis le 21 juillet. M. Bernard a fait voyage avec eux. Le bon évêque est tou­jours fatigué, il a dû prendre les eaux à Vichy et retourner ensuite à Blois. Il compte bien revenir l'an prochain2.

1 Les piémontais (ou Subalpins) entrèrent â Rome le 20 septembre.

2 Après le 18 juillet, il y eut, en effet, trois congrégations générales (13 et 23 août et 1 ° septembre) avec un peu plus d'une centaine de Pères. On y discuta le schéma «De Sede Episcopali vacante». Le Concile fut prorogé sine die le 20 octobre.

163.01

AD B.17/6.17.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Dugas

Champvert près Lyon 24 août (70)

Mon cher ami,

J'ai été légèrement attrapé de m'être laissé devancer. Je vous avais déjà écrit tant de fois depuis notre séparation, hélas! en pensée et en désir seulement, et aucune lettre ne s'était fixée sur le papier. Puis, j'avais à vous exprimer toute ma reconnaissance pour vos mille petites attentions délicates du voyage. Vous me pardonnez bien? Par ces tristes temps, toutes les fautes sont assez excusables; chacun a perdu plus ou moins la tête comme notre pauvre France. N'êtes-vous pas atterré de ces humilia­tions? Pour moi, je ne fais qu'y rêver, et je ne songe guère plus au Concile que s'il n'avait jamais existé. Ne faisant rien qui vaille par ici, me portant à merveille, J'au­rais voulu m'utiliser pendant ces deux mois qui viennent. J'ai écrit à M. de Dartein, à M. Bourgeat pour leur demander si je pourrais leur être bon à quelque chose à Stra­sbourg ou à Metz. M. de Dartein ne m'a plus écrit depuis le 2 août, me promettant bien de me faire signe en cas de besoin. M. Bourgeat m'a encore répondu assez ré­cemment, mais il m'engageait à ne point venir les embarrasser. Je suis resté, et que seront-ils devenus maintenant ces pauvres chers amis? Je suis fort inquiet. Pour M. de Dartein, n'avez-vous pas vu son nom sur la liste des aumôniers officiels, 6° corps d'armée, division de cavalerie? Je n'ai point été rassuré en le trouvant là, car ce 6° corps a donné; je l'envie du reste. Mais je me demande encore s'il n'y a pas là quelque erreur: lui m'avait si bien dit qu'on n'avait pas accepté ses offres, et son frère, qui était en garnison ici ces derniers temps, me l'avait répété. J'ai lancé une lettre à tout hasard à ce 6° corps. Vous qui êtes plus, voisin, si vous savez quelque chose, transmettez-le-moi.

Nous avons assez souvent, mon père et moi, des nouvelles de Rome, par l'abbé Louis, le comité, les zouaves. Quoique tout y semble encore pacifique, les choses

commencent à prendre fort mauvaise tournure, et voilà toute notre année prochaine mise en question. Du Séminaire, il parait qu'on n'écrit à personne. J'ai écrit au P. Freyd, point de réponse. Le pauvre père doit être fort tourmenté, tiraillé qu'il est de deux côtés à la fois, par son Alsace pour le présent, par Rome pour l'avenir, et un avenir imminent peut-être. Que devient le jovial compère Bougoin au milieu de tou­tes ces tristesses? Il m'a l'air d'une paresse inqualifiable et de prendre du bon temps. Je sais seulement par le ven. P. Redoy, que j'ai entrevu dernièrement à Fourvière, que ces messieurs ont passé leur examen. Et M. Dubois, savez-vous ses triomphes? Il m'avait promis de me les annoncer, c'est un infidèle.

Imaginez-vous que moi, à peine arrivé, j'ai été sur le point de retourner à Rome! Nos troupes partant, mon frère s'était décidé à rentrer aux zouaves, malgré sa femme et ses petites filles, et tout naturellement, je comptais l'accompagner pour être près de lui en cas de mauvaise aventure. Il était à la veille de partir, quand nos désastres sont survenus. Comme de juste, il est allé au plus pressé, et le voilà capitaine dans la mo­bile, et moi, je suis resté fainéant comme devant. Je le recommande à vos prières.

J'ai vu depuis vous plusieurs de nos -confrères: -M. de Maillardez, M. Loriot, le pe­tit Guilhem qui m'est resté une huitaine de jours, M. Lancy (?) qui était venu à Lyon chercher une ordination et que j'ai retenu 2 ou 3 jours, M. Desaire, vous le savez, qui n'a fait que passer, qui repassera, j'espère, avant de regagner Nîmes, qui veut nous y voir quand nous retournerons à Rome (si nous y retournons, chi lo sa? hélas!). Et l'ami de Rivoyre, vous a-t-on déjà dit son sort? Il m'a chargé de vous en faire part. Il est novice capucin et a nom P. Antoine; nous avions bien prévu cette barbe. Decide­ment, toute notre génération filera un bon nœud; le saint P. Perreau a pris le rapide, il le méritait, et c'est pour nous servir d'ange gardien. Vous, je pense que vous vous ancrez de plus en plus dans vos généreux projets auxquels, je vous le répète, j'applau­dis de tout cœur, sans me croire cependant appelé à même destinée. Ce sera définiti­vement St Ignace qui m'empoignera; dès l'an prochain, je compte être à lui. Mais que devenir cette année, si Rome nous est fermée?

A Dieu, cher ami. Retrouvons-nous là souvent, au saint autel, vers N. S. Comme je bénis cette année qui m'a plus étroitement attaché à vous! Que ces liens nous re­tiennent toujours, même séparés plus tard. Priez souvent pour votre méchant petit ami, qui vous est bien humblement, mais bien cordialement dévoué.

Joseph Dugas

Adhemar m'a écrit; il voudrait me faire venir en Bretagne, mais je ne quitterais mon coin en ce moment que pour aller en Lorraine, si je n'étais pas un propre à rien.

436.08

AD B.21 /7a.4

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

Du P. Freyd

Rome le 31 août 1870

Mon cher Ami,

Je ne veux pas rester plus longtemps en retard avec vous. J'ai reçu votre bonne let­tre et son contenu, depuis, vous avez été, je crois, mis en état de siège. Quelles tristes nouvelles nous recevons de toute part. Mon pauvre pays est dévasté et dévoré! Je suis sans nouvelles de mon vieux et cher Père. Il doit être au milieu de l'armée ennemie. Si j'avais su pouvoir parvenir jusqu'à lui par quelque voie ouverte, je serais parti pour (la) France, mais je crois inutile en ce moment de me déplacer pour tenter une chose impossible. Rome est comme vous l'avez laissée, moins les chaleurs. Mais si nos voi­sins ne sont pas encore arrivés, c'est faute de toute autre chose que de bonne volonté. Je suis extrêmement pressé. On attend pour aller porter ma lettre.

A Dieu donc, mon cher ami. Veuillez assurer vos chers parents de mon cordial res­pect et me croire, ce que vous savez.

Tout à vous avec affection.

M. Freyd

432.03

AD B.21 /7a.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

Du P. d'Alzon

Nîmes le 11 sept 1870

Cette lettre vous arrivera-t-elle, mon bien cher ami? Je croyais interrompues les re­lations avec votre département.

L'abbé Desaire ne donne aucun signe de vie. Je lui ai écrit, il ne répond pas; la Sa­voie serait-elle prussianisée sans que personne s'en soit douté?

Hélas, hélas! Deux de nos religieux, qui ont assisté aux journées de Sedan, sont de retour. Quelle honteuse débâcle et comme nous sommes frappés par la main de Dieu! et comme nous le méritons1.

Si vous m'aviez écrit une semaine plus tôt, je vous aurais engagé à aller à Paris d'où les prêtres fuient (en) masse et où le Père Picard vous eût donné un travail énorme dans les ambulances. Il vous faudrait aller en Belgique entrer dans l'Internationale et par elle pénétrer dans Paris. Nous avons enfin tout à l'heure des nouvelles de nos reli­gieux confinés à Metz. Un cinquième a dû être fusillé par les Prussiens, puis on l'a relâché.

Plus que jamais je suis convaincu que la question des études est la grande question. Pourra-t-on à Rome l'an prochain? J'en doute. Quant à moi, l'argent me fait défaut, mais ce n'est pas une raison pour ajourner. J'espère que l'abbé Desaire aura ici 10 â 12 élèves, c'est toujours un noyau.

Vous ai-je dit que mon Evêque est tout disposé à favoriser nos plans?

Ici règne l'ordre le plus parfait. Nous sommes les maîtres de la position et à moins d'un imprévu impossible, nous serons tranquilles. Il faudrait un débordement du flot révolutionnaire pour nous emporter. Si vous voulez venir, venez; vous serez accueilli à bras ouverts.

Ce qui manque, c'est l'esprit chrétien et les observations de mes religieux sur les champs de bataille et pendant la honteuse capitulation à laquelle ils ont assisté font (?) que nous qu'on accusait d'exagération, nous étions trop modérés.

Adieu, mon cher ami. Je vous souhaite de me déchiffrer. Je ne me relis pas, mais je souhaite que vous voyiez, sous mon gribouillage, toute ma tendre et confiante affec­tion en N. S.2.

E. d'Alzon

1 La capitulation de Sedan eut lieu le 2 septembre: l'empereur remit son épée, l'armée tout entière était prisonnière de guerre (80.000 hommes) avec tout le matériel. C'était la chute du Second Empire: la république fut proclamée à Paris le 4 septembre.

2 Il faut, en effet, beaucoup de perspicacité et un peu de chance pour déchiffrer les gribouillages que sont les autographes du P. d'Alzon. Cette lettre est citée en partie en NHV IX, 10.

433.04

AD B.21 /7a.1

Ms autógr. 3 p. (21 x 13)

Du P. d'Alzon

Nîmes le 29 sept. 1870

Cher ami,

Que devenez-vous? Irez-vous à Rome? Ce serait bien beau. Un de nos confrères vient d'y être tué pour la défense du Pape, c'est encore plus beau. Priez pour lui. J'engage le P. Desaire à arriver ici, il aura un petit (…) et, comme je vous le disais, il me semble impossible que Dieu ne permette pas que notre œuvre ne pousse pas au milieu des inconvénients. Si vous veniez, nous mourrions de faim absolument comme les apôtres, mais nous ferions l'apprentissage de l'enseignement dans la pauvreté et, peut-être â cause de cela même, ce ne serait pas un pauvre enseignement. Faire enseignement de la théologie ne me paraît pas praticable, mais faire avant tout de la théo­logie me semble excellent; faire de la théologie un couronnement universel me semble la perfection.

Le 19 oct. je vais au Vigan passer dix jours. Venez donc ici vers le 15 et vous ferez une retraite avec l'abbé Desaire, au Vigan bien entendu.

J'ai un bon nombre de novices à Nîmes. Ils n'iront (?) que peu au Vigan et cette an­née, je n'en reçois pas sans une petite pension; autrement je suis ruiné, mais Dieu ai­dant, il résultera, j'espère, de cette crise: de l'humilité, de la pénitence, l'esprit de prière et le zèle pour rétablir le règne de N.S.

Adieu et tout à vous

E. d'Alzon

Souvenez-vous que les arbres poussent leurs racines pendant l'hiver et préparent ainsi les fleurs du printemps et les fruits de l'automne.

158.16

AD B.17/6.12.16

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De Mr Demiselle

Soissons 2 octobre 1870

Bien cher ami,

Votre lettre m'arrive aujourd'hui 2 courant. J'essaie une réponse. Quels évène­ments depuis deux mois! Leur éloquence instruira-t-elle le pays et lui apprendra-t-elle que pour former des hommes sérieux, il faut une éducation avivée par des principes? Qui ne voit que ce sont les hommes sérieux qui nous manquent? Ah! si la France avait su rester la grande nation catholique, elle n'en serait pas la. Et si aujourd'hui, elle savait reprendre franchement sa noble mission sous le rapport religieux, elle se reverrait bientôt à la tête de l'Europe. Ses accointances avec tous les rationalismes et avec la révolution, qui n'est que la mise en action de tous ces principes délétères, voi­là ce qui nous a perdus.

Je suis parti pour l'enterrement de M. le Curé de Dorengt au commencement de ce mois. Mais je n'ai pas dépassé Laon. Le convoi d'artilleurs sur lequel on m'avait per­mis de prendre passage, fut arrêté à Laon par une dépêche et je fus très heureux de trouver une voiture qui retournait à Soissons.

Je n'ai pas vu Mgr depuis son retour de Rome, si ce n'est à la visite officielle du Chapitre. Sa conduite, ou plutôt son abstention a la dernière session, maintenant son mutisme depuis sa rentrée, me serrent tellement le cœur que je ne puis me décider à le voir. Presque personne de nous ne le visite1. Il paraît atterré depuis que nous sommes sous le coup d'un siège. Depuis l'Assomption, pas un mot n'est tombé de la chaire de la cathédrale pour encourager et instruire les fidèles qui, du reste, se mon­trent de moins en moins à l'église aux jours d'obligation. Par contre, chaque soir, on en voit un certain nombre au Salut qui se dit depuis le 15 août.

Je ne vois pas que ce peuple comprenne rien aux événements. J'ai vu beaucoup de nos mobiles de la Thiérache. On avait pensé à organiser quelque chose en leur fa­veur; mais cela n'a pas pu aboutir. On en voit toujours un certain nombre à l'église; mais bien plus au cabaret.

Je parlerai, à l'occasion, de vos enfans2. Mais je crois qu'il ne pourra rien être fait dans les circonstances présentes. Les deux séminaires sont remplis de soldats. Les re­venus qui alimentent les bourses vont être taris pour quelque temps. Toutefois, je ne perdrai pas de vue ces chers enfants. Je suis indisposé depuis deux jours; c'est une af­faire intestinale qui cédera, je l'espère, à la diète et au repos.

L'occupation de Rome par les Italiens est un fait accompli; et Pie IX reste au Vati­can, ce dont je suis enchanté. Ils vont l'entourer de toutes sortes de prévenances; ils se poseront comme ne faisant que remplacer la France. Du reste, l'esprit chrétien, qui domine encore dans la masse des Italiens, les obligera à des ménagements. Et puis, le bras qui soutient l'Eglise est là. Il s'est montré assez puissant jusqu'à présent.

Notre situation est toujours la même. Sans être absolument investis, nous avons toujours l'ennemi sur la rive gauche. Le canon de la place gronde toujours à différen­tes heures du jour et de la nuit. On finit par s'y accoutumer3.

Mille choses affectueuses de ma part et de celle de ma sœur à toute votre famille.

Tout à vous en N. S.

Demiselle

Je n'ai pas d'autre papier que les feuilles détachées sur lesquelles je vous réponds. Tout chez moi est bouleversé. Il a fallu soustraire aux chances d'incendie, en cas de bombardement, meubles, bureau, etc…

1 Mgr Dours s'était abstenu lors du vote sur l'infaillibilité pontificale le 18 juillet.

2 «J'avais commencé dès le mois d'août, note le p. Dehon, à donner quelques leçons de latin à plusieurs enfants qui étaient au petit séminaire ou qui aspiraient à y entrer. J'ai continué jusqu'au mois de mars. J'avais quatre élèves qui venaient chaque jour chez moi, deux sont arrivés au sacerdoce. J'ai toujours eu ce zèle de multiplier les vocations…» (NHV VIII, 175).

3 Soissons devait capituler le 18 octobre.

161.05

AD B.17/6.15.5

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Albertville 7 octobre 1870

Mon bien cher Ami,

Je viens à l'instant de recevoir encore une lettre du P. d'Alzon qui m'a annoncé que, le 3 de ce mois, la rentrée des collégiens avait eu lieu et que malgré tout il fallait com­mencer nos cours… Cette fermeté, cette persévérance, ce courage m'ont fait un vrai plaisir et ont complètement dissipé les petits nuages de tristesse que m'avaient causée les lettres antérieures où le p. d'Alzon me parlait de ses difficultés pécuniaires. Je vous avoue que, comme je vous le disais, je ne croyais guère à la possibilité d'aller com­mencer cette année; mais j'obéis d'autant plus volontiers à l'appel de notre digne Père que tout retard serait envers Dieu la preuve d'un manque de confiance et pour les hommes une preuve de pusillanimité de notre part. Je quitterai la Savoie vers le 18: je n'ai pas trop mal arrangé nos petites affaires et j'espère bien qu'avant peu, je serai li­béré de tout ennui.

Mais et vous, que devenez-vous, où êtes-vous et que ferez-vous? Le P. d'Alzon me demande pourquoi vous ne descendez pas à Nîmes. Je lui réponds que je n'ai plus de vos nouvelles et que mes deux dernières lettres sont sans réponse encore. Il vient de m'écrire que dans une de ses lettres il vous avait conseillé d'aller dans une ambulance à Paris, parce qu'il fallait prouver au monde que les docteurs étaient capables du martyre. Je pense bien que vous ne l'aurez pas écouté et j'adresse encore ces lignes à La Capelle. Vous ne sauriez croire combien je suis inquiet à votre sujet: connaissant trop imparfaitement votre pays, je ne puis me rendre compte si les Prussiens ne vous ont pas déjà envahis, et alors où vous trouverai-je et où sont vos bons parents?

Je continue à être atterré par les événements: le p. d'Alzon voit tout en beau et me paraît d'une confiance excessive. Il me semble que nous réunir tous à Nîmes serait le meilleur: nous y travaillerons et surtout nous y verrons ce qu'il est possible de faire. Si je n'étais pas parti pour Nîmes, j'aurais incontestablement pris du service ici: mon évêque vient encore de me faire les offres les plus gracieuses; mais notre œuvre avant tout.

Adieu; ces lignes vous arriveront-elles? Répondez-moi sans retard, ne serait-ce qu'une ligne. M. Dugas est aumônier de ses mobiles, ainsi que M. …; M. Le Tallec continue à ne donner aucun signe de vie.

Mes respects à vos bons parents et à vous, mon bien cher, mon cœur tout affec­tueux.


Charles D.

* Le premier paragraphe de cette lettre est cité en NHV IX, 5.

433.05

AD B.21 /7a.1

Ms autogr. 4 p. (13 x 10)

Du P. d'Alzon

Nîmes 10 octobre 70

Cher ami,

Je vous avais écrit il y a quelque temps une lettre à laquelle la vôtre du 3 ne répond pas. Donc elle a été interceptée. Desaire arrive vers le 15 oct.

Pourquoi ne venez-vous pas? Vous aurez du travail si vous voulez. Croyez-moi, venez, le moment est favorable. «Sunt quaedam inchoationes fidei quae similes sunt conceptionibus». St Augustin ajoute que la conception n'est pas la naissance, mais que la naissance est toujours précédée de la conception. Venez, nous concevrons, nous aurons des «inchoationes fidei», qui elles-mêmes précèdent «l'inchoationem glo­riae» de St Thomas. Puis nous enfanterons et notre œuvre donnera ses fruits» in tem­pore opportuno».

Le 20 ou le 22 je serai au Vigān, venez y faire une retraite avec Desaire, puis nous nous mettrons à l'œuvre. Je vis en païen. On m'oblige à faire des chrétiens catholi­ques. Ah! le sot métier et qu'il me tarde de rentrer dans ma coquille1.

Adieu. Quand nous reverrons-nous? Il m'en tarde.

E. d'Alzon

Le p. Freyd va à…2 Il s'attend à un prochain 93 pour Rome3. Vantroys est ici ayant envie d'un préceptorat que les gens ruinés ne peuvent lui offrir4.

1 Sans doute un ministère auprès des protestants à catéchiser.

2 Le nom de lieu est illisible; selon LC 87, de l'abbé Desaire, ce serait Inspruck (Innsbrück) en Autri­che.

3 93, l'année de la Terreur pendant la Révolution française!

4 Ventroys, un condisciple de Léon Dehon à Rome.

* Le premier paragraphe de cette lettre en NHV IX, 11.

148.01

AD B.17/6.2.1

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De l'abbé Charles Bernard

Cambrai 17 octobre 1870

Cher Monsieur,

J'ai tardé un peu à vous répondre, afin de vous écrire de Cambrai, où j'arrive au­jourd'hui et de vous inviter, de la part de mon oncle, à passer quelques jours ici. Mon oncle serait très heureux de pouvoir causer avec vous du Séminaire français, du Con­cile et de Rome.

La pensée de Rome fait (du) bien et donne confiance. Evidemment, ce n'est pas en vain que le St-Père a indiqué le 11 novembre pour la reprise des travaux du Concile. Mais quelle puissance catholique pourra rétablir l'ordre en Italie, si ce n'est la Fran­ce? Il faut donc bien espérer que Dieu se hâtera de secourir et de sauver la France1.

Vous voyez que je garde comme vous le ferme espoir de retourner â Rome. Dans tous les cas, il me semble impossible de prendre une décision avant la fin du mois. Je puis vous donner de bonnes nouvelles de M. Billaux, que j'ai vu dernièrement à Dunkerque2.

Il y a bien des choses encore que j'aimerais à vous dire; aussi je me dispense de vous les écrire. Répondez-moi que vous voulez bien venir me voir; je vous le demande en grâce, â titre de bon confrère du Séminaire français; nous pourrons ainsi mieux nous entendre sur ce que nous aurions à faire.

Votre ami dévoué en N. S.

Charles Bernard

Chez M. l'abbé Bernard, vicaire général à Cambrai.

1 En fait, dès le 20 octobre, le Concile avait été prorogé sine die.

2 Il s'agit de l'abbé Billot, élève du Séminaire français (cf NHV VIII, 135).

* Lettre citée en partie en NHV VIII, 135-136.

183.01

AD B.17/6.36.1

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De l'abbé Abel Pineau

(Rome 17 oct. 70)

Mon cher confrère,

Vous avez reçu une lettre du P. Supérieur qui vous engage à revenir à Rome1. J'écris par le même courrier à mon frère pour le prévenir que le séminaire est ouvert et qu'il doit faire ses préparatifs de départ. Vous seriez bien aimable de l'accepter comme compagnon de voyage. Dans ce cas, je vous supplierais de le mettre au cou­rant de vos projets, de lui indiquer la voie que vous voulez suivre et de lui fournir en­fin tous les renseignements que vous croirez utiles. Avez-vous, par exemple, l'inten­tion de voyager en costume laïque?

Mon frère est à Tours, chez M. Cattier, libraire. Je lui dis dans ma lettre que la route du Mont-Cenis paraît la plus praticable en ce moment. Qu'en pensez-vous?

Il est bien entendu que la proposition que je fais ne doit vous gêner en rien. Vous agirez, je l'espère avec toute franchise et en toute liberté.

Je me hâte, pressé que je suis par l'heure de la poste. Nous vous attendons tous avec joie.

Permettez-moi par avance de vous remercier.

Votre tout dévoué dans les cœurs de Jésus et Marie

A. Pineau

Rome lundi 17 octobre.

1 Cf LC 86.

436.09

AD B.21/7a.4

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

Du P. Freyd

Rome le 17 octobre 1870

Mon tres cher cher,

Votre lettre du 9 m'est arrivée hier1. Vous pouvez nous arriver. Le Collège germa­nique, â défaut du Collège romain occupé par les bersagliers, aura ses cours à l'intérieur de la maison; ils seront faits par les professeurs que vous connaissez et, par pri­vilège, nous y serons admis.

Je ne vous dis rien de Rome, sinon que cette chère ville est tellement changée de­puis le 20 septembre qu'elle a l'aspect d'une ville païenne. La canaille abonde. Les soldats italiens sont très convenables; si nous n'avions qu'eux, la garnison vaudrait mieux que la garnison française d'autrefois. Le St-Père reste toujours enfermé au Va­tican où il est comme prisonnier. On voudrait bien le voir sortir comme autrefois, mais s'il sortait, il aurait l'air de s'accommoder à la position qui lui est faite.

Si vous pouviez venir par voie de terre, venez par là, par la Suisse ou par Chambé­ry; la ville de Marseille ne vous réserverait pas un bon accueil. Venez en laïque, cela vaudra mieux. Nous ne serons pas nombreux cette année.

Au revoir, mon bien cher.

Offrez mes respects à vos bons parents et croyez-moi votre bien affectionné.

M. Freyd

Ecrivez à l'abbé Bernard chez son oncle à Cambrai et dites-lui de ma part de venir ici avec vous. Faites la même chose pour les abbés Roserot, si vous savez où ils sont.

1 Lettre non conservée.

161.06

AD B.17/6.15.6

Ms autogr. 6 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Nîmes 31 octobre 1870

Mon bien cher Ami,

Je n'ai pas voulu vous écrire avant mon arrivée à Nîmes, pensant vous intéresser beaucoup plus en vous parlant de la maison et en répondant plus catégoriquement à votre demande. Je suis ici depuis le 25 courant; nos affaires de famille sont enfin pas­sablement bien réglées; mon voyage a été tout à fait heureux, et me voici au poste que je voulais, que vous vouliez et que Dieu aussi, j'en ai la conviction, a voulu pour moi. Notre bon P. d'Alzon n'est revenu que ce matin du Vigan; je viens d'avoir avec lui un long entretien et j'en sors pleinement satisfait de voir combien notre œuvre est devenue sienne, et combien il veut travailler efficacement à sa réalisation.

Actuellement se trouvent à l'Assomption 12 ou 14 religieux qui vont commencer la philosophie: ce chiffre a dépassé de beaucoup mes espérances. Nécessairement, ils doivent être divisés en deux catégories; les uns sont susceptibles de faire une philoso­phie comme celle que nous avons suivie à Rome; les autres, dont les moyens et le dé­veloppement sont moindres, ne pourraient cette année faire qu'un cours très élémen­taire. A chaque catégorie je ne ferai donc qu'un cours par jour; en toute hypothèse, deux cours auraient été impossibles, parce que plusieurs de ces jeunes gens sont occu­pés à des surveillances ou à d'autres emplois, qui cependant ne les absorbent point trop. On me laisse toute latitude pour l'auteur: je pense m'arrêter à San Severino, qui ne sourit pas mal au P. d'Alzon et je compte dicter beaucoup.

Comme vous le voyez, ce premier acheminement de l'œuvre est incontestablement heureux et, pour ma part, je remercierai demain tous les Saints de cet humble, obs­cur, mais véritable commencement. Il y a parmi nos jeunes frères des têtes vraiment bien organisées, mais surtout il y a en tous une bonne volonté, un esprit de foi et de solide piété qui me font concevoir les espérances les mieux fondées. L'œuvre est sym­pathique à tous; je m'étonnais de la voir si peu connue en août; tous la comprennent et l'aiment maintenant. Plus que jamais, soyez donc convaincu qu'elle n'est plus qu'une affaire de temps et qu'elle pourra marcher si chacun veut généreusement con­courir par son initiative privée à celle du P. d'Alzon.

Le Vigan n'a point été dépeuplé pour me donner des élèves; il y reste encore 11 ou 12 novices et, les études étant commencées et connues, du monde nous arrivera; c'est ce que vient encore de me dire un Père très intelligent, très calme et très judicieux.

Reste donc maintenant pour vous une décision à prendre. Bien des choses déjà sont éclaircies: votre retour à Rome est impossible, vous le comprenez facilement. Le Concile est légalement suspendu et les PP. Jésuites n'ouvriront pas même le Collège, puisque les plombs du Collège (romain) leur restent uniquement. Quant à l'Apolli­naire, quels cours pourront s'y tenir et quel profit auriez-vous à y être uniquement pour le Droit Canon? D'ailleurs le p. Freyd est parti pour Inspruck (Innsbrück) et le Séminaire français n'ouvrira pas. Inutile donc de songer à Rome.

Que vous dirai-je pour répondre pleinement à la question que vous m'avez adres­sée? Je n'ose rien décider: voici mes points de vue.

Venir ici vous donner à l'œuvre naissante serait incontestablement une excellente chose: 1) vous pourriez m'aider pour la philosophie, car je prévois qu'ayant deux et même trois catégories d'élèves, j'aurai beaucoup de besogne, attendu que je ferai en­core 2 cours d'instruction religieuse par semaine aux élèves des hautes classes; 2) plus d'un religieux ferait avec bonheur de la théologie, et en deux ans vous pourriez très bien les préparer à prendre leurs grades; 3) il est incontestable que nous avons besoin de causer beaucoup entre nous pour chercher quelle direction est la meilleure, quelles traditions sont a fonder, quelles mesures sont à prendre; 4) vous pouvez aussi bien qu'ailleurs terminer ici vos études; 5) enfin, pourquoi ne consacreriez-vous pas cette année à ce temps de noviciat que vous voulez absolument avoir?

Voilà, ce me semble, bien des motifs qui pourront vous faire venir sans retard, et je vous assure que je les considère tout à fait indépendamment de mon plaisir de vous avoir près de moi. Vous voulez l'œuvre; vous voyez que le P. d'Alzon veut la faire, ce dont je suis maintenant convaincu; à quoi bon donc attendre, examiner, sans appor­ter aucune coopération efficace, et ne pas nous mettre de suite résolument au travail? Plus que jamais, vous voyez combien le moment est propice et combien, par consé­quent, il faut se préparer, pour bâtir sur toutes les ruines qui s'amoncellent comme providentiellement devant nous.

Toutefois, et pour vous dire toute ma pensée, j'avoue que si absolument vous vou­liez suivre le p. Freyd. étudier de près ce que sont les universités allemandes et pren­dre vos grades en Allemagne, je crois que vous ne travailleriez pas trop inutilement pour l'œuvre, dont la formation et l'établissement demandent beaucoup d'expérien­ce et de connaissances diverses. je ne vous ai pas dit que votre présence ici soit néces­saire absoluto; elle l'est ad melius esse pour vous et pour moi, mais rigoureusement, tout pourra marcher sans vous. Je doute fort qu'en Allemagne vous puissiez puiser facilement et surtout puiser de bonnes choses. Souvenez-vous des discours que vous m'avez souvent tenus. Cependant, je vous le répète, un peu d'expérience pourra beaucoup vous servir, et si vous tenez à terminer aussitôt vos études, faites-le. Mais ne songez pas à rester béatement à La Capelle, surtout quand les événements n'ef­fraieront plus vos parents au point de ne pas vouloir se séparer de vous. Et quant aux difficultés qu'ils vous feront de vous laisser venir, je pense que vous n'êtes plus hom­me à ne pas les surmonter. Vous avez vu comment j'en ai eu vite fini avec mes parents et mon brave Mgr Gros qui paraissait ne vouloir rien entendre en principe. Pour le voyage, il n'y a vraiment rien à craindre de la part des insulteurs dont vous parlez: votre passeport vous tirerait d'affaire; et vous n'êtes pas sans communication, par la Normandie, avec le reste de la France.

Ici tout est très tranquille: hier au soir, quand les désolantes nouvelles de Metz sont arrivées, il y eut quelques cris, et durant la nuit, des agitateurs de la Ligue du Midi tentèrent de troubler la ville; mais ils furent réprimés et, malgré toutes les an­xiétés du moment, le calme continue à régner. Mon dessein est formel de ne m'occu­per en rien du dehors et de marcher maintenant au but que nous avons ensemble en­trevu et arrêté sur le tombeau des Sts Apôtres.

Adieu, bien cher ami; écrivons-nous au moins tous les 15 jours et prions beau­coup. Parlez-moi avec toute la liberté que je prends à votre égard, c'est-à-dire comme à un frère, et priez toujours beaucoup pour moi.

Avant la fin novembre, j'espère bien que les événements seront terminés: pour lors donc, arrivez ou allez en Allemagne.

Votre ami Charles D.

* Les deux premières pages de cette lettre sont citées en NHV IX, 6-7.

173.02

AD B.17/6.26.1

Ms autogr. 8 p. (21 x 13)

De l'abbé Lequerré

Plougerneau, fête de la Toussaint (1870)1

Mon cher Ami,

J'ai reçu votre lettre hier soir, et je voudrais vous donner la mesure du plaisir qu'el­le m'a fait par mon empressement à y répondre. Comme vous l'avez supposé charita­blement, ce sont nos désastres qui m'ont empêché de vous écrire. Car en voyant ces affreux Prussiens envahir de jour en jour notre pauvre France et s'installer chez vous, je craignais qu'une lettre pour La Capelle ne se perdit dans les lignes prussiennes ou n'en sortit au moins souillée! Que de fois cependant j'ai désiré vous écrire depuis mon retour en Bretagne! Aussi est-ce avec joie que je viens donner à votre bon cœur la meilleure preuve de ma sincérité.

Je trouve comme vous que notre confiance en Dieu doit désormais être sans bornes puisque nous n'avons plus aucune chance humaine de sauver notre France. L'épreuve cruelle que traverse l'Eglise vient encore ajouter â nos malheurs; mais puisque Dieu ne châtie que pour sauver et que c'est son bras qui frappe à la fois la mère et la fille, résignons-nous, prions et espérons! Le jour de la délivrance ne peut manquer de ve­nir, jour de gloire pour l'Eglise et de salut pour la France, car Dieu sait toujours pren­dre soin de sa plus grande gloire, même quand les hommes l'oublient!

J'ai su comme vous que Sta-Chiara devait encore recevoir des élèves cette année, et je m'en réjouis, car le P. Freyd a sans doute consulté Pie IX, et cela est rassurant. J'en­vie votre sort et celui de ces intrépides et fortunés Incoles (?) dont Sta-Chiara fera en­core autant d'heureux, malgré le mauvais voisinage des Piémontais, qui du reste ne seront probablement pas longs à se dégoûter de la Ville Sainte. Avouez cependant que les circonstances ne sont pas très engageantes pour un novice comme mon jeune frère. Si on le laissait libre, il vous aurait bientôt rejoint. Mais c'est le benjamin et nos parents ne veulent plus entendre parler d'un départ pour Rome cette année. Aussi y a-t-il renoncé et il attend, avec impatience, l'ouverture du séminaire de Quimper où il commencera la théologie. Je crois que vous aurez peu de nouveaux à Ste-Claire.

Que suis-je, croyez-vous? Je vous le donne à deviner, mais vous ne le devinerez pas, car mon majestueux bonnet vous offusque les idées; et vous ne vous imaginerez pas qu'ainsi coiffé, on est malgré tout très inepte en Bretagne et envoyé paître aux landes. Voilà pourtant mon existence. Et après la guerre, je me propose d'achever l'histoire de Jérôme Patureau2.

En deux mots voici la mienne. A peine rentré dans le diocèse, l'Evêque me proposa pour vicaire dans une paroisse de Quimper. Mais, hélas! j'ignore complètement la langue bretonne et le curé présenta à l'Evêque quelques arguments de valeur qui me firent retomber bien vite sur mes deux pieds. Je m'empresse de vous dire que le curé avait d'excellentes raisons de me refuser, puisque la connaissance du breton est es­sentielle même à Quimper. Aussi je lui en voulus d'autant moins que j'étais très peu décidé à accepter de suite un ministère quelconque, si peu décidé qu'actuellement je ne suis que simple prêtre habitué (et par là même un très misérable personnage) dans la paroisse la plus bretonne du diocèse. j'ai demandé à l'Evêque la permission d'y séjourner assez de temps pour apprendre la langue. Les français ne s'imaginent pas les difficultés qu'offre cette vieille langue nationale à laquelle nos braves paysans tien­nent tant! Moi, j'en suis de plus en plus convaincu… Mais je suis heureusement chez un curé qui passe pour Maître en Israël, et les cinq vicaires (entr'autres M. Lilés) se prêtent volontiers à toutes les minuties de mon éducation un peu tardive. Sous de tels auspices, j'espère venir à bout de toutes les vieilles racines celtiques, quelque rétives qu'elles soient. Et quand elles seront arrachées, je planterai alors aussi le Cep du Sei­gneur dans un petit coin de la Vigne.

Je suis donc ici pour cinq ou six mois, et dans les moments lucides, j'ouvre avec bonheur ce vieux singe de Ballerini que j'ai forcément négligé à Romm3. Nous som­mes sept prêtres au presbytère qui, je vous l'avoue, est l'idéal du diocèse d'après l'opi­nion commune. Le curé est un excellent homme et un saint prêtre, les vicaires sont la fine fleur du département, la vie est réglée et agréable. Je ne vous parle pas des pa­roissiens, vous savez ce que sont nos chers Bretons. Ici nous sommes en pleine Paga­nie (?), et les Bretons Paganes sont, sans contredit de la meilleure roche4. Ah! si toute la France avait la foi de la Bretagne, je crois que jamais le bras de Dieu ne se serait ap­pesanti si cruellement sur elle. Plouguerneau compte plus de six mille habitants, et pas un ne manque la messe le dimanche. Chaque famille vient même presque au com­plet à la grand'messe et aux vêpres. Il ne reste habituellement qu'une personne dans les fermes pendant les offices du dimanche. Ce soir, après vêpres, nous avons eu ser­mon et procession au cimetière. J'étais touché jusqu'aux larmes de voir tous ces bra­ves paysans le chapelet en mains et agenouillés sur les tombeaux de leurs ancêtres! Depuis le commencement de la guerre, les pèlerinages sont chez nous à l'ordre du jour. Nos vieilles chapelles si vénérées reçoivent chaque jour de nombreuses proces­sions. Hommes, femmes, vieillards et enfants, tout vont nus pieds et récitant le rosai­re! Les journaux font sans cesse l'éloge de nos Bretons qui défendent Paris. Ils van­tent leur sang-froid et leur courage sans se douter qu'ils font par là-même l'éloge de notre foi! Si la France est sauvée, elle devra en partie son salut à la foi de la Bretagne et au tendre amour que l'on professe chez nous pour la Très Sainte Vierge.

Vous prétendez que les longues lettres comblent un peu bien qu'imparfaitement le vide que laisse l'absence. C'est donc nanti de cet axiome que je commence cette 7° page pour vous parler un peu de nos anciens complices de Ste-Claire.

J'ai reçu une charmante lettre de ce cher Adhemar qui a cru m'annoncer une gran­de nouvelle en me disant qu'il entrait au grand séminaire de Blois. Pauvre enfant! Je lui ai répondu que j'ai été tres sensible à sa lettre, mais que son entrée à Blois était pour moi un vieux secret qu'il avait depuis longtemps caché sous les cendres de mon vieux poêle du Séminaire français…

M. Billot m'a écrit une lettre aussi longue que malicieuse. Je ne m'étonne pas qu'il hésite au sujet de Rome. Ce grand Gabriel a dans tout son être quelque chose qui tranche un peu du point d'interrogation…

Son digne complice, l'abbé Charnier, m'a aussi écrit. Il me dit qu'il enrage de ne pas pouvoir donner ses deux grands bras au service de la patrie, qu'il sert sans s'en douter, puisqu'il est professeur de 7° au petit séminaire de Blois.

MM. Quentin et Vantroys m'ont donné de longs et navrants détails sur la prise de Rome.

J'ai écrit il y a huit jours à MM. Pineau et Bougouin. Je ne savais pas au juste s'ils étaient toujours à Rome. C'est M. Vantroys qui me l'a appris. Je suis convaincu que notre brave Versaillais ne restera pas longtemps à Nîmes5.

,J'ai écrit aussi au timide abbé de Vareilles. Je commence à croire que les Prussiens ont frappé de stupeur le cher Anatole! Voilà plus d'un mois que j'attends une réponse à ma lettre.

M. Rossi ne retourne pas à Rome. Il vient d'être nommé vicaire à Loc-Tudy, char­mante petite paroisse au bord de la mer.

M. Lilès est vicaire à Plouguerneau et me charge pour vous de mille choses aima­bles. La Providence l'a gâté en le conduisant ici.

M. d'Amphernet est comme moi apprenant le breton à Nevez, près de Quimperle. Ecrivez-moi souvent, priez pour moi encore plus souvent et croyez à mes senti­ments les plus affectueux et dévoués en N.S.

Charles Lequerré

A Plouguerneau, par Lannilis.

1 L'année n'est pas indiquée, mais l'allusion au siège de Paris permet de situer la lettre en 1870.

2 Jérôme Patureau, sujet de la thèse de doctorat de Ch. Lequerré.

3 Le P. Ballerini, professeur de théologie morale au Collège romain. Le P. Dehon avait gardé la plus haute estime de ce professeur (cf NHV V, 43, 59-65).

4 «Paganie», «paganus»: si la lecture est exacte, pourrait être une transcription humoristique dérivée du latin «paganus» (paysan). Cf plus haut «Incoles» (d'incolae = habitants).

5 L'abbé Vantroys (cf LC 83).

183.02

AD B.17/6.36.2

Ms autogr. 6 p. (21 x 13)

De l'abbé Pineau

(Rome, jeudi 3 nov. 1870)

Bien cher,

La lettre du P. Supérieur, que je supposais partie avant la mienne, l'a en réalité sui­vie de quelques jours. L'ambassade ayant fait des offres de service au séminaire, le p. Freyd a profité de l'occasion. Vous avez, à l'heure qu'il est, reçu la lettre que je vous annonçais et vous êtes bien informé de notre situation à Rome1.

Personnellement, je pense que vous vous êtes arrêté au meilleur parti. Il est diffici­le, je crois, de sortir de France en ce moment; l'embarquement à Marseille est à peu près impossible, le passage du Mont-Cenis est interrompu à cause des neiges; d'un autre côté, à l'intérieur, le gouvernement actuel ne délivre pas de passeport; c'est du moins ce que j'ai entendu affirmer sur la foi de L'Univers. Avec la meilleure volonté du monde, il n'est pas facile de venir à Rome; le plan du P. Supérieur est devenu moins réalisable depuis le 25 octobre.

Pendant ce temps, le p. Freyd est en France; il est parti la semaine dernière et a dû aller en Alsace auprès de son vieux père qu'il verra pour la dernière fois peut-être. Il sera de retour du 15 au 20 novembre. Le Séminaire est gardé par le P. Brichet et par le P. Daum. Les élèves ne comptent pas encore; nous atteignons le chiffre de cinq; M. Paquet est venu s'adjoindre à nous2.

La situation en apparence ne change pas. les avis sur l'avenir sont très partagés. Les uns croient que la révolution est renvoyée à six mois; d'autres, plus confiants, pensent que le calme se rétablira naturellement et qu'à la faveur de la diplomatie ou d'une intervention efficace de la France, le Saint-Père recouvrera tout ce qu'il a per­du; Dieu veuille que cette dernière hypothèse se réalise! Les journaux révolutionnai­res baissent tant soit peu le ton et semblent s'attendre à quelque événement; ils ont beaucoup de mal à jouir en paix de leur triomphe; la justice de Dieu s'exerce.

Rien donc de bien particulier à l'intérieur; Rome paraît tranquille. Le silence, le re­cueillement, l'attente, le deuil composent l'attitude des honnêtes gens. Quant à la tourbe, elle multiplie les manifestations pour réjouir les mânes de ses héros-martyrs. C'est ainsi qu'elle célèbre aujourd'hui l'anniversaire de Mentana, mais tous ces bruits ne viennent pas jusqu'à nous3.

Il faut que les Romains apprennent à connaître le progrès. Pour leur édification on leur a servi avant-hier ou plutôt dimanche dernier un enterrement d'officier des bersagliers mort en… (?); le cortège, parti de l'hôpital du St-Esprit, a traversé le Corso et les rues principales de Rome; le car funèbre était celui affecté aux cardinaux, le spec­tacle était navrant. Que penser de la liberté de Pie IX? Si Pie IX avait protesté, quel compte aurait-on tenu de son admonestation? Néanmoins, tout va au mieux; le Pape ne s'en doute pas, mais il n'a jamais été si libre. Voilà les absurdités qu'on ne craint pas chaque jour de proclamer.

Le collège romain a annoncé l'ouverture des cours pour le 7 courant; la théologie

et les humanités reprendraient leur marche habituelle et ordinaire; toutefois, comme le préau et le 1 ° sont occupés par l'armée italienne, le tout doit se faire dans l'inté­rieur du couvent. En attendant, les journaux déclament soit contre le maintien des Jésuites, qui sont le point de mire de toutes les haines, soit contre l'autorisation don­née par La Marmora4. Je crois tout simplement que le lieutenant du roi retirera en to­talité ou en partie sa concession et que, pour arriver à cela, il se fait forcer la main au nom de l'opinion, au nom du sentiment public, au nom de toutes les aspirations que vous connaissez. Comédie sur toute la ligne! La Giunta a adressé une lettre motivée dans le sens indiqué5, et dans sa modération, elle demande que tous les Jésuites soient relégués au Gesù jusqu'à ce que le parlement ait prononcé sur leur sort; dans cette hypothèse le Collège romain servirait de lycée. Le maintien de Jésuites excite la bile de tous. Ces messieurs de la libre pensée prétendent que la population accueille avec mécontentement les faveurs accordées à la Compagnie et qu'elle se propose d'in­tervenir par des démonstrations imposantes. A côté de ces réflexions on a le soin de placer celle-ci: on assure que les lois des 7 juillet et 15 août seront appliquées aux provinces romaines; or ces lois sont relatives à la suppression des ordres religieux et à la vente des biens ecclésiastiques. Espérons cependant et prions.

Les PP. Sanguinetti, Perrini et Tosi sont en route pour l'Angleterre. L'Apollinaire n'ouvrira, paraît-il, que le 16 novembre. Cette date est celle de l'Ou­verture de la Sapience6.

J'ai assisté ce matin au discours d'introduction à la Minerve. Total 5 auditeurs. Rentrée brillante. Le Saint-Père veut, dit-on, qu'on agisse comme si l'état de choses était le même qu'auparavant.

M. Dugas est à Besançon.

M. Poiblanc, aumônier des mobiles, a dû être fait prisonnier à Dijon.

Nous avons appris, il y a quelques jours, par un chapelain de St-Louis, la mort de M. Labat. Le ciel vaut bien la terre, surtout en ce moment. C'est une excellente pré­caution que de mourir avant le 2 novembre; c'est l'époque des grandes libérations pour les âmes qui souffrent en purgatoire.

Je lis dans le journal de ce soir que le service du Mont-Cenis est rétabli.

J'écris par le même courrier à mon frère. Je l'engage à vous attendre. Vous voudrez bien lui communiquer vos projets; je compte sur votre amabilité; il me serait pénible de le voir voyager seul par le temps qui court. Il a changé d'adresse: il est maintenant à La Rochelle. S'il ne vous indique pas lui-même sa résidence, vous auriez l'obligean­ce de faire parvenir vos communications à la maison paternelle (rue de la tranchée n° 36, Poitiers). Il ne tardera pas, je pense, à vous écrire7.

Adieu, bien cher. Soyons plus que jamais unis de prières. Nous avons besoin de faire violence au Bon Dieu qui nous châtie si cruellement.

Tout à vous en union avec les Cœurs de Jésus et de Marie.

Pineau

Rome, jeudi 3 Novembre.

Amitiés et souvenir de la part de tous. M. Paquet demande une mention spéciale. Nous ne tarderons pas, nous l'espérons, à nous trouver réunis. Je supprime votre qualité d'abbé pour plus de sûreté: on signale les plus mauvais tours de la part des postes.

1 Cf LC 86: lettre du 17 octobre.

2 Cf LC 83 et 87: d'Innsbrûck, le p. Freyd espérait parvenir à Geipolsheim (Bas-Rhin), son village natal. Les PP. Brichet et Daum respectivement économe et directeur au Séminaire français.

3 Mentana était une défaite des Garibaldiens et Piémontais face aux troupes pontificales soutenues par le corps expéditionnaire français (3-8 nov. 1867).

4 Le général La Marmora, lieutenant général du roi en attendant le transfert du gouvernement avec Rome comme capitale.

5 La Giunta, commission ou conseil municipal.

6 L'université pontificale de la Sapienza sécularisée est devenus l'actuelle université d'état, à Rome.

7 Le 23 octobre 70, Abel, le jeune frère d'Omer Pineau, écrivait, de Tours, à Léon Dehon la lettre sui­vante (AD B. 17/6.36.3 Inv. 183.03)

Cher Confrère,

J'espère que cette lettre vous trouvera encore en France. J'ai tardé à vous écrire parce que j'atten­dais une lettre de mes parents, lesquels m'ont témoigné fortement le désir de me voir rester.

Je pense aller à Rome cependant, mais il m'est bien difficile de déterminer mon jour de départ. Ce ne sera pas avant les premiers jours de novembre. Je suivrai la ligne de Poitiers et de Guéret et la ligne de terre par le Mont-Cenis.

Je crains donc bien de ne pas vous avoir pour compagnon de voyage, à mon sincère regret; je me console dans l'espoir de vous voir à Rome encore bien longtemps.

(Chez M. Cattier, libraire, rue de la Sellerie, 28).

Vous serez bien aimable de m'informer en deux mots de votre personne et de vos desseins.

Je vous embrasse de tout cœur.

Abel Pineau

149.02

AD B.17/6.3.2

Ms autogr. 4 p. (13 x 11)

De l'abbé Bouguin

Séminaire français 4 novembre 70

Bien cher ami,

L'excellent M. Pineau m'offre une toute petite place d'intérieur. Je l'accepte volon­tiers, parce que c'est pour aller vers vous.

En vérité, je serais parti plus tôt, si j'avais su où vous aller chercher; mais passer au milieu des lignes prussiennes, puis courir la chance de ne pas vous rencontrer â La Capelle, c'était trop de courage pour moi, depuis surtout que le journal du départe­ment m'a raconté une formidable histoire. A Poitiers, un uhlan a été envoyé, on l'a beaucoup questionné, le jeune allemand, qui est très intelligent, aurait dit dans son interrogatoire qu'il aimait mieux la liberté que la prison; ce qui parut sans doute as­sez naturel à mes compatriotes. Trois ou quatre jours après, le uhlan était extrait (sic) de sa prison et dirigé sur La Rochelle pour l'île d'Oléron. Quoi d'étonnant que je partage la frayeur de mes compatriotes pour ces barbares de uhlans et de prussiens?

Quand nous reviendrez-vous? De tous ici, je vous assure, je ne suis pas celui qui désire le moins de vous revoir. Combien souvent je pense à vous et à nos amis. Pas de nouvelles directes de M. Dugas, ni moi, ni personne; il a suivi son frère comme aumônier; peut-être est-il à Besançon. M. Poiblanc a lâché aussi son vicariat pour la vie des camps; va-t-il marcher? Quant à M. de Dartein, je comprends qu'on ne sache pas ce qu'il devient. S'il était à Metz, où sera-t-il parti? Les détails nous manquent ici sur cette capitulation; elle me fait l'effet d'une grande lâcheté et d'une infâme trahison qui devrait ménager le retour d'un homme qui nous a attiré à Rome et en France tous ces châtiments.

Les Italiens, en venant ici, nous ont apporté, vous le pensez bien, tout autre chose que l'ordre et la tranquillité. Combien de temps tout ce provisoire durera-t-il? Il y a trop de tension dans les rapports pour qu'ils puissent se maintenir. On mettra tout sur le compte du St-Père qui n'est pas sorti depuis le 20 septembre et n'a voulu enten­dre parler de rien en fait de conciliations et d'arrangements. C'est peut-être la meil­leure garantie que Rome sera bientôt délivrée. Les subalpins, d'un autre côté, vou­draient bien dorer la pilule, pour ne pas trop effaroucher l'Europe et pouvoir deman­der quelque chose au Congrès, si tant est qu'un Congrès doive avoir lieu. On dit pourtant déjà signé le décret qui supprime les biens ecclésiastiques: les maisons­mères des chefs d'ordre seraient seules respectées. La question du Collège romain a dès le commencement beaucoup préoccupé ces messieurs. Ils en ont pris possession dès leur entrée à Rome, en faisant occuper par leurs troupes la partie réservée aux classes. Les Pères sont restés chez eux. Ces jours-ci, le Recteur a signifié à La Marmo­ra que le Collège romain ouvrirait ses cours à l'époque ordinaire, et qu'on ait, en con­séquence. à évacuer les salles et les classes. L'administration a répondu que les trou­pes partiraient, mais qu'on avait l'intention d'établir un lycée, un gymnase… et qu'un autre local ne pouvait mieux convenir que le Collège Romain; cependant la propriété restait aux Pères. Qu'à cela ne tienne , ont répondu ceux-ci, nous vous cédons le do­maine utile de la partie que vous occupez; nous ferons privatamente les classes chez nous dans l'intérieur de la maison: c'est pour demain 5 que tout le monde est convo­qué. Le P. Franzelin et le P. Palmieri nous restent; les PP. Sanguinetti, Perrini et Tosi ont suivi en Angleterre les scholastiques et les novices. Les journaux s'émeuvent de la résolution des Jésuites, la concurrence dans une maison leur sert de prétexte. Si on enlève aux Pères les enfants, on y laissera pourtant les étrangers qui suivent les cours de théologie; du moins on peut le croire après les démarches qu'ont dû faire les repré­sentants des puissances. Le brave Lequerre est prêtre habitué à Plouguerneau où il apprend le breton. Liles y est vicaire. M. Rossi est aussi casé dans un charmant poste sur le bord de la mer. M. Vantroys est-il toujours à Nîmes? et M. Desaire? Faites-leur bien mes amitiés quand vous écrirez là-bas; présentez aussi mes respects au R. Père (d'Alzon). Mes amitiés à M. Bernard. Tout à vous bien affectueusement en N. S.

H. Bougouin

435.29

AD B.21 /7a.3

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Boute

Hazebrouck 26 novembre 1870

Bien cher Abbé,

Je réclame avant toutes choses votre indulgence pour me passer le long silence que j'ai gardé à votre égard. Ce n'est pas oubli de ma part, je vous l'assure, car je parle bien de vous et de votre famille, mais je ne sais quelle paresse à écrire qui s'est empa­rée de moi, depuis que je me suis fait vieillot. Après cela, les événements inouïs que nous avons traversés, joints à la crainte de voir surgir de nouveaux désastres plus ac­cablants encore, ont nécessairement interrompu bien des relations pour quelque mo­ment du moins. Je suis jour et nuit préoccupé de ce que va devenir notre pauvre Fran­ce, puisse le Seigneur, après le châtiment, jeter sur elle un regard de miséricorde! Mais comme vous le dites très bien, elle a mérité des châtiments plus grands encore, si Dieu ne consultait que les droits de sa justice.

Je vous remercie, au nom de Monsieur le Principal et au mien, de nous avoir obte­nu pour notre chapelle l'autorisation d'un autel privilégié, et aussi de votre souscrip­tion pour l'orgue, dont je viens de toucher le montant. Notre orgue est définitive­ment installé; il produit un excellent effet et tous les connaisseurs en font le plus grand éloge. Il nous vient de la maison Mercklin-Schütze de Bruxelles: nouveau système à transposition. Les Prussiens ne sont pas encore venus l'inspecter; nous les en dispenserons bien volontiers. On ne pense (pas) jusqu'à présent qu'ils aient l'inten­tion d'envahir le département du Nord: ils y trouveraient des forteresses bien armées et bien défendues, nous dit-on.

L'été passé, je pensais sérieusement pousser une pointe jusqu'à La Capelle pour voir encore une fois votre famille, mais l'invasion des contrées voisines de votre loca­lité m'a arrêté. Pourrai-je encore mettre ce projet à exécution, Dieu seul le sait. Je suis déjà bien vieux et je souffre jour et nuit de ces rhumatismes qui ne me laissent point de répit; et néanmoins, je me porte bien quant au fond, la surface seule est atteinte.

Monsieur Reumaux vous remercie de l'attention que vous avez voulu témoigner à son frère. Nous avons tous été heureux d'apprendre que nos Flamands faisaient l'édi­fication de La Capelle et les soins que vous leur donnez par vos réunions et vos prédi­cations. Ils avaient besoin, à leur âge, d'être mis en garde contre les mauvais exem­ples qu'ils avaient sous les yeux. On nous dit qu'ils doivent vous quitter pour se rap­procher de Paris. Pauvres jeunes gens! seront-ils rendus à leur mère?1.

Monsieur Vallée, votre ancien professeur, est mort au mois de septembre dernier; il a été emporté en 24 heures. La douleur d'avoir perdu sa femme, les événements ré­cents qui allaient peut-être le priver de son fils, malgré un remplaçant, et qui le préoc­cupaient sans cesse, ont été cause de sa mort. Je recommande ce digne homme à vos prières et à celles de votre mère qui l'a connu2.

Je n'ai pas de nouvelles de Siméon, et il y a déjà quelque temps que je n'ai rencontré Mr son père, qui porte sa vieillesse d'une manière très convenable, mieux même que je ne porte mes 67 ans3.

Nous avons été plus favorisés que bien d'autres établissements dans notre rentrée, nous avons en ce moment 180 pensionnaires, sans compter demi-pensionnaires et externes. Tous nos grands travaux sont achevés, et il était temps, le n'aurais pu suffi­re à la peine. Je me suis co-joint un sous-économe, prêtre, qui me rend de tres grands services. Je n'ai plus qu'à inspecter en grand. Je lui laisse les détails, mais je conserve encore la recette, les paiements et la comptabilité. Je n'espère qu'après le moment où le pourrai tout lui confier.

Mr le Principal va toujours bien. Il pense bien souvent à vous et vous offre toutes ses amitiés ainsi qu'à votre famille et à Henri. Veuillez l'embrasser pour moi, bénir ses enfants à mon intention, dire à Mr votre père, Mme votre mère, Mme Laure, vos parents de Vervins et du Nouvion que je désire les revoir encore une fois avant de quitter ce monde. Au revoir, mon bien cher abbé. Prions beaucoup pour obtenir des temps meilleurs. On prie beaucoup ici en Flandre depuis longtemps. Espérons que la France va se régénérer en passant par le feu des tribulations et des sacrifices.

Votre ami

Boute Ptre

* 1 Cf LC 65.

Allusion au ministère exercé par Léon Dehon auprès des mobiles du Nord (cf NHV VIII, 121).

2 Sur M. Vallée cf NHV I, 23v°. Le conscrit qui avait tiré un «mauvais numéro», pouvait, en achetant un remplaçant, être dispensé du service militaire.

3 Siméon Vandewalle, de Hazebrouck, condisciple de Léon cf LD 4 et nombreuses mentions dans la correspondance.

161.07

AD B.17/6.15.7

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

De l'abbé Desaire

Nimes 10 décembre 1870

Mon bien cher Ami,

De nouveau, vous devez être un peu mécontent de moi: je ne vous ai pas écrit de­puis plus de cinq semaines, mais n'allez point croire que je n'ai pas souvent désiré le faire. Si le n'ai point hasardé mes lettres, c'est parce que j'étais moralement convain­cu qu'elles ne vous parviendraient point. Et ces lignes vous rejoindront-elle? je l'igno­re; le vous les adresse toutefois, car tout retard ne me donne pas de plus sûres garan­ties. Où êtes-vous et que devenez-vous, mon bien cher ami? Evidemment, vous n'avez dû vous arrêter à aucun parti, en raison de l'incertitude des événements, et je vous suppose essayant toujours de faire quelque bien aux pauvres enfants que la mort doit bientôt décimer. Rien de mieux pour le moment et, tout pesé, je pense avec vous qu'il faut, en attendant, demeurer dans ce rôle. Les nouvelles de Rome sont si contradictoires et si peu rassurantes pour la prolongation du séjour des Pères Jésui­tes dans cette ville qu'il serait imprudent de vous y rendre. Enfin, malgré tout le désir que j'aurais de vous voir près de moi, je n'ose point vous arracher à vos occupations actuelles et vous dire: Venez.

Nous continuons paisiblement et humblement notre œuvre. Deux fois par jour je fais un cours de philosophie à ces ches enfants, qui montrent toujours le goût le plus prononcé pour ce genre d'études. J'ai la douce conviction que cet entrain ne se ralen­tira pas. Pour ma part, je trouve le charme le plus vrai à professer cette logique qui me paraissait jadis si aride. N'ayant pas encore d'auteur, je continue à dicter, me donnant ainsi la facilité de suivre plus en détail la marche que nous traçaient nos Pères du Collège Français. De nouveau, je ne saurais que vous confirmer les espérances que j'avais conçues à mon arrivée: notre but pourra être atteint; nous avons par le p. d'Alzon de vrais éléments de succès. Mais que déterminer dans le chaos où nous som­mes plongés? Il est inutile de former des plans; l'œuvre est commencée; continuons à nous préparer pendant que la Providence débrouille les difficultés sous le pilon des forces qui s'entre-déchirent. Malgré toutes mes tristesses pour notre pays si éprouvé, je fais mon travail avec calme et le moins de distractions possibles.

Les épreuves ne nous font pas défaut: durant plus d'une semaine, j'ai été retenu au lit par une maudite fièvre qui m'a fort ennuyé. Je m'en relevais à peine qu'un jeune re­ligieux minoré, charmant élève, du diocèse d'Amiens, quittait cette terre pour aller s'unir à son Dieu. Je ne saurais vous dire combien mon cœur a souffert de cette mort prématurée. Bien que ce religieux ne suivît pas le cours principal de philosophie et ne fût pas destiné à concourir directement à notre œuvre, je l'aimais cependant comme un fils et un frère: il était doux, soumis, pieux, et en même temps gai, studieux et plein d'antrain. Enfin, il a bien promis de prier pour tous du haut des cieux, et certes ses suffrages ne nous seront pas inutiles. Un autre religieux a dû retourner pour quel­que temps dans sa famille par motif de santé; mais j'espère le voir bientôt revenir sur les bancs de la classe.

Mon cours de controverse religieuse aux collégiens m'intéresse toujours assez: c'est une agréable diversion aux aridités de la Dialectique et une petite revue de ma théolo­gie. Puis, ces chers enfants m'ont, la plupart, ouvert leur cœur et confié leur âme; je tâche donc de remplir aussi auprès d'eux une part légère de l'apostolat autrement fructueux que vous exercez parmi vos compatriotes.

L'abbé Lemann prêche le Carême à la cathédrale: me trouvant tout récemment à dîner avec lui, et. le P. d'Alzon exposant ses desseins devant tous les prêtres qui étaient présents, notre juif converti me demanda si nous pouvions compter sur un au­tre homme, dans le cas où le P. d'Alzon manquerait. Bref, je me suis aperçu qu'il vou­drait s'entretenir de nos projets et je le verrai, mais comptez sur toute ma discrétion1.

Point de nouvelles de tous nos amis de Rome. Je vais écrire au bon P. Freyd sous peu et le rassurer sur les impossibilités qu'il voyait l'an dernier pour l'accomplisse­ment de nos desseins. Avancerions-nous beaucoup plus facilement si nous étions maintenant bloqués dans Paris et Chevilly? Je lui exposerai en toute simplicité la si­tuation, et incontestablement, il se réjouira de ma détermination.

Notre bon P. d'Alzon fait ici beaucoup de bien; il a dans toute la ville une autorité morale qui lui ouvre toutes les portes; vous aviez bien raison de dire qu'il manque peut-être parfois, dans son ardeur pour le bien, de prudence dans l'exécution. C'est ainsi que récemment il abîmait en chaire notre Gambetta, nommément désigné, mais il assaisonne toujours ses imprudences d'une telle façon qu'elles ne lui font point de mal, et que très souvent elles lui gagnent des cœurs.

Adieu, bien cher ami, soyons de plus en plus unis dans le Cœur de notre bon Maître, puisque nous ne pouvons pas encore l'être ici-bas. Quand vous pourrez diri­ger vos plans de telle sorte que vous vous rapprochiez de Nîmes et que vous puissiez y venir rester, n'y manquez pas. Si vous étiez présent ici avec M. de…, nous pourrions incontestablement nous préparer à quelque chose de prochain, séminaire ou notre œuvre.

Adieu, rappelez-moi toujours au souvenir de vos bons parents, et surtout à celui du bon Dieu.

Votre ami

C. Desaire

Si vous voyez M. Bernard, veuillez bien lui demander si, au moment de quitter Ro­me, il avait retiré les reliquaires dont je l'avais chargé. Mais qu'il ne me les envoie pas maintenant.

1 Sur cet abbé Lemann cf LD 151.

157.02

AD B.17/6.11.2

Ms autogr. 4 p. (18 x 12)

De l'abbé Ad de la Ferrière

Au Grand Séminaire de Vannes 14 décembre (1870)

Mon bien cher ami,

Que de fois de fois j'ai pris la plume pour écrire et toujours je l'ai déposée, n'ayant pas d'espoir que les lignes que je vous tracerais vous parvinssent, pour aller vous prouver mieux que tout que mon silence prolongé ne devait être imputé qu'aux cir­constances. Aujourd'hui même, je me décide à vous griffonner ces quelques lignes, presque à regret, par la pensée que vous ne les recevrez pas. Mais enfin j'espère un peu que Dieu vous les enverra malgré tout.

Cher ami, comme l'horizon s'est assombri depuis votre aimable et affectueuse mis­sive! Comme les âmes catholiques et françaises sont dans le deuil! Je vous avoue que ce qui me fait de la peine, ce ne sont pas tant les malheurs de la France et plus encore ceux de l'Eglise, qui pourtant accablent l'âme, mais c'est de voir que, malgré de si ru­des leçons, tant de gens s'obstinent à pécher et â ne pas aimer notre bon Maître. Car enfin, quelque durs et douloureux que soient les temps que nous traversons, n'est-il pas bien plus triste de penser que la bonté de Dieu ne peut pas encore faire taire sa justice!!

Que devenez-vous, bien cher ami? Mr Abel Pineau, qui réside à Ste Anne, m'a-t-il dit sans me faire savoir davantage ce qu'il faisait ou ce qu'il comptait faire, m'a dit n'avoir pas de vos nouvelles depuis un mois. Je suis inquiet de vous pour moi et pour vos amis; car pour vous-même cher et bon ami, je sais bien que vous n'aurez fait que de saintes choses. Je suis sans nouvelles du plus grand nombre de nos amis, je devrais dire de tous. Mr Dugas aumônier, comme vous le savez, des mobiles du département de la Loire, m'a donné signe de vie il y a un mois, et ses inquiétudes sur M. Bourgeat, infirmier dans Metz et sur M. de Dartein, qui se prodigue de tous côtés comme au­mônier depuis le commencement de cette malheureuse campagne, n'ont fait qu'aug­menter les angoisses où j'étais moi-même pour ces chers amis. M. Lequerré m'a écrit il y a un mois. Depuis rien; il est vrai que je lui ai répondu ce matin seulement. Je dois une lettre à l'aimable abbé Billot, qui d'après ses dernières nouvelles, attendait tou­jours à Dunkerque que les événements lui permissent de s'arrêter à quelque chose. Je lui consacrerai mon premier moment libre.

J'ai su que le Séminaire français restait décidément à Rome; actuellement il n'y a plus que MM. Pineau (Orner), Bourgouin, Le Tallec et Quentin. J'avais écrit au R. P. Freyd dès que j'avais appris que les terres de son vieux père étaient souillées par les ennemis de la France et les horreurs de la guerre. Il ne m'a pas répondu. Comme je l'écrivais ce matin â notre cher ami, M. Lequerré, je n'ai pas le droit de m'en plain­dre; il ne fallait rien moins que votre bonté d'ami, â vous et à tous ces chers confrères de Ste-Claire que je vous nommais tout â l'heure, pour supporter un vilain méchant comme moi. Cependant, à un moment où mon coeur était si préoccupé du Séminaire français et des Pères, un mot de notre saint supérieur eût été agréable pour mon coeur de fils.

Et maintenant, mon bon ami, me voilà à Vannes. Il y a eu deux mois hier, c'était notre rentrée; plusieurs fois déjà notre bon évêque a été sur le point de nous licencier â cause des événements et des criailleries de quelques personnes, qui ne sont pas mé­chantes mais que la douleur aigrit. Même en supposant que l'on soit obligé de nous dissoudre momentanément, les bonnes semaines que nous aurons passées dans le séminaire, n'en seront pas moins un grand bienfait, d'autant plus grand qu'un plus pe­tit nombre des séminaristes de France l'auront partagé. Vous savez, cher bon ami, que ma santé m'empêchait de penser à Rome; d'ailleurs les circonstances seraient bien venues déranger mes plans de ce côté. Blois, qui avait bien voulu me recevoir, ne rouvrait pas, je pense; d'ailleurs son voisinage du théâtre des hostilités eût fait vivre ma pauvre mère dans de trop cruelles angoisses. J'ai vu dans ce concours de circon­stances la volonté de Dieu m'amenant ici, et je suis venu.

Mon bien cher et bon ami, je pense â vous et je vous recommande à N. S. pour te­nir ma promesse, beaucoup plus que pour autre chose. De votre côté, n'oubliez pas ce que vous m'avez promis; et puis j'ai besoin de tant, et j'ai si peu. Qui sait ce que l'avenir nous réserve? Je ne demande au bon Dieu qu'une chose, c'est qu'il me conser­ve dans la bonne disposition qu'il veut bien me donner depuis 18 mois, de voir, d'ai­mer et d'adorer en tout sa très sainte volonté.

Je suis inquiet de cette lettre; vous seriez mille fois bon de me répondre prompte­ment, et de ma part, je tâcherai de réparer mes torts passés de correspondance. Permettez-moi en terminant cette causerie, mon bien cher ami, de vous offrir l'ex­pression de mon respectueux et profond attachement.

Votre ami bien affectueux et très humblement dévoué

Adh. de la Ferrière

Si vous rencontrez quelqu'un de ces MM. du séminaire, dites-leur mes respectueux et meilleurs souvenirs.

433.06

AD B.21 /7a.1

Ms autogr. 4 p. (21 x 13)

Du P. d'Alzon

Nîmes le 19 décembre 1870

Votre lettre, mon bien cher ami, a dû mettre 10 jours pour me parvenir. Datée du 7, elle ne m'est parvenue que le 17, et le 19 au matin, je prends la plume pour vous répondre. Hier m'arrivaient les plus tristes nouvelles de Rome par l'abbé Quentin. Ils ne sont plus que trois élèves au Séminaire français, s'attendant à toutes sortes de ca­tastrophes. La veille du jour où il m'écrivait, le supérieur du Séminaire belge avait été jeté sur le pavé d'un coup de pierre, il n'en est pourtant pas mort. L'abbé Quentin prétend que les journaux ne disent pas le quart des abominations que l'on voit. Le P. Freyd et le p. Eschbach sont depuis deux mois en Alsace.

Il est bien douloureux de penser que nous ne pouvons prévoir quand cela finira. Que vous dire du midi? Le peuple est bon et la bourgeoisie déplorable. Aussi est-ce sur le peuple que je cherche â m'appuyer et j'espère en venir â bout.

La république est mort-née par la faute des républicains qui ont fait tout ce qu'ils ont pu pour la tuer. Et malgré cela, quand je vois la vie sérieuse réfugiée chez le peu­ple, je me dis que c'est au peuple qu'appartient l'avenir. Aussi je m'occupe activement de former une association pour la défense de l'Eglise catholique, dont les statuts se­ront un système d'efforts pour obtenir l'indépendance du St-Siège, le droit de l'Eglise de posséder, la liberté d'enseignement, la liberté d'association. Il faut absolument que nous arrivions à un ordre nouveau et que nous reprenions la société par frag­ments pour la reconstituer chrétiennement et catholiquement dans son ensemble.

L'abbé Desaire vous a écrit il y a une quinzaine de jours, vous devez enfin avoir re­çu sa lettre. Vous devez être content de lui. Ses élèves en sont ravis et il me paraît très satisfait de ses élèves. Je crois qu'il pose de bons fondements et qu'il trouve parmi ses auditeurs des auxiliaires pour son œuvre.

Il est tout naturel que vous ne puissiez venir en ce moment, mais souvenez-vous qu'au moment de reprendre les études à Rome, il sera très important d'être prêt pour faire tout ce qui devra être fait.

Adieu, bien cher ami. La révolution et la Prusse sont ensemble accouplées pour tracer des sillons où l'Eglise jettera ses profondes semences; elles seront fécondes aus­si si les semeurs sont intelligents et prêts pour l'œuvre de Dieu.

A l'instant, je reçois des lettres de Paris, du 16. J'y vois que Paris a encore des pro­visions pour longtemps et que l'on trouve en général qu'il ne manque qu'en hommes (… deux mots latins: … aliquis).

Adieu pour la seconde fois. Je ne puis vous dire combien je vous suis tendrement attaché en N. S.


E. d'Alzon

Depuis le 29 on n'a plus de nouvelles de l'abbé Dugas. Son frère a été fait pri­sonnier.

* Lettre citée en partie en NHV IX 11-13, avec les réflexions du P. Dehon sur sa décision.

158.17

AD B.17/6.12.17

Ms autogr. 2 p. (21 x 13)

De Mr Demiselle

(24 dec. 70)

Bien cher Abbé,

Nous sommes toujours au pouvoir des Allemands, accablés de logements: la garni­son d'abord et ensuite les passages. Nos ressources s'épuisent et nous ne recevons rien. Je ne sais comment nous ferons dans quelque temps.

Quelle guerre! Qui pourrait n'y pas voir la main de Dieu? Pauvre France, puisse-t­elle y trouver la régénération morale et religieuse! Puisse-t-elle se retremper dans le malheur et se relever épurée et plus belle! C'est, j'aime à le penser, le dessein de Dieu qui dirige ces grands événements.

Nous n'avons aucune nouvelle de Rome. Que devient le St-Père? Que devient Rome?

La Capelle revient-il à la religion? Notre Soissonnais est déplorable sous ce rapport et la leçon de la Providence n'est pas comprise.

Et vous, bien cher Abbé, que devenez-vous dans cette interruption de vos études? Nos deux séminaires sont transformés en ambulances prussiennes. Pauvres jeunes gens, que vont-ils devenir? Il n'y aura guère de rentrée cette année. Et après la guerre, qui sait comment les choses se passeront? O mon Dieu! vous veillez sur votre Eglise, mais quel sera le sort de l'Eglise en France?

Je vous embrasse de cœur en N. S.

Demiselle

Respects, amitiés à tout le monde.

Soissons 24 dec. 1870

* Lettre citée en NHV VIII, 128-129.

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